Language of document : ECLI:EU:C:2012:370

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

21 juin 2012 (*)

«Libre circulation des marchandises — Propriété industrielle et commerciale — Vente de copies d’œuvres dans un État membre où le droit d’auteur relatif à ces œuvres n’est pas protégé — Transport de ces marchandises vers un autre État membre où la violation dudit droit d’auteur est sanctionnée par le droit pénal — Procédure pénale contre le transporteur pour complicité dans la distribution illicite d’une œuvre protégée par le droit d’auteur»

Dans l’affaire C‑5/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesgerichtshof (Allemagne), par décision du 8 décembre 2010, parvenue à la Cour le 6 janvier 2011, dans la procédure pénale contre

Titus Alexander Jochen Donner,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, MM. K. Schiemann (rapporteur), L. Bay Larsen, Mme C. Toader et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 janvier 2012,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Donner, par Mes E. Kempf, H.-C. Salger et S. Dittl, Rechtsanwälte,

–        pour le Generalbundesanwalt beim Bundesgerichtshof, par M. R. Griesbaum, en qualité d’agent, assisté de M. K. Lohse, Oberstaatsanwalt,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme J. Samnadda ainsi que par MM. G. Wilms et N. Obrovsky, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 mars 2012,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 34 TFUE et 36 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée devant les juridictions allemandes à l’encontre de M. Donner, condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis pour complicité d’exploitation commerciale sans autorisation d’œuvres protégées par un droit d’auteur.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Le traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur le droit d’auteur, adopté à Genève le 20 décembre 1996 (ci-après le «TDA»), a été approuvé au nom de la Communauté européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000 (JO L 89, p. 6).

4        L’article 6 du TDA, intitulé «Droit de distribution», dispose:

«1.      Les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser la mise à la disposition du public de l’original et d’exemplaires de leurs œuvres par la vente ou tout autre transfert de propriété.

2.      Aucune disposition du présent traité ne porte atteinte à la faculté qu’ont les Parties contractantes de déterminer les conditions éventuelles dans lesquelles l’épuisement du droit prévu à l’alinéa 1) s’applique après la première vente ou autre opération de transfert de propriété de l’original ou d’un exemplaire de l’œuvre, effectuée avec l’autorisation de l’auteur.»

5        La directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10) vise, aux termes de son considérant 15, notamment à mettre en œuvre certaines des obligations découlant du TDA.

6        L’article 4 de la directive 2001/29, intitulé «Droit de distribution», énonce:

«1.      Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement, de l’original de leurs œuvres ou de copies de celles‑ci.

2.      Le droit de distribution dans la Communauté relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre n’est épuisé qu’en cas de première vente ou premier autre transfert de propriété dans la Communauté de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement.»

 Le droit allemand

7        La loi du 9 septembre 1965 sur le droit d’auteur et les droits voisins (Urheberrechtsgesetz, BGBl. I, p. 1273), telle que modifiée (ci‑après l’«UrhG»), transpose la directive 2001/29 en droit allemand.

8        L’article 17, paragraphes 1 et 2, de l’UrhG, intitulé «Droit de distribution», énonce:

«(1)      Le droit de distribution est le droit d’offrir au public ou de mettre en circulation l’original ou les copies de l’œuvre.

(2)      Lorsque l’original ou des copies de l’œuvre ont été mis en circulation par la vente, avec le consentement du titulaire du droit de distribution, sur le territoire de l’Union européenne ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, leur distribution ultérieure est licite, à l’exception de la location.»

9        En vertu de l’article 106 de l’UrhG, la distribution d’œuvres protégées sans le consentement du titulaire du droit y afférent est punissable d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à trois ans ou d’une amende. L’article 108 bis de l’UrhG précise que, dans le cas où une infraction à cet article 106 est commise à des fins commerciales, la sanction consiste en une peine d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans ou au paiement d’une amende.

10      L’article 27 du code pénal (Strafgesetzbuch), intitulé «Complicité», dispose qu’est sanctionné comme complice quiconque a délibérément prêté son concours à un tiers aux fins d’une infraction délibérément commise par celui-ci.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

11      M. Donner, ressortissant allemand, était à l’époque des faits en cause au principal gérant d’In.Sp.Em. Srl (ci-après «Inspem»), société de transport sise à Bologne (Italie), et exerçait ses activités essentiellement depuis son lieu de résidence en Allemagne.

