Language of document : ECLI:EU:C:2002:373

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. RUIZ-JARABO COLOMER

présentées le 13 juin 2002 (1)

Affaire C-206/01

Arsenal Football Club plc

contre

Matthew Reed

[demande de décision préjudicielle présentée par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni)]

«Marques - Rapprochement des législations - Directive 89/104/CEE - Article 5 - Droits du titulaire de la marque - Étendue et limites - Usage du même signe pour des produits identiques par un tiers - Interprétation de la notion d'‘usage en tant que marque’»

1.
    Le propriétaire d'une marque peut-il interdire toute utilisation, dans les échanges économiques, de signes identiques pour les mêmes produits ou services autre que les usages visés à l'article 6 de la première directive sur les marques (2) (ci-après la «directive» ou la «première directive») ou bien, au contraire, l'exclusivité conférée par l'article 5 couvre-t-elle uniquement l'utilisation qui fait apparaître l'origine, c'est-à-dire, la relation existant entre le titulaire et les produits ou services que la marque représente? En cas de réponse affirmative à la seconde question, l'utilisation exprimant un sentiment de soutien, de loyauté ou d'affiliation à l'égard du titulaire du signe est-elle une indication de ce lien?

2.
    Tels sont les doutes que la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni), conçoit et demande à la Cour de dissiper au cours de la présente procédure préjudicielle.

I - Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

3.
    Arsenal Football Club plc (ci-après «Arsenal») est un club de football anglais renommé, qui a été fondé en 1886 et qui est également désigné par le surnom de «Gunners».

4.
    En 1989, il a fait enregistrer deux marques dénominatives, «Arsenal» et «Arsenal Gunners», ainsi que deux marques graphiques, l'une appelée «The Crest Device» («l'emblème de l'écu») et la seconde «Cannon Device» («l'emblème du canon»), destinées à distinguer des articles de confection, vêtements et chaussures de sport. Tous ces produits relèvent de la classe 25 de la nomenclature internationale des marques.

5.
    M. Reed est un commerçant qui, depuis 1970, vend des souvenirs et des objets présentant un lien avec le club demandeur aux alentours du terrain de football de Highbury, qui est le stade de l'équipe Arsenal. Ces objets portent les signes que le club a fait enregistrer en tant que marques.

6.
    En particulier, il vend des écharpes sur lesquelles apparaît principalement le mot «Arsenal». Il s'agit de produits qui ne sont pas des produits officiels du club, comme M. Reed en avise sa clientèle, dans les échoppes où il exerce ses activités, au moyen d'un grand panneau portant le texte suivant:

«Le mot ou le(s) logo(s) reproduits sur les objets vendus ne sont que des ornements et n'impliquent pas ni n'indiquent une relation quelconque avec les fabricants ou distributeurs de tout autre objet. Seuls les produits reproduisant les emblèmes officiels d'Arsenal sont des produits officiels d'Arsenal.»

7.
    Arsenal a engagé deux actions contre M. Reed. L'une pour usurpation («passing of») et l'autre pour violation du droit de marque, ces actions ayant été traitées en une seule procédure. La première a été rejetée parce que la High Court a estimé que le club demandeur n'avait pas démontré l'existence d'une véritable confusion dans l'esprit des consommateurs ni prouvé, en particulier, que la clientèle considérait les produits vendus par le défendeur comme des produits provenant du club Arsenal ou commercialisés avec son autorisation.

8.
    À l'appui de sa seconde action, Arsenal a soutenu que M. Reed utilise les indications et symboles que le club a fait enregistrer comme marques d'une manière telle que les consommateurs les perçoivent comme désignant l'origine des produits («badge of origin»), c'est-à-dire qu'il en ferait un usage «en tant que marque» («trademark use»). La High Court a rejeté cet argument.

9.
    Selon la juridiction britannique, les dénominations et les signes graphiques que le défendeur appose sur les produits qu'il vend sont perçus par le public comme un témoignage de soutien, de loyauté ou d'affiliation («badge of support, loyalty or affiliation»).

10.
    Après ce préambule, la High Court a adressé les questions préjudicielles suivantes à la Cour:

«1)    Dans une situation où une marque est régulièrement enregistrée et un tiers:

    a)    utilise dans le cadre de ses activités commerciales un signe identique à celui de ladite marque et l'appose sur des produits identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée; et

    b)    ne peut invoquer pour sa défense les dispositions de l'article 6, paragraphe premier, de la première directive n° 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, relatives aux limitations des effets de la marque;

    ce tiers peut-il invoquer des limitations aux effets de la marque au motif que l'usage de celle-ci qui lui est reproché ne comprend aucune indication d'origine (i.e. un lien dans la vie des affaires entre les produits et le titulaire de la marque)?

2)    Dans l'affirmative, le fait qu'une telle utilisation soit perçue comme un signe de soutien, de loyauté ou d'attachement au titulaire de la marque est-il susceptible de constituer un lien suffisant?»

II - La procédure devant la Cour de justice

11.
    Ont présenté des observations écrites dans le délai prévu par l'article 20 du statut CE de la Cour, Arsenal, M. Reed, la Commission et l'Autorité de surveillance AELE.

12.
    Les parties au principal et la Commission ont comparu à l'audience du 14 mai 2002 afin d'y présenter leurs observations orales.

III - Le cadre juridique

1. Le droit communautaire: la première directive

13.
    La directive «vise le rapprochement des législations des États membres sur les marques en vue de supprimer les disparités susceptibles d'entraver la libre circulation des produits et la libre prestation des services ou de fausser les conditions de concurrence dans le marché commun. L'harmonisation qu'elle vise n'est toutefois que partielle, de sorte que l'intervention du législateur communautaire est limitée à des aspects déterminés relatifs aux marques acquises par l'enregistrement» (3).

14.
    L'article 2 de la directive dispose ce qui suit:

«Peuvent constituer des marques tous les signes susceptibles d'une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises.»

15.
    L'article 5, qui est intitulé «Droits conférés par la marque», décrit les différents degrés de protection juridique que la directive impose d'accorder aux titulaires de ce type de propriété industrielle (4).

A - Le paragraphe 1 de l'article 5

16.
    Le paragraphe 1 de l'article 5 confère au titulaire de la marque le pouvoir d'interdire à tout tiers de faire usage de celle-ci dans la vie des affaires. Il distingue néanmoins deux degrés d'utilisation et, partant, différents niveaux de protection.

17.
    Le premier usage consiste à utiliser un signe identique pour les mêmes produits ou services [lettre a)]. Comme l'Autorité de surveillance AELE l'a signalé dans ses observations écrites, cette disposition protège le titulaire de la marque contre les copies. Il s'agit d'une protection absolue et inconditionnée (5), qui ne connaît pas d'autres limites que celles qui résultent de l'article 6 de la directive.

18.
    La lettre b) vise, quant à elle, trois hypothèses: la première concerne l'usage de signes identiques pour des produits ou services similaires; la deuxième, qui est l'hypothèse inverse, est celle de l'usage de signes similaires pour des produits ou services identiques et, enfin, la troisième vise l'usage de signes similaires pour des produits ou services similaires. Dans ces trois cas, la protection est soumise à la condition qu'il existe un risque de confusion, qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque (6).

19.
    Les parties qui ont comparu à l'audience ont débattu de la question de savoir si le pouvoir du titulaire va jusqu'à l'autoriser à interdire l'usage de la marque ou s'il lui permet d'interdire plus globalement l'usage du signe qui la représente. Cette discussion est byzantine. L'objet de la directive, ce sont les marques enregistrées (7), c'est-à-dire les signes, susceptibles d'une représentation graphique, qui sont propres à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises (8). Ainsi donc, en cas d'identité de symboles (9), l'usurpateur utilise la marque proprement dite (c'est-à-dire le signe enregistré) (10) et, au contraire, dans les cas de similitude de symboles, il utilise des indications ressemblantes mais qui, par définition, ne sont pas la marque (11).

20.
    L'élément décisif, c'est que le titulaire peut interdire à un tiers d'utiliser la marque, pour des produits ou services identiques ou différents, ou d'utiliser des signes et indications qui, appréciés dans leur ensemble (12), sont susceptibles d'induire le consommateur en erreur à cause de leur ressemblance avec ceux qu'il a fait enregistrer en tant que marque.

B - Les paragraphes 2 et 5 de l'article 5

21.
    La directive a pour objet de réaliser une harmonisation partielle puisqu'elle limite son intervention aux marques acquises par enregistrement (13). Il s'agit, jusqu'à un certain point, d'une disposition minimaliste (14) qui n'empêche pas que, dans certaines hypothèses, les États membres élargissent la protection conférée par la réglementation communautaire.

22.
    Une de ces hypothèses est celle des marques jouissant d'une renommée (15), visées à l'article 5, paragraphe 2, conformément auquel les États membres peuvent aller plus loin que le législateur communautaire et interdire l'usage d'un signe similaire, même lorsqu'il est utilisé pour des produits ou des services non apparentés à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée. Il s'agit d'une protection nationale spécifique, complémentaire et facultative (16).

23.
    D'autre part, la directive n'affecte pas les dispositions des États membres qui, sur la base d'autres secteurs de l'ordre juridique, protègent contre l'usage d'un signe enregistré comme marque à des fins autres que celle de distinguer les biens ou les services pour lesquels il a été enregistré. Cette règle, qui est annoncée dans le sixième considérant (17), est énoncée à l'article 5, paragraphe 5.

