Language of document : ECLI:EU:T:2009:191

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

11 juin 2009 (*)

« Aides d’État – Régime d’aides accordées par les autorités italiennes à certaines entreprises de services publics sous la forme d’exonérations fiscales et de prêts à taux préférentiel – Décision déclarant les aides incompatibles avec le marché commun – Recours en annulation – Affectation individuelle – Recevabilité – Aides existantes ou aides nouvelles – Article 87, paragraphe 3, sous c), CE »

Dans l’affaire T‑301/02,

AEM SpA, établie à Milan (Italie), représentée par Mes A. Giardina, C. Croff, A. Santa Maria et G. Pizzonia, avocats,

partie requérante,

soutenue par

ASM Brescia SpA, établie à Brescia (Italie), représentée par Mes G. Caia, V. Salvadori, N. Pisani et F. Capelli, avocats,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. V. Di Bucci, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation des articles 2 et 3 de la décision 2003/193/CE de la Commission, du 5 juin 2002, relative à une aide d’État aux exonérations fiscales et prêts à des conditions préférentielles consentis par l’Italie à des entreprises de services publics dont l’actionnariat est majoritairement public (JO 2003, L 77, p. 21),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (huitième chambre élargie),

composé de Mme M. E. Martins Ribeiro, président, MM. D. Šváby, S. Papasavvas, N. Wahl (rapporteur) et A. Dittrich, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 avril 2008,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, AEM SpA, est une société par actions cotée en bourse, détenue à 51 % par la municipalité de Milan (Italie). Elle a été créée en 1996 à partir de la transformation de l’entreprise municipalisée du même nom. La requérante assure principalement la distribution de l’électricité et la distribution et la vente de gaz naturel et d’énergie thermique sur le territoire, notamment, de la ville de Milan.

 Sur le cadre juridique national

2        La legge n° 142 ordinamento delle autonomie locali (loi n° 142 portant organisation des autonomies locales, du 8 juin 1990, GURI n° 135, du 12 juin 1990, ci-après la « loi nº 142/90 ») a introduit en Italie une réforme des instruments d’organisation légaux mis à la disposition des communes pour la gestion des services publics, notamment dans les secteurs de la distribution de l’eau, du gaz, de l’électricité et des transports. L’article 22 de ladite loi, tel que modifié, a prévu la possibilité pour les communes de créer des sociétés sous différentes formes juridiques afin de fournir des services publics. Parmi celles‑ci figure la constitution de sociétés commerciales ou de sociétés à responsabilité limitée à actionnariat majoritairement public (ci-après les « sociétés loi nº 142/90 »). La requérante est une société loi nº 142/90.

3        Dans ce contexte, en vertu de l’article 9 bis de la legge n° 488 di conversione in legge, con modificazioni, del decreto-legge 1° luglio 1986, n° 318, recante provvedimenti urgenti per la finanza locale (loi n° 488 portant conversion en loi, avec modifications, du décret-loi n° 318, du 1er juillet 1986, introduisant des mesures urgentes en faveur des finances locales, du 9 août 1986, GURI n° 190, du 18 août 1986), des prêts à un taux d’intérêt particulier auprès de la Cassa Depositi e Prestiti (ci-après la « CDDPP ») ont été accordés entre 1994 et 1998 à des sociétés loi nº 142/90 qui étaient prestataires de services publics (ci-après les « prêts de la CDDPP »).

4        En outre, en vertu des dispositions combinées de l’article 3, paragraphes 69 et 70, de la legge nº 549 (su) misure di razionalizzazione della finanza pubblica (loi nº 549 relative à des mesures de rationalisation des finances publiques, du 28 décembre 1995, supplément ordinaire à la GURI nº 302, du 29 décembre 1995, ci-après la « loi nº 549/95 ») et du decreto-legge n° 331 (su) armonizzazione delle disposizioni in materia di imposte sugli oli minerali, sull’alcole, sulle bevande alcoliche, sui tabacchi lavorati e in materia di IVA con quelle recate da direttive CEE e modificazioni conseguenti a detta armonizzazione, nonché disposizioni concernenti la disciplina dei centri autorizzati di assistenza fiscale, le procedure dei rimborsi di imposta, l’esclusione dall’ILOR dei redditi di impresa fino all’ammontare corrispondente al contributo diretto lavorativo, l’istituzione per il 1993 di un’imposta erariale straordinaria su taluni beni ed altre disposizioni tributarie (décret-loi nº 331 sur l’harmonisation des dispositions en matière d’impôts dans divers domaines, du 30 août 1993, GURI nº 203, du 30 août 1993, ci‑après le « décret‑loi n° 331/93 »), les mesures suivantes ont été introduites en faveur des sociétés loi nº 142/90 :

–        l’exonération de tous les droits grevant les transferts d’actifs effectués lors de la transformation d’entreprises spéciales et d’entreprises municipalisées en sociétés loi nº 142/90 (ci-après l’« exonération des droits sur les transferts ») ;

–        l’exonération totale de l’impôt des sociétés, à savoir l’impôt sur le bénéfice des personnes morales et l’impôt local sur le revenu, pendant trois ans, et au plus tard jusqu’à l’exercice 1999 (ci-après l’« exonération triennale de l’impôt des sociétés »).

 Procédure administrative

5        À la suite d’une plainte concernant lesdites mesures, la Commission a demandé, par lettres des 12 mai, 16 juin et 21 novembre 1997, des renseignements à cet égard aux autorités italiennes.

6        Par lettre du 17 décembre 1997, les autorités italiennes ont fourni une partie des renseignements souhaités. Une réunion a par ailleurs eu lieu, à la demande des autorités italiennes, le 19 janvier 1998.

7        Par lettre du 17 mai 1999, la Commission a notifié aux autorités italiennes sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE. Cette décision a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes (JO C 220, p. 14).

8        Après avoir reçu des observations de tiers intéressés et des autorités italiennes, la Commission a demandé à plusieurs reprises à ces dernières des renseignements complémentaires. Des rencontres ont également eu lieu entre, d’une part, la Commission et, d’autre part, les autorités italiennes ainsi que les tiers intéressés intervenus.

9        Certaines sociétés loi nº 142/90, telles que la requérante ainsi que ACEA SpA et Azienda Mediterranea Gas e Acqua SpA (AMGA), qui ont par ailleurs introduit un recours en annulation contre la décision faisant l’objet de la présente affaire (affaires T‑297/02 et T‑300/02), ont, notamment, fait valoir que les trois types de mesures en question ne constituaient pas des aides d’État.

10      Les autorités italiennes et la Confederazione Nazionale dei Servizi (Confservizi), confédération regroupant notamment des sociétés loi nº 142/90 et des entreprises spéciales communales en Italie, se sont ralliées, en substance, à cette position.

11      En revanche, le Bundesverband der deutschen Industrie eV (BDI), association allemande de l’industrie et des prestataires de services y afférents, a considéré que les mesures en question pourraient provoquer des distorsions de concurrence non seulement en Italie mais également en Allemagne.

12      De même, Gas-it, association italienne d’opérateurs privés du secteur de la distribution de gaz, a déclaré que les mesures en question, en particulier l’exonération triennale de l’impôt des sociétés, constituaient des aides d’État.

13      Le 5 juin 2002, la Commission a adopté la décision 2003/193/CE relative à une aide d’État aux exonérations fiscales et prêts à des conditions préférentielles consentis par l’Italie à des sociétés loi n° 142/90 (JO 2003, L 77, p. 21, ci-après la « décision attaquée »).

 Décision attaquée

14      La Commission souligne tout d’abord que son examen ne porte que sur les régimes d’aides de portée générale institués par les mesures litigieuses et non sur les aides individuelles octroyées à différentes entreprises. À cet égard, elle déclare que la République italienne « n’a pas accordé d’avantages fiscaux à titre individuel et [ne lui] a notifié […] aucun cas individuel d’aide en lui communiquant tous les renseignements nécessaires à son appréciation ». La Commission indique qu’elle s’estime, en conséquence, tenue de procéder à un examen général et abstrait des régimes en cause tant sur le plan de leur qualification que sur le plan de leur compatibilité avec le marché commun (considérants 42 à 45 de la décision attaquée).

15      Selon la Commission, les prêts de la CDDPP et l’exonération triennale de l’impôt des sociétés (ci‑après, pris ensemble, les « mesures en cause ») sont des aides d’État. En effet, l’octroi, au moyen de ressources d’État, de tels avantages aux sociétés loi nº 142/90 a pour effet de renforcer leur position concurrentielle par rapport à toutes les autres entreprises désireuses de fournir les mêmes services (considérants 48 à 75 de la décision attaquée). Les mesures en cause sont incompatibles avec le marché commun dès lors qu’elles ne satisfont ni aux conditions de l’article 87, paragraphes 2 et 3, CE, ni aux conditions de l’article 86, paragraphe 2, CE et qu’elles violent, en plus, l’article 43 CE (considérants 94 à 122 de la décision attaquée).

