Language of document : ECLI:EU:C:2012:340

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO Cruz VillalÓn

présentées le 12 juin 2012 (1)

Affaire C‑617/10

Åklagaren

contre

Hans Åkerberg Fransson

[demande de décision préjudicielle formée par le Haparanda tingsrätt (Suède)]

«Champ d’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 51 de la charte – Application du droit de l’Union par les États membres – Régime de sanction national applicable aux manquements à la réglementation en matière de TVA – Article 50 de la charte – Ne bis in idem comme principe général du droit de l’Union – Cumul de sanctions administrative et pénale – Définition de la notion de ‘mêmes faits’ – Interprétation de la charte à la lumière de la convention européenne des droits de l’homme – Article 4 du protocole no 7 de la convention européenne des droits de l’homme – Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Détermination des droits fondamentaux de l’Union à partir des traditions constitutionnelles communes aux États membres»





Table des matières

I –   Introduction

II – Cadre juridique

A –   Cadre juridique de l’Union

B –   Convention européenne des droits de l’homme

C –   Cadre juridique national

III – Les faits et la procédure devant la juridiction nationale

IV – La procédure devant la Cour

V –   Compétence de la Cour

A –   Approche générale

1.     Une «situation» abstraite: «mise en œuvre» du droit de l’Union par les États membres

2.     Une proposition d’interprétation: une relation de principe et d’exception

3.     Un principe: un intérêt spécifique de l’Union

4.     Un type d’argumentation: les catégories et les cas particuliers

B –   La réponse, en l’espèce, au problème de la compétence

1.     Le droit fondamental en question

2.     Un domaine d’exercice particulier de la puissance publique: le pouvoir de sanction

3.     La portée du transfert de la garantie du ne bis in idem des États à l’Union

4.     Conclusion: un cas de figure qui ne relève pas de la situation de «mise en œuvre du droit de l’Union»

VI – Les questions préjudicielles

A –   Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième questions préjudicielles

1.     Reformulation et recevabilité

2.     Analyse des deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles

a)     L’article 4 du protocole n° 7 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg y afférente

i)     Signature et ratification de l’article 4 du protocole n° 7 de la CEDH

ii)   La jurisprudence de la Cour de Strasbourg relative à l’article 4 du protocole n° 7 de la CEDH

b)     Le principe ne bis in idem en droit de l’Union: l’article 50 de la charte et son interprétation à la lumière de l’article 4 du protocole n° 7 de la CEDH

i)     Une interprétation partiellement autonome de l’article 50 de la charte: limites d’une interprétation à la lumière exclusive de la CEDH

ii)   L’article 50 de la charte et la double sanction administrative et pénale

c)     L’article 50 de la charte appliqué à la présente espèce

B –   La première question préjudicielle

1.     L’indice «clair» comme critère d’application de la CEDH par la juridiction nationale

2.     L’indice «clair» comme critère d’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne par la juridiction nationale

VII – Conclusion

I –    Introduction

1.        Derrière l’apparente simplicité de l’affaire, à savoir la sanction du manquement à des obligations fiscales par un pêcheur opérant dans le golfe de Botnie, la présente question préjudicielle soulève deux problèmes particulièrement délicats qui suscitent une certaine perplexité.

2.        Le premier de ces problèmes concerne sa recevabilité, car, compte tenu du caractère manifestement interne de l’affaire, la reconnaissance de la compétence de la Cour pour résoudre une question de droits fondamentaux suppose que l’État membre considère cette affaire comme un cas de mise en œuvre du droit de l’Union au sens actuel de l’article 51, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «charte»).

3.        L’autre problème, qui porte sur le fond, concerne l’applicabilité du principe ne bis in idem en cas de cumul du pouvoir de sanction administrative et du ius puniendi de l’État membre dans la répression d’un même comportement, ce qui nous ramène, en définitive, à l’article 50 de la charte.

4.        La perplexité que suscite cette affaire résulte de la première question posée par la juridiction de renvoi qui soulève un problème comparativement plus simple en soi que les précédents. La question concerne la portée du principe de primauté du droit de l’Union au regard d’une exigence posée par la juridiction nationale de dernière instance, à savoir l’existence d’une indication ou d’un indice «clair» pour écarter le droit national. La perplexité tient au fait, d’une part, que l’exigence d’un «indice clair» semble aujourd’hui ancrée dans la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la «Cour de Strasbourg») et, d’autre part, que cette évolution ne simplifie pas, mais complique au contraire la réponse concernant la portée du principe ne bis in idem en droit de l’Union.

5.        Concernant le problème de la recevabilité, je proposerai à la Cour de se déclarer incompétente dans la mesure où l’État membre ne met pas en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte. Comme je tenterai de l’expliquer, il me semble qu’un examen attentif des circonstances de l’affaire plaide en faveur de cette approche. Toutefois, il est tout à fait possible que la Cour doive pour cela reprendre certaines des thèses que j’ai élaborées au sujet de cette question litigieuse. Je dois admettre que ces thèses ne s’inscrivent pas dans le sillage de la jurisprudence rendue à ce jour.

6.        À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour s’estimerait compétente pour répondre sur le fond, je lui proposerai une définition autonome du principe ne bis in idem en droit de l’Union. Comme je tenterai de l’expliquer, la règle figurant à l’article 52, paragraphe 3, de la charte, selon laquelle le sens et la portée des droits contenus dans la charte sont «les mêmes» que les droits correspondants de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH»), soulève des difficultés particulières s’agissant du principe en cause.

7.        Enfin, pour ce qui est de l’exigence relative à l’existence d’un «indice clair» dans la CEDH et en droit de l’Union, je proposerai une interprétation qui soit compatible avec le principe de primauté.

II – Cadre juridique

A –    Cadre juridique de l’Union

8.        Le principe ne bis in idem figure à l’article 50 de la charte, dont le libellé est rédigé comme suit:

«Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi.»

9.        L’article 273 de la directive 2006/112/CE, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (2), dispose:

«Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.

[…]»

B –    Convention européenne des droits de l’homme

10.      Sous l’intitulé «Droit à ne pas être jugé ou puni deux fois», l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH énonce ce qui suit:

«1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.

2. Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.

3. Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la convention.»

C –    Cadre juridique national

11.      Les articles 1er et 4 du chapitre 5 de la loi no 324 de 1990 relative à l’impôt sur le revenu (Taxeringslagen) prévoient les dispositions essentielles relatives au régime de sanctions fiscales en Suède:

«Article 1er

Si, au cours de la procédure, le contribuable communique autrement que par oral des informations inexactes en vue de la détermination du montant de l’impôt, une sanction spéciale (fiscale) est infligée. Il en va de même si le contribuable communique de telles informations dans le cadre d’une procédure fiscale contentieuse et que lesdites informations sont rejetées après examen au fond.

Les informations sont réputées inexactes si elles sont manifestement fausses ou que le contribuable a omis de communiquer des informations obligatoires, nécessaires à la détermination du montant de l’impôt. Toutefois, des informations ne peuvent considérées comme inexactes si elles constituent, avec les autres pièces communiquées, une base suffisante pour rendre une juste décision. De même, des informations ne peuvent être considérées comme inexactes si elles sont tellement erronées qu’elles ne peuvent manifestement pas servir de fondement à une décision.

[…]

Article 4

En cas de communication d’informations inexactes, la sanction fiscale s’élève à 40 % du montant de l’impôt visé au chapitre 1er, article 1er, premier alinéa, points 1) à 5), qui n’aurait pas été mis à la charge du contribuable ou de son conjoint si les informations inexactes avaient été accueillies. En matière de taxe sur la valeur ajoutée, la sanction fiscale s’élève à 20 % du montant de la taxe l’assujetti aurait dû s’acquitter.

La sanction fiscale est de 10 % ou de 5 % en matière de taxe sur la valeur ajoutée, si les informations inexactes ont été rectifiées ou auraient pu l’être au vu des pièces auxquelles le Skatteverket a normalement accès et dont elle a disposé avant la fin du mois de novembre de l’exercice fiscal en question.

[…]»

12.      Les articles 2 et 4 de la loi no 69 de 1971 sur les infractions fiscales (Skattebrottslagen) contiennent les dispositions à caractère pénal qui sont applicables à la fraude fiscale et qui sont rédigées dans les termes suivants:

«Article 2

Quiconque communique volontairement, autrement que par oral, des informations inexactes ou qui s’abstient de présenter aux autorités des déclarations, comptes de résultat, ou toute autre information requise, et qui fait ainsi naître un risque de soustraction à l’impôt, de mauvaise détermination de son montant ou de remboursement en sa faveur ou en faveur d’un tiers, se rend coupable de fraude fiscale passible d’un emprisonnement de deux ans au plus.

[…]

Article 4

Si l’infraction visée à l’article 2 est jugée grave, la sanction infligée à ce titre correspond à une peine d’emprisonnement de six mois au moins et de six ans au plus.

La gravité de l’infraction s’apprécie notamment au regard de l’importance des montants en jeu, de l’usage de faux documents, de faux en écritures, si les agissements s’inscrivent dans le cadre d’une infraction systématique ou de grande envergure, ou présentent un caractère particulièrement dangereux par ailleurs.»

III – Les faits et la procédure devant la juridiction nationale

13.      M. Hans Åkerberg Fransson est un travailleur indépendant qui se consacre principalement à la pêche et à la vente de poisson blanc (coregonus albula). Il exerce son activité de pêche dans les eaux de la rivière Kalix, même s’il vend ses prises tant sur le territoire suédois que finlandais.

14.      L’administration fiscale suédoise accuse M. Fransson d’avoir manqué à ses obligations déclaratives en matière fiscale au cours des exercices 2004 et 2005, ce qui a entraîné une perte de recettes fiscales afférentes à différents impôts. Concernant la liquidation de la TVA correspondant aux exercices précités, les autorités suédoises ont évalué la perte de recettes fiscales liée aux informations transmises par M. Fransson à un montant total de 60 000 SEK au titre de l’exercice 2004, et à 87 550 SEK au titre de l’exercice 2005.

15.      Le 24 mai 2007, le Skatteverket a infligé à M. Fransson, en application du régime suédois de sanction fiscale, une amende à titre de sanction, pour avoir commis des infractions fiscales pendant l’exercice fiscal 2004, dont 4 872 SEK correspondent à l’infraction en matière de TVA. Concernant l’exercice fiscal 2005, le Skatteverket a infligé une autre amende, dont 3 255 SEK correspondent à l’infraction relative à la TVA. La sanction correspondant à l’exercice 2004, et celle correspondant à 2005 n’ayant pas fait l’objet de recours, celles-ci sont devenues définitives le 31 décembre 2010 et le 31 décembre 2011 respectivement.

