Language of document : ECLI:EU:C:2014:321

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO Mengozzi

présentées le 14 mai 2014 (1)

Affaire C‑219/13

K Oy

[demande de décision préjudicielle
formée par le Korkein hallinto-oikeus (Finlande)]

«Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE − Directive 2009/47/CE − Application d’un taux de TVA réduit uniquement aux livres imprimés, à l’exclusion de livres sur d’autres supports physiques (CD, CD‑ROM, clés USB) – Aspects concrets et spécifiques − Neutralité fiscale»





I –    Introduction

1.        Une législation nationale qui accorde un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») uniquement aux livres imprimés, à l’exclusion des livres sur d’autres supports physiques, tels que les CD, les CD-ROM ou les clés USB, est-elle contraire aux dispositions de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de la taxe sur la valeur ajoutée (2), et au principe de neutralité fiscale?

2.        Telle est, en substance, la question déférée à la Cour par le Korkein hallinto‑oikeus (Finlande) dans le cadre d’un litige qui oppose K Oy (ci-après «K») à la Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö, à savoir l’administration fiscale finlandaise, à propos d’une décision préalable de la Keskusverolautakunta (commission fiscale centrale) par laquelle cette dernière a rejeté la demande de K, pour les exercices fiscaux de 2011 et de 2012, tendant à savoir si le taux réduit de TVA de 9 % applicable aux livres imprimés pouvait être appliqué aux livres audio et numériques, reposant sur des supports physiques et reproduisant le texte écrit d’un livre imprimé, édités par cette société.

3.        En premier lieu, la commission fiscale centrale a estimé que ne sont considérées comme des livres que les publications imprimées ou réalisées d’une manière analogue, au sens de l’article 85 bis, paragraphe 1, point 7, et paragraphe 3, de la loi 1265/1997 relative à la TVA (arvonlisäverolaki 1265/1997).

4.        En second lieu, cette commission a retenu que l’article 98, paragraphe 2, premier alinéa, et l’annexe III, point 6, de la directive TVA, telle que modifiée par la directive 2009/47/CE du Conseil, du 5 mai 2009, en ce qui concerne les taux réduits de taxe sur la valeur ajoutée (3), ainsi que le principe de neutralité fiscale ne s’opposaient pas à l’application à la vente de livres reposant sur un support physique autre que le papier, d’un taux normal de TVA, à savoir, en l’occurrence, 23 % de la base d’imposition, au lieu du taux réduit de 9 % appliqué aux livres imprimés. En effet, selon la commission fiscale centrale, les livres audio et numériques reposant sur un support physique autre que le papier s’apparenteraient, par leur nature, leurs propriétés et leur mode d’utilisation, aux livres similaires disponibles sous forme électronique, auxquels, en vertu de l’article 98, paragraphe 2, second alinéa, de la directive TVA, les taux réduits ne sont pas appliqués.

5.        K a alors introduit un pourvoi devant le Korkein hallinto-oikeus à l’encontre de la décision préalable de la commission fiscale centrale, en demandant, d’une part, l’annulation de cette décision et, d’autre part, qu’il soit déclaré que les livres audio et les livres numériques reposant sur des supports physiques tels que les CD, les CD-ROM ou les clés USB et autres produits similaires décrits dans la demande soient considérés, au sens de l’article 85 bis, paragraphe 1, point 7, de la loi 1265/1997 relative à la TVA, comme des livres imprimés dont la vente est soumise à un taux réduit de TVA.

6.        Après avoir sollicité l’avis du Valtiovarainministeriö (ministère des Finances), lequel s’est, en substance, rallié à la position prise par la commission fiscale centrale, le Korkein hallinto-oikeus a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 98, paragraphe 2, [premier] alinéa, et l’annexe III, point 6, de la directive [TVA], dans la version, pour le dernier point, introduite par la directive 2009/47, considération étant prise du principe de la neutralité de l’impôt, font-ils obstacle à une législation nationale selon laquelle un taux réduit de TVA est appliqué aux livres imprimés alors que les livres reposant sur d’autres supports physiques tels que les CD, les CD‑ROM ou les clés USB sont soumis au taux normal de la taxe?

La réponse peut-elle varier en fonction des circonstances suivantes:

–        le livre est destiné à être lu ou à être écouté (livre audio);

–        il existe un livre imprimé qui a le même contenu que le livre ou le livre audio reposant sur un support physique tel qu’un CD, un CD‑ROM, une clé [USB] ou un autre produit physique similaire;

–        il est possible de bénéficier des propriétés techniques conférées par le support physique, autre que le papier, comme les fonctions de recherche?»