24.
    Dans l'un comme dans l'autre cas, la protection demeure subordonnée à la condition que le contrevenant cherche à obtenir un avantage indu de la notoriété de la marque ou à la condition que son usage abusif puisse porter préjudice à son caractère distinctif ou à sa renommée. L'objectif est de garantir au titulaire du signe distinctif le droit de préserver son fond de commerce («goodwill») (18) en lui assurant une protection contre la concurrence déloyale (19).

C - Les articles 6 et 7

25.
    Ces deux dispositions sont le «côté pile» d'une monnaie dont l'article 5 serait le «côté face». Elles ont pour objet de concilier les droits du titulaire de la marque et l'intérêt général, qui requiert la libre circulation des marchandises et la libre prestation des services dans le marché commun (20).

26.
    Ces deux articles énoncent les limites des pouvoirs du titulaire et énumèrent les cas dans lesquels il ne peut pas interdire à des tiers d'utiliser la marque, soit parce qu'il s'agit de signes déterminés ou d'une utilisation de la marque à des fins spécifiques (article 6), soit parce que des raisons de politique commerciale recommandent d'éviter la segmentation du marché intracommunautaire par l'érection d'entraves aux libertés que j'ai mentionnées au point précédent (article 7).

2. Le droit du Royaume-Uni

27.
    La première directive a été transposée en droit britannique par le Trade Marks Act 1994, qui a remplacé la réglementation qui était en vigueur depuis 1938.

28.
    L'article 10 du Trade Marks Act 1994 dispose ce qui suit:

«1.    Se rend coupable de contrefaçon d'une marque enregistrée toute personne qui utilise, dans la vie des affaires, un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci a été enregistrée.

2.    Se rend coupable de contrefaçon d'une marque enregistrée toute personne qui, dans la vie des affaires, fait usage d'un signe lorsque, en raison

[...]

(b)    de sa similitude avec la marque et de son utilisation avec des produits ou services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée,

il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association avec la marque.»

IV - Analyse des questions préjudicielles

29.
    La High Court s'est adressée à la Cour dans le cadre d'un litige opposant le titulaire d'une marque à un tiers qui commercialise, en utilisant le signe propre à celle-ci, les mêmes produits que ceux pour lesquels la marque a été enregistrée, bien qu'il informe sa clientèle que la présence de ce signe distinctif sur ses produits n'a pas pour but d'exprimer l'affiliation au club ou quelque relation que ce soit avec le titulaire de la marque.

30.
    Les questions de la juridiction britannique ont donc trait à l'interprétation de l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive. Pour y répondre, la Cour devra néanmoins élaborer ses réponses sur la base d'une analyse intégrale de cet article et de ceux auxquels il est apparenté.

1. La première question préjudicielle

A - L'interprétation systématique des articles 5, 6 et 7 de la directive

31.
    Dans la directive, les droits du titulaire de la marque sont délimités positivement et négativement.

32.
    Le premier corollaire de l'analyse que j'ai réalisée quelques lignes plus haut est qu'en ce qui concerne la délimitation positive, la directive vise (paragraphe 1 de l'article 5) à harmoniser le droit du titulaire de la marque d'interdire l'usage de signes identiques ou similaires pour distinguer des produits identiques ou similaires en exigeant, en cas de similitude, l'existence d'un risque de confusion. Comme l'Autorité de surveillance AELE l'a signalé, la protection contre la copie et la confusion fait partie du droit communautaire.

33.
    La protection non facultative des marques jouissant d'une renommée (paragraphe 2 de l'article 5) contre l'usage qu'en feraient des tiers afin de distinguer des produits identiques ou similaires fait elle aussi partie du droit communautaire. Cette protection doit être assurée même s'il n'existe aucun risque de confusion, sous peine d'accorder à cette catégorie de marques une protection moindre lorsque les produits sont similaires que lorsqu'ils ne présentent aucune similitude (21).

34.
    Le paragraphe 2 de l'article 5 signifie, selon moi, que les marques jouissant d'une renommée doivent être protégées en toute hypothèse, indépendamment du risque de confusion (22). S'agissant de ce type de signes, la directive impose l'harmonisation des législations nationales concernant les cas d'utilisation pour des produits identiques ou similaires et laisse aux États membres la possibilité de protéger ces signes également lorsque les produits ou les services en question sont différents. Dans l'une comme dans l'autre situation, la seule exigence est que le tiers qui utilise indûment une marque renommée cherche à obtenir un avantage déloyal ou qu'il porte préjudice au caractère distinctif de la marque, ou à son prestige et à sa réputation.

35.
    L'harmonisation visée par la directive ne concerne donc pas la protection des marques jouissant d'une renommée lorsque les produits ne sont même pas similaires, pas plus qu'elle ne concerne le régime de certains usages du symbole qui n'ont pas pour but de distinguer les biens ou les services (paragraphes 2 et 5 de l'article 5).

36.
    Les limites négatives sont toutes définies par le droit communautaire, même si l'une d'entre elles (celle qui est prévue par le paragraphe 2 de l'article 6) (23) est déterminée en fonction de la reconnaissance de certains droits par les ordres juridiques des États membres.

37.
    L'hypothèse de fait du litige au principal est celle d'une utilisation du signe enregistré comme marque afin de distinguer des produits identiques. Par conséquent, elle peut, en principe, relever de l'article 5, paragraphe 1, sous a), et demeure donc entièrement soumise à la directive et à l'harmonisation à laquelle celle-ci tend.

38.
    L'analyse systématique des différents paragraphes de l'article 5 a pour deuxième conséquence que, conformément aux paragraphes 1 et 2, le titulaire de la marque ne peut interdire «tout usage» du signe, mais uniquement ceux qui ont pour objet de distinguer (24) les produits ou les services qu'il représente de ceux d'autres entreprises (25). Si ce n'était pas le cas, le paragraphe 5 n'aurait aucune raison d'être.

39.
    En d'autres termes, le paragraphe 1 protège l'exactitude de l'information que le signe enregistré fournit sur les biens ou les prestations qu'il représente et garantit, par conséquent, la possibilité de les identifier. Le paragraphe 2 protège les titulaires des marques jouissant d'une renommée contre toute utilisation par des tiers, indépendamment de cette fonction d'identification, en permettant aux États membres d'étendre la protection aux cas dans lesquels les biens ou les services sont différents. Enfin, le paragraphe 5 exclut du champ d'application de la directive la protection contre l'usage d'une marque à d'autres fins que celle de distinguer des produits ou des services. En résumé, l'utilisation d'un signe à d'autres fins que celle de différencier un bien ou un service par rapport à d'autres ne relève pas du paragraphe 1 de l'article 5.

40.
    Ainsi donc, conformément à ce paragraphe 1, le titulaire de la marque peut s'opposer à ce qu'un tiers utilise, dans la vie des affaires, la marque ou des signes qui lui ressemblent dans le but de distinguer des produits ou des services identiques ou similaires, ce qui, par ailleurs, est cohérent par rapport à la définition de la notion de marque qui est énoncée à l'article 2 de la directive (26). Autrement dit, et pour reprendre les termes utilisés par la High Court et les parties qui ont comparu dans cette procédure préjudicielle, le titulaire peut s'opposer à ce qu'un tiers utilise sa marque en tant que telle (27).

B - L'interprétation des notions juridiques indéterminées «usage de la marque aux fins de distinguer» ou «usage en tant que marque»

41.
    Affirmer que le titulaire de la marque peut interdire à un tiers d'utiliser «la marque en tant que marque», c'est parler pour ne rien dire. Il est donc nécessaire de donner un contenu à ce concept juridique indéterminé sans perdre un instant de vue les fonctions de la marque (28).

42.
    À d'autres occasions et dans des contextes différents (29), j'ai affirmé que, la marque ayant pour fonction de distinguer les produits ou les services de différentes entreprises afin de garantir leur origine au consommateur ou à l'utilisateur, cette fin immédiate et spécifique des marques n'est rien de plus qu'une étape du cheminement vers l'objectif final, qui est de garantir un système de concurrence réelle dans le marché intérieur (30).

43.
    Avec cet objectif permanent de distinguer les produits ou les services de différentes entreprises, le signe distinctif peut indiquer leur provenance, mais également leur qualité (31), la réputation (32) ou la notoriété de celui qui les fabrique ou les fournit, la marque pouvant être utilisée également à des fins publicitaires visant à informer et à persuader le consommateur (33). Pour atteindre cet objectif avec l'arrêt obligatoire à l'étape intermédiaire que j'ai mentionné, le parcours peut s'effectuer dans des véhicules différents ou variés en même temps.

44.
    Ces façons d'utiliser une marque sont des usages qui tendent vers le but déjà évoqué à plusieurs reprises en ce qu'ils permettent au consommateur de faire la distinction entre les produits ou les services qui leur sont offerts par différentes entreprises et lui permettent de choisir librement parmi les nombreuses options dont il dispose, favorisant ainsi la concurrence sur le marché intérieur (34). Tous sont des usages de la «marque en tant que marque», susceptibles d'être interdits par le titulaire, à moins qu'il s'agisse d'une des hypothèses dans lesquelles le droit du propriétaire cesse conformément aux articles 6 et 7 de la directive.

