Language of document : ECLI:EU:C:2013:482


ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

18 juillet 2013 (*)

«Pourvoi – Ententes – Marché du caoutchouc butadiène et du caoutchouc styrène-butadiène fabriqué par polymérisation en émulsion – Fixation des prix cibles, partage des clients par des accords de non‑agression et échange d’informations commerciales – Imputabilité du comportement infractionnel – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Coefficient multiplicateur à finalité dissuasive – Égalité de traitement»

Dans l’affaire C‑499/11 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 26 septembre 2011,

The Dow Chemical Company, établie à Midland, (États‑Unis),

Dow Deutschland Inc., établie à Schwalbach (Allemagne),

Dow Deutschland Anlagengesellschaft mbH, établie à Schwalbach,

Dow Europe GmbH, établie à Horgen (Suisse),

représentées par Mes D. Schroeder et T. Kuhn, Rechtsanwälte, et MT. Graf, advokat,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. M. Kellerbauer et V. Bottka, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, Mme M. Berger (rapporteur), MM. A. Borg Barthet, E. Levits et J.‑J. Kasel, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 janvier 2013,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur pourvoi, The Dow Chemical Company (ci-après «Dow Chemical»), Dow Deutschland Inc. (ci-après «Dow Deutschland»), Dow Deutschland Anlagengesellschaft mbH (ci-après «Dow Deutschland Anlagengesellschaft») et Dow Europe GmbH (ci‑après «Dow Europe», et toutes ces sociétés, prises ensemble, «Dow»), demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne, du 13 juillet 2011, Dow Chemical e.a./Commission (T‑42/07, Rec.p. II‑4531, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a partiellement rejeté leur recours tendant à l’annulation de la décision C (2006) 5700 final de la Commission, du 29 novembre 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/F/38.638 – Caoutchouc butadiène et caoutchouc styrène-butadiène fabriqué par polymérisation en émulsion) (ci-après la «décision litigieuse»), à l’annulation de la décision litigieuse, en tant qu’elle concerne Dow Chemical, et à la réduction du montant de l’amende qui a été infligée à Dow.

 Les antécédents du litige et la décision litigieuse

2        Le 20 décembre 2002, Bayer AG (ci-après «Bayer») a pris contact avec les services de la Commission européenne et a exprimé son souhait de coopérer au titre de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la «communication sur la clémence») en ce qui concerne le caoutchouc butadiène (ci‑après le «CB») et le caoutchouc styrène-butadiène fabriqué par polymérisation en émulsion (ci-après le «CSB»), des caoutchoucs synthétiques essentiellement utilisés dans la production de pneumatiques.

3        Le 16 octobre 2003, Dow Deutschland et Dow Deutschland Anlagengesellschaft ont rencontré les services de la Commission et ont exprimé leur souhait de coopérer au titre de la communication sur la clémence. Le 4 mars 2005, Dow Deutschland a été informée de l’intention de la Commission de lui accorder une réduction d’amende se situant entre 30 % et 50 %.

4        Le 7 juin 2005, la Commission a ouvert une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE»), portant sur le marché du CB et du CSB. Elle a adressé une première communication des griefs (ci-après la «première communication»), notamment, à Dow.

5        Le 6 avril 2006, la Commission a adopté une seconde communication des griefs (ci-après la «seconde communication»).

6        La procédure administrative a abouti, le 29 novembre 2006, à l’adoption de la décision litigieuse. Selon l’article 1er de celle-ci, Dow et les autres entreprises destinataires de ladite décision, à savoir Bayer, Versalis SpA, (anciennement Polimeri Europa SpA), et Eni SpA (ci‑après ensemble «Eni»), Shell Petroleum NV, Shell Nederland BV et Shell Nederland Chemie BV (ci-après ensemble «Shell»), Unipetrol a.s., Kaučuk a.s. (ci‑après «Kaučuk») et Trade-Stomil sp. z o.o. (ci-après «Stomil»), ont enfreint l’article 81 CE et l’article 53 de l’accord EEE en participant à un accord unique et continu dans le cadre duquel elles étaient convenues de fixer des objectifs de prix, de partager des clients par des accords de non-agression et d’échanger des informations sensibles relatives aux prix, aux concurrents et aux clients dans les secteurs du CB et du CSB.

7        La période retenue pour la durée de l’infraction s’étend du 1er juillet 1996 au 28 novembre 2002, pour Dow Chemical, du 1er juillet 1996 au 27 novembre 2001, pour Dow Deutschland, du 22 février 2001 au 28 février 2002, pour Dow Deutschland Anlagengesellschaft, et du 26 novembre 2001 au 28 novembre 2002, pour Dow Europe.

8        Selon les considérants 16 à 21 de la décision litigieuse, s’agissant de la période pendant laquelle Dow a participé à l’infraction en cause, Dow Deutschland, Dow Deutschland Anlagengesellschaft et Dow Europe étaient entièrement contrôlées, directement ou indirectement, par Dow Chemical.

9        S’agissant de l’amende infligée par la décision litigieuse, celle-ci a été fixée suivant la communication de la Commission, intitulée «Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA]» (JO 1998, C 9, p. 3, ci‑après les «lignes directrices»).

10      Ainsi, la Commission a, tout d’abord, considéré l’infraction commise comme «très grave» et a fixé le montant de départ pour le calcul de l’amende en établissant une différence en fonction des ventes de CB et de CSB de chacune des entreprises concernées au cours de l’année 2001. S’agissant de Dow, les ventes de CB et de CSB se sont élevées, selon le considérant 469 de la décision litigieuse, à 126,936 millions d’euros pour l’année 2001. Compte tenu de ce montant, Dow a été placée, en termes de ventes de CB et de CSB, dans la deuxième catégorie des entreprises impliquées dans ladite infraction. Sur ce fondement, la Commission a fixé le montant de base de l’amende infligée à Dow à 41 millions d’euros.

11      Ensuite, la Commission a appliqué des coefficients multiplicateurs à finalité dissuasive, échelonnés en fonction des chiffres d’affaires mondiaux réalisés par les entreprises concernées pendant l’année 2005. Estimant qu’aucun coefficient multiplicateur ne devait être appliqué à Stomil, dont le chiffre d’affaires était de 38 millions d’euros, non plus qu’à Kaučuk, dont le chiffre d’affaires s’élevait à 2,718 milliards d’euros, la Commission a appliqué des coefficients multiplicateurs de 1,5 à Bayer, de 1,75 à Dow, de 2 à Eni ainsi que de 3 à Shell, dont les chiffres d’affaires s’élevaient, respectivement, à 27,383 milliards d’euros, 37,221 milliards d’euros, 73,738 milliards d’euros et 246,549 milliards d’euros.