7.        Cette question a fait l’objet d’observations écrites de la part des gouvernements finlandais, allemand, estonien, irlandais et grec ainsi que de la Commission européenne.

8.        Ces parties intéressées ont également été entendues à l’audience qui s’est déroulée le 13 mars 2014, à l’exception des gouvernements allemand et estonien qui ne s’y sont pas fait représenter.

II – Analyse

9.        L’article 96 de la directive TVA précise que le même taux de TVA, qualifié de taux normal, est applicable aux livraisons de biens et prestations de services.

10.      Par dérogation à ce principe, l’article 98, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive TVA accorde aux États membres la faculté d’appliquer des taux réduits uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories figurant à l’annexe III de cette directive.

11.      Tandis que le point 6 de cette annexe visait, avant la modification insérée par la directive 2009/47, «la fourniture de livres […]», cette directive a remplacé le texte du point 6 de l’annexe III, en précisant qu’il incluait désormais «la fourniture de livres, sur tout type de support physique […]» (4).

12.      La République de Finlande ayant, à l’instar de la grande majorité des États membres (5), valablement opté pour l’application d’un taux réduit de TVA à la fourniture de livres imprimés – déjà, au demeurant, sous l’empire de l’article 12, paragraphe 3, sous a), et de l’annexe H, point 6, de la sixième directive 77/388/CEE (6), qui ont précédé l’article 98, paragraphe 1, et l’annexe III de la directive TVA – la question déférée par la juridiction de renvoi vise, en substance, à savoir si, en raison de la modification introduite par la directive 2009/47, un État membre se trouve contraint d’étendre l’application d’un tel taux réduit de TVA à la fourniture de livres sur des supports physiques, autres que le papier, tels que des CD, des CD-ROM ou des clés USB.

13.      Les gouvernements ayant participé à la procédure proposent de répondre par la négative à cette question. En substance, ils appuient leur argumentation sur le caractère facultatif de l’application des taux réduits de TVA, sur le caractère purement technique de la modification introduite par la directive 2009/47, ainsi que sur l’absence de comparabilité entre la fourniture de livres sur support papier et ceux sur d’autres supports physiques. Limiter l’application du taux réduit de TVA à la fourniture des seuls livres sur support papier n’enfreindrait donc pas le principe de neutralité fiscale. En tout état de cause, les gouvernements soutiennent qu’il appartiendrait aux États membres ainsi qu’aux juridictions nationales de vérifier, de manière concrète, le rapport de concurrence qu’entretiendraient ces différentes catégories de livres.

14.      À l’inverse, dans ses observations écrites, la Commission a estimé que l’application sélective du taux réduit de TVA aux seuls livres sur support papier se heurte à l’objectif, poursuivi par la Commission et le législateur de l’Union lors de l’adoption de la directive 2009/47 ayant modifié l’annexe III, point 6, de la directive TVA, d’assurer le respect du principe de neutralité fiscale entre tous les livres, quel que soit leur support physique, fournissant essentiellement le même contenu d’informations.

15.      Toutefois, lors de l’audience, la Commission a souhaité «nuancer» sa position, à la suite de la lecture des observations des autres parties intéressées. Considérant qu’il se pouvait que, en adoptant la directive 2009/47, le législateur de l’Union avait voulu se distinguer de la proposition de directive de la Commission du 7 juillet 2008, ayant conduit à l’adoption de la directive 2009/47 (7), et ne pas rendre obligatoire le taux réduit de TVA à la fourniture de tous les livres indépendamment de leur support physique, la Commission a dès lors soutenu que l’article 98, paragraphe 2, premier alinéa, et l’annexe III, point 6, de la directive TVA, telle que modifiée par la directive 2009/47, ne font pas nécessairement obstacle à une législation nationale appliquant un taux réduit de TVA aux seuls livres imprimés à l’exclusion des livres reposant sur d’autres supports physiques fournissant essentiellement le même contenu d’informations dans la mesure où le principe de neutralité fiscale est respecté.

16.      Pour ma part, je tiens tout d’abord à rappeler que, s’agissant tant de l’annexe H de la sixième directive 77/388 que de l’annexe III de la directive TVA, la Cour a jugé qu’il n’est pas interdit aux États membres de faire une application sélective du taux réduit au sein d’une même catégorie de prestations de services, à condition qu’elle n’entraîne aucun risque de distorsion de concurrence (8), c’est‑à‑dire qu’elle respecte le principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de TVA (9).

