Language of document : ECLI:EU:C:2012:668

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

25 octobre 2012 (*)

«Libre circulation des personnes – Article 39 CE – Ressortissant d’un État membre à la recherche d’un emploi dans un autre État membre –Égalité de traitement – Allocations d’attente en faveur de jeunes à la recherche de leur premier emploi – Octroi subordonné à la condition d’avoir suivi au moins six années d’études dans l’État d’accueil»

Dans l’affaire C‑367/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (Belgique), par décision du 27 juin 2011, parvenue à la Cour le 11 juillet 2011, dans la procédure

Déborah Prete

contre

Office national de l’emploi,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, faisant fonction de président de la quatrième chambre, M. J.‑C. Bonichot, Mmes C. Toader, A. Prechal, (rapporteur) et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour Mme Prete, par Me J. Oosterbosch, avocate,

–        pour le gouvernement belge, par Mmes L. Van den Broeck et M. Jacobs, en qualité d’agents, assistées de Me P. A. Foriers, avocat,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et D. Hadroušek, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. V. Kreuschitz et G. Rozet, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 juillet 2012,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 12 CE, 17 CE, 18 CE et 39 CE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Prete à l’Office national de l’emploi (ci-après l’«ONEM»), au sujet de la décision de ce dernier refusant d’attribuer à l’intéressée le bénéfice des allocations d’attente prévues par la législation belge.

 La réglementation belge

3        La réglementation belge prévoit l’octroi, aux jeunes qui ont terminé leurs études et qui sont à la recherche de leur premier emploi, d’allocations destinées à faciliter le passage de ceux-ci de l’enseignement au marché du travail, désignées sous l’expression «allocations d’attente».

4        L’article 36, paragraphe 1, premier alinéa, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage (Moniteur belge du 31 décembre 1991, p. 29888), tel que modifié par l’arrêté royal du 11 février 2003 (Moniteur belge du 19 février 2003, p. 8026, ci-après l’«arrêté royal»), dispose:

«Pour être admis au bénéfice des allocations d’attente, le jeune travailleur doit satisfaire aux conditions suivantes:

[...]

2°      a)      soit avoir terminé des études de plein exercice du cycle secondaire supérieur ou la troisième année d’études de plein exercice de l’enseignement secondaire technique, artistique ou professionnel dans un établissement d’enseignement organisé, subventionné ou reconnu par une Communauté;

      b)      soit avoir obtenu devant le jury compétent d’une Communauté un diplôme ou un certificat d’études pour les études visées sous a);

      [...]

      h)      soit avoir suivi des études ou une formation dans un autre État de l’Espace Économique Européen, si les conditions suivantes sont remplies simultanément:

–        le jeune présente des documents dont il ressort que les études ou la formation sont de même niveau et équivalentes à celles mentionnées aux litterae précédents;

–        au moment de la demande d’allocations, le jeune est, comme enfant, à charge de travailleurs migrants au sens de l’article [39 CE], qui résident en Belgique.

      [...]

j)      soit avoir obtenu un titre délivré par une Communauté établissant l’équivalence au certificat visé sous b) ou un titre donnant accès à l’enseignement supérieur; ce littera n’est d’application qu’à condition d’avoir suivi préalablement au moins six années d’études dans un établissement d’enseignement organisé, reconnu ou subventionné par une Communauté.

[...]»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

5        De nationalité française, Mme Prete a effectué ses études secondaires en France, où elle a obtenu, en juillet 2000, un baccalauréat professionnel de secrétariat. En juin 2001, elle a épousé un ressortissant belge et s’est installée avec celui-ci à Tournai (Belgique).

6        Le 1er février 2002, Mme Prete s’est inscrite comme demandeur d’emploi auprès de l’ONEM. Le 1er juin 2003, elle a présenté à celui-ci une demande d’allocations d’attente.

7        Par décision du 11 septembre 2003, l’ONEM a rejeté cette demande au motif que Mme Prete n’avait pas suivi au moins six années d’études dans un établissement d’enseignement situé en Belgique avant l’obtention de son diplôme d’études secondaires, ainsi que l’exige l’article 36, paragraphe 1, premier alinéa, 2°, sous j), de l’arrêté royal.

