Language of document : ECLI:EU:C:2015:646

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 1er octobre 2015 (1)

Affaire C‑342/14

X-Steuerberatungsgesellschaft

contre

Finanzamt Hannover-Nord

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour fédérale des finances (Bundesfinanzhof, Allemagne)]

«Libre prestation des services – Article 56 TFUE – Directive 2006/123/CE – Reconnaissance des qualifications professionnelles – Directive 2005/36/CE – Société de conseil fiscal établie dans un État membre et fournissant des services dans un autre État membre – Réglementation nationale subordonnant l’exercice de l’activité des sociétés de conseil fiscal à une obligation de reconnaissance et à des exigences de qualification professionnelle de ses dirigeants»





1.        Le litige au principal dans la présente affaire porte sur le refus de l’administration fiscale allemande de permettre à une société de conseil fiscal légalement établie dans un autre État membre, en l’occurrence le Royaume des Pays-Bas, d’exercer ses activités à destination de ses clients établis en Allemagne. L’activité en question, qui n’est pas réglementée au Pays-Bas, ne peut en l’occurrence être exercée en Allemagne par une société de conseil fiscal qu’à la condition que cette dernière ait été reconnue, ce qui implique que ses dirigeants aient été nommés conseillers fiscaux et aient donc réussi l’examen de conseiller fiscal.

2.        La société de conseil en cause au principal conteste ce refus, en invoquant l’article 5 de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (2), l’article 16 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (3), et l’article 56 TFUE, conduisant la juridiction de renvoi à poser à la Cour trois questions préjudicielles en interprétation desdites dispositions.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

1.      La directive 2005/36

3.        L’article 1er de la directive 2005/36 définit l’objet de cette dernière dans les termes suivants:

«La présente directive établit les règles selon lesquelles un État membre qui subordonne l’accès à une profession réglementée ou son exercice, sur son territoire, à la possession de qualifications professionnelles déterminées (ci-après dénommé ‘État membre d’accueil') reconnaît, pour l’accès à cette profession et son exercice, les qualifications professionnelles acquises dans un ou plusieurs autres États membres (ci-après dénommé(s) ‘État membre d’origine') et qui permettent au titulaire desdites qualifications d’y exercer la même profession.»

4.        L’article 2 de la directive 2005/36, qui définit son champ d’application, prévoit, à son paragraphe 1:

«La présente directive s’applique à tout ressortissant d’un État membre, y compris les membres des professions libérales, voulant exercer une profession réglementée dans un État membre autre que celui où il a acquis ses qualifications professionnelles, soit à titre indépendant, soit à titre salarié.»

5.        L’article 5 de la directive 2005/36 dispose:

«1.      Sans préjudice de dispositions spécifiques du droit communautaire ni des articles 6 et 7 de la présente directive, les États membres ne peuvent restreindre, pour des raisons relatives aux qualifications professionnelles, la libre prestation de services dans un autre État membre:

a)      si le prestataire est légalement établi dans un État membre pour y exercer la même profession (ci-après dénommé ‘État membre d’établissement’), et

b)      en cas de déplacement du prestataire, s’il a exercé cette profession dans l’État membre d’établissement pendant au moins deux années au cours des dix années qui précèdent la prestation lorsque la profession n’y est pas réglementée. La condition exigeant l’exercice de la profession pendant deux ans n’est pas d’application si soit la profession soit la formation conduisant à la profession est réglementée.

2.      Les dispositions du présent titre s’appliquent uniquement dans le cas où le prestataire se déplace vers le territoire de l’État membre d’accueil pour exercer, de façon temporaire et occasionnelle, la profession visée au paragraphe 1.

Le caractère temporaire et occasionnel de la prestation est apprécié au cas par cas, notamment en fonction de la durée de la prestation, de sa fréquence, de sa périodicité et de sa continuité.

3.      S’il se déplace, un prestataire est soumis aux règles de conduite de caractère professionnel, réglementaire ou administratif en rapport direct avec les qualifications professionnelles telles que la définition de la profession, l’usage des titres et les fautes professionnelles graves qui ont un lien direct et spécifique avec la protection et la sécurité des consommateurs, ainsi qu’aux dispositions disciplinaires applicables dans l’État membre d’accueil aux professionnels qui y exercent la même profession.»

2.      La directive 2006/123

6.        L’article 16, paragraphes 1 à 3, de la directive 2006/123 dispose:

1.      Les États membres respectent le droit des prestataires de fournir des services dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis.

L’État membre dans lequel le service est fourni garantit le libre accès à l’activité de service ainsi que son libre exercice sur son territoire.

Les États membres ne peuvent pas subordonner l’accès à une activité de service ou son exercice sur leur territoire à des exigences qui ne satisfont pas aux principes suivants:

a)      la non-discrimination: l’exigence ne peut être directement ou indirectement discriminatoire en raison de la nationalité ou, dans le cas de personnes morales, en raison de l’État membre dans lequel elles sont établies;

b)      la nécessité: l’exigence doit être justifiée par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement;

c)      la proportionnalité: l’exigence doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

2.      Les États membres ne peuvent pas restreindre la libre prestation des services par un prestataire établi dans un autre État membre en imposant l’une des exigences suivantes:

a)      l’obligation pour le prestataire d’avoir un établissement sur leur territoire;

b)      l’obligation pour le prestataire d’obtenir une autorisation de leurs autorités compétentes, y compris une inscription dans un registre ou auprès d’un ordre ou d’une association professionnels existant sur leur territoire, sauf dans les cas visés par la présente directive ou par d’autres instruments de la législation communautaire;

c)      l’interdiction pour le prestataire de se doter sur leur territoire d’une certaine forme ou d’un certain type d’infrastructure, y compris d’un bureau ou d’un cabinet d’avocats, dont le prestataire a besoin pour fournir les services en question;

d)      l’application d’un régime contractuel particulier entre le prestataire et le destinataire qui empêche ou limite la prestation de services à titre indépendant;

e)      l’obligation, pour le prestataire, de posséder un document d’identité spécifique à l’exercice d’une activité de service délivré par leurs autorités compétentes;

f)      les exigences affectant l’utilisation d’équipements et de matériel qui font partie intégrante de la prestation du service, à l’exception de celles nécessaires à la santé et la sécurité au travail;

g)      les restrictions à la libre prestation des services visées à l’article 19.

3.      Les présentes dispositions n’empêchent pas l’État membre dans lequel le prestataire se déplace pour fournir son service d’imposer des exigences concernant la prestation de l’activité de service lorsque ces exigences sont justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement et conformément au paragraphe 1. Elles n’empêchent pas non plus cet État membre d’appliquer, conformément au droit communautaire, ses règles en matière de conditions d’emploi, y compris celles énoncées dans des conventions collectives.

