Language of document : ECLI:EU:T:2008:414

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

8 octobre 2008 (*)

« Concurrence − Ententes − Marché des produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques − Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes − Gravité et durée de l’infraction − Principe de proportionnalité − Principe d’égalité de traitement − Limite maximale de 10 % du chiffre d’affaires − Intérêts moratoires »

Dans l’affaire T‑68/04,

SGL Carbon AG, établie à Wiesbaden (Allemagne), représentée par Mes M. Klusmann et A. von Bonin, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. F. Castillo de la Torre et W. Mölls, en qualité d’agents, assistés de Me H.-J. Freund, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2004/420/CE de la Commission, du 3 décembre 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire C.38.359 − Produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques), et, à titre subsidiaire, une demande de réduction du montant de l’amende infligée à la requérante par ladite décision,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. M. Vilaras (rapporteur), président, M. Prek et V. Ciucǎ, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 février 2008,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        SGL Carbon AG (ci‑après « SGL » ou la « requérante ») est une entreprise allemande qui fabrique, notamment, des produits à base de carbone et de graphite en vue de leur utilisation dans les domaines électriques et mécaniques.

2        Le 18 septembre 2001, les représentants de Morgan Crucible Company plc (ci‑après « Morgan ») ont rencontré des agents de la Commission afin de proposer leur coopération pour établir l’existence d’un cartel sur le marché européen des produits à base de carbone pour des applications électriques et mécaniques et solliciter le bénéfice des mesures de clémence prévues par la communication 96/C 207/04 de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci‑après la « communication sur la coopération »).

3        Le 2 août 2002, la Commission a, en application de l’article 11 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), adressé à C. Conradty Nürnberg GmbH (ci‑après « Conradty »), à Le Carbone-Lorraine (ci‑après « LCL »), à Schunk GmbH et sa filiale Schunk Kohlenstoff-Technik GmbH (ci‑après, prises ensemble, « Schunk »), à Eurocarbo SpA, à Luckerath BV, à Gerken Europe SA ainsi qu’à la requérante des demandes de renseignements concernant leur comportement sur le marché en cause. La lettre adressée à Schunk concernait également les activités d’Hoffmann & Co. Elektrokohle AG (ci‑après « Hoffmann »), rachetée par Schunk le 28 octobre 1999.

4        Par lettre du 30 septembre 2002, la requérante a répondu à la demande de renseignements.

5        Par lettre du 17 mars 2003, elle a sollicité l’application de la communication sur la coopération et transmis à la Commission des éléments de preuve concernant l’entente en cause.

6        Le 23 mai 2003, sur la base des informations qui lui avaient été communiquées, la Commission a envoyé une communication des griefs à la requérante et aux autres entreprises concernées, à savoir Morgan, Conradty, LCL, Schunk et Hoffmann. Dans sa réponse, la requérante a indiqué qu’elle ne contestait pas, en substance, les faits exposés dans la communication des griefs.

7        À la suite de l’audition des entreprises concernées, à l’exception de Morgan et de Conradty, la Commission a adopté la décision 2004/420/CE, du 3 décembre 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire C.38.359 − Produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques) (ci‑après la « Décision »), laquelle a été notifiée à la requérante par lettre du 11 décembre 2003. Un résumé de la Décision a été publié au Journal officiel du 28 avril 2004 (JO L 125, p. 45).

8        La Commission a indiqué, dans la Décision, que les entreprises destinataires de celle-ci ont participé à une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE et, depuis le 1er janvier 1994, à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), consistant à fixer de façon directe ou indirecte les prix de vente et d’autres conditions de transaction applicables aux clients, à répartir les marchés, notamment par l’attribution de clients, et à mener des actions coordonnées (restrictions quantitatives, hausses des prix et boycottages) à l’encontre des concurrents qui n’étaient pas membres du cartel (considérant 2 de la Décision).

9        La Décision comprend les dispositions suivantes :

« Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint les dispositions de l’article 81, paragraphe 1, [CE] et, à compter du 1er janvier 1994, de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE en participant, pour les périodes indiquées, à un ensemble d’accords et de pratiques concertées dans le secteur des produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques :

–        [Conradty], d’octobre 1988 à décembre 1999 ;

–        [Hoffmann], de septembre 1994 à octobre 1999 ;

–        [LCL], d’octobre 1988 à juin 1999 ;

–        [Morgan], d’octobre 1988 à décembre 1999 ;

–        [Schunk], d’octobre 1988 à décembre 1999 ;

–        [SGL], d’octobre 1988 à décembre 1999.


Article 2

Les amendes suivantes sont infligées pour les infractions visées à l’article 1er :

–        [Conradty] : 1 060 000 euros ;

–        [Hoffmann] : 2 820 000 euros ;

–        [LCL] : 43 050 000 euros ;

–        [Morgan] : 0 euro ;

–        [Schunk] : 30 870 000 euros ;

–        [SGL] : 23 640 000 euros.

Les amendes sont payables dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision [...]

À l’expiration de ce délai, des intérêts sont automatiquement dus au taux appliqué par la Banque centrale européenne à ses principales opérations de refinancement au premier jour du mois au cours duquel la présente décision a été adoptée, majoré de 3,5 points de pourcentage. »

10      S’agissant du calcul du montant des amendes, la Commission a qualifié l’infraction de très grave, eu égard à sa nature, à son impact sur le marché de l’EEE pour les produits concernés, même s’il ne pouvait être mesuré avec précision, et à l’étendue du marché géographique concerné (considérant 288 de la Décision).

11      Afin de tenir compte de l’importance spécifique du comportement illicite de chaque entreprise impliquée dans le cartel, et donc de son impact réel sur la concurrence, la Commission a regroupé les entreprises concernées en trois catégories, en fonction de leur importance relative sur le marché en cause déterminée par leurs parts de marché (considérants 289 à 297 de la Décision).

12      En conséquence, LCL et Morgan, considérés comme étant les deux plus grands opérateurs avec des parts de marché supérieures à 20 %, ont été classés dans la première catégorie. Schunk et la requérante, qui sont des opérateurs moyens avec des parts de marché comprises entre 10 et 20 %, ont été placées dans la deuxième catégorie. Hoffmann et Conradty, considérées comme étant de petits opérateurs en raison de parts de marché inférieures à 10 %, ont été regroupées dans la troisième catégorie (considérants 37 et 297 de la Décision).

13      Sur la base des considérations qui précèdent, la Commission a retenu un montant de départ, déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, de 35 millions d’euros pour LCL et Morgan, de 21 millions d’euros pour Schunk et la requérante et de 6 millions d’euros pour Hoffmann et Conradty (considérant 298 de la Décision).

14      En ce qui concerne la durée de l’infraction, la Commission a estimé que toutes les entreprises concernées avaient commis une infraction de longue durée. En raison d’une durée d’infraction de onze ans et deux mois, la Commission a augmenté le montant de départ retenu à l’encontre de la requérante, de Morgan, de Schunk et de Conradty de 110 %. S’agissant de LCL, la Commission a retenu une durée d’infraction de dix ans et huit mois et a augmenté le montant de départ de 105 %. À l’encontre d’Hoffmann, le montant de départ a été augmenté de 50 % en raison d’une durée d’infraction de cinq ans et un mois (considérants 299 et 300 de la Décision).

15      Le montant de base de l’amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, a donc été fixé à 73,5 millions d’euros en ce qui concerne Morgan, à 71,75 millions d’euros pour LCL, à 44,1 millions d’euros pour la requérante et Schunk, à 12,6 millions d’euros en ce qui concerne Conradty et à 9 millions d’euros pour Hoffmann (considérant 301 de la Décision).

16      La Commission n’a retenu aucune circonstance aggravante ou atténuante à l’encontre ou au bénéfice des entreprises concernées (considérant 316 de la Décision).

17      S’agissant de l’application de la communication sur la coopération, Morgan a bénéficié d’une immunité d’amende pour avoir été la première entreprise à signaler l’existence du cartel à la Commission (considérants 319 à 321 de la Décision).

18      Conformément au point D de ladite communication, la Commission a consenti à LCL une réduction de 40 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération, de 30 % à Schunk et Hoffmann et de 20 % à la requérante, qui a été la dernière à coopérer (considérants 322 à 338 de la Décision).

19      Dans la Décision, sous le titre « Capacité de paiement et autres facteurs », la Commission a, après avoir rejeté l’argumentation de la requérante visant à prouver une incapacité de paiement de l’amende, rappelé qu’elle avait récemment déjà condamné la requérante à trois amendes importantes pour sa participation à d’autres activités collusoires.

20      La Commission a précisé que la requérante s’était vu infliger, par la décision 2002/271/CE, du 18 juillet 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-1/36.490 − Électrodes de graphite) (JO 2002, L 100, p. 1), dans l’affaire dite « des électrodes de graphite » et par la décision 2006/460/CE, du 17 décembre 2002, concernant une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire C.37.667 − Graphites spéciaux) (JO 2006, L 180, p. 20), dans l’affaire dite « des graphites spéciaux », une amende de 80,2 millions d’euros pour sa participation au cartel des électrodes de graphite et à deux amendes d’un montant de 18,94 millions d’euros et de 8,81 millions d’euros, soit un total de 27,75 millions d’euros, pour sa participation à l’entente sur le graphite isostatique et à l’entente sur le graphite extrudé (considérant 358 de la Décision).

