Language of document : ECLI:EU:C:2013:635

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

3 octobre 2013 (*)

«Règlement (CE) nº 44/2001 – Compétence judiciaire – Matière délictuelle ou quasi délictuelle – Droits patrimoniaux d’un auteur – Support matériel reproduisant une œuvre protégée – Mise en ligne – Détermination du lieu de la matérialisation du dommage»

Dans l’affaire C‑170/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 5 avril 2012, parvenue à la Cour le 11 avril 2012, dans la procédure

Peter Pinckney

contre

KDG Mediatech AG,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. J. Malenovský, U. Lõhmus, M. Safjan (rapporteur) et Mme A. Prechal, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Pinckney, par Me J. de Salve de Bruneton, avocat,

–        pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme B. Beaupère-Manokha, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hellénique, par Mme S. Chala, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par MM. B. Majczyna et M. Szpunar, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme A.‑M. Rouchaud-Joët, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 juin 2013,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, point 3, du règlement (CE) nº 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1, ci-après le «règlement»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Pinckney, résident français, à KDG Mediatech AG (ci-après «Mediatech»), société établie en Autriche, au sujet d’une demande de dommages-intérêts du fait de l’atteinte que cette société aurait porté aux droits patrimoniaux d’auteur de M. Pinckney.

 Le cadre juridique

 Le règlement

3        Les considérants 2, 11, 12 et 15 du règlement énoncent:

«(2)      Certaines différences entre les règles nationales en matière de compétence judiciaire et de reconnaissance des décisions rendent plus difficile le bon fonctionnement du marché intérieur. Des dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement sont indispensables.

[...]

(11)      Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions.

(12)      Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.

[...]

(15)      Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. […]»

4        Les règles de compétence figurent au chapitre II du règlement, qui comprend les articles 2 à 31.

5        L’article 2 du règlement, qui appartient à la section 1 dudit chapitre II, intitulée «Dispositions générales», est, à son paragraphe 1, libellé comme suit:

«Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»

6        L’article 3 du règlement, qui appartient à la même section, dispose, à son paragraphe 1:

«Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.»

7        Sous la section 2 du chapitre II du règlement, intitulée «Compétences spéciales», figure notamment l’article 5 de celui-ci. Le point 3 de cet article 5 prévoit:

«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

[…]

3)      en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire».

 La directive 2001/29/CE

8        La directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10), comprend un chapitre II, intitulé «Droits et exceptions», dans lequel figurent notamment les articles 2 à 4 de cette directive qui traitent, respectivement, du droit de communication d’œuvres au public et du droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés, ainsi que du droit de distribution.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        M. Pinckney, qui réside à Toulouse (France), prétend être l’auteur, le compositeur et l’interprète de douze chansons enregistrées par le groupe Aubrey Small sur un disque vinyle.

10      Après avoir découvert que ces chansons avaient été reproduites sans son autorisation sur un disque compact (CD) pressé en Autriche par Mediatech, puis commercialisé par les sociétés britanniques Crusoe ou Elegy par l’intermédiaire de différents sites Internet accessibles depuis son domicile toulousain, il a assigné le 12 octobre 2006 Mediatech devant le tribunal de grande instance de Toulouse, aux fins d’obtenir la réparation du préjudice subi du fait de l’atteinte à ses droits d’auteur.

11      Mediatech a soulevé l’incompétence des juridictions françaises. Par une ordonnance du 14 février 2008, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Toulouse a rejeté cette exception d’incompétence au motif que le seul fait que M. Pinckney ait pu acheter les disques en cause depuis son domicile français, sur un site Internet ouvert au public français, suffisait à établir un lien substantiel entre les faits et le dommage allégué, justifiant la compétence du juge saisi.

12      Mediatech a formé appel de ce jugement, en faisant valoir que les CD avaient été pressés en Autriche, où elle a son siège, à la demande d’une société britannique qui les commercialise par l’intermédiaire d’un site Internet. Ainsi, selon elle, sont seules compétentes soit les juridictions du lieu du domicile du défendeur, qui se trouve en Autriche, soit celles du lieu de réalisation du dommage, c’est-à-dire celles du lieu où la faute imputée a été commise, à savoir le Royaume-Uni.

13      Par un arrêt du 21 janvier 2009, la cour d’appel de Toulouse a écarté la compétence du tribunal de grande instance de Toulouse, au motif que le lieu du domicile du défendeur est l’Autriche et que le lieu de réalisation du dommage ne peut se situer en France, sans qu’il soit besoin d’examiner les responsabilités respectives de Mediatech et des sociétés Crusoe ou Elegy, faute d’allégation de complicité de ces dernières avec Mediatech.