16.      Le 9 juin 2009, à la demande du ministère public, le Haparanda tingsrätt a engagé une procédure pénale à l’encontre de M. Fransson. Le ministère public accuse M. Fransson d’avoir commis un délit de fraude fiscale au cours des exercices fiscaux 2004 et 2005. Selon le ministère public, le manquement aux obligations déclaratives qui est reproché à M. Fransson, y compris celles afférentes à la TVA, a entraîné une perte considérable de recettes fiscales, qui justifiait l’ouverture de la procédure pénale. Conformément aux articles 2 et 4 de la loi no 69 de 1971 sur les infractions fiscales, le délit dont M. Fransson est accusé est passible d’une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à six ans.

17.      Selon la juridiction de renvoi, les faits qui sous-tendent l’accusation du ministère public sont les mêmes que ceux qui ont motivé la sanction administrative infligée par le Skatteverket le 24 mai 2007.

18.      Le 23 décembre 2010, le Haparanda tingsrätt a suspendu la procédure pénale engagée à l’encontre de M. Fransson en constatant l’existence d’un lien avec le droit de l’Union, et, en particulier, avec l’article 50 de la charte, qui consacre le droit fondamental ne bis in idem.

IV – La procédure devant la Cour

19.      Le 27 décembre 2010, la Cour a reçu la demande préjudicielle du Haparanda tingsrätt, dont les questions sont formulées dans les termes suivants:

«1)      En droit suédois, le juge national ne peut écarter l’application de dispositions de droit national susceptibles d’être contraires au principe de l’interdiction de la double peine inscrit à l’article 4 du protocole no 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et donc également susceptibles d’être contraires à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, que si sa décision peut être étayée par un indice clair dans la CEDH ou la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Le fait que le droit national impose une telle condition pour écarter l’application de dispositions de droit national est‑il compatible avec le droit de l’Union, plus spécialement ses principes généraux, notamment de sa primauté et de son effet direct?

2)      Des poursuites pénales pour fraude fiscale tombent‑elles sous le coup du principe de l’interdiction de la double peine de l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH et de l’article 50 de la charte si le prévenu a déjà fait l’objet d’une sanction financière (sanction fiscale) dans le cadre d’une procédure administrative antérieure pour les mêmes faits de fausses déclarations?

3)      Le fait que ces sanctions doivent être coordonnées, de sorte que le juge de droit commun peut réduire la sanction pénale au motif que le prévenu a également fait l’objet d’une sanction fiscale pour les mêmes faits de fausses déclarations, a-t-il une incidence sur la réponse à la deuxième question?

4)      Dans certaines circonstances, nonobstant l’interdiction de la double peine rappelée dans la deuxième question, il peut être admis de décider que de nouvelles sanctions soient imposées à la suite d’une procédure distincte pour des faits déjà sanctionnés. Dans l’hypothèse où la réponse à la deuxième question serait affirmative, les conditions de l’interdiction de la double peine par imposition de plusieurs sanctions dans le cadre de procédures distinctes sont‑elles réunies si, dans le cadre de la dernière procédure, il est procédé à un nouvel examen indépendant des faits?

5)      Le régime suédois, suivant lequel l’imposition de sanctions fiscales et l’examen de la responsabilité pénale pour les mêmes faits de fraude fiscale relèvent de procédures distinctes, se justifie par différents motifs d’intérêt général, plus amplement décrits ci‑dessous. Dans l’hypothèse où la réponse à la deuxième question serait affirmative, un régime tel que le régime suédois est‑il compatible avec l’interdiction de la double peine, s’il s’avère possible d’instituer un régime qui ne serait pas contraire à cette interdiction sans pour autant devoir renoncer ni à l’imposition de sanction fiscales ni à la sanction pénale pour fraude fiscale, en transférant, dans des affaires de fraude fiscale, la compétence exercée en matière de sanctions fiscales par le Skatteverket [agence nationale des impôts] et, le cas échéant, par le juge administratif, au juge de droit commun?»

20.      Le Royaume de Suède, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Danemark, la République tchèque, la République d’Autriche et l’Irlande, ainsi que la Commission européenne, ont présenté des observations écrites.

21.      L’audience devant la Cour, au cours de laquelle les représentants de M. Fransson, les agents de la République tchèque, du Royaume de Danemark, de la République fédérale d’Allemagne, de l’Irlande, de la République hellénique, de la République française, du Royaume des Pays-Bas et de la Commission ont présenté des observations orales, a eu lieu le 24 janvier 2012.

V –    Compétence de la Cour

22.      Tant les États qui ont présenté des observations écrites (à l’exception de la République d’Autriche) que ceux qui n’ont formulé que des observations orales (la République fédérale d’Allemagne et la République française), ou la Commission, ont considéré, à l’instar du ministère public dans l’affaire en cause, que la réponse au problème que soulève la garantie du principe ne bis in idem ne se trouve pas dans le droit de l’Union, et que l’on ne peut pas demander une telle réponse à la Cour. Plus concrètement, l’article 50 de la charte n’est pas celui qui doit régir la question litigieuse. C’est ainsi que le débat relatif au problème de fond, c’est-à-dire au contenu et à la portée de ce principe en droit de l’Union, a été fréquemment éludé et s’est, par conséquent, appauvri.

23.      La question qui s’est posée avant tout était incontestablement celle de la compétence de la Cour, dans les termes précédemment exposés. Ainsi la Cour est-elle à nouveau confrontée à une problématique dans laquelle la demande de critères clairs permettant de déterminer la portée de l’expression «mise en œuvre du droit de l’Union par les États membres» n’a d’égale que la difficulté d’y répondre (3).

24.      Dans la suite des développements, j’entends seulement soumettre à la Cour quelques réflexions qui viennent s’ajouter aux approches diverses et variées qui ont été exprimées ces derniers temps, notamment par les avocats généraux (4). Je considère que la présente affaire offre la possibilité d’apporter des arguments permettant de contribuer à une mission de construction jurisprudentielle qui ne pourra aboutir du jour au lendemain.

A –    Approche générale

1.      Une «situation» abstraite: «mise en œuvre» du droit de l’Union par les États membres

25.      Comme je l’ai indiqué, toutes les parties à la procédure sont d’accord sur l’argument essentiel, selon lequel la condition limitative, énoncée désormais à l’article 51, paragraphe 1, de la charte, énonçant que les dispositions de celle-ci s’appliquent aux États membres «uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union» n’est pas remplie. Le lien entre ces dispositions et le fondement jusque-là exclusivement jurisprudentiel de cette même règle ressort clairement des explications relatives à la charte (5). Pour ce qu’elles valent, les explications soulignent donc davantage la continuité que l’opposition entre cette jurisprudence et sa codification dans la charte. Je pense qu’elles sont exactes à quelques nuances près.

26.      Indépendamment de cela, depuis la proclamation initiale de la charte à Nice, les analyses faisant état d’une dissension entre cette jurisprudence de la Cour, que ce soit celle de 2000 ou de 2007 (6), et les dispositions précitées ont été nombreuses. Les expressions «mise en œuvre» (pour la catégorie de la charte) et «champ d’application» (pour la catégorie jurisprudentielle) ont été présentées comme les termes qui résumeraient cette dissension (7).

27.      À ce stade, je pense qu’il serait pertinent de voir les différentes expressions utilisées comme n’étant pas opposées par nature. S’il est évident que l’on note des nuances entre elles, les délimitations restent toutefois toujours imprécises. En particulier, les deux expressions précitées reflètent, à mon avis, une situation dans laquelle les États disposent toujours d’une marge d’appréciation, de sorte qu’une éventuelle violation du droit ne saurait, par principe, être imputée à l’Union, la présence du droit de l’Union ayant, dans la situation donnée, une intensité suffisante pour que l’examen de ces expressions au regard du droit de l’Union, et donc par la Cour, soit justifié.

28.      Cela signifie avant tout que la légitimité du contrôle en cas d’absence de marge d’appréciation (cas de l’affaire «Bosphorus») (8) n’est évidemment pas discutée. Il s’agit de situations de reproduction plus que de mise en œuvre.

29.      En tout état de cause, la situation de «mise en œuvre» pose, en soi, un cadre qui est fondamentalement flexible en ce qui concerne la répartition des responsabilités en matière de garantie des droits fondamentaux. La question qui se pose immédiatement après avoir énoncé le principe selon lequel les manifestations plus ou moins autonomes du pouvoir public des États membres doivent parfois s’apprécier au regard des droits fondamentaux tels qu’ils existent dans l’Union et selon leur interprète suprême, la Cour de justice, est celle de la portée de ce principe.

30.      Il me semble que la Cour a d’abord répondu de manière individualisée à la question de savoir dans quels cas un contrôle «centralisé» de l’action des États membres en matière de droits fondamentaux s’imposait, ce qui a permis d’identifier un petit nombre de «situations», parfaitement connues, souvent commentées et qui ont fait l’objet d’appréciations différentes (9).

31.      En toute hypothèse, le caractère ponctuel de la jurisprudence explique peut-être qu’il n’y ait jamais eu d’argumentation véritablement solide, c’est-à-dire qui soit dotée d’un degré d’abstraction suffisant pour l’expliquer. Les raisons sont variables et il n’y a pas lieu de les examiner maintenant.

32.      L’arrêt ERT, précité, n’ayant pas fourni davantage d’explications permettant de faire le lien entre l’identification d’une «situation» plus ou moins définie (dérogation aux libertés) et le passage au cas général qui finirait par se consolider: «domaine», «champ d’application», «mise en œuvre», toujours du droit de l’Union.

33.      Une description abstraite du problème qui nous est soumis m’amènerait à soutenir que l’exigence d’une présence du droit de l’Union à la source de l’exercice de la puissance publique est une caractéristique commune aux différentes expressions employées: une présence en tant que droit qui plus est, c’est-à-dire, de nature à déterminer ou à influencer, dans une plus ou moins large mesure, le contenu de ces manifestations de la puissance publique dans l’État membre. Toutefois, le terme «présence» ne signifiera jamais «prédétermination», dans la mesure où cette dernière situation ne doit pas poser de problème (10).

34.      Enfin, aucune des expressions susvisées («domaine», «champ d’application», «mise en œuvre») n’est, en soi, apte à restreindre la portée de cette affirmation de principe. D’une certaine manière, ces expressions n’ont pas grand-chose de commun avec l’idée de lex stricta (loi d’interprétation stricte), à supposer qu’une telle condition leur soit applicable. Au contraire, elles présentent tous les avantages et inconvénients d’une formulation fondamentalement ouverte. Le terme «uniquement» tiré de l’article 51, paragraphe 1, de la charte, et qui fait débat, n’est pas non plus très révélateur: peut-être contient-il une certaine réserve par rapport à une conception extensive future, ou peut-être exprime-t-il une vision optimiste du pouvoir sémantique du verbe «mettre en œuvre».