16      En revanche, selon la Commission, l’exonération des droits sur les transferts ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, étant donné que ces droits sont dus lors de la constitution d’une nouvelle entité économique ou lors du transfert d’actifs entre différentes entités économiques. Or, d’un point de vue substantiel, les entreprises municipalisées, d’une part, et les sociétés loi nº 142/90, d’autre part, incarnent la même entité économique. Dès lors, l’exonération desdits droits en leur faveur est justifiée par la nature ou l’économie du système (considérants 76 à 81 de la décision attaquée).

17      Le dispositif de la décision attaquée est libellé comme suit :

« Article premier

L’exonération des droits sur les transferts […] ne constitue pas une aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, [CE]. 

Article 2

L’exonération triennale de l’impôt des sociétés […] et les avantages découlant des prêts [de la CDDPP …] constituent des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, [CE].

Ces aides ne sont pas compatibles avec le marché commun.

Article 3

L’Italie prend toutes les mesures qui s’imposent pour exiger du bénéficiaire qu’il restitue l’aide décrite à l’article 2 qui lui a été accordée illégalement.

Le recouvrement de l’aide intervient immédiatement, conformément aux procédures nationales, dans la mesure où elles permettent l’exécution effective et immédiate de la décision [attaquée].

L’aide à recouvrer comprend les intérêts à compter de la date à laquelle le bénéficiaire a perçu l’aide illégale jusqu’à la date de son remboursement effectif. Ces intérêts sont calculés sur la base du taux de référence applicable au calcul de l’équivalent subvention des aides à finalité régionale.

[…] »

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 septembre 2002, la requérante a introduit le présent recours.

19      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 2 janvier 2003, ASM Brescia SpA a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la requérante. Par ordonnance du 12 mai 2003, le président de la cinquième chambre élargie du Tribunal (ancienne composition) a admis cette intervention. L’intervenante a déposé son mémoire et les autres parties ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

20      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 6 janvier 2003, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

21      Le 27 février 2003, la requérante a présenté ses observations sur l’exception d’irrecevabilité.

22      Le 8 août 2002, la République italienne a également formé un recours en annulation devant la Cour contre la décision attaquée, enregistrée sous la référence C‑290/02. La Cour a constaté que ce recours et ceux dans les affaires T‑292/02, T‑297/02, T‑300/02, T‑301/02 et T‑309/02 avaient le même objet, à savoir l’annulation de la décision attaquée, et qu’ils étaient connexes, puisque les moyens présentés dans chacune de ces affaires se recoupaient très largement. Par ordonnance du 10 juin 2003, la Cour a suspendu la procédure dans l’affaire C‑290/02 conformément à l’article 54, troisième alinéa, de son statut, jusqu’au prononcé de la décision du Tribunal mettant fin à l’instance dans les affaires T‑292/02, T‑297/02, T‑300/02, T‑301/02 et T‑309/02.

23      Par ordonnance du 8 juin 2004, la Cour a décidé de renvoyer l’affaire C-290/02 devant le Tribunal, qui est devenu compétent pour statuer sur les recours formés par les États membres contre la Commission, conformément aux dispositions de l’article 2 de la décision 2004/407/CE, Euratom du Conseil, du 26 avril 2004, portant modification des articles 51 et 54 du protocole sur le statut de la Cour de justice (JO L 132, p. 5). Cette affaire a été inscrite au greffe du Tribunal sous la référence T‑222/04.

24      Par ordonnance du 5 août 2004, le Tribunal a décidé de joindre au fond l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

25      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé, par écrit, des questions aux parties, auxquelles celles-ci ont répondu dans le délai imparti.

26      Par ordonnance du président de la huitième chambre élargie du Tribunal du 13 mars 2008, les affaires T‑292/02, T‑297/02, T‑300/02, T‑301/02, T‑309/02, T‑189/03 et T‑222/04 ont été jointes aux fins de la procédure orale, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.

27      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée le 16 avril 2008.

28      La requérante, soutenue par l’intervenante, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        annuler l’article 2 de la décision attaquée par lequel la Commission a déclaré incompatible avec le marché commun l’exonération triennale de l’impôt des sociétés ;

–        annuler l’article 3 de la décision attaquée dans la mesure où il impose à la République italienne de récupérer les aides accordées au titre de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés ;

–        condamner la Commission aux dépens.

29      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante et l’intervenante aux dépens.

 Sur la recevabilité

 Arguments des parties

30      La Commission conteste la qualité pour agir de la requérante. La requérante ne serait pas individuellement concernée par la décision attaquée, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

31      La Commission fait valoir, en substance, que la décision attaquée doit être qualifiée d’acte de portée générale dans la mesure où elle concerne un régime d’aides et donc un nombre indéterminé et indéterminable d’entreprises définies en fonction d’un critère général, tel que leur appartenance à une catégorie d’entreprises. Selon elle, la portée générale, et donc la nature normative, d’un acte n’est pas mise en cause par la possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels il s’applique à un moment donné, tant il est constant que cette application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte, en relation avec la finalité de ce dernier.

32      Selon la Commission, pour qu’un particulier soit individuellement concerné par un acte de portée générale, cet acte doit porter atteinte à ses droits spécifiques ou l’institution qui en est l’auteur doit être obligée de tenir compte des conséquences de cet acte sur la situation dudit particulier. La Commission considère cependant que tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la décision attaquée aurait eu des répercussions sur la situation de toutes les entreprises qui ont bénéficié des mesures en cause. Par conséquent, il n’y aurait pas de violation des droits spécifiques de certaines entreprises qui pourraient se différencier par rapport à toute autre entreprise bénéficiaire des mesures en cause. Par ailleurs, lors de l’adoption de la décision attaquée, la Commission n’aurait ni dû ni pu tenir compte des conséquences de sa décision sur la situation d’une entreprise précise. Ni la déclaration d’incompatibilité ni l’ordre de récupération contenus dans la décision attaquée ne se référeraient à la situation de bénéficiaires individuels.

33      Selon la Commission, son analyse est confirmée par la jurisprudence existante dans le domaine des aides d’État, selon laquelle le fait d’être le bénéficiaire d’un régime d’aides déclaré incompatible avec le marché commun ne saurait suffire à démontrer l’affectation individuelle au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

34      Des affaires plus récentes ne remettraient pas en cause la jurisprudence établie. Selon la Commission, la solution retenue dans l’arrêt de la Cour du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission (C‑15/98 et C‑105/99, Rec. p. I‑8855, ci-après l’« arrêt Sardegna Lines »), ne peut être appliquée à tous les recours formés par des bénéficiaires d’un régime d’aides déclaré illégal et incompatible et dont la récupération a été ordonnée. Cette conclusion s’imposerait en particulier lorsque, comme en l’espèce, le régime d’aides en cause a été examiné de manière abstraite. En outre, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Sardegna Lines, précité, la requérante aurait en réalité bénéficié d’une aide individuelle, car il s’agissait d’un avantage accordé en vertu d’un acte adopté sur la base d’une loi régionale caractérisée par un large pouvoir discrétionnaire. De plus, cette situation aurait fait l’objet d’un examen attentif au cours de la procédure formelle d’examen.

35      Les faits de l’espèce différeraient également de ceux ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission (C‑298/00 P, Rec. p. I‑4087, ci-après l’« arrêt Alzetta »), dans la mesure où, en l’espèce, la Commission ne connaissait ni le nombre exact ni l’identité des bénéficiaires des aides en cause, ne disposait pas de tous les renseignements pertinents et ne connaissait pas le montant de l’aide octroyée dans chacun des cas. En outre, dans le cas présent, l’exonération triennale de l’impôt des sociétés s’appliquerait de façon automatique, alors que les aides en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Alzetta, précité, avaient été octroyées par le biais d’un acte ultérieur.

36      Contrairement aux affirmations de la requérante, ce ne serait pas la connaissance de l’identité d’une entreprise qui importerait aux fins de l’examen de la recevabilité, mais le fait que l’attention de la Commission ait été attirée sur des caractéristiques du cas d’espèce propres à justifier un examen individuel. Or, dans la décision attaquée, la Commission aurait indiqué qu’aucune information ne lui avait été fournie démontrant que, à l’égard de la requérante, les mesures en cause ne constituaient pas des aides ou constituaient des aides existantes ou compatibles avec le marché commun.

37      En tout état de cause, ni le fait d’avoir participé à la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, ni l’ordre de récupération contenu dans la décision attaquée ne suffisent, selon la Commission, à individualiser la requérante. En effet, étant donné que les recours introduits par les bénéficiaires potentiels d’un régime d’aides notifié ne sont pas recevables au sens de l’article 230 CE, il devrait en être de même pour ceux formés par les bénéficiaires d’un régime d’aides non notifié.

38      Enfin, le fait de déclarer irrecevable le recours introduit par la requérante en l’espèce ne violerait pas le principe d’une protection juridictionnelle effective, car les voies de recours prévues par les articles 241 CE et 234 CE seraient suffisantes (arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677).

