Language of document : ECLI:EU:C:2013:223



ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

11 avril 2013 (*)

«Agriculture – FEOGA – Règlement (CE) no 1257/1999 – Soutien au développement rural – Soutien à la préretraite – Cédant âgé d’au moins 55 ans, sans avoir atteint l’âge normal de la retraite au moment de la cessation – Notion d’‘âge normal de la retraite’ – Législation nationale fixant un âge de la retraite variable en fonction du sexe ainsi que, pour les femmes, du nombre d’enfants élevés – Principes généraux d’égalité de traitement et de non-discrimination»

Dans l’affaire C‑401/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Nejvyšší správní soud (République tchèque), par décision du 12 avril 2011, parvenue à la Cour le 28 juillet 2011, dans la procédure

Blanka Soukupová

contre

Ministerstvo zemědělství,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. K. Lenaerts, G. Arestis (rapporteur), J. Malenovský et D. Šváby, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: Mme K. Sztranc-Sławiczek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 juin 2012,

considérant les observations présentées:

–        pour Mme Soukupová, par Me J. Tomášek, advokát,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par M. M. Szpunar, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. M. van Beek et G. von Rintelen ainsi que par Mme Z. Malůšková, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 octobre 2012,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 11 du règlement (CE) no 1257/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) et modifiant et abrogeant certains règlements (JO L 160, p. 80, et rectificatif JO 2000, L 302, p. 72), ainsi que des principes généraux du droit de l’Union d’égalité de traitement et de non-discrimination.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Soukupová, exploitante agricole, au Ministerstvo zemědělství (ministère de l’Agriculture), au sujet du rejet de sa demande de participation au programme de soutien à la cessation anticipée d’une activité d’entrepreneur agricole.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        L’article 3, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24), dispose:

«La présente directive s’applique:

a)      aux régimes légaux qui assurent une protection contre les risques suivants:

[...]

–      vieillesse,

[...]

b)      aux dispositions concernant l’aide sociale, dans la mesure où elles sont destinées à compléter les régimes visés sous a) ou à y suppléer.»

4        L’article 7 de cette directive est libellé comme suit:

«1.      La présente directive ne fait pas obstacle à la faculté qu’ont les États membres d’exclure de son champ d’application:

a)      la fixation de l’âge de la retraite pour l’octroi des pensions de vieillesse et de retraite et les conséquences pouvant en découler pour d’autres prestations;

b)      les avantages accordés en matière d’assurance vieillesse aux personnes qui ont élevé des enfants; l’acquisition de droits aux prestations à la suite de périodes d’interruption d’emploi dues à l’éducation des enfants;

[...]

2.      Les États membres procèdent périodiquement à un examen des matières exclues en vertu du paragraphe 1, afin de vérifier, compte tenu de l’évolution sociale en la matière, s’il est justifié de maintenir les exclusions en question.»

5        Le considérant 23 du règlement no 1257/1999 énonce qu’il convient d’encourager la préretraite en agriculture dans le but d’améliorer la viabilité des exploitations agricoles.

6        Selon le considérant 40 de ce règlement, il convient notamment de soutenir les mesures visant à supprimer les inégalités et à promouvoir l’égalité des chances pour les hommes et les femmes.

7        L’article 2, onzième tiret, dudit règlement prévoit que le soutien accordé au développement rural, lié aux activités agricoles et à leur reconversion, peut concerner la suppression des inégalités et la promotion de l’égalité des chances pour les hommes et les femmes, grâce, notamment, au soutien de projets lancés et mis en œuvre par des femmes.

8        Sous le chapitre IV du règlement no 1257/1999, intitulé «Préretraite», l’article 10, paragraphe 1, de ce règlement est libellé comme suit:

«Un soutien est accordé à la préretraite en agriculture afin de contribuer aux objectifs suivants:

–        offrir un revenu aux exploitants agricoles âgés qui décident de cesser l’activité agricole,

–        favoriser le remplacement de ces exploitants âgés par des agriculteurs qui pourront améliorer, le cas échéant, la viabilité économique des exploitations restantes,

–        réaffecter des terres agricoles à des usages non agricoles lorsque leur affectation à des fins agricoles n’est pas envisageable dans des conditions satisfaisantes de viabilité économique.»