14      M. Pinckney a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt en invoquant la violation de l’article 5, point 3, du règlement. Il a fait valoir que la compétence du juge français est fondée et que son recours a été indûment rejeté.

15      C’est dans ces conditions que la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 5, point 3, du [règlement] doit-il être interprété en ce sens que, en cas d’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur commise au moyen de contenus mis en ligne sur un site Internet,

–        la personne qui s’estime lésée a la faculté d’introduire une action en responsabilité devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été, à l’effet d’obtenir réparation du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie,

ou

–        il faut, en outre, que ces contenus soient ou aient été destinés au public situé sur le territoire de cet État membre, ou bien qu’un autre lien de rattachement soit caractérisé?

2)      La première question posée doit-elle recevoir la même réponse lorsque l’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur résulte non pas de la mise en ligne d’un contenu dématérialisé, mais, comme en l’espèce, de l’offre en ligne d’un support matériel reproduisant ce contenu?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

16      Le gouvernement autrichien a soulevé l’irrecevabilité des questions préjudicielles. Celles-ci seraient hypothétiques par rapport aux circonstances de l’affaire au principal, car elles concerneraient non pas l’acte de reproduction commis par Mediatech, mais des actes ultérieurs de distribution commis par les sociétés britanniques concernées. Il ne ressortirait pas de l’exposé des faits au principal que Mediatech aurait organisé la distribution des CD par lesdites sociétés ou qu’elle aurait un lien quelconque avec celles-ci.

17      En tout état de cause, selon ce gouvernement, la première question préjudicielle serait irrecevable, car elle part de la prémisse erronée qu’un contenu dématérialisé, à savoir l’œuvre en tant que telle, a été offert en ligne alors que l’offre en cause au principal n’a porté que sur un support matériel reproduisant ce contenu.

18      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle introduite par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêts du 11 septembre 2008, Eckelkamp e.a., C‑11/07, Rec. p. I‑6845, point 28, ainsi que du 20 juin 2013, Rodopi-M 91, C‑259/12, point 27).

19      La Cour a également précisé que la justification d’une question préjudicielle est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige (arrêt du 2 avril 2009, Elshani, C‑459/07, Rec. p. I‑2759, point 42).

20      En l’occurrence, il est constant que la juridiction de renvoi est saisie d’une allégation d’atteinte aux droits patrimoniaux d’auteur résultant de l’offre en ligne d’un support matériel reproduisant une œuvre protégée et que la question de savoir si les juridictions françaises sont compétentes pour connaître de cette allégation constitue l’objet même du litige au principal. Au vu de l’ensemble des éléments dont dispose la Cour, il apparaît en effet que l’issue de ce litige dépendra de la réponse apportée aux questions préjudicielles, lesquelles se prêtent en outre à une reformulation.

21      Dès lors, les questions préjudicielles sont recevables.

 Sur le fond

22      Par ses questions, qu’il y a lieu de reformuler, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, point 3, du règlement doit être interprété en ce sens que, en cas d’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur garantis par l’État membre de la juridiction saisie, celle-ci est compétente pour connaître d’une action en responsabilité introduite par l’auteur d’une œuvre à l’encontre d’une société établie dans un autre État membre et ayant, dans celui-ci, reproduit ladite œuvre sur un support matériel qui est ensuite vendu, par des sociétés établies dans un troisième État membre, par l’intermédiaire d’un site Internet accessible également dans le ressort de la juridiction saisie.

23      Afin de répondre à ces questions, il convient de rappeler d’emblée que les dispositions du règlement doivent être interprétées de manière autonome, en se référant au système et aux objectifs de celui-ci (arrêt du 16 mai 2013, Melzer, C‑228/11, point 22 et jurisprudence citée).

24      Par dérogation au principe fondamental énoncé à l’article 2, paragraphe 1, du règlement, attribuant la compétence aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié, le chapitre II, section 2, de ce règlement prévoit un certain nombre d’attributions de compétences spéciales, parmi lesquelles figure celle prévue à l’article 5, point 3, dudit règlement (arrêt Melzer, précité, point 23).

25      En ce que la compétence des juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire constitue une règle de compétence spéciale, elle est d’interprétation stricte et ne permet pas une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite par le règlement (arrêt Melzer, précité, point 24).

26      Il n’en reste pas moins que l’expression «lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire», figurant à l’article 5, point 3, du règlement, vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et le lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou de l’autre de ces deux lieux (arrêt Melzer, précité, point 25).