45.
    J'aboutis au même résultat si, changeant la perspective, je me déplace du point de vue de l'usage de la marque à celui des droits du titulaire. La directive lui confère un ensemble de droits et de facultés afin que, par l'usage exclusif du signe distinctif et l'identification conséquente des produits ou des services, un système de concurrence loyale, non faussée, dont seraient proscrits les profiteurs et les parasites du crédit d'autrui, puisse s'établir dans le marché commun. C'est pourquoi de telles positions juridiques avantageuses doivent être limitées à ce qui est strictement nécessaire à la réalisation de ce rôle essentiel. Il est en outre manifeste qu'il ne faut pas attribuer au titulaire d'un signe distinctif déterminé un usage exclusif opposable à tout un chacun et en n'importe quelle circonstance, mais uniquement à l'égard de ceux qui cherchent à tirer parti de sa situation et de sa réputation (35) par usurpation ou en utilisant ce signe de manière à induire les consommateurs en erreur sur l'origine et les qualités des produits ou des services qu'il représente.

46.
    Il me paraît simpliste et réducteur de limiter la fonction de la marque à une simple indication d'origine. C'est d'ailleurs l'avis qu'a exprimé la Commission lorsqu'elle a présenté ses observations orales. L'expérience démontre que les consommateurs ignorent généralement l'identité du fabricant des biens qu'ils consomment. La marque acquiert une vie propre. Comme je l'ai déjà dit, elle exprime une qualité, une réputation et même, dans certains cas, une conception de la vie.

47.
    Les messages véhiculés par la marque sont en outre autonomes. Le signe distinctif peut indiquer à la fois la provenance, la réputation de son titulaire et la qualité des produits qu'il représente, mais rien n'empêche le consommateur, qui ne sait pas qui fabrique les produits ou fournit les services qui portent la marque (36), de les acquérir parce qu'il perçoit celle-ci comme un emblème de prestige ou de garantie de qualité. Si j'examine le fonctionnement actuel du marché et le comportement du consommateur moyen, je ne découvre aucune raison qui empêcherait de protéger ces autres fonctions de la marque pour protéger uniquement la fonction d'indication de l'origine des biens ou des services (37).

48.
    Qui plus est, et comme l'Autorité de surveillance AELE l'a signalé, il est des situations dans lesquelles les consommateurs s'intéressent plus à la marque elle-même qu'au produit auquel elle s'applique.

49.
    Arrivé à ce point, je suis en mesure de proposer à la Cour de répondre à la première question de la High Court que, conformément aux dispositions de l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive, le titulaire de l'enregistrement peut interdire à un tiers d'utiliser, pour les mêmes produits ou services, des signes, identiques à ceux qui constituent la marque, qui soient susceptibles d'induire en erreur sur l'origine, la provenance, la qualité ou la réputation de ces produits ou services (38).

50.
    Pour reprendre la tournure négative, et plus limitée, que la High Court a utilisée dans sa question, celui qui utilise la marque d'autrui peut opposer au titulaire de celle-ci que l'usage qu'il en fait n'indique pas l'origine des produits ou des services et ne crée aucune confusion quant à leur qualité ou à leur réputation.

51.
    Si je ne partage pas les thèses maximalistes d'Arsenal et de la Commission, pour qui, dans un cas tel que celui de l'espèce et en l'absence des conditions prévues par l'article 6, paragraphe 1, de la directive, le titulaire de la marque peut interdire à quiconque d'utiliser celle-ci, je partage en revanche l'opinion plus nuancée de l'Autorité de surveillance AELE. Ma position se fonde donc sur les considérations que je viens d'exposer ainsi que sur le raisonnement que l'Autorité de surveillance AELE expose au point 19 de ses observations écrites, à savoir que, lorsque la directive dit que la protection est absolue dans les cas d'identité (39), il convient d'entendre que, compte tenu de l'objet et de la finalité du droit de marque, le terme «absolu» signifie que la protection est assurée au titulaire indépendamment du risque de confusion parce qu'en pareilles situations, il existe une présomption qu'il en soit ainsi (40) et non pas, au contraire, que la protection serait assurée au titulaire à l'égard de tous et en toutes circonstances.

C - Présomption d'«usage en tant que marque»

52.
    Je viens de signaler que, dans les cas d'identité, le risque de confusion peut être présumé. La même raison que celle qui justifie cette présomption permet de conclure qu'en pareilles situations d'identité, l'usage qu'un tiers fait de la marque est un usage de la marque en tant que telle. Cette présomption, qui est une présomption iuris tantum, est une présomption réfragable qui peut être renversée au moyen de la preuve contraire. Par conséquent, pour peu probable que cela soit, il est possible que, dans un cas concret, le titulaire ne puisse pas interdire l'usage d'un signe identique à un autre enregistré en tant que marque en invoquant l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive.

D - Il appartient au juge national d'apprécier les circonstances de chaque espèce

53.
    Quand une marque est-elle utilisée par un tiers en tant que telle? Il s'agit là d'une question de fait à laquelle il incombe au juge national de répondre en fonction des données dont il dispose. Il est des situations, comme celle qui a donné lieu au litige opposant Arsenal à M. Reed, dans lesquelles on pourra se fonder sur une présomption d'«usage de la marque en tant que marque» parce qu'il y aura à la fois identité de signes et identité de produits ou de services. Dans d'autres nombreux cas, en revanche, la situation ne sera pas aussi claire et il faudra tenir compte de la nature des biens ou des prestations, de la condition de leurs éventuels destinataires, de la structure du marché et de l'implantation du titulaire de la marque, examen qui ne relève pas de la compétence de la Cour.

54.
    Eu égard au raisonnement que je viens de développer, je suggère à la Cour de répondre à la première question préjudicielle de la manière suivante:

1)    L'article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive doit être interprété en ce sens que le titulaire d'une marque peut interdire à un tiers d'utiliser, pour les mêmes produits ou services, des signes identiques qui seraient susceptibles d'induire en erreur sur leur origine, leur provenance, leur qualité ou leur réputation.

2)    En pareille hypothèse d'identité de signes et de produits ou de services, il existe une présomption iuris tantum que la marque utilisée par un tiers l'est en tant que telle.

3)    La question de savoir quand une marque est utilisée par un tiers dans un tel but est une question de fait qu'il appartient au juge national de trancher en fonction des éléments dont il dispose.

2. La deuxième question préjudicielle

A - Les usages étrangers à la fonction propre des marques - Les usages non commerciaux

55.
    Vu la portée qu'il convient de donner, selon moi, aux droits qui protègent le titulaire d'une marque et, par conséquent, les limites que les tiers ne peuvent transgresser dans l'usage du symbole enregistré ou de signes semblables, il convient de répondre à la deuxième des questions formulées par la High Court, qui est, de surcroît, la clef de voûte du litige dont elle a été saisie.

56.
    Je vais ici suivre un chemin inverse de celui que j'ai emprunté pour proposer une réponse à la première question. J'étais parti de la notion de marque et de ses fonctions pour définir les limites des pouvoirs du titulaire après avoir défini ce qu'est l'«usage en tant que marque». Je vais à présent essayer de préciser les usages des signes constitutifs d'une marque de fabrique qui n'ont rien à voir avec la fonction caractéristique de cette manifestation de la propriété incorporelle afin de cerner plus précisément la question et de réduire la zone de pénombre dans laquelle l'inconnue doit être tirée au clair.

57.
    Pour commencer, l'idée d'«usage en tant que marque» est soumise à une première limite extérieure qui tient à la notion même de signe distinctif. Le titulaire de la marque ne peut pas, en principe, s'opposer à ce que les tiers utilisent le symbole ou l'indication inscrits si ceux-ci n'auraient pas dû être enregistrés en raison du fait qu'ils ne réunissent pas les conditions leur permettant d'être une marque ou qu'ils sont frappés d'une des interdictions établies par la directive (41). Tout autre est la question de savoir si, dans la mesure où l'enregistrement n'a pas été annulé, il sortit des effets et confère au titulaire l'apparence juridique suffisante qui lui permet de s'opposer à l'usage de la marque par des tiers.

58.
    Tel est le cas de l'affaire Philips (C-299/99), dans laquelle j'ai présenté mes conclusions le 23 janvier 2001 (42). Selon moi, la marque que Philips Electronics NV oppose à Remington Consumer Products Limited dans le litige au principal ne réunit pas les conditions pour pouvoir être enregistrée en tant que marque conformément à la législation communautaire. Cette question a également été soulevée dans le litige qui oppose Arsenal à Reed, ce dernier ayant excipé de l'invalidité de l'enregistrement des signes déposés par le club de football parce qu'ils seraient dépourvus de caractère distinctif. La High Court a néanmoins rejeté cette exception.

59.
    En ce qui concerne les signes pouvant légitimement être une marque de fabrique, le titulaire n'a pas le pouvoir, conformément à la directive, de s'opposer à leur utilisation par des tiers en dehors de la «vie des affaires», (43) c'est-à-dire en dehors de toute activité commerciale consistant à produire et à fournir des biens et services sur le marché.