8        Le recours introduit par Mme Prete à l’encontre de cette décision a été accueilli par le tribunal du travail de Tournai qui, par un jugement du 19 décembre 2008, a reconnu à l’intéressée le droit aux allocations d’attente.

9        Sur appel de l’ONEM, ledit jugement a, par un arrêt du 25 février 2010, été réformé par la cour du travail de Mons. Ladite juridiction a jugé que Mme Prete n’avait pas droit aux allocations d’attente, en précisant notamment, à cet égard, que l’intéressée ne pouvait puiser un tel droit ni dans l’article 39 CE, ni dans l’article 18 CE.

10      À l’appui du pourvoi qu’elle a introduit contre ledit arrêt devant la Cour de cassation, Mme Prete fait notamment valoir que celui-ci méconnaît les droits que consacrent les articles 12 CE, 17 CE ainsi que 18 CE, et, en tant que de besoin, l’article 39 CE, en faveur des citoyens de l’Union européenne.

11      La Cour de cassation relève que l’arrêt attaqué devant elle énonce que la condition posée à l’article 36, paragraphe 1, premier alinéa, 2°, sous j), de l’arrêté royal a été introduite dans ce dernier aux fins de s’assurer de l’existence d’un lien réel entre le demandeur d’allocations d’attente et le marché géographique du travail en cause. Elle relève, par ailleurs, que la légitimité d’un tel objectif a été reconnue par la Cour, notamment dans son arrêt du 11 juillet 2002, D’Hoop (C‑224/98, Rec. p. I‑6191).

12      Dans son pourvoi, Mme Prete fait cependant valoir que, eu égard à son caractère trop général et exclusif, ladite condition va au-delà de ce qui est nécessaire par rapport audit objectif, si bien qu’elle aurait, dans les circonstances de l’espèce, dû être écartée par la cour du travail de Mons. Ladite juridiction, à laquelle il incombait de vérifier si l’inscription de Mme Prete auprès du service de l’emploi en tant que demandeur d’emploi ainsi que son établissement en Belgique consécutivement à son mariage avec un ressortissant belge étaient de nature à établir le rattachement recherché au marché du travail belge, aurait, à tort, conclu que tel n’était pas le cas et refusé l’octroi des allocations d’attente à Mme Prete. L’exclusion de cette dernière du bénéfice desdites allocations serait sans rapport avec la préoccupation consistant à éviter des déplacements effectués dans le seul but de bénéficier de telles allocations et méconnaîtrait tant le droit de l’intéressée au respect de sa vie familiale que le principe du droit communautaire exigeant de tout État membre qu’il assure des conditions optimales d’intégration de la famille du travailleur communautaire.

13      C’est dans ce contexte que la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les articles 12 [CE], 17 [CE], 18 [CE] et, pour autant que de besoin, 39 [CE] s’opposent-ils à une disposition du droit national qui, tel l’article 36, paragraphe 1, premier alinéa, 2°, sous j), de l’[arrêté royal], soumet le droit aux allocations d’attente d’un jeune, ressortissant de l’Union [...], qui n’a pas la qualité de travailleur au sens de l’article 39 [CE], qui a effectué ses études secondaires dans l’Union [...] mais non dans un établissement d’enseignement organisé, subventionné ou reconnu par l’une des Communautés [du Royaume de] Belgique et qui a obtenu, ou bien un titre délivré par une de ces Communautés établissant l’équivalence de ces études au certificat d’études, délivré par le jury compétent d’une de ces Communautés pour les études effectuées dans ces établissements d’enseignement belges, ou bien un titre donnant accès à l’enseignement supérieur, à la condition que ce jeune ait suivi préalablement six années d’études dans un établissement d’enseignement organisé, reconnu ou subventionné par l’une des Communautés [du Royaume de] Belgique, si cette condition est exclusive et absolue?