2.      Une proposition d’interprétation: une relation de principe et d’exception

35.      À mon avis, si l’on analyse bien la structure constitutionnelle de base du groupe formé par l’Union et les États, qui a été qualifiée de «Verfassungsverbund» européen (11), le contrôle des actes des pouvoirs publics des États membres dotés d’une marge d’appréciation relève, par principe, de la compétence des États eux-mêmes dans le cadre de leur ordre constitutionnel et des obligations internationales qu’ils ont contractées.

36.      Toutefois, ce principe est assorti d’une exception qui a acquis une portée indéniable, dans les cas où les pouvoirs publics nationaux appliquent le droit européen tel qu’il figure actuellement dans la charte. La perception du rapport dialectique entre les deux scénarios en termes de principe et d’exception est, à l’heure actuelle, toujours justifiée à nos yeux.

37.      Il s’ensuit que le fait pour l’Union de garantir les droits fondamentaux dans l’exercice de la puissance publique des États doit, dans ces cas-là, s’analyser comme un déplacement, dans le sens d’un transfert de la responsabilité initiale des États vers celle de l’Union au regard de cette garantie.

38.      Certes, le droit de l’Union est, dans son contenu, une réalité variable dans le temps, et cette variation détermine de façon inexorable et légitime la portée de l’exception. Cependant, le principe en tant que tel renferme, structurellement, une exception, pour autant que le terme «Verfassungsverbund» ait un sens pour décrire constitutionnellement l’Union. À mon avis, le fait de concevoir cette exception en ce sens qu’elle est susceptible de se transformer en principe ne répond pas à l’idée fondamentale que je viens d’exposer.

39.      Cela étant, je considère que l’idée fondamentale, mais imprécise, selon laquelle les États membres sont soumis à la charte «lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union» requiert désormais un effort supplémentaire de rationalisation de la part de la juridiction de l’Union. Cet effort est réclamé depuis longtemps, même si les suggestions émises par la doctrine ne manquent pas (12).

3.      Un principe: un intérêt spécifique de l’Union

40.      À mon avis, la compétence de l’Union pour garantir les droits fondamentaux au regard des manifestations de pouvoir des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre son droit doit être justifiée par un intérêt spécifique de l’Union à ce que cet exercice du pouvoir s’adapte à sa conception des droits fondamentaux. Le seul fait que cet exercice trouve sa source dans le droit de l’Union ne suffit pas, en soi, à considérer qu’il s’agit d’une situation de «mise en œuvre».

41.      En dernier lieu, je pense, comme je l’ai indiqué, qu’il est légitime qu’en certaines occasions, qui sont difficiles à déterminer à l’avance, l’intérêt de l’Union à laisser son empreinte, sa conception du droit fondamental, prime sur celui de chacun des États membres. Cet intérêt de l’Union trouve son fondement essentiel dans la présence, voire la place prépondérante qu’occupe en toute hypothèse le droit de l’Union dans le droit national. En définitive, il s’agit de cas dans lesquels la légitimité de la res publica européenne peut être en cause, et cette considération appelle une réponse appropriée.

4.      Un type d’argumentation: les catégories et les cas particuliers

42.      La Cour est surtout investie d’une mission prioritaire de motivation et est chargée, en particulier, de proposer des règles favorables à la légitimité de toute activité juridictionnelle.

43.      En d’autres termes, la catégorie «mise en œuvre du droit de l’Union» en tant que fondement de l’attraction du contrôle de droit fondamental de l’activité des pouvoirs publics nationaux requiert, selon moi, une jurisprudence qui complète et, en définitive, impose un libellé ouvert, tel que celui en cause dans cette affaire.

44.      Plus concrètement, si le simple fait d’invoquer ou de constater qu’une situation juridique déterminée relève de la «mise en œuvre du droit de l’Union» ne paraît pas satisfaisant, cela tient, à mon avis, au fait que cette situation masque l’absence d’un élément ou d’un facteur qui qualifie une situation ainsi identifiée. En définitive, la considération précédente équivaut à une demande de motivation expresse, qui soit de toute façon plus étayée que celle qui a été fournie jusqu’à présent concernant les cas dans lesquels le transfert de la fonction et de la responsabilité de garantir les droits fondamentaux des États membres vers l’Union s’impose.

45.      En même temps, et même si cela semble paradoxal, je pense qu’il y a lieu de renforcer simultanément l’examen des caractéristiques de l’affaire, c’est-à-dire, en définitive, des cas particuliers à proprement parler. Concrètement, la question de savoir si une situation donnée doit être considérée comme relevant de la mise en œuvre du droit de l’Union doit souvent s’apprécier en tenant compte de toute une série d’éléments qui caractérisent l’affaire. À cet égard, plus la définition jurisprudentielle des cas de transfert de responsabilité est limitée, plus le juge devra être attentif aux circonstances de l’affaire.

46.      En résumé, je considère qu’il convient de préciser le sens d’une clause aussi ouverte que celle de l’article 51, paragraphe 1, de la charte. Cela passe, en premier lieu, par la détermination des diverses situations dans lesquelles le transfert de la garantie des droits fondamentaux des États vers l’Union peut, en principe, se justifier. En second lieu, la prise en compte des circonstances concrètes de chaque affaire doit, selon moi, permettre de porter un jugement final et définitif sur l’attribution de la responsabilité de la garantie, que ce soit à l’Union ou aux États.

B –    La réponse, en l’espèce, au problème de la compétence

47.      Pour tenter d’appliquer à l’affaire litigieuse les propositions qui précèdent, je pense qu’il convient de commencer par examiner le droit fondamental de l’Union concerné et les mesures prises par les pouvoirs publics des États, qu’il conviendrait d’analyser au regard dudit droit avant d’examiner le degré de connexité qui les lie.

1.      Le droit fondamental en question

48.      À cet égard, je souhaite attirer l’attention sur une considération d’ordre systémique, mais qui permet de guider la réflexion. Il convient de tenir compte du fait que le principe ne bis in idem trouve désormais sa source dans la charte, et, en particulier, dans son article 50. Bien qu’elle coexiste avec les autres composantes de l’article 6 TUE, la codification des droits fondamentaux de l’Union a des conséquences particulières. En particulier, la charte fait ressortir des «liens de sens» («Sinnzusammenhänge») qui sont difficiles à percevoir dans un système de droits à caractère essentiellement juridictionnel.

49.      Plus concrètement encore, le système de la charte complique considérablement l’établissement de différences de traitement entre la garantie reconnue à l’article 50 et les nombreuses autres garanties matérielles et formelles prévues par les articles qui constituent le titre VI de la charte, c’est-à-dire, les articles 47 à 50, sous les intitulés «Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial» (article 47), «Présomption d’innocence et droits de la défense» (article 48), «Principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines» (article 49).

2.      Un domaine d’exercice particulier de la puissance publique: le pouvoir de sanction

50.      Pour commencer, il convient de considérer que le domaine d’exercice du pouvoir de sanction des États membres, si souvent reconnu en tant que tel, ayant une cause efficiente dans le droit de l’Union, revêt une légitimité difficilement discutable en ce qui concerne l’intérêt de l’Union.

51.      Le présent contexte a trait au «pouvoir de sanction» des États, qui trouve son origine première dans le droit de l’Union, et pour lequel la jurisprudence a élaboré de nombreuses règles, comme cela a été rappelé au cours de l’audience. Ainsi la Cour a-t-elle itérativement déclaré que le pouvoir de sanction des États membres devait être exercé conformément aux principes généraux du droit de l’Union, dont il appartient naturellement à la Cour d’interpréter la portée (13). Il est du reste difficile de ne pas comprendre que ces principes généraux incluent à présent les droits fondamentaux tels qu’ils figurent dans la charte.

3.      La portée du transfert de la garantie du ne bis in idem des États à l’Union

52.      Dans ces conditions, la question est la suivante: cet appel au respect de ces principes dans l’exercice du pouvoir de sanction doit-il être considéré comme la reconnaissance du transfert général vers la juridiction de l’Union de toutes les garanties visées en introduction qui constituent, avec le principe ne bis in idem, le titre VI de la charte?

53.      À mon avis, l’activité répressive des États trouvant son origine dans le droit de l’Union renferme un principe de légitimation du transfert de la responsabilité en matière de garantie des droits. Le fait que la sanction de comportements individuels contraires au droit de l’Union soit si souvent restée aux mains des États membres ne permet pas de conclure à toute absence d’intérêt de l’Union elle-même à ce que l’exercice de ce pouvoir de sanction respecte les principes fondamentaux qui régissent une communauté de droit telle que l’Union.

54.      Cela étant dit, le principe de légitimation précité doit nécessairement être complété et étayé par toute une série d’arguments tirés des circonstances de l’espèce. En d’autres termes, je considère que la seule constatation qu’un exercice du pouvoir de sanction national en particulier trouve son origine première dans une disposition du droit de l’Union ne suffit pas à transférer le contrôle de garanties constitutionnelles applicables à l’exercice de ce pouvoir, quelles qu’elles soient, du domaine de compétences des États vers celui de l’Union.

55.      Les considérations qui précèdent m’amènent à conclure que la détermination de la compétence de la Cour pour constater si le principe ne bis in idem est suffisamment respecté en l’espèce doit se fonder sur l’examen du domaine concerné, à savoir l’activité répressive nationale fondée sur le droit de l’Union, qui donnerait de simples indications de départ et de principe en faveur d’une réponse positive. Cependant, c’est l’analyse approfondie tant du droit fondamental invoqué que des circonstances de l’espèce qui doit permettre de donner une réponse définitive.

4.      Conclusion: un cas de figure qui ne relève pas de la situation de «mise en œuvre du droit de l’Union»

56.      Avant tout, la présentation et l’argumentation de la demande préjudicielle par la juridiction de renvoi ne peuvent susciter que de l’inquiétude. Les dispositions pertinentes du droit de l’Union, telles qu’elles ressortent de l’ordonnance de renvoi, se limitent à la citation des articles 6 TUE et 50 de la charte sans la moindre tentative d’identification du droit de l’Union, alors qu’il s’agit en définitive de sa «mise en œuvre». Il est encore plus déroutant d’entendre la juridiction de renvoi déclarer que le droit suédois n’a pas été adopté en application du droit de l’Union ou que la réponse peut de toute façon s’avérer utile pour d’autres affaires dans lesquelles une réponse de la Cour serait très bénéfique (14).