17.      La Cour en a récemment tiré la conséquence que l’exercice de la possibilité de procéder à une application sélective du taux réduit de TVA reconnue aux États membres est «soumis à la double condition, d’une part, de n’isoler, aux fins de l’application dudit taux, que des aspects concrets et spécifiques de la catégorie de prestations de service en cause et, d’autre part, de respecter le principe de neutralité fiscale» (10).

18.      L’affirmation de cette double condition est relativement récente.

19.      En effet, si, jusqu’au prononcé de l’arrêt Commission/France (EU:C:2010:253), la Cour formulait la limitation de l’application d’un taux de TVA réduit à «des aspects concrets et spécifiques» d’une même catégorie de prestations de services comme une latitude offerte aux États membres par la directive TVA, sous réserve du respect du principe de neutralité fiscale (11), cet arrêt, confirmé par l’arrêt Pro Med Logistik et Pongratz (EU:C:2014:111), la transforme en une véritable condition, autonome du respect du principe de neutralité fiscale, à laquelle est subordonnée l’application sélective d’un taux réduit au sein d’une même catégorie de prestations de services (12).

20.      Ces deux conditions, d’après la Cour, visent à assurer que les États membres ne fassent usage de cette possibilité que dans des circonstances garantissant l’application simple et correcte du taux réduit choisi ainsi que la prévention de toute fraude, de toute évasion fiscale et de tout abus éventuels (13).

21.      La transformation des «aspects concrets et spécifiques» en une condition autonome d’application d’un taux réduit sélectif de TVA au sein d’une même catégorie visée à l’annexe III de la directive TVA rigidifie quelque peu l’examen auquel la Cour est amenée à procéder. En effet, cet examen devient désormais systématique, préalablement à celui visant à vérifier la satisfaction du respect du principe de neutralité fiscale. Bien que, depuis sa transformation en véritable condition d’application sélective d’un taux réduit de TVA, la Cour ait toujours admis que la condition afférente aux «aspects concrets et spécifiques» pouvait être satisfaite, l’admission de ce nouveau statut implique cependant qu’elle puisse ne pas l’être, sans, partant, que la Cour et les juridictions nationales doivent nécessairement examiner celle du respect du principe de neutralité fiscale.

22.      Cela étant, il importe d’examiner ces deux conditions d’application sélective d’un taux réduit de TVA au sein d’une même catégorie visée à l’annexe III de la directive TVA.

A –    Sur les «aspects concrets et spécifiques» au sein d’une même catégorie de livraison de biens

23.      Dans la présente affaire, aucune des parties intéressées ne soulève de doute quant à la satisfaction de la première condition. En effet, toutes paraissent admettre, à tout le moins implicitement, que, au sein de la catégorie de la fourniture de livres sur tout type de support physique, les livres reposant sur des supports autres que le papier peuvent constituer des «aspects concrets et spécifiques» de cette catégorie.

24.      On rappellera que les affaires dans lesquelles la Cour a dégagé et a dû se prononcer sur l’existence de tels «aspects concrets et spécifiques» au sein d’une même catégorie visée par les dispositions de la sixième directive 77/388 (notamment son annexe H) ou, par la suite, par l’annexe III de la directive TVA, concernent à la fois des activités relevant de la qualification de livraisons de biens que de prestations de services.

25.      C’est ainsi que, au titre de la fourniture de marchandises, la Cour a admis que la République française était fondée à limiter l’application d’un taux réduit au seul abonnement donnant droit à une fourniture minimale d’énergie, en ce qu’une telle application se bornait à des aspects concrets et spécifiques de la fourniture de gaz naturel et d’électricité (14).

26.      De même, s’agissant de la prestation de services, la Cour a jugé que les États membres étaient autorisés à appliquer un taux réduit de TVA à des aspects concrets et spécifiques de la distribution d’eau visée à l’annexe H, point 2, de la sixième directive 77/388, tels que le branchement individuel (15), que le transport de corps par véhicule constituait un élément concret et spécifique parmi la catégorie des prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres (16) ou encore que, parmi les prestations de services de transport des personnes et des bagages, visée à l’annexe III, point 5, de la directive TVA, l’activité de transport urbain de personnes en taxi pourrait constituer un aspect concret et spécifique de ladite catégorie, en ce qu’elle serait identifiable, en tant que telle, séparément des autres prestations de cette catégorie (17).