12      En outre, en ce qui concerne Dow Chemical, le montant de départ pour le calcul de l’amende a été augmenté de 50 % en raison, notamment, d’une participation de cette société à l’infraction en cause pendant une période de six ans et quatre mois. S’agissant de Dow Deutschland, cette augmentation s’est élevée à 40 %. Dow Deutschland Anlagengesellschaft et Dow Europe se sont vu infliger une augmentation de 10 %, correspondant à la durée de leur participation à l’entente.

13      Enfin, estimant que Dow avait été la deuxième entreprise qui s’était adressée, conformément à la communication sur la clémence, à la Commission, et la première entreprise à remplir les conditions énoncées au point 21 de cette communication, la Commission lui a accordé une réduction de 40 % de l’amende qui lui aurait été infligée si Dow n’avait pas coopéré à l’enquête.

14      Par conséquent, à l’article 2, sous b), de la décision litigieuse, la Commission a infligé à Dow Chemical une amende de 64,575 millions d’euros, dont 60,27 millions d’euros conjointement et solidairement avec Dow Deutschland ainsi que 47,355 millions d’euros conjointement et solidairement avec Dow Deutschland Anlagengesellschaft et Dow Europe.

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 février 2007, Dow a introduit un recours contre la décision litigieuse tendant, en ce qui concerne Dow Chemical, à l’annulation de cette décision en ce qu’elle lui était adressée; s’agissant de Dow Deutschland, à l’annulation de l’article 1er de ladite décision en ce qu’il conclut à la violation, par Dow Deutschland, des articles 81 CE et 53 de l’accord EEE à partir du 1er juillet 1996 et, pour toutes les requérantes – dont pour Dow Chemical à titre subsidiaire –, à une réduction substantielle du montant de l’amende qui leur avait été infligée.

16      En outre, toutes les requérantes demandaient au Tribunal, d’une part, de condamner la Commission à assumer la charge de l’ensemble de leurs frais et dépens liés à la présente affaire ainsi que des frais qu’elles auraient exposés pour constituer une garantie bancaire couvrant, en attendant que le Tribunal statue sur le recours, le montant de l’amende qui leur a été infligée par la décision litigieuse et, d’autre part, de prendre toute autre mesure qu’il jugerait appropriée.

17      Comme premier moyen au soutien de la requête, Dow invoquait l’illégalité de l’imputation de l’infraction à Dow Chemical. Le deuxième moyen était tiré d’une détermination erronée de la durée de la participation de Dow Deutschland à l’infraction. Le troisième moyen, divisé en neuf branches, était tiré d’une détermination erronée du montant des amendes infligées à Dow.

18      Le Tribunal a rejeté le premier moyen dans son ensemble comme étant non fondé. À cet égard, il a notamment jugé, aux points 74 et 75 de l’arrêt attaqué, que Dow Chemical était «la société faîtière du groupe» et «qu’il n’[était] pas contesté qu’elle contrôl[ait], même indirectement, la totalité du capital des sociétés ayant participé directement à l’infraction». Par ailleurs, il a considéré que «l’imputation de l’infraction à la société mère [était] une faculté laissée à l’appréciation de la Commission» et «que le seul fait que la Commission a[vait] estimé, dans sa pratique décisionnelle antérieure, que les circonstances d’une affaire donnée ne justifiaient pas d’imputer le comportement d’une filiale à sa société mère n’impliqu[ait] pas qu’elle soit obligée de porter la même appréciation dans une décision ultérieure».

19      Au point 76 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que, «[s]’agissant du fait que Dow Chemical [avait été] indûment lésée en étant destinataire de la décision [litigieuse], il ne saurait remettre en cause la légalité de cette dernière». Enfin, s’agissant du défaut de motivation allégué, le Tribunal a rappelé, au point 77 de l’arrêt attaqué, que «[l]’exigence de la motivation [devait] être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce» et qu’«[i]l n’[était] pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si elle satisfai[sai]t aux exigences de l’article [296 TFUE] [devait] être appréciée au regard non seulement du libellé de l’acte en cause, mais aussi du contexte dans lequel cet acte a[vait] été adopté». Or, la Commission aurait «clairement identifié, aux considérants 333 à 338 et 340 à 364 de la décision [litigieuse], les éléments d’appréciation qui lui [avaient] permis de retenir la responsabilité de Dow Chemical en l’espèce» (voir point 79 de l’arrêt attaqué).

20      En ce qui concerne le deuxième moyen, le Tribunal a considéré que la Commission, s’agissant de Dow Deutschland, n’avait pas démontré à suffisance de droit l’existence des faits constitutifs d’une infraction pour la période comprise entre le 1er juillet et le 2 septembre 1996.

21      Quant au troisième moyen, le Tribunal a tout d’abord rappelé, aux points 123 et 124 de l’arrêt attaqué, que «la contribution individuelle de chaque entreprise, en termes de capacité économique effective, au succès de l’entente [devait] être distinguée de l’impact concret de l’infraction visé au point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices» et que, «même en l’absence d’impact concret mesurable de l’infraction, la Commission [pouvait] décider, conformément au point 1 A, troisième, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices, et après avoir qualifié l’infraction de peu grave, grave ou très grave, de procéder à une différenciation entre les entreprises concernées».

22      Ensuite, aux points 126 et 127, le Tribunal a considéré que «Dow ne remet[tait] pas en cause l’objet infractionnel de l’entente, tel que repris dans la décision [litigieuse]», et que «[l]a Commission n’a[vait] pas commis d’erreur en retenant que les pratiques en cause étaient, par leur nature, des infractions très graves, sans tenir compte de l’impact concret de l’infraction sur le marché». En outre, la Commission aurait «clairement indiqué, au considérant 462 de la décision [litigieuse], qu’elle ne tiendrait pas compte de l’impact concret de l’infraction sur le marché aux fins de déterminer le montant des amendes».