21      Tenant compte des graves difficultés financières de la requérante et du fait que les différentes activités collusoires reprochées à celle-ci s’étaient déroulées simultanément, la Commission a estimé que, dans ces conditions particulières, il n’était pas nécessaire, afin de garantir une dissuasion effective, d’infliger à la requérante le montant total de l’amende et l’a donc réduit de 33 %, le ramenant à 23,64 millions d’euros (considérant 360 de la Décision).

 Procédure et conclusions des parties

22      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 février 2004, la requérante a introduit le présent recours.

23      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté, en qualité de président, à la cinquième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

24      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 27 février 2008.

25      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la Décision, dans la mesure où elle la concerne ;

–        à titre subsidiaire, réduire, de manière appropriée, le montant de l’amende infligée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

26      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

27      Par lettre reçue au greffe du Tribunal le 22 février 2008, la requérante a déclaré renoncer aux quatrième, cinquième et sixième moyens mentionnés dans la requête, tirés, respectivement, d’une appréciation erronée par la Commission de sa coopération durant la procédure administrative, de l’absence de prise en compte par la Commission de son manque de capacité contributive et du caractère prétendument disproportionné de l’amende au regard de l’appréciation de la nécessité d’une dissuasion effective.

28      Lors de l’audience, la requérante a confirmé sa renonciation aux moyens susmentionnés et a précisé que les conclusions en annulation de la Décision, formulées dans la requête, devaient être comprises comme visant uniquement à l’annulation de l’article 2 de la Décision par lequel la Commission inflige les amendes aux entreprises concernées. Ces déclarations de la requérante ont été actées au procès-verbal d’audience.

 Sur la détermination du montant de base

29      La requérante soutient que, lors de la fixation du montant de base de l’amende, la Commission a méconnu les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement ainsi que son obligation de motivation.

 Sur la gravité de l’infraction

–       Sur la violation de l’obligation de motivation

30      Il est de jurisprudence constante que la motivation d’une décision individuelle doit faire apparaître, de façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de la motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si elle satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement du libellé de l’acte en cause, mais aussi du contexte dans lequel cet acte a été adopté (voir arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63, et la jurisprudence citée).

31      En ce qui concerne la fixation d’amendes au titre de la violation du droit de la concurrence, la Commission remplit son obligation de motivation lorsqu’elle indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction commise, sans être tenue d’y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C‑279/98 P, Rec. p. I‑9693, points 38 à 47 ; arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 1532). L’indication de données chiffrées relatives au mode de calcul des amendes, pour utiles que soient de telles données, n’est pas indispensable au respect de l’obligation de motivation (arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Salzgitter/Commission, C‑182/99 P, Rec. p. I‑10761, point 75).

32      Pour ce qui est de la motivation des montants de départ en termes absolus, il y a lieu de rappeler que les amendes constituent un instrument de la politique de la concurrence de la Commission qui doit pouvoir disposer d’une marge d’appréciation dans la fixation de leur montant afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T‑150/89, Rec. p. II‑1165, point 59). De plus, il importe d’éviter que les amendes soient facilement prévisibles par les opérateurs économiques. Dès lors, il ne saurait être exigé que la Commission fournisse à cet égard des éléments de motivation autres que ceux relatifs à la gravité et à la durée de l’infraction.

33      En l’espèce, il ressort de la Décision que les amendes ont été imposées en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et que la Commission − quand bien même la Décision ne se réfère pas explicitement aux lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci‑après les « lignes directrices ») − a déterminé le montant des amendes en faisant application de la méthode définie dans les lignes directrices.

34      S’agissant de l’allégation par la requérante d’une insuffisance de motivation de la Décision concernant l’appréciation de la gravité de l’infraction et la fixation du montant de départ, il suffit d’observer qu’il résulte des considérants 277 à 288 de la Décision que la Commission a clairement indiqué les éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction, à savoir sa nature, son impact sur le marché de l’EEE pour les produits concernés et l’étendue du marché géographique concerné, et expliqué, pour chacun de ces éléments, leur application au cas d’espèce.

35      Dans la Décision, la Commission a, ainsi, considéré que :

–        l’infraction en cause avait consisté essentiellement à fixer de façon directe ou indirecte les prix de vente et d’autres conditions de transaction applicables aux clients, à répartir les marchés, notamment par l’attribution de clients, et à mener des actions coordonnées à l’encontre des concurrents qui n’étaient pas membres du cartel, de telles pratiques constituant, par leur nature même, le type d’infraction le plus grave aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE (considérant 278 de la Décision) ;

–        les accords collusoires avaient été mis en oeuvre et avaient eu un impact sur le marché de l’EEE pour les produits concernés, même si cet impact ne pouvait être mesuré avec précision (considérant 286 de la Décision) ;

–        le cartel couvrait l’ensemble du marché commun et, après sa création, l’ensemble de l’EEE (considérant 287 de la Décision).

36      Eu égard à tous ces facteurs, la Commission a estimé que les entreprises concernées avaient commis une infraction très grave, pour laquelle le point 1 A, deuxième alinéa, troisième tiret, des lignes directrices prévoit un montant d’amende envisageable supérieur à 20 millions d’euros.

37      La Commission a, ensuite, précisé que, à l’intérieur de la catégorie des infractions très graves, l’échelle des amendes possibles permettait d’appliquer aux entreprises un traitement différencié afin de tenir compte de leur capacité économique effective à provoquer un dommage important à la concurrence et de fixer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif.

38      Dans le cadre de ce traitement différencié, rendu d’autant plus nécessaire par les différences considérables, en termes d’importance sur le marché, entre les entreprises ayant participé à l’infraction, la Commission a regroupé les entreprises concernées en trois catégories, en fonction de leur importance relative sur le marché en cause déterminée par leurs parts de marché. Eu égard à une part de marché évaluée à 14 %, la requérante a été classée dans la deuxième catégorie (considérants 288 à 297 de la Décision).

39      C’est sur la base des considérations qui précèdent que la Commission a retenu un montant de départ, déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, de 21 millions d’euros pour la requérante (considérant 298 de la Décision).

40      Une telle motivation ne saurait être réduite, comme le fait la requérante, à une répétition pure et simple du texte des lignes directrices et il y a lieu de considérer qu’elle satisfait aux exigences de l’article 253 CE, telle qu’interprété par la jurisprudence rappelée aux points 30 à 32 ci‑dessus.

41      Il s’ensuit que le grief tiré de la violation par la Commission de l’obligation de motivation lors de la fixation du montant de départ de l’amende doit être rejeté.

–       Sur la pratique décisionnelle de la Commission

42      La requérante prétend que les montants de départ fixés en fonction de la gravité de l’infraction sont disproportionnés et/ou discriminatoires en comparaison avec ceux retenus, selon la même procédure, pour d’autres entreprises dans des affaires similaires.

43      Selon une jurisprudence constante, la pratique décisionnelle de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, lequel est uniquement constitué par le règlement n° 17 (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 234), et les décisions concernant d’autres affaires ne revêtent qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence éventuelle d’une discrimination, étant donné qu’il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci, telles que les marchés, les produits, les entreprises et les périodes concernés, soient identiques (arrêts de la Cour du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission, C‑167/04 P, Rec. p. I‑8935, points 201 et 205, et du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C‑76/06 P, Rec. p. I‑4405, point 60).

44      À cet égard, la requérante se contente d’alléguer que les montants de départ fixés par la Commission se situent et se situaient, dans le cas d’ententes sur les prix concernant des marchés d’importance comparable, en général en deçà de 20 millions d’euros et que le montant de départ représente « en moyenne », dans la Décision, 48 % du chiffre d’affaires réalisé par les entreprises sur le marché concerné contre 38,8 % dans l’affaire des électrodes de graphite et 32,2 % dans la décision 1999/60/CE de la Commission, du 21 octobre 1998, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/35.691/E-4 − Conduites précalorifugées) (JO 1999, L 24, p. 1), dans l’ affaire dite « des conduites précalorifugées ». Force est, cependant, de constater que ces considérations d’ordre général et imprécises, s’agissant de références à des données correspondant à des moyennes, ne sont pas de nature à établir l’existence d’un traitement disproportionné et/ou discriminatoire à l’égard de la requérante.

45      La référence plus précise à la décision de la Commission relative à l’affaire des graphites spéciaux, dans laquelle les montants de départ auraient été clairement inférieurs à ceux retenus en l’espèce malgré des parts de marché des entreprises concernées globalement plus élevées, n’est pas davantage pertinente.

46      Ainsi que le souligne à juste titre la Commission, la donnée circonstancielle particulière liée à la taille des marchés concernés permet de différencier l’affaire susvisée de la présente espèce. À supposer même que, comme l’affirme la requérante, les volumes des marchés de l’EEE pour le graphite isostatique et pour les produits extrudés étaient compris, dans le cadre de l’affaire des graphites spéciaux, respectivement, entre 100 et 120 millions d’euros et entre 60 et 70 millions d’euros, ils sont indéniablement et largement inférieurs à la valeur totale du marché de l’EEE pour les produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques, lequel s’élevait à 291 millions d’euros en 1998 (considérant 37 de la Décision).