27      À cet égard, il est de jurisprudence constante que la règle de compétence prévue à l’article 5, point 3, du règlement est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et les juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire, qui justifie une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès (arrêt Melzer, précité, point 26).

28      L’identification de l’un des points de rattachement reconnus par la jurisprudence rappelée au point 26 du présent arrêt devant permettre d’établir la compétence de la juridiction objectivement la mieux placée pour apprécier si les éléments constitutifs de la responsabilité de la personne attraite sont réunis, ne peut être valablement saisie que la juridiction dans le ressort duquel se situe le point de rattachement pertinent (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2012, Folien Fischer et Fofitec, C‑133/11, point 52).

29      Il convient de relever que, en l’occurrence, contrairement aux circonstances ayant donné lieu à l’arrêt Melzer, précité, l’affaire au principal ne porte pas sur la possibilité d’attraire, devant la juridiction saisie, l’un des auteurs supposés d’un dommage allégué au titre du lieu de l’événement causal. Il est en effet constant que ce dernier lieu ne se situe pas dans le ressort de la juridiction saisie par M. Pinckney. Se pose, en revanche, la question de savoir si cette juridiction est compétente au titre de la matérialisation du dommage allégué.

30      Il y a donc lieu, concrètement, de déterminer les conditions dans lesquelles, pour les besoins de l’article 5, point 3, du règlement, le dommage résultant d’une violation alléguée des droits patrimoniaux d’un auteur se matérialise ou risque de se matérialiser dans un État membre autre que celui où le défendeur a reproduit l’œuvre de l’auteur sur un support matériel qui est ensuite vendu par l’intermédiaire d’un site Internet accessible également dans le ressort de la juridiction saisie.

31      La Cour a déjà interprété l’article 5, point 3, du règlement en cas d’allégations d’atteintes commises au moyen d’Internet et susceptibles, de ce fait, de se matérialiser dans de nombreux lieux (voir arrêts du 25 octobre 2011, eDate Advertising et Martinez, C‑509/09 et C‑161/10, Rec. p. I‑10269, ainsi que du 19 avril 2012, Wintersteiger, C‑523/10).

32      Il ressort de ladite jurisprudence que, premièrement, le lieu de la matérialisation du dommage au sens de cette disposition peut varier en fonction de la nature du droit prétendument violé (voir, en ce sens, arrêt Wintersteiger, précité, points 21 à 24).

33      Deuxièmement, le risque qu’un dommage se matérialise dans un État membre déterminé est subordonné à ce que le droit dont la violation est alléguée soit protégé dans cet État membre (voir arrêt Wintersteiger, précité, point 25).

34      Enfin, troisièmement, il ressort de cette jurisprudence que, conformément aux objectifs rappelés au point 27 du présent arrêt, l’identification du lieu de la matérialisation du dommage aux fins d’attribuer à une juridiction la compétence pour connaître d’une allégation d’atteinte en matière délictuelle ou quasi délictuelle dépend également du point de savoir quelle juridiction est la mieux à même d’apprécier le bien-fondé de l’atteinte alléguée (arrêts précités eDate Advertising et Martinez, point 48, ainsi que Wintersteiger, point 27).

35      En application de ces principes, la Cour a distingué, pour les besoins de l’identification du lieu de la matérialisation d’un dommage prétendument causé au moyen d’Internet, entre les atteintes aux droits de la personnalité et celles à un droit de la propriété intellectuelle et industrielle.

36      Ainsi, la prétendue victime d’une atteinte aux droits de la personnalité commise au moyen d’un contenu mis en ligne, protégés dans tous les États membres, peut, au titre de la matérialisation du dommage, introduire une action en responsabilité devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel ledit contenu est accessible ou l’a été. Celles-ci sont compétentes pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie (voir arrêt eDate Advertising et Martinez, précité, point 52). En outre, étant donné que l’impact d’une atteinte commise au moyen d’un contenu mis en ligne sur les droits de la personnalité d’une personne peut être le mieux apprécié par la juridiction du lieu où cette personne a le centre de ses intérêts, la prétendue victime peut choisir de saisir, pour l’intégralité du dommage causé, la seule juridiction de ce lieu (arrêt eDate Advertising et Martinez, précité, point 48).

37      En revanche, l’allégation d’une atteinte à un droit de la propriété intellectuelle et industrielle, dont la protection accordée par un acte d’enregistrement est limitée au territoire de l’État membre d’enregistrement, doit être portée devant les juridictions de celui-ci. En effet, ce sont les juridictions de l’État membre d’enregistrement qui sont les mieux à même d’évaluer s’il est effectivement porté atteinte au droit en cause (voir en ce sens, à propos des marques nationales, arrêt Wintersteiger, précité, points 25 et 28).