57.      Au-delà des doutes mêmes de la juridiction de renvoi, la question essentielle à analyser en l’espèce est celle de la connexité entre le droit de l’Union, en l’espèce la directive 2006/112, et la situation qui a vu le jour dans l’État membre du fait de la conception qui prévaut dans ce pays sur la portée du principe ne bis in idem. En effet, il ne faut pas oublier que c’est le degré de connexité entre le droit de l’Union «mis en œuvre» en principe et l’exercice de la puissance publique de l’État qui constitue la prémisse de la constatation d’un intérêt de l’Union à garantir le droit fondamental dans cette affaire. À mon avis, cette connexité est extrêmement ténue et, en tout état de cause, insuffisante pour justifier un intérêt clairement identifiable de l’Union à garantir ce droit fondamental particulier au regard de l’Union.

58.      On ne peut déduire de la directive 2006/112 qu’une obligation d’efficacité dans la perception de la TVA (15). Il est évident que, dans nos sociétés, la répression des manquements aux obligations fiscales est une condition sine qua non de l’effectivité de l’exercice du pouvoir d’imposition. L’État membre doit donc, logiquement, mettre son régime d’imposition général au service de la perception de la TVA, y compris le régime de sanction, de la même manière qu’il doit également mettre au service de cette perception sa propre administration fiscale.

59.      Les dispositions légales qui fondent respectivement le pouvoir de sanction de l’administration et le ius puniendi au sens propre s’inscrivent clairement dans cette logique: dans ce cas, c’est la falsification des données fournies au fisc par les contribuables qui est sanctionnée, d’une manière générale, comme une prémisse essentielle de ce régime de sanction. C’est cette partie du système fiscal suédois qui est mise au service de la perception de la TVA.

60.      Dans ces conditions, la question qui se pose est celle de savoir si le cas d’une activité normative nationale directement inspirée du droit de l’Union est comparable au cas d’espèce, dans lequel le droit national est mis au service des objectifs fixés par le droit de l’Union. La question est donc de savoir si les deux cas sont comparables du point de vue de l’intérêt caractérisé de l’Union à garantir ce droit de manière directe et centralisée.

61.      Je pense que l’on doit percevoir la différence entre la causa plus ou moins proche et la simple occasio dans l’analyse de ce sujet délicat. S’il existe, le problème que pose la conception de la portée du principe ne bis in idem en droit suédois est un problème général pour l’architecture de son régime de sanctions qui existe, en tant que tel, tout à fait indépendamment de la perception de la TVA, et dans lequel la présente affaire de sanction de la falsification de données apparaît comme une simple occasio.

62.      Ainsi la question est-elle de savoir si cette occasio doit en définitive amener la juridiction de l’Union à se prononcer, avec des conséquences inévitablement générales, sur la portée du principe ne bis in idem dans l’ordre juridique suédois, par priorité sur celle qui résulte de ses structures constitutionnelles et de ses obligations internationales.

63.      À mon avis, il serait disproportionné de tirer de cette occasio une raison de modifier la répartition de la responsabilité de garantir les droits fondamentaux entre l’Union et les États. De même, il me semblerait disproportionné que les éléments faisant l’objet de notre analyse portent sur des questions telles que la défense appropriée, le caractère suffisant de la preuve, ou sur d’autres questions contenues dans le titre VI de la charte. En définitive, il semble risqué d’affirmer que, en adoptant des dispositions telles que celles de l’article 273 de la directive 2006/112, le législateur avait anticipé un transfert des États vers l’Union de toutes les garanties constitutionnelles entourant l’exercice du pouvoir de sanction des États en matière de perception de la TVA.

64.      Pour toutes ces raisons, je considère, compte tenu de l’ensemble des circonstances, que la question que la juridiction de renvoi pose à la Cour ne doit pas être assimilée à un cas de mise en œuvre du droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte. Par conséquent, je suggère à la Cour de se déclarer incompétente pour répondre à cette question.

65.      Si la Cour considérait, au contraire, qu’elle est compétente pour se prononcer sur l’affaire au fond, je propose ensuite, et à titre subsidiaire, de répondre aux questions préjudicielles posées par le Haparanda tingsrätt.

VI – Les questions préjudicielles

66.      Les cinq questions préjudicielles posées par la juridiction nationale peuvent se résumer à deux. Comme je l’indiquerai dans la suite des développements, les deuxième, troisième, quatrième et cinquième questions portent essentiellement sur l’application du principe ne bis in idem figurant à l’article 50 de la charte à des cas de double sanction administrative et pénale infligée par les États membres. La première question préjudicielle, à laquelle il convient de répondre en dernier, porte sur les conditions requises par la juridiction suprême suédoise pour appliquer la CEDH et la charte dans les juridictions de ce pays.

A –    Les deuxième, troisième, quatrième et cinquième questions préjudicielles

1.      Reformulation et recevabilité

67.      Comme je viens de le dire, les deuxième, troisième, quatrième et cinquième questions posées par le Haparanda tingsrätt portent sur l’interprétation de l’article 50 de la charte. En particulier, la deuxième question fait référence à la qualification des mêmes faits aux fins du principe ne bis in idem, c’est-à-dire à la constatation que les mêmes comportements sont jugés plusieurs fois. La troisième et la quatrième question ont trait à l’aspect procédural du principe ne bis in idem, qui consiste dans l’interdiction de la double procédure. La cinquième question est formulée dans des termes plutôt hypothétiques, puisqu’elle renvoie, à titre de référence, à une réglementation nationale différente de celle en vigueur en Suède.

68.      Selon moi, les deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles appellent une réponse conjointe. Les trois questions portent sur des composantes distinctes d’un même droit fondamental, sur lesquelles je reviendrai par la suite, mais qui font toujours partie intégrante du principe ne bis in idem. En définitive, la juridiction de renvoi souhaite savoir si ce principe, tel qu’il figure à l’article 50 de la charte, s’oppose à ce qu’un État inflige une double sanction administrative et pénale pour les mêmes faits lorsqu’il applique le droit de l’Union.

69.      Au contraire, la cinquième question est irrecevable. La juridiction de renvoi demande si le régime suédois est compatible avec l’article 50 de la charte au regard d’un hypothétique régime alternatif (qui n’existe pas en Suède actuellement) de préjudicialité pénale. Répondre à cette question amènerait la Cour à se prononcer indirectement sur une mesure nationale inexistante dans l’ordre juridique suédois. Le caractère hypothétique de la question donnerait à une décision de la Cour le caractère d’un avis consultatif plutôt que celui d’une décision d’interprétation préjudicielle, ce que la jurisprudence a écarté à de nombreuses reprises (16). Dès lors, je suggère à la Cour de déclarer la cinquième question irrecevable.

2.      Analyse des deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles

70.      La question posée par le Haparanda tingsrätt est particulièrement complexe et s’avère tout aussi délicate que la question qui vient d’être traitée. D’un côté, la double sanction administrative et pénale est une pratique très répandue dans les États membres, surtout dans des domaines tels que ceux de la fiscalité, des politiques environnementales ou de la sécurité publique. Toutefois, les modalités relatives au cumul des sanctions varient énormément entre les ordres juridiques et revêtent des caractéristiques spécifiques et propres à chaque État membre. Dans la plupart des cas, ces spécificités visent à atténuer les effets d’une double réaction punitive de la part des pouvoirs publics. D’un autre côté, comme nous le verrons par la suite, la Cour de Strasbourg s’est prononcée récemment à ce sujet et a confirmé que, contrairement à ce qu’il semblait au début, ces pratiques étaient contraires au droit fondamental ne bis in idem figurant à l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH. Cependant, il s’avère que tous les États membres n’ont pas ratifié cette disposition, puisqu’ils ont introduit, dans certains cas, des réserves ou des déclarations interprétatives à ce sujet. Il s’ensuit que l’obligation d’interpréter la charte à la lumière de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (article 52, paragraphe 3, de la charte) devient en quelque sorte asymétrique en ce qu’elle pose de gros problèmes dans son application au cas particulier.

a)      L’article 4 du protocole no 7 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg y afférente

i)      Signature et ratification de l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH

71.      Le principe ne bis in idem ne fait pas expressément partie de la CEDH depuis le début. Son incorporation à la convention a eu lieu, comme on le sait, par le biais de son protocole no 7, ouvert à la signature le 22 novembre 1984 et entré en vigueur le 1er novembre 1988. Entre autres droits, l’article 4 énonce la garantie du ne bis in idem dans le but, selon les explications sur le protocole fournies par le Conseil de l’Europe, de concrétiser le principe en vertu duquel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif.

72.      À la différence d’autres droits contenus dans la CEDH, le droit prévu à l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH n’a pas été unanimement accepté par les États signataires de la convention, dont différents États membres de l’Union. Au jour de la lecture des présentes conclusions, le protocole no 7 n’est pas encore ratifié par la République fédérale d’Allemagne, le Royaume de Belgique, le Royaume des Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Parmi les États qui l’ont ratifiée, la République française a formulé une réserve à l’article 4 dudit protocole, en limitant son application aux seules infractions de nature pénale (17). De même, à l’occasion de la signature, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Autriche, la République italienne et la République portugaise ont formulé différentes déclarations contenant la même indication: la portée limitée de l’article 4 du protocole no 7, dont la protection ne concerne que la double sanction «pénale» au sens où l’entend l’ordre juridique interne (18).

73.      Les éléments qui précèdent montrent clairement et sans équivoque que les problèmes que pose la double sanction administrative et pénale sont marqués par un grave défaut de consensus entre les États membres de l’Union. Le caractère problématique du contexte est patent à en juger par les négociations sur la future adhésion de l’Union à la CEDH, au cours desquelles les États et l’Union ont décidé d’exclure, pour le moment, les protocoles de la CEDH, y compris celui en cause dans cette affaire (19).

