Language of document : ECLI:EU:C:2013:167

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 14 mars 2013 (1)

Affaire C‑509/11

ÖBB-Personenverkehr AG

[demande de décision préjudicielle
formée par le Verwaltungsgerichtshof (Autriche)]

«Règlement (CE) no 1371/2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires – Article 17 – Conditions de l’indemnisation relative au prix du billet en cas de retard, de correspondance manquée ou d’annulation – Exclusion de l’indemnisation pour les retards dus à un cas de force majeure – Article 30 – Pouvoirs d’un organisme national chargé de l’application du règlement no 1371/2007 – Question de savoir si l’article 30 du règlement no 1371/2007 habilite l’organisme national à prescrire à des entreprises ferroviaires de modifier les conditions d’indemnisation non conformes au règlement no 1371/2007 – Effets juridiques des règlements de l’Union européenne – Principe de l’effet utile – Notion de ‘juridiction’ au sens de l’article 267 TFUE – Principes généraux du droit de l’UE – Obligations et compétences des autorités administratives nationales pour assurer une protection juridique, par comparaison avec celles des juridictions nationales»





I –    Introduction

1.        Le règlement (CE) no 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires (2), établit notamment des règles uniformes en matière de responsabilité des entreprises ferroviaires en cas de retard, de correspondance manquée ou d’annulation. Concrètement, la présente affaire au principal concerne une action intentée par une entreprise ferroviaire qui se juge dispensée de verser une indemnisation relative au prix du billet lorsque le retard, la perte de correspondance ou l’annulation sont dus à un cas de force majeure.

2.        L’article 17 du règlement no 1371/2007, qui est la disposition centrale de ce règlement en ce qui concerne l’indemnisation relative au prix du billet, ne fait pas mention de la force majeure. Le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) se demande cependant s’il est possible de dégager par voie de déduction une autre limitation des cas où les voyageurs peuvent revendiquer une indemnisation relative au prix du billet. La juridiction de renvoi observe que des circonstances échappant au contrôle des entreprises de transport limitent leur obligation d’indemniser i) dans les cas visés à l’article 32, paragraphe 2, des règles uniformes concernant le contrat de transport international ferroviaire des voyageurs et des bagages (ci-après le «CIV») et ii) dans ceux prévus par des dispositions – qui pourraient s’appliquer par analogie – contenues dans trois autres règlements relatifs aux droits de voyageurs utilisant d’autres modes de transport, à savoir l’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 261/2004 (3), l’article 20, paragraphe 4, du règlement (UE) no 1177/2010 (4) et l’article 23, paragraphe 2, du règlement (UE) no 181/2011 (5).

3.        Si l’excuse de force majeure est rejetée, le litige au principal s’ouvrira sur une question plus complexe, revêtant une certaine importance dans le contexte plus général du droit administratif de l’Union, à savoir la compétence des autorités administratives d’un État membre de prescrire de manière contraignante des dispositions visant à garantir l’application effective d’un règlement.

4.        Les pouvoirs de l’organisme national désigné pour appliquer le règlement no 1371/2007 ont leur importance ici parce que, dans le cadre du droit autrichien, cet organisme ne peut que déclarer la nullité des conditions d’indemnisation incluses dans les tarifs d’une entreprise ferroviaire, lorsque ces conditions sont incompatibles avec le règlement no 1371/2007. Il n’a pas compétence pour aller au-delà, par exemple en prescrivant à l’entreprise ferroviaire de modifier ses contrats pour veiller à ce que l’indemnisation relative au prix du billet soit payée conformément à l’article 17 du règlement no 1371/2007. La juridiction de renvoi se demande cependant si cette compétence pourrait être déduite de l’article 30 du règlement no 1371/2007, qui traite de l’application. Cette question implique donc l’examen des principes généraux du droit élaborés par la Cour en ce qui concerne l’effet utile, les voies de recours nationales et les types d’organismes nationaux qui sont liés par ces principes.