[…]»

7.        L’article 17 de la directive 2006/123, qui établit des dérogations supplémentaires à la libre prestation des services, dispose:

«L’article 16 ne s’applique pas:

[…]

6)      aux matières couvertes par le titre II de la directive 2005/36[…] ainsi qu’aux exigences en vigueur dans l’État membre où le service est fourni, qui réservent une activité à une profession particulière;

[…]»

B –    Le droit allemand

8.        Aux termes de l’article 80, paragraphe 5, du code des impôts (Abgabenordnung), dans sa version en vigueur à la date des faits de l’affaire au principal, les mandataires et les conseils sont refusés s’ils fournissent à titre professionnel une assistance en matière fiscale sans y être habilités.

9.        L’article 2, première phrase, de la loi sur les conseillers fiscaux (Steuerberatungsgesetz (4)), dans sa version en vigueur à la date des faits de l’affaire au principal, prévoit qu’une activité d’assistance en matière fiscale ne peut être exercée à titre professionnel que par des personnes ou des groupements qui sont habilités à cet effet.

10.      En vertu de l’article 3 de la loi sur les conseillers fiscaux, sont habilités à exercer une assistance professionnelle en matière fiscale:

«1)      les conseillers fiscaux, les mandataires fiscaux, les avocats, les avocats européens établis, les experts comptables et les vérificateurs comptables assermentés,

2)      les sociétés civiles professionnelles, dont les associés sont exclusivement les personnes visées au point 1 ci-dessus,

3)      les sociétés de conseil fiscal, les sociétés civiles professionnelles d’avocats, les sociétés d’expertise comptable et les sociétés de vérification des comptes.»

11.      L’assistance professionnelle en matière fiscale exercée de façon temporaire et occasionnelle est régie par l’article 3a de la loi sur les conseillers fiscaux, qui vise à mettre en œuvre, dans le domaine concerné, la directive 2005/36. Il dispose:

«1.      Les personnes professionnellement établies dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen[, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3),] ou en Suisse et qui y sont habilitées à exercer à titre professionnel une assistance en matière fiscale en conformité du droit de l’État d’établissement sont habilitées à fournir, de façon temporaire et occasionnelle, une assistance professionnelle en matière fiscale sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne. L’étendue de l’habilitation à exercer l’assistance en matière fiscale en Allemagne est fonction de l’étendue de cette habilitation dans l’État d’établissement. Dans leurs activités en Allemagne, lesdites personnes sont soumises aux mêmes règles professionnelles que les personnes visées à l’article 3. Si ni la profession ni la formation conduisant à la profession ne sont réglementées dans l’État d’établissement, l’habilitation à fournir en Allemagne une assistance professionnelle en matière fiscale ne s’applique que si la personne a exercé cette profession dans l’État d’établissement pendant au moins deux années au cours des dix années qui précèdent. La question de savoir si l’assistance professionnelle en matière fiscale a lieu de façon temporaire et occasionnelle est appréciée notamment en fonction de sa durée, de sa fréquence, de sa périodicité et de sa continuité.

2.      L’assistance professionnelle en matière fiscale au sens du paragraphe 1 n’est admise que si préalablement à la première prestation en Allemagne, la personne informe l’organisme compétent par une déclaration écrite. L’organisme compétent pour les personnes provenant:

[…]

4)     des Pays-Bas et de Bulgarie est la Steuerberaterkammer Düsseldorf,

[…]

La déclaration doit contenir les éléments suivants:

1.      le nom de famille et les prénoms, le nom commercial ou la dénomination sociale, y compris les représentants légaux,

2.      l’année de naissance ou de constitution,

3.      l’adresse professionnelle, y compris les adresses de toutes les succursales,

4.      le titre professionnel en vertu duquel les activités en Allemagne ont vocation à être exercées,

5.      une attestation indiquant que la personne est établie légalement aux fins de l’exercice d’une assistance professionnelle en matière fiscale dans un État membre de l’Union européenne ou dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou en Suisse et que l’exercice de cette activité, au moment de la présentation de l’attestation, ne lui est pas interdit, même temporairement,

6.      une preuve de qualification professionnelle,

7.      une preuve montrant que la personne a exercé la profession dans l’État d’établissement au moins deux ans durant les dix années précédentes, si ni la profession, ni la formation requise pour cette profession ne sont réglementées dans l’État d’établissement,

8.      des informations détaillées concernant l’assurance contre les risques professionnels ou toute autre protection individuelle ou collective en matière de responsabilité professionnelle.

La déclaration doit être introduite chaque année si, à l’expiration de l’année civile, la personne souhaite à nouveau fournir une assistance professionnelle en matière fiscale en Allemagne conformément au paragraphe 1. Dans ce cas, l’attestation visée à l’article 3, paragraphe 5, et les informations à fournir conformément à l’article 3, paragraphe 8, doivent à nouveau être présentées.

[…]»

12.      L’article 4 de la loi sur les conseillers fiscaux prévoit:

«Sont en outre habilités à fournir une assistance professionnelle en matière fiscale:

1.      les notaires, dans le cadre des activités qui leur sont autorisées […]

2.      les avocats en matière de brevets et cabinets d’avocats en matière de brevets, dans le cadre des activités qui leur sont autorisées […]

3.      les autorités et organismes de droit public, ainsi que les établissements d’audit interrégionaux pour les organismes et institutions de droit public, dans le cadre de leur compétence;

4.      les curateurs et administrateurs de patrimoines de tiers ou de patrimoine qui leur ont été cédés à titre de fiduciaire ou transmis à des fins de garantie dans la mesure où ils fournissent une assistance en matière fiscale concernant ce patrimoine;

5.      les entrepreneurs ayant une activité commerciale, dans la mesure où ils fournissent une assistance en matière fiscale à leurs clients en rapport direct avec un objet qui fait partie de leur activité commerciale;

6.      les associations faîtières de coopératives, les associations d’audit de coopératives et les fiduciaires coopératives, dans la mesure où elles fournissent aux membres des associations faîtières et d’examen une assistance en matière fiscale dans le cadre de leurs tâches;

7.      les représentations professionnelles ou associations formées sur une base similaire, dans la mesure où elles fournissent à leurs membres une assistance en matière fiscale dans le cadre de leurs tâches; […]