47      Lors de l’audience, la requérante a, pour la première fois, contesté ce montant de 291 millions d’euros retenu par la Commission en critiquant plus particulièrement le fait que cette dernière avait pris en compte la valeur de la consommation captive dans le calcul du chiffre d’affaires et de la part de marché des entreprises concernées.

48      Le Tribunal estime qu’il s’agit d’un grief nouveau dont la production est interdite en cours d’instance en vertu de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal. La contestation de l’évaluation de la valeur totale du marché concerné, exposée d’ailleurs d’une façon très succincte à l’audience, ne se fonde pas sur des éléments nouveaux qui se seraient révélés au cours de la procédure, le montant de 291 millions d’euros retenu par la Commission et le raisonnement justifiant la prise en compte de la valeur de la consommation captive dans le calcul du chiffres d’affaires et de la part de marché des entreprises concernées étant clairement énoncés aux considérants 37, 291 à 295 de la Décision. La simple allégation de la requérante selon laquelle elle a contesté, dès la requête, la détermination du montant de départ de l’amende ne permet pas de considérer que le grief en cause constitue une ampliation d’un grief énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et présente un lien étroit avec celui-ci. Il doit, partant, être déclaré irrecevable.

49      Il convient encore de rappeler que la Commission dispose d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (arrêt du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T‑229/94, Rec. p. II‑1689, point 127). Le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait donc la priver de la possibilité d’élever, à tout moment, ce niveau pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 109) et pour renforcer l’effet dissuasif des amendes (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T‑327/94, Rec. p. II‑1373, point 179, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, C‑297/98 P, Rec. p. I‑10101).

50      L’allégation de la requérante selon laquelle l’élévation du niveau des amendes n’était précisément pas nécessaire à son égard, compte tenu des sanctions dont elle avait déjà fait l’objet dans des procédures parallèles, relève du débat sur l’appréciation par la Commission de la notion de dissuasion effective, telle que relatée au considérant 359 de la Décision. Or, la requérante a expressément renoncé au moyen dans lequel elle concluait à une appréciation erronée de cette notion par la Commission.

51      Il importe, en tout état de cause, de souligner que c’est à bon droit que la Commission a opéré une distinction, dans le cadre des procédures et des sanctions, entre l’entente relative aux électrodes de graphite, les ententes portant sur le graphite isostatique et sur le graphite extrudé et l’entente relative aux produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques, s’agissant de quatre infractions distinctes aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE.

52      Il s’ensuit qu’il était loisible à la Commission d’infliger à SGL une nouvelle amende, au titre de sa participation à l’entente des produits à base de carbone et de graphite pour applications électriques et mécaniques, destinée à dissuader l’entreprise par une sanction excédant le niveau d’une sanction purement symbolique, étant observé que, dans les circonstances particulières de l’espèce caractérisées par la concomitance partielle des différentes activités collusoires auxquelles a participé la requérante, la Commission a considéré qu’un montant d’amende réduit de 33 % était suffisant pour assurer l’effet dissuasif voulu (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, non publié au Recueil, ci‑après l’« arrêt Tokai II », point 336).

53      Il y a lieu, enfin, de rappeler que, selon la jurisprudence, le pouvoir de la Commission d’infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE ou de l’article 82 CE constitue un des moyens attribués à la Commission en vue de lui permettre d’accomplir la mission de surveillance que lui confère le droit communautaire. Cette mission comprend certainement la tâche d’instruire et de réprimer des infractions individuelles, mais elle comporte également le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 49 supra, point 105, et arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, point 105).

54      Il s’ensuit que la Commission a le pouvoir de décider du niveau du montant des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif lorsque des infractions d’un type déterminé sont encore relativement fréquentes, bien que leur illégalité ait été établie dès le début de la politique communautaire en matière de concurrence, en raison du profit que certaines des entreprises intéressées peuvent en tirer (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, point 49 supra, point 108, et Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 53 supra, point 106).

55      Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence susvisée, l’objectif de dissuasion que la Commission est en droit de poursuivre lors de la fixation du montant d’une amende vise à assurer le respect par les entreprises des règles de concurrence fixées par le traité pour la conduite de leurs activités au sein de la Communauté ou de l’EEE. Il s’ensuit que le caractère dissuasif d’une amende infligée en raison d’une violation des règles de concurrence communautaires ne saurait être déterminé en fonction, seulement, de la situation particulière de l’entreprise condamnée (arrêt Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 53 supra, point 110).

56      Dans le cas présent, qui correspond à un type d’infraction classique au droit de la concurrence et à un comportement dont l’illégalité a été affirmée par la Commission à maintes reprises depuis ses premières interventions en la matière, il était loisible à la Commission de considérer comme nécessaire de fixer le montant de l’amende à un niveau suffisamment dissuasif dans les limites fixées par le règlement n° 17.

57      Il s’ensuit que le grief tiré du traitement disproportionné et/ou discriminatoire de la requérante, en ce qui concerne la fixation du montant de départ de l’amende et au regard de la pratique décisionnelle de la Commission, doit être rejeté.

–       Sur la répartition des membres de l’entente en catégories

58      Il convient de rappeler que, eu égard à la grande disparité de taille entre les entreprises concernées et afin de tenir compte du poids spécifique de chacune d’entre elles et, donc, de l’incidence réelle de son comportement infractionnel sur la concurrence, la Commission a, dans la Décision et conformément au point 1 A, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices, procédé à un traitement différencié des entreprises ayant participé à l’infraction. À cette fin, elle a réparti les entreprises concernées en trois catégories, en s’appuyant sur le chiffre d’affaires réalisé par chaque entreprise pour les produits concernés par la présente procédure à l’échelle de l’EEE, en y incluant la valeur de la consommation captive de chaque entreprise. Il en résulte un chiffre de part de marché qui représente le poids relatif de chaque entreprise dans l’infraction et sa capacité économique effective à causer un dommage important à la concurrence (considérants 289 à 291 de la Décision).

59      La comparaison a été fondée sur les données relatives au chiffre d’affaires (les chiffres sont exprimés en millions d’euros) imputable aux produits en question portant sur la dernière année de l’infraction, à savoir 1998, telles qu’elles ressortaient du tableau 1 figurant au considérant 37 de la Décision et intitulé « Estimation du chiffre d’affaires (y compris la valeur correspondant à l’usage captif) et des parts de marché dans l’EEE, en 1998, pour le groupe de produits faisant l’objet de la procédure » :

Fournisseurs

Chiffre d’affaires (y compris la valeur de l’usage captif)

Part de marché dans l’EEE

(en %)

Conradty

9

3

Hoffmann

17

6

[LCL]

84

29

Morgan

68

23

Schunk

52

18

SGL

41

14

Divers

20

7

Total

291

100


60      En conséquence, LCL et Morgan, considérés comme étant les deux plus grands opérateurs avec des parts de marché supérieures à 20 %, ont été classés dans la première catégorie. Schunk et SGL, qui sont des opérateurs moyens avec des parts de marché comprises entre 10 et 20 %, ont été placées dans la deuxième catégorie. Hoffmann et Conradty, considérées comme étant de petits opérateurs en raison de parts de marché inférieures à 10 %, ont été regroupées dans la troisième catégorie (considérants 37 et 297 de la Décision).

61      Sur la base des considérations qui précèdent, la Commission a retenu un montant de départ, déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, de 35 millions d’euros pour LCL et Morgan, de 21 millions d’euros pour Schunk et SGL et de 6 millions d’euros pour Hoffmann et Conradty (considérant 298 de la Décision).

62      Il y a lieu de souligner le fait que la requérante ne conteste pas en soi la méthode consistant à répartir les membres d’une entente en catégories aux fins de réaliser un traitement différencié au stade de la fixation des montants de départ des amendes. Or, cette méthode, dont le principe a été d’ailleurs validé par la jurisprudence du Tribunal bien qu’elle revienne à ignorer les différences de taille entre entreprises d’une même catégorie (arrêts du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 385, et du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, ci‑après l’« arrêt Tokai I », point 217), entraîne une forfaitisation du montant de départ fixé aux entreprises appartenant à une même catégorie.

63      La requérante s’appuie, au contraire, sur les termes de l’arrêt Tokai I, point 62 supra, pour prétendre que si, comme l’indique le Tribunal au point 223 dudit arrêt, la répartition en catégories doit être effectuée par tranches d’environ 5 % des parts de marché, car cela permet de refléter la proportionnalité des différentes parts de marché sans erreur d’appréciation, l’échelonnement par tranches de 10 % choisi par la Commission en l’espèce est trop approximatif et ne reflète pas les rapports sur le marché.

64      Elle affirme qu’une répartition des entreprises en six catégories avec des tranches de 5 % des parts de marché aurait abouti, à partir d’une prise en compte des parts de marché moyennes par catégorie ou d’une analyse des seuils, à un montant de départ maximal de 15,9 millions d’euros ou de 14 millions d’euros.

65      S’il est constant que, dans l’affaire des électrodes de graphite, la Commission avait réparti les entreprises concernées en trois catégories en procédant par tranches de 5 % des parts de marché, il ne ressort nullement du point 223 de l’arrêt Tokai I, point 62 supra, ni de l’ensemble de la motivation du Tribunal, qu’un tel mode de répartition des membres d’une entente en catégories soit considéré comme le seul permettant de refléter la proportionnalité des différentes parts de marché sans erreur d’appréciation dans toute procédure de sanction d’un cartel diligentée par la Commission.