74.      Ce défaut de consensus peut s’expliquer par l’importance que revêtent les instruments de répression administrative dans bon nombre d’États membres, ainsi que par l’accent particulier qui est mis, dans ces États membres, à la fois sur la procédure et sur la sanction pénales. D’un côté, les États ne veulent pas renoncer à l’efficacité qui caractérise la sanction administrative, en particulier dans des domaines où les pouvoirs publics tiennent à s’assurer du strict respect de la légalité, tels que le droit fiscal ou le droit de la sécurité publique. D’un autre côté, le caractère exceptionnel de l’intervention pénale ainsi que les garanties dont l’accusé bénéficie pendant le procès incitent les États à se réserver une marge d’appréciation pour déterminer les comportements qui doivent faire l’objet de poursuites pénales. Ce double intérêt à conserver un pouvoir de sanction à la fois administrative et pénale explique pourquoi un grand nombre d’États membres refusent actuellement, d’une manière ou d’une autre, de se soumettre à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, laquelle, comme nous allons le voir maintenant, a évolué dans un sens qui exclut pratiquement cette dualité.

ii)    La jurisprudence de la Cour de Strasbourg relative à l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH

75.      Le traitement dont les cas de double sanction administrative et pénale ont fait l’objet dans le système CEDH a sensiblement évolué depuis l’entrée en vigueur du protocole no 7, et se compose de trois éléments que je vais examiner à présent: la définition d’une procédure pénale, l’identité de comportements caractéristiques et la double accusation.

76.      En premier lieu, la Cour de Strasbourg a rapidement interprété l’expression «procédure pénale» à la lumière des «critères Engel» afin d’étendre les garanties offertes par les articles 6 et 7 de la CEDH aux sanctions prises par les pouvoirs publics qui étaient formellement qualifiées de sanctions administratives (20). Il est constant que, depuis l’arrêt du même nom, la Cour de Strasbourg utilise trois critères pour apprécier si une sanction déterminée a un caractère pénal aux fins des articles 6 et 7 de la CEDH: la qualification de l’infraction en droit national, la nature de l’infraction et le degré de gravité de la sanction infligée au contrevenant (21). Ces conditions ont été appliquées aux sanctions fiscales, y compris à la sanction prévue par la réglementation suédoise litigieuse (22), et la Cour de Strasbourg a confirmé que ce type de mesures relevait de la catégorie des sanctions à caractère «pénal» au sens des articles 6 et 7 de la CEDH et, par extension, de l’article 4 de son protocole no 7 (23).

77.      En deuxième lieu, après quelques hésitations, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg relative au principe ne bis in idem même, a confirmé que l’interdiction de la double peine faisait référence à celle qui sanctionne les mêmes faits et non à un comportement qualifié de la même manière par les règles définissant les infractions. Alors que cette seconde approche, clairement formaliste et réductrice de la portée de l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH, ressort de différents arrêts rendus après son entrée en vigueur (24), la grande chambre de la Cour de Strasbourg a confirmé en 2009 la première approche dans l’affaire Zolotoukhine c. Russie (25). Dans cette affaire, la Cour de Strasbourg a constaté sans équivoque que l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH devait être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde «infraction», pour autant que celle-ci avait pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes (26). Ce faisant, la Cour de Strasbourg reprend une analyse de la double incrimination conforme à celle que la Cour a développée dans sa jurisprudence relative à l’article 54 de la convention de Schengen (27).

78.      En troisième et dernier lieu, concernant l’aspect procédural du principe ne bis in idem, ou ce que l’on qualifie habituellement aussi d’interdiction de la double peine, la Cour de Strasbourg constate que, lorsqu’il s’avère qu’une sanction a été infligée pour les mêmes faits, il est interdit d’engager une nouvelle procédure dès lors que la première sanction est devenue définitive (28). Cette conclusion s’applique aux cas dans lesquels la première sanction a un caractère administratif, alors que la seconde est de nature pénale (29), mais également aux cas dans lesquels les événements sont inversés (30). Enfin, après l’envoi de la présente demande préjudicielle, la Cour de Strasbourg a déclaré qu’il était inacceptable d’imputer la première sanction sur la seconde afin d’atténuer l’effet de la double peine (31).

79.      Pour récapituler, l’évolution de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg montre que, à l’heure actuelle, l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH s’oppose à l’adoption de mesures de double sanction administrative et pénale pour les mêmes faits, ce qui fait obstacle à l’ouverture d’une seconde procédure, qu’elle soit administrative ou pénale, lorsque la première sanction est devenue définitive. La jurisprudence actuelle, en particulier depuis l’arrêt rendu par la Cour de Strasbourg dans l’affaire Zolotoukhine c. Russie, a élaboré une théorie pertinente à Strasbourg. En principe, cette théorie devrait fournir à la juridiction de renvoi des éléments largement suffisants, du point de vue de la CEDH, pour résoudre le litige qui oppose M. Fransson à l’État suédois.

80.      Toutefois, les problèmes qui nous sont soumis en l’espèce ne s’arrêtent pas là, et semblent même n’en être qu’au début. En effet, comme je l’ai annoncé, l’égalité que la juridiction de renvoi semble considérer comme acquise entre l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH et la charte pose de sérieux problèmes.

b)      Le principe ne bis in idem en droit de l’Union: l’article 50 de la charte et son interprétation à la lumière de l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH

i)      Une interprétation partiellement autonome de l’article 50 de la charte: limites d’une interprétation à la lumière exclusive de la CEDH

81.      Comme on le sait, l’article 52, paragraphe 3, de la charte prévoit que, lorsque les droits énoncés dans cette disposition correspondent aux droits garantis par la CEDH, «leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention».

82.      Comme je vais l’expliquer maintenant, la présente affaire soulève une question inédite qui conditionne tant la portée de l’obligation de l’article 52, paragraphe 3, de la charte que la proclamation des droits de la CEDH en tant que principes généraux du droit de l’Union. Bien que l’article 50 de la charte consacre un droit correspondant au droit prévu dans l’article 4, du protocole no 7 de la CEDH (32), il est clair que l’aspect du ne bis in idem évoqué dans la présente procédure est loin de s’étendre et de s’ancrer dans les États signataires de la CEDH. Comme je l’ai indiqué au point 72 des présentes conclusions, un nombre significatif d’États membres n’a pas ratifié le protocole no 7 de la CEDH, ou a introduit des réserves ou des déclarations portant précisément sur son article 4 afin d’éviter son extension aux sanctions administratives.

83.      Comme je l’ai déjà indiqué, les États de l’Union prévoient invariablement, bien qu’à des degrés divers, un pouvoir de sanction de l’administration. Dans un grand nombre d’États membres, ce pouvoir est compatible avec le ius puniendi et peut aboutir à une double sanction administrative et pénale. Toutefois, cela ne veut pas du tout dire que les États membres admettant la double peine le font de manière tout à fait discrétionnaire. Au contraire, dans la plupart des cas, les États ayant des dispositifs de double peine ont prévu un système permettant d’éviter un effet de sanction excessif (33). Ainsi le Conseil constitutionnel français a-t-il indiqué que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues (34). La jurisprudence allemande applique un critère de proportionnalité au cas par cas afin d’éviter que le montant global des sanctions ne soit excessif (35). D’autres États ont prévu une règle de préjudicialité pénale qui oblige la juridiction administrative à suspendre la procédure en attendant que la juridiction pénale ait rendu sa décision finale (36). Le droit de l’Union prévoit également une solution de ce type, par exemple à l’article 6 du règlement financier relatif à la protection des intérêts financiers de l’Union (37). Dans d’autres ordres juridiques, comme cela semble être le cas du Royaume de Suède, la juridiction pénale saisie de la seconde procédure peut déduire la sanction administrative du montant de la sanction pénale.

84.      Dans ces conditions, je considère que l’adoption de l’article 52, paragraphe 3, de la charte revêt nécessairement des caractéristiques propres lorsqu’elle est appliquée au principe ne bis in idem. Du reste, pour reprendre l’expression de l’article 6, paragraphe 3, TUE, la CEDH ne «garantit» pas effectivement le principe ne bis in idem de la même manière qu’elle garantit les dispositions essentielles de la CEDH, lesquelles s’imposent à tous les États parties à ladite CEDH. À mon avis, la CEDH, à laquelle le droit primaire de l’Union fait référence, est la convention à proprement parler, c’est-à-dire dans sa combinaison de dispositions impératives et, jusqu’à un certain point, aléatoires. L’interprétation des références à la CEDH figurant dans le droit primaire de l’Union ne peut pas faire abstraction de cette donnée.

85.      Compte tenu de tous les éléments qui précèdent, j’estime que l’obligation d’interpréter la charte à la lumière de la CEDH doit être nuancée lorsque le droit fondamental en question, ou un aspect de celui-ci (comme c’est le cas de l’applicabilité de l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH à la double sanction administrative et pénale), n’a pas été pleinement repris par les États membres. En outre, même si, dans ces circonstances, le droit et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg à ce sujet constituent une source d’inspiration pour le droit de l’Union, je considère que l’obligation de calquer le niveau de protection de la charte sur celui de la CEDH est dépourvue de la même effectivité.

86.      En définitive, cette affaire met en évidence la situation dans laquelle une absence de consensus sur un droit issu du système de la convention se heurte à la forte présence et à l’enracinement des systèmes de double sanction administrative et pénale des États membres. Dans le cas de la double sanction administrative et pénale, l’intensité de cette présence et de cet enracinement pourrait même être qualifiée de tradition constitutionnelle commune aux États membres.

87.      Dans ces circonstances, je suis d’avis que l’article 50 de la charte requiert une interprétation partiellement autonome (38). Il convient bien sûr de tenir compte de la jurisprudence actuelle de la Cour de Strasbourg, mais le seuil de protection auquel la Cour doit se tenir doit être le fruit d’une interprétation indépendante et exclusivement fondée sur les dispositions et la portée de l’article 50 précité.

ii)    L’article 50 de la charte et la double sanction administrative et pénale

88.      Le principe ne bis in idem est largement ancré dans le droit de l’Union. Avant que la convention de Schengen et la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen ne le consacrent en tant que limite à l’exercice du ius puniendi des États membres, y compris avant l’entrée en vigueur du protocole no 7 de la CEDH, la jurisprudence de la Cour rencontrait ce principe en droit de la concurrence et dans le cadre de la jurisprudence sur la fonction publique de l’Union (39). Dans ses conclusions présentées dans l’affaire Gözütok et Brügge, précitée, l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer a évoqué le principe de manière détaillée dans le cadre de l’évolution historique du droit de l’Union (40), comme l’a fait plus récemment l’avocat général Kokott dans ses conclusions relatives à l’affaire Toshiba Corporation e.a. (41). Je ne m’arrêterai pas sur cette question et me contenterai donc de renvoyer à ces deux textes.

89.      En l’état actuel de la jurisprudence, la Cour traite le principe ne bis in idem de manière assez uniforme, sous réserve de quelques exceptions que je préciserai par la suite (42).