2)      Dans l’affirmative, les circonstances que le jeune décrit à la première question, qui n’a pas suivi six années d’études dans un établissement d’enseignement belge, réside en Belgique avec son conjoint belge et est inscrit comme demandeur d’emploi auprès d’un service belge de l’emploi constituent-elles des éléments à prendre en considération pour apprécier le lien du jeune avec le marché du travail belge, au regard des articles 12 [CE], 17 [CE], 18 [CE] et, le cas échéant, 39 [CE]? Dans quelle mesure la durée de ces périodes de résidence, de mariage et d’inscription comme demandeur d’emploi doit-elle être prise en considération?»

 Sur les questions préjudicielles

14      Par ses deux questions qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 12 CE, 17 CE, 18 CE ou, le cas échéant, 39 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition telle que celle en cause au principal subordonnant le droit aux allocations d’attente bénéficiant aux jeunes à la recherche de leur premier emploi à la condition que l’intéressé ait suivi au moins six années d’études dans un établissement d’enseignement de l’État membre d’accueil, eu égard au caractère trop exclusif d’une telle condition, notamment en ce qu’elle fait obstacle à toute possibilité d’octroi desdites allocations à une jeune femme, ressortissante d’un autre État membre, qui, bien que n’ayant pas suivi d’études dans un tel établissement, se trouve dans la situation d’avoir épousé un ressortissant de l’État membre d’accueil, de résider avec celui-ci dans ledit État et d’être inscrite comme demandeur d’emploi auprès d’un service de l’emploi de celui-ci. À cet égard, ladite juridiction souhaite notamment savoir si les circonstances caractérisant ainsi ladite situation doivent effectivement être prises en considération aux fins de vérifier l’existence d’un lien réel entre l’intéressée et le marché du travail de l’État membre d’accueil.

 Observations liminaires

15      À titre liminaire, il y a lieu de relever que le litige au principal concerne une décision du 11 septembre 2003 par laquelle a été rejetée la demande de Mme Prete tendant au bénéfice d’allocations d’attente à compter du 1er juin 2003.

16      Il s’ensuit que les dispositions des traités auxquelles il convient de se référer en l’occurrence sont celles du traité CE, dans la version de celui-ci résultant du traité de Nice.

17      Il y a également lieu de relever que, dans ses questions, la juridiction de renvoi vise les articles 12 CE, 17 CE et 18 CE et, pour autant que de besoin, l’article 39 CE.

18      À cet égard, il convient de rappeler d’emblée qu’il est de jurisprudence constante que l’article 12 CE, qui édicte un principe général d’interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité, n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination (voir, notamment, arrêts du 30 mai 1989, Commission/Grèce, 305/87, Rec. p. 1461, point 13; du 12 mai 1998, Gilly, C‑336/96, Rec. p. I‑2793, point 37; du 26 novembre 2002, Oteiza Olazabal, C‑100/01, Rec. p. I‑10981, point 25 ainsi que du 15 septembre 2011, Schulz-Delzers et Schulz, C‑240/10, Rec. p. I‑8531, point 29).

19      Or, le principe de non-discrimination a été mis en œuvre, dans le domaine de la libre circulation des travailleurs, par l’article 39 CE ainsi que par des actes de droit dérivé et, en particulier, par le règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2) (voir, notamment, arrêts Commission/Grèce, précité, point 12; Gilly, précité, point 38; du 23 mars 2004, Collins, C‑138/02, Rec. p. I‑2703, point 55, ainsi que Schulz-Delzers et Schulz, précité, point 29 et jurisprudence citée).

20      S’agissant de l’article 18 CE qui énonce de manière générale le droit, pour tout citoyen de l’Union, de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, il est, de même, de jurisprudence constante que cette disposition trouve une expression spécifique dans l’article 39 CE en ce qui concerne la libre circulation des travailleurs (voir, notamment, arrêts Oteiza Olazabal, précité, point 26; du 11 septembre 2007, Hendrix, C‑287/05, Rec. p. I‑6909, point 61, ainsi que Schulz-Delzers et Schulz, précité, point 30).