39      La requérante affirme être individuellement concernée par la partie de la décision attaquée relative à l’exonération triennale de l’impôt des sociétés. En effet, elle serait une société loi nº 142/90, donc une entreprise visée par le régime d’aides en cause, qui a bénéficié de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés et dont la récupération a été ordonnée.

40      L’intervenante se rallie, en substance, à la position et à la plupart des arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

41      Conformément à l’article 230, quatrième alinéa, CE, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement.

42      Il est de jurisprudence constante qu’une personne physique ou morale autre que le destinataire d’une décision ne saurait prétendre être concernée individuellement par celle-ci que si la décision l’atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire le serait (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223, et du 2 avril 1998, Greenpeace Council e.a./Commission, C‑321/95 P, Rec. p. I‑1651, points 7 et 28).

43      La Cour a ainsi jugé qu’une entreprise ne saurait, en principe, être recevable à introduire un recours en annulation d’une décision de la Commission interdisant un régime d’aide sectoriel si elle n’est concernée par cette décision qu’en raison de son appartenance au secteur en question et de sa qualité de bénéficiaire potentiel dudit régime. En effet, une telle décision se présente, à l’égard de l’entreprise requérante, comme une mesure de portée générale qui s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite (voir arrêt de la Cour du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, point 15, et arrêt Alzetta, point 35 supra, point 37, et la jurisprudence citée).

44      Toutefois, la Cour a également jugé, aux points 34 et 35 de l’arrêt Sardegna Lines, point 34 supra, que, dès lors que l’entreprise Sardegna Lines n’était pas seulement concernée par la décision en cause dans cette affaire en tant qu’entreprise du secteur de la navigation en Sardaigne, potentiellement bénéficiaire du régime d’aides aux armateurs sardes, mais également en sa qualité de bénéficiaire effectif d’une aide individuelle octroyée au titre de ce régime et dont la Commission avait ordonné la récupération, elle était individuellement concernée par ladite décision et son recours dirigé contre celle-ci était recevable (voir également, en ce sens, arrêt Alzetta, point 35 supra, point 39).

45      Il y a dès lors lieu de vérifier si la requérante a la qualité de bénéficiaire effectif d’une aide individuelle octroyée au titre d’un régime d’aides sectoriel et dont la Commission a ordonné la récupération (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 septembre 2007, Salvat père & fils e.a./Commission, T‑136/05, Rec. p. II‑4063, point 70).

46      À cet égard, il convient de relever que, en premier lieu, il ressort de la réponse de la requérante aux questions écrites posées par le Tribunal à ce sujet que celle-ci est bien un bénéficiaire effectif d’une aide individuelle octroyée dans le cadre du régime d’aides en cause. En effet, la requérante affirme avoir bénéficié de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés au cours des années 1996 à 1999. Cette affirmation n’a pas été contredite par la République italienne.

47      En second lieu, il ressort de l’article 3 de la décision attaquée que la Commission a ordonné la récupération de l’aide en cause.

48      Il s’ensuit que la requérante est individuellement concernée par la décision attaquée.

49      S’agissant de l’affectation directe de la requérante, dans la mesure où l’article 3 de la décision attaquée oblige la République italienne à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour exiger du bénéficiaire qu’il restitue l’aide décrite à l’article 2 de ladite décision qui lui a été accordée illégalement et où la requérante en a bénéficié et devra la rembourser, celle-ci doit être considérée comme directement concernée par cette décision (voir, en ce sens, arrêt Salvat père & fils e.a./Commission, point 45 supra, point 75).

50      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le présent recours doit être déclaré recevable dans la mesure où il vise la partie de la décision attaquée portant sur l’exonération triennale de l’impôt des sociétés.

 Sur le fond

51      À l’appui de son recours, la requérante soulève cinq moyens, tirés respectivement :

–        d’une violation de l’article 87, paragraphe 1, CE et de l’article 253 CE s’agissant de la qualification de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés d’aide d’État ;

–        d’une violation de l’article 88, paragraphe 1, CE et de l’article 253 CE en raison de la qualification de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés d’aide nouvelle ;

–        d’une violation de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE et de l’article 253 CE ;

–        d’une violation des principes de non-discrimination et de liberté d´établissement ainsi que d’un défaut de motivation ;

–        de l’illégalité de l’ordre de récupération.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 87, paragraphe 1, CE et de l’article 253 CE s’agissant de la qualification de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés d’aide d’État

 Arguments des parties

52      Dans le cadre de ce moyen, la requérante soutient que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. Ce moyen s’articule en trois branches, tirées, respectivement, d’un défaut d’instruction, de l’absence de distorsion de concurrence et de l’absence d’incidence sur les échanges intracommunautaires.

–       Sur la première branche du moyen, tirée d’un défaut d’instruction

53      Tout d’abord, la requérante soutient que la décision attaquée est entachée d’un défaut général d’instruction quant à la détermination des risques qui découleraient, pour la concurrence, de l’existence de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés sur les divers marchés des services publics locaux. À l’inverse de la Commission, elle considère qu’il n’existe pas de « marché global des services publics locaux » et que la Commission aurait dû effectuer une analyse du marché par produit et/ou par zone géographique, ce qui lui aurait alors permis d’apprécier les effets de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés sur chaque marché pris individuellement. Le marché des concessions de services publics locaux, mentionné au considérant 68 de la décision attaquée, serait différent du marché des services publics. La requérante fait en outre valoir un défaut de motivation concernant le choix de la Commission de procéder à un examen général et abstrait.

54      La requérante invoque également la décision 98/182/CE de la Commission, du 30 juillet 1997, concernant les aides octroyées par la région Frioul-Vénétie Julienne (Italie) aux entreprises de transport routier de marchandises de la région (JO 1998, L 66, p. 18). En effet, dans ladite décision, le régime institué par la législation nationale aurait été qualifié d’aide d’État seulement en ce qui concerne certains secteurs. En outre, certaines aides auraient été, selon l’activité des entreprises bénéficiaires, considérées comme compatibles avec le marché commun. Cette décision démontrerait qu’une analyse plus approfondie de la situation des différents secteurs d’un régime global d’aides est réalisable.

55      La Commission fait observer que, puisqu’il s’agit dans la présente affaire d’un régime d’aides, elle a forcément dû procéder à une évaluation générale et abstraite. Par ailleurs, les autorités italiennes n’auraient pas précisé devant la Commission quels services, parmi les services concernés, auraient été fermés à la concurrence communautaire.

–       Sur la deuxième branche du moyen, tirée de l’absence de distorsion de concurrence

56      L’argumentation de la requérante est axée sur trois arguments principaux.

57      En premier lieu, la requérante soutient que les sociétés loi n° 142/90 n’opéraient pas sur des marchés concurrentiels et que, partant, l’exonération triennale de l’impôt des sociétés dont elles ont bénéficié n’était pas en mesure de fausser la concurrence sur les marchés des services publics locaux.

58      En effet, le secteur de la production d’énergie électrique n’aurait été libéralisé qu’en 1999 du fait de la transposition de la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 décembre 1996, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (JO 1997, L 27, p. 20). Au demeurant, avant le 31 décembre 1999, la requérante n’aurait exercé aucune activité sur le marché des clients finals libres de choisir leur propre fournisseur d’énergie. La distribution de l’énergie électrique aurait également été soustraite à la concurrence, dans la mesure où les dispositions législatives qui organisaient la prestation de ces services entraînaient une situation de monopole pour chaque zone territoriale.

59      La distribution du gaz, quant à elle, n’aurait été libéralisée qu’en 2000 par la transposition en Italie de la directive 98/30/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (JO L 204, p. 1).

60      La Commission aurait dû suivre en l’espèce l’approche adoptée dans sa décision 98/693/CE, du 1er juillet 1998, concernant le régime espagnol d’aide à l’achat de véhicules industriels Plan Renove Industrial (août 1994-décembre 1996) (JO L 329, p. 23), dans laquelle elle aurait déclaré que des mesures n’étaient pas constitutives d’aides d’État en raison de l’absence de concurrence.

61      En deuxième lieu, la requérante avance que la décision attaquée est fondée sur une appréciation erronée des faits s’agissant de la possibilité pour les sociétés loi nº 142/90 d’opérer sur des marchés en dehors du territoire de compétence de leur commune de référence.

62      Les sociétés loi n° 142/90 n’auraient pas bénéficié d’un libre accès aux services publics locaux d’autres municipalités. En effet, la voie de la concession directe serait subordonnée à l’accord entre ces municipalités et la commune contrôlant la société loi n° 142/90 en question ainsi qu’à la condition générale qu’il soit satisfait aux intérêts de la collectivité locale d’origine.

63      En tout état de cause, la requérante précise qu’elle n’a participé à aucun appel d’offres pour l’attribution de services publics locaux dans d’autres zones géographiques pendant la période d’application de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés. Elle n’aurait donc bénéficié d’aucun avantage par rapport aux entreprises ne bénéficiant pas du même traitement. Elle ajoute que toutes les entreprises opérant dans ces secteurs auraient été titulaires de concessions exclusives de longue durée.