27.      Que la Cour ait dû dégager le critère des «aspects concrets et spécifiques» susceptible de permettre l’application sélective d’un taux réduit essentiellement dans le cadre de la prestation de services n’a rien d’étonnant. En effet, au sein de catégories de prestations de services souvent formulées de manière générique, comme la «distribution d’eau» ou «le transport des personnes et des bagages qui les accompagnent», se retrouvent généralement une pluralité d’opérations en chaîne ou des prestations de services diverses.

28.      Toujours est-il, comme l’illustre l’arrêt Commission/France (EU:C:2003:264) qui se rapportait à la fourniture d’électricité et de gaz, que cette jurisprudence est susceptible de s’appliquer à la livraison de biens.

29.      Encore faut-il savoir ce que signifie «aspects concrets et spécifiques» d’une même catégorie visée à l’annexe III de la directive TVA et définir l’examen que comporte l’identification de tels «aspects concrets et spécifiques».

30.      À cet égard, il ressort des arrêts Commission/France (EU:C:2010:253) ainsi que Pro Med Logistik et Pongratz (EU:C:2014:111), tous deux relatifs à des prestations de services complexes, que la Cour vérifie si la prestation en cause est «identifiable, en tant que telle, séparément des autres prestations» fournies par les entreprises en question (18) ou de la catégorie concernée (19).

31.      Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, la Cour ne procède pas à un examen de nature économique du caractère identifiable, en tant que telle, d’une prestation. En effet, dans son arrêt Commission/France (EU:C:2010:253), qui concernait le transport de corps par véhicule fourni par les entreprises de pompes funèbres, la Cour a écarté la thèse de la Commission selon laquelle le caractère «identifiable en tant que tel» d’une prestation devait s’apprécier du point de vue de l’attente du consommateur moyen et sous l’angle économique, et devait consister à vérifier si une opération comportant plusieurs éléments s’analysait, en réalité, comme une prestation unique, soumise à un seul traitement fiscal, ou plutôt comme deux ou plusieurs prestations distinctes, pouvant être taxées différemment.

32.      Le rejet de l’argumentation de la Commission a été motivé par la limite qu’aurait comportée cette thèse à l’exercice par les États membres de la marge d’appréciation qui leur est laissée par la directive TVA quant à l’application du taux réduit de TVA, marge d’appréciation requérant l’application de critères généraux et objectifs (20). Il est aussi vraisemblable qu’une évaluation économique de la satisfaction de ladite condition aurait eu pour effet de confondre cet examen avec celui permettant de contrôler le respect du principe de neutralité fiscale.

33.      Dans ces conditions, la Cour a procédé à la vérification du caractère «identifiable, en tant que tel, séparément des autres prestations» d’une prestation à laquelle le taux réduit de TVA est appliqué par un État membre, sur la base d’éléments formels et juridiques, tels que la nature singulière de l’activité concernée par rapport aux autres prestations fournies par les entreprises et/ou l’existence d’une réglementation particulière afférente à ladite prestation ou aux opérateurs qui fournissent cette dernière (21).

34.      Ces éléments ne semblent ni limitatifs ni exhaustifs.

35.      Des différences techniques propres aux produits ou aux services en cause ou des différences objectives dans l’utilisation de ces produits ou de ces services pourraient tout aussi bien permettre d’identifier, au sein d’une même catégorie de livraison de biens ou de prestations de services, des «aspects concrets et spécifiques» de cette catégorie, susceptibles de justifier l’application sélective d’un taux réduit de TVA.

36.      Ainsi, dans la présente affaire, il est parfaitement envisageable, comme l’ont défendu les gouvernements allemand et finlandais, de soutenir que, contrairement aux livres sur support papier, les livres sur d’autres supports nécessitent tous un dispositif technique particulier de lecture et sont donc aptes à constituer des «aspects concrets et spécifiques» de la catégorie «de livraison de livres sur tout type de support physique», ce qui satisferait à la condition posée par la jurisprudence de la Cour.

B –    Sur le respect du principe de neutralité fiscale

37.      Selon la jurisprudence, le principe de neutralité fiscale, qui est inhérent au système commun de la TVA, s’oppose en particulier à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent par conséquent en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA (22). Il s’agit donc de la traduction, en matière de TVA, du principe général d’égalité de traitement (23).

38.      Il en découle que, si des marchandises ou des prestations de services sont semblables, celles-ci doivent être soumises à un taux de TVA uniforme (24).

39.      La vérification du caractère semblable des marchandises ou des prestations de services en cause nécessite principalement de se placer du point de vue du consommateur moyen de sorte à pouvoir constater si ces marchandises ou ces prestations de services satisfont aux mêmes besoins de celui-ci, tout en évitant des distinctions artificielles fondées sur des différences insignifiantes (25).