 Sur l’applicabilité de l’article 39 CE

21      L’article 39, paragraphe 2, CE dispose que la libre circulation des travailleurs implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

22      L’article 39, paragraphe 3, CE, confère notamment aux ressortissants des États membres le droit de circuler librement sur le territoire des autres États membres et d’y séjourner aux fins d’y rechercher un emploi. Ainsi, les ressortissants d’un État membre à la recherche d’un emploi dans un autre État membre relèvent du champ d’application de l’article 39 CE et, partant, bénéficient du droit à l’égalité de traitement prévu au paragraphe 2 de cette disposition (voir, notamment, arrêt Collins, précité, points 56 et 57).

23      Il ressort, à cet égard, de la jurisprudence de la Cour que, afin de déterminer la portée du droit à l’égalité de traitement pour les personnes à la recherche d’un emploi, il convient d’interpréter ce principe à la lumière d’autres dispositions du droit de l’Union, notamment l’article 12 CE (arrêt Collins, précité, point 60).

24      En effet, les citoyens de l’Union qui résident légalement sur le territoire de l’État membre d’accueil peuvent se prévaloir de l’article 12 CE dans toutes les situations relevant du domaine d’application ratione materiae du droit de l’Union. Le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres permettant à ceux parmi ces derniers qui se trouvent dans la même situation d’obtenir, indépendamment de leur nationalité et sans préjudice des exceptions expressément prévues à cet égard, le même traitement juridique (voir, notamment, arrêt Collins, précité, point 61 et jurisprudence citée).

25      La Cour a ainsi précisé à cet égard que, compte tenu de l’instauration de la citoyenneté de l’Union et de l’interprétation jurisprudentielle du droit à l’égalité de traitement dont jouissent les citoyens de l’Union, il n’était plus possible d’exclure du champ d’application de l’article 39, paragraphe 2, CE, qui est une énonciation du principe fondamental d’égalité de traitement garanti par l’article 12 CE, une prestation de nature financière destinée à faciliter l’accès à l’emploi sur le marché du travail d’un État membre (voir, arrêts Collins, précité, point 63, et du 15 septembre 2005, Ioannidis, C‑258/04, Rec. p. I‑8275, point 22).

26      Or, il est constant que les allocations d’attente prévues par la réglementation nationale en cause au principal sont des prestations sociales, dont l’objectif est de faciliter, pour les jeunes, le passage de l’enseignement au marché du travail (voir, notamment, arrêts précités D’Hoop, point 38, et Ioannidis, point 23).

27      Il est également constant que, à la date du dépôt de sa demande tendant à obtenir de telles allocations, Mme Prete avait la qualité de ressortissant d’un État membre qui, ayant terminé ses études, se trouvait à la recherche d’un emploi dans un autre État membre.

28      Dans ces conditions, l’intéressée est fondée à se prévaloir de l’article 39 CE pour soutenir qu’elle ne peut faire l’objet de discriminations en raison de la nationalité en ce qui concerne l’octroi des allocations d’attente (voir, en ce sens, arrêt Ioannidis, précité, point 25).

 Sur l’existence d’une différence de traitement

29      Selon une jurisprudence constante, la règle d’égalité de traitement inscrite à l’article 39 CE prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent, en fait, au même résultat (voir, notamment, arrêt Ioannidis, précité, point 26 et jurisprudence citée).

30      La réglementation en cause au principal introduit une différence de traitement selon que les jeunes à la recherche d’un premier emploi peuvent ou non justifier avoir effectué au moins six années d’études secondaires dans un établissement d’enseignement belge.

31      Or, une condition afférente à la nécessité d’avoir étudié dans un établissement d’enseignement de l’État membre d’accueil est par sa nature même susceptible d’être plus facilement remplie par les ressortissants nationaux et risque, dès lors, de défavoriser principalement les ressortissants d’autres États membres (voir, par analogie, arrêt Ioannidis, précité, point 28).