8.      les associations professionnelles ou groupements constitués sur une base équivalente d’agriculteurs et de sylviculteurs dont les statuts prévoient la fourniture d’une assistance aux exploitations agricoles et sylvicoles […], dans la mesure où cette assistance est fournie par l’intermédiaire de personnes habilitées à porter le titre d’‘office comptable agricole’ et où l’assistance ne concerne pas le calcul des revenus provenant du travail d’indépendant ou d’activités industrielles ou commerciales, à moins qu’il ne s’agisse de revenus secondaires tels que les agriculteurs les obtiennent normalement;

9.      a)     les entreprises commissionnaires de transport, dans la mesure où elles fournissent une assistance en matière de prélèvements à l’entrée ou de traitement, au regard des droits d’accises, de marchandises circulant dans des échanges avec d’autres États membres de l’Union européenne;

b)      les autres entreprises industrielles ou commerciales, dans la mesure où elles fournissent une assistance en rapport avec le traitement douanier dans les affaires relatives aux prélèvements à l’entrée;

c)      les entreprises citées sous les points a) et b) dans la mesure où elles fournissent aux entrepreneurs […] une assistance en matière fiscale […] et où elles sont établies dans l’aire géographique d’application de la présente loi, ne constituent pas de petites entreprises […] et n’ont pas été exclues de l’activité de représentation fiscale […]

10.      les employeurs, dans la mesure où ils fournissent une assistance à leurs salariés dans les questions liées à l’impôt sur les revenus issus d’activités salariés ou les questions liées à la compensation fiscale de charges familiales […]

11.      les associations d’aide aux contribuables, dans la mesure où elles fournissent une assistance en matière fiscale à leurs membres […]

12.      les sociétés nationales d’investissement, ainsi que les personnes, les sociétés et d’autres indivisions, dans la mesure où elles introduisent, au nom de créanciers de revenus de capitaux, des demandes groupées de remboursement de l’impôt sur les revenus de capitaux […]

12 a. les établissements de crédit étrangers, dans la mesure où ils introduisent, au nom de créanciers de revenus de capitaux, des demandes groupées de remboursement de l’impôt sur les revenus de capitaux […]

13.      les experts agréés en actuariat, dans la mesure où ils fournissent une assistance en matière fiscale à leurs clients en rapport direct avec le calcul de provisions pour pensions, de provisions techniques d’assurance et des transferts à des caisses de retraite et de prévoyance;

[…]

15.      les instances reconnues par le droit des Länder comme aptes […] dans le cadre de leurs tâches;

[…]»

13.      L’article 32 de la loi sur les conseillers fiscaux dispose:

«1.      Les conseillers fiscaux, les mandataires fiscaux et les sociétés de conseil fiscal fournissent l’assistance professionnelle en matière fiscale conformément aux dispositions de la présente loi.

2.      Les conseils fiscaux et les mandataires fiscaux doivent faire l’objet d’une nomination; ils exercent une profession libérale. Leur activité n’est pas une activité commerciale.

3.      Les sociétés de conseil fiscal doivent avoir été reconnues. La reconnaissance suppose qu’il soit établi que la société est dirigée de manière responsable par des conseillers fiscaux.»

II – Les faits à l’origine du litige au principal

14.      X-Steuerberatungsgesellschaft est une société de capitaux de droit du Royaume-Uni ayant son siège au Royaume-Uni et des filiales aux Pays-Bas et en Belgique, qui a pour objet social le conseil d’entreprise, le conseil fiscal et la comptabilité et dont les associés et gérants sont S, domiciliée en Allemagne, et Y, domicilié en Belgique.

15.      Elle fournit des conseils en matière fiscale à plusieurs mandants établis en Allemagne, dont elle assure la représentation dans des procédures administratives fiscales, bien qu’elle ne soit pas reconnue comme société de conseil en Allemagne, au sens des articles 32, paragraphe 3, et 49 de la loi sur les conseillers fiscaux, et que la nomination de Y en tant que conseiller fiscal en Allemagne ait été annulée en 2000.

16.      La requérante au principal utilise les services de A Ltd, une entreprise de services de bureau établie en Allemagne, désignée comme représentante chargée de recevoir les notifications, et dans les bureaux de laquelle Y aurait exercé ses activités.

17.      Elle a, notamment, participé à l’établissement de la déclaration d’impôt sur le chiffre d’affaires de C Ltd au titre de l’exercice 2010. Toutefois, par décision du 12 mars 2012, le Finanzamt Hannover-Nord (perception Hanovre-Nord) a refusé de la reconnaître comme mandataire de C Ltd, en application de l’article 80, paragraphe 5, du code des impôts , au motif qu’elle n’était pas habilitée à fournir à titre professionnel une assistance en matière fiscale.

18.      Le recours introduit par la requérante au principal contre cette décision a été rejeté par le tribunal des finances (Finanzgericht). Ce dernier a, d’une part, confirmé qu’elle n’avait pas compétence pour assurer une assistance professionnelle en matière fiscale et, d’autre part, jugé que les conditions permettant de fournir, de façon temporaire et occasionnelle, une assistance professionnelle en matière fiscale conformément à l’article 3a de la loi sur les conseillers fiscaux n’étaient pas réunies, la requérante au principal n’ayant adressé à la Chambre professionnelle des conseillers fiscaux de Düsseldorf, compétente aux Pays-Bas, aucune déclaration qui satisfasse aux exigences du paragraphe 2 de cette disposition.

19.      Dans le cadre de son recours en «Revision» devant la juridiction de renvoi, la requérante au principal a fait valoir qu’il ne saurait être fait interdiction à un prestataire de services établi dans un État membre, en l’occurrence le Royaume des Pays-Bas, où il exerce légalement des activités de conseil fiscal, de fournir ses services à partir de cet État membre à des opérateurs économiques établis dans un autre État membre, en l’occurrence la République fédérale d’Allemagne, c’est-à-dire sans franchissement de la frontière, indépendamment du fait que, dans ce dernier État membre, l’activité de conseil fiscal soit réservée à certains professionnels. Elle invoque une violation de l’article 5 de la directive 2005/36, de l’article 16 de la directive 2006/123, de l’article 56 TFUE ainsi que de l’article 3 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique») (5).

III – Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

20.      C’est dans ces circonstances que la Cour fédérale des finances a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 5 de la directive 2005/36 s’oppose-t-il à une restriction de la libre prestation des services lorsqu’une société de conseil fiscal constituée en conformité de la législation d’un État membre établit, dans l’État membre où elle a son établissement et où l’activité de conseil fiscal n’est pas réglementée, une déclaration fiscale pour un destinataire dans un autre État membre et la transmet à l’administration fiscale de cet autre État membre, dont la réglementation nationale prévoit que, pour être habilitée à fournir une assistance professionnelle en matière fiscale, une société de conseil fiscal doit avoir été reconnue et être dirigée de manière responsable par des conseillers fiscaux?