64      En troisième lieu, la requérante soutient que, bien que les sociétés loi n° 142/90 aient pris la forme de sociétés par actions à capital majoritairement public, s’inspirant ainsi des critères retenus pour les entreprises privées, elles ont été constituées dans le seul but d’assurer la fourniture de services publics locaux. Leur domaine d’activité serait donc restreint aux services publics locaux. Il serait dès lors injustifié de soutenir, comme l’a fait la Commission, que, alors que les entreprises spéciales des communes étaient tenues d’opérer sur les seuls marchés des services publics locaux, les sociétés loi n° 142/90 étaient, quant à elles, libres d’opérer sur d’autres marchés. Le contenu et l’objet des activités des sociétés loi n° 142/90 seraient restés largement les mêmes que ceux des entreprises spéciales des communes. La requérante précise que, jusqu’en 1999, elle a seulement exercé ses activités dans les secteurs réservés du gaz et de l’électricité et qu’elle n’a été active qu’après 1999 dans le secteur des télécommunications.

65      Selon la requérante, dès lors que les sociétés loi n° 142/90 ont été constituées en vue de l’exploitation des services publics, elles n’ont pas participé à des appels d’offres pour l’attribution desdits services. Il s’ensuit, aux dires de la requérante, que l’argument de la Commission tiré de l’existence de concurrence en vue d’obtenir le marché n’est pas convaincant, car il n’y avait pas de marché ouvert à la concurrence dans le secteur des services publics.

66      L’arrêt des chambres réunies de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) nº 4989 du 6 mai 1995, cité par la Commission dans la note en bas de page n° 61 (considérant 92) de la décision attaquée, se limiterait à reconnaître la nature juridique privée des sociétés loi n° 142/90 sans se prononcer sur leur possibilité d’opérer librement sur différents marchés. Ledit arrêt confirmerait également que la décision de constituer une société loi nº 142/90 avait automatiquement pour effet de confier les services publics locaux en exclusivité à cette dernière.

67      En tout état de cause, l’utilisation des profits tirés de la fourniture exclusive d’un service d’intérêt économique général par une entreprise pour étendre son activité au marché voisin ouvert à la concurrence ne serait pas constitutive, en soi, d’une violation des règles de concurrence. Par conséquent, la possibilité pour les sociétés loi n° 142/90 d’opérer sur d’autres marchés ne saurait constituer un argument pour qualifier l’exonération triennale de l’impôt des sociétés d’aide d’État.

68      S’agissant de l’article 253 CE, la requérante souligne que l’obligation de motivation est particulièrement importante dans le cadre général des aides d’État et devient essentielle lorsque les mesures étatiques accordant un avantage fiscal concernent, comme dans le cas d’espèce, un nombre important de personnes privées. L’exigence d’une motivation adéquate est d’autant plus impérative qu’en l’espèce il s’agit de marchés particuliers, tels que ceux des services publics locaux, qui sont parfois caractérisés par une situation de monopole.

69      La requérante soutient que, si l’analyse des conditions concrètes de concurrence peut être superflue pour des secteurs industriels et commerciaux normaux, tel ne saurait être le cas pour des secteurs largement réglementés et réservés à des entreprises particulières, comme l’étaient les services publics locaux en Italie pendant les années 90.

70      S’agissant de l’effet anticoncurrentiel de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés sur d’autres marchés, la Commission ne démontrerait pas que la concurrence a été potentiellement ou effectivement faussée, elle ne préciserait pas les marchés concernés et elle ne ferait pas non plus apparaître que la prétendue distorsion est imputable à l’exonération triennale de l’impôt des sociétés. La Commission se serait bornée à renvoyer d’une manière générale à des « marchés d’autres produits où existent des échanges intracommunautaires » et à des « secteurs différents de ce qu’on appelle les services publics locaux » (considérant 74 de la décision attaquée). Or, la Commission aurait dû analyser plus largement et d’une manière plus exhaustive l’incidence de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés sur la concurrence dans les autres secteurs.

71      La décision attaquée serait également entachée d’une d’absence de motivation en ce qu’elle opère une distinction entre les sociétés loi n° 142/90, d’une part, et les entreprises municipalisées dotées de la personnalité juridique appartenant aux mêmes entités locales et bénéficiant de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés, d’autre part, sans en indiquer les raisons.

72      L’intervenante se rallie, en substance, à la position et aux arguments de la requérante en ce qui concerne la violation de l’article 87 CE.

73      La Commission conteste tous les arguments invoqués.

–       Sur la troisième branche du moyen, tirée de l’absence d’incidence sur les échanges intracommunautaires

74      La requérante fait valoir, en substance, que les échanges intracommunautaires ne sont pas affectés en l’espèce. Elle invoque à cet égard le fait que les services publics locaux sont directement confiés aux sociétés loi n° 142/90. Des procédures de sélection auraient seulement été organisées sur les territoires sur lesquels aucune entreprise municipalisée ou société loi n° 142/90 n’opérait. La requérante rejette la thèse de la Commission selon laquelle l’existence même de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés aurait créé pour les communes une incitation à confier directement les services publics locaux aux sociétés loi n° 142/90 plutôt que d’organiser des appels d’offres. Elle soutient, au contraire, que, à défaut de pouvoir procéder à l’attribution des services publics par voie de concession directe, aucune municipalité n’aurait consenti à créer des sociétés loi n° 142/90. En effet, dans le cas contraire, les municipalités se seraient exposées au risque que « leurs » sociétés loi n° 142/90 se retrouvent en concurrence avec d’autres opérateurs lors de procédures d’appels d’offres.

75      De plus, la requérante fait référence à la communication de la Commission, du 20 septembre 2000, portant sur les services d’intérêt général en Europe (JO 2001, C 17, p. 4) dans laquelle la Commission a énoncé que les règles en matière de concurrence étaient seulement applicables lorsque les activités en cause étaient susceptibles d’affecter les échanges entre États membres. Par exemple, selon une règle générale énoncée au point 32 de ladite communication, une activité qui n’affecte le marché que de façon marginale, comme de nombreux services d’intérêt général ayant un caractère local, n’affecterait normalement pas les échanges entre États membres. Or, la Commission n’aurait pas indiqué les raisons pour lesquelles le cas présent s’écartait de ladite règle générale.

76      La requérante estime que la Commission a insuffisamment motivé, dans la décision attaquée, son appréciation de l’impact de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés sur les échanges intracommunautaires. En effet, la Commission n’aurait pas fait référence aux conditions intrinsèques de chacun des marchés des services publics locaux et se serait limitée à affirmer que l’« on ne peut exclure que l’existence même de l’aide en faveur de sociétés loi n° 142/90 ait créé une incitation pour les communes à confier directement les services plutôt que d’accorder des concessions dans le cadre de procédures ouvertes ».

77      L’intervenante se rallie, en substance, à la position de la requérante en ce qui concerne la violation de l’article 87 CE.

78      La Commission considère que les échanges intracommunautaires sont affectés en l’espèce et que la décision attaquée est suffisamment motivée à cet égard.

 Appréciation du Tribunal

79      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la qualification d’aide, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, requiert que toutes les conditions visées par cette disposition soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, il doit s’agir d’un avantage sélectif. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêts de la Cour du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, Rec. p. I‑7747, ci-après l’« arrêt Altmark », points 74 et 75, et du 3 mars 2005, Heiser, C‑172/03, Rec. p. I‑1627, point 27).

80      En l’occurrence, la requérante conteste, en substance, la qualification de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés d’aide d’État. Elle soutient, premièrement que la Commission aurait dû effectuer une analyse par marché et, deuxièmement, que deux des quatre conditions de l’article 87, paragraphe 1, CE, relatives à l’affectation des échanges intracommunautaires et à l’incidence sur la concurrence, ne sont pas réunies. En outre, la décision attaquée serait entachée d’une insuffisance ou d’un défaut de motivation en ce qui concerne l’examen de ces deux conditions.

–       Sur la première branche du moyen, tirée d’un défaut d’instruction

81      S’agissant de l’analyse par marché, il convient de constater que la mesure en cause vise une catégorie spécifique d’entreprises, à savoir les sociétés loi nº 142/90. Le fait d’être une telle société est la seule condition requise afin de pouvoir bénéficier dudit régime.

82      Il convient également de relever que l’application du régime d’exonération triennale de l’impôt des sociétés n’est pas limitée à des services particuliers et que les activités des entreprises visées par ledit régime ne sont pas circonscrites au secteur des services publics. Il s’agit en effet d’un seul régime d’aides et non de divers régimes d’aides classifiés selon l’activité ou le marché concerné.

83      Il s’ensuit que, dans les circonstances de l’espèce, la Commission n’était pas tenue de procéder à un examen par secteur afin d’apprécier les effets de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés.

