Language of document : ECLI:EU:C:2007:51

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

25 janvier 2007 (*)

«Marques – Rapprochement des législations – Directive 89/104/CEE – Article 2 – Notion de signe susceptible de constituer une marque – Réceptacle ou compartiment de collecte transparent faisant partie de la surface externe d’un aspirateur»

Dans l’affaire C-321/03,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume‑Uni), par décision du 6 juin 2003, parvenue à la Cour le 24 juillet 2003, dans la procédure

Dyson Ltd

contre

Registrar of Trade Marks,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J. Malenovský et A. Ó Caoimh (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 avril 2006,

considérant les observations présentées:

–        pour Dyson Ltd, par M. H. Carr, QC, et M. D. R. Barron, solicitor,

–        pour le gouvernement du Royaume‑Uni, par Mme C. Jackson, puis par Mmes E. O’Neill et C. White, en qualité d’agents, assistées de M. M. Tappin, barrister,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par Mme K. Banks et M. N. B. Rasmussen, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 septembre 2006,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 3, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci‑après la «directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Dyson Ltd (ci‑après «Dyson») au Registrar of Trade Marks (ci‑après le «Registrar») concernant le refus de ce dernier d’enregistrer deux marques consistant chacune en un réceptacle ou compartiment de collecte (ci-après le «boîtier collecteur») transparent faisant partie de la surface externe d’un aspirateur.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        La directive a pour objet, selon son premier considérant, de rapprocher les législations des États membres relatives aux marques, afin de supprimer les disparités existantes susceptibles d’entraver la libre circulation des produits ainsi que la libre prestation des services et de fausser les conditions de concurrence dans le marché commun.

4        Le septième considérant de la directive énonce que «la réalisation des objectifs poursuivis par le rapprochement suppose que l’acquisition et la conservation du droit sur la marque enregistrée soient en principe subordonnées, dans tous les États membres, aux mêmes conditions» et que, «à cette fin, il convient d’établir une liste exemplative de signes susceptibles de constituer une marque s’ils sont propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises [...]».

5        L’article 2 de la directive, intitulé «Signes susceptibles de constituer une marque», dispose:

«Peuvent constituer des marques tous les signes susceptibles d’une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises.»

6        L’article 3 de la directive, intitulé «Motifs de refus ou de nullité», prévoit, à ses paragraphes 1 et 3:

«1.      Sont refusés à l’enregistrement ou susceptibles d’être déclarés nuls s’ils sont enregistrés:

a)      les signes qui ne peuvent constituer une marque;

b)      les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;

c)      les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux‑ci;

[...]

e)      les signes constitués exclusivement:

–        par la forme imposée par la nature même du produit,

–        par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique,

–        par la forme qui donne une valeur substantielle au produit;

[…]

3.      Une marque n’est pas refusée à l’enregistrement ou, si elle est enregistrée, n’est pas susceptible d’être déclarée nulle en application du paragraphe 1 points b), c) ou d) si, avant la date de demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les États membres peuvent prévoir que la présente disposition s’applique également lorsque le caractère distinctif a été acquis après la demande d’enregistrement ou après l’enregistrement.»

 La réglementation nationale

7        Les dispositions des sections 1, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, de la loi de 1994 sur les marques (Trade Marks Act 1994, ci-après la «loi de 1994») prévoient ce qui suit:

«1. (1) Dans la présente loi, on entend par ‘marque’ tout signe susceptible de représentation graphique et propre à distinguer les produits et services d’une entreprise de ceux des autres entreprises.

Une marque peut en particulier consister en mots, y compris noms de personnes, dessins, lettres, chiffres, ou en la forme du produit ou de son conditionnement.

[…]

3. (1)          Sont refusés à l’enregistrement:

a)      les signes qui ne remplissent pas les conditions énumérées [à] la section 1, paragraphe 1;

b)      les marques qui sont dépourvues de tout caractère distinctif;

c)       les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation de service, ou d’autres caractéristiques de ceux‑ci;

d)      les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce.

Une marque n’est pas refusée à l’enregistrement en application des points b), c) ou d) si, avant la date de la demande d’enregistrement et après l’usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

8        Depuis 1993, Dyson fabrique et commercialise l’aspirateur Dual Cyclone, un aspirateur sans sac dans lequel la saleté et la poussière sont stockées dans un boîtier en plastique transparent intégré à l’appareil.