2)      Dans les circonstances visées ci-dessus à la première question, une société de conseil fiscal peut-elle invoquer avec succès l’article 16, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/123, et ce indépendamment du point de savoir dans lequel des deux États membres elle fournit le service?

3)      L’article 56 TFUE doit-il être interprété en ce sens que, dans les circonstances visées ci-dessus à la première question, il s’oppose à une restriction à la libre prestation des services découlant de la réglementation applicable dans l’État membre du destinataire de la prestation lorsque la société de conseil fiscal n’est pas établie dans cet État?»

21.      Dans sa décision de renvoi, la juridiction de renvoi a expliqué qu’il était nécessaire que la Cour se prononce sur la question de savoir s’il est compatible avec le droit de l’Union de restreindre la libre prestation des services par des dispositions nationales prévoyant qu’une assistance en matière fiscale ne peut être exercée à titre professionnel que par des personnes et des groupements habilités à cet effet et que, pour l’habilitation, une société de conseil fiscal doit avoir été reconnue et être dirigée de manière responsable par des conseillers fiscaux.

22.      Elle a par ailleurs précisé que le fait que la juridiction inférieure n’ait pas encore établi si la requérante au principal avait effectivement fourni le service en cause au principal dans l’État membre dans lequel elle est établie ou si elle devait être considérée comme établie dans l’État membre du destinataire ne constituait pas, au regard de la jurisprudence de la Cour, un obstacle au renvoi.

23.      La requérante et le défendeur au principal, les gouvernements allemand et néerlandais ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites ainsi que des observations orales au cours de l’audience publique qui s’est tenue le 13 mai 2015, en se concentrant, à la demande de la Cour, sur la troisième question.

IV – Les observations présentées à la Cour

A –    Sur la première question

24.      La juridiction de renvoi a, dans sa décision de renvoi, exprimé ses doutes sur l’applicabilité de la directive 2005/36 aux faits de l’affaire au principal. Premièrement, cette directive ne semble s’appliquer qu’aux ressortissants et non aux sociétés, sous réserve qu’il faille tenir compte des personnes agissant au nom des sociétés. Deuxièmement, les articles 5 à 9 de la directive 2005/36 ne trouvent à s’appliquer, conformément à son article 5, paragraphe 2, que dans le cas où le prestataire se déplace vers le territoire de l’État membre d’accueil pour exercer, de façon temporaire et occasionnelle, la profession visée à son paragraphe 1. Elle se demande enfin, troisièmement, si l’article 5 de la directive 2005/36 couvre les services fournis par une société à partir de l’État membre de son établissement où la profession exercée n’est pas réglementée et à destination d’un État membre où l’exercice de cette profession est subordonnée à la possession de qualifications professionnelles, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2005/36.

25.      Les parties au principal et les intéressés qui ont présenté des observations, de même que la Commission, soutiennent tous que la directive 2005/36 ne trouve pas à s’appliquer dans le litige au principal (6).

26.      Le défendeur au principal et la Commission, ainsi que le gouvernement allemand à titre subsidiaire, font ainsi valoir que l’article 5 de la directive 2005/36 implique que le prestataire de service se déplace dans l’État membre d’accueil. Or, le franchissement physique de la frontière ferait défaut dans l’affaire au principal, la requérante au principal prestant ses services à destination de ses clients allemands à partir de son établissement aux Pays-Bas.

27.      Les gouvernements allemand et néerlandais estiment que la directive 2005/36 n’est pas applicable ratione personae. Cette directive, en effet, ne trouverait à s’appliquer qu’aux cas de figure dans lesquels la possession d’une formation ou d’une expérience professionnelle est requise, lesquelles ne peuvent, par nature, être obtenues que par les seules personnes physiques. Or, la première question préjudicielle ne viserait que l’activité de la société de conseil fiscal et non celle des personnes qui agissent en son nom.

28.      Le gouvernement allemand ajoute que, en tout état de cause, la directive 2005/36 ne s’oppose pas à la décision du défendeur au principal, les exigences fixées à l’article 3a de la loi sur les conseillers fiscaux étant couvertes par l’article 7, paragraphe 2, sous b) à d), de ladite directive, qui prévoit que les États membres peuvent exiger, lors de la première prestation de services, une attestation que le prestataire est légalement établi dans un État membre pour y exercer les activités en question et une preuve des qualifications professionnelles.

B –    Sur la deuxième question

29.      La juridiction de renvoi doute, dans sa décision de renvoi, qu’une société de conseil fiscal telle que la requérante au principal puisse invoquer l’article 16 de la directive 2006/123, qui garantit le droit des prestataires de fournir des services dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis, lorsque l’activité de conseil fiscal n’est pas réglementée dans l’État membre d’établissement, mais l’est dans l’État membre d’accueil. Elle fait observer, à cet égard que, si les services d’une telle société sont fournis dans son État membre d’établissement, ils ne sont pas couverts par l’article 16 de la directive 2006/123 et s’ils sont fournis dans l’État membre du destinataire, ils relèvent alors de la dérogation à la libre prestation des services visée à l’article 17, point 6, de la directive 2006/123.

30.      Le défendeur au principal ainsi que le gouvernement allemand et la Commission estiment également que la directive 2006/123 ne trouve pas à s’appliquer au litige au principal, pour les raisons exposées par la juridiction de renvoi (7).

31.      Le gouvernement néerlandais est, en revanche, d’un avis contraire. Il observe, tout d’abord, que l’application de la directive 2006/123 n’est pas exclue par la directive 2005/36, cette dernière n’étant pas applicable aux exigences imposées à une société de conseil fiscal. Il souligne ensuite, en envoyant à cet égard au considérant 33 de la directive 2006/123, que les services fournis à distance relèvent de son champ d’application. L’article 16 de la directive 2006/123 couvrirait les prestations de service fournies par les prestataires établis dans un État membre autre que celui où les services sont reçus, quel que soit l’État membre dans lequel l’activité est elle-même exercée. Il estime, enfin, que la condition de reconnaissance à laquelle la réglementation allemande subordonne l’activité de société de conseil fiscal vise la composition de l’organe de direction de la société et ne constitue donc pas une exigence réservant une activité à une profession particulière au sens de l’article 17, point 6, de la directive 2006/123, disposition qui, en tant que dérogation, doit être interprétée de façon restrictive.

32.      Il considère, en conséquence, que la réglementation allemande n’est compatible avec la directive 2006/123 qu’à la condition qu’elle soit non discriminatoire, nécessaire et proportionnée au regard de l’une des quatre justifications mentionnées à son article 16, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer. Il en conclut également qu’il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question préjudicielle.