84      S’agissant de la référence à la décision 98/182, il y a lieu de constater que, à la différence de l’affaire ayant donné lieu à cette décision, qui visait un seul secteur, en l’espèce une grande variété de secteurs sont en cause.

85      Quant à la constatation que le marché des concessions serait différent du marché des services publics, il y a lieu de relever que, pour assurer les services publics, les collectivités locales peuvent utiliser la forme juridique de la concession et que le marché des concessions dans ce secteur est ouvert à la concurrence communautaire et soumis aux règles du traité CE.

86      Enfin, s’agissant du prétendu défaut de motivation, il y a lieu de relever que la Commission a indiqué aux considérants 42 à 45 de la décision attaquée la raison pour laquelle elle a procédé à un examen général et abstrait du régime en cause.

87      Au vu de ce qui précède, la première branche du présent moyen doit être rejetée.

–       Sur les deuxième et troisième branches du premier moyen, tirées de l’absence de distorsion de concurrence et d’incidence sur les échanges intracommunautaires

88      Concernant la deuxième et la quatrième des conditions mentionnées au point 79 du présent arrêt, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de son appréciation de ces deux conditions, la Commission est tenue non pas d’établir une incidence réelle des aides sur les échanges entre États membres et une distorsion effective de la concurrence, mais seulement d’examiner si ces aides sont susceptibles d’affecter ces échanges et de fausser la concurrence (voir arrêt de la Cour du 15 décembre 2005, Unicredito Italiano, C‑148/04, Rec. p. I‑11137, point 54, et la jurisprudence citée).

89      Il y a également lieu de rappeler que, dans le cas d’un régime d’aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du régime en cause pour apprécier, dans les motifs de sa décision si, en raison des modalités que ce programme prévoit, celui-ci est de nature à profiter essentiellement à des entreprises qui participent aux échanges entre États membres (arrêt de la Cour du 7 mars 2002, Italie/Commission, C‑310/99, Rec. p. I‑2289).

90      Il convient par ailleurs de rappeler que toute aide octroyée à une entreprise qui exerce ses activités sur le marché communautaire est susceptible de causer des distorsions de concurrence et d’affecter les échanges entre États membres (voir arrêt du Tribunal du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava/Commission, T‑92/00 et T‑103/92, Rec. p. II‑1385, point 72, et la jurisprudence citée).

91      En outre, il n’existe pas de seuil ou de pourcentage en dessous duquel il est possible de considérer que les échanges entre États membres ne sont pas affectés. En effet, l’importance relativement faible d’une aide ou la taille relativement modeste de l’entreprise bénéficiaire n’excluent pas, a priori, l’éventualité que les échanges entre États membres soient affectés (arrêts de la Cour du 21 mars 1990, Belgique/Commission, dit « Tubemeuse », C‑142/87, Rec. p. I‑959, point 43 ; du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C‑278/92 à C‑280/92, Rec. p. I‑4103, point 42, et arrêt Altmark, point 79 supra, point 81).

92      De plus, la Cour a indiqué qu’il n’était nullement exclu qu’une subvention publique accordée à une entreprise qui ne fournit que des services de transport local ou régional et ne fournit pas de services de transport en dehors de son État d’origine puisse néanmoins avoir une incidence sur les échanges entre États membres au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. En effet, lorsqu’un État membre accorde une subvention publique à une entreprise, la fourniture de services de transport par ladite entreprise peut s’en trouver maintenue ou augmentée, avec cette conséquence que les chances des entreprises établies dans d’autres États membres de fournir leurs services de transport sur le marché de cet État en sont diminuées (arrêt Altmark, point 79 supra, points 77 et 78).

93      En l’espèce, s’agissant, premièrement, de la condition relative à l’affectation de la concurrence, il convient de constater que, si la requérante a certes fait valoir que les sociétés loi nº 142/90 n’opéraient pas sur des marchés concurrentiels et cela en se référant, en particulier, à ses propres secteurs d’activité, elle n’a fourni aucune preuve valable pour étayer l’affirmation selon laquelle les secteurs économiques des services publics visés n’étaient pas ouverts à la concurrence à l’époque. À cet égard, il convient de rappeler qu’il s’agit, en l’espèce, d’un régime d’aide englobant une multitude de secteurs et non de divers régimes d’aide portant chacun sur un secteur spécifique.

94      Le fait que le régime d’aides en cause s’applique uniquement aux sociétés loi nº 142/90, quelles que soient leurs activités, et la circonstance que ces entreprises opèrent effectivement dans différents secteurs de l’économie, comme cela a déjà été relevé aux points 81 à 83 du présent arrêt, suffisent à conclure que la mesure en cause est susceptible d’influencer la concurrence et les échanges entre États membres.

95      À cet égard, il convient de signaler que, comme l’a indiqué la Commission aux considérants 73 et 84 de la décision attaquée, certains secteurs concernés, tels que ceux des produits pharmaceutiques, des déchets, du gaz, de l’électricité et de l’eau, étaient caractérisés par un certain degré de concurrence au moment de l’entrée en vigueur de la mesure en cause.

96      De plus, les activités des sociétés loi nº 142/90 ne sont pas limitées au secteur des services publics locaux. Dès lors, la mesure en cause peut faciliter l’expansion desdites sociétés sur d’autres marchés ouverts à la concurrence, produisant ainsi des effets de distorsion même dans d’autres secteurs que les services publics locaux. À cet égard, il ressort de la loi nº 142/90, telle qu’interprétée par la Corte suprema di cassazione, arrêt nº 4989 du 6 mai 1995, et par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), arrêt nº 4586 du 3 septembre 2001, que les sociétés loi nº 142/90 ont la possibilité d’agir sur d’autres territoires tant en Italie qu’à l’étranger et dans des domaines différents de ceux des services publics prévus dans leurs statuts, sauf si cela leur soustrait des ressources et des moyens dans une mesure appréciable et que cela est de nature à porter préjudice à la collectivité de référence.

97      À cet égard, il convient de constater que les statuts de la requérante vont dans le même sens. Il ressort en effet desdits statuts que la requérante peut établir des sièges, des représentations, des filiales et des succursales en Italie et à l’étranger. Il ressort également de ces statuts que l’objet de l’exercice englobe un champ d’activité étendu. En outre, il est prévu que la requérante peut acquérir des participations et des intérêts dans d’autres sociétés ou entreprises, tant italiennes qu’étrangères, ayant un objet social analogue, apparenté ou complémentaire.

98      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel les règles de concurrence ne font pas obstacle en elles-mêmes à ce que les profits réalisés par la fourniture d’un service public puissent être utilisés pour étendre une activité sur un autre marché, il y a lieu de remarquer que, si une société, qui a bénéficié d’une aide d’État et par conséquent a pu augmenter ses profits, étend son activité sur un autre marché ouvert à la concurrence, il n’est pas possible d’exclure un effet certain sur la concurrence.

99      Enfin, il doit être constaté, à l’instar de la Commission, que, dans les secteurs d’activité des sociétés loi n° 142/90, les entreprises concourent pour s’adjuger les concessions de services publics locaux dans les différentes communes et que le marché desdites concessions est un marché ouvert à la concurrence (considérants 67 et 68 de la décision attaquée). Il importe peu que la requérante n’ait participé à aucun appel d’offres pour l’attribution de services publics locaux dans d’autres zones géographiques pendant la période d’application de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés.

100    L’argument pris de l’absence de concurrence et donc d’incidence sur les échanges interétatiques du fait qu’en réalité les services concernés auraient directement été attribués aux sociétés loi nº 142/90 doit être rejeté. D’une part, l’attribution directe n’infirme pas la constatation faite aux points précédents selon laquelle le marché en cause était caractérisé, à tout le moins, par un certain degré de concurrence. D’autre part, l’argument tendrait plutôt à démontrer les effets restrictifs de la mesure en cause sur la concurrence et non l’absence de concurrence sur le marché concerné. En effet, comme le souligne la Commission au considérant 71 de la décision attaquée, il ne peut être exclu que l’existence même de l’aide en faveur des sociétés loi n° 142/90 ait créé une incitation pour les communes à leur confier directement les services plutôt que d’accorder des concessions dans le cadre de procédures ouvertes.

101    S’agissant précisément du point de savoir si la mesure concernée a faussé ou a menacé de fausser le degré de concurrence existant sur le marché, il doit être constaté que la mesure en cause a renforcé la position concurrentielle des sociétés loi n° 142/90 par rapport à toute autre entreprise italienne ou étrangère active sur le marché concerné. Comme le relève à juste titre la Commission au considérant 62 de la décision attaquée, les entreprises dont la forme juridique n’est pas celle de la société de capitaux et dont le capital n’est pas majoritairement détenu par les collectivités locales sont désavantagées lorsqu’elles veulent participer à un appel d’offres pour l’adjudication de la prestation d’un certain service sur un certain territoire.