60.
    La directive confère au titulaire un monopole sur le signe qu'il a fait enregistrer en tant que marque. Ce pouvoir de disposition est exclusif et, comme je l'ai déjà signalé, relatif parce qu'il est au service d'une fin qui le transcende. S'il s'agit de permettre aux consommateurs de choisir les biens et les services dans un marché ouvert régi par la libre concurrence, les usages que le propriétaire de la marque peut interdire aux tiers sont, précisément, ceux qui interviendraient dans cet environnement et qui, par conséquent, seraient susceptibles d'influer sur cet objectif.

61.
    Le droit des marques est soumis, ces derniers temps, à une forte pression tendant à inclure, dans la notion de signes susceptibles de constituer cette modalité de propriété industrielle, non seulement les signes perceptibles par le sens de la vue (44), mais également ceux qui peuvent être appréhendés par d'autres organes sensoriels comme les organes olfactif ou auditif (45). Un tel élargissement éventuel du catalogue des signes susceptibles de constituer une marque doit être assorti d'une délimitation précise des droits que l'enregistrement confère au titulaire. Il serait absurde, grotesque même, de prétendre que les peintres et les graphistes devraient à l'avenir faire le deuil de la couleur turquoise dans leurs oeuvres au seul motif que quelqu'un l'a fait enregistrer en tant que marque.

62.
    Cette affirmation, que nul, j'en suis sûr, ne songera à contester, me permet de préciser la notion de «vie des affaires». L'utilisation que le propriétaire de la marque peut interdire n'est pas n'importe quelle utilisation présentant un avantage matériel pour l'utilisateur ni même une utilisation qui serait susceptible d'être traduite en termes économiques, mais uniquement, comme l'expriment avec plus de précision les versions linguistiques autres que la version espagnole, l'utilisation faite dans la vie des affaires, dans les échanges commerciaux qui ont pour objet, précisément, de distribuer des biens ou des services sur le marché. Il s'agit, en résumé, d'une utilisation commerciale (46).

63.
    Il semble que l'usage privé que quelqu'un peut faire de la marque BMW figurant sur un porte-clefs, dont il ne tire pas d'autre avantage matériel que la commodité de disposer sur un même support de toutes les clefs qu'il utilise habituellement (47), est tout aussi légitime que l'usage qu'au cours des années soixante du siècle dernier, Andy Warhol a fait de la marque de soupe Campbell dans plusieurs de ses toiles (48), usage dont il a manifestement tiré un bénéfice économique (49). Une conception radicale de la portée des droits du titulaire de la marque aurait pu priver l'art contemporain de quelques tableaux éminemment expressifs, manifestation privilégiée du «pop art». D'autres utilisations non commerciales, telles que les utilisations à des fins éducatives, demeurent elles aussi en dehors de la protection assurée au titulaire de la marque.

64.
    Le propriétaire d'une marque n'est donc pas en mesure de s'opposer à l'utilisation, par des tiers, du symbole ou de l'indication qu'il s'est appropriés s'il s'agit d'un des signes qui ne peuvent pas constituer une marque ou si l'usage du signe par des tiers n'a pas pour fin son exploitation commerciale.

B - Les usages exprimant l'adhésion, la loyauté ou le soutien au titulaire de la marque sont, en principe, des usages «en tant que marque»

65.
    J'en arrive ainsi à la zone de pénombre, au «halo d'incertitude» dans lequel se trouve la réponse à la question de la High Court.

66.
    J'estime que les usages auxquels la juridiction britannique se réfère dans la seconde question sont des modes d'utilisation de la marque qui, comme elle l'a reconnu elle-même, expriment une relation entre les produits, le signe et son titulaire, entre les cache-nez portant les marques en litige et Arsenal (50). L'interprétation large que j'ai proposée pour répondre à la première question préjudicielle autorise une telle affirmation.

67.
    La nature ou la qualité de cette relation n'ont aucune pertinence en droit des marques. Eu égard aux fonctions de ces signes distinctifs et à l'objectif de la directive, l'élément décisif n'est pas le «sentiment» que le consommateur achetant les biens que la marque représente, et même le tiers qui utilise celle-ci, nourrissent à l'égard du titulaire de cette marque, mais bien le fait qu'il s'en porte acquéreur parce que, comme ces produits portent le signe, il identifie les produits à la marque, quelle que soit l'appréciation que celle-ci lui inspire et, le cas échéant, à son titulaire.

68.
    La question de savoir si la décision d'acheter le produit a pour cause le fait que l'acheteur perçoit la marque comme un signe distinctif ou comme une garantie de qualité, ou si, au contraire, il pose un acte de rébellion par adhésion au culte de la laideur n'a aucune importance. En somme, pour résoudre le litige, il est sans intérêt de savoir si un amateur passionné de football achète le maillot de corps d'une formation déterminée, protégée par la marque de celle-ci, en raison du fait que c'est le club de son coeur et qu'il veut porter son uniforme ou parce qu'en tant que supporter de l'équipe adverse, il a l'intention de l'immoler. La clef du problème réside dans le fait qu'il a décidé de l'acquérir parce que la boutique s'identifie à la marque et, à travers elle, à son titulaire, c'est-à-dire à l'équipe.

69.
    Le débat doit être transféré sur un autre terrain. Étant donné que, dans les cas d'identité, le consommateur acquiert évidemment le bien parce qu'il porte le signe, la réponse qu'il faut fournir à la High Court doit se situer dans la perspective de celui qui exploite le signe sans en être titulaire. Je n'ai pas à m'interroger sur les motifs qui ont amené un consommateur à acheter un bien ou à utiliser un service, mais bien à analyser le motif qui a conduit une personne qui n'est pas le propriétaire de la marque à commercialiser le produit ou le service en utilisant le même signe distinctif. Si, quelle que soit la raison qui l'anime, il cherche à l'exploiter commercialement, il l'utilisera «en tant que marque» et le titulaire pourra s'y opposer dans les limites de l'article 5 de la directive.

70.
    Il va de soi que le propriétaire d'une marque peut contester l'usage qu'en ferait un tiers à condition qu'il l'ait bien enregistrée dans le but de l'utiliser en tant telle. S'il ne l'exploite pas commercialement, il ne fera pas un «usage effectif» (51) du signe distinctif et ses droits seront menacés par l'«épée de Damocles» de la caducité et de leur étiolement lorsqu'il voudra s'opposer à l'enregistrement de nouveaux signes (52).

71.
    Eu égard à ces considérations et à l'hypothèse de fait sous-jacente aux questions formulées par la juridiction britannique, il faut se demander si, lorsqu'un club de football - ou, en général, une société sportive - fait inscrire une marque dans le registre de la propriété industrielle, il le fait uniquement dans le but de distribuer parmi ses adhérents des produits portant ses signes représentatifs de manière à obtenir un soutien très important sur la route du succès sportif ou si, au contraire, il s'agit d'une activité économique parmi d'autres ayant pour objet de grossir le compte de résultats.

72.
    Il est évident que la réponse ne peut pas venir d'une étude des intentions de chaque club sportif (en l'espèce Arsenal), mais bien d'une analyse objective de la position que les sociétés et entreprises qui administrent les grands clubs de football occupent dans le monde actuel et dans son économie.

C - Le football en tant que phénomène économique

73.
    Le football joue un rôle important dans le monde contemporain. Depuis sa naissance dans les universités anglaises à la moitié du XIXe siècle jusqu'à nos jours, ce sport a su s'adapter aux signes des temps avec une fortune peu commune pour se convertir, grâce à sa diffusion à travers les médias, en un phénomène de masse qui transcende les frontières géographiques, culturelles, religieuses et sociales. La clef du succès du football - mais aussi son mystère pour ceux qui n'en goûtent pas les joies - réside dans son immense pouvoir d'engendrer des passions (53) par l'identification profonde qui s'établit entre les équipes, liées à une ville ou à un pays déterminés, et ses supporters (54).

74.
    Durant des décennies, le football s'est caractérisé par son importance sociale alors qu'il demeurait relégué au second plan en matière économique. Paradoxalement, une activité qui attirait l'intérêt de millions de personnes à travers le monde était à peine exploitée commercialement et demeurait étrangère, par exemple, au modèle de gestion des grandes ligues professionnelles nord-américaines (55), dont la croissance au cours des années septante a suivi la courbe des ventes des droits exclusifs de retransmission télévisée grâce à son contrôle par de grands entrepreneurs (56).

75.
    Ce scénario a été bouleversé au début des années nonante lorsque des hommes d'affaires avisés ont jaugé les véritables possibilités commerciales du football (57). Suivant l'étoile du magnat australien Rupert Murdoch, propriétaire de la chaîne Sky, qui a engrangé d'énormes bénéfices grâce à l'exploitation exclusive des droits de transmission des matchs de championnat de la ligue anglaise de football, les principales entreprises audiovisuelles européennes ont consenti des investissements colossaux pour acquérir les droits télévisés de nombreuses compétitions nationales et internationales (58), contribuant ainsi de manière décisive au déclenchement d'une des principales métamorphoses que ce sport a subies depuis son origine (59).