9        L’article 11, paragraphe 1, dudit règlement dispose:

«Le cédant agricole doit:

–        cesser définitivement toute activité agricole à des fins commerciales; il peut néanmoins continuer à pratiquer l’agriculture à des fins non commerciales et conserver l’usage des bâtiments,

–        être âgé d’au moins 55 ans, sans avoir atteint l’âge normal de la retraite au moment de la cessation

et

–        avoir exercé l’activité agricole pendant les dix ans qui précèdent la cessation.»

10      L’article 12, paragraphe 2, du même règlement énonce:

«Le versement de l’aide à la préretraite ne peut excéder une durée totale de quinze ans pour le cédant et de dix ans pour le travailleur agricole. Il ne continue pas après le soixante-quinzième anniversaire du cédant et ne se poursuit pas au-delà de l’âge normal de la retraite du travailleur agricole.

Si le cédant perçoit une pension de retraite versée par l’État membre, l’aide à la préretraite est octroyée sous la forme d’un complément de retraite prenant en compte le montant fixé par le régime national de retraite.»

 La réglementation tchèque

11      Conformément au règlement no 1257/1999, la République tchèque a adopté, le 26 janvier 2005, le décret gouvernemental no 69/2005 fixant les conditions d’octroi de la subvention en rapport avec la cessation anticipée d’une activité agricole par un entrepreneur agricole (nařízení vlády č. 69/2005 Sb., o stanovení podmínek pro poskytování dotace v souvislosti s předčasným ukončením provozování zemědělské činnosti zemědělského podnikatele). Selon son article 1er, ce décret gouvernemental a pour objet d’octroyer des subventions dans le cadre du programme de soutien à la cessation anticipée d’une activité agricole par un entrepreneur agricole.

12      En vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous b), dudit décret gouvernemental, la participation à ce programme est subordonnée à la condition que, à la date d’introduction de la demande, le demandeur soit âgé d’au moins 55 ans et n’ait pas atteint l’âge nécessaire pour avoir droit à une pension de vieillesse.

13      L’article 32, paragraphes 1 et 2, de la loi no 155/1995 relative à l’assurance pension (zákon č. 155/1995 Sb., o důchodovém pojištění), dans sa version applicable au litige au principal, auquel renvoie ledit article 3, paragraphe 1, sous b), prévoyait:

«(1)      L’âge de la retraite est fixé

a)      pour les hommes à 60 ans;

b)      pour les femmes

      1.      à 53 ans si elles ont élevé au moins 5 enfants,

      2.      à 54 ans si elles ont élevé 3 ou 4 enfants,

      3.      à 55 ans si elles ont élevé 2 enfants,

      4.      à 56 ans si elles ont élevé un enfant, ou

      5.      à 57 ans si les assurées ont atteint cet âge le 31 décembre 1995.

(2)      Dans le cas des assurés qui atteignent les limites d’âge fixées au paragraphe 1 au cours de la période allant du 1er janvier 1996 au 31 décembre 2012, l’âge de la retraite est déterminé en ajoutant au mois au cours duquel l’assuré a atteint cette limite 2 mois, pour les hommes, et 4 mois, pour les femmes, pour chaque année civile, même entamée, pour la période allant du 31 décembre 1995 à la date où les limites d’âge fixées au paragraphe 1 sont atteintes, et est considéré comme étant l’âge de la retraite l’âge atteint au cours du mois ainsi déterminé à la date dont le chiffre correspond à la date de naissance de l’assuré; si le mois ainsi déterminé ne contient pas un tel jour, est considéré comme étant l’âge de la retraite l’âge qui est atteint au dernier jour du mois ainsi déterminé.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      Mme Soukupová est une exploitante agricole née le 24 janvier 1947 et ayant élevé deux enfants. Le 24 mai 2004, elle a atteint l’âge auquel a pris naissance son droit à une pension de vieillesse, en application de l’article 32, paragraphes 1 et 2, de la loi no 155/1995.