40.      La Cour a aussi jugé que deux prestations de services sont semblables lorsqu’elles présentent des propriétés analogues et répondent aux mêmes besoins auprès du consommateur, en fonction d’un critère de comparabilité dans l’utilisation, et lorsque les différences existantes n’influent pas de manière considérable sur la décision du consommateur moyen de recourir à l’une ou à l’autre desdites prestations (26).

41.      Comme je l’ai déjà indiqué, dans la présente affaire, les parties intéressées ont longuement débattu de la question de savoir si, en adoptant la directive 2009/47, laquelle a permis l’inclusion, à l’annexe III, point 6, de la directive TVA, des livres «sur tout type de support physique», le législateur de l’Union a entendu assurer le respect du principe de neutralité fiscale, se fondant sur la prémisse que, indépendamment de leur support, tous les livres mentionnés audit point 6 étaient semblables et, par conséquent, entretenaient un rapport réciproque de concurrence.

42.      Tandis que, en substance, les gouvernements ayant déposé des observations estiment que l’intention du législateur de l’Union n’était pas de priver les États membres, y compris les juridictions nationales, de leur marge d’appréciation en les contraignant à étendre automatiquement le taux de TVA réduit qu’ils sont en droit d’appliquer à la livraison de livres imprimés aux livres édités sur d’autres supports physiques, la Commission a soutenu une position opposée, quand bien même plus nuancée à l’audience.

43.      Comme l’ont soutenu les gouvernements ayant participé à la présente procédure, ni le texte de la directive 2009/47 ni ses considérants ne laissent transparaître que l’objet de la modification apportée à l’annexe III, point 6, de la directive TVA était d’assurer le respect du principe de neutralité fiscale au sein de la catégorie visée par ce point.

44.      En effet, le considérant 4 de la directive 2009/47 se borne à indiquer que la directive TVA doit «être modifiée […] afin de préciser et d’adapter à l’évolution technologique la référence aux livres qui figure à l’annexe III de ladite directive».

45.      Certes, on pourrait soutenir que l’obligation ressentie d’adapter cette référence à l’évolution technologique signifiait, implicitement, que le législateur de l’Union était désormais d’avis que les livres publiés sur d’autres supports que le papier entraient nécessairement en concurrence avec les livres imprimés et qu’il convenait donc de leur appliquer le même taux de TVA réduit.

46.      Toutefois, outre que la Commission n’a pas invoqué un tel argument, aucun indice objectif en ce sens ne ressort de la directive 2009/47.

47.      De plus, mener, comme l’a également suggéré la Commission, une comparaison entre la directive 2009/47 et les travaux préparatoires ayant conduit à son adoption ne fait, en définitive, que renforcer la thèse selon laquelle le principe de neutralité fiscale ne paraît pas avoir été l’objectif recherché par le législateur de l’Union, quand bien même fondait-il, à tout le moins partiellement, les motifs de la proposition précitée de la Commission du 7 juillet 2008.

48.      C’est ainsi que, si l’exposé des motifs de cette proposition indiquait que, «au nom de la neutralité», il était «nécessaire» d’étendre l’annexe III, point 6, de la directive TVA aux «livres enregistrés sur disque compact, cédérom ou tout autre support physique similaire qui reproduisent principalement la même information que celle contenue dans les livres imprimés» (27), le texte de la proposition lui-même se limitait à relever la nécessité «de prévoir certaines adaptations techniques destinées à […] adapter [les dispositions] à l’évolution technologique», ces adaptations rendant «possible l’application d’un taux réduit […] aux livres audio, disques compacts, cédéroms et autres supports physiques reproduisant principalement la même information que celle contenue dans les livres imprimés» (28).

49.      On s’aperçoit donc, à la simple lecture de cette proposition, que, si la Commission reconnaissait l’existence d’une certaine comparabilité entre les différents supports physiques susmentionnés et les livres sur support papier, il ne s’agissait déjà cependant pas d’une comparabilité ou d’une similitude totale.

50.      En effet, d’une part, cette comparabilité était circonscrite aux supports autres que le papier «reproduisant principalement la même information que celle contenue dans les livres imprimés», ce qui impliquait nécessairement, comme en témoigne l’exposé des motifs de la proposition elle-même, que les livres sur d’autres supports que le papier offrant des fonctionnalités supplémentaires à celles des livres imprimés, telles que des moteurs de recherche ou des liens vers d’autres types de matériel, en étaient exclus (29). D’autre part, ce degré de comparabilité ou de similitude n’entraînait pas automatiquement, contrairement à ce que devrait en principe requérir le respect du principe de neutralité fiscale, l’extension aux livres sur d’autres supports physiques du taux réduit qui était préalablement applicable aux seuls livres imprimés, mais conduisait simplement la Commission à proposer la possibilité d’une telle extension.