76.
    Dans un espace relativement bref de temps, la pratique professionnelle du football a pris les traits d'une industrie qui brasse un volume d'argent impensable il y a quelques années encore et qui engendre ainsi des milliers d'emplois et d'activités dans des secteurs très divers (60). Il est difficile de fournir des données exactes, mais on a calculé qu'en Italie, un des pays où la pratique du football est la plus professionnalisée, ce sport entraîne des mouvements de 4 500 millions d'euros par an et constitue le quatorzième groupe industriel du pays (61). Dans le cas de l'Espagne, on estime que cette activité atteint, aussi bien directement qu'indirectement, quelque 3 000 millions d'euros et fournit du travail à 100 000 personnes (62).

77.
    Dans ce contexte, les clubs de football des principales ligues européennes ont entrepris d'importantes modifications sur le plan de l'organisation. Sauf exception, ils ont perdu leur caractère purement sportif pour se transformer en sociétés commerciales et ils sont de plus en plus nombreux à être cotés en bourse (63). Il n'est pas étonnant qu'en peu d'années les budgets des équipes aient explosé de manière généralisée, celui de certains des clubs les plus fameux d'Europe dépassant largement les 100 millions d'euros, montant comparable au budget d'une ville espagnole moyenne (64).

78.
    Le modèle de gestion le plus vanté est actuellement celui de Manchester United, qui est probablement le club le plus riche du monde (65). Les rênes de plusieurs des meilleures équipes d'Europe sont aux mains d'entrepreneurs à succès, dont la conception du football reflète un véritable changement d'époque. Ainsi, par exemple, Sergio Cragnotti, président du Lazio de Rome, considère que «le football est le business le plus important dans une économie toujours plus globalisée»; selon lui, donc, «il ne faut pas le considérer comme un sport au sens strict, mais comme une industrie du spectacle» (66). Florentino Pérez, président du Real Madrid, a une vision similaire des choses et, faisant allusion aux perspectives économiques de la société qu'il dirige, il a parlé d'un «Walt Disney sans exploitation» (67).

79.
    Cette image cache une réalité moins flatteuse pour la majorité des équipes professionnelles, dont beaucoup ont accumulé des dettes considérables. Effectivement, selon une analyse parue dans la revue The Economist (68), le football se caractérise actuellement par une forte croissance des salaires des joueurs et des prix des transferts (69) et les équipes se trouvent prises dans une dynamique qui les contraint à dépenser une bonne partie de leurs revenus sans que l'on puisse dire qu'elles soient mal gérées. Cette circonstance explique, par exemple, qu'en Italie, dont la ligue de football attire de nombreux investissements, la somme totale des dettes des clubs atteint actuellement plus de 1 000 millions d'euros (70).

80.
    Il est certain que les sources de financement des clubs ont augmenté au cours des dernières années. Les recettes que les clubs tiraient traditionnellement de la vente des tickets aux caisses et des cotisations des associés ont perdu en importance par rapport à toute une série d'autres revenus plus considérables tels que les droits des retransmissions télévisées, la vente des produits de promotion de l'équipe, l'exploitation des droits d'image des joueurs et Internet (71). Les équipes européennes reçoivent également de l'argent à d'autres titres, notamment les primes qu'elles touchent pour leur participation aux championnats organisés par l'Union européenne des associations de football (UEFA), pour l'organisation de matchs amicaux et pour la gestion de leurs installations (boutiques, bars, salles de réunions).

81.
    Parmi les revenus qui ont gagné en importance au cours des dernières années, on trouve, en effet, la vente de produits célébrant l'équipe, activité communément connue sous le nom de «merchandising» (72). Ce négoce, qui a pour objet de vendre, directement ou par le biais d'entreprises intermédiaires, des écharpes, des banderoles, des articles d'habillement ou tout autre article à la gloire du club, s'est avéré un des plus rentables (73), de sorte qu'il est devenu prioritaire pour les gestionnaires du volet économique des sociétés de football (74). Selon le directeur du marketing du Real Madrid, une des raisons qui expliquent le succès du «merchandising» est simple: «la loyauté envers les équipes de football est très forte. La relation d'un supporter avec son équipe bénéficie d'un tel niveau de fidélité qu'elle serait un rêve pour les marques de tout autre secteur, toujours beaucoup plus exposées aux avatars du marché» (75).

82.
    Les prévisions de croissance de ce poste sont notoirement à la hausse. La diffusion du football à travers la télévision et Internet permet aux équipes européennes d'ouvrir leurs marchés à d'autres parties du monde, en particulier à l'Asie, où la passion pour ce sport a augmenté de manière considérable au cours des dernières années, en partie grâce à l'organisation de la coupe du monde des sélections nationales de 2002 au Japon et en Corée (76). Certains clubs européens ont décidé d'ouvrir des boutiques dans des villes du continent asiatique pour vendre directement leurs produits (77).

83.
    Le succès du «merchandising» a mis au jour les immenses possibilités du football en tant que commerce, ce qui explique que les gages des joueurs, qui sont les vrais protagonistes du spectacle, dépendent non seulement de leurs performances sur le terrain de jeu, mais également des revenus que leur image peut engendrer pour l'équipe sous forme de publicité ou grâce à la vente des articles associés à leur personne. Les juteux transferts de joueurs qui ont eu lieu au cours des dernières années corroborent cette affirmation, comme l'acquisition du joueur japonais Nakata par le club de Parme (78) et, plus encore, celle du français Zinedine Zidane par le Real Madrid, le transfert le plus cher de l'histoire, qui atteint les 70 millions d'euros, dont le club espère récupérer une grande partie par la vente de maillots (79).

84.
    Les grandes équipes, comme Arsenal, récent vainqueur de la ligue anglaise, ne sont pas de simples associations sportives vouées à la pratique du football, mais également d'authentiques «empires» dont la raison sociale est la pratique professionnelle de ce sport et qui développent une activité économique de premier ordre. Lorsqu'elles font enregistrer un signe pour l'utiliser en tant que marque commerciale et pour approvisionner le marché, directement ou par l'intermédiaire d'un licencié, en biens et services identifiés par cette marque, elles font un usage effectif de la propriété incorporelle et peuvent s'opposer à ce que des tiers utilisent une marque identique dans le but de l'exploiter commercialement et de réaliser un bénéfice économique. Elles peuvent à cet effet utiliser tous les moyens que l'ordre juridique met à leur disposition, y compris les moyens les plus drastiques (80).

85.
    En résumé, et pour répondre à la seconde question de la High Court, j'estime que ce que le titulaire peut interdire aux tiers, c'est tout usage à des fins d'exploitation commerciale, notion qui comprend l'utilisation des signes distinctifs que les entreprises propriétaires d'équipes de football ont fait enregistrer en tant que marques dans le but de commercialiser des vêtements et des articles liés à leur formation sportive.

86.
    Les raisons pour lesquelles le consommateur choisit de tels produits sont sans pertinence à ce propos. L'élément décisif est que le destinataire les acquiert parce qu'ils portent le signe distinctif.

87.
    Les assertions qui précèdent ainsi que les réponses que je propose de donner à la première question préjudicielle ne suivent pas au pied de la lettre le texte des questions formulées par la High Court, mais elles sont susceptibles de lui apporter une réponse utile à l'interprétation de la directive et de nature à lui permettre de statuer dans le litige dont elle a été saisie (81).

V - Conclusion

88.
    Eu égard aux considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre aux questions de la High Court of Justice (England & Wales, Chancery Division, de la manière suivante:

«1)    L'article 5, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que le titulaire d'une marque peut interdire à un tiers d'utiliser, pour les mêmes produits ou services, des signes identiques qui seraient susceptibles d'induire en erreur sur leur origine, leur provenance, leur qualité ou leur réputation.

2)    La question de savoir quand une marque est utilisée par un tiers en tant que telle est une question de fait à laquelle il incombe au juge national de répondre en fonction des données dont il dispose. Néanmoins, dans les cas d'identité de signes et de produits ou de services, il existe une présomption iuris tantum que l'usage de la marque par un tiers est un usage de la marque en tant que telle.

3)    L'usage que le titulaire peut interdire aux tiers, c'est tout usage à des fins d'exploitation commerciale, notion qui comprend l'utilisation des signes distinctifs que les entreprises propriétaires d'équipes de football ont fait enregistrer en tant que marques dans le but de commercialiser des vêtements et des articles liés à leur formation sportive.

4)    Les raisons pour lesquelles le consommateur choisit de tels produits ou services sont sans pertinence à ce propos. L'élément décisif est que le destinataire les acquiert parce qu'ils portent le signe distinctif.»


1: -     Langue originale: espagnol.


2: -     Directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO L 40, p. 1).


3: -     Point 3 des conclusions que j'ai présentées le 6 novembre 2001 dans l'affaire Sieckmann (C-273/00), dans laquelle la Cour n'a pas encore statué. Voir également les premier, troisième, quatrième et cinquième considérants de la première directive.


4: -     Le contenu de l'article 5 de la directive est analysé aux points 27 et suiv. de l'arrêt du 23 février 1999, BMW (C-63/97, Rec. p. I-905). J'ai moi-même eu l'occasion d'analyser cette disposition dans les conclusions que j'ai présentées le 21 mars 2002 dans l'affaire Robelco (C-23/01), dans laquelle la Cour n'a pas encore statué (points 24 et suiv.).


5: -     Voir le dixième considérant de la directive. Je préciserai ultérieurement ce qu'il y a lieu d'entendre, selon moi, par «protection absolue».