5.        Enfin, il sera nécessaire de formuler quelques observations complémentaires sur l’obligation pesant sur l’entreprise ferroviaire au titre du règlement no 1371/2007 et sur la position de la juridiction de renvoi en ce qui concerne le principe de protection juridique effective au titre du droit de l’Union.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

6.        Les considérants 6, 13 et 14 du règlement no 1371/2007 énoncent ce qui suit:

«(6)      Le renforcement des droits des voyageurs ferroviaires devrait reposer sur le système de droit international existant à ce sujet qui figure à l’appendice A – règles uniformes concernant le contrat de transport international ferroviaire des voyageurs et des bagages (CIV) de la convention relative aux transports internationaux ferroviaires (COTIF) du 9 mai 1980, telle que modifiée par le protocole portant modification de la COTIF du 3 juin 1999 (protocole de 1999). Il est cependant souhaitable d’étendre le champ d’application du présent règlement afin de protéger non seulement les voyageurs internationaux, mais aussi les voyageurs nationaux.

[…]

(13)      Le renforcement des droits en matière d’indemnisation et d’assistance en cas de retard, de correspondance manquée ou d’annulation d’un service devrait aboutir à un accroissement des incitations en faveur du marché des services ferroviaires de transport de voyageurs, au bénéfice des voyageurs.

(14)      Il est souhaitable que le présent règlement crée un système d’indemnisation pour les voyageurs en cas de retard, qui soit lié à la responsabilité de l’entreprise ferroviaire, sur la même base que le système international prévu par la COTIF et en particulier son appendice CIV relatif aux droits des voyageurs.»

7.        L’article 6, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1371/2007, intitulé «Exclusion des exonérations et stipulations de limitations», dispose:

«1.      Les obligations envers les voyageurs résultant du présent règlement ne peuvent pas faire l’objet d’une limitation ou d’une exonération, notamment par une dérogation ou une clause restrictive figurant dans le contrat de transport.

2.      Les entreprises ferroviaires peuvent offrir des conditions contractuelles plus favorables au voyageur que celles fixées dans le présent règlement.»

8.        L’article 15 du règlement no 1371/2007, intitulé «Responsabilité en matière de retards, de correspondances manquées et d’annulations», est libellé comme suit:

«Sous réserve des dispositions du présent chapitre, la responsabilité des entreprises ferroviaires en ce qui concerne les retards, les correspondances manquées et les annulations est régie par le titre IV, chapitre II, de l’annexe I.»

9.        L’article 17 du règlement no 1371/2007, intitulé «Indemnisation relative au prix du billet», est libellé comme suit:

«1.      Lorsque le retard n’a pas donné lieu au remboursement du billet conformément à l’article 16, le voyageur qui subit un retard entre le lieu de départ et le lieu de destination indiqués sur le billet peut, sans perdre son droit au transport, exiger une indemnisation de l’entreprise ferroviaire. Les indemnisations minimales pour cause de retard sont les suivantes:

a)      25 % du prix du billet en cas de retard d’une durée comprise entre 60 et 119 minutes;

b)      50 % du prix du billet en cas de retard de 120 minutes ou plus.

Les voyageurs qui détiennent une carte de transport ou un abonnement et sont confrontés à des retards ou à des annulations récurrents pendant sa durée de validité peuvent demander une indemnisation adéquate conformément aux dispositions des entreprises ferroviaires en matière d’indemnisation. Ces dispositions fixent les critères applicables en matière de retard et de calcul de l’indemnisation.

L’indemnisation d’un retard est calculée par rapport au prix que le voyageur a réellement payé pour le service ayant subi un retard.

Lorsque le contrat de transport porte sur un voyage aller et retour, le montant de l’indemnisation à payer en cas de retard à l’aller ou au retour est calculé par rapport à la moitié du prix payé pour le billet. De la même manière, le montant de l’indemnisation à payer en cas de retard du service dans le cadre de tout autre type de contrat de transport permettant d’effectuer plusieurs voyages ultérieurs est calculé proportionnellement au prix total.