12      Inspem assurait le transport de marchandises vendues par Dimensione Direct Sales Srl (ci-après «Dimensione»), société également sise à Bologne et dont le siège se trouvait à proximité de celui d’Inspem. Dimensione offrait à la vente à des clients résidant en Allemagne des reproductions d’objets d’ameublement de style «Bauhaus», au moyen d’annonces et de prospectus insérés dans des magazines, d’envois postaux nommément adressés à leur destinataire et d’un site Internet en langue allemande, sans disposer des licences requises pour la commercialisation de ces objets en Allemagne. Il s’agissait notamment de reproductions de:

–        chaises de l’«Alumium Group» dessinées par Charles et Ray Eames, la licence ayant été concédée à Vitra Collections AG;

–        la «Lampe Wagenfeld» conçue par Wilhelm Wagenfeld, la licence appartenant à Tecnolumen GmbH & Co. KG;

–        sièges créés par Le Corbusier, le titulaire de la licence étant Cassina SpA;

–        la table d’appoint «Adjustable Table» et la lampe «Tubelight» dessinées par Eileen Gray, la licence étant détenue par Classicon GmbH;

–        chaises cantilever en acier créées par Mart Stam, Thonet GmbH étant titulaire de la licence.

13      Selon les constatations du Landgericht München II, ces objets sont, en Allemagne, protégés par un droit d’auteur en tant qu’œuvres des arts appliqués. En Italie, en revanche, ils ne bénéficiaient pas, au cours de la période en cause au principal, à savoir du 1er janvier 2005 au 15 janvier 2008, d’une protection par un droit d’auteur ou la protection dont ils bénéficiaient ne pouvait être opposée utilement aux tiers. Ainsi, les objets d’ameublement dessinés par Eileen Gray n’étaient pas protégés par un droit d’auteur en Italie entre le 1er janvier 2002 et le 25 avril 2007, la protection étant alors dans cet État d’une durée plus courte, la durée de celle-ci n’ayant été allongée qu’à compter du 26 avril 2007. Les autres objets d’ameublement étaient protégés par un droit d’auteur en Italie au cours de la période en cause, mais cette protection ne pouvait pas, en application de la jurisprudence italienne, être opposée utilement aux tiers, en tout cas pas aux fabricants qui avaient reproduit, offert à la vente et/ou commercialisé les créations dès avant le 19 avril 2001.

14      Les objets d’ameublement en cause au principal, vendus par Dimensione, étaient stockés, dans leur emballage sur lequel figuraient les coordonnées de l’acheteur, dans l’entrepôt de distribution de cette société situé à Sterzing (Italie). En vertu des conditions générales de vente, si les clients résidant en Allemagne ne souhaitaient pas récupérer eux-mêmes les marchandises qu’ils avaient commandées, ni désigner une entreprise de transport pour ce faire, Dimensione recommandait de faire appel à Inspem. Dans le litige au principal, les clients en cause ont chargé Inspem du transport des objets d’ameublement acquis. Les chauffeurs d’Inspem prenaient ainsi en charge ces objets dans l’entrepôt de Sterzing, contre paiement à Dimensione du prix de vente de ceux-ci. Lors de la livraison aux clients en Allemagne, Inspem leur réclamait alors le paiement du prix de la marchandise livrée et les frais de transport de cette dernière. Si les clients ne réceptionnaient pas la marchandise ou s’ils ne la payaient pas, Inspem renvoyait la marchandise à Dimensione, laquelle remboursait le prix de vente et les frais de transport à Inspem.

15      Selon le Landgericht München II, M. Donner s’est ainsi rendu coupable de complicité d’exploitation commerciale sans autorisation d’œuvres protégées par un droit d’auteur, contrairement aux dispositions combinées des articles 106 et 108 bis de l’UrhG ainsi que de l’article 27 du code pénal.

16      Dimensione aurait distribué des copies des œuvres protégées en Allemagne. La distribution, au sens de l’article 106 de l’UrhG, requerrait le transfert de la propriété de l’objet vendu ainsi que le transfert du pouvoir de disposition du vendeur à l’acquéreur. Dans l’affaire au principal, le transfert de la propriété du vendeur à l’acquéreur avait eu lieu en Italie, en application du droit italien, par l’accord des volontés et l’individualisation de l’objet vendu, dans l’entrepôt à Sterzing. Le transfert du pouvoir de disposition n’avait en revanche eu lieu, avec le concours de M. Donner, que lors de la remise à l’acquéreur contre paiement du prix, en Allemagne. Il était dès lors sans incidence de savoir dans quelle mesure les objets d’ameublement jouissaient en Italie de la protection du droit d’auteur. Le Landgericht München II a précisé que la restriction à la libre circulation résultant des règles nationales en matière de droit d’auteur serait justifiée par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale.