6: -     Il existe un parallélisme total entre le paragraphe 1 de l'article 5 et le paragraphe 1 de l'article 4, qui énonce les motifs de refus ou de nullité relatifs. On se rappellera que, conformément à la jurisprudence de la Cour, la notion de risque d'association, qui est utilisée à l'article 4, paragraphe 1, sous b), et à l'article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive, n'est pas une alternative à la notion de risque de confusion, mais sert à en préciser l'étendue (voir, notamment, arrêt du 22 juin 2000, Marca Mode, C-425/98, Rec. p. I-4861, point 34).


7: -     Voir article 1er.


8: -     Voir article 2 de la directive.


9: -     Soit pour les mêmes produits ou services, soit pour des produits ou services distincts mais similaires.


10: -     Ce qui est le cas en l'espèce puisque M. Reed vend des vêtements portant les signes qu'Arsenal a fait enregistrer en tant que marques.


11: -     Dans les conclusions qu'il a présentées le 17 janvier 2002 dans l'affaire LTJ Diffusion (C-291/00), affaire dans laquelle la Cour n'a pas encore statué, l'avocat général Jacobs a dit qu'il y a identité lorsque la marque est reproduite de manière identique, sans ajout, omission ou modification, à moins qu'il s'agisse de différences minimes ou insignifiantes. Il ajoute que, dans ce dernier cas, la juridiction nationale doit déterminer, en premier lieu, quelle perception le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et perspicace a des signes en présence; elle devra ensuite apprécier globalement leurs caractéristiques graphiques ou phonétiques ainsi que leurs autres particularités sensorielles ou conceptuelles en évaluant l'impression d'ensemble qu'elles produisent, en particulier par leurs éléments distinctifs et dominants.


12: -     Sur l'appréciation globale du signe, voir les arrêts du 11 novembre 1997, SABEL (C-251/95, Rec. p. I-6191, points 22 et 23), et du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer (C-342/97, Rec. p. I-3819, points 18 et 19).


13: -     Voir les troisième et quatrième considérants ainsi que l'article 1er.


14: -     Exprimés dans le septième considérant.


15: -     Aux termes du neuvième considérant de la directive, «il est fondamental, pour faciliter la libre circulation des produits et la libre prestation des services, de faire en sorte que les marques enregistrées jouissent désormais de la même protection dans la législation de tous les États membres; [...] cela, cependant, n'enlève pas aux États membres la faculté d'accorder une protection plus large aux marques ayant acquis une renommée».


16: -     Voir les conclusions (en particulier le point 46), que l'avocat général Jacobs a présentées le 21 mars 2002 dans l'affaire Davidoff (C-292/00), dans laquelle la Cour n'a pas encore statué.


17: -     «La présente directive n'exclut pas l'application aux marques de dispositions du droit des États membres, autres que le droit des marques, telles que les dispositions relatives à la concurrence déloyale, à la responsabilité ou à la protection des consommateurs.»


18: -     Voir le point 27 des conclusions que j'ai présentées dans l'affaire Robelco, déjà citées à la note 4.


19: -     C'est ainsi que l'avocat général Jacobs a interprété l'article 5, paragraphe 2, dans les conclusions, déjà citées, qu'il a présentées dans l'affaire Davidoff (voir point 66).


20: -     Voir point 62 de l'arrêt BMW, déjà cité.


21: -     Dans les conclusions qu'il a présentées dans l'affaire Davidoff, déjà citée, l'avocat général Jacobs soutient néanmoins que les marques jouissant d'une renommée bénéficient de la même protection que les autres dans l'ordre juridique communautaire. Selon lui, cette catégorie de signes distinctifs ne peut bénéficier de la protection additionnelle et facultative permise par l'article 5, paragraphe 2, de la directive que lorsque les produits ou les services litigieux ne présentent aucune similitude. Lorsqu'au contraire, ils sont similaires, il appartient aux juridictions nationales d'apprécier, à la lumière de la jurisprudence de la Cour relative à la protection dont bénéficient les marques jouissant d'un caractère distinctif élevé, s'il existe un risque de confusion au sens de l'article 4, paragraphe 1, ou de l'article 5, paragraphe 1, selon le cas (point 68). En dépit des solides arguments dont il a émaillé ses conclusions, mon collègue Jacobs ne cesse de reconnaître qu'«il [peut] exister un type de situation dans lequel une marque renommée n'est pas protégée contre l'usage de marques ou de signes identiques ou similaires» (point 51) bien qu'il affirme immédiatement après qu'il est possible que «la définition même de ce type de situation indique qu'il est susceptible d'être insignifiant en pratique» et que la jurisprudence de la Cour sur les marques ayant un caractère distinctif élevé limite encore davantage le nombre de pareilles situations. Lorsqu'il existe un critère d'interprétation alternatif, tout autre critère qui conduirait à un résultat jugé déraisonnable ne saurait être maintenu sous prétexte qu'il s'est avéré impertinent en pratique et qu'il aurait éventuellement été tempéré par la jurisprudence. Je crois en outre que la thèse de Jacobs est fondée sur une prémisse erronée. Plus le caractère distinctif d'un signe sera élevé, moins le risque de confusion sera présent. Commercialiser des boissons rafraîchissantes sous l'appellation «Coco-Colo» qui aurait été enregistrée à cette fin n'entraînera pas le moindre risque de confusion avec les boissons distribuées par «Coca-Cola» grâce à la force distinctive, à l'implantation et à la renommée de cette marque. Le critère du risque de confusion permet de laisser les marques renommées sans protection contre quiconque utiliserait des indications similaires pour distinguer les produits identiques ou similaires.


22: -     Cette interprétation figure implicitement dans la jurisprudence de la Cour, qui, au point 20 de l'arrêt SABEL, précité, a déclaré que l'article 5, paragraphe 5, permet «au titulaire d'une marque jouissant d'une renommée d'interdire l'usage sans juste motif de signes identiques ou similaires à sa marque, sans exiger que soit établi un risque de confusion, et ceci même si les produits en cause ne sont pas similaires».


23: -     «Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires, d'un droit antérieur de portée locale si ce droit est reconnu par la loi de l'État membre concerné et dans la limite du territoire où il est reconnu.»


24: -     J'analyserai un peu plus loin la portée du terme «distinguer» qui apparaît à l'article 5, paragraphe 5, de la directive.


25: -     L'article 5, paragraphe 3, énonce, à titre purement exemplatif, différentes manières d'utiliser une marque que le titulaire peut interdire aux tiers:

    «Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit:

    a)    d'apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;

    b)    d'offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d'offrir ou de fournir des services sous le signe;

    c)    d'importer ou d'exporter les produits sous le signe;

    d)    d'utiliser le signe dans les papiers d'affaires et la publicité.

    [...]»


26: -     L'avocat général Jacobs s'est prononcé dans le même sens dans les conclusions qu'il a présentées le 20 septembre 2001 dans l'affaire C-2/00, Hölterhoff, dans laquelle la Cour a statué le 14 mai 2002 (C-2/00, non encore publié au Receuil); voir, en particulier, le point 37 des conclusions.


27: -     Telle est, par ailleurs, la position adoptée par la Cour dans l'arrêt BMW, précité, au point 38 duquel elle a déclaré que «le champ d'application de l'article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive, d'une part, et de l'article 5, paragraphe 5, d'autre part, dépend de la question de savoir si l'usage de la marque est fait aux fins de distinguer les produits ou services en cause comme provenant d'une entreprise déterminée, c'est-à-dire en tant que marque, ou si l'usage est fait à d'autres fins.»


28: -     Dans l'arrêt Hölterhoff, précité, la Cour a renoncé à définir la notion d'usage de la marque au sens de l'article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive (voir, en particulier, le point 17).


29: -     Voir points 35 et suiv. des conclusions que j'ai présentées dans l'affaire Merz & Krell (C-517/99, Rec. p. I-6959), dans laquelle la Cour a statué le 4 octobre 2001, ainsi que les points 16 et suiv. de celles que j'ai présentées dans l'affaire Sieckmann, précitée.


30: -     Dans les conclusions de l'affaire Sieckmann, j'ai indiqué que, paradoxalement, pour garantir la libre concurrence sur le marché, se dégage un droit qui est une exception au principe général de la concurrence en ce qu'il attribue à son titulaire le pouvoir de s'approprier en exclusivité certains signes et indications (voir la note 12 de ces conclusions).


31: -     La fonction de la marque comme expression de la qualité est inscrite dans l'ordre juridique communautaire. L'article 22, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), permet au propriétaire d'invoquer les droits conférés par cette marque à l'encontre d'un licencié qui enfreint l'une des clauses du contrat de licence en ce qui concerne la nature des produits ou des services pour lesquels la licence a été octroyée.


32: -     La Cour a expressément reconnu la fonction relative à la réputation à propos de l'épuisement des effets des droits conférés par une marque (arrêts du 11 juillet 1996, Bristol-Myers Squibb e.a., C-427/93, C-429/93 et C-436/93, Rec. p. I-3457, et du 4 novembre 1997, Parfums Christian Dior, C-337/95, Rec. p. I-6013).