51.      Que le législateur de l’Union n’ait pas retenu la limite contenue dans la proposition de directive de la Commission, selon laquelle la faculté d’étendre le taux réduit de TVA s’appliquait uniquement aux supports physiques «reproduisant principalement la même information que celle contenue dans les livres imprimés», en faisant référence de manière générique aux livres «sur tout type de support physique» me conduit à penser que son intention n’était pas, a fortiori, d’admettre la similitude de l’ensemble des livres visés à l’annexe III, point 6, de la directive TVA, telle que modifiée par la directive 2009/47, indépendamment de leur support physique, et d’obliger les États membres à appliquer auxdits livres un taux réduit de TVA identique à celui auquel ils sont en droit de soumettre les livres imprimés.

52.      Partant, le législateur de l’Union n’a pas entendu, selon moi, priver les États membres de leur marge d’appréciation quant à l’application, éventuellement sélective, du taux réduit de TVA au sein de la catégorie de la livraison des livres sur tout type de support physique, visée à l’annexe III, point 6, de la directive TVA, telle que modifiée par la directive 2009/47 (30).

53.      Dans ces conditions, et conformément à la jurisprudence, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si les livres imprimés et les livres publiés sur d’autres supports physiques sont semblables du point de vue du consommateur moyen en ce qu’ils répondent aux mêmes besoins de celui-ci.

54.      Ainsi que l’ont fait valoir à juste titre les parties intéressées lors de l’audience, il s’agit de prendre comme référence le consommateur moyen de chaque État membre, ce qui se comprend, en effet, puisque l’appréciation du consommateur moyen sera susceptible de varier en fonction du degré éventuellement différent de pénétration des nouvelles technologies dans chaque marché national et du degré d’accès aux dispositifs techniques permettant à ce consommateur de lire ou d’écouter les livres contenus sur des supports autres que le papier.

55.      En application de la jurisprudence, il appartient à la juridiction de renvoi, au vu de l’ensemble des éléments exposés devant elle, de vérifier si les livres imprimés et les livres reposant sur des supports autres que le papier possèdent des propriétés analogues et répondent aux mêmes besoins du consommateur, en fonction d’un critère de comparabilité dans l’utilisation, et en fonction des différences existantes afin de vérifier si ces différences influent ou non de manière considérable ou sensible sur la décision du consommateur moyen d’opter pour l’un ou l’autre de ces produits culturels.

56.      À cet égard, les gouvernements ayant participé à la présente procédure ont soutenu, sans être contredits par la Commission, que les livres reposant sur des supports autres que le papier se distinguent objectivement, par leurs propriétés, des livres imprimés. Cette différence résulterait non seulement de la nécessité préalable de pouvoir disposer d’un dispositif technique de lecture (31), mais aussi de la circonstance que le consommateur moyen de livres reposant sur d’autres supports que le papier optera pour ces produits en raison même des applications et des fonctions supplémentaires qu’ils peuvent lui offrir en comparaison à celle des livres imprimés.

57.      C’est ainsi que, comme l’a exposé le gouvernement finlandais à l’audience, la décision d’un consommateur moyen d’acheter un livre audio reposera rarement uniquement sur la simple lecture du texte d’un livre imprimé, mais plus fréquemment sur la performance et/ou la notoriété du lecteur ainsi que sur les effets spéciaux ou la musique reproduits dans la version audio. De même, selon les gouvernements allemand et finlandais en particulier, s’agissant des livres reposant sur des CD, des CD-ROM ou sur des clés USB, le consommateur moyen sera influencé dans son achat par les fonctions supplémentaires de recherche qu’offrent ces livres ou par l’intégration de logiciels ou d’autres programmes auxdits livres, à la différence des livres imprimés.

58.      Au regard des éléments dont elle dispose, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier la pertinence de ces affirmations à l’égard du comportement du consommateur moyen en Finlande.