15      Le 3 octobre 2006, Mme Soukupová a introduit, auprès du Fonds national d’intervention agricole, une demande de participation au programme de soutien à la cessation anticipée de l’activité agricole d’un entrepreneur agricole.

16      Par décision du 20 décembre 2006, cette demande a été rejetée, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous b), du décret gouvernemental no 69/2005, au motif que, à la date d’introduction de cette demande, Mme Soukupová avait atteint l’âge nécessaire pour avoir droit à une pension de vieillesse.

17      Mme Soukupová a introduit un recours contre cette décision devant le Ministerstvo zemědělství, qui a rejeté celui-ci par une décision du 12 avril 2007.

18      Mme Soukupová a contesté cette dernière décision en saisissant le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague). Dans son recours, elle a fait valoir que l’article 3, paragraphe 1, sous b), du décret gouvernemental no 69/2005 était en contradiction avec l’article 11, paragraphe 1, deuxième tiret, du règlement no 1257/1999, dès lors que ce règlement vise «l’âge normal de la retraite», alors que ledit décret gouvernemental vise «l’âge nécessaire pour avoir droit à une pension de vieillesse». Invoquant le caractère discriminatoire de la condition prévue à cet article 3 au motif que l’âge nécessaire pour avoir droit à une pension de vieillesse, au sens dudit article 3, est fixé différemment pour les hommes et pour les femmes et que, en outre, il diffère pour les femmes en fonction du nombre d’enfants élevés, Mme Soukupová a sollicité une interprétation de la notion d’«âge normal de la retraite», au sens dudit règlement, qui n’entraînerait pas de discrimination à l’égard de certains demandeurs. Ainsi, elle a relevé que, en application de la réglementation tchèque, les femmes qui ont élevé un plus grand nombre d’enfants bénéficient objectivement d’un délai plus court pour introduire une demande de participation audit programme de soutien à la cessation anticipée que celui qui est accordé aux hommes ou aux femmes qui ont élevé un nombre d’enfants moins élevé.

19      Par un arrêt du 30 avril 2009, le Městský soud v Praze a annulé ladite décision du Ministerstvo zemědělství, en considérant qu’il n’existait pas de motif légitime permettant de justifier une distinction entre un homme agriculteur et une femme agricultrice en ce qui concerne l’accès aux subventions agricoles. Partant, il a écarté toute interprétation susceptible d’entraîner des différences de traitement injustifiées entre les demandeurs. Il a, en outre, jugé que la limite d’âge permettant de participer au programme de soutien à la cessation anticipée de l’activité agricole d’un entrepreneur agricole devait être considérée comme étant l’âge normal de la retraite, déterminé de la même manière pour tous les demandeurs.

20      Le Ministerstvo zemědělství a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême). Dans son pourvoi, ce ministère a soutenu que le règlement no 1257/1999 ne prévoyait de dispositions précises qu’en ce qui concerne la limite d’âge inférieure des demandeurs. Il a fait valoir que les expressions «âge normal de la retraite», au sens de l’article 11, paragraphe 1, deuxième tiret, de ce règlement, et «âge de la retraite», au sens de l’article 32 de la loi no 155/1995, avaient des significations similaires. Ledit ministère a soutenu que, aux fins de déterminer de manière précise et objective l’âge normal de la retraite, au sens de cet article 11, il avait été décidé de définir cet âge, dans l’ordre juridique interne, en application dudit article 32. Le Ministerstvo zemědělství a également relevé qu’une méthode de fixation de l’âge normal de la retraite identique avait été établie dans le document de programmation intitulé «Plan horizontal de développement rural de la République tchèque pour la période 2004-2006», lequel a été approuvé tant par le gouvernement de cet État membre, par la décision no 671, du 9 juillet 2003, que par la Commission européenne, par la décision 2004 CZ 06G DO 001, du 3 septembre 2004.