33: -     Voici des années déjà que la Cour a dit pour droit que la marque n'a pas seulement pour fonction d'indiquer l'origine des produits ou des services qu'elle représente. Dans cette jurisprudence, la Cour a déclaré qu'à travers l'identification de l'origine, il s'agit de protéger la position et la renommée du titulaire de la marque et la qualité de ses créations (voir l'arrêt du 17 octobre 1990, HAG GF, C-10/89, Rec. p. I-3711, point 14, ainsi que les arrêts cités à cet endroit).


34: -     Voir point 17 des conclusions que j'ai présentées dans l'affaire Sieckmann, précitée.


35: -     Voir points 31, 32, 42 et 43 des conclusions que j'ai présentées dans l'affaire Merz & Krell, précitée.


36: -     Lorsque le titulaire concède à des tiers une licence leur permettant de produire les biens couverts par la marque, l'indication d'origine perd toute pertinence et passe au second plan au point, parfois, de disparaître de la scène.


37: -     Cette interprétation est en train de se frayer un chemin dans les ordres juridiques des différents États membres. C'est ainsi qu'en droit allemand, le titulaire d'une marque a le pouvoir de s'opposer à ce qu'un autre l'utilise avec un «caractère distinctif», notion qui est interprétée largement. Dans ce pays, la doctrine, qui tient compte des fonctions de la marque, veut que le propriétaire puisse s'opposer à ce que son signe distinctif soit utilisé sans son consentement dans le cadre d'une activité économique (Fezer, Markenrecht, 3e édition, 2001, paragraphe 14, notes 31 et 34). La doctrine autrichienne va dans la même direction et précise qu'il y a usurpation du droit de marque lorsque celle-ci est utilisée, par exemple, pour du marchandisage (Schanda, Markenschutzgesetz - Praxiskommentar, 1999, 9 61, et Character- und Personality-Merchandising, ÖBl 1998, p. 323; Ciresa, Die «Spanische Reitschule» - höchstgerichtlicher Todesstoâ für das Merchandising?, RdW 1996, p. 193 et suiv.).

    Cette exigence d'une utilisation avec «caractère distinctif» ou d'une utilisation «en tant que marque» se retrouve également dans des systèmes juridiques tels que le droit finlandais, le droit irlandais, le droit suédois et le droit espagnol, ainsi que dans la jurisprudence de la Cour de justice Benelux. C'est la raison pour laquelle, du point de vue de ces systèmes juridiques, la réponse qu'il convient de donner à la question préjudicielle posée dans la présente affaire dépendra de l'interprétation que l'on donnera à ces notions et, par conséquent, de la conception que l'on se fait des fonctions propres des marques.

    Des droits tels que le droit français et le droit grec autorisent le titulaire d'une marque à s'opposer à toute utilisation quelconque de celle-ci par des tiers qui n'auraient pas obtenu son consentement, de sorte que toute exploitation de la marque pour des produits ou des services identiques est une usurpation de sa propriété industrielle. La jurisprudence et la doctrine grecque (Rokas, N., Changements fonctionnels du droit de marque, ÅåìðÄ 1997, p. 455 et suiv.) défendent une conception large des fonctions de la marque et ajoutent la fonction publicitaire à la fonction d'indication d'origine des produits ou des services.

    Le droit portugais va dans le même sens. Ses règles de droit positif n'imposent pas expressément qu'un tiers utilise la marque de manière distinctive pour que le titulaire puisse lui opposer son droit exclusif. Cette conception large figure également dans la doctrine (Côrte-Real Cruz, A., «O contúdo e extensão do direito à marca: a marca de grande prestígio», dans Direito Industrial, Vol. I, ADPI - Associação Portuguesa de Direito Industrial, Almedina, Coimbra, 2001, p. 79 à 117, en particulier p. 88 et 94 et suiv.).

    Sans être unanime, la jurisprudence du Royaume-Uni offre une interprétation généreuse sur ce point. La doctrine, en revanche, adopte des positions plus restrictives.

    Enfin, la justice italienne a été confrontée à une affaire dont les éléments de fait étaient fort semblables à ceux qui ont mis le club Arsenal en émoi. Une société utilisait la marque «A. C. Milan» sur des photographies de footballeurs revêtus du maillot de ce club sportif. Un tribunal de Milan a jugé cet usage abusif dans la mesure où la marque n'était pas nécessaire pour créer, dans l'esprit de l'acheteur, un lien entre les joueurs photographiés et l'A. C. Milan. (Report Q168 in the name of the Italian Group «Use of a mark ‘as a mark’ as a legal requirement in respect of the acquisition, maintenance and infringement of rights», disponible sur le site www.aippi.org).


38: -     Je crois que la jurisprudence de la Cour relative aux fonctions des marques de fabrique manque de symétrie. Lorsqu'il s'agit de définir le concept de risque de confusion, la Cour a mis l'accent sur la fonction de ce mode de propriété industrielle qui est de désigner l'origine des produits ou des services que la marque représente (voir les arrêts SABEL et Marca Mode, précités; voir également l'arrêt du 29 septembre 1998, Canon, C-39/97, Rec. p. I-5507). En revanche, lorsqu'elle s'est prononcée sur un autre sujet, à savoir l'épuisement des droits conférés par la marque, la Cour a adopté une vision plus large en se fondant sur l'objectif ultime, qui est de mettre en place, dans le marché intérieur, un système de concurrence non faussé, qui passe par la protection du titulaire de la marque et de la qualité de ses produits contre ceux qui chercheraient à abuser de sa situation et de la renommée du signe distinctif. Cette position va manifestement au-delà de l'idée, plus stricte, de risque de confusion sur l'origine (voir l'arrêt du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche, 102/77, Rec. p. 1139, et les arrêts HAG GF et Parfums Christian Dior, précités). Qu'il s'agisse des unes ou des autres situations, la marque remplit les mêmes fonctions et le statut juridique de son titulaire doit lui aussi être le même.


39: -     Dixième considérant.


40: -     Dans les conclusions qu'il a présentées dans l'affaire LTJ Diffusion, précitée, l'avocat général Jacobs a dit que, dans les cas d'identité, le risque de confusion peut être présumé (voir les points 35 et suiv.). L'article 16, paragraphe 1, de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, accord annexé à l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce, fait à Marrakech le 15 avril 1994 (JO 1994, L 336, p. 214 à 223), dispose que, lorsqu'un tiers utilise, pour des biens ou des services identiques, la même indication que celle que le titulaire a fait enregistrer en tant que marque, la possibilité de confusion sera présumée.


41: -     Voir articles 2, 3 et 4.


42: -     La Cour n'a pas encore statué dans cette affaire à ce jour.


43: -     Expression utilisée à l'article 5, paragraphe 1. La version allemande de la directive utilise l'expression «geschäftlichen Verkehr»; la version espagnole «tráfico economico», l'anglaise «course of trade», l'italienne «nel commercio» et, finalement, la portugaise «vida comercial».


44: -     Y compris de simples couleurs non configurées, qui sont déjà inscrites dans certains registres nationaux de la propriété industrielle et à l'Office d'harmonisation du marché intérieur. Ce dernier a enregistré la couleur lilas destinée à distinguer du chocolat, des sucreries et des produits de confiserie (marque communautaire n° 31336). En France, le Conseil d'État a accepté la couleur rouge congo pour des produits pétrolifères (arrêt du 8 février 1974, JCP 1974. III. 17.720). L'Office des marques du Royaume-Uni a admis, avec effet au 1er janvier 1994, l'enregistrement de la couleur rose destinée à représenter de la fibre de verre isolante (marque n° 2004215). Cette marque a, depuis, été enregistrée aux bureaux du Benelux (marque n° 575855) et du Portugal (marque n° 310894).

    La Cour est actuellement saisie d'une procédure préjudicielle dans laquelle le Hoge Raad des Pays-Bas lui demande dans quelle mesure la directive permet d'enregistrer comme marque une couleur simple en tant que telle (affaire Libertel Groep, C-104/01).


45: -     Voir, sur ce point particulier, les conclusions que j'ai présentées dans l'affaire Sieckmann. Dans l'affaire préjudicielle Shield Mark (C-283/01), la Cour est actuellement saisie de la question de savoir si les bruits ou les sons peuvent constituer une marque.


46: -     Dans le rapport du congrès ALAI 2001, organisé par la «Columbia Law School», Tema II. Les relations entre le droit d'auteur, le droit de marque et la concurrence déloyale. Section II. Analyse juridique et discussion sur la relation entre les exceptions au droit d'auteur et au droit de marque: le droit de marque interdit-il, ou devrait-il interdire, les actes couverts par les exceptions au droit d'auteur? L'auteur soutient que, pour que l'usage d'un signe soit une violation du droit de marque, il doit consister en une exploitation dont l'objectif est d'indiquer l'origine commerciale des biens ou des services (A. Kur).


47: -     Dans le rapport précité, établi par A. Kur, on peut lire qu'à la différence de ce qui se passe dans le domaine des droits d'auteur, la copie privée ne pose pas de problème en droit des marques.


48: -     Par exemple, «200 cans of Campbell soup», 1962, huile sur toile, 188 x 254 cm, New York, collection particulière.


49: -     Je me risquerais même à affirmer que le fabricant de cette fameuse soupe a tiré bénéfice de cette utilisation de son signe distinctif par Warhol.