23      S’agissant de la violation alléguée du droit d’être entendu de Dow, le Tribunal a jugé, au point 128 de l’arrêt attaqué, que «la Commission rempli[ssai]t son obligation de respecter le droit des entreprises d’être entendues dès lors qu’elle indiqu[ait] expressément, dans la communication des griefs, qu’elle [allait] examiner s’il [convenait] d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle [énonçait] les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende». En l’espèce, la Commission n’aurait «pas tenu compte de l’impact de l’entente sur le marché aux fins de déterminer la gravité de l’infraction (considérant 462 de la décision [litigieuse])». Selon le Tribunal, «dans ces conditions, aucune violation du droit d’être entendu de Dow ne saurait exister à cet égard».

24      En ce qui concerne l’application illégale d’un coefficient multiplicateur à finalité dissuasive, alléguée par Dow dans le cadre de la septième branche du troisième moyen, le Tribunal a conclu, au point 146 de l’arrêt attaqué, que «celle-ci repos[ait] sur les arguments développés dans le cadre du premier moyen» et que, «[d]ès lors que le premier moyen d[evai]t être rejeté comme étant non fondé, il y a[vait] lieu de rejeter, par voie de conséquence, [cette] branche du troisième moyen [...] comme étant, également, non fondée».

25      Par ailleurs, le Tribunal a rappelé, aux points 147 et 149 de l’arrêt attaqué, qu’«il [était] nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs de l’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assur[ait] un caractère suffisamment dissuasif (point 1 A, quatrième alinéa, des lignes directrices)», et que «[c]ela exig[eait] que le montant de l’amende [fût] modulé afin de tenir compte de l’impact recherché sur l’entreprise à laquelle elle [était] infligée». Au point 150 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ajouté qu’était pertinente à cet égard, en particulier, «la prise en compte du chiffre d’affaires global de chaque entreprise faisant partie d’une entente pour fixer le montant de l’amende».

26      Selon le Tribunal, une violation du principe d’égalité de traitement ne saurait non plus être retenue. À cet égard, il a jugé, au point 153 de l’arrêt attaqué, que «Dow ne contest[ait] pas les chiffres d’affaires mentionnés par la Commission dans la décision [litigieuse]» et, «[e]n particulier, [...] qu’elle [avait été], en 2005, une entreprise de plus grande dimension que Bayer et de plus petite dimension qu’EniChem [à savoir, selon la définition de cette notion au considérant 36 de la décision litigieuse, toute société détenue par Eni SpA]». «Il [était], dès lors, cohérent et objectivement justifié que le coefficient multiplicateur à finalité dissuasive retenu pour le calcul des amendes infligées à Dow [fût] supérieur à celui retenu pour le calcul de l’amende infligée à Bayer et inférieur à celui retenu pour le calcul de l’amende infligée à EniChem».

27      Le Tribunal en a conclu, au point 154 de l’arrêt attaqué, que «les chiffres d’affaires mondiaux de l’année 2005 [ayant été] de 27,383 milliards d’euros pour Bayer et de 37,221 milliards d’euros pour Dow (soit 35,93 % de plus que Bayer) [...], le fait que le coefficient multiplicateur afférent aux amendes de Dow ait été augmenté de 16,66 % par rapport à celui retenu pour déterminer le montant de l’amende de Bayer (1,75 contre 1,5) ne saurait constituer une violation du principe d’égalité de traitement». En effet, selon le Tribunal, «il résult[ait] de la décision [litigieuse] que le coefficient multiplicateur retenu pour Dow a[vait] été calculé sur la base du coefficient retenu pour Bayer et non pas sur la base des coefficients retenus pour EniChem ou Shell». Le Tribunal a également souligné que «[l]a Commission dispos[ait] d’un pouvoir d’appréciation dans la détermination du montant de l’amende, et qu’elle n’[était] pas tenue d’appliquer une formule mathématique précise».

28      Enfin, le Tribunal a considéré, au point 155 de l’arrêt attaqué, que «[Dow] n’apport[ait] aucun élément circonstancié permettant de considérer que le coefficient multiplicateur retenu à son encontre [était] disproportionné par rapport à la gravité de l’infraction et à l’objectif poursuivi d’assurer aux amendes un niveau dissuasif».

29      Le Tribunal a conclu qu’il y avait lieu d’accueillir le deuxième moyen soulevé par Dow Deutschland et d’annuler l’article 1er de la décision litigieuse en tant qu’il retenait la participation de cette société à l’infraction en cause à compter du 1er juillet 1996 au lieu du 2 septembre 1996. Le Tribunal a, toutefois, considéré qu’il n’y avait pas lieu de réduire le montant de l’amende infligée. Il a rejeté tous les autres moyens soulevés par Dow. Dans la mesure où ces derniers moyens étaient avancés au soutien des conclusions tendant à la réformation du montant de l’amende, le Tribunal les a rejetés comme étant non fondés. Il en va de même en ce qui concerne les conclusions présentées par Dow tendant à la condamnation de la Commission aux dépens.

 Les conclusions des parties

30      Dow Chemical demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué en ce qu’il rejette sa demande d’annulation de la décision litigieuse dans la mesure où cette décision concerne Dow Chemical, et

–        d’annuler la décision litigieuse dans la mesure où cette décision concerne Dow Chemical.

31      Toutes les requérantes demandent à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué en ce qu’il rejette leur demande de réduire substantiellement le montant de l’amende qui leur a été infligée;

–        de réduire substantiellement le montant de l’amende qui leur a été infligée, et

–        de condamner la Commission aux dépens et de prendre toutes mesures que la Cour jugera appropriées.

32      La Commission demande à la Cour:

–        de rejeter le pourvoi, et

–        de condamner Dow aux dépens.

 Sur le pourvoi

33      Au soutien de ses conclusions, Dow invoque quatre moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise, d’une part, en estimant que la Commission n’était pas tenue d’exercer son pouvoir d’appréciation de façon adéquate et, d’autre part, en n’exerçant pas son pouvoir de contrôle juridictionnel dans toute son étendue sur la manière dont la Commission a exercé son pouvoir d’appréciation pour conclure à la responsabilité de Dow Chemical. Le deuxième moyen est tiré d’une erreur de droit concernant le traitement différencié appliqué aux montants de base de l’amende. Le troisième moyen est tiré d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise en confirmant que la Commission était en droit de prendre en compte le chiffre d’affaires de Dow Chemical. Par le quatrième moyen, Dow fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en confirmant que l’application qu’a faite la Commission du coefficient multiplicateur à finalité dissuasive n’était pas discriminatoire.