90.      Au départ, la jurisprudence a adopté une interprétation extensive du concept de «sanction», conforme à la jurisprudence Engel e.a. c. Pays-Bas de la Cour de Strasbourg précitée, dans le but de soumettre les sanctions infligées par la Commission en matière de concurrence à cette jurisprudence (43). De ce point de vue, et conformément à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, une sanction fiscale infligée afin de garantir l’exécution du droit de l’Union doit être considérée comme une sanction matériellement «pénale».

91.      Ensuite, la jurisprudence de la Cour a adopté, à quelques exceptions près, une position très protectrice dans la définition des éléments qui donnent lieu à la double peine. En interprétant l’article 54 de la convention de Schengen ainsi que la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen, la Cour a considéré que l’identité requise par le principe ne bis in idem faisait référence aux «mêmes faits» et non aux mêmes contrevenants ni aux mêmes biens juridiques protégés (44). Le contexte de la présente affaire concerne l’exécution nationale du droit de l’Union, qui correspond précisément à la dimension dans laquelle la conception extensive du principe ne bis in idem trouve à s’appliquer. Partant, je considère que c’est également le traitement qu’il convient d’accorder à un cas tel que celui de la présente espèce, et que la Cour de Strasbourg a elle-même privilégié depuis l’arrêt Zolotoukine c. Russie, précité.

92.      Finalement, la seule question qui reste à régler est celle de savoir si l’existence préalable d’une procédure administrative de sanction suivie d’une condamnation définitive fait ou non obstacle à l’ouverture d’une procédure pénale et à une éventuelle condamnation pénale par les États membres.

93.      En résumant la question dans ces termes, et sous réserve de la précision essentielle que je vais apporter, je considère que l’article 50 de la charte n’implique pas, à l’heure actuelle, que l’existence préalable d’une sanction administrative définitive ferme irrévocablement la porte à toute procédure devant la juridiction pénale, voire à une condamnation. Je tiens à préciser que le principe de non-discrimination, qui est indissociable du principe de l’État de droit (article 2 TUE), impose à l’ordre juridique national de permettre au juge pénal de tenir compte, d’une manière ou d’une autre, de l’existence préalable d’une sanction administrative afin d’alléger la sanction pénale.

94.      D’un côté, rien dans l’article 50 de la charte ne permet, en soi, de conclure que l’on aurait entendu proscrire toute convergence entre le pouvoir de sanction de l’administration et de la juridiction pénale pour un même comportement. À cet égard, il convient d’attirer l’attention sur le caractère insistant du vocabulaire employé dans l’article 50 de la charte avec l’adjectif «pénal», par opposition au vocabulaire utilisé dans l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH. Ainsi figure-t-il tant dans le titre des dispositions respectives que dans la désignation du jugement définitif, qui est qualifié de pénal dans la première disposition, mais pas dans la seconde des dispositions précitées. Cette différence peut être considérée comme non négligeable s’agissant d’une disposition, celle de la charte, rédigée des années après celle du protocole susvisé.

95.      Or, d’un autre côté, le principe de proportionnalité et, en tout état de cause, le principe de non-discrimination, tel qu’il figure dans les dispositions de la clause de l’État de droit conformément aux traditions constitutionnelles communes (45), s’oppose à un exercice de la fonction juridictionnelle pénale qui fasse complètement abstraction de la circonstance que les faits qui lui sont soumis ont déjà fait l’objet d’une sanction administrative.

96.      Dès lors, je pense que l’article 50 de la charte doit être interprété en ce sens qu’il n’empêche pas les États membres d’engager la procédure devant la juridiction pénale pour des faits qui ont déjà été sanctionnés, de manière définitive, par voie administrative dès lors que le juge pénal est en mesure de tenir compte de l’existence préalable d’une sanction administrative afin d’alléger la peine qu’il lui incombe d’infliger.

c)      L’article 50 de la charte appliqué à la présente espèce

97.      À ce stade, et conformément à ce que j’ai proposé jusque-là, je considère que la seule question qu’il y a lieu d’examiner, en l’état actuel du droit de l’Union, est celle de savoir si le droit national permet au juge pénal de tenir compte de l’application préalable d’une sanction administrative définitive afin de ne pas aboutir à un résultat final disproportionné et méconnaître, en tout état de cause, le principe de non-discrimination inhérent à l’État de droit.

98.      Il ressort du dossier que M. Fransson a procédé au paiement des sanctions pécuniaires que le Skatteverket lui avait infligées à l’époque, et que ces décisions sont devenues définitives.

99.      De même, et comme le représentant de M. Fransson l’a expliqué au cours de l’audience, son client fait actuellement l’objet de poursuites pénales et encourt des sanctions prévues aux articles 2 et 4 de la loi no 69 de 1971 sur les infractions fiscales, qui prévoient des peines pouvant aller jusqu’à six ans d’emprisonnement.

100. Le dossier ne précise pas si la législation suédoise prévoit explicitement un système de compensation, mais l’ordonnance de renvoi indique qu’il doit être «tenu compte», par les juges suédois, de la sanction fiscale infligée «lors de la détermination des peines judiciaires».

101. Dès lors, il appartient à la juridiction de renvoi, et non à la Cour, d’examiner les caractéristiques spécifiques du système de compensation prévu par le droit suédois, que ce soit sur le plan législatif ou dans la pratique jurisprudentielle des juridictions de ce pays. Si ce système constituait un mécanisme de compensation permettant de tenir compte de la première sanction en ayant pour effet d’alléger la seconde, il me semble qu’une seconde procédure ne serait pas contraire à l’article 50 de la charte. En revanche, si le critère utilisé dans l’ordre juridique suédois ne permettait pas une compensation dans les conditions susvisées, M. Fransson resterait alors exposé à une seconde sanction, ce qui contreviendrait, à mon avis, à l’article 50 précité de la charte.

B –    La première question préjudicielle

102. Par la première question préjudicielle, le Haparanda tingsrätt fait part à la Cour de ses doutes sur la compatibilité avec le droit de l’Union d’un critère prévu par le droit suédois, en particulier par la jurisprudence de sa juridiction suprême, en vertu duquel la non-application d’une norme suédoise contraire aux droits figurant dans la charte et la CEDH est subordonnée à l’existence d’un «indice clair» dans les dispositions de la charte, de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

103. Telle qu’elle est formulée par la juridiction de renvoi, la question fait référence à deux situations distinctes: en premier lieu, à la compatibilité avec le droit de l’Union d’un critère d’application de la CEDH en tant qu’accord international dont les droits font partie de l’ordre juridique de l’Union (article 6, paragraphe 3, TUE). En second lieu, le juge interroge la Cour sur la compatibilité de ce même critère en ce qu’il s’étend à l’application de la charte et, par conséquent, au droit de l’Union.

1.      L’indice «clair» comme critère d’application de la CEDH par la juridiction nationale

104. Le Haparanda tingsrätt a évoqué une jurisprudence de la juridiction suprême, selon laquelle il doit exister un «indice clair» dans la CEDH ou dans la jurisprudence de la Cour de Strasbourg pour pouvoir écarter l’application d’une norme suédoise incompatible avec la CEDH. Cette condition a été appliquée par la juridiction suprême suédoise dans diverses affaires portant sur la problématique de la présente espèce, et elle est parvenue, dans toutes ces affaires, à la conclusion que la jurisprudence de la Cour de Strasbourg relative à l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH ne contenait pas d’«indice clair». Cependant, la jurisprudence récente de la Cour de Strasbourg confirme, comme je l’ai expliqué aux points 75 à 79 des présentes conclusions, qu’il existe actuellement un «indice clair» plaidant en faveur des conclusions de M. Fransson.

105. La réforme opérée par le traité de Lisbonne explique l’origine de la question posée par le Haparanda tingsrätt. Comme on le sait, l’article 6, paragraphe 3, TUE ne correspond pas au libellé de l’ancien article 6, paragraphe 2, TUE. Avant le 1er décembre 2009, l’article précité énonçait que l’Union «respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la [CEDH]», alors que la rédaction en vigueur dispose que les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH, «font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux» (46). Par conséquent, les droits fondamentaux garantis par la CEDH, qui étaient respectés par l’Union, font maintenant partie de son ordre juridique. Le changement a son importance et la juridiction de renvoi semble considérer que la CEDH a acquis depuis 2009, indépendamment d’une future adhésion de l’Union à celle-ci, un nouveau statut dans le droit de l’Union.

106. Compte tenu des éléments qui précèdent, et si les droits de la CEDH font partie du droit de l’Union, il est légitime que la juridiction de renvoi se demande si le droit de l’Union s’oppose à un critère tel qui celui développé par la juridiction suprême suédoise, qui requiert l’existence d’un «indice clair» pour pouvoir écarter l’application d’une norme nationale contraire à la CEDH.

107. La réponse à cette question découle de l’arrêt Kamberaj, rendu récemment par la Cour (47). Dans cette affaire, la question était de savoir si, en cas de conflit entre une règle interne et la CEDH, l’article 6, paragraphe 3, TUE obligeait le juge national à appliquer directement les dispositions de la CEDH en écartant l’application d’une règle interne incompatible avec celle-ci.

108. Après avoir souligné que l’article 6, paragraphe 3, TUE, dans sa version modifiée par le traité de Lisbonne, se bornait à reproduire une jurisprudence constante de la Cour, cette dernière a considéré que la nouvelle rédaction de cette règle ne modifiait pas le statut de la CEDH dans le droit de l’Union ni, par conséquent, dans les ordres juridiques des États membres (48). De même, la Cour a ajouté que l’article 6, paragraphe 3, TUE ne déterminait pas les «conséquences à tirer par un juge national en cas de conflit entre les droits garantis par cette convention et une règle de droit national» (49).

109. En définitive, bien que les droits qu’elle reconnaît fassent partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, la CEDH ne constitue pas, en tant que telle, un instrument juridique formellement intégré dans l’ordre juridique européen. La situation changera lorsque l’obligation figurant à l’article 6, paragraphe 2, TUE, qui prévoit l’adhésion de l’Union à la CEDH, se concrétisera. Cependant, en l’état actuel du processus d’intégration, les critères d’application du droit de l’Union, en particulier les principes d’effet direct et de primauté, ne s’étendent pas à la CEDH lorsque celle-ci est appliquée par les juridictions des États membres. Ainsi, et conformément à ce qui a été jugé récemment dans l’arrêt Kamberaj, le critère de l’«indice clair», tel qu’appliqué par la juridiction suprême suédoise à des cas concernant exclusivement l’interprétation et l’application de la CEDH, ne peut pas être soumis à l’analyse de la Cour.