C –    Sur la troisième question

33.      La juridiction de renvoi fait observer, dans sa décision de renvoi, que, bien que la réglementation allemande soit indistinctement applicable à l’ensemble des sociétés de conseil fiscal, elle n’en constitue pas moins une restriction à la libre prestation des services, dans la mesure où elle exclut qu’une société constituée en conformité à la législation d’un autre État membre et qui a son siège dans cet État membre, mais qui n’est pas dirigée de manière responsable par des conseillers fiscaux soit reconnue en Allemagne et puisse y fournir à titre professionnel une assistance en matière fiscale. Elle considère, toutefois, que cette réglementation pourrait être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, en l’occurrence par l’intérêt général au respect de la réglementation fiscale et à la prévention de l’évasion fiscale ainsi que par la protection des consommateurs. Cette réglementation viserait à garantir aux contribuables une assistance qualifiée dans l’accomplissement de leurs obligations fiscales et une protection contre les préjudices qu’ils pourraient subir en étant conseillés dans la complexe matière fiscale allemande par des personnes ne possédant pas la qualification professionnelle ou personnelle requise.

34.      Le gouvernement allemand estime que, à supposer que la directive 2005/36 ne soit pas applicable à l’affaire au principal et que par conséquent l’article 56 TFUE le soit, la troisième question préjudicielle appelle une réponse négative. Il considère, à l’instar de la juridiction de renvoi, que la réglementation allemande constitue une restriction à la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE, mais qu’elle est justifiée par les raisons impérieuses d’intérêt général évoquées par celle-ci et ne vas pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis.

35.      Il insiste sur le fait que les raisons impérieuses d’intérêt général invoquées doivent être prises en considération dans leur ensemble, en ce qu’elles contribuent tant à la protection des destinataires de service que, plus généralement, à celle des consommateurs et in fine de la collectivité. Il ajoute que le contribuable qui recourt à l’assistance fiscale subit lui-même les conséquences des erreurs commises le cas échéant, y compris sur le plan pénal.

36.      La Commission fait essentiellement valoir que la réglementation allemande constitue une restriction à la libre prestation des services, au sens de l’article 56 TFUE, dans la mesure où elle subordonne l’exercice de l’activité de conseil fiscal à la délivrance d’une autorisation administrative soumise à la possession de certaines qualifications professionnelles.

37.      Si elle conçoit que cette réglementation puisse être justifiée par la raison impérieuse d’intérêt général, évoquée par la juridiction de renvoi, tenant à la protection du consommateur et, plus précisément, à l’intérêt légitime de protéger les contribuables à l’égard des préjudices découlant de conseils dispensés par des personnes insuffisamment qualifiées au regard de la complexité du droit fiscal allemand, elle estime, toutefois, qu’elle n’est pas propre à garantir, de façon systématique et cohérente, la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle va, en tout état de cause, au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir cette protection.

V –    Analyse

A –    Sur la première question

38.      Le défendeur au principal et les intéressés ayant présenté des observations estiment tous, faisant en cela écho aux doutes émis par la juridiction de renvoi elle-même, que le litige au principal ne relève pas de la directive 2005/36, en faisant valoir soit qu’elle est inapplicable ratione personae, les personnes morales ne pouvant par nature ni disposer de formation professionnelle ni acquérir d’expérience professionnelle, soit qu’elle est inapplicable ratione materiae, à défaut de franchissement de la frontière par le prestataire de services en cause au principal.

39.      Il doit, à cet égard, être rappelé que la directive 2005/36 garantit la reconnaissance des qualifications professionnelles acquises par les ressortissants des États membres dans un ou plusieurs États membres, c’est-à-dire des personnes physiques, aux fins de l’accès aux professions réglementées qu’elle vise et leur exercice dans un autre État membre.

40.      Or, la première question de la juridiction de renvoi ne vise explicitement que l’activité de la requérante au principal, à savoir une société de conseil fiscal établissant dans son État membre d’établissement une déclaration fiscale pour un destinataire établi dans un autre État membre, et non pas celle des personnes physiques qui la dirigent, la gèrent ou travaillent pour cette dernière.

41.      Il pourrait par conséquent effectivement être considéré que la première question, envisagée dans cette stricte perspective, appelle une réponse négative, la directive 2005/36 ne pouvant être opposée à une restriction à la libre prestation des services d’une société de conseil fiscal, c’est-à-dire d’une personne morale.

42.      Cela dit, il ne saurait pour autant en être conclu que, de ce seul fait, la situation en cause au principal ne relève pas du champ d’application de la directive 2005/36.

43.      En effet, au-delà de la formulation restrictive de la première question et des doutes émis par la juridiction de renvoi elle-même, il convient de relever que la réglementation allemande en cause au principal subordonne l’exercice, par une société de conseil fiscal, de l’activité d’assistance professionnelle en matière fiscale en Allemagne à une obligation de reconnaissance (article 32, paragraphe 3, de la loi sur les conseillers fiscaux), cette dernière étant elle-même subordonnée à la condition que ladite société soit dirigée de manière responsable par des conseillers fiscaux, c’est-à-dire des personnes physiques qui doivent faire l’objet d’une nomination (article 32, paragraphe 2, de la loi sur les conseillers fiscaux) elle-même subordonnée à la condition d’avoir passé avec succès l’examen de conseiller fiscal ou d’en avoir été dispensé (article 35, paragraphe 1, de la loi sur les conseillers fiscaux).

44.      Or, l’activité d’assistance professionnelle en matière fiscale relève de la notion de «profession réglementée en Allemagne», au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2005/36 (8), et les conditions de nomination en tant que conseiller fiscal sont susceptibles de relever de la notion de «qualifications professionnelles», au sens des articles 3, paragraphe 1, sous b), et 11, sous a), i), de cette directive (9).

45.      Il ne saurait partant être exclu que les exigences de la réglementation allemande relèvent du système général de reconnaissance des qualifications professionnelles établi par la directive 2005/36.

46.      Cependant, la juridiction de renvoi n’a fourni à la Cour aucune indication sur les qualifications professionnelles des associés, des gérants ou des employés de la requérante au principal. Elle se borne, en effet, à indiquer que la nomination de Y en tant que conseiller fiscal en Allemagne a été annulée en 2000.

47.      Par ailleurs et en tout état de cause, ainsi que l’ont relevé tant la juridiction de renvoi que le défendeur au principal et la Commission, le système de reconnaissance des qualifications professionnelles établi par la directive 2005/36 ne trouve à s’appliquer aux prestations de service que pour autant qu’elles impliquent le déplacement du prestataire dans l’État membre d’accueil (10).