50: -     M. Reed a beau annoncer que les produits qu'il vend ne proviennent pas d'Arsenal et ne sont pas autorisés par ce club, il ne les commercialise pas moins - et ses clients les achètent - précisément parce qu'ils portent les signes qui identifient l'équipe sous la protection de l'enregistrement.


51: -     J'aurai prochainement l'occasion de me prononcer sur la notion d'«usage effectif» dans les conclusions que je présenterai dans l'affaire Ansul (C-40/01).


52: -     Voir articles 10 et 11 de la directive.


53: -     Bill Shankly, qui fut l'entraîneur mythique du club de Liverpool dans les années soixante et septante du siècle passé, a eu cette expression mémorable: «Football isn't a matter of life and death. It's far more important than that» («Le football n'est pas une question de vie ou de mort. C'est beaucoup plus important que cela»).


54: -     Comme l'observe G. Bueno, philosophe et professeur émérite de l'université d'Oviedo, le football est un sport qui, par le truchement de la télévision, mobilise des villes qui s'identifient à leurs équipes. Selon lui, un match opposant deux syndicats ouvriers n'aurait jamais la même raisonnance (voir l'entrevue publiée dans le quotidien La Nueva España le 13 février 2002).


55: -     De football américain, de base-ball et de basket.


56: -     Voir dans le quotidien El País, édition du 16 juillet 2000, l'article de S. Segurola intitulé «Al borde de la hipertrofia» («Au bord de l'hypertrophie»).


57: -     L'ordonnance de renvoi est extrêmement éloquente sur ce point à propos du club de football Arsenal.


58: -     On observera que, pour les plates-formes digitales et les entreprises de télévision par câble, le football a été le principal argument publicitaire dans le recrutement des abonnés. D'autre part, les nouvelles technologies ont permis de diversifier les modalités de paiement et à chaque spectateur de choisir les matchs qu'il souhaite voir contre paiement d'une redevance.


59: -     L'article de S. Segurola, «El fútbol rompe con su pasado» («le football rompt avec son passé») peut être consulté sur le site www.elpais.es/especiales/2001/liga-00-01/liga01.htm. L'auteur explique la naissance d'une nouvelle époque pour le football, dominée par la primauté des affaires.


60: -     En particulier dans l'hôtellerie, le commerce, le secteur des transports, ainsi que dans les médias.


61: -     Information parue le 8 janvier 2001 dans www.hot.it/canali/finanza/strumenti/borsacalcio.


62: -     Article sur le football intitulé «Un Negocio de Primera Divisíon», publié dans le quotidien espagnol El Mundo, édition du 21 mars 1999.


63: -     L'Angleterre et l'Italie sont les deux pays qui comptent le plus d'équipes cotées en bourse. C'est le cas notamment de Manchester United FC, Chelsea FC, Leeds FC, SS Lazio, AS Roma et Juventus, FC.


64: -     Selon une étude de la société d'audit Deloitte & Touche, pour la période 1998-1999, le premier club en termes de revenus a été Manchester United, capable d'engendrer plus de 100 millions de GBP par an. Viennent ensuite le Bayern de Munich et le Real Madrid, qui ont réalisé pratiquement 80 millions chacun. Le club Arsenal arrive en dixième position, avec 50 millions de GBP (voir l'information parue dans l'édition du The Economist du 8 février 2001, sous le titre «It's a funny old game»).


65: -     Selon les données publiées par le journal espagnol El Mundo, dans son édition du 8 février 2002, le club anglais est évalué à pratiquement 1 600 millions d'euros. Au cours des trois dernières années, Manchester a facturé 120 millions de GBP par saison en moyenne, dégageant pratiquement 20 millions de GBP de bénéfice avant impôt (chiffres obtenus le 11 mars 2001 sur www.soccerbusinessonline.com). Sur le plan sportif, l'équipe qui a récolté le plus de lauriers est le Real Madrid, auquel la FIFA a décerné le titre de «meilleur club de football du XXe siècle».


66: -     Information obtenue sur www.soccerage.com, qui cite une interview publiée par le quotidien italien La Repubblica, dans son édition du 17 juillet 2000.


67: -     Voir l'article de V. Verdú, intitulé «El fútbol de ficción» («Le football de fiction») qui a paru dans le quotidien El País, édition du 15 juillet 2001.


68: -     «Football and prune juice», publié dans l'édition du 8 février 2001.


69: -     Conformément à une étude de la société Deloitte & Touche, qui cite The Economist dans le rapport que j'ai évoqué à la note 64, si les revenus des clubs ont augmenté de 177 % entre la saison 1993-1994 et la saison 1998-1999, les émoluments des joueurs ont eux connu une croissance de 266 %.


70: -     Données parues sur le site www.futvol.com le 20 mars 2002.


71: -     Les clubs les plus populaires d'Europe reçoivent quotidiennement des millions de visites sur leurs pages web. Grâce à celles-ci, ils réalisent des gains considérables grâce à la publicité et aux ventes on-line.


72: -     Cette activité a connu un tel succès que les équipes ont tendance à promouvoir les boutiques officielles dans les centres commerciaux au détriment des échoppes à l'entrée des stades. La plupart de ces échoppes sont, comme c'est le cas de M. Reed, exploitées par des particuliers qui n'ont aucun lien avec les sociétés propriétaires des équipes.


73: -     Suivant l'article «It's a funny old game» paru le 8 février 2001 dans la revue The Economist, le «merchandising» et les sponsors fournissent 26 % de ses revenus au club de Manchester United. Pour ce qui est du Real Madrid, ce commerce représente approximativement un cinquième des revenus du club et les perspectives sont à la croissance (voir le budget de 2001 sur www.realmadrid.com).


74: -     Je n'en veux pour preuve que l'accord scellé le 7 février 2001 entre Manchester United et l'équipe de base-ball New York Yankees, accord aux termes duquel les deux sociétés pourront vendre leurs marques respectives dans les boutiques exclusives des deux équipes et négocier conjointement les droits avec les sponsors et les compagnies de télévision.


75: -     J. A. Sánchez Periéñez, directeur du marketing du Real Madrid, dans El País semanal, édition du 3 mars 2002.


76: -     C'est la raison pour laquelle certains websites de clubs européens ont des versions en japonais.


77: -     Manchester United a des boutiques à Singapour, Bangkok, Kuala Lumpur et Hong Kong (voir The Economist, «It's a funny old game», 8 février 2001).


78: -     Le montant de ses émoluments tient certainement compte du fait qu'il est le joueur japonais le plus couronné de succès en Europe.


79: -     Pour la saison actuelle, il prévoit de vendre 500 000 maillots dans le monde. En tout, les recettes atteindraient 36 millions d'euros, dont pratiquement la moitié reviendra au club.


80: -     Dans la section sport de l'édition du journal madrilène El País du 25 avril de cette année a paru un entrefilet dans lequel on peut lire que les membres de la Guardia Civil ont arrêté quatre personnes pour distribution illégale de 14 000 articles portant le logotype du Real Madrid pour une valeur marchande supérieure à 336 000 euros.

    Au cours de la coupe du monde de football de 1998, les autorités françaises ont engagé 41 procédures pour usage indu de marques.

    Dans le rapport sur l'activité des autorités douanières en matière d'usurpation de marques, rapport dressé par la direction générale des douanes et des impôts indirects du ministère des finances français, pour les années 1994 à 1998, les auteurs ont souligné l'augmentation des délits d'usurpation de marques liées aux articles que le public associe à la pratique d'un sport. Le rapport de l'année 2001 établi par ces mêmes autorités relate la confiscation de 810 000 articles commémoratifs de la coupe du monde de football de 2002 (ces deux derniers documents peuvent être consultés sur Internet à l'adresse www.finances.gouv.fr/douanes/actu/rapport).

    Sur le site www.sport.fr apparaît une information, datée du 25 avril 2002, dans laquelle est annoncée l'arrivée massive sur le marché de maillots de contrefaçon des équipes nationales participant à la coupe du monde actuellement en cours en Corée et au Japon. On peut lire à cette adresse que des contrefaçons des marques d'équipes telles que Manchester United, Real Madrid ou Juventus de Turin sont d'ores et déjà proposées sur le marché.


81: -     Dans les conclusions que j'ai présentées le 5 avril 2001 dans l'affaire Gottardo (C-55/00, Rec. p. I-413), dans laquelle la Cour a statué le 15 janvier 2002, j'ai eu l'occasion de dire que, «lorsqu'elle exerce la fonction herméneutique que l'article 234 CE lui a confiée afin qu'elle assure une application uniforme du droit communautaire dans les États membres, la Cour ne peut pas se limiter à répondre mécaniquement aux questions en respectant rigoureusement les termes dans lesquels elles ont été formulées. Bien au contraire, en sa qualité d'interprète qualifiée du droit communautaire, la Cour devrait analyser le problème dans une perspective plus large et avec plus de flexibilité afin de fournir au juge national qui l'a saisie et aux autres juges de l'Union européenne une réponse utile au regard des règles communautaires en vigueur. Si elle ne le fait pas, le juge de renvoi pourrait avoir une mainmise excessive sur le dialogue entre juridictions que l'article 234 CE a pour objet de mettre en place, car, en fonction de la formulation qu'il donnerait à la question qu'il pose à la Cour, il pourrait déterminer la réponse préjudicielle que celle-ci donnera» (point 36, deuxième alinéa).