21      Nourrissant des doutes quant au droit de Mme Soukupová de participer au programme de soutien à la cessation anticipée d’une activité d’entrepreneur agricole, prévu par le décret gouvernemental no 69/2005, et estimant nécessaire d’obtenir, à cet égard, une réponse en ce qui concerne tant l’interprétation de la notion d’«âge normal de la retraite», visée à l’article 11, paragraphe 1, deuxième tiret, du règlement no 1257/1999, que la question de savoir si le droit de l’Union permet d’opérer une distinction, lors de l’appréciation d’une demande de participation à ce programme, entre les demandeurs, en fonction de leur sexe et du nombre d’enfants élevés, le Nejvyšší správní soud a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Peut-on interpréter la notion d’‘âge normal de la retraite’, visée à l’article 11 du règlement [no 1257/1999], comme étant, en ce qui concerne le demandeur concret, ‘l’âge nécessaire pour avoir droit à une pension de vieillesse’, au sens de la législation nationale?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, est-il conforme au droit et aux principes généraux de l’Union européenne que l’‘âge normal de la retraite’ au moment de la cessation de l’activité agricole soit déterminé de manière différente pour les demandeurs particuliers, en fonction de leur sexe et du nombre d’enfants élevés?

3)      En cas de réponse négative à la première question, quels critères la juridiction nationale devrait-elle prendre en considération dans le cadre de l’interprétation de la notion d’‘âge normal de la retraite’ au moment de la cessation de l’activité agricole, au sens de l’article 11 du règlement [no 1257/1999]?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première et deuxième questions

22      Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, s’il est conforme au droit de l’Union et à ses principes généraux d’égalité de traitement et de non-discrimination que, en application des dispositions du régime national de retraite de l’État membre concerné relatives à l’âge nécessaire pour avoir droit à une pension de vieillesse, l’«âge normal de la retraite», au sens de l’article 11, paragraphe 1, deuxième tiret, du règlement no 1257/1999, soit déterminé de manière différente, en fonction du sexe du demandeur de l’aide à la préretraite en agriculture et, s’agissant des demandeurs de sexe féminin, en fonction du nombre d’enfants élevés par l’intéressée.

23      À cet égard, il importe d’emblée de relever que, ainsi qu’il ressort de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1257/1999, le mécanisme d’aide à la préretraite en agriculture, au sens de ce règlement, a pour but de contribuer, notamment, à offrir un revenu aux exploitants agricoles âgés qui décident de cesser l’activité agricole et à favoriser le remplacement de ces exploitants âgés par des agriculteurs qui pourront améliorer, le cas échéant, la viabilité économique des exploitations restantes. Ce dernier objectif figure également au considérant 23 de ce règlement.

24      Il s’ensuit que cette aide à la préretraite constitue une incitation économique qui vise à encourager les exploitants agricoles âgés à cesser définitivement leur activité agricole plus tôt qu’ils ne le feraient dans des circonstances normales et, ainsi, à faciliter la transformation structurelle du secteur agricole, en vue de mieux garantir la viabilité des exploitations.

25      Force est donc de constater que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 47 de ses conclusions, l’aide à la préretraite en agriculture prévue par le règlement no 1257/1999 constitue un instrument de la politique agricole commune, financé par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), qui est destiné à garantir la viabilité des exploitations agricoles, et non une prestation de sécurité sociale relevant du champ d’application de la directive 79/7.

26      Dans ces conditions, si, certes, la fixation de l’«âge normal de la retraite», au sens de l’article 11, paragraphe 1, deuxième tiret, du règlement no 1257/1999, relève, en l’absence d’une harmonisation par le droit de l’Union, de la compétence des États membres, il n’en demeure pas moins que, aux fins de l’application de ce règlement, ces États ne sauraient se prévaloir de la différence de traitement que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 79/7 les autorise à maintenir en matière de fixation de l’âge de la retraite dans le domaine de la sécurité sociale. Le législateur de l’Union ne saurait être regardé, du fait de ce renvoi à une notion non harmonisée, comme ayant habilité lesdits États, lors de la mise en œuvre dudit règlement, à adopter des mesures qui enfreindraient les principes généraux du droit de l’Union, ainsi que les droits fondamentaux (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2006, Parlement/Conseil, C‑540/03, Rec. p. I‑5769, points 22 et 23).