48.      Or, la Cour ne dispose pas des éléments factuels lui permettant de déterminer si les circonstances de l’affaire au principal relèvent de ce cas de figure.

49.      En effet, ainsi que la juridiction de renvoi l’a elle-même relevé, la juridiction inférieure n’a pas encore établi si les gérants de la requérante au principal avaient exercé l’activité d’assistance professionnelle en matière fiscale en cause au principal dans son État membre d’établissement ou dans l’État membre d’accueil, c’est-à-dire en Allemagne dans les locaux de A Ltd (11).

50.      Dans ces conditions, j’estime que la Cour n’est pas en mesure de répondre utilement à la première question d’interprétation de la directive 2005/36 posée par la juridiction de renvoi et que celle-ci doit, par conséquent, être déclarée irrecevable.

B –    Sur la deuxième question

51.      Les parties au principal et la majorité des intéressés ayant présenté des observations font également valoir que la directive 2006/123 ne trouve pas non plus à s’appliquer au litige au principal, de sorte que la réglementation nationale en cause au principal relèverait des seules dispositions de l’article 56 TFUE.

52.      Il importe, à cet égard, de relever que l’article 17, point 6, de la directive 2006/123 précise que son article 16, qui consacre à son paragraphe 1, premier alinéa, «le droit des prestataires de fournir des services dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis», ne s’applique notamment pas «aux exigences en vigueur dans l’État membre où le service est fourni, qui réservent une activité à une profession particulière».

53.      Or, dans la mesure où l’article 32 de la loi sur les conseillers fiscaux subordonne l’exercice de l’activité d’assistance professionnelle en matière fiscale d’une société telle que la requérante au principal à une obligation de reconnaissance, laquelle implique qu’elle soit dirigée de manière responsable par des conseillers fiscaux, la réglementation allemande doit être considérée comme entrant dans le champ de la dérogation prévue à l’article 17, point 6, de la directive 2006/123 (12).

54.      L’article 16 de la directive 2006/123 étant ainsi inapplicable, il ne saurait s’opposer à la réglementation d’un État membre qui empêche ainsi une société telle que la requérante au principal de fournir ses services à ses clients établis en Allemagne, que ce soit à partir de son établissement aux Pays-Bas ou de son éventuel établissement secondaire en Allemagne (13).

55.      Par conséquent, c’est au regard des dispositions du traité FUE, et en particulier du principe de la libre prestation des services visé à l’article 56 TFUE, qu’il convient dès lors d’examiner la réglementation allemande (14), ce qui est précisément l’objet de la troisième question préjudicielle.

C –    Sur la troisième question

1.      Sur l’applicabilité de l’article 56 TFUE

56.      Il doit être constaté, tout d’abord, que les faits en cause au principal relèvent bien de l’article 56 TFUE, les prestations de la requérante au principal constituant incontestablement des services au sens de cette disposition.

57.      Certes, la juridiction de renvoi a précisé que le tribunal des finances n’avait pas fait de constatations suffisantes permettant de déterminer si la requérante au principal pouvait être considérée comme établie en Allemagne, du fait de sa présence permanente dans les locaux commerciaux de A Ltd, de sorte que les dispositions relatives à la liberté d’établissement pourraient trouver à s’appliquer.

58.      Il demeure, toutefois, que la troisième question de la juridiction de renvoi, qui porte expressément sur l’interprétation de l’article 56 TFUE, vise explicitement la situation d’une société de conseil fiscal qui établit, dans son État membre d’établissement, une déclaration fiscale pour un destinataire dans un autre État membre et la transmet à l’administration fiscale de cet autre État membre. Elle vise, par conséquent, la situation dans laquelle le prestataire de services est établi dans un État membre autre que celui du destinataire qui bénéficie desdits services (15).

59.      En tout état de cause, la circonstance que l’activité de la requérante au principal ait été menée moyennant une certaine présence dans l’État membre du destinataire de services et puisse présenter un caractère répété et durable, et non simplement occasionnel et provisoire, ne saurait modifier cette conclusion.

60.      En effet, l’article 57, troisième alinéa, TFUE précise que le prestataire d’un service peut, pour l’exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l’État membre où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que cet État impose à ses propres ressortissants. La Cour en a déduit que, pour autant que l’exercice de cette activité dans cet État membre reste temporaire, un tel prestataire continue à relever des dispositions du chapitre relatif aux services, étant précisé que ce caractère temporaire est à apprécier non seulement en fonction de la durée de la prestation, mais également en fonction de sa fréquence, périodicité ou continuité (16).

61.      Or, ce caractère temporaire n’exclut pas la possibilité pour le prestataire de services de se doter, dans l’État membre d’accueil, d’une certaine infrastructure, y compris un bureau, un cabinet ou une étude, dans la mesure où cette infrastructure est nécessaire aux fins de l’accomplissement de la prestation en cause (17).

62.      La Cour a également jugé que la notion de «service» peut couvrir des services de nature très différente, y compris des services dont la prestation s’étend sur une période prolongée, voire sur plusieurs années, de même que les prestations qu’un opérateur économique établi dans un État membre fournit de manière plus ou moins fréquente ou régulière, même sur une période prolongée, à des personnes établies dans un ou plusieurs autres États membres, telle l’activité de conseil ou de renseignement offerte contre rémunération (18).

2.      Sur l’existence d’une entrave

63.      Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que l’article 56 TFUE exige non seulement l’élimination de toute discrimination à l’encontre du prestataire de services en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu’il est établi dans un État membre autre que celui où la prestation doit être exécutée, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu’elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues (19).

64.      En l’occurrence, la requérante au principal est une société de conseil fiscal constituée en conformité avec la législation du Royaume-Uni, qui exerce légalement ses activités de conseil fiscal aux Pays-Bas, État membre dans lequel ces dernières ne sont pas réglementées.

65.      La réglementation allemande prévoit qu’une société de conseil fiscal, qui peut être habilitée à prêter une assistance professionnelle en matière fiscale en Allemagne (20), ne peut toutefois exercer son activité qu’à la condition d’y avoir été préalablement reconnue (21), ce qui suppose qu’elle soit dirigée de manière responsable par des conseillers fiscaux, c’est-à-dire des personnes qui soit ont passé avec succès un examen de conseiller fiscal, soit en ont été dispensées (22).

66.      La réglementation allemande soumet ainsi l’exercice, par une société de conseil fiscal, de l’activité d’assistance professionnelle en matière fiscale à un régime d’autorisation préalable, autorisation elle-même subordonnée à la qualification professionnelle idoine de ses dirigeants.