17      M. Donner a contesté la condamnation dont il a fait l’objet par voie de pourvoi en «Revision» devant le Bundesgerichtshof. Il fait valoir, en premier lieu, que la «distribution au public», au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29, et, par voie de conséquence, au sens de l’article 17 de l’UrhG, suppose le transfert de la propriété des marchandises et que ce dernier aurait eu lieu, dans l’affaire au principal, en Italie. Le transfert de la détention de la marchandise, à savoir le pouvoir de disposition effective de celle-ci, ne serait pas nécessaire à cet égard. Il soutient, en deuxième lieu, que toute sanction prononcée à son encontre sur le fondement d’une autre interprétation contreviendrait à la libre circulation des marchandises, garantie par l’article 34 TFUE, car il en résulterait un cloisonnement artificiel, non justifié, des marchés. Enfin, en troisième lieu, il avance que, en tout état de cause, la remise en Italie desdites marchandises au transporteur, qui prenait livraison de celles-ci pour le compte de clients déterminés, opérait transfert de leur détention, et que, également de ce point de vue, les faits pertinents auraient eu lieu en Italie.

18      Le Bundesgerichtshof partage l’interprétation du Landgericht München II selon laquelle une «distribution au public» par la vente au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 présuppose qu’un tiers non seulement se soit vu transférer la propriété de la reproduction de l’œuvre protégée par un droit d’auteur, mais détienne également le pouvoir d’en disposer effectivement. La reproduction d’une œuvre devrait, pour pouvoir être considérée comme étant distribuée au public, sortir de la sphère interne de l’entreprise du fabricant et entrer dans la sphère publique ou les circuits commerciaux. Tant qu’une telle reproduction demeure au sein de l’entreprise qui l’a produite ou du même groupe de sociétés, elle ne peut être regardée comme étant parvenue au public, l’existence d’une transaction commerciale, qui suppose une véritable relation avec l’extérieur, faisant défaut dans ce cas. Cette analyse du Landgericht München II serait conforme à la jurisprudence constante du Bundesgerichtshof sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

19      En revanche, le Bundesgerichtshof considère que les articles 34 TFUE et 36 TFUE pourraient constituer un obstacle éventuel à la confirmation de la condamnation de M. Donner si l’application des règles du droit pénal national devait, dans les circonstances de l’affaire au principal, être considérée comme une restriction injustifiée à la libre circulation des marchandises.

20      C’est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Convient-il d’interpréter les articles 34 TFUE et 36 TFUE, relatifs à la libre circulation des marchandises, en ce sens qu’ils font obstacle à des poursuites pour complicité de distribution sans autorisation d’œuvres protégées par un droit d’auteur en application du droit pénal national dans le cas où, lors de la vente transfrontalière d’une œuvre protégée par un droit d’auteur en Allemagne,

–        cette œuvre est transportée vers l’Allemagne depuis un État membre de l’Union européenne et le pouvoir de disposition effective de l’œuvre est transféré en Allemagne, et

–        le transfert de la propriété, en revanche, intervient dans l’autre État membre, où cette œuvre n’est pas protégée par un droit d’auteur ou où cette protection ne peut être opposée utilement aux tiers?»

 Sur la question préjudicielle

21      L’existence, sur le territoire national, d’une «distribution au public» par la vente au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 est, ainsi que le reconnaît expressément la juridiction de renvoi, une condition nécessaire pour l’application des règles du droit pénal en cause au principal. Les parties intéressées se sont par ailleurs, à la suite d’une demande qui leur avait été adressée par la Cour, exprimées en détail sur l’interprétation de cette notion lors de l’audience.

22      Il convient par conséquent de comprendre que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, d’une part, si, dans des circonstances telles que celles au principal, il y a «distribution au public» au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 sur le territoire national et, d’autre part, si les articles 34 TFUE et 36 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’un État membre exerce des poursuites du chef de complicité de distribution sans autorisation de copies d’œuvres protégées par un droit d’auteur en application du droit pénal national dans le cas où des copies de telles œuvres sont distribuées au public sur le territoire de cet État membre dans le cadre d’une vente, visant spécifiquement le public dudit État, conclue depuis un autre État membre où ces œuvres ne sont pas protégées par un droit d’auteur ou dont la protection dont elles bénéficient ne peut être opposée utilement aux tiers.

 Sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29

23      Étant donné que la directive 2001/29 vise à mettre en œuvre dans l’Union les obligations qui lui incombent, notamment en vertu du TDA, et que les textes du droit de l’Union doivent, selon une jurisprudence constante, être interprétés, dans la mesure du possible, à la lumière du droit international, en particulier lorsque de tels textes visent précisément à mettre en œuvre un accord international conclu par l’Union, la notion de «distribution», contenue à l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive, doit être interprétée en conformité avec l’article 6, paragraphe 1, du TDA (voir, en ce sens, arrêt du 17 avril 2008, Peek & Cloppenburg, C‑456/06, Rec. p. I‑2731, points 29 à 32).

24      La notion de «distribution au public [...] par la vente», figurant à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29, doit, par conséquent, ainsi que le relève M. l’avocat général aux points 44 à 46 et 53 de ses conclusions, se comprendre comme ayant la même signification que l’expression «mise à la disposition du public [...] par la vente», posée à l’article 6, paragraphe 1, du TDA.

25      Ainsi que le relève également M. l’avocat général au point 51 de ses conclusions, le contenu de la notion de «distribution», au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29, doit par ailleurs recevoir une interprétation autonome en droit de l’Union, qui ne saurait dépendre de la loi applicable aux transactions dans le cadre desquelles une distribution a lieu.

26      Il convient de constater que la distribution au public se caractérise par une série d’opérations allant, à tout le moins, de la conclusion d’un contrat de vente à l’exécution de celui-ci par la livraison à un membre du public. Ainsi, dans le contexte d’une vente transfrontalière, des opérations donnant lieu à une «distribution au public», au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29, peuvent avoir lieu dans plusieurs États membres. Dans un tel contexte, une telle transaction peut porter atteinte au droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute forme de distribution au public dans plusieurs États membres.

27      Un commerçant est dès lors responsable de toute opération réalisée par lui-même ou pour son compte donnant lieu à une «distribution au public» dans un État membre où les biens distribués sont protégés par un droit d’auteur. Peut également lui être imputée toute opération de même nature effectuée par un tiers, lorsque ledit commerçant a spécifiquement ciblé le public de l’État de destination et qu’il ne pouvait ignorer les agissements de ce tiers.

28      Dans des circonstances telles que celles en cause dans l’affaire au principal, où la livraison à un membre du public dans un autre État membre n’est pas effectuée par ou pour le compte du commerçant en cause, il incombe, par conséquent, aux juridictions nationales d’apprécier, au cas par cas, s’il existe des indices permettant de conclure que ledit commerçant, d’une part, a effectivement ciblé des membres du public résidant dans l’État membre dans lequel a été réalisée une opération donnant lieu à une «distribution au public» au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et, d’autre part, ne pouvait ignorer les agissements du tiers en cause.

29      Dans les circonstances ayant donné lieu à l’affaire au principal, des éléments tels que l’existence d’un site Internet en langue allemande, le contenu et les voies de distribution du matériel publicitaire de Dimensione et sa coopération avec Inspem, en tant qu’entreprise réalisant des livraisons à destination de l’Allemagne, peuvent constituer des indices concrets d’une telle activité ciblée.

30      Il convient, par conséquent, de répondre à la première partie de la question posée qu’un commerçant qui dirige sa publicité vers des membres du public résidant dans un État membre déterminé et crée ou met à leur disposition un système de livraison et un mode de paiement spécifiques, ou permet à un tiers de le faire, mettant ainsi lesdits membres du public en mesure de se faire livrer des copies d’œuvres protégées par un droit d’auteur dans ce même État membre, réalise, dans l’État membre où la livraison a lieu, une «distribution au public» au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

 Sur l’interprétation des articles 34 TFUE et 36 TFUE

31      Comme la juridiction de renvoi l’a constaté, l’interdiction prévue par la loi nationale et qui est sanctionnée par le droit pénal national dans des circonstances telles que celles en cause au principal constitue une entrave à la libre circulation des marchandises, en principe contraire à l’article 34 TFUE.

32      Une telle restriction est toutefois susceptible d’être justifiée, au titre de l’article 36 TFUE, par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale.