66      La requérante ne saurait déduire de l’arrêt Tokai I, point 62 supra, le caractère prétendument approximatif ou discriminatoire de la répartition en catégories des entreprises impliquées dans l’entente objet de la Décision par le seul fait que la Commission a, en l’espèce et dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation, suivi une autre méthode de répartition en décidant de créer trois catégories à partir de tranches de 10 % des parts de marché, étant rappelé que le nombre des opérateurs faisant l’objet de la décision dans l’affaire des électrodes de graphite et la répartition de leurs parts de marché étaient différents de ceux caractérisant la présente espèce.

67      Il y a lieu, au demeurant, de relever que le raisonnement de la requérante aboutit, dans le cas présent, à la création de six catégories, fondées sur des tranches de 5 % des parts de marché (de 0 à 5 % jusqu’à 25 à 30 %), ne comportant chacune qu’une seule entreprise, ce qui contredit le principe même d’une catégorisation.

68      Il n’en demeure pas moins que la répartition en catégories à laquelle la Commission a procédé dans la Décision doit respecter le principe d’égalité de traitement selon lequel il est interdit de traiter des situations comparables de manière différente et des situations différentes de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Par ailleurs, selon la jurisprudence, le montant des amendes doit, au moins, être proportionné par rapport aux éléments pris en compte pour apprécier la gravité de l’infraction (voir arrêt Tokai I, point 62 supra, point 219, et la jurisprudence citée).

69      Pour vérifier si une répartition des membres d’une entente en catégories est conforme aux principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, le Tribunal, dans le cadre de son contrôle de la légalité de l’exercice du pouvoir d’appréciation dont la Commission dispose en la matière, doit toutefois se limiter à contrôler que cette répartition est cohérente et objectivement justifiée (arrêts CMA CGM e.a./Commission, point 62 supra, point 416, et arrêt Tokai I, point 62 supra, points 220 et 222).

70      Il y a lieu, à cet égard, de considérer qu’une répartition des entreprises en trois catégories, les grands, moyens et petits opérateurs, est une manière non déraisonnable de prendre en compte leur importance relative sur le marché afin de fixer le montant de départ, pour autant qu’elle n’aboutisse pas à une représentation grossièrement déformée du marché en cause. Il convient, en outre, de relever que, avec des taux de 3, 6, 14, 18, 23 et 29 %, les parts de marché des membres de l’entente se répartissent de façon relativement équilibrée sur une échelle de 0 à 30 et que la méthode de la Commission consistant à fixer les seuils des catégories à 10 et à 20 % ne peut, a priori, être considérée comme dépourvue de cohérence interne.

71      S’agissant de la première catégorie, la Commission y a regroupé les entreprises LCL et Morgan et a retenu un montant de départ de 35 millions d’euros. Contrairement aux affirmations de la requérante, ce choix de la Commission ne saurait être qualifié d’arbitraire et ne dépasse pas les limites du large pouvoir d’appréciation dont elle dispose en la matière.

72      Il y a lieu de souligner, premièrement, que la fixation du montant de départ de 35 millions d’euros au considérant 298 de la Décision constitue la conclusion de l’analyse menée par la Commission, telle qu’elle est exposée aux considérants 277 à 297 de la Décision, dans le cadre de laquelle elle a, d’une part, qualifié l’infraction en tant que telle en tenant compte d’éléments objectifs, à savoir la nature même de l’infraction, son impact sur le marché et l’étendue géographique de ce marché et, d’autre part, pris en compte des éléments subjectifs, à savoir le poids spécifique de chacune des entreprises impliquées dans l’entente et, partant, l’incidence réelle de leur comportement illicite sur la concurrence. C’est dans le cadre de cette seconde partie de son analyse qu’elle a, notamment, poursuivi l’objectif d’assurer un niveau dissuasif de l’amende, au regard du poids relatif de chaque entreprise dans l’infraction et de sa capacité économique effective à causer un dommage important à la concurrence sur le marché en cause. Au terme de son évaluation de la gravité de l’infraction, la Commission a fixé directement un montant de départ, en l’occurrence de 35 millions d’euros pour LCL et Morgan, tenant compte de l’ensemble des éléments précités, y compris de l’objectif de dissuasion.

73      Il doit être relevé, deuxièmement, que, en ce qui concerne spécifiquement les infractions devant être qualifiées de « très graves », les lignes directrices se limitent à indiquer que les montants d’amendes envisageables vont « au-delà de 20 millions d’[euros] ». Les seuls plafonds mentionnés dans les lignes directrices qui soient applicables en ce qui concerne de telles infractions sont la limite générale de 10 % du chiffre d’affaires global fixée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 [voir préambule et point 5, sous a), des lignes directrices] – dont la violation n’est pas alléguée en l’espèce – et les plafonds relatifs au montant additionnel pouvant être retenu au titre de la durée de l’infraction (voir point 1 B, premier alinéa, deuxième et troisième tirets, des lignes directrices). Rien, dans les lignes directrices, ne s’oppose, pour une infraction « très grave », à une augmentation d’un niveau en valeur absolue identique à celle appliquée par la Commission en l’espèce.

74      Il convient de considérer, troisièmement, que, contrairement à ce que soutient la requérante, ce serait attribuer à l’élément tenant au chiffre d’affaires des produits en cause une importance excessive que de limiter l’appréciation du caractère proportionné du montant de départ de l’amende retenu par la Commission à la mise en relation entre ledit montant et le chiffre d’affaires susvisé. La nature propre de l’infraction, l’impact concret de celle-ci, l’étendue géographique du marché affecté et la nécessaire portée dissuasive de l’amende sont autant d’éléments, en l’espèce pris en considération par la Commission, pouvant justifier le montant susmentionné. À cet égard, la Commission a retenu, à juste titre, la qualification d’infraction « très grave », dans la mesure où la requérante a participé à une entente horizontale ayant eu pour objet essentiellement de fixer de façon directe ou indirecte les prix de vente et d’autres conditions de transaction applicables aux clients, de répartir les marchés, notamment par l’attribution de clients, et de mener des actions coordonnées à l’encontre des concurrents qui n’étaient pas membres du cartel et qui a eu un impact concret sur le marché des produits en cause dans l’EEE.

75      Il importe, quatrièmement, de souligner que les chiffres d’affaires pertinents de LCL et de Morgan s’élevaient, respectivement, à 84 millions et à 68 millions d’euros, leurs parts de marché s’établissant, respectivement, à 29 et à 23 %. C’est donc à juste titre que la Commission a estimé qu’il convenait de ranger ces deux entreprises dans une même catégorie cohérente avec un chiffre d’affaires moyen de 76 millions d’euros et une part de marché moyenne d’environ 26 %.

76      La composition de la première catégorie ainsi que le montant de départ correspondant pouvant dès lors être considérés comme étant cohérents et objectivement justifiés, il y a lieu d’examiner si la deuxième catégorie, composée de la requérante et de Schunk, a elle aussi été constituée de manière cohérente et objectivement justifiée.

77      La requérante prétend que si, conformément à la motivation de l’arrêt Tokai I, point 62 supra, le rapport respectif des différentes parts de marché entre elles doit se refléter dans les montants de départ fixés pour les différentes catégories, il y a lieu nécessairement de comparer « la part de marché la plus élevée de la catégorie la plus haute avec la part de marché la moins élevée de la catégorie la plus basse ». Le ratio entre ces deux parts de marché devrait au moins correspondre à l’écart relatif entre les parts de marché absolues. Le ratio entre les parts de marché de LCL et de la requérante étant de 2,07, le montant de départ de l’amende de cette dernière, ainsi que de l’autre entreprise de la deuxième catégorie, aurait donc dû refléter ce ratio et être fixé, tout au plus, à 16,9 millions d’euros.

78      Il importe de souligner, à nouveau, les différences entre l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Tokai I, point 62 supra, et la présente espèce, au regard du nombre des opérateurs concernés, de la répartition des parts de marché et du fait que, dans l’affaire des électrodes de graphite, la Commission avait choisi d’appliquer une méthode arithmétique spécifique consistant à procéder par tranches d’environ 5 % des parts de marché, chaque tranche correspondant à un montant d’environ 8 millions d’euros. Dans l’arrêt Tokai I, point 62 supra (point 232), le Tribunal a contrôlé la cohérence de cette méthode de différentiation en indiquant que, dès lors qu’elle a volontairement choisi d’appliquer une telle méthode arithmétique, la Commission est liée aux règles inhérentes à celle-ci, sauf justification explicite, au regard de tous les membres d’une même entente.

79      En tout état de cause, rien n’indique, dans l’arrêt Tokai I, point 62 supra, que le rapport entre les montants de départ des amendes fixés dans le cadre d’une répartition des membres de l’entente en catégories doit être déterminé en fonction du rapport qui existe entre la part de marché de l’entreprise « la plus grande » de la catégorie la plus élevée et celle de l’entreprise « la plus petite » de la catégorie la plus basse.