9        Le 10 décembre 1996, la société Notetry Ltd, détenue par M. James Dyson, a déposé auprès du Registrar une demande d’enregistrement de six marques pour les «appareils pour nettoyer, polir et shampouiner sols et tapis; aspirateurs; shampouineurs pour tapis; polisseurs de sols; pièces et parties constitutives de tous les produits précités», relevant de la classe 9 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié. Cette demande a été reprise au nom de Dyson le 5 février 2002.

10      Ladite demande a été abandonnée pour quatre de ces marques, mais elle a toutefois été maintenue pour les deux autres qui sont chacune décrites comme suit: «[la] marque consiste en un réceptacle ou compartiment de collecte transparent faisant partie de la surface externe d’un aspirateur, tel que représenté sur le dessin». À chacune de ces descriptions était jointe une représentation de l’un ou l’autre des deux modèles d’aspirateur sans sac fabriqué et commercialisé par Dyson.

11      La demande a été rejetée par décision du Registrar, laquelle a été confirmée par le Hearing officer le 23 juillet 2002. Dyson a interjeté appel de cette dernière décision devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division. Celle‑ci a considéré que les deux marques en cause étaient dépourvues de caractère distinctif au sens de la section 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), de la loi de 1994 et qu’elles étaient, en outre, descriptives de caractéristiques des produits visés dans la demande d’enregistrement au sens de la section 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la même loi. La High Court s’interroge en revanche sur le point de savoir si lesdites marques n’avaient pas, à la date de la demande, à savoir en 1996, acquis un caractère distinctif par l’usage au sens de la section 3, paragraphe 1, second alinéa, de la loi de 1994.

12      À cet égard, la High Court considère que, en 1996, les consommateurs, d’une part, percevaient le boîtier collecteur transparent comme un indice du fait que l’aspirateur qu’ils regardaient était un aspirateur sans sac et, d’autre part, étaient informés par la publicité et par l’absence de produit rival – Dyson ayant conservé à l’époque un monopole de fait sur ce type de produit – que les aspirateurs sans sac étaient des aspirateurs fabriqués par Dyson. Elle souligne, en revanche, que, à cette date, le boîtier collecteur transparent n’avait pas encore fait l’objet d’une promotion active à titre de marque de la part de Dyson. Dès lors, au vu du point 65 de l’arrêt du 18 juin 2002, Philips (C‑299/99, Rec. p. I‑5475), elle se demande si un simple monopole de fait peut suffire à conférer un caractère distinctif, compte tenu de l’association faite entre le produit et le fabricant, ou s’il convient d’exiger, de surcroît, la promotion du signe en tant que marque.

13      Dans ces conditions, la High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:

«1)      Lorsque le demandeur a fait usage d’un signe (autre qu’une forme) consistant en une caractéristique fonctionnelle faisant partie de l’apparence d’un nouveau type de produit et qu’il a détenu jusqu’à la date de la demande de marque un monopole de fait sur de tels produits, suffit‑il, pour que le signe ait acquis un caractère distinctif au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la [directive], qu’une partie importante du public concerné ait été amenée, à la date de la demande, à associer les produits portant le signe en question avec le demandeur et avec aucun autre fabricant?

2)      Si cela ne suffit pas, que faut‑il d’autre pour que le signe ait pu acquérir un caractère distinctif, et en particulier faut‑il que la personne qui en a fait usage en ait fait la promotion à titre de marque?»

14      Par ordonnance du 12 octobre 2004, la Cour a suspendu la procédure, conformément à l’article 54, troisième alinéa, du statut de la Cour, jusqu’au prononcé de la décision du Tribunal de première instance des Communautés européennes mettant fin à l’instance dans l’affaire Dyson/OHMI (aspirateur) (T‑278/02), celle‑ci soulevant la même question d’interprétation que la présente affaire.