102    Il résulte de ce qui précède que la mesure concernée fausse ou menace de fausser la concurrence au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

103    S’agissant, deuxièmement, de la condition relative à l’affectation des échanges interétatiques, il convient de rappeler, tout d’abord, que le fait que les sociétés loi nº 142/90 opèrent seules sur leur marché national ou sur leur territoire d’origine n’est pas déterminant. En effet, les échanges interétatiques sont affectés par la mesure concernée lorsque les chances des entreprises établies dans d’autres États membres de fournir leurs services sur le marché italien sont diminuées (voir point 92 ci-dessus).

104    Ainsi, c’est à bon droit que la Commission a constaté au considérant 70 de la décision attaquée que la mesure concernée pouvait créer un obstacle pour les entreprises étrangères désireuses de s’implanter en Italie ou d’y proposer leurs services et affectait donc les échanges intracommunautaires au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

105    En effet, d’une part, la mesure en cause porte préjudice aux entreprises étrangères qui soumissionnent pour des concessions locales de services publics en Italie dès lors que les entreprises publiques bénéficiaires du régime en cause peuvent proposer des prix plus compétitifs que leurs concurrents nationaux ou communautaires, qui n’en bénéficient pas. D’autre part, la mesure concernée rend moins attractive pour les entreprises d’autres États membres l’investissement dans le secteur des services publics locaux en Italie (par exemple, par la prise d’une participation majoritaire), puisque les entreprises rachetées ne seraient pas admises au bénéfice (ou pourraient perdre le bénéfice) de la mesure concernée du fait de la nature de leurs nouveaux actionnaires (considérant 69 de la décision attaquée).

106    En ce qui concerne le prétendu défaut de motivation de la décision attaquée au regard de ces deux conditions, il convient de rappeler que la Commission a explicité de manière suffisante, aux considérants 62 à 64, 69, 73 et 74 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle avait considéré que l’aide en cause était de nature à fausser la concurrence et à affecter les échanges entre les États membres. En outre, comme cela a déjà été relevé, la Commission n’est pas tenue de démontrer les effets réels des aides déjà octroyées (arrêt de la Cour du 14 février 1990, France/Commission, C‑301/87, Rec. p. I‑307, point 33).

107    Il résulte de ce qui précède que la qualification, dans la décision attaquée, d’aide d’État de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés n’est pas entachée d’erreur et que, partant, les deuxième et troisième branches du présent moyen doivent être rejetées.

108    Ce moyen doit donc être rejeté dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 88, paragraphe 1, CE et de l’article 253 CE en raison de la qualification de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés d’aide nouvelle

 Arguments des parties

109    La requérante fait valoir, à titre subsidiaire, que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés est une aide existante et que, partant, la Commission a, par la décision attaquée, violé l’article 88, paragraphes 1 et 2, CE.

110    Elle soutient que l’exonération de l’impôt sur les revenus est antérieure à l’entrée en vigueur du traité CE. En effet, cette exonération aurait déjà été prévue pour les entreprises municipalisées et spéciales depuis le début du siècle dernier et aurait été prorogée en faveur des sociétés loi n° 142/90 sous forme d’exonération triennale de l’impôt des sociétés.

111    Pour étayer davantage son argumentation, la requérante fait référence à l’arrêt de la Cour du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C‑44/93, Rec. p. I‑3829, point 33), et à l’arrêt du Tribunal du 30 avril 2002, Government of Gibraltar/Commission (T‑195/01 et T‑207/01, Rec. p. II‑2309), d’où il ressort, selon elle, que la Commission est tenue d’examiner les aspects nouveaux d’un régime d’aides modifié. Or, en l’espèce, le domaine d’activités des entreprises chargées des services publics n’aurait pas changé. En effet, la requérante indique que la loi n° 142/90 visait à permettre aux entités locales d’organiser leurs propres services locaux sous une forme juridique différente de celle des entreprises municipalisées.

112    Selon la requérante, la motivation contenue dans la décision attaquée est illogique et contradictoire. En effet, d’une part, la Commission, dans le cadre de l’examen de l’exonération des droits sur les transferts, admettrait que les entreprises municipalisées et les sociétés loi nº 142/90 incarnent, en substance, la même entité économique. D’autre part, aux fins de l’appréciation de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés, elle considérerait que les sociétés loi nº 142/90 constituent des entités économiquement et substantiellement distinctes des municipalités. La Commission, dans la décision attaquée, aurait conclu que l’exonération des droits sur les transferts ne constituait pas une aide d’État. Or, dès lors que les conditions pour bénéficier de cette exonération et celles pour bénéficier de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés étaient identiques, la Commission aurait dû considérer que cette dernière ne constituait pas non plus une aide d’État.

113    En outre, l’article 1er, sous b), v), du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1), établirait que les « mesures qui deviennent une aide suite à la libéralisation d’une activité par le droit communautaire ne sont pas considérées comme une aide existante après la date fixée pour la libéralisation ». Cela signifierait que, pour la période allant jusqu’à la libéralisation des secteurs considérés, l’exonération triennale de l’impôt des sociétés ne peut être considérée comme une aide nouvelle, puisqu’elle est intervenue dans des secteurs non ouverts à la concurrence.

114    Pour ces raisons, la requérante fait également valoir un défaut de motivation.

115    L’intervenante se rallie, en substance, à la position et à l’argumentation de la requérante.

116    La Commission conteste cette argumentation, en renvoyant aux considérants 86 à 91 de la décision attaquée. Elle ajoute que la conclusion contenue dans la décision attaquée serait aujourd’hui confirmée par l’article 4 du règlement (CE) n° 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement n° 659/1999 (JO L 140, p. 1).

 Appréciation du Tribunal

117    Dans son arrêt Namur-Les assurances du crédit, point 111 supra (point 13), la Cour a jugé qu’il ressort tant du contenu que des finalités des dispositions de l’article 88 CE que doivent être regardées comme des aides existantes au sens du paragraphe 1 de cet article les aides qui existaient avant la date d’entrée en vigueur du traité CE et celles qui ont pu être mises régulièrement à exécution dans les conditions prévues à l’article 88, paragraphe 3, CE, y compris celles résultant de l’interprétation de cet article donnée par la Cour dans l’arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz (120/73, Rec. p. 1471, points 4 à 6), tandis que doivent être considérées comme des aides nouvelles soumises à l’obligation de notification prévue par cette dernière disposition les mesures qui tendent à instituer ou à modifier des aides, étant précisé que les modifications peuvent porter soit sur des aides existantes, soit sur des projets initiaux notifiés à la Commission.

118    S’agissant des aides existantes, l’article 1er, sous b), du règlement nº 659/1999 a repris et consacré les règles dégagées par la jurisprudence.

119    Aux termes de cette disposition, constitue une aide existante :

i)      toute aide existante avant l’entrée en vigueur du traité CE dans l’État membre concerné ;

ii)      toute aide autorisée, c’est-à-dire les régimes d’aides et les aides individuelles autorisés par la Commission ou le Conseil ;

iii)      toute aide qui est réputée avoir été autorisée à défaut pour la Commission d’avoir adopté une décision dans un délai de deux mois, en principe à compter du jour suivant celui de la réception de sa notification complète et dont elle dispose pour effectuer un examen préliminaire ;

iv)      toute aide à l’égard de laquelle le délai de prescription de dix ans en matière de récupération a expiré ;

v)      toute aide qui est réputée existante parce qu’il peut être établi qu’elle ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue une aide par la suite en raison de l’évolution du marché commun et sans avoir été modifiée par l’État membre. Les mesures qui deviennent une aide à la suite de la libéralisation d’une activité par le droit communautaire ne sont pas considérées comme une aide existante après la date fixée pour la libéralisation.

120    Ensuite, en vertu de l’article 1er, sous c), dudit règlement, toute modification d’une aide existante doit être considérée comme aide nouvelle.

121    En substance, les mesures tendant à instituer des aides ou à modifier des aides existantes constituent des aides nouvelles. En particulier, lorsque la modification affecte le régime initial dans sa substance même, ce régime se trouve transformé en un nouveau régime d’aides. Toutefois, il ne saurait être question d’une telle modification substantielle lorsque l’élément nouveau est clairement détachable du régime initial (arrêt Government of Gibraltar, point 111 supra, points 109 à 111).

122    En l’espèce, il est constant que l’exonération ne relève pas des deuxième, troisième et quatrième situations visées par l’article 1er, sous b), du règlement n° 659/1999 permettant de considérer une mesure d’aide comme étant une aide existante. De plus, celles-ci n’ont pas été invoquées par la requérante.

123    En ce qui concerne la première des situations visées par l’article 1er, sous b), du règlement nº 659/1999, il convient de constater tout d’abord que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés a été instituée par le décret-loi nº 331/93 et la loi nº 549/95. En 1990, alors que la loi nº 142/90 a introduit une réforme des instruments d’organisation légaux mis à la disposition des communes pour gérer les services publics locaux, dont la possibilité d’instituer des sociétés à responsabilité limitée à participation publique majoritaire, aucune exonération de l’impôt sur les revenus n’a été prévue pour ces sociétés.