2.      L’indice «clair» comme critère d’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne par la juridiction nationale

110. Le Haparanda tingsrätt fait également référence à l’extension du critère de l’«indice clair» aux droits protégés par la charte et, en particulier, à son article 50. En l’espèce, la question ne concerne plus les relations entre la CEDH et le droit de l’Union, mais exclusivement ce dernier.

111. Dès lors, on peut se demander, comme le fait la juridiction de renvoi, si une exigence imposée par la juridiction suprême suédoise telle que celle de l’«indice clair», dans le cadre de l’application du droit de l’Union, conditionne la fonction juridictionnelle des tribunaux d’instance suédois, comme c’est le cas du Haparanda tingsrätt.

112. En vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (50). Ce même raisonnement s’étend également à la jurisprudence nationale d’un tribunal supérieur qui empêche ou entrave la pleine efficacité des dispositions du droit de l’Union comme le fait, en l’espèce, la condition relative à l’existence d’un «indice clair» prévue dans la jurisprudence de la juridiction suprême suédoise, afin d’écarter l’application d’une règle nationale incompatible avec la charte.

113. À mon avis, la condition relative à l’«indice clair» ne constitue pas, a priori, un obstacle qui empêche ou rend excessivement difficile la non-application d’une règle nationale incompatible avec la charte. Comme cela ressort de la jurisprudence de la juridiction suprême suédoise, la déclaration d’incompatibilité d’une règle nationale doit être précédée d’un droit fondamental qui soit suffisamment pertinent pour que la juridiction nationale puisse se prononcer à ce sujet. En définitive, la condition relative à l’«indice clair» fait donc figure d’exigence de certitude minimale sur le contenu normatif, car, dans le cas contraire, la juridiction nationale ne disposerait pas des éléments nécessaires pour statuer sur la règle nationale en cause. On peut valablement soutenir que la jurisprudence de la Cour de Strasbourg antérieure à l’arrêt Zolotoukhine c. Russie manquait sensiblement de «clarté», a fortiori dans un cas semblable à l’affaire suédoise, qui n’avait pas encore été soumis à la Cour de Strasbourg et qui n’avait pas non plus de points communs avec d’autres affaires résolues par cette dernière.

114. En revanche, on ne saurait admettre que la condition relative à l’«indice clair» se transforme en une condition qui affecte l’intensité du contrôle normalement réalisé par les juridictions nationales dans l’application du droit de l’Union. Exiger que la règle servant de critère d’appréciation soit «claire» ne saurait se transformer en une condition imposant que l’illégalité de la règle nationale soit «manifeste». En d’autres termes: une condition de clarté dans le contenu d’une règle du droit de l’Union ne peut pas servir d’excuse pour réduire l’intensité du contrôle juridictionnel effectué par les juridictions nationales dans l’application de cet ordre juridique. Dans le cas contraire, cela ferait peser une charge de la preuve excessive sur les parties invoquant l’incompatibilité d’une règle nationale avec une règle de l’Union, ce qui constituerait un obstacle à la pleine efficacité des règles du droit de l’Union directement applicables. Cette conclusion est renforcée lorsque la condition de «clarté» diminue l’intensité du contrôle juridictionnel uniquement à l’égard du droit de l’Union, mais pas à l’égard des affaires purement internes. Dans ce cas, cela remettrait non seulement en cause l’effectivité du droit de l’Union, mais porterait également atteinte au principe d’équivalence, tel qu’il a été développé par la Cour au fil d’une abondante jurisprudence (51).

115. En définitive, je considère que le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction nationale examine, avant d’écarter l’application d’une règle nationale, si une disposition de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est «claire», dès lors que cette condition ne rend pas plus difficile l’exercice du pouvoir d’interprétation et de non-application que le droit de l’Union confère aux juridictions nationales.

VII – Conclusion

116. À la lumière des arguments exposés aux points 48 à 64 des présentes conclusions, je propose à la Cour de se déclarer incompétente pour répondre aux questions posées par le Haparanda tingsrätt.

117. À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour estimerait qu’elle est compétente pour se prononcer au fond, je propose de répondre aux questions préjudicielles précitées dans les termes suivants:

«1)      En l’état actuel du processus d’intégration européenne, l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il n’empêche pas les États membres d’engager la procédure devant la juridiction pénale pour des faits qui ont déjà été sanctionnés, de manière définitive, par voie administrative dès lors que le juge pénal est en mesure de tenir compte de l’existence préalable d’une sanction administrative afin d’alléger la peine qu’il lui incombe d’infliger.

Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier s’il convient, dans la présente espèce et à la lumière des règles nationales applicables en la matière, de tenir compte de la sanction administrative préalable, ce qui allégerait la décision rendue par le juge pénal.

2)      La Cour n’est pas compétente pour se prononcer sur la compatibilité avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales d’une condition de droit suédois exigeant l’existence d’un ‘indice clair’ pour que les juridictions nationales écartent l’application d’une règle interne.

Le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction nationale examine, avant d’écarter l’application d’une règle nationale, si une disposition de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est ‘claire’, dès lors que cette condition ne rend pas plus difficile l’exercice du pouvoir d’interprétation et de non-application que le droit de l’Union confère aux juridictions nationales.»


1 – Langue originale: l’espagnol.


2 –      Directive du Conseil, du 28 novembre 2006 (JO L 347, p. 1).


3 –      Voir, notamment, Groussot, X., Pech, L., et Petursson, G. T., «The Scope of Application of EU Fundamental Rights on Member States’ Action: In Search of Certainty in EU Adjudication», Eric Stein Working Paper 1/2011.


4 – Voir, par exemple, conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Schmidberger (arrêt du 12 juin 2003, C‑112/00, Rec. p. I‑05659); conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans l’affaire Centro Europa 7 (arrêt du 31 janvier 2008, C‑380/05, Rec. p. I‑349); conclusions de l’avocat général Sharpston dans l’affaire Ruiz Zambrano (arrêt du 8 mars 2011, C‑34/09, Rec. p. I‑1177) ou conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Scattolon (arrêt du 6 septembre 2011, C‑108/10, Rec. p. I‑7491).


5 – Voir explications relatives à l’article 51 du praesidium de la convention qui a élaboré la charte, dans sa version consolidée, auxquelles renvoie l’article 6, paragraphe 3, premier alinéa, de la charte.


6 – Voir, d’une part, arrêts du 13 juillet 1989, Wachauf (5/88, Rec. p. 2609); du 24 mars 1994, Bostock (C‑2/92, Rec. p. I‑955), et Schmidberger (précité note 4) et, d’autre part, arrêts du 18 juin 1991, ERT (C-260/89, Rec. p. I‑2925), et du 26 juin 1997, Familiapress (C‑368/95, Rec. p. I‑3689); et comparer aux arrêts du 13 juin 1996, Maurin (C‑144/95, Rec. p. I‑2909); du 29 mai 1997, Kremzow (C‑299/95, Rec. p. I‑2629), et du 18 décembre 1997, Annibaldi (C‑309/96, Rec. p. I‑7493).


7 –      Voir, notamment, Nusser, J., Die Bindung der Mitgliedstaaten an die Unionsgrundrechte, Ed. Mohr Siebeck, Tübingen, 2011, p. 54 et suiv.; Kokott, J., et Sobotta, C., «The Charter of Fundamental Rights of the European Union after Lisbon», EUI Working Papers, Academy of European Law, no 2010/06; Alonso García, R., «The General Provisions of the Charter of Fundamental Rights of the European Union», no 8 European Law Journal, 2002; Groussot, X., Pech, L., Petursson, G. T., «The scope of Application […]», ouvrage précité; Eeckhout, P., «The Charter of Fundamental Rights and the federal question», 39 Common Market Law Review, 2002; Jacqué, J. P., «La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne: aspects juridiques généraux», REDP, vol. 14, no 1, 2002; Egger, A., «EU-Fundamental Rights in the National Legal Order: The Obligations of Member States Revisited», Yearbook of European Law, vol. 25, 2006; Rosas, A., et Kaila, H., «L’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne par la Cour de justice – Un premier bilan», Il Diritto dell’Unione Europea, 1/2011, et Weiler, J., et Lockhart, N., «Taking rights seriously seriously: The European Court and its Fundamental Rights Jurisprudence – Part I » no 32, Common Market Law Review, 1995.


8 – Voir Cour eur. D. H., arrêt Bosphorus c. Irlande du 30 juin 2005 (no 45036/98).


9 – Voir, entre autres, les «situations» dans les affaires Wachauf et ERT, précitées, ainsi que les nombreux exemples énumérés par Kaila, H., «The Scope of Application of the Charter of Fundamental Rights of the European Union in the Member States», dans Cardonnel, P., Rosas, A., et Wahl, N., Constitutionalising the EU Judicial System. Essays in Honour of Pernilla Lindh, Hart Publishers, Oxford-Portland, 2012.


10 –      Voir Nusser, J., Die Bindung der Mitgliedstaaten […], précité.


11 –      Pernice, I., «Bestandssicherung der Verfassungen: Verfassungsrechtliche Mechanismen zur Wahrung der Verfassungsordnung», dans Bieber, R., et Widmer, P., (éd.), L’espace constitutionnel européen. Der europäische Verfassungsraum. The European constitutional area, Schultess Polygraphischer Verlag, Zurich, 1995, p. 261 et suiv., et plus récemment, du même auteur, Das Verhältnis europäischer zu nationalen Gerichten im europäischen Verfassungsverbund, De Gruyter, Berlin, 2006, p. 17 et suiv.


12 –      Voir, notamment, Nusser, J., Die Bindung der Mitgliedstaaten […], précité.


13 – Voir, notamment, arrêts du 7 juillet 1976, Watson et Belmann (118/75, Rec. p. 1185); du 14 juillet 1977, Sagulo e.a. (8/77, Rec. p. 1495); du 21 septembre 1989, Commission/Grèce (68/88, Rec. p. 2965); du 10 juillet 1990, Hansen (C‑326/88, Rec. p. I‑2911); du 2 octobre 1991, Vandevenne e.a. (C‑7/90, Rec. p. I‑4371); du 27 février 1997, Ebony Maritime et Loten Navigation (C‑177/95, Rec. p. I‑1111); du 31 mars 2011, Aurubis Balgaria (C‑546/09, Rec. p. I‑2531), et du 9 février 2012, Urbán (C-210/10). Plus spécifiquement, concernant les sanctions nationales prises en exécution des directives de l’Union, voir, entre autres, arrêts du 12 juillet 2001, Louloudakis (C‑262/99, Rec. p. I‑5547); du 11 septembre 2003, Safalero (C‑13/01, Rec. p. I‑8679); du 2 octobre 2003, Grilli (C‑12/02, Rec. p. I‑11585); du 3 mai 2005, Berlusconi e.a. (C‑387/02, C‑391/02 et C‑403/02, Rec. p. I‑3565), et du 5 juillet 2007, Ntionik et Pikoulas (C‑430/05, Rec. p. I‑5835).