Le calcul de la durée du retard ne tient pas compte des retards dont l’entreprise ferroviaire peut prouver qu’ils se sont produits en dehors des territoires dans lesquels le traité instituant la Communauté européenne est d’application.

2.      L’indemnisation relative au prix du billet est payée dans le mois qui suit le dépôt de la demande d’indemnisation. Elle peut être payée sous la forme de bons et/ou d’autres services si les conditions sont souples (notamment en ce qui concerne la période de validité et la destination). Elle est payée en espèces à la demande du voyageur.

3.      L’indemnisation relative au prix du billet n’est pas grevée de coûts de transaction financière tels que redevances, frais de téléphone ou timbres. Les entreprises ferroviaires peuvent fixer un seuil minimal au-dessous duquel aucune indemnisation n’est payée. Ce seuil ne dépasse pas 4 [euros].

4.      Le voyageur n’a droit à aucune indemnisation s’il a été informé du retard avant d’acheter le billet ou si le retard imputable à la poursuite du voyage à bord d’un autre train ou à un réacheminement reste inférieur à soixante minutes.»

10.      L’article 30 du règlement no 1371/2007, intitulé «Application», dispose:

«1.      Chaque État membre désigne un ou plusieurs organismes chargés de l’application du présent règlement. Chaque organisme prend les mesures nécessaires pour garantir le respect des droits des voyageurs.

Chaque organisme est indépendant de tout gestionnaire de l’infrastructure, organisme de tarification, organisme de répartition ou entreprise ferroviaire en ce qui concerne son organisation, ses décisions de financement, sa structure juridique et ses décisions.

Les États membres informent la Commission de la désignation d’un ou de plusieurs organismes conformément au présent paragraphe et de ses ou de leurs responsabilités.

2.      Chaque voyageur peut porter plainte pour infraction alléguée au présent règlement auprès de l’organisme compétent désigné en vertu du paragraphe 1 ou auprès de tout autre organisme compétent désigné par un État membre.»

11.      L’article 32 du règlement no 1371/2007, intitulé «Sanctions», dispose:

«Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables en cas de violation des dispositions du présent règlement et prennent toute mesure nécessaire pour en assurer la mise en œuvre. Les sanctions prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Les États membres notifient ces régimes et mesures à la Commission, au plus tard le 3 juin 2010, et lui communiquent sans délai toute modification ultérieure les concernant.»

12.      L’annexe I du règlement no 1371/2007 inclut un extrait du CIV figurant à l’appendice A de la COTIF du 9 mai 1980, telle que modifiée par le protocole portant modification de la COTIF du 3 juin 1999.

13.      L’article 32 du CIV, intitulé «Responsabilité en cas de suppression, de retard ou de correspondance manquée», figurant à l’annexe I du règlement no 1371/2007 dispose:

«1.      Le transporteur est responsable envers le voyageur du dommage résultant du fait qu’en raison de la suppression, du retard ou du manquement d’une correspondance, le voyage ne peut se poursuivre le même jour, ou que sa poursuite n’est pas raisonnablement exigible le même jour à cause des circonstances données. Les dommages-intérêts comprennent les frais raisonnables d’hébergement ainsi que les frais raisonnables occasionnés par l’avertissement des personnes attendant le voyageur.

2.      Le transporteur est déchargé de cette responsabilité, lorsque la suppression, le retard ou le manquement d’une correspondance sont imputables à l’une des causes suivantes:

a)      des circonstances extérieures à l’exploitation ferroviaire que le transporteur, en dépit de la diligence requise d’après les particularités de l’espèce, ne pouvait pas éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier;

b)      une faute du voyageur; ou

c)      le comportement d’un tiers que le transporteur, en dépit de la diligence requise d’après les particularités de l’espèce, ne pouvait pas éviter et aux conséquences duquel il ne pouvait pas obvier; une autre entreprise utilisant la même infrastructure ferroviaire n’est pas considérée comme un tiers; le droit de recours n’est pas affecté.