 Sur le premier moyen, tiré, en substance, du fait que le contrôle, par le Tribunal, de la manière dont la Commission a exercé son pouvoir d’appréciation pour conclure à la responsabilité de Dow Chemical serait entaché d’erreurs de droit

 Argumentation des parties

34      Par le premier moyen, Dow fait valoir que le Tribunal, quand il a rejeté le premier moyen soulevé au soutien de la requête en première instance, a commis une erreur de droit, d’une part, en estimant que la Commission n’était pas tenue d’exercer son pouvoir d’appréciation de façon adéquate et, d’autre part, en n’exerçant pas pleinement son pouvoir de contrôle juridictionnel sur la manière dont la Commission avait exercé son pouvoir d’appréciation pour conclure à la responsabilité de Dow Chemical du comportement de ses filiales. Le Tribunal aurait uniquement jugé que la Commission avait été en droit de retenir la responsabilité de Dow Chemical, sans examiner la question de savoir si et comment la Commission avait exercé son pouvoir d’appréciation.

35      Dow précise que, dans sa requête en première instance, elle a fait valoir que la Commission n’avait pas mis en balance les arguments concernant la responsabilité de Dow Chemical et que la décision litigieuse n’était pas motivée à cet égard. Selon Dow, la Commission, lorsqu’elle prend une décision discrétionnaire, doit tenir compte de tous les éléments de droit et de fait pertinents, et elle est, plus particulièrement, astreinte à une obligation de motivation. Or, au considérant 362 de la décision litigieuse, la Commission se serait bornée à mentionner une politique générale alléguée consistant à imputer la responsabilité de l’infraction concernée à la société mère de l’entreprise qui y a participé et à rejeter les arguments de Dow comme étant «de nature éminemment politique».

36      Considérant qu’elle n’a pas l’obligation d’expliciter le choix des destinataires de sa décision, la Commission, selon Dow, n’a pas tenu compte du fait qu’adresser la décision à Dow Chemical a exposé cette société au risque d’un procès en responsabilité civile injustifié aux États-Unis, ce qui, compte tenu de la qualité de demandeur de clémence de Dow Chemical, n’était pas conforme à la politique de la Commission en matière de clémence, dans la mesure où une telle pratique avait pour effet de dissuader les sociétés de demander à bénéficier du programme de clémence. La Commission n’aurait, en tout cas, pas expliqué, dans la décision litigieuse, pourquoi elle n’avait pas pris ces facteurs en considération.

37      Dow souligne que la Commission n’est pas limitée par une politique générale comme celle invoquée au considérant 362 de la décision litigieuse et qu’il existe de nombreuses décisions dans lesquelles la Commission n’a pas retenu la responsabilité de la société mère alors que cette dernière détenait 100 % du capital de la filiale qui a commis l’infraction.

38      Aussi, selon Dow, le Tribunal a jugé à tort, au point 76 de l’arrêt attaqué, que le «fait que Dow Chemical serait indûment lésée en étant destinataire de la décision [litigieuse] ne saurait remettre en cause la légalité de cette dernière, dès lors que [...] la Commission pouvait imputer la responsabilité de l’infraction en cause à Dow Chemical». Si le Tribunal avait jugé, au point 75 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait le droit d’adresser la décision litigieuse à Dow Chemical, puisque «l’imputation de l’infraction à la société mère [serait] une faculté laissée à l’appréciation de la Commission», il n’aurait pas vérifié si celle-ci avait en fait exercé son pouvoir discrétionnaire et si, dans l’affirmative, elle l’avait fait sans commettre d’erreur de droit ou d’erreur manifeste d’appréciation.

39      Dow soutient qu’il n’existe effectivement aucune politique générale consistant à imputer la responsabilité à la société mère et que sa crainte d’être exposée à un risque de procès en responsabilité civile injustifié aux États-Unis n’est pas «de nature éminemment politique». Les considérants de la décision litigieuse auxquels le Tribunal renvoie au point 79 de l’arrêt attaqué ne traitent pas, selon Dow, des motifs qui ont amené la Commission à considérer Dow Chemical comme étant responsable du comportement infractionnel de ses filiales. En omettant d’examiner et d’apprécier le défaut de motivation de la décision litigieuse, le Tribunal aurait commis une erreur de droit.

40      Lors de l’audience, Dow a présenté un document contenant quelques informations juridiques sur le bon exercice, par les autorités nationales, d’un pouvoir discrétionnaire dans les droits allemand, espagnol, italien et autrichien.

41      Selon la Commission, le présent moyen n’est pas fondé. Elle considère que le Tribunal a pleinement exercé son pouvoir de contrôle juridictionnel. Il serait de jurisprudence constante que le Tribunal n’est pas tenu d’effectuer un exposé qui suit de manière exhaustive et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. Une entreprise qui viole les règles du traité FUE en matière de concurrence ne jouit, selon la Commission, d’aucun droit de voir cette dernière peser le pour et le contre lorsqu’elle lui impute la responsabilité de son infraction. Par ailleurs, le risque qu’un contrevenant s’expose à une action civile serait une conséquence généralement souhaitable lorsqu’il a adopté un comportement illicite.

42      En outre, la Commission demande à la Cour de ne pas tenir compte du document présenté par Dow, visant d’autres droits nationaux en matière d’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, au motif de la tardiveté de la présentation de ce document.

 Appréciation de la Cour

43      Il y a lieu de constater, tout d’abord, que, en vertu de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) nº 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), la Commission «peut», par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions de l’article 101 TFUE.

44      Il découle du libellé de cette disposition, d’une part, que la Commission jouit d’une marge d’appréciation en ce qui concerne le choix d’infliger ou non une amende à une entreprise ayant commis une telle infraction et, d’autre part, que de possibles limites au pouvoir d’appréciation accordé à cet égard à la Commission sont régies uniquement par le droit de l’Union, l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003 ne contenant aucun renvoi aux droits des États membres.