124    En effet, toute société loi nº 142/90 créée entre 1990 et l’entrée en vigueur le 30 août 1993 de l’article 66 du décret-loi nº 331/93 était assujettie à l’impôt sur les revenus.

125    Par conséquent, comme l’a fait valoir à juste titre la Commission au considérant 91 de la décision attaquée, pour étendre aux sociétés loi n° 142/90 le régime fiscal applicable aux collectivités locales, le législateur italien a dû adopter une nouvelle législation plusieurs décennies après l’entrée en vigueur du traité CE.

126    En outre, même en admettant que l’exonération des impôts pour les entreprises municipalisées ait été introduite avant l’entrée en vigueur du traité CE et qu’elle soit restée en vigueur jusqu’en 1995, il n’en reste pas moins que les sociétés loi nº 142/90 se distinguent substantiellement des entreprises municipalisées. Or, l’extension des avantages fiscaux existant pour les entreprises municipalisées et spéciales à une nouvelle catégorie de bénéficiaires, telle que celle des sociétés loi nº 142/90, constitue une modification séparable du régime initial. En effet, ainsi que cela est indiqué dans l’arrêt du Consiglio di Stato nº 4586, du 3 septembre 2001, il existe des différences légales entre les sociétés loi nº 142/90 et les entreprises municipalisées du fait, notamment, que les premières ne sont pas soumises à la stricte limite territoriale imposée aux secondes et que les champs d’activité des premières sont beaucoup plus étendus. Ainsi, comme cela a déjà été souligné au point 96 ci-dessus, les sociétés loi nº 142/90 ont la possibilité d’agir en dehors du territoire de référence tant en Italie qu’à l’étranger et dans des domaines autres que celui du service public prévu dans leurs statuts, sauf si cela leur soustrait des ressources et des moyens dans une mesure appréciable et est de nature à porter préjudice à la collectivité de référence.

127    Par conséquent, même si les sociétés loi nº 142/90 ont succédé aux entreprises municipalisées dans leurs droits et devoirs, la législation qui détermine leurs champs d’activité matériel et géographique a substantiellement changé.

128    Dès lors, force est de conclure que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés, introduite par les dispositions combinées de l’article 3, paragraphe 70, de la loi nº 549/95 et de l’article 66, paragraphe 14, du décret-loi nº 331/93 ne relève pas de l’article 1er, sous b), i), du règlement nº 659/1999.

129    En ce qui concerne la seconde thèse de la requérante, fondée sur l’article 1er, sous b), v), du règlement nº 659/1999, il convient de relever que cette disposition ne peut s’appliquer qu’à des mesures qui ne constituaient pas des aides lors de leur mise en œuvre. À cet égard, il suffit de constater que la mesure en cause a été instituée à un moment où les marchés étaient, en tout état de cause, encore que très probablement à des degrés différents, ouverts à la concurrence. Dès lors, il y a lieu de considérer que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés ne relève pas de l’article 1er, sous b), v), du règlement nº 659/1999.

130    Pour cette raison, il ne saurait être conclu à l’existence d’un défaut de motivation. Le fait qu’il existait une certaine concurrence dans les secteurs dans lesquels des sociétés loi nº 142/90 sont actives était la raison pour laquelle la Commission a écarté l’argument selon lequel la mesure en cause devrait être considérée comme une aide existante (considérants 82 à 85 de la décision attaquée).

131    Enfin, quant à la prétendue contradiction entre, d’une part, l’examen de l’exonération des droits sur les transferts du fait que les entreprises municipalisées et les sociétés loi nº 142/90 incarnent, en substance, la même entité économique et, d’autre part, l’examen de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés du fait que ces deux types d’entreprises constituent des entités économiquement et substantiellement distinctes, il y a lieu d’observer que la Commission, dans la décision attaquée, se fondant sur l’information donnée par le gouvernement italien, a estimé que la première exonération était justifiée par la nature et l’économie générale du système concerné. Sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le bien-fondé de cette appréciation, il y a lieu de relever que le fait que la Commission ait éventuellement commis une erreur en ce qui concerne l’exonération des droits sur les transferts n’implique pas qu’il faille annuler une autre partie de la décision attaquée.

132    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la mesure en cause ne constitue pas une aide existante. Dès lors, le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE et de l’article 253 CE

 Arguments des parties

133    La requérante soutient que la Commission a commis une erreur en ce qu’elle n’a pas considéré que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés était une aide d’État compatible avec le marché commun en vertu de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

134    Elle avance que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés a permis la restructuration des entreprises concernées et le passage d’une économie de marché monopolistique à celle d’un marché concurrentiel. La Commission aurait donc dû appliquer le même raisonnement que celui tenu dans sa décision du 10 novembre 1999, concernant des dispositions transitoires visant à supprimer l’exemption de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises municipales de transport (JO C 379, p. 11), et dans sa décision 2000/410/CE, du 22 décembre 1999, concernant le régime d’aide que la France envisage de mettre à exécution en faveur du secteur portuaire français (JO 2000, L 155, p. 52). En effet, dans ces deux décisions, l’application de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE à des mesures étatiques aurait visé uniquement à assurer la transition d’un régime de monopole vers un régime libéralisé, au moyen d’un processus de privatisation des compagnies actionnaires des sociétés concernées.

135    La requérante argue que, sans l’adoption de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés, les communes n’auraient jamais transformé leurs entreprises municipalisées en sociétés loi nº 142/90. Par ailleurs, en vertu de cette mesure, la transparence des relations financières entre les autorités publiques et les sociétés loi n° 142/90 aurait été assurée et une période transitoire aurait été prévue afin de permettre la restructuration des entreprises, sans pour autant affecter la continuité du service public. En outre, les entreprises en cause auraient connu de fortes contraintes en ce qui concerne leur territoire et leurs domaines opérationnels. Dès lors que les domaines opérationnels des sociétés loi n° 42/90 étaient limités, l’exonération triennale de l’impôt des sociétés aurait été justifiée.

136    S’agissant de sa situation personnelle, la requérante fait valoir que, après sa privatisation en 1998, elle a opéré une réorganisation et une restructuration fondamentales de ses installations, dont les avantages ont pleinement bénéficié à la ville de Milan.

137    L’intervenante se rallie, en substance, à la position et à l’argumentation de la requérante.

138    La Commission, se référant aux considérants 97 et suivants de la décision attaquée, conteste le bien-fondé du présent moyen.

 Appréciation du Tribunal

139    Il convient tout d’abord de rappeler que la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans le domaine de l’article 87, paragraphe 3, CE (arrêt de la Cour du 24 février 1987, Deufil/Commission, 310/85, Rec. p. 901, point 18). Le contrôle exercé par le juge communautaire doit donc se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de l’obligation de motivation, ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir.

140    En l’espèce, s’agissant tout d’abord de la motivation, il ressort de la décision attaquée que la Commission a, sur la base de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, vérifié si l’aide pouvait être jugée compatible avec le marché commun, premièrement, au regard des lignes directrices pertinentes et, deuxièmement, indépendamment desdites lignes directrices. À cet égard, elle a exposé les raisons pour lesquelles elle était arrivée à une conclusion négative (considérants 97 et suivants de la décision attaquée).

141    Ensuite, il ressort clairement du dossier que les conditions requises pour que l’exonération triennale de l’impôt des sociétés bénéficie de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE n’étaient pas remplies. L’exonération triennale de l’impôt des sociétés ne visait pas à rétablir la rentabilité des bénéficiaires et n’était pas réservée à des entreprises en difficulté. À supposer même que ce fût le cas, aucun plan de restructuration ni aucune mesure visant à compenser les distorsions de concurrence inhérentes à l’octroi des aides en cause n’ont été présentés. Or, selon la jurisprudence, pour être déclarées compatibles avec le marché commun au titre de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, les aides à des entreprises en difficulté doivent être liées à un plan de restructuration cohérent qui doit être présenté à la Commission avec toutes les précisions nécessaires (arrêt de la Cour du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, Rec. p. I‑2481, point 45).

142    En ce qui concerne l’argument selon lequel la mesure en cause aurait facilité le passage d’une économie de marché monopolistique à celle d’un marché concurrentiel, il convient de relever que la requérante ne démontre pas en quoi la mesure en cause aurait entraîné une intensification de la concurrence. En effet, comme cela a déjà été relevé, les marchés concernés étaient déjà caractérisés par un certain degré de concurrence et, donc, la mesure en cause pouvait fausser la concurrence.

143    En ce qui concerne la prétendue contradiction avec d’autres décisions de la Commission autorisant un système transitoire, il y a lieu de relever qu’il ressort des deux décisions auxquelles se réfère la requérante que celles-ci ne sont pas comparables. S’agissant de la décision du 10 novembre 1999, comme l’a fait valoir à juste titre la Commission, les bénéficiaires de l’exonération fiscale dans ladite affaire s’étaient vu interdire de participer à des appels d’offres en dehors de leur territoire de référence jusqu’à l’ouverture de leurs propres marchés domestiques. Quant à la décision 2000/410, l’octroi des aides en cause dans ce cas était subordonné à la réalisation d’investissements en vue du transfert et du remplacement d’équipements existants.