 Sur la justification de la différence de traitement

32      Ainsi qu’il découle de la jurisprudence de la Cour, une différence de traitement telle que celle relevée ci-avant ne peut être justifiée que si elle se fonde sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national (voir, notamment, arrêts précités D’Hoop, point 36; Collins, point 66, ainsi que Ioannidis, point 29).

33      À cet égard, et s’agissant d’allocations telles que celles en cause au principal, qui ont pour objectif de faciliter, pour les jeunes, le passage de l’enseignement au marché du travail, la Cour a reconnu qu’il était légitime pour le législateur national de vouloir s’assurer de l’existence d’un lien réel entre le demandeur desdites allocations et le marché géographique du travail en cause (voir, notamment, arrêts précités D’Hoop, point 38; Collins, points 67 et 69, ainsi que Ioannidis, point 30).

34      Quant à l’exigence de proportionnalité, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé qu’une condition unique relative au lieu d’obtention du diplôme de fin d’études secondaires, telle que celle que comporte l’article 36, paragraphe 1, premier alinéa, 2°, sous a), de l’arrêté royal, présentait un caractère trop général et exclusif en ce qu’elle privilégie indûment un élément qui n’est pas nécessairement représentatif du degré réel et effectif de rattachement entre le demandeur des allocations d’attente et le marché géographique du travail, à l’exclusion de tout autre élément représentatif. Elle en a conclu que ladite condition allait ainsi au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (voir arrêts précités D’Hoop, point 39, et Ioannidis, point 31).

35      Il ressort de la décision de renvoi que c’est aux fins de remédier à cette situation que la condition litigieuse, alternative à celle relative au lieu d’obtention du diplôme, et portant sur l’exigence d’avoir suivi au moins six années d’études dans un établissement d’enseignement organisé, subventionné ou reconnu par l’une des Communautés belges, a été introduite à l’article 36, paragraphe 1, premier alinéa, 2°, sous j), de l’arrêté royal.

36      Dans ses observations déposées devant la Cour, le gouvernement belge confirme que la condition litigieuse vise à s’assurer de l’existence d’un lien réel entre le demandeur desdites allocations et le marché du travail belge et soutient qu’une telle condition satisfait aux exigences découlant du principe de proportionnalité, en faisant notamment valoir, à cet égard, que le nombre d’années d’études requis par celle-ci ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif.

37      En l’occurrence, il n’apparaît toutefois pas nécessaire que la Cour se prononce sur la question de savoir si ladite condition enfreint, le cas échéant, le principe de proportionnalité en raison de la durée des études ainsi requise.

38      En effet, ainsi qu’il ressort des circonstances de l’affaire au principal, Mme Prete n’a effectué aucune année d’études en Belgique si bien qu’elle se serait tout autant vu refuser le bénéfice des allocations d’attente si la condition litigieuse avait exigé que l’intéressée soit en mesure de justifier d’études suivies dans un établissement d’enseignement belge d’une durée inférieure à six années, quelle que soit par ailleurs cette durée plus courte.

39      Aussi, suffit-il à la Cour d’examiner la question de savoir si un constat éventuel d’incompatibilité de la réglementation nationale en cause au principal avec l’article 39 CE est susceptible de découler de la circonstance que, en prévoyant une condition afférente à la nécessité d’avoir suivi des études dans un établissement belge, ladite réglementation a pour conséquence d’exclure qu’il soit tenu compte de circonstances qui, bien que non liées au lieu où les études ont été effectuées, seraient néanmoins également représentatives de l’existence d’un lien réel entre la personne intéressée et le marché géographique du travail concerné.

40      S’agissant, à cet égard, des circonstances propres à l’affaire au principal, il y a lieu de rappeler que celle-ci concerne une ressortissante d’un État membre qui réside, depuis environ deux années, dans l’État membre d’accueil, par suite de son mariage avec un ressortissant de ce dernier État membre, et qui est inscrite, depuis seize mois, comme demandeur d’emploi auprès d’un service de l’emploi de ce même État membre, tout en faisant état, ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, de démarches actives effectives aux fins d’y trouver un emploi.