67.      Elle prohibe, ce faisant, toute possibilité pour une société de conseil fiscal établie dans un autre État membre où cette activité est légalement exercée sans être réglementée, de prester ses services en Allemagne et constitue, dès lors, une restriction à la libre prestation des services au sens de l’article 56 TFUE. La réglementation allemande est d’autant moins admissible que son effet restrictif se trouve renforcé lorsque, comme dans l’affaire au principal, la prestation de services est réalisée dans l’État membre du prestataire et sans déplacement de ce dernier (23).

68.      Certes, la réglementation allemande prévoit également, par ailleurs, que les personnes professionnellement établies dans un autre État membre, où elles sont habilitées à exercer à titre professionnel une assistance en matière fiscale, peuvent être habilitées à exercer cette activité en Allemagne, de façon temporaire et occasionnelle, cette habilitation variant en fonction de l’étendue de l’habilitation de l’État membre d’établissement. L’exercice de cette activité par les personnes établies dans un État membre dans lequel elle n’est pas réglementée n’est possible qu’à condition qu’elles l’aient exercée pendant au moins deux années au cours des dix dernières années (24) et qu’elles en aient préalablement informé l’organisme compétent par une déclaration écrite comportant les éléments requis (25).

69.      Toutefois, il importe de rappeler, à cet égard, que la juridiction de renvoi a précisé que les conditions énoncées à l’article 3a de la loi sur les conseillers fiscaux pour une assistance occasionnelle en matière fiscale sur le territoire allemand n’étaient pas réunies, cette disposition ne couvrant pas les services qu’une société fournit dans un autre État membre, sans que les personnes agissant au nom de la société se déplacent vers le territoire allemand.

3.      Sur la justification de l’entrave

70.      Conformément à une jurisprudence bien établie, des mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité ne peuvent être admises qu’à la condition qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (26).

71.      Le gouvernement allemand invoque en l’occurrence la protection des consommateurs et plus particulièrement la protection des destinataires de services d’assistance fiscale, ainsi que l’efficacité des contrôles fiscaux et son corollaire, la nécessité de prévenir l’évasion fiscale. Plus précisément, les exigences d’habilitation et de qualification et d’expérience professionnelles posées par la réglementation allemande seraient justifiées, compte tenu de la complexité du droit fiscal allemand, par la nécessité de protéger les destinataires de services d’assistance en matière fiscale contre les conseils erronés et leurs conséquences, notamment pénales, mais également, plus largement de garantir la correcte exécution par les contribuables de leurs obligations fiscales et donc de limiter les pertes de recettes fiscales.

72.      Il doit, à cet égard, être observé tout d’abord que, ainsi que la juridiction de renvoi l’a relevé, la réglementation allemande trouve à s’appliquer à toute personne prêtant des services d’assistance fiscale, et notamment aux sociétés de conseil fiscal, indépendamment de leur État membre d’établissement. Elle est donc indistinctement applicable et susceptible d’être justifiée par des exigences impérieuses d’intérêt général (27), pour autant, toutefois, que l’intérêt en cause ne soit pas déjà sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi (28). Tel est le cas dans l’affaire au principal, l’activité d’assistance fiscale n’étant pas réglementée aux Pays-Bas.

73.      Il sera, ensuite, rappelé que la Cour a admis que la protection des consommateurs et des destinataires de services figurait au nombre des exigences impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation des services (29).

74.      Si la nécessité de limiter les pertes de recettes fiscales ne saurait, en soi, justifier une restriction à la libre prestation des services (30), il doit être admis que l’objectif principalement affiché par la gouvernement allemand, savoir prémunir les destinataires de services d’assistance fiscale contre les conseils erronés et leurs conséquences, notamment pénales, en palliant la complexité du droit allemand par des exigences de qualification et d’expérience professionnelles, constitue un objectif d’intérêt général de nature à justifier une restriction à la libre prestation des services.

75.      Cependant, et conformément à une jurisprudence itérative, l’exigence impérieuse d’intérêt général tenant à la protection des destinataires des services d’assistance fiscale invoquée n’est de nature à justifier une entrave à la libre prestation des services que pour autant qu’elle soit propre à garantir l’objectif poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci.

76.      Il importe, à cet égard, de rappeler qu’une réglementation nationale n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elle répond au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier (31).

77.      Il peut toutefois être observé, à cet égard, que l’article 4 de la loi sur les conseillers fiscaux établit une liste énumérant un nombre important de personnes habilitées à fournir une assistance professionnelle en matière fiscale, sans être soumises ni au régime d’autorisation administrative préalable ni aux exigences de qualification professionnelle imposées aux dirigeants des sociétés de conseil fiscal (32).

78.      Parmi ces personnes l’on trouve, notamment, les notaires et les avocats en matière de brevets, les curateurs et les administrateurs de patrimoines de tiers, les entrepreneurs ayant une activité commerciale, les représentations professionnelles ou les associations, les associations d’aide aux contribuables, les employeurs, ou encore les sociétés nationales d’investissement, les établissements de crédit étrangers et les experts agréés en actuariat, le point commun de ces personnes étant manifestement qu’elles peuvent accessoirement être appelées à fournir une assistance fiscale dans le cadre de leur activité principale.

79.      Dans ces conditions, le gouvernement allemand peut difficilement soutenir que, par les exigences de qualification professionnelle qu’elle impose aux dirigeants responsables des sociétés de conseil fiscal, la réglementation allemande protège de manière systématique et cohérente les destinataires de services d’assistance professionnelle en matière fiscale.

80.      En tout état de cause, si, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, les États membres demeurent libres, dans une situation non régie par une directive relative à la reconnaissance mutuelle des diplômes, de réglementer l’exercice sur leur territoire de certaines activités dans l’intérêt de la protection des consommateurs et de définir en conséquence les diplômes, les connaissances, les qualifications ou l’expérience professionnelles nécessaires à cet effet, il leur incombe toutefois, lorsqu’un ressortissant d’un autre État membre entend exercer ladite activité, de tenir compte des titres et de l’expérience qu’il a acquis dans cet autre État membre et de les comparer avec les connaissances et les qualifications exigées par la législation nationale (33).

81.      Or, la réglementation allemande ne prévoit pas la possibilité de prendre en compte, aux fins d’autoriser une société de conseil fiscal a prester des services d’assistance professionnelle en matière fiscale, les connaissances et l’expérience professionnelle des personnes qui la dirigent ou la gère, voire de son personnel, et va donc, comme la Commission l’a relevé, au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir la protection des destinataires desdits services.