38      Il y a lieu de vérifier dans quelle mesure les enseignements des précédents susvisés s’appliquent aux allégations d’atteintes aux droits d’auteur.

39      Tout d’abord, il convient de relever que les droits patrimoniaux d’un auteur sont certes soumis, à l’instar des droits attachés à une marque nationale, au principe de territorialité. Lesdits droits patrimoniaux doivent toutefois être protégés, notamment du fait de la directive 2001/29, de manière automatique dans tous les États membres, si bien qu’ils sont susceptibles d’être violés, respectivement, dans chacun d’eux, en fonction du droit matériel applicable.

40      À cet égard, il y a lieu de préciser d’emblée que les questions de savoir si, d’une part, les conditions dans lesquelles un droit protégé dans l’État membre de la juridiction saisie peut être considéré comme ayant été violé et, d’autre part, si cette violation est imputable au défendeur relèvent de l’examen au fond par la juridiction compétente (voir, en ce sens, arrêt Wintersteiger, précité, point 26).

41      En effet, au stade de l’examen de la compétence d’une juridiction pour connaître d’un dommage, l’identification du lieu de la matérialisation de celui-ci au sens de l’article 5, point 3, du règlement ne saurait dépendre de critères qui sont propres audit examen au fond et ne figurent pas à cette disposition. Celle-ci ne prévoit en effet, comme unique condition, que le fait qu’un dommage s’est produit ou risque de se produire.

42      Ainsi, contrairement à l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement, qui a été interprété dans l’arrêt du 7 décembre 2010, Pammer et Hotel Alpenhof (C‑585/08 et C‑144/09, Rec. p. I‑12527), l’article 5, point 3, dudit règlement n’exige notamment pas que l’activité en cause soit «dirigée vers» l’État membre de la juridiction saisie.

43      Il s’ensuit que, s’agissant de la violation alléguée d’un droit patrimonial d’auteur, la compétence pour connaître d’une action en matière délictuelle ou quasi délictuelle est déjà établie, au profit de la juridiction saisie, dès lors que l’État membre sur le territoire duquel se trouve cette juridiction protège les droits patrimoniaux dont le demandeur se prévaut et que le dommage allégué risque de se matérialiser dans le ressort de la juridiction saisie.

44      Dans des circonstances telles que celles en cause au principal, ledit risque découle notamment de la possibilité de se procurer, au moyen d’un site Internet accessible dans le ressort de la juridiction saisie, une reproduction de l’œuvre à laquelle s’attachent les droits dont le demandeur se prévaut.

45      En revanche, dès lors que la protection accordée par l’État membre de la juridiction saisie ne vaut que pour le territoire dudit État membre, la juridiction saisie n’est compétente que pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre dont elle relève.

46      En effet, si cette juridiction était également compétente pour connaître du dommage causé sur les territoires d’autres États membres, elle se substituerait aux juridictions de ces États, alors que ces dernières sont en principe compétentes, au regard de l’article 5, point 3, du règlement et du principe de territorialité, pour connaître du dommage causé sur le territoire de leur État membre respectif, et qu’elles sont mieux placées, d’une part, pour évaluer s’il est effectivement porté atteinte aux droits patrimoniaux d’auteur garantis par l’État membre concerné et, d’autre part, pour déterminer la nature du dommage qui a été causé.

47      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 5, point 3, du règlement doit être interprété en ce sens que, en cas d’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur garantis par l’État membre de la juridiction saisie, celle-ci est compétente pour connaître d’une action en responsabilité introduite par l’auteur d’une œuvre à l’encontre d’une société établie dans un autre État membre et ayant, dans celui-ci, reproduit ladite œuvre sur un support matériel qui est ensuite vendu par des sociétés établies dans un troisième État membre, par l’intermédiaire d’un site Internet accessible également dans le ressort de la juridiction saisie. Cette juridiction n’est compétente que pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre dont elle relève.

 Sur les dépens

48      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

L’article 5, point 3, du règlement (CE) nº 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution de décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, en cas d’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur garantis par l’État membre de la juridiction saisie, celle-ci est compétente pour connaître d’une action en responsabilité introduite par l’auteur d’une œuvre à l’encontre d’une société établie dans un autre État membre et ayant, dans celui-ci, reproduit ladite œuvre sur un support matériel qui est ensuite vendu par des sociétés établies dans un troisième État membre, par l’intermédiaire d’un site Internet accessible également dans le ressort de la juridiction saisie. Cette juridiction n’est compétente que pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre dont elle relève.

Signatures


* Langue de procédure: le français.