80      L’analyse de la requérante consistant à isoler sa part de marché et à la comparer exclusivement avec celle de LCL afin de déterminer le rapport entre les montants de départ retenus contre elle et LCL, qui serait ensuite applicable aux deux entreprises de la deuxième catégorie, revient, en réalité, à nier le principe de la répartition par catégories et la forfaitisation des montants de départ qu’il implique, admis par la jurisprudence.

81      À l’inverse, la prise en compte des données moyennes des entreprises d’une même catégorie révèle que la répartition par catégories opérée dans la Décision est cohérente et objectivement justifiée.

82      Le chiffre d’affaires moyen et la part de marché moyenne de LCL et de Morgan (première catégorie) étaient de 76 millions d’euros et de 26 %, tandis que ces mêmes données se situaient à 46,5 millions d’euros et 16 % pour Schunk et la requérante (deuxième catégorie). Le ratio entre les deux valeurs moyennes s’établit ainsi à 1,634 (pour le chiffre d’affaires) et à 1,625 (pour la part de marché).

83      Ces ratios sont très proches du ratio entre le montant de départ pour la première catégorie (35 millions d’euros) et celui de la deuxième catégorie (21 millions d’euros), qui est de 1,66. Par conséquent, ce ratio ne désavantage pas la requérante, mais l’avantage au contraire, puisque le ratio entre les deux valeurs moyennes est de 1,634 (pour le chiffre d’affaires) et de 1,625 (pour la part de marché).

84      S’agissant de la troisième catégorie, composée d’Hoffmann et de Conradty, le chiffre d’affaires moyen et la part de marché moyenne de ces entreprises étaient de 13 millions d’euros et de 4,5 %. Compte tenu des données relatives à LCL et à Morgan (première catégorie), le ratio entre les deux valeurs moyennes s’établit à 5,846 (pour le chiffre d’affaires) et à 5,777 (pour la part de marché). Ces ratios sont très proches, là encore, du ratio entre le montant de départ pour la première catégorie (35 millions d’euros) et celui de la troisième catégorie (6 millions d’euros) qui est de 5,83.

85      En ce qui concerne la comparaison des entreprises regroupées dans la deuxième et la troisième catégorie, le ratio entre les deux valeurs moyennes s’établit à 3,576 (pour le chiffre d’affaires) et à 3,555 (pour la part de marché), ce qui correspond à peu de choses près au ratio entre le montant de départ pour la deuxième catégorie (21 millions d’euros) et celui de la troisième catégorie (6 millions d’euros) qui est de 3,5.

86      Il convient de relever que, dans la réplique, la requérante soutient qu’une appréciation fondée sur la moyenne conduit également à un résultat discriminatoire et disproportionné et fait valoir, à ce titre, que la Commission a retenu un montant de départ pour LCL et Hoffmann représentant, respectivement, 1,207 million d’euros et 1 million d’euros par point de part de marché (35 : 29 = 1,207 et 6 : 6 = 1), ce qui, transposé à sa situation, aurait dû aboutir à un montant de départ de 16,9 millions d’euros ou de 14 millions d’euros.

87      Il suffit de constater que, ce faisant, la requérante ne fait que reprendre, sous une autre formulation, son argumentation résumée au point 77 ci-dessus et fondée sur l’exigence d’un strict respect de la proportionnalité dans les rapports entre chacune des entreprises.

88      Ainsi qu’il a été exposé, cette argumentation revient à nier le principe de la répartition par catégories des entreprises, tel que mis en oeuvre par la Commission dans la Décision et admis par la jurisprudence, et ne peut être retenue par le Tribunal, sauf à démontrer que le classement de la requérante dans la deuxième catégorie est contraire aux principes de proportionnalité et d’égalité de traitement.

89      Dans le cadre de son argumentation, la requérante fait précisément valoir que son classement dans la même catégorie que Schunk aboutit à une inégalité de traitement à son détriment dans la mesure où cette dernière détient une part de marché de 18 %, représentant un chiffre d’affaires supérieur au sien d’environ 12 millions d’euros.

90      Il convient de rappeler que Schunk et la requérante ont été classées dans une même catégorie avec des parts de marchés de 18 et 14 % représentant des chiffres d’affaires sur le marché concerné de 52 et 41 millions d’euros, ce qui les situait clairement dans la tranche des entreprises dont les parts de marché sont comprises entre 10 et 20 %.

91      Il importe de souligner que la différence de taille entre Schunk et la requérante, appartenant à une même catégorie, est moins importante que celle entre la requérante et Hoffmann, relevant de deux catégories différentes. La part de marché de la requérante (14 %) était plus proche de celle de Schunk (18 %) que de celle du plus important opérateur de la troisième catégorie (Hoffmann, 6 %), 4 et 8 points de pourcentage la séparant respectivement de l’une et de l’autre. L’écart limité entre Schunk et la requérante (4 points de pourcentage), compte tenu de la part de marché non particulièrement élevée de Schunk, a ainsi permis à la Commission, en toute cohérence et en toute objectivité et donc sans violer les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, de traiter la requérante à l’instar de Schunk, et à la différence de Hoffmann et de Conradty, comme un opérateur moyen et, partant, de fixer pour elle le même montant de départ que pour Schunk, supérieur au montant de départ imposé à Hoffmann et à Conradty qui avaient une position très marginale sur le marché en cause (6 et 3 %).

92      Il y a lieu encore de rappeler que, même si, en raison de la répartition en catégories, certaines entreprises se voient appliquer un montant de départ identique alors qu’elles ont des tailles différentes, il convient de conclure que ladite différence de traitement est objectivement justifiée par la prééminence accordée à la nature de l’infraction par rapport à la taille des entreprises lors de la détermination de la gravité de l’infraction (voir arrêt CMA CGM e.a./Commission, point 62 supra, point 411, et la jurisprudence citée).

93      La requérante prétend, enfin, que la répartition par catégories opérée par la Commission est erronée dans la mesure où cette dernière aurait dû additionner les parts de marché de Schunk et d’Hoffmann, les entreprises devant être considérées telles qu’elles se présentent au moment de l’adoption de la décision infligeant une amende. Dans ces circonstances, la requérante aurait dû être classée dans une troisième catégorie, correspondant à une part de marché de moins de 20 %, la première et la deuxième catégorie étant respectivement constituées par LCL, avec une part de marché de plus de 25 %, et par Schunk et Hoffmann avec une part de marché totale comprise entre 20 et 25 %, en l’occurrence 24 %. Dès lors, conformément à la pratique décisionnelle de la Commission, le montant de départ retenu à l’encontre de la requérante aurait dû être inférieur de 17,5 à 13 millions d’euros à celui qui a été retenu en l’espèce.

94      Il convient de rappeler que la Commission a retenu la responsabilité spécifique de Hoffmann en raison du fait que cette entreprise a participé, de manière autonome, à l’infraction de septembre 1994 à octobre 1999, étant précisé que Schunk n’a pris le contrôle de Hoffmann que le 28 octobre 1999.

95      Conformément à cette appréciation, qui n’est pas directement remise en cause par la requérante, la Commission a réparti les entreprises concernées, y compris Hoffmann, en trois catégories, en s’appuyant sur le chiffre d’affaires réalisé par chaque entreprise pour les produits concernés par la présente procédure à l’échelle de l’EEE, en y incluant la valeur de la consommation captive de chaque entreprise. Il en résulte un chiffre de part de marché qui représente le poids relatif de chaque entreprise dans l’infraction et sa capacité économique effective à causer un dommage important à la concurrence.

96      La comparaison a été fondée sur les données relatives au chiffre d’affaires imputable aux produits en question portant sur la dernière année de l’infraction, à savoir 1998, ce que conteste la requérante en prétendant, au nom du respect du principe d’égalité de traitement, que la Commission aurait dû apprécier la situation des entreprises au jour où l’amende a été infligée et, conséquemment, additionner les parts de marché de Schunk et d’Hoffmann.

97      Outre que cette argumentation revient à remettre en cause la responsabilité autonome de Hoffmann, telle que retenue par la Commission dans la Décision, elle doit, être rejetée comme dépourvue de tout fondement.

98      Il convient de relever que le grief de la requérante concerne une étape du calcul du montant de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction au cours de laquelle la Commission module le montant d’amende envisageable de plus de 20 millions d’euros, déterminé par la qualification d’infraction « très grave », en prenant en compte le poids spécifique de chacune des entreprises impliquées dans l’entente et, donc, l’incidence réelle de leur comportement infractionnel sur la concurrence.

99      Or, s’agissant de la détermination de l’ampleur de l’infraction sur le marché et de la part de responsabilité qui en incombe à chaque participant à l’entente, il a été jugé que la part du chiffre d’affaires provenant des marchandises faisant l’objet de l’infraction est de nature à donner une juste indication de l’ampleur d’une infraction sur le marché concerné (voir, notamment, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 49 supra, point 121, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T‑347/94, Rec. p. II‑1751, point 369). En particulier, ainsi que l’a souligné le Tribunal, le chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet d’une pratique restrictive constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la nocivité de cette pratique pour le jeu normal de la concurrence (arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, British Steel/Commission, T‑151/94, Rec. p. II‑629, point 643).