33      Il ressort à cet égard de la jurisprudence de la Cour que, si une œuvre protégée par un droit d’auteur est mise sur le marché d’un État membre par le titulaire de ce droit ou avec son consentement, une telle circonstance empêche ce dernier de s’opposer à la libre circulation de cette œuvre dans l’Union. Il n’en va cependant pas de même lorsque la mise sur le marché résulte non pas du consentement du titulaire du droit d’auteur, mais de l’expiration de son droit dans un État membre particulier. Dans ce cas, dans la mesure où la disparité des législations nationales en matière de durée de protection est susceptible de créer des restrictions au commerce à l’intérieur de l’Union, ces restrictions sont justifiées au titre de l’article 36 TFUE dès lors qu’elles résultent de la différence des régimes et que celle-ci est indissociablement liée à l’existence même des droits exclusifs (voir arrêt du 24 janvier 1989, EMI Electrola, 341/87, Rec. p. 79, point 12).

34      Il convient de constater que ces mêmes considérations s’appliquent a fortiori dans des circonstances telles que celles ayant donné lieu à l’affaire au principal, dans la mesure où la disparité donnant lieu à des restrictions de la libre circulation des marchandises résulte, non pas de divergences entre les normes juridiques en vigueur dans les différents États membres en cause, mais du fait que ces normes ne sont, en pratique, pas utilement opposables à des tiers dans l’un de ces États membres. La restriction qui frappe un commerçant établi dans un État membre du fait d’une interdiction, pénalement sanctionnée, de distribution dans un autre État membre repose également, dans ce type de situation, non pas sur un acte ou sur le consentement du titulaire du droit, mais sur la disparité, dans les différents États membres, des conditions de protection des droits d’auteur respectifs.

35      Par ailleurs, comme le relève M. l’avocat général aux points 67 à 70 de ses conclusions, la protection du droit de distribution ne saurait, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, être considérée comme donnant lieu à un cloisonnement disproportionné ou artificiel des marchés contraire à la jurisprudence de la Cour (voir, en ce sens, arrêts du 8 juin 1971, Deutsche Grammophon Gesellschaft, 78/70, Rec. p. 487, point 12; du 20 janvier 1981, Musik-Vertrieb membran et K-tel International, 55/80 et 57/80, Rec. p. 147, point 14, ainsi que EMI Electrola, précité, point 8).

36      En effet, l’application de dispositions telles que celles en cause au principal peut être considérée comme nécessaire pour protéger l’objet spécifique du droit d’auteur, lequel confère notamment le droit exclusif d’exploitation. La restriction à la libre circulation des marchandises qui en résulte est dès lors justifiée et proportionnée à l’objectif légitime poursuivi, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal où l’inculpé s’est intentionnellement, ou tout au moins sciemment, impliqué dans des opérations donnant lieu à la distribution au public d’œuvres protégées, sur le territoire d’un État membre dans lequel le droit d’auteur bénéficiait d’une pleine protection, portant ainsi atteinte au droit exclusif du titulaire de ce droit.

37      Il convient, par conséquent, de répondre à la seconde partie de la question posée que les articles 34 TFUE et 36 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un État membre exerce des poursuites du chef de complicité de distribution sans autorisation de copies d’œuvres protégées par un droit d’auteur en application du droit pénal national dans le cas où des copies de telles œuvres sont distribuées au public sur le territoire de cet État membre dans le cadre d’une vente, visant spécifiquement le public dudit État, conclue depuis un autre État membre où ces œuvres ne sont pas protégées par un droit d’auteur ou dont la protection dont elles bénéficient ne peut être opposée utilement aux tiers.

 Sur les dépens

38      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

Un commerçant qui dirige sa publicité vers des membres du public résidant dans un État membre déterminé et crée ou met à leur disposition un système de livraison et un mode de paiement spécifiques, ou permet à un tiers de le faire, mettant ainsi lesdits membres du public en mesure de se faire livrer des copies d’œuvres protégées par un droit d’auteur dans ce même État membre, réalise, dans l’État membre où la livraison a lieu, une «distribution au public» au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.

Les articles 34 TFUE et 36 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un État membre exerce des poursuites du chef de complicité de distribution sans autorisation de copies d’œuvres protégées par un droit d’auteur en application du droit pénal national dans le cas où des copies de telles œuvres sont distribuées au public sur le territoire de cet État membre dans le cadre d’une vente, visant spécifiquement le public dudit État, conclue depuis un autre État membre où ces œuvres ne sont pas protégées par un droit d’auteur ou dont la protection dont elles bénéficient ne peut être opposée utilement aux tiers.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.