27      Par ailleurs, il convient de relever que le considérant 40 du règlement no 1257/1999 recommande de soutenir les mesures visant à supprimer les inégalités et à promouvoir l’égalité des chances pour les hommes et les femmes. L’article 2, onzième tiret, de ce règlement prévoit également que le soutien accordé au développement rural peut concerner la suppression des inégalités et la promotion de l’égalité des chances pour les hommes et les femmes. Il ressort, dès lors, de ces dispositions que, dans le cadre du soutien à la préretraite en agriculture accordé sur le fondement dudit règlement, il importe d’assurer une égalité de traitement entre les femmes et les hommes et, partant, d’interdire toute discrimination fondée sur le sexe.

28      Par conséquent, dans la mise en œuvre du règlement no 1257/1999, les États membres sont tenus, en vertu de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, au respect des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, consacrés aux articles 20, 21, paragraphe 1, et 23 de ladite charte.

29      Selon une jurisprudence constante, les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination exigent que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir, notamment, arrêts du 17 juillet 1997, National Farmers’ Union e.a., C‑354/95, Rec. p. I‑4559, point 61; du 11 novembre 2010, Grootes, C‑152/09, Rec. p. I‑11285, point 66, ainsi que du 1er mars 2011, Association belge des Consommateurs Test-Achats e.a., C‑236/09, Rec. p. I‑773, point 28).

30      En l’occurrence, force est de constater que les exploitants agricoles âgés de sexe féminin et ceux de sexe masculin sont dans des situations comparables au regard de la finalité poursuivie par le soutien à la préretraite prévu à l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1257/1999, qui vise à encourager ces exploitants, indistinctement de leur sexe et du nombre d’enfants qu’ils ont élevés, à cesser définitivement leurs activités agricoles de façon prématurée, en vue de mieux garantir la viabilité des exploitations agricoles, ainsi qu’il ressort du point 24 du présent arrêt. Lesdits exploitants, tant hommes que femmes, peuvent prétendre à un tel soutien, pour autant que, ainsi que l’exige l’article 11, paragraphe 1, de ce règlement, ils ont cessé définitivement toute activité agricole à des fins commerciales après avoir exercé celle-ci pendant les dix ans qui précèdent cette cessation et sont âgés d’au moins 55 ans, sans avoir atteint l’âge normal de la retraite au moment de ladite cessation.

31      Dans ces conditions, il serait contraire au droit de l’Union et à ses principes généraux d’égalité de traitement et de non-discrimination que lesdites situations soient traitées différemment, sans justification objective, en raison du fait que, en application des dispositions du régime national de retraite de l’État membre concerné, l’«âge normal de la retraite», au sens de l’article 11, paragraphe 1, deuxième tiret, du règlement no 1257/1999, est fixé différemment en fonction du sexe du demandeur de l’aide à la préretraite en agriculture et, s’agissant des demandeurs de sexe féminin, en fonction du nombre d’enfants élevés par l’intéressée.

32      En effet, ce droit et ces principes seraient méconnus s’il était admis que puissent faire l’objet d’un traitement défavorable non objectivement justifié les demandeurs de cette aide à la préretraite qui relèvent, en raison de leur sexe et, s’agissant des demandeurs de sexe féminin, du nombre d’enfants qu’ils ont élevés, d’une catégorie d’exploitants agricoles pour lesquels cet âge, fixé par lesdites dispositions du régime national, est atteint plus tôt que pour les demandeurs appartenant à une autre catégorie d’exploitants. Dans ce cas, les demandeurs relevant de cette seconde catégorie disposeraient d’un délai plus long pour introduire leur demande d’aide, de sorte qu’ils seraient privilégiés, sans justification objective, par rapport à ceux relevant de la première catégorie, lesquels seraient soumis, pour une demande de même nature, à des conditions d’éligibilité à cette aide plus restrictives.