15      Par son recours devant le Tribunal, Dyson demandait l’annulation de la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles), par laquelle celle‑ci avait refusé d’enregistrer une marque destinée à des «[a]ppareils pour nettoyer, polir et shampouiner sols et tapis; aspirateurs, shampouineurs pour tapis; polisseurs de sols; pièces et parties constitutives de tous les produits précités». Dans le formulaire de demande d’enregistrement, Dyson décrivait la marque demandée comme suit:

«La marque consiste en un réceptacle ou compartiment de collecte transparent faisant partie de la surface externe d’un aspirateur.»

16      Dyson ayant ensuite retiré ladite demande d’enregistrement, le Tribunal a jugé, par ordonnance du 14 novembre 2005, que le recours était devenu sans objet et que, partant, il n’y avait pas lieu de statuer sur celui‑ci, conformément à l’article 113 du règlement de procédure du Tribunal. En conséquence, la procédure devant la Cour a été reprise à cette même date.

 Sur les questions préjudicielles

17      Par ses questions, la juridiction de renvoi demande en substance à quelles conditions un signe est susceptible d’acquérir un caractère distinctif au sens de l’article 3, paragraphe 3, de la directive, lorsque, comme en l’espèce, l’opérateur en ayant fait usage a détenu un monopole de fait sur le produit portant ce signe avant le dépôt de sa demande de marque.

18      Il ressort de la décision de renvoi que ces questions ont été posées à propos d’une demande par laquelle Dyson vise à enregistrer deux marques qui, selon les termes de ladite demande, consistent «en un réceptacle ou compartiment de collecte transparent faisant partie de la surface externe d’un aspirateur, tel que représenté sur le dessin».

19      Ainsi que Dyson l’a précisé à diverses reprises tant dans ses observations écrites qu’à l’audience, et comme la juridiction nationale l’a elle‑même constaté dans sa décision de renvoi, cette demande ne vise pas à obtenir l’enregistrement d’une marque sur une ou plusieurs formes déterminées de boîtier collecteur transparent – les formes représentées graphiquement sur ladite demande étant uniquement des exemples d’un tel boîtier –, mais à obtenir l’enregistrement d’une marque sur le boîtier lui‑même. Par ailleurs, il est constant que ces marques consistent non pas en une couleur déterminée, mais en une absence de couleur particulière, à savoir la transparence, laquelle permet au consommateur de constater la quantité de poussières stockées dans le boîtier collecteur et de l’informer lorsque ce dernier est rempli.

20      Il en résulte que la demande d’enregistrement de marques au principal a pour objet toutes les formes imaginables d’un boîtier collecteur transparent faisant partie de la surface externe d’un aspirateur.

21      Dans ses observations écrites et à l’audience, la Commission des Communautés européennes a fait valoir que l’objet d’une telle demande ne constitue pas un «signe» au sens de l’article 2 de la directive et que, partant, il ne peut être enregistré en tant que marque. Même si cette question n’a pas été soulevée par la juridiction de renvoi, il serait dès lors nécessaire, avant de procéder, le cas échéant, à l’interprétation des dispositions de l’article 3 de la directive, de vérifier si l’objet de ladite demande remplit les conditions prévues à l’article 2 de cette directive.

22      Selon Dyson et le gouvernement du Royaume‑Uni, il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 234 CE, de soulever d’office une question qui n’a pas été abordée par la juridiction de renvoi. À l’audience, ces parties ont souligné à cet égard que, lors de la procédure administrative, le Registrar, après avoir émis des objections quant au point de savoir si l’objet de la demande de Dyson était un signe susceptible de constituer une marque, a levé lesdites objections lorsque Dyson a retiré quatre des six marques dont l’enregistrement était initialement demandé.

23      Il convient de rappeler que, certes, selon la jurisprudence, il incombe exclusivement à la juridiction de renvoi de définir l’objet des questions qu’elle entend poser à la Cour. Il appartient en effet aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et qui doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour (voir, en ce sens, arrêts du 16 mars 1999, Castelletti, C‑159/97, Rec. p. I‑1597, point 14, ainsi que du 6 juillet 2006, Kersbergen-Lap et Dams-Schipper, C‑154/05, non encore publié au Recueil, point 21).

24      Toutefois, même si, sur le plan formel, une juridiction de renvoi limite sa demande à l’interprétation de certaines dispositions communautaires qui pourraient entrer en considération, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation du droit communautaire pouvant être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait ou non référence dans l’énoncé de sa question (voir, en ce sens, arrêts du 29 avril 2004, Weigel, C‑387/01, Rec. p. I‑4981, point 44, et du 21 février 2006, Ritter‑Coulais, C‑152/03, Rec. p. I‑1711, point 29).