14 – Voir point 17 de l’ordonnance de renvoi.


15 – Voir article 273 de la directive 2006/112.


16 – Voir, entre autres, arrêts Schmidberger (précité note 4, point 32); du 8 septembre 2009, Budĕjovický Budvar (C‑478/07, Rec. p. I‑7721, point 64), et du 11 mars 2010, Attanasio Group (C‑384/08, Rec. p. I‑2055, point 28).


17 – La réserve émise le 17 février 1986 est libellée comme suit: «Le Gouvernement de la République française déclare que seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 à 4 du présent Protocole».


18 – La rédaction de ces déclarations est pratiquement la même que celle de la réserve française, à quelques variantes près. Toutefois, il ne faut pas oublier que, dans l’arrêt Gradinger c. Autriche, la Cour de Strasbourg a prononcé l’invalidité de la déclaration autrichienne relative à l’article 4 du protocole no 7 de la CEDH (points 49 à 51), mais pour des motifs formels et conformes à la jurisprudence inaugurée par la célèbre affaire Belilos c. Suisse. À cet égard, voir Cameron, I., et Horn, F., «Reservations to the European Convention on Human Rights: The Belilos Case», German Yearbook of International Law, 33, 1990, et Cohen-Jonathan, G., «Les réserves à la Convention européenne des droits de l’homme», Revue générale de droit international public, T. XCIII, 1989.


19 – Voir rapport du Comité des ministres sur l’élaboration d’instruments juridiques pour l’adhésion de l’Union européenne à la convention européenne des droits de l’homme du 14 octobre 2011, CDDH(2011)009, p. 17, points 19 et suiv.


20 – Arrêt Engel e.a. c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A no 22, § 82.


21 – Voir, entre autres, Cour eur. D. H., arrêts Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984, série A no 73); Lauko c. Slovaquie du 2 septembre 1998 (Rep. 1998-VI), et Jussila c. Finlande du 23 novembre 2006 (no 73053/01, Cour eur. D.H 2006-XIV). Les deux derniers critères sont alternatifs, mais la Cour peut, en fonction des circonstances de l’espèce, en tenir compte de manière cumulative.


22 – Voir arrêts Västberga Taxi Aktiebolag et Vulic c. Suède du 23 juillet 2002 (no 36985/97) et Janosevic c. Suède du 23 juillet 2002 (Cour eur. D. H 2002-VII).


23 – Voir arrêt Zolotoukhine c. Russie du 10 février 2009 (no 14939/03, Cour eur. D. H. 2009).


24 – Voir arrêts Oliveira c. Suisse du 30 juillet 1998 (Rep. 1998‑V; fasc. 83); Franz Fischer c. Autriche du 29 mai 2001 (no 37950/97); Sailer c. Autriche du 6 juin 2002 (no 38237/97) et Ongun c. Turquie du 23 juin 2009 (no 15737/02).


25 – Arrêt précité note 23.


26 – Points 82 à 84 de l’arrêt Zolotoukhine c. Russie, précité.


27 – Voir, entre autres, arrêts du 11 février 2003, Gözütok et Brügge (C‑187/01 et C‑385/01, Rec. p. I‑1345); du 10 mars 2005, Miraglia (C‑469/03, Rec. p. I‑2009); du 9 mars 2006, Van Esbroeck (C‑436/09, Rec. p. I‑2333); du 28 septembre 2006, Gasparini e.a. (C‑467/04, Rec. p. I‑9199) et Van Straaten (C‑150/05, Rec. p. I‑9327), ainsi que du 11 décembre 2008, Bourquain (C‑297/07, Rec. p. I‑9425).


28 – Voir arrêts Cour eur. D. H. précités Franz Fischer c. Autriche, point 22; Gradinger c. Autriche, point 53, et Nitikine c. Russie du 2 novembre 2006 (no 15969/02), § 37.


29 – Arrêt Zolotoukhine c. Russie, précité.


30 – Arrêt Ruotsalainen c. Finlande du 16 juin 2009 (no 13079/03).


31 – Arrêt Tomasovic c. Croatie du 18 octobre 2011 (no 53785/09), qui est contraire à ce qui avait été initialement décidé dans l’arrêt Oliveira c. Suisse, dont la solution, objet de vives critiques, paraît désormais abandonnée. Voir, à cet égard, Carpio Briz, D. «Europeización y reconstitución del non bis in idem», Revista General de Derecho Penal, no 14, 2010, Iustel, Madrid.


32 – C’est ce que confirment les explications établies pour guider l’interprétation de la charte, et dont toutes les juridictions nationales doivent tenir compte, comme l’exige l’article 52, paragraphe 3, de la charte. L’explication relative à l’article 50 se termine ainsi: «En ce qui concerne les situations visées par l’article 4 du protocole no 7 [de la CEDH], à savoir l’application du principe à l’intérieur d’un même État membre, le droit garanti a le même sens et la même portée que le droit correspondant de la CEDH».


33 – Voir analyse comparative de Moderne, F., «La sanction administrative – Éléments d’analyse comparative», Revue française de droit administratif, no 3, 2002.


34 – Voir décisions du Conseil constitutionnel du 28 juillet, no 89-260 DC, loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier, considérant 22; du 30 décembre 1997, no 97-395 DC, loi de finances pour 1998, considérant 41. Concernant cette jurisprudence, voir Gutmann, D., «Sanctions fiscales et Constitution», Les nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, no 33, 2011.


35 – Voir, par exemple, arrêt de l’OLG Celle, du 6 août 1970, 1Ss 164/70.


36 – C’est notamment le cas du Royaume d’Espagne, dont le décret royal no 1398/1993, portant réglementation du pouvoir de sanction des administrations publiques, impose, à son article 7, la priorité de la procédure pénale par rapport à la procédure de sanction administrative. Voir, à cet égard, Queralt Jíménez, A., La interpretación de los derechos: del Tribunal de Estrasburgo al Tribunal Constitucional, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales, Madrid, 2008, p. 263 et suiv., et Beltrán de Felipe, M., et Puerta Seguido, F., «Perplejidades acerca de los vaivenes en la jurisprudencia constitucional sobre el ‘ne bis in idem’», Revista española de derecho constitucional, no 71 2004.


37 – L’article 6, paragraphe 1, prévoit la possibilité de suspendre la procédure administrative à la suite de l’ouverture d’une procédure pénale concernant les mêmes faits. Ensuite, le paragraphe 3 ajoute que, «[l]orsque la procédure pénale est menée à son terme, la procédure administrative qui a été suspendue reprend, pour autant que les principes généraux du droit ne s’y opposent pas» (surlignement ajouté).


38 – À cet égard, Burgorgue-Larsen, L., «Les interactions normatives en matière de droits fondamentaux», dans Burgorgue-Larsen, L., Dubout, E., Maitrot de la Motte, A., et Touzé, S., Les interactions normatives – Droit de l’Union européenne et droit international, Pedone, 2012, Paris, p. 372 et 373.


39 – Voir premiers arrêts du 5 mai 1966, Gutmann/Commission de la CEEA (18/65 et 35/65, Rec. p. 149), en matière de fonction publique, et du 15 juillet 1970, Boehringer Mannheim/Commission (45/69, Rec. p. 769), dans le domaine de la concurrence.


40 – Conclusions présentées le 19 septembre 2002, points 47 et suiv.


41 – Conclusions présentées le 8 septembre 2011 (arrêt du 14 février 2012, C‑17/10), points 96 et suiv.


42 – Voir, entre autres, van Bockel, B., The Ne Bis in Idem Principle in EU Law, Kluwer, La Haye, 2010, p. 205 et suiv.


43 – Voir, à cet égard, l’analyse détaillée réalisée par l’avocat général Kokott sur cette question dans ses conclusions du 15 décembre 2011 dans l’affaire Bonda (arrêt du 5 juin 2012, C‑489/10), points 32 et suiv. Voir également conclusions de l’avocat général Sharpston présentées le 10 février 2011, dans l’affaire KME Germany e.a./Commission (arrêt du 8 décembre 2011, C-272/09 P, Rec. p. I‑12789), point 64; conclusions de l’avocat général Bot présentées le 26 octobre 2010 dans l’affaire ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a. (arrêt du 29 mars 2011, C‑201/09 P et C‑216/09 P, Rec. p. I‑2239), point 41, et dans l’affaire Thyssen Krupp Nirosta/Commission (arrêt du 29 mars 2011, C‑352/09 P, Rec. p. I‑2359), point 49, ainsi que conclusions de l’avocat général Kokott présentées le 3 juillet 2007 dans l’affaire ETI e.a. (arrêt du 11 décembre 2007, C‑280/06, Rec. p. I‑10893), point 71.


44 – Voir arrêts précités Van Esbroeck, points 27, 32 et 36; Van Straaten, points 41, 47 et 48, et du 16 novembre 2010, Mantello (C‑261/09, Rec. p. I‑11477, point 39). Or, cette approche se distingue de celle qui a été retenue en matière de concurrence, où la Cour continue à exiger une triple condition d’identité des faits, d’unité de contrevenant et d’unité de l’intérêt juridique protégé. Voir, entre autres, arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 338), et Toshiba Corporation e.a., précité, points 97 et 98. À cet égard, voir également la critique de l’avocat général Kokott sur ce régime spécial applicable au domaine de la concurrence dans ses conclusions présentées dans l’affaire Toshiba Corporation e.a., précitées à la note 41.


45 –      Voir Bingham, T., The Rule of Law, Allen Lane, Londres, 2010, p. 66 et suiv.


46 – Surlignement ajouté par nos soins.


47 – Arrêt du 24 avril 2012 (C‑571/10).


48 – Point 61 de l’arrêt Kamberaj, précité.


49 – Ibidem, point 62.


50 – Arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, Rec. p. 629, point 24), et du 19 novembre 2009, Filipiak (C‑314/08, Rec. p. I‑11049, point 81).


51 – Voir, entre autres, arrêts du 15 septembre 1998, Edis (C‑231/96, Rec. p. I‑4951, point 36); du 1er décembre 1998, Levez (C‑326/96, Rec. p. I‑7835, point 41); du 16 mai 2000, Preston e.a. (C‑78/98, Rec. p. I‑3201, point 55), et du 19 septembre 2006, i‑21 Germany et Arcor (C‑392/04 et C‑422/04, Rec. p. I‑8559, point 62).