45      Par conséquent, en l’espèce, force est de constater qu’est manifestement dénuée de pertinence la synthèse de la jurisprudence de plusieurs juridictions nationales, figurant au document que Dow a présenté à la Cour lors de l’audience, sans qu’il y ait besoin de se prononcer sur la question de savoir si la présentation de ce document par Dow a ou non été tardive.

46      En ce qui concerne les limites, en vertu du droit de l’Union, du pouvoir d’appréciation de la Commission en matière de droit de la concurrence, cette institution est tenue, en application de l’article 105, paragraphe 1, TFUE, de veiller au respect des principes fixés, notamment, à l’article 101 TFUE, comme la Commission l’a fait valoir à juste titre lors de l’audience.

47      Or, participe incontestablement de ces principes l’infliction d’amendes aux entreprises ayant conclu un accord anticoncurrentiel, sur le fondement de l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003, de sorte que la Commission, quand elle décide, exceptionnellement, de ne pas infliger une amende à une entreprise bien que celle-ci ait commis une infraction aux règles de concurrence de l’Union européenne, doit fonder cette décision sur des raisons objectives, susceptibles de justifier une telle dérogation aux principes énoncés à l’article 101 TFUE. Est de nature à constituer une telle raison objective, notamment, la circonstance que la Commission n’est pas, dans un cas concret, en mesure de prouver à suffisance de droit que la société mère a exercé une influence déterminante sur sa filiale, celle‑ci étant immédiatement impliquée dans l’infraction, preuve qui est d’ailleurs considérablement facilitée, selon une jurisprudence constante, dans le cas où la société mère détiendrait la totalité du capital de sa filiale (voir en ce sens, notamment, arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237, point 60 ainsi que la jurisprudence citée).

48      En effet, il importe de rappeler à cet égard que, d’une part, selon une jurisprudence constante, la possibilité d’infliger une amende à la société mère d’une filiale qui, elle, a participé directement à une infraction au droit de la concurrence de l’Union suppose, d’une part, que ladite filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique, pour l’essentiel, les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques, et que, d’autre part, il en est ainsi parce que, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise au sens de la jurisprudence (voir, notamment, arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, précité, points 58 et 59 ainsi que la jurisprudence citée).

49      Aussi, la société mère et sa filiale formant, dans l’hypothèse évoquée au point précédent, une seule entreprise, l’obligation incombant à la Commission en vertu de l’article 105, paragraphe 1, TFUE, de veiller, quand elle décide d’infliger ou non une amende, à l’application des principes visés, notamment, à l’article 101 TFUE, s’applique de la même façon, qu’il s’agisse de la société mère concernée ou bien de sa filiale. En effet, comme la Cour l’a déjà jugé, il n’existe pas de «priorité» en ce qui concerne l’infliction d’une amende, par la Commission, à l’une ou à l’autre de ces sociétés (voir, par analogie, arrêt du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, Rec. p. I‑8681, points 81 et 82).

50      Par ailleurs, constitue également l’un des principes évoqués au point 46 du présent arrêt le fait que la Commission, quand elle adopte, pour une entente, une méthode spécifique pour la détermination de la responsabilité des sociétés mères visées pour les infractions de leurs filiales, doit, sauf circonstances particulières, se fonder sur les mêmes critères dans le cas de toutes ces sociétés mères (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., C‑628/10 P et C‑14/11 P, points 57 et 59).

51      Par conséquent, en l’espèce, la Commission n’aurait été fondée à ne pas infliger d’amende également à Dow Chemical qu’en présence de raisons objectives, susceptibles de justifier une dérogation aux principes énoncés à l’article 101 TFUE, et si une telle décision n’avait pas abouti à un traitement préférentiel de Dow Chemical par rapport aux autres sociétés mères impliquées dans l’infraction en cause. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions, pour la Commission, n’étaient pas remplies.

52      En effet, premièrement, le seul fait que Dow Chemical court le risque d’un procès en responsabilité civile aux États‑Unis n’est pas, à l’évidence, susceptible de justifier que la Commission s’abstienne d’infliger une amende à cette société. D’une part, le risque d’être poursuivies en dédommagement concerne, de la même façon, également les filiales de Dow Chemical, comme, d’ailleurs, toutes les sociétés destinataires de la décision litigieuse. Ce risque n’est lié, sur le fond, qu’au fait que Dow Chemical ait été impliquée dans un comportement anticoncurrentiel, et non pas au fait que la Commission ait formellement constaté ce comportement.

53      D’autre part, n’est manifestement pas pertinente à cet égard l’affirmation selon laquelle, s’agissant de Dow Chemical, un tel procès en responsabilité puisse avoir lieu aux États-Unis, en raison du fait que Dow Chemical y a son siège social.

54      Deuxièmement, il ressort de la décision litigieuse que la Commission a retenu la responsabilité de toutes les sociétés mères et faîtières des groupes impliqués dans l’infraction en cause, dans la mesure où celles‑ci détenaient 100 % ou presque 100 % du capital de leurs filiales, sans avoir vérifié si le fait d’adresser la décision litigieuse à ces sociétés aboutissait à des préjudices économiques allant au-delà du préjudice inhérent au paiement même de l’amende infligée. Par conséquent, la Commission ne pouvait pas tenir compte de tels préjudices allégués uniquement dans le chef de Dow Chemical sans se livrer à une violation du principe d’égalité de traitement.

55      Il s’ensuit que le Tribunal a jugé à bon droit, au point 76 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait été en droit d’imputer la responsabilité de l’infraction en cause à Dow Chemical.

56      Enfin, s’agissant du prétendu défaut de motivation de l’arrêt attaqué à cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour, selon une jurisprudence constante, n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige et que la motivation du Tribunal peut donc être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (voir, notamment, ordonnance du 13 décembre 2012, Alliance One International/Commission, C‑593/11 P, point 28 et jurisprudence citée).

57      Or, en l’espèce, le Tribunal a examiné, aux points 74 à 80 de l’arrêt attaqué, les questions afférentes à une prétendue erreur dans l’exercice du pouvoir d’appréciation de la Commission ainsi qu’à un défaut de motivation dans ce contexte. Quant au fond de ce moyen, le Tribunal a expressément jugé, au point 76 de cet arrêt, que le «fait que Dow Chemical serait indûment lésée en étant destinataire de la décision [litigieuse] ne saurait remettre en cause la légalité de cette dernière». S’agissant de l’exigence de motivation incombant à la Commission, le Tribunal a fait référence, au point 79 de l’arrêt attaqué, aux considérants 333 à 338 et 340 à 364 de la décision litigieuse et a constaté que la Commission y avait clairement identifié les éléments d’appréciation qui lui avaient permis de retenir la responsabilité de Dow Chemical.