41      Le gouvernement belge fait valoir, à ces divers égards, que le mariage contracté avec un ressortissant de l’État membre d’accueil et le déplacement consécutif de la résidence dans cet État constituent des évènements de la vie privée sans rapport avec le marché du travail de celui-ci. L’inscription comme demandeur d’emploi constituerait une simple formalité administrative pouvant aisément être remplie. Ces circonstances n’impliqueraient pas, par conséquent, s’agissant en particulier d’une personne qui, à l’instar de Mme Prete, se fixe dans une région frontalière de l’État membre où elle a effectué ses études et dont elle serait, dès lors, naturellement davantage préparée à aborder le marché du travail, que l’intéressée ne puisse se tourner que vers le marché du travail de l’État d’accueil.

42      Dans le cadre de la répartition des compétences prévue à l’article 267 TFUE, c’est en principe à la juridiction nationale qu’il incombe de veiller au respect du principe de proportionnalité (voir, notamment, arrêt du 19 mars 2002, Lommers, C‑476/99, Rec. p. I‑2891, point 40). Aussi, est-ce aux juridictions nationales qu’il appartient, dans ce contexte, de constater si les circonstances propres à un cas d’espèce attestent l’existence d’un lien réel avec le marché du travail concerné (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2009, Vatsouras et Koupatantze, C‑22/08 et C‑23/08, Rec. p. I‑4585, point 41).

43      Toutefois, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que celle-ci est compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union qui peuvent lui permettre d’apprécier la compatibilité d’une mesure nationale avec ce droit pour le jugement de l’affaire dont elle est saisie. En l’occurrence, la juridiction de renvoi a de surcroît formulé diverses interrogations précises auxquelles il convient d’apporter une réponse (voir en ce sens, voir, notamment, arrêt Lommers, précité, point 40).

44      Dans ce contexte, il y a lieu de constater que, sous réserve d’appréciations factuelles définitives revenant, ainsi qu’il vient d’être rappelé, aux juridictions nationales, des circonstances telles que celles décrites au point 40 du présent arrêt paraissent, ainsi que l’a également relevé M. l’avocat général aux points 48 et 49 de ses conclusions, effectivement être de nature à permettre d’établir l’existence d’un lien réel avec le marché du travail de l’État membre d’accueil, et ce alors même que l’intéressée n’a pas suivi d’études dans un établissement d’enseignement de ce dernier.

45      À cet égard, il convient, tout d’abord, d’écarter l’argumentation développée par le gouvernement belge selon laquelle une personne telle que Mme Prete, dès lors, en particulier, qu’elle réside à proximité de la frontière de l’État membre dans lequel elle a effectué ses études, aurait plus naturellement vocation à accéder au marché du travail dudit État, avec lequel elle présenterait un lien de rattachement. D’une part, il y a lieu de relever que les connaissances acquises par un étudiant au cours de ses études ne destinent généralement pas celui-ci à un marché géographique du travail donné (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2005, Bidar, C‑209/03, Rec. p. I‑2119, point 58). D’autre part, force est de constater que les circonstances ainsi mises en avant par le gouvernement belge pour justifier de l’existence éventuelle d’un lien entre l’intéressée et le marché français du travail ne sont pas, en tout état de cause, de nature à empêcher que se crée par ailleurs un tel lien avec le marché du travail belge dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

46      Ensuite, il convient de rappeler, à ce dernier égard, qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’existence d’un lien réel avec le marché du travail d’un État membre peut être vérifiée, notamment, par la constatation que la personne en cause a, pendant une période d’une durée raisonnable, effectivement et réellement cherché un emploi dans l’État membre en question (arrêts précités Collins, point 70, ainsi que Vatsouras et Koupatantze, point 39).