33      Dans l’affaire au principal, la réglementation nationale en cause a pour conséquence qu’une personne, telle que Mme Soukupová, qui cesse son activité agricole à un âge compris entre l’âge normal de la retraite déterminé par cette réglementation en fonction de son sexe ainsi que du nombre d’enfants qu’elle a élevés et l’âge normal de la retraite fixé par ladite réglementation pour les exploitants agricoles de sexe masculin, ne peut bénéficier de l’aide à la préretraite et voit, par conséquent, ses droits limités à la perception, pendant le reste de sa vie, d’une pension de vieillesse d’un niveau inférieur à ladite aide, alors qu’un exploitant masculin cessant son activité agricole au même âge que cette personne peut bénéficier d’une telle aide pendant une durée totale de quinze ans ou jusqu’à son soixante-quinzième anniversaire conformément à l’article 12, paragraphe 2, du règlement no 1257/1999, déduction faite de la pension de vieillesse versée par l’État membre concerné.

34      Contrairement à ce que soutiennent les gouvernements tchèque et polonais, une différence de traitement, telle que celle opérée par la réglementation nationale en cause au principal, ne saurait être objectivement justifiée. En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 61 de ses conclusions, les objectifs de transformation structurelle du secteur agricole visés par le soutien à la préretraite en agriculture accordé sur le fondement du règlement no 1257/1999 peuvent manifestement être réalisés sans que les États membres recourent à un traitement discriminatoire.

35      S’agissant des conséquences d’un non-respect du principe d’égalité de traitement dans une situation telle que celle en cause au principal, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, dès lors qu’une discrimination, contraire au droit de l’Union, a été constatée et aussi longtemps que des mesures rétablissant l’égalité de traitement n’ont pas été adoptées, le respect du principe d’égalité ne saurait être assuré que par l’octroi aux personnes de la catégorie défavorisée des mêmes avantages que ceux dont bénéficient les personnes de la catégorie privilégiée (voir arrêts du 26 janvier 1999, Terhoeve, C‑18/95, Rec. p. I‑345, point 57, et du 22 juin 2011, Landtová, C‑399/09, Rec. p. I‑5573, point 51). La personne défavorisée doit ainsi être placée dans la même situation que la personne bénéficiant de l’avantage concerné.

36      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions qu’il n’est pas conforme au droit de l’Union et à ses principes généraux d’égalité de traitement et de non-discrimination que, en application des dispositions du régime national de retraite de l’État membre concerné relatives à l’âge nécessaire pour avoir droit à une pension de vieillesse, l’«âge normal de la retraite», au sens de l’article 11, paragraphe 1, deuxième tiret, du règlement no 1257/1999, soit déterminé de manière différente, en fonction du sexe du demandeur de l’aide à la préretraite en agriculture et, s’agissant des demandeurs de sexe féminin, en fonction du nombre d’enfants élevés par l’intéressée.

 Sur la troisième question

37      Eu égard à la réponse apportée aux première et deuxième questions, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question posée par la juridiction de renvoi.

 Sur les dépens

38      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

Il n’est pas conforme au droit de l’Union et à ses principes généraux d’égalité de traitement et de non-discrimination que, en application des dispositions du régime national de retraite de l’État membre concerné relatives à l’âge nécessaire pour avoir droit à une pension de vieillesse, l’«âge normal de la retraite», au sens de l’article 11, paragraphe 1, deuxième tiret, du règlement (CE) no 1257/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) et modifiant et abrogeant certains règlements, soit déterminé de manière différente, en fonction du sexe du demandeur de l’aide à la préretraite en agriculture et, s’agissant des demandeurs de sexe féminin, en fonction du nombre d’enfants élevés par l’intéressée.

Signatures


* Langue de procédure: le tchèque.