58      Si cette motivation de l’arrêt attaqué apparaît concise pour autant qu’elle concerne la question de savoir si la Commission, eu égard à d’éventuels risques d’un procès en responsabilité aux États‑Unis que courrait Dow Chemical, n’aurait pas dû retenir la responsabilité de celle-ci dans la décision litigieuse, il n’en demeure pas moins qu’elle permettait à cette société de comprendre que le Tribunal partageait le point de vue de la Commission, exposé notamment au considérant 362 de la décision litigieuse, selon lequel cet argument, de nature «éminemment politique», n’était pas susceptible de mettre en cause la légitimité de la décision litigieuse à cet égard.

59      Au vu de ces éléments, l’arrêt attaqué n’est entaché ni d’une erreur de droit ni d’un défaut de motivation dans ce contexte, non plus que d’une violation, évoquée par Dow lors de l’audience, de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

60      Par conséquent, aucun des arguments de Dow avancés au soutien du premier moyen n’étant fondé, il y a lieu de rejeter ce moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit concernant le traitement différencié appliqué aux montants de base de l’amende

 Argumentation des parties

61      Au soutien de son deuxième moyen, Dow fait valoir que la Commission a appliqué un traitement différencié aux montants de base de l’amende en arguant, au considérant 466 de la décision litigieuse, qu’il faudrait «tenir compte du poids spécifique de chaque entreprise, et donc de l’effet réel de son comportement illicite sur la concurrence», tout en déclarant dans le même temps, au considérant 462 de cette décision, qu’il serait impossible de mesurer cet effet réel sur le marché de l’Espace économique européen (EEE) et que la Commission «ne tiendra[it] pas compte de l’effet sur le marché pour déterminer les amendes applicables en l’espèce», ce qui serait contradictoire.

62      En outre, la Commission n’aurait pas évalué l’effet réel de l’entente sur le marché bien que cet effet soit mesurable. Selon Dow, elle n’a ni estimé la probabilité d’un tel effet ni prouvé la mise en œuvre de l’infraction en cause. De surcroît, la Commission aurait violé le droit de Dow d’être entendue en ne lui donnant pas l’occasion de faire connaître son point de vue sur la manière dont la Commission avait l’intention de tenir compte de l’impact réel sur la concurrence du comportement illégal de chaque entreprise.

63      Dow avance que le Tribunal a rejeté ces arguments en jugeant, au point 124 de l’arrêt attaqué, que, «même en l’absence d’impact concret mesurable de l’infraction, la Commission p[ouvait] décider, conformément au point 1 A, troisième, quatrième et sixième alinéas, des lignes directrices, [...] de procéder à une différenciation entre les entreprises concernées». Toutefois, selon Dow, en l’absence d’impact concret sur le marché, il ne peut y avoir aucun impact réel sur la concurrence, et, partant, la Commission ne peut pas non plus tenir compte de cet impact pour établir des différences dans la fixation du montant de base des amendes. À cet égard, en retirant la première communication et en rendant par la suite la seconde communication qui n’aurait traité ni de l’impact concret sur le marché ni de l’impact réel sur la concurrence, la Commission aurait également enfreint le droit de Dow d’être entendue.

64      Par conséquent, selon Dow, le montant de base de l’amende fixé pour les requérantes ne saurait dépasser celui qui a été fixé pour les autres entreprises concernées et doit donc être réduit à 5,5 millions d’euros, ramenant ainsi l’amende à une somme de 8 662 500 euros pour Dow Chemical, à une somme de 8 085 000 euros pour Dow Deutschland et à une somme de 6 352 000 euros pour Dow Deutschland Anlagengesellschaft ainsi que pour Dow Europe.

65      Selon la Commission, c’est à juste titre que le Tribunal a établi, aux points 127 et 128 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était nul besoin d’entendre Dow sur l’impact concret de l’infraction et que le droit de Dow de faire connaître son point de vue sur cette question n’avait pas été violé. La Commission estime avoir bien établi, au considérant 462 de la décision litigieuse, la mise en œuvre de l’entente, bien que cette mise en œuvre n’ait pas été prise en compte lors de l’évaluation du niveau de l’amende. En outre, la Commission considère que, en indiquant expressément, dans la seconde communication, qu’elle examinerait s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et en énonçant les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende, elle a rempli son obligation de respecter le droit des entreprises d’être entendues.

66      S’agissant, enfin, de l’impact concret de l’entente, il ressortirait du considérant 465 de la décision litigieuse que le traitement différencié appliqué repose sur la «capacité économique» de porter un préjudice à la concurrence et que, par conséquent, il ne serait pas nécessaire de mesurer l’impact concret de l’infraction sur le marché. Cette approche serait conforme avec les lignes directrices et la jurisprudence de la Cour ainsi que celle du Tribunal.

 Appréciation de la Cour

67      En ce qui concerne, tout d’abord, l’affirmation de Dow selon laquelle la Commission n’aurait ni estimé la probabilité d’un effet réel de l’infraction sur le marché en cause ni prouvé la mise en œuvre de cette infraction, force est de constater que cette affirmation est inexacte. En effet, au considérant 462 de la décision litigieuse, la Commission a expressément fait observer que, «en ce qui concerne l’EEE, les accords anticoncurrentiels ont été mis en œuvre par les producteurs européens et cette mise en œuvre a effectivement eu un effet sur le marché, même si son effet concret est difficilement mesurable». Dow n’avance aucun argument en fait ou en droit susceptible de réfuter cette constatation.

68      Par conséquent, l’existence d’un effet réel – quoique difficilement mesurable – de l’infraction en cause sur le marché étant établie, l’argument avancé par Dow, selon lequel, «en l’absence d’impact concret sur le marché, il ne peut y avoir aucun impact réel sur la concurrence, et, partant, la Commission ne peut pas non plus tenir compte de cet impact pour établir des différences dans la fixation du montant de base des amendes», est inopérant.