25      Or, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive, les signes qui ne peuvent pas constituer une marque sont refusés à l’enregistrement ou sont susceptibles d’être déclarés nuls s’ils sont enregistrés. Cette disposition fait ainsi obstacle à ce que soient enregistrés des signes qui ne remplissent pas les conditions imposées par l’article 2 de la directive, lequel a pour objet de définir les types de signes susceptibles de constituer des marques (voir, en ce sens, arrêt Philips, précité, point 38).

26      Dans ces conditions, contrairement à ce qu’ont soutenu Dyson et le gouvernement du Royaume‑Uni, même si le libellé des questions de la juridiction de renvoi porte uniquement sur l’article 3 de la directive et que ladite juridiction n’a pas abordé, dans le litige au principal, le point de savoir si l’objet de la demande en cause peut être considéré comme un signe susceptible de constituer une marque au sens de l’article 2 de ladite directive, il convient, à titre préalable, d’examiner cette dernière question (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2003, Libertel, C‑104/01, Rec. p. I‑3793, point 22).

27      Selon l’article 2 de la directive, tous les signes peuvent constituer des marques à condition qu’ils soient, d’une part, susceptibles d’une représentation graphique et, d’autre part, propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises (arrêts Philips, précité, point 32, et du 12 décembre 2002, Sieckmann, C‑273/00, Rec. p. I‑11737, point 39).

28      Il en résulte que, pour être susceptible de constituer une marque au sens de l’article 2 de la directive, l’objet de toute demande doit remplir trois conditions. Premièrement, il doit constituer un signe. Deuxièmement, ce signe doit être susceptible d’une représentation graphique. Troisièmement, ce signe doit être propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises (voir, en ce sens, arrêts Libertel, précité, point 23, et du 24 juin 2004, Heidelberger Bauchemie, C‑49/02, Rec. p. I‑6129, point 22).

29      Selon la Commission, la demande déposée par Dyson ne remplit pas la première de ces conditions, car elle porte sur un concept, en l’occurrence le concept de boîtier collecteur transparent d’un aspirateur, quelle qu’en soit la forme. Or, un concept n’étant pas susceptible d’être perçu par l’un des cinq sens physiques et faisant uniquement appel à l’imagination, il ne serait pas un «signe» au sens de l’article 2 de la directive. Si un concept pouvait constituer une marque, la logique qui sous‑tend l’article 3, paragraphe 1, sous e), de la directive, à savoir éviter que la protection du droit des marques aboutisse à conférer à son titulaire un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit, serait mise en échec. Il ne devrait dès lors pas être possible d’obtenir cet avantage en enregistrant toutes les formes que pourrait avoir une certaine caractéristique fonctionnelle, ce qui serait le cas si l’on pouvait enregistrer un concept qui peut englober de nombreuses manifestations physiques.

30      En revanche, Dyson, soutenue sur ce point par le gouvernement du Royaume‑Uni, estime que, même s’il est vrai, comme elle l’a indiqué à l’audience, qu’un concept n’est pas un signe susceptible d’être enregistré en tant que marque, sa demande porte bien sur un «signe» au sens de l’article 2 de la directive. La notion de «signe», qui est définie largement par la jurisprudence, viserait en effet tout message susceptible d’être perçu par l’un des cinq sens physiques. Or, il ressortirait de la procédure au principal que les consommateurs associent le boîtier collecteur transparent faisant l’objet de la demande à Dyson. En outre, le consommateur serait en mesure, d’une part, de voir ledit boîtier collecteur, lequel constitue une partie physique de l’aspirateur, et, d’autre part, de constater qu’il est transparent. Le boîtier collecteur transparent serait donc perceptible par la vue et il ne saurait, partant, être considéré comme le fruit de l’imagination du consommateur.

31      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 2 de la directive, les signes qui peuvent constituer des marques sont, notamment, les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement.