100    C’est donc à juste titre que la Commission a pris en considération, à cette occasion, le chiffre d’affaires réalisé avec les produits en cause et la part de marché dans l’EEE de chacune des entreprises présentes sur le marché concerné en 1998, lors de la dernière année civile complète de l’infraction, et non la situation desdites entreprises au jour de l’adoption de la Décision, quatre ans après la fin de l’infraction.

101    Il résulte des considérations qui précèdent que l’ensemble des griefs relatifs à la répartition des membres de l’entente en catégories opérée par la Commission dans la Décision doivent être rejetés.

 Sur la durée de l’infraction

102    Conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la durée de l’infraction constitue l’un des éléments à prendre en considération pour déterminer le montant de l’amende à infliger aux entreprises coupables d’infractions aux règles de concurrence.

103    En ce qui concerne le facteur relatif à la durée de l’infraction, les lignes directrices établissent une distinction entre les infractions de courte durée (en général inférieure à un an), pour lesquelles le montant de départ retenu au titre de la gravité ne devrait pas être majoré, les infractions de moyenne durée (en général de un à cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré de 50 %, et les infractions de longue durée (en général au-delà de cinq ans), pour lesquelles ce montant peut être majoré pour chaque année de 10 % (point 1 B, premier alinéa, premier à troisième tiret).

104    Il est constant que la requérante a participé à l’entente d’octobre 1988 à décembre 1999, soit une période infractionnelle de onze ans et deux mois correspondant à une infraction de longue durée, et que le montant de départ de son amende a, en conséquence, été majoré de 110 % au titre de la durée de l’infraction.

105    La requérante soutient que cette majoration de 110 % est disproportionnée et contredit tant la méthode de calcul des amendes prévue par les lignes directrices que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission.

106    S’agissant, premièrement, de la prétendue méconnaissance des lignes directrices, la requérante prétend, tout à la fois et de manière contradictoire, que la majoration contestée revient à vider de sens l’étape préalable de l’appréciation de la gravité de l’infraction et à prendre en compte une deuxième fois cette même gravité dans la mesure où les ententes sur les prix, qualifiées par la Commission d’infraction « très grave », sont par nature des infractions de longue durée.

107    La première allégation de la requérante constitue une pure affirmation de principe dénuée de toute pertinence. Il suffit d’observer que, au terme de son appréciation de la gravité de l’infraction, la Commission a fixé un montant de départ, en l’occurrence de 21 millions d’euros pour la requérante. Cette première étape acquise, la Commission a pris en considération la durée de l’infraction et a majoré, compte tenu de la longue durée de cette dernière, le montant de départ préalablement défini. Le seul fait que le montant additionnel d’amende représente une majoration de plus de 100 % du montant de départ ne signifie nullement que la fixation du montant de départ en fonction de la gravité de l’infraction soit vidée de sens.

108    La seconde allégation n’est pas davantage fondée en ce qu’elle repose sur la prémisse erronée d’une corrélation nécessaire entre la nature de certaines infractions et leur durée et aboutit à une confusion des critères de gravité et de durée prévus par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

109    À supposer même que les ententes sur les prix soient intrinsèquement conçues pour durer, il ne saurait être interdit à la Commission de tenir compte de leur durée effective dans chaque cas d’espèce. En effet, certaines ententes, malgré une longévité projetée, sont détectées par la Commission ou dénoncées par un participant après une courte durée de fonctionnement effectif. Leur effet préjudiciable est nécessairement moindre que dans l’hypothèse où elles auraient effectivement été mises en œuvre pendant une longue durée. Par conséquent, il importe de toujours faire une distinction, en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, entre la durée effective des infractions et leur gravité telle qu’elle résulte de leur nature propre (arrêts Tokai I, point 62 supra, point 259, et Tokai II, point 52 supra, point 275).

110    La Commission était donc autorisée à annoncer, au point 1 B, troisième alinéa, des lignes directrices, que la majoration pour les infractions de longue durée serait désormais considérablement renforcée par rapport à la pratique antérieure en vue de sanctionner réellement les restrictions « qui ont produit durablement leurs effets nocifs » à l’égard des consommateurs (arrêt Tokai I, point 62 supra, point 260).

111    Par ailleurs, le point 1 B, premier alinéa, troisième tiret, des lignes directrices ne prévoit pas une majoration automatique de 10 % par an pour les infractions de longue durée, mais laisse, à cet égard, une marge d’appréciation à la Commission. Il résulte clairement des considérants 299 et 300 de la Décision que la Commission a exercé son pouvoir d’appréciation en décidant d’augmenter les montants de départ des amendes de 10 % pour chaque année complète de l’infraction et de 5 % supplémentaires pour chaque période supplémentaire supérieure à six mois, mais inférieure à un an, et ce compte tenu de l’importance de la période infractionnelle, bien supérieure au délai de cinq ans qui marque le terme de la catégorie des infractions dites de « moyenne durée ».

112    Le fait que la Commission a retenu le principe d’une majoration de 10 % par an pour toutes les entreprises ayant participé à l’infraction qualifiée, à juste titre, d’infraction de longue durée n’est en rien contraire aux lignes directrices et l’argumentation de la requérante relative à la violation d’un « principe de majoration dégressive des peines » en cas d’infractions de longue durée, dont l’existence en droit communautaire n’est pas démontrée, méconnaît le caractère continu de l’infraction, retenu par la Commission en combinaison avec le caractère unique de celle-ci, et qui n’est pas contesté par la requérante.

113    Rien ne s’oppose, dès lors, à ce que la Commission ait, en application des règles qu’elle s’est imposées dans les lignes directrices, augmenté de 110 %, au titre d’une durée d’infraction de onze ans et deux mois, le montant de départ de l’amende de la requérante. De plus, cette augmentation de 110 % ne peut être considérée comme manifestement disproportionnée eu égard à la longue durée de l’infraction.

114    S’agissant, deuxièmement, de la prétendue méconnaissance de la pratique décisionnelle de la Commission, il convient de rappeler que cette pratique ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence, lequel est uniquement constitué par le règlement n° 17 (arrêt LR AF 1998/Commission, point 43 supra, point 234), et que les décisions concernant d’autres affaires ne revêtent qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence éventuelle d’une discrimination, étant donné qu’il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci, telles que les marchés, les produits, les entreprises et les périodes concernés, soient identiques (arrêts JCB Service/Commission, point 43 supra, points 201 et 205, et Britannia Alloys & Chemicals/Commission, point 43 supra, point 60).

115     À cet égard, la requérante fait référence à trois décisions de la Commission dans lesquelles cette dernière a augmenté le montant de départ de l’amende en prenant en compte la durée de l’infraction à partir seulement de la deuxième année de la période infractionnelle, et ce dans la mesure où les lignes directrices ne prévoient des majorations d’amende que pour des périodes dépassant une durée d’infraction considérée comme « moyenne ».

116    Il convient, toutefois, d’observer que les affaires citées par la requérante ne présentent pas de caractère comparable avec la présente affaire.

117    Ainsi, dans la décision relative à l’affaire des conduites précalorifugées et dans la décision 2001/135/CE de la Commission, du 5 juillet 2000, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (Affaire COMP.F.1. 36.516 – Nathan-Bricolux) (JO 2001, L 54, p. 1), la Commission a pris en considération le fait que, contrairement à la présente affaire, les restrictions en cause n’avaient pas été mises en œuvre de manière systématique au cours de la période litigieuse.

118    Dans la décision 2001/418/CE, du 7 juin 2000, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/36.545/F3 − Acides aminés) (JO 2001, L 152, p. 24), la Commission a sanctionné plusieurs entreprises pour leur participation à une entente sur le marché de la lysine. La Commission avait posé le principe d’une augmentation de 10 % par année d’infraction, mais ne l’avait pas appliqué de manière uniforme, sans fournir d’explication à ce propos. Le Tribunal a, dans l’arrêt du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission (T‑220/00, Rec. p. II‑2473, points 130 à 139), corrigé la situation en diminuant la majoration retenue au titre de la durée au profit de l’entreprise qui s’était vu appliquer le principe d’une augmentation de 10 % par an.

119    En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que le respect du principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (arrêt de la Cour du 4 juillet 1985, Williams/Cour des comptes, 134/84, Rec. p. 2225, point 14 ; arrêts du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, point 49 supra, point 160, et LR AF 1998/Commission, point 43 supra, point 367).

120    Or, contrairement aux affirmations de la requérante, il ne résulte pas des dispositions du point 1 B des lignes directrices que la première année d’infraction ne doit pas être prise en compte. En effet, il est seulement prévu, à cet égard, que, pour les infractions de courte durée, en général d’une durée inférieure à un an, aucune majoration n’est appliquée. En revanche, une majoration est pratiquée pour les infractions d’une durée supérieure, majoration qui peut être fixée pour « chaque année » à 10 % du montant de départ lorsque, comme en l’espèce, l’infraction a duré plus de cinq ans (arrêt Cheil Jedang/Commission, point 118 supra, point 133).

121    Il s’ensuit que le grief tiré du traitement disproportionné et/ou discriminatoire de la requérante, en ce qui concerne la fixation de la majoration du montant de départ de l’amende au titre de la durée de l’infraction et au regard de la pratique décisionnelle de la Commission, doit être rejeté.