144     Partant, il y a lieu de rejeter le troisième moyen.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des principes de non-discrimination et de liberté d’établissement ainsi que d’un défaut de motivation

 Arguments des parties

145    La requérante conteste la violation des principes de non-discrimination et de liberté d’établissement, alléguée par la Commission dans la décision attaquée, et fait valoir un défaut de motivation à cet égard.

146    La requérante avance tout d’abord qu’il convient de distinguer le principe de non-discrimination, lequel revêt un caractère général, du principe de liberté d’établissement, qui revêt quant à lui un caractère particulier. Selon la requérante, ces deux principes ne sont pas violés par l’exonération triennale de l’impôt des sociétés.

147    La requérante exclut que tant les entreprises d’autres États membres que les entreprises italiennes ne résultant pas de la transformation d’une entreprise municipalisée en une société loi n° 142/90 remplissent les conditions nécessaires pour bénéficier de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés. Celle-ci n’aurait donc pas été appliquée de façon discriminatoire afin de favoriser les entreprises italiennes.

148    Le fait de pouvoir bénéficier de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés ne dépendrait ni de la nationalité de l’entreprise ni de la nature des associés, puisque, comme l’affirme la Commission au considérant 121 de la décision attaquée, l’éligibilité d’une entreprise au bénéfice de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés dépend uniquement de sa forme juridique (à savoir une ancienne entité publique, transformée en société par actions) et de son actionnariat (majorité détenue par l’autorité publique). Pour cette raison, la requérante fait également valoir que la décision attaquée est contradictoire.

149    Au reste, le fait que les sociétés loi n° 142/90 se sont vu confier l’exploitation directe et exclusive des services publics locaux sur le territoire de leur commune de référence aurait exclu la possibilité pour toute autre entreprise, italienne ou d’un autre État membre, d’intervenir sur le marché de ces services.

150    En outre, selon la requérante, les entreprises d’autres États membres détenant une participation minoritaire dans une société loi n° 142/90 pouvaient jouir indirectement des avantages de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés.

151    Le principe de non-discrimination exigerait également que des situations différentes ne soient pas traitées de la même manière. Dès lors, puisque les sociétés loi n° 142/90 ne se trouvaient pas dans la même situation que les sociétés « normales » en raison de leur champ opérationnel limité, l’exonération triennale de l’impôt des sociétés serait justifiée.

152    L’intervenante se rallie, en substance, à la position de la requérante.

153    La Commission considère que le présent moyen n’est pas fondé. À cet égard, elle rappelle que, selon une jurisprudence constante, une aide d’État qui viole des dispositions du traité CE autres que l’article 87 CE ne peut être déclarée compatible avec le marché commun.

 Appréciation du Tribunal

154    Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que le premier et le troisième moyen ont été rejetés dans la mesure où l’exonération triennale de l’impôt des sociétés constitue une aide et où les conditions afin de pouvoir bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, CE ne sont pas remplies. De ce fait, la déclaration d’incompatibilité de l’exonération triennale de l’impôt des sociétés avec le marché commun en raison de la violation des principes de non-discrimination et de liberté d’établissement concerne une motivation subsidiaire dans la décision attaquée. En conséquence, le quatrième moyen est inopérant.

155    Partant, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré de l’illégalité de l’ordre de récupération

 Arguments des parties

156    La requérante fait valoir que l’ordre de récupération viole le traité CE et les règles de droit relatives à son application. Selon la requérante, dans la décision attaquée, la Commission enjoint, de façon inconditionnelle et générale, à la République italienne de récupérer tous les avantages dont auraient bénéficié toutes les sociétés loi n° 142/90, alors même que la Commission a reconnu la possibilité que certaines aides, sans pour autant les avoir identifiées, soient compatibles avec le traité CE. En effet, dans la décision attaquée, la Commission aurait maintenu la possibilité que certains cas particuliers soient couverts par la règle de minimis ou soient considérés comme aides existantes en fonction de la situation du bénéficiaire ou encore soient compatibles avec le marché commun pour des raisons propres au cas d’espèce.

157    La décision attaquée serait donc entachée d’illégalité à un double titre : d’une part, parce que la Commission ordonne la récupération d’aides éventuellement compatibles avec le traité CE et, d’autre part, parce qu’elle oblige la République italienne à déterminer quelles mesures concrètes constituent des aides. La collaboration que la Commission est tenue de prêter ne saurait pallier les incertitudes découlant de la procédure de récupération en l’espèce.

158    L’intervenante se rallie à la position de la requérante.

159    La Commission rejette la thèse de la requérante selon laquelle l’appréciation abstraite d’un régime d’aides, sans examen détaillé des cas individuels d’application, ne peut donner lieu à un ordre de récupération.

 Appréciation du Tribunal

160    Ainsi que cela a été rappelé au point 89 ci-dessus, il est de jurisprudence constante que la Commission peut, dans le cas d’un régime d’aides, se borner à étudier les caractéristiques du régime.

161    Il ressort également de la jurisprudence qu’une décision négative concernant un régime d’aides ne doit pas contenir une analyse des aides octroyées dans des cas individuels sur le fondement de ce régime. Ce n’est qu’au niveau de la récupération des aides qu’il sera nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée (arrêt du 7 mars 2002, Italie/Commission, point 89 supra, point 91).

162    Ensuite, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la suppression d’une aide illégale par voie de récupération, ainsi que le paiement, le cas échéant, des intérêts y afférents, est la conséquence logique de la constatation de son incompatibilité avec le marché commun (arrêts Tubemeuse, point 91 supra, point 66 ; du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, C‑169/95, Rec. p. I‑135, point 47, et du 29 juin 2004, Commission/Conseil, C‑110/02, Rec. p. I‑6333, point 41).

163    À cet égard, il convient également de relever que cette jurisprudence s’applique tant pour une aide individuelle que pour des aides versées dans le cadre d’un régime d’aides.

164    Toutefois, l’analyse générale et abstraite d’un régime d’aides n’exclut pas que, dans un cas individuel, le montant octroyé sur la base de ce régime échappe à l’interdiction prévue à l’article 87, paragraphe 1, CE, par exemple, du fait que l’octroi individuel d’une aide relève des règles de minimis. Cette considération explique les réserves figurant aux considérants 72, 85 et 126 de la décision attaquée.

165    Certes, le rôle des autorités nationales se limite, lorsque la Commission prend une décision déclarant une aide incompatible avec le marché commun, à exécuter cette décision et celles-ci ne disposent, à cet égard, d’aucune marge d’appréciation (arrêt de la Cour du 22 mars 1977, Steinicke &Weinlig, 78/76, Rec. p. 595, point 10). Cela n’empêche pas que les autorités nationales, en exécutant ladite décision, tiennent compte de ces réserves. Partant, contrairement à ce qu’a fait valoir la requérante, la Commission ordonne seulement la récupération des aides au sens de l’article 87 CE et non des montants qui, bien que versés au titre du régime en cause, ne constituent pas des aides ou constituent des aides existantes ou compatibles en vertu d’un règlement d’exemption par catégorie ou des règles de minimis ou encore d’une autre décision de la Commission.

166    Ensuite, en ce qui concerne la prétendue illégalité de la décision attaquée du fait que la République italienne serait obligée de déterminer quelles mesures concrètes constituent des aides, il y a lieu de relever que la notion d’aide présente un caractère juridique et doit être interprétée sur la base d’éléments objectifs. À cet égard, l’autorité compétente ne dispose pas d’une marge d’appréciation lors de l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE. De plus, le juge national est compétent pour interpréter les notions d’aide et d’aide existante et pourra se prononcer sur les éventuelles particularités de tel ou tel cas d’application, le cas échéant en posant une question préjudicielle à la Cour.

167    De surcroît, admettre la thèse de la requérante selon laquelle l’appréciation abstraite d’un régime d’aides, sans examen détaillé des cas individuels d’application, ne peut donner lieu à un ordre de récupération, reviendrait à exclure systématiquement la possibilité de récupérer les aides indûment versées et donc à vider de leur sens les articles 87 CE et 88 CE. Dans un tel cas, la Commission, seule autorité compétente pour apprécier la compatibilité des aides avec le marché commun, serait dans l’impossibilité d’examiner les nombreux cas d’application des régimes d’aides.

168    Il résulte de tout ce qui précède que le cinquième moyen doit être rejeté.

169    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours.

 Sur les dépens

170    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

171    En application de l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, l’intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      AEM SpA est condamnée à supporter ses dépens ainsi que ceux de la Commission.

3)      ASM Brescia SpA supportera ses propres dépens.

Martins Ribeiro

Šváby

Papasavvas

Wahl

 

       Dittrich

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 juin 2009.

Signatures


* Langue de procédure : l’italien.