32      Si cette disposition ne mentionne que les signes qui sont susceptibles d’être perçus visuellement, de type bidimensionnel ou tridimensionnel, et qui peuvent donc être représentés au moyen de lettres ou de caractères écrits ou d’une image, il ressort, cependant, des termes tant dudit article 2 que du septième considérant de la directive, qui vise une «liste exemplative» de signes susceptibles de constituer une marque, que cette énumération n’est pas exhaustive. Partant, la Cour a déjà jugé que l’article 2 de la directive, s’il ne mentionne pas les signes qui ne sont pas en eux‑mêmes susceptibles d’être perçus visuellement, tels que les sons ou les odeurs, ne les exclut pas expressément (arrêts Sieckmann, précité, points 43 et 44, ainsi que du 27 novembre 2003, Shield Mark, C‑283/01, Rec. p. I‑14313, points 34 et 35).

33      Toutefois, sous peine de priver cette condition de toute substance, il ne saurait être admis que l’objet de toute demande de marque constitue nécessairement un signe au sens de l’article 2 de la directive.

34      Ainsi que la Cour l’a déjà indiqué, le but de cette exigence est, notamment, d’empêcher que le droit des marques soit détourné afin d’obtenir un avantage concurrentiel indu (arrêt Heidelberger Bauchemie, précité, point 24).

35      Or, en l’espèce, il est constant que l’objet de la demande au principal vise non pas un type particulier de boîtier collecteur transparent faisant partie de la surface externe d’un aspirateur, mais, de manière générale et abstraite, toutes les formes imaginables d’un tel boîtier collecteur.

36      À cet égard, Dyson ne saurait soutenir que l’objet de sa demande au principal est susceptible d’être perçu visuellement. En effet, ce que le consommateur est en mesure d’identifier par la vue, ce n’est pas l’objet de cette demande, mais deux de ses représentations graphiques telle qu’elles figurent dans cette dernière. Or, ces représentations ne sauraient être assimilées à l’objet de la demande puisque, ainsi que Dyson l’a souligné à maintes reprises, elles en constituent uniquement des exemples.

37      Il en résulte que, à la différence des demandes ayant donné lieu aux arrêts précités Sieckmann et Shield Mark, l’objet de la demande au principal a vocation à revêtir une multitude d’aspects différents et qu’il n’est donc pas déterminé. Comme M. l’avocat général l’a relevé en substance au point 51 de ses conclusions, la forme, les dimensions, la présentation et la composition de cet objet dépendent en effet tant des modèles d’aspirateurs développés par Dyson que des innovations technologiques. De même, la transparence permet l’utilisation de coloris variés.

38      Or, eu égard à l’exclusivité inhérente au droit des marques, le titulaire d’une marque portant sur un tel objet indéterminé obtiendrait, contrairement à l’objectif poursuivi par l’article 2 de la directive, un avantage concurrentiel indu, dès lors qu’il serait en droit de faire obstacle à la possibilité pour ses concurrents d’offrir des aspirateurs présentant sur leur surface externe toute espèce de boîtier collecteur transparent, quel qu’en soit la forme.

39      Il en résulte que l’objet de la demande en cause au principal réside, en réalité, dans une simple propriété du produit concerné et qu’il ne constitue dès lors pas un «signe» au sens de l’article 2 de la directive (voir, en ce sens, arrêt Libertel, précité, point 27).

40      En conséquence, il convient de répondre à la juridiction de renvoi que l’article 2 de la directive doit être interprété en ce sens que l’objet d’une demande d’enregistrement de marques, telle que celle déposée au principal, qui porte sur toutes les formes imaginables d’un réceptacle ou compartiment de collecte transparent faisant partie de la surface externe d’un aspirateur, ne constitue pas un «signe» au sens de cette disposition et, partant, qu’il n’est pas susceptible de constituer une marque au sens de celle‑ci.

41      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’interpréter l’article 3, paragraphe 3, de la directive.

 Sur les dépens

42      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

L’article 2 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que l’objet d’une demande d’enregistrement de marques, telle que celle déposée au principal, qui porte sur toutes les formes imaginables d’un réceptacle ou compartiment de collecte transparent faisant partie de la surface externe d’un aspirateur, ne constitue pas un «signe» au sens de cette disposition et, partant, qu’il n’est pas susceptible de constituer une marque au sens de celle‑ci.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.