47      La Cour a également reconnu que le fait de résider dans un État membre était, lui aussi, de nature à assurer, le cas échéant, un rattachement réel au marché de l’emploi de l’État membre d’accueil, en précisant par ailleurs que, si une période de résidence est requise pour que ladite condition de rattachement soit satisfaite, elle ne doit pas dépasser ce qui est nécessaire pour que les autorités nationales puissent s’assurer que l’intéressé est réellement à la recherche d’un emploi sur le marché du travail de l’État membre d’accueil (arrêt Collins, précité, point 72).

48      Enfin, la circonstance que la demanderesse au principal s’est, en faisant usage de la liberté de circuler garantie aux citoyens de l’Union par l’article 18 CE, déplacée dans l’État membre d’accueil aux fins d’y établir sa résidence conjugale après avoir épousé un ressortissant dudit État ne saurait davantage être ignorée aux fins d’apprécier si Mme Prete présente un lien réel avec le marché du travail dudit État membre.

49      Dans ce contexte, il convient en effet de rappeler, d’une part, et ainsi qu’il a déjà été souligné au point 25 du présent arrêt, que c’est compte tenu de l’instauration de la citoyenneté de l’Union et de l’interprétation jurisprudentielle du droit à l’égalité de traitement dont jouissent les citoyens de l’Union que la Cour a considéré qu’il n’était plus possible d’exclure du champ d’application de l’article 39, paragraphe 2, CE une prestation de nature financière destinée à faciliter l’accès à l’emploi sur le marché du travail d’un État membre.

50      D’autre part, des éléments ressortant du contexte familial dans lequel se trouve le demandeur d’allocations d’attente sont également susceptibles de contribuer à établir l’existence d’un lien réel entre le demandeur et l’État membre d’accueil (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Stewart, C‑503/09, Rec. p. I‑6497, point 100). À cet égard, l’existence des liens étroits, notamment de nature personnelle, créés avec l’État membre d’accueil où l’intéressée s’est, à la suite de son mariage avec un ressortissant dudit État, établie et séjourne désormais de manière habituelle est de nature à contribuer à l’apparition d’un lien durable entre l’intéressée et son nouvel État membre d’établissement, y compris avec le marché du travail de ce dernier (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 1988, Bergemann, 236/87, Rec. p. 5125, points 20 à 22).

51      Il découle de ce qui précède que les circonstances caractérisant ainsi l’affaire au principal offrent une illustration concrète de ce que, dans la mesure où elle fait obstacle à la prise en compte d’autres éléments potentiellement représentatifs du degré réel de rattachement du demandeur des allocations d’attente au marché géographique du travail en cause, une condition telle que celle posée à l’article 36, paragraphe 1, premier alinéa, 2°, sous j), de l’arrêté royal excède ce qui est nécessaire aux fins d’atteindre l’objectif qu’elle poursuit.

52      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 39 CE s’oppose à une disposition nationale telle que celle en cause au principal subordonnant le droit aux allocations d’attente bénéficiant aux jeunes à la recherche de leur premier emploi à la condition que l’intéressé ait suivi au moins six années d’études dans un établissement d’enseignement de l’État membre d’accueil, dans la mesure où ladite condition fait obstacle à la prise en compte d’autres éléments représentatifs propres à établir l’existence d’un lien réel entre le demandeur d’allocations et le marché géographique du travail en cause et excède, de ce fait, ce qui est nécessaire aux fins d’atteindre l’objectif poursuivi par ladite disposition et visant à garantir l’existence d’un tel lien.

 Sur les dépens

53      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

L’article 39 CE s’oppose à une disposition nationale telle que celle en cause au principal subordonnant le droit aux allocations d’attente bénéficiant aux jeunes à la recherche de leur premier emploi à la condition que l’intéressé ait suivi au moins six années d’études dans un établissement d’enseignement de l’État membre d’accueil, dans la mesure où ladite condition fait obstacle à la prise en compte d’autres éléments représentatifs propres à établir l’existence d’un lien réel entre le demandeur d’allocations et le marché géographique du travail en cause et excède, de ce fait, ce qui est nécessaire aux fins d’atteindre l’objectif poursuivi par ladite disposition et visant à garantir l’existence d’un tel lien.

Signatures


* Langue de procédure: le français.