3.      Le droit national détermine si et dans quelle mesure le transporteur doit verser des dommages-intérêts pour des préjudices autres que ceux prévus au paragraphe 1. Cette disposition ne porte pas atteinte à l’article 44.»

B –    Droit national

14.      Pour autant qu’ils sont pertinents pour la présente affaire, l’article 22 bis, l’article 78 bis, paragraphes 2 et 3, l’article 78 ter, paragraphe 2, et l’article 167, paragraphe 1, de l’Eisenbahngesetz (loi autrichienne sur les chemins de fer – EisbG) de 1957, insérés dans cette loi par une loi fédérale publiée au (BGBl. I, no 25/2010, disposent:

«Conditions d’indemnisation

Article 22 bis

(1)      Les tarifs pour la prestation de services de transport ferroviaire sur les voies principales et le réseau secondaire doivent contenir également les conditions d’indemnisation pour l’application des règles sur le remboursement des billets en vertu de l’article 2 de la loi fédérale relative au règlement (CE) no 1371/2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires [Bundesgesetz zur Verordnung (EG) Nr. 1371/2007 über die Rechte und Pflichten der Fahrgäste im Eisenbahnverkehr, BGBl. I, 25/2010], et conformément à l’article 17 du règlement [no 1371/2007].

[...]

Organisme d’arbitrage

Article 78 bis

[…]

(2)      Sans préjudice de la compétence des juridictions ordinaires ou des administrations, les collectivités territoriales, les représentations d’intérêts et les clients peuvent, au titre de l’article 22 bis, saisir la Schienen-Control GmbH de plaintes relatives à des violations de dispositions applicables du règlement (CE) no 1371/2007 ou à la présence dans les conditions d’indemnisation de dispositions inexactes ou inacceptables pour les voyageurs.

(3)      Pour les plaintes déposées au titre des paragraphes 1 et 2, la Schienen‑Control GmbH doit s’efforcer de trouver une solution à l’amiable entre les parties. À défaut, elle doit communiquer son point de vue aux parties et peut présenter une recommandation, qui n’a aucun caractère contraignant et ne peut être attaquée en justice, au sujet du règlement de l’affaire. La Schienen-Control GmbH doit arrêter des lignes directrices pour la procédure au titre des paragraphes 1 et 2 et elle doit les publier sur son site Internet. Les entreprises concernées sont tenues de coopérer et de présenter, sur demande de la Schienen‑Control GmbH, toutes les informations et tous les documents nécessaires pour apprécier les faits visés dans la plainte.

[...]

Nullité des conditions d’indemnisation

Article 78 ter

[…]

(2)      La Schienen-Control Kommission (commission de contrôle ferroviaire) doit d’office:

1.      […]

2.      déclarer la nullité totale ou partielle des conditions d’indemnisation au titre du règlement (CE) no 1371/2007 si l’entreprise ferroviaire ne les fixe pas d’après les critères de l’article 17 du règlement (CE) no 1371/2007.

[...]

Article 167

Commet une infraction administrative et doit être sanctionné par l’administration régionale d’une amende pouvant aller jusqu’à 2 180 euros

1.       quiconque ne publie pas de conditions d’indemnisation conformément à l’article 22 bis, paragraphe 1,

[…]»

III – Le litige au principal et les questions préjudicielles

15.      ÖBB-Personenverkehr AG, la partie requérante au principal, est une entreprise ferroviaire au sens de l’article 3, point 1, du règlement no 1371/2007.

16.      Dans ses tarifs relatifs à la prestation de services de transport ferroviaire, ÖBB-Personenverkehr AG applique des conditions générales incluant des stipulations sur l’indemnisation relative au prix du billet dans les hypothèses visées à l’article 17 du règlement no 1371/2007 (conditions d’indemnisation).