59.      Sur la base des considérations qui précèdent, je propose que l’article 98, paragraphe 2, premier alinéa, et l’annexe III, point 6, de la directive TVA, dans la version, pour le dernier point, introduite par la directive 2009/47, doivent être interprétés dans ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale selon laquelle un taux réduit de TVA est appliqué aux livres imprimés, alors que les livres reposant sur d’autres supports physiques tels que les CD, les CD-ROM ou les clés USB sont soumis au taux normal de TVA, à condition que, du point de vue du consommateur moyen de l’État membre concerné, les seconds ne soient pas semblables aux premiers en ce qu’ils ne répondent pas aux mêmes besoins dudit consommateur, ce dont la juridiction de renvoi doit s’assurer.

60.      Pour être complet, j’ajoute que la réponse qui vient d’être donnée ne varie pas, à mon sens, en fonction des trois circonstances énumérées par la juridiction de renvoi dans sa question préjudicielle, à savoir, premièrement, si le livre est destiné à être lu ou à être écouté (livre audio), deuxièmement, s’il existe un livre imprimé qui a le même contenu que le livre ou le livre audio reposant sur un support physique tel qu’un CD, un CD-ROM, une clé USB ou un autre produit physique similaire et, troisièmement, s’il est possible de bénéficier des propriétés techniques conférées par le support physique, autre que le papier, comme les fonctions de recherche.

61.      En effet, ce sont précisément les propriétés des livres reposant sur des supports autres que le papier dont la juridiction de renvoi doit apprécier l’influence éventuellement considérable ou sensible sur la décision du consommateur moyen finlandais d’opter pour l’achat de ces livres plutôt que des livres imprimés.

62.      Si, comme le soutiennent notamment les gouvernements finlandais et allemand, ces propriétés sont déterminantes du point de vue du consommateur moyen de l’État membre concerné, il est justifié que la législation nationale n’accorde pas à la livraison de livres reposant sur des supports autres que le papier le taux réduit de TVA applicable à celle des livres imprimés. En revanche, si ces propriétés n’ont pas ou peu d’influence sur la décision dudit consommateur moyen de procéder à l’achat de livres reposant sur des supports autres que le papier − en raison du fait que ce qui importe pour ce consommateur c’est essentiellement le contenu similaire de tous les livres, indépendamment de leur support ou de leurs propriétés − l’application sélective d’un taux réduit de TVA ne se justifie pas.

III – Conclusion

63.      Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par le Korkein hallinto-oikeus:

L’article 98, paragraphe 2, premier alinéa, et l’annexe III, point 6, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de la taxe sur la valeur ajoutée, dans la version, pour le dernier point, introduite par la directive 2009/47/CE du Conseil, du 5 mai 2009, doivent être interprétés dans ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale selon laquelle un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée est appliqué aux livres imprimés, alors que les livres reposant sur d’autres supports physiques tels que les CD, les CD-ROM ou les clés USB sont soumis au taux normal de taxe sur la valeur ajoutée, à condition que, du point de vue du consommateur moyen de l’État membre concerné, les seconds ne soient pas semblables aux premiers en ce qu’ils ne répondent pas aux mêmes besoins dudit consommateur, ce dont la juridiction de renvoi doit s’assurer.

Cette réponse ne varie pas selon que le livre est destiné à être lu ou à être écouté (livre audio), qu’il existe un livre imprimé qui a le même contenu que le livre ou le livre audio reposant sur un support physique tel qu’un CD, un CD-ROM, une clé USB ou un autre produit physique similaire ou qu’il est possible de bénéficier des propriétés techniques conférées par le support physique, autre que le papier, comme les fonctions de recherche.


1 – Langue originale: le français.


2 – JO L 347, p. 1.


3 – JO L 116, p. 18.


4 – Italiques ajoutés par mes soins. Comme l’ont fait remarquer l’ensemble des parties intéressées, la présente affaire concerne donc non pas le traitement fiscal des livres numériques, c’est-à-dire fournis par voie électronique, mais uniquement ceux disponibles sur un support physique quel qu’il soit.


5 – D’après un document de la Commission récapitulant les taux de TVA appliqués dans les États membres de l’Union européenne au 13 janvier 2014, 26 des 28 États membres appliquent un taux réduit de TVA à la fourniture de livres imprimés [voir document taxud.c.1(2014) 48867, p. 4].


6 – Directive du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1).


7 – Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne les taux réduits de taxe sur la valeur ajoutée [COM(2008) 428 final].


8 – Voir, notamment, arrêts Commission/France (C‑94/09, EU:C:2010:253, point 25) ainsi que Pro Med Logistik et Pongratz (C‑454/12 et C‑455/12, EU:C:2014:111, point 43).