 Sur la limite maximale de l’amende prévue à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17

 Sur la non-application à la requérante du plafond de 10 % du chiffre d’affaires mondial

122    L’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 prévoit que les amendes infligées par la Commission à des entreprises ayant enfreint l’article 81 CE ou l’article 82 CE peuvent être portées à « dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction ».

123    La requérante soutient, premièrement, que la Commission a violé l’article précité, car elle aurait dû, en l’espèce, réduire d’office le montant de base de l’amende en application de cet article, et ce compte tenu des amendes, qu’il s’agisse du montant de base ou du montant final, dont elle a déjà fait l’objet dans les affaires des électrodes de graphite et des graphites spéciaux, le cumul total de ces amendes, y compris celle imposée dans la Décision, dépassant nettement les 10 % de son chiffre d’affaires mondial. Cette solution serait dictée par l’objectif du plafond de 10 %, fixé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, qui est de protéger l’entreprise d’une amende excessive pouvant mettre en péril son existence économique.

124    Il convient de préciser que, si la Commission est libre d’apprécier, sous le contrôle du Tribunal, l’octroi de réductions des amendes au titre de la communication sur la coopération au regard des circonstances de chaque affaire, elle est, en revanche, dans l’obligation de respecter le plafond de 10 %. La Commission ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire dans la mise en œuvre du plafond de 10 %, laquelle est liée uniquement à l’importance du chiffre d’affaires visé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. Ainsi que le souligne l’avocat général M. Tizzano dans ses conclusions sous l’arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission (C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, I‑5439, point 125), « par définition, un plafond représente une limite absolue s’appliquant automatiquement dès lors que l’on atteint un seuil déterminé, et indépendamment de tout autre élément d’appréciation ».

125    Dans le cas présent, le montant de base de l’amende, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, a été fixé à 44,1 millions d’euros en ce qui concerne la requérante, montant demeuré inchangé après l’examen par la Commission d’éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes, aucune de ces circonstances n’ayant été retenue à la charge ou en faveur de la requérante. Or, ce montant de 44,1 millions d’euros est manifestement inférieur à la limite des 10 % du chiffre d’affaires global de ladite entreprise qui s’élevait à 1 112 millions d’euros pour l’année 2002. Aucune réduction du montant de base de l’amende ne pouvait, dès lors, être accordée à la requérante et la Commission a fait une juste application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

126    L’argumentation de la requérante rappelée au point 123 ci-dessus méconnaît le libellé clair de l’article précité dont il résulte que le plafond de 10 % s’applique séparément à chaque infraction sanctionnée par la Commission (arrêt Tokai II, point 52 supra, point 377). Il y a lieu, à cet égard, de rappeler que, pour déterminer le montant de l’amende à l’intérieur des limites fixées par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, ce dernier prescrit la prise en considération de la gravité et de la durée de « l’infraction ».

127    Interprétant la référence expresse au chiffre d’affaires de l’entreprise, le juge communautaire a indiqué que la limite supérieure de 10 % prévue vise à éviter que les amendes soient disproportionnées par rapport à l’importance de l’entreprise et, comme seul le chiffre d’affaires global peut effectivement donner une indication approximative à cet égard, il convient de comprendre ce pourcentage comme se référant au chiffre d’affaires global (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 49 supra, point 119). La définition ainsi fournie de l’objectif du plafond de 10 % est, toutefois, indissociable des termes et de la portée de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 rappelés au point précédent et cet objectif n’est pas de nature à fonder une interprétation de l’article précité, telle que celle avancée par la requérante, contraire à son libellé.

128    À l’appui de son grief, la requérante fait également référence à la décision 2003/2/CE de la Commission, du 21 novembre 2001, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-1/37.512 – Vitamines) (JO 2003, L 6, p. 1), dans laquelle la Commission a considéré que deux entreprises avaient chacune commis huit infractions à l’article 81 CE et infligé en conséquence huit amendes à celles-ci. Il convient, à cet égard, de relever que le montant de chacune de ces huit amendes respecte le plafond de 10 % et que l’observation de la requérante selon laquelle la somme des amendes infligées à chaque entreprise était inférieure à 10 % du chiffre d’affaires global de ladite entreprise n’est pas de nature à établir une violation par la Commission, dans le cas présent, de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

129    La requérante prétend, deuxièmement, que la Commission a, en substance, commis un détournement de pouvoir. La Commission aurait cherché à se soustraire au respect de la limite supérieure de 10 % en sanctionnant séparément dans trois décisions distinctes un comportement contraire au droit de la concurrence s’étendant sur une même période.

130    Interrogée lors de l’audience sur la portée exacte de cette allégation, la requérante a indiqué qu’elle n’entendait pas soutenir que les ententes visées dans les affaires des électrodes de graphite et des graphites spéciaux et celle ayant donné lieu à l’adoption de la Décision constituaient en réalité une seule et même infraction.

131    Il importe de souligner, à ce stade, qu’il était loisible à la Commission d’infliger à la requérante quatre amendes distinctes, respectant chacune les limites fixées par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à condition qu’elle ait commis quatre infractions distinctes aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE, étant rappelé que, dans l’affaire des graphites spéciaux, la Commission a engagé une seule procédure qui a conduit à l’adoption d’une décision unique constatant l’existence de deux infractions distinctes, concernant l’une le marché du graphite spécial isostatique et l’autre le marché du graphite spécial extrudé, et infligeant à la requérante deux amendes distinctes.

132    Dans ces circonstances, l’argumentation de la requérante relative à un prétendu « contournement illégal » du plafond prévu par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 est dépourvue de toute pertinence. En effet, ainsi que l’indique à juste titre la Commission, il est indifférent, pour l’application du plafond susmentionné, que des infractions différentes aux règles de concurrence soient sanctionnées au cours d’une procédure unique ou au cours de procédures séparées, décalées dans le temps, la limite supérieure de 10 % s’appliquant à chaque infraction à l’article 81 CE.

133    Les considérations générales de la requérante portant sur le fait que l’attitude de la Commission en l’espèce aurait un effet démoralisant pour l’entreprise, placée dans l’impossibilité d’assainir ses finances, et soumise à une dénonciation publique constante, source d’un préjudice supplémentaire sous la forme d’une atteinte à la réputation, sont également dépourvues de toute pertinence au regard des exigences de preuve de la violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ou du détournement de pouvoir prétendument commis par la Commission.

134    Il convient, enfin, de relever que la Commission a accordé à la requérante une réduction du montant de l’amende de 33 % en tenant compte de ses graves difficultés financières et du fait qu’elle avait été récemment condamnée, dans les affaires des électrodes de graphite et des graphites spéciaux, à des amendes importantes pour sa participation à des activités collusoires qui se sont déroulées de manière concomitante.

 Sur l’application prétendument discriminatoire du plafond de 10 % au profit d’Hoffmann

135    Il convient de relever que la requérante ne prétend pas avoir été dans une situation analogue à celle d’Hoffmann, mais que la Commission a fait une application irrégulière du plafond de 10 % au profit d’Hoffmann, en prenant en compte un chiffre d’affaires global erroné. Elle expose qu’Hoffmann a été acquise par Schunk le 28 octobre 1999 et que la somme des montants de base retenus contre les deux entreprises (53,1 millions d’euros) représentait moins de 10 % de leur chiffre d’affaires cumulé en 2002 (624,4 millions d’euros), situation interdisant toute réduction du montant de l’amende en application du plafond de 10 %.

136    Dans la mesure où la requérante invoque une réduction illégale du montant de l’amende obtenue par Hoffmann et à supposer même que la Commission ait indûment accordé une réduction à cette entreprise par une application incorrecte du plafond de 10 %, il y a lieu de rappeler que le respect du principe d’égalité de traitement allégué par la requérante doit se concilier avec le respect du principe de légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (arrêt Williams/Cour des comptes, point 119 supra, point 14 ; arrêts du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, point 49 supra, point 160, et LR AF 1998/Commission, point 43 supra, point 367).

137    Il convient de rappeler, à titre surabondant, que la Commission doit, aux fins de l’application du plafond de 10 %, tenir compte du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée, à savoir l’entreprise qui s’est vu imputer l’infraction et qui, de ce fait, a été déclarée responsable et s’est vu notifier la décision infligeant l’amende (arrêt du Tribunal du 4 juillet 2006, Hoek Loos/Commission, T‑304/02, Rec. p. II‑1887, point 116).

138    Or, il est constant, en l’espèce, que la Commission a considéré qu’Hoffmann avait enfreint l’article 81 CE en ayant pris part de façon autonome et sous sa propre responsabilité à l’entente de septembre 1994 à octobre 1999, c’est-à-dire avant son acquisition par Schunk. En outre, après cette acquisition, Hoffmann a conservé sa personnalité juridique, ainsi que des activités et des actifs suffisants, même si elle est à présent dirigée par Schunk (considérant 256 de la Décision). Partant, c’est à juste titre que la Commission a considéré qu’Hoffmann devait elle-même être tenue pour responsable de l’infraction qu’elle avait commise avant sa reprise par Schunk et qu’elle s’est uniquement fondée sur le chiffre d’affaires d’Hoffmann pour l’application de la limite de 10 % du chiffre d’affaires mentionnée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17.

139    Il s’ensuit que les griefs tirés d’une application erronée ou discriminatoire et d’un « contournement illégal » de la limite de 10 % du chiffre d’affaires mentionnée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 doivent être rejetés.