69      En outre, il résulte de ce qui précède que la contradiction alléguée par Dow entre le considérant 462 et le considérant 466 de la décision litigieuse n’existe pas. En effet, d’une part, ce considérant 462, où la Commission a précisé qu’elle «ne tiendra[it] pas compte de l’effet sur le marché pour déterminer les amendes applicables», figure au point 9.1 de la décision litigieuse, intitulée «Gravité [de l’infraction en cause]», et ne se rapporte qu’à la qualification de l’infraction en cause de «très grave». D’autre part, ledit considérant 466, figurant au point 9.2 de cette même décision, lequel est intitulé «Traitement différencié», porte uniquement sur la différenciation du montant de départ de l’amende en fonction de la capacité économique effective de chaque entreprise concernée de restreindre la concurrence, différenciation qui peut valablement être fondée, comme en l’espèce, sur les chiffres de ventes, réalisés par chaque entreprise concernée, des produits faisant l’objet de l’infraction en cause, et ce même en l’absence d’un effet mesurable sur le marché.

70      S’agissant, enfin, de l’argument de Dow tiré d’une violation de son droit d’être entendue, cet argument ne saurait prospérer. À cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle, dès lors que la Commission, comme en l’espèce, indique expressément, dans sa communication des griefs, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction supposée et le fait d’avoir commis cette dernière «de propos délibéré ou par négligence», elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises d’être entendues. En effet, ce faisant, la Commission leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l’infraction, mais aussi contre la sanction de cette dernière par l’infliction d’une amende (voir, notamment, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 428 ainsi que la jurisprudence citée).

71      Par ailleurs, et à titre surabondant, il convient de constater, à cet égard, que la Commission, dans la seconde communication, a bien précisé, au point 425 des motifs, qu’elle envisageait de prendre en considération «l’impact concret [de l’infraction] sur le marché lorsqu’il est mesurable». En outre, au point 430, troisième tiret, des motifs de cette communication, la Commission a mentionné qu’elle tiendrait compte, dans la décision litigieuse, de l’«impact du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence». Une violation du droit d’être entendue de Dow ne saurait, dès lors, être retenue.

72      Dans ces conditions, le Tribunal n’a commis aucune erreur en constatant, au point 124 de l’arrêt attaqué, que la Commission pouvait décider de procéder à une différenciation entre les entreprises concernées même en l’absence d’impact concret mesurable de l’infraction en cause.

73      Au vu de ces considérations, le deuxième moyen soulevé au soutien du pourvoi doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise en confirmant que la Commission était en droit de prendre en compte le chiffre d’affaires de Dow Chemical

 Argumentation des parties

74      Par son troisième moyen, Dow fait valoir que la décision litigieuse, pour les raisons exposées dans le cadre du premier moyen de son pourvoi, n’aurait pas dû être adressée à Dow Chemical et que c’est donc à tort que la Commission a pris en considération le chiffre d’affaires de cette société pour fixer un coefficient multiplicateur à finalité dissuasive. Selon Dow, au point 146 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté, comme étant non fondée, la septième branche du troisième moyen soulevé par Dow et reposant sur les mêmes arguments développés dans le cadre du premier moyen, au motif qu’il avait également rejeté comme étant non fondé le premier moyen soulevé devant lui et tiré d’une imputation illégale de l’infraction à Dow Chemical.

75      Puisque le Tribunal aurait commis une erreur de droit en rejetant ce premier moyen, il aurait également commis une erreur de droit en rejetant l’argument tiré de la prise en considération du chiffre d’affaires de Dow Chemical. Dow en déduit que l’amende infligée à Dow Chemical doit être annulée.

76      Selon la Commission, le premier moyen soulevé par Dow n’étant pas fondé, le présent moyen ne saurait non plus être accueilli.

 Appréciation de la Cour

77      Le troisième moyen soulevé par Dow est fondé sur la prémisse selon laquelle la décision litigieuse n’aurait pas dû être adressée à Dow Chemical en tant que société faîtière du groupe Dow, argument qui fait l’objet du premier moyen du présent pourvoi.

78      Or, comme il ressort des considérations figurant aux points 43 et suivants du présent arrêt, cette prémisse est erronée, si bien que, au point 60 de cet arrêt, le premier moyen a été rejeté comme étant non fondé. Partant, il y a également lieu de rejeter ce troisième moyen comme étant non fondé.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise en confirmant que l’application faite par la Commission du coefficient multiplicateur à finalité dissuasive n’était pas discriminatoire

 Argumentation des parties

79      Par son quatrième moyen, Dow fait valoir, ainsi qu’elle l’a fait devant le Tribunal, que le coefficient multiplicateur à finalité dissuasive de 1,75 qui lui a été appliqué est excessif et discriminatoire. Le Tribunal aurait rejeté le moyen correspondant au motif que, compte tenu du rapport entre le chiffre d’affaires de Dow et celui de Bayer, le coefficient multiplicateur afférent aux amendes de Dow ne constitue pas une violation du principe d’égalité de traitement.

80      S’agissant de la comparaison du coefficient multiplicateur à finalité dissuasive appliqué à Dow avec celui appliqué à EniChem et à Shell, le Tribunal aurait jugé, au point 154 de l’arrêt attaqué, que «le coefficient multiplicateur retenu pour Dow [1,75] a été calculé sur la base du coefficient retenu pour Bayer [1,5] et non pas sur la base des coefficients retenus pour EniChem [2] ou Shell [3]». Dow considère que le Tribunal, en comparant Dow uniquement à Bayer et en omettant de la comparer aussi à EniChem et à Shell, a commis une erreur de droit.

81      Dow estime qu’il est manifestement discriminatoire d’appliquer la même majoration à deux entreprises présentant un écart de chiffre d’affaires de 36 %, à savoir Bayer, dont le chiffre d’affaires était de 27,383 milliards d’euros, et Dow, avec un chiffre d’affaires, à l’époque, de 37,221 milliards d’euros, et à deux entreprises dont l’écart du chiffre d’affaires est de 100 %, à savoir Dow et EniChem, cette dernière ayant enregistré un chiffre d’affaires de 73,738 milliards d’euros.