9 – Voir, en ce sens, arrêts Zweckverband zur Trinkwasserversorgung und Abwasserbeseitigung Torgau-Westelbien (C‑442/05, EU:C:2008:184, point 43), Commission/France (EU:C:2010:253, point 26) ainsi que Pro Med Logistik et Pongratz (EU:C:2014:111, point 44).


10 – Voir, notamment, en ce sens, arrêts Commission/France (EU:C:2010:253, point 30) ainsi que Pro Med Logistik et Pongratz (EU:C:2014:111, point 45).


11 – Voir arrêts Commission/France (C‑384/01, EU:C:2003:264, points 25 et 26) et Zweckverband zur Trinkwasserversorgung und Abwasserbeseitigung Torgau‑Westelbien (EU:C:2008:184, point 43).


12 – Voir arrêts Commission/France (EU:C:2010:253, point 30) ainsi que Pro Med Logistik et Pongratz (EU:C:2014:111, point 45).


13 – Voir, en ce sens, arrêt Pro Med Logistik et Pongratz (EU:C:2014:111, point 45).


14 – Voir arrêt Commission/France (EU:C:2003:264, points 28 et 29). Cette affaire concernait l’article 12, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive 77/388. De manière générale, je rappelle que le gaz naturel et l’électricité relèvent des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises: voir à cet égard notamment, arrêt Commission/France (C‑159/94, EU:C:1997:501, points 43 à 50).


15 – Arrêt Zweckverband zur Trinkwasserversorgung und Abwasserbeseitigung Torgau‑Westelbien (EU:C:2008:184, point 43).


16 – Arrêt Commission/France (EU:C:2010:253, point 39).


17 – Arrêt Pro Med Logistik et Pongratz (EU:C:2014:111, point 50).


18 – Arrêt Commission/France (EU:C:2010:253, point 35).


19 – Arrêt Pro Med Logistik et Pongratz (EU:C:2014:111, points 47 et 50).


20 – Arrêt Commission/France (EU:C:2010:253, points 33 et 34).


21 – Voir arrêts Commission/France (EU:C:2010:253, points 35 à 38) ainsi que Pro Med Logistik et Pongratz (EU:C:2014:111, points 48 et 49).


22 – Voir, notamment, arrêts The Rank Group (C‑259/10 et C‑260/10, EU:C:2011:719, point 32) ainsi que Pro Med Logistik et Pongratz (EU:C:2014:111, point 52).


23 – Voir, à cet égard, arrêt NCC Construction Danmark (C‑174/08, EU:C:2009:669, point 41 et jurisprudence citée).


24 – Voir arrêt Commission/France (C‑481/98, EU:C:2001:237, point 22).


25 – Voir, en ce sens, arrêts The Rank Group (EU:C:2011:719, point 43) ainsi que Pro Med Logistik et Pongratz (EU:C:2014:111, point 53).


26 – Arrêt Pro Med Logistik et Pongratz (EU:C:2014:111, point 55 et jurisprudence citée).


27 – Point 5.3, p. 9 de la proposition de directive citée à la note 7 ci-dessus.


28 – Sixième considérant de la proposition de directive citée ci-dessus (italiques ajoutés par mes soins).


29 – Voir proposition de directive, citée ci-dessus, point 5.3, p. 9. Cela est également corroboré par les orientations découlant des réunions du comité de la TVA, 92e réunion des 7 et 8 décembre 2010, doc A − taxud.c.1(2011)157667‑684, qui reprennent quasiment mot pour mot la définition de la notion de «livres sur tout type de support physique» de la proposition de directive. Ainsi que l’indique ce document lui-même, ces orientations ne sont contraignantes ni pour la Commission ni pour les États membres.


30 – Que l’intention du législateur de l’Union n’ait pas été celle de contraindre les États membres à étendre aux livres sur des supports physiques autres que le papier le taux réduit de TVA que 26 d’entre eux accordent à la livraison de livres imprimés me paraît renforcée par la circonstance que, parmi ces États membres, 14 d’entre eux, soit un plus de la majorité, ont décidé de conserver l’application du taux normal de TVA à la livraison de livres reposant sur d’autres supports physiques. Voir, sur ces statistiques, le tableau reproduit en page 4 du document taxud.c.1(2014) 48867, cité à la note 5 ci-dessus, faisant état de la situation des taux de TVA appliqués dans les États membres à la date du 13 janvier 2014.


31 – Comme l’ont indiqué, en substance, les gouvernements allemand et estonien, le prix d’achat d’un tel dispositif technique de lecture (ordinateur, tablette, etc.) peut aussi constituer un élément important dans le choix d’un consommateur moyen.