 Sur les intérêts moratoires

140    La requérante souligne que, à la suite de la notification de la Décision et de l’expiration d’un délai de trois mois, le montant de l’amende demeuré impayé produit automatiquement des intérêts de retard au taux de 5,5 %, soit le taux de refinancement de la Banque centrale européenne (BCE), de 2 % à la date pertinente, majoré de 3,5 %, ce taux de 5,5 étant ramené à 3,5 % en cas d’introduction d’un recours avec constitution d’une garantie bancaire.

141    Elle soutient que la Commission n’a absolument pas motivé, dans la Décision, ce taux d’intérêt très élevé et arbitraire. Il s’agirait, en outre, d’un taux d’intérêt prohibitif qui agirait, sans base juridique, comme une peine supplémentaire sanctionnant l’utilisation d’un moyen de protection juridique et qui violerait « le principe général du droit communautaire selon lequel toute personne a droit à une voie de recours efficace sans que le fait de rechercher une protection juridique ne lui porte préjudice ».

142    Il convient d’observer que SGL avait déjà soulevé un grief semblable dans le cadre des litiges ayant conduit à l’arrêt Tokai I, point 62 supra, et à l’arrêt Tokai II, point 52 supra, dans lesquels le Tribunal avait rejeté ledit grief, solution confirmée par la Cour sur pourvois dans les arrêts du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission (C‑308/04 P, Rec. p. I‑5977, points 113 à 118), et du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission (C‑328/05 P, Rec. p. I‑3921, points 109 à 115).

143    Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que, selon une jurisprudence bien établie (arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, points 141 à 143; arrêts du Tribunal du 14 juillet 1995, CB/Commission, T‑275/94, Rec. p. II‑2169, points 46 à 49, et LR AF 1998/Commission, point 43 supra, points 395 et 396), le pouvoir dont la Commission est investie en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 comprend la faculté de déterminer la date d’exigibilité des amendes et celle de la prise de cours des intérêts de retard, de fixer le taux de ces intérêts et d’arrêter les modalités d’exécution de sa décision en exigeant, le cas échéant, la constitution d’une garantie bancaire couvrant le montant en principal et en intérêts des amendes infligées. En l’absence d’un tel pouvoir, l’avantage que les entreprises seraient susceptibles de tirer du paiement tardif des amendes aurait pour effet d’affaiblir des sanctions infligées par la Commission dans le cadre de sa tâche de veiller à l’application des règles de concurrence. Ainsi, l’application d’intérêts de retard aux amendes se justifie pour éviter que l’effet utile du traité ne soit déjoué par des pratiques mises unilatéralement en oeuvre par des entreprises tardant à payer les amendes auxquelles elles ont été condamnées et pour exclure que ces dernières entreprises soient avantagées par rapport à celles qui s’acquittent du paiement de leurs amendes à l’échéance qui leur a été impartie (arrêt Tokai I, point 62 supra, point 475).

144    Dans ce contexte, la jurisprudence a reconnu à la Commission le droit de fixer les intérêts de retard au taux du marché majoré de 3,5 points de pourcentage (arrêts du Tribunal CB/Commission, point 143 supra, point 54 ; du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, T‑24/93 à T‑26/93 et T‑28/93, Rec. p. II‑1201, point 250, et LR AF 1998/Commission, point 43 supra, point 397), et, dans l’hypothèse de la constitution d’une garantie bancaire, au taux du marché majoré de 1,5 point de pourcentage (arrêt CB/Commission, point 143 supra, point 54).

145    Ces solutions ont désormais un fondement textuel, puisqu’elles ont été reprises dans le règlement (CE, Euratom) n° 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 357, p. 1), et plus précisément à l’article 86 de ce règlement dont la requérante ne conteste pas la légalité. Ce règlement est entré en vigueur, selon son article 273, le 1er janvier 2003.

146    Il convient de relever que, dans sa jurisprudence, le Tribunal a toléré des intérêts de retard de 7,5, de 13,25 et de 13,75 %, en précisant que la Commission est autorisée à prendre un point de référence situé à un niveau plus élevé que le taux proposé à l’emprunteur moyen, applicable sur le marché, dans la mesure nécessaire pour décourager les comportements dilatoires (voir arrêt Tokai I, point 62 supra, point 476, et la jurisprudence citée). Dans ces circonstances, les taux d’intérêts de 5,5  et de 3,5 % retenus en l’espèce ne peuvent être considérés comme disproportionnés, au regard de l’objectif légitime susmentionné.

147    L’argumentation de la requérante sur la violation d’un prétendu principe général du droit communautaire selon lequel « toute personne a droit à une voie de recours efficace sans que le fait de rechercher une protection juridique ne lui porte préjudice » comporte, en substance, la revendication pour l’entreprise sanctionnée par une amende de pouvoir introduire un recours sans encourir de risque quant aux conséquences d’un rejet de ce dernier et revient, in fine, à nier la ratio legis de la fixation des intérêts moratoires, à savoir la prévention des recours abusifs.

148    La requérante ne démontre pas, en tout état de cause, que, en ayant fixé les taux d’intérêts à 5,5  et à 3,5 %, la Commission a méconnu le droit à une protection juridictionnelle effective qui constitue un principe général du droit communautaire. Force est de constater, au demeurant, que les taux d’intérêts fixés par la Commission dans ses décisions relatives aux affaires des électrodes de graphite et des graphites spéciaux ainsi que dans la présente espèce n’ont manifestement pas dissuadé la requérante d’introduire un recours devant le juge communautaire.

149    Par ailleurs, les considérations de la requérante sur l’impact de la durée de la procédure juridictionnelle, qui constitue une donnée aléatoire inhérente à ce type de procédure, ne sont pas de nature à infirmer la conclusion susmentionnée. Il convient également de relever que, pour prévenir les conséquences sur le montant des intérêts de l’aléa de la durée de la procédure juridictionnelle, une entreprise a la possibilité de demander le sursis à l’exécution de la décision de la Commission lui infligeant une amende ou de constituer une garantie bancaire permettant de ramener le taux d’intérêt de 5,5 à 3,5 %.

150    En outre, la requérante fait référence à une pratique de la Commission consistant à rémunérer par un intérêt, supérieur de 0,1 % au taux d’intérêt minimal offert pour les opérations de refinancement de la BCE, les versements effectués par les entreprises en vue de s’acquitter de leurs amendes, ce qui permet de neutraliser le risque évoqué au point précédent.

151    Reste que, selon la requérante, cette pratique prouve que, selon la Commission elle-même, des intérêts peu élevés semblent suffire pour éviter des recours abusifs, puisque, autrement, aucun intérêt ne serait payé et que, dès lors, le montant des intérêts exigés en l’espèce est en tout cas injustifié, à tout le moins injustifié à concurrence du montant des intérêts dépassant ceux versés par la Commission.

152    En rémunérant par un intérêt, supérieur de 0,1 % au taux d’intérêt minimal offert pour les opérations de refinancement de la BCE, des versements provisoires effectués par les entreprises en vue de s’acquitter de leurs amendes, la Commission octroie à l’entreprise concernée le bénéfice d’un privilège qui ne résulte ni des dispositions du traité, ni de celles du règlement n° 17, ni de celles du règlement n° 2342/2002 (voir, en ce sens, arrêt CB/Commission, point 143 supra, point 82) et qui ne saurait valablement fonder le grief de la requérante. En effet, le taux d’intérêt appliqué par la Commission aux amendes dont il s’avère ultérieurement qu’elles ont en définitive été payées à tort poursuit un but totalement différent de celui des intérêts de retard : le premier taux d’intérêt a pour but d’empêcher un enrichissement sans cause des Communautés au détriment d’une entreprise ayant obtenu gain de cause dans son recours visant à l’annulation de son amende, alors que le second taux d’intérêt vise à empêcher les retards abusifs dans le paiement d’une amende (arrêt Tokai II, point 52 supra, point 414).

153    Il convient, enfin, de relever que la lecture combinée de l’article 2 de la Décision et de la lettre du 11 décembre 2003, par laquelle la Commission a notifié à la requérante la Décision, révèle que le mode de fixation des intérêts de retard y a été clairement précisé et que, ce faisant, la Commission a satisfait à l’obligation de motivation prévue à l’article 253 CE.

154    Il s’ensuit que le grief relatif aux taux d’intérêts prévus dans la Décision, tel que rappelé au point 141 ci-dessus, doit être rejeté.

155    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté en son entier.

 Sur les dépens

156    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      SGL Carbon AG est condamnée aux dépens.

Vilaras

Prek

Ciucǎ

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 octobre 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

      M. Vilaras


Table des matières


Faits à l’origine du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur la détermination du montant de base

Sur la gravité de l’infraction

– Sur la violation de l’obligation de motivation

– Sur la pratique décisionnelle de la Commission

– Sur la répartition des membres de l’entente en catégories

Sur la durée de l’infraction

Sur la limite maximale de l’amende prévue à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17

Sur la non-application à la requérante du plafond de 10 % du chiffre d’affaires mondial

Sur l’application prétendument discriminatoire du plafond de 10 % au profit d’Hoffmann

Sur les intérêts moratoires

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’allemand.