82      Lors de l’audience, Dow a remis à la Cour un document contenant une formule mathématique permettant, en l’espèce, un calcul du coefficient multiplicateur à finalité dissuasive qui éviterait, d’une part, toute discrimination entre les destinataires de la décision litigieuse et, d’autre part, l’application d’un coefficient multiplicateur dépassant 3. Selon cette formule, le coefficient multiplicateur qu’il conviendrait d’appliquer à Dow serait d’environ 1,3.

83      La Commission rétorque que le coefficient multiplicateur retenu pour fixer le montant de base d’une amende ne doit refléter qu’approximativement les proportions arithmétiques. En l’espèce, il aurait existé une grande disparité de taille entre les entreprises qui ont pris part à l’infraction en cause. Par conséquent, selon la Commission, il aurait été irréaliste et mathématiquement impossible d’appliquer un coefficient multiplicateur qui aurait été exactement proportionnel au ratio des chiffres d’affaires de toutes les entreprises concernées.

84      La Commission affirme avoir donc décidé d’appliquer des coefficients multiplicateurs en partant des plus petites entreprises et en veillant à ce que le coefficient appliqué à chacune d’elles soit plus ou moins proportionnel au chiffre d’affaires de l’entreprise située juste derrière elle. En outre, comme le Tribunal l’aurait indiqué à juste titre, la Commission aurait même été fondée, sur cette base, à appliquer à Dow un coefficient multiplicateur encore plus élevé.

85      S’agissant du document présenté par Dow lors de l’audience, la Commission estime que ce document est irrecevable, dans la mesure où celui-ci a été produit après la fin de la procédure écrite.

 Appréciation de la Cour

86      Selon une jurisprudence constante, d’une part, l’objectif du coefficient multiplicateur à finalité dissuasive et de la prise en considération, dans ce contexte, de la taille et des ressources globales de l’entreprise en cause réside dans l’impact recherché sur cette entreprise, la sanction ne devant pas être négligeable au regard, notamment, de la capacité financière de ladite entreprise (voir en ce sens, notamment, arrêt du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08 P, Rec. p. I‑5361, points 104 et 105, ainsi que ordonnance du 7 février 2012, Total et Elf Aquitaine/Commission, C‑421/11 P, point 82). D’autre part, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser qu’il ne saurait être attribué une importance disproportionnée au chiffre d’affaires (voir ordonnance Total et Elf Aquitaine/Commission, précité, point 80).

87      Pour le calcul des amendes infligées aux entreprises ayant participé à une entente, un traitement différencié entre les entreprises concernées est donc inhérent à l’exercice des pouvoirs qui appartiennent à la Commission en la matière. En effet, dans le cadre de sa marge d’appréciation, la Commission est appelée à individualiser la sanction en fonction des comportements et des caractéristiques propres à ces entreprises, afin de garantir, dans chaque cas d’espèce, la pleine efficacité des règles de concurrence de l’Union (voir arrêt du 12 novembre 2009, SGL Carbon/Commission, C‑564/08 P, point 43 et la jurisprudence citée).

88      Sur la base de la jurisprudence mentionnée au point 86 du présent arrêt, la Commission est surtout tenue de veiller à ce que la sanction ne devienne pas «négligeable» au regard, notamment, de la capacité financière des entreprises concernées, ce qui ne requiert toutefois pas qu’une entreprise ayant un chiffre d’affaires particulièrement élevé par rapport à celui des autres membres d’une entente doive se voir infliger une amende augmentée strictement en fonction du rapport existant entre son chiffre d’affaires et celui de toutes les autres entreprises impliquées dans l’entente concernée. En effet, si tel était le cas, les amendes infligées aux plus grandes entreprises d’une entente et augmentées selon une telle méthode arithmétique seraient, certes, susceptibles d’avoir un effet suffisamment dissuasif, mais risqueraient d’être disproportionnées au regard de la gravité de l’infraction commise concrètement, notamment dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, il existe une différence considérable entre les chiffres d’affaires des entreprises concernées (voir arrêt du 13 juin 2013, Versalis/Commission, C‑511/11 P, point 105).

89      Il est également de jurisprudence constante que le Tribunal, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, ne saurait, par le recours exclusif et mécanique à une méthode de calcul arithmétique fondée sur le seul chiffre d’affaires de l’entreprise concernée, se priver de son pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la fixation du montant des amendes (voir en ce sens, notamment, du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 121; du 16 novembre 2000, Mo och Domsjö/Commission, C‑283/98 P, Rec. p. I‑9855, point 47, ainsi que Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 243).

90      Au vu de ces considérations, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir entériné, en substance, l’approche suivie par la Commission qui avait fixé un coefficient multiplicateur à finalité dissuasive de 1,75 pour Dow et de 2 pour EniChem ainsi que de 3 pour Shell. Cette approche vise, d’une part, à veiller à ce que l’amende infligée à chaque entreprise ne devienne pas négligeable par rapport à ses capacités financières et, d’autre part, à ne pas infliger des coefficients multiplicateurs à finalité dissuasive disproportionnés aux entreprises les plus grandes qui, sur la seule base du rapport mathématique existant entre leurs chiffres d’affaires et ceux des entreprises de taille inférieure, auraient pu théoriquement se voir infliger des coefficients multiplicateurs à finalité dissuasive nettement plus élevés.

91      Par ailleurs, est dénué de pertinence le fait qu’il résulterait du document présenté par Dow lors de l’audience, sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité de ce document, qu’un calcul des coefficients multiplicateurs à finalité dissuasive en fonction uniquement du chiffre d’affaires de chaque entreprise concernée, tout en maintenant un coefficient maximal de 3, serait mathématiquement possible. En effet, un tel calcul purement arithmétique empêcherait la Commission de s’acquitter de son obligation, résultant notamment de la jurisprudence citée aux points 86 à 89 du présent arrêt, d’infliger des amendes qui, pour chaque entreprise, ne sont ni négligeables ni disproportionnées.

92      Dans ces circonstances, le quatrième moyen soulevé par Dow ne saurait non plus être accueilli.

93      Par conséquent, aucun des moyens soulevés par Dow au soutien de son pourvoi n’ayant prospéré, il y a lieu de rejeter celui-ci dans son ensemble.

 Sur les dépens

94      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, celle-ci statue sur les dépens. Selon l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de Dow et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      The Dow Chemical Company, Dow Deutschland Inc., Dow Deutschland Anlagengesellschaft mbH et Dow Europe GmbH supportent leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.