82.      Par conséquent, j’estime qu’il convient de répondre à la troisième question préjudicielle de la juridiction de renvoi en disant pour droit que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle de l’affaire au principal, qui soumet l’activité d’assistance professionnelle en matière fiscale exercée par une société de conseil fiscal légalement établie dans un autre État membre où cette activité n’est pas réglementée à l’obligation pour cette dernière d’être reconnue et pour ses dirigeants d’être nommés conseillers fiscaux.

VI – Conclusion

83.      Eu égard aux développements qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par la Cour fédérale des finances dans les termes suivants:

L’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle de l’affaire au principal, qui soumet l’activité d’assistance professionnelle en matière fiscale exercée par une société de conseil fiscal légalement établie dans un autre État membre où cette activité n’est pas réglementée à l’obligation pour cette dernière d’être reconnue et pour ses dirigeants d’être nommés conseillers fiscaux.


1 – Langue originale: le français.


2 – JO L 255, p. 22.


3 – JO L 376, p. 36.


4 – BGBl. 1975 I, p. 2735.


5 JO L 178, p. 1.


6 – La requérante au principal, qui regrette que la juridiction de renvoi n’ait pas posé les questions qu’elle lui avait proposées, n’a pas présenté d’observations sur la première question préjudicielle.


7 – La requérante au principal n’a pas présenté d’observations sur la deuxième question préjudicielle.


8 – Voir arrêts Rubino (C‑586/08, EU:C:2009:801, points 23 à 25) ainsi que Peñarroja Fa (C‑372/09 et C‑373/09, EU:C:2011:156, points 27 à 32).


9 – Il peut également être relevé que l’article 32, paragraphe 2, de la loi sur les conseillers fiscaux précise que les conseils fiscaux exercent une profession libérale, l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2005/36 précisant pour sa part qu’elle s’applique aux membres des professions libérales.


10 – Voir également en ce sens, notamment, Berthoud, F., «La libre prestation de services en application de la directive 2005/36/CE», Revue suisse de droit international et européen, 2010, no 2, p. 137 et 143; Pertek, J., «Reconnaissance des diplômes organisée par des directives – Directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005 – Équivalence des autorisations nationales d’exercice», Juris-Classeur Europe, mars 2013, fascicule no 720, point 227. Voir aussi «Guide de l’utilisateur – Directive 2005/36/CE», point 14 à l’adresse Internet suivante http://ec.europa.eu/internal_market/qualifications/docs/guide/users_guide_fr.pdf.


11 – Voir points 16 et 22 des présentes conclusions.


12 – Voir également, en ce sens, «Manuel relatif à la mise en œuvre de la directive ‘services’», OPOCE 2007, p. 45, à l’adresse Internet suivante ,http://ec.europa.eu/internal_market/services/docs/services-dir/guides/handbook_fr.pdf.


13 – Voir, par analogie avec l’article 17, point 11, de la directive 2006/123, arrêt OSA (C‑351/12, EU:C:2014:110, points 65 et 66).


14 – Voir arrêt Konstantinides (C‑475/11, EU:C:2013:542, point 43).


15 – Voir arrêts Bond van Adverteerders e.a. (352/85, EU:C:1988:196, point 15); Distribuidores Cinematográficos (C‑17/92, EU:C:1993:172, point 11), ainsi que OSA (C‑351/12, EU:C:2014:110, point 68).


16 – Voir arrêt Schnitzer (C‑215/01, EU:C:2003:662, points 27 et 28).


17 – Voir arrêts Gebhard (C‑55/94, EU:C:1995:411, point 27); Commission/Italie (C‑131/01, EU:C:2003:96, point 22), et Schnitzer (C‑215/01, EU:C:2003:662, point 28).


18 – Arrêt Schnitzer (C‑215/01, EU:C:2003:662, point 30).


19 – Voir arrêts Commission/Belgique (C‑577/10, EU:C:2012:814, point 38) et Konstantinides (C‑475/11, EU:C:2013:542, point 44).


20 – Voir article 3 de la loi sur les conseillers fiscaux.


21 – Voir article 32, paragraphe 3, de la loi sur les conseillers fiscaux.


22 – Voir article 35, paragraphe 1, première phrase, de la loi sur les conseillers fiscaux.


23 – Voir arrêt Säger (C‑76/90, EU:C:1991:331, point 13).


24 – Voir article 3a, paragraphe 1, de la loi sur les conseillers fiscaux.


25 – Voir article 3a, paragraphe 2, de la loi sur les conseillers fiscaux.


26 – Voir arrêt Konstantinides (C‑475/11, EU:C:2013:542, point 50).


27 – Voir, notamment, arrêts Schindler (C‑275/92, EU:C:1994:119, point 47) ainsi que Läärä e.a. (C‑124/97, EU:C:1999:435, point 31).


28 – Voir, notamment, arrêts Säger (C‑76/90, EU:C:1991:331, point 15); Commission/Italie (C‑131/01, EU:C:2003:96, point 28), ainsi que Peñarroja Fa (C‑372/09 et C‑373/09, EU:C:2011:156, point 54).


29 – Voir, notamment, arrêts Commission/France (220/83, EU:C:1986:461, point 20); Säger (C‑76/90, EU:C:1991:331, points 16 et 17); Schindler (C‑275/92, EU:C:1994:119, point 58); Ambry (C‑410/96, EU:C:1998:578, point 31); Läärä e.a. (C‑124/97, EU:C:1999:435, point 33); Cipolla e.a. (C‑94/04 et C‑202/04, EU:C:2006:758, point 64); DKV Belgium (C‑577/11, EU:C:2013:146, point 41); Citroën Belux (C‑265/12, EU:C:2013:498, point 38), ainsi que Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386, point 58).


30 – Voir notamment, par analogie, arrêts Dickinger et Ömer (C‑347/09, EU:C:2011:582, point 55) ainsi que Pfleger e.a. (C‑390/12, EU:C:2014:281, point 54).


31 – Voir, notamment, arrêts Hartlauer (C‑169/07, EU:C:2009:141); Dickinger et Ömer (C‑347/09, EU:C:2011:582, point 56); Pfleger e.a. (C‑390/12, EU:C:2014:281, point 56), ainsi que Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386, point 64).


32 – Cette disposition comporte en l’occurrence seize points, envisageant autant de cas de figure.


33 – Voir, notamment, arrêts Vlassopoulou (C‑340/89, EU:C:1991:193, points 20 à 23); Aguirre Borrell e.a. (C‑104/91, EU:C:1992:202, points 7 à 16); Commission/Espagne (C‑375/92, EU:C:1994:109); Fernández de Bobadilla (C‑234/97, EU:C:1999:367); Hocsman (C‑238/98, EU:C:2000:440), ainsi que Peśla (C‑345/08, EU:C:2009:771).