17.      Par décision du 6 décembre 2010, la Schienen-Control Kommission a contraint ÖBB-Personenverkehr AG à modifier ses conditions d’indemnisation. Plus précisément, elle l’a obligée à supprimer la disposition suivante, aux termes de laquelle le droit à indemnisation ou remboursement des frais en cas de retard des trains est exclu dans les cas suivants:

–        faute du voyageur; 

–        comportement d’un tiers que le transporteur, en dépit de la diligence nécessaire selon les particularités de l’espèce, ne pouvait pas éviter et aux conséquences duquel il ne pouvait pas obvier; 

–        existence d’une circonstance extérieure à l’exploitation ferroviaire que le transporteur, en dépit de la diligence nécessaire selon les particularités de l’espèce, ne pouvait pas éviter et aux conséquences de laquelle il ne pouvait pas obvier; 

–        limitations de circulation à la suite d’une grève, lorsque le voyageur en a été convenablement informé, et 

–        retard dû à des prestations de transport qui ne font pas partie du contrat de transport.

18.      ÖBB-Personenverkehr AG a saisi la juridiction de renvoi d’un recours contre la décision de la Schienen-Control Kommission. Elle a fait essentiellement valoir que, en raison des limites découlant de l’article 78 ter, paragraphe 2, de l’EisbG, la défenderesse au principal n’était pas habilitée à ordonner une modification de ses conditions contractuelles. Selon la décision de renvoi, ÖBB‑Personenverkehr AG a également observé que l’exclusion de l’indemnisation pour cause de force majeure serait permise dans le cadre du règlement no 1371/2007 et que, de surcroît, le droit d’invoquer la force majeure serait reconnu en tant que principe général du droit de l’Union.

19.      Pour statuer, la juridiction de renvoi a estimé qu’elle devait commencer par déterminer l’étendue des pouvoirs de l’organisme désigné pour appliquer le règlement no 1371/2007, au sens de l’article 30 de celui-ci, avant de clarifier si une situation de force majeure peut exonérer une entreprise ferroviaire de verser une indemnisation relative au prix d’un billet au sens de l’article 17 du règlement no 1371/2007.

20.      Dans ce contexte, le Verwaltungsgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour, au titre de l’article 267 TFUE, les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 30, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 1371/2007 doit‑il être interprété en ce sens que l’organisme national chargé de l’application de ce règlement est habilité à prescrire de manière contraignante à une entreprise ferroviaire dont les conditions d’indemnisation pour le remboursement du prix du billet ne correspondent pas aux critères fixés à l’article 17 de ce règlement, le contenu concret des conditions d’indemnisation à utiliser par cette entreprise, même lorsque le droit national lui accorde seulement la possibilité de déclarer la nullité de telles conditions? 

2)      L’article 17 du règlement no 1371/2007 doit-il être interprété en ce sens qu’une entreprise ferroviaire peut exclure l’obligation de remboursement du prix du billet en cas de force majeure, soit par une application par analogie des motifs d’exclusion prévus dans les règlements [...] no 261/2004, [...] no 1177/2010 et [...] no 181/2011, soit en étendant aussi aux cas de remboursement du prix des billets les exonérations de responsabilité prévues à l’article 32, paragraphe 2, des règles uniformes de la convention relative aux transports internationaux ferroviaires des voyageurs et des bagages (CIV, annexe I du règlement [no 1371/2007])?»

21.      Des observations écrites ont été reçues de ÖBB‑Personenverkehr AG, de la Schienen-Control Kommission, des gouvernements autrichien, allemand et suédois ainsi que de la Commission. Les mandataires d’ÖBB-Personenverkehr AG et de la Schienen-Control Kommission ainsi que les agents des gouvernements allemand et italien et de la Commission ont pris part à l’audience du 22 novembre 2012.

22.      Je commencerai par répondre à la seconde question, car cette réponse aura un impact sur la première question et parce que la seconde question est plus intéressante pour le droit de l’Union en matière de transports et de protection des consommateurs. La seconde question aborde le problème de la force majeure en tant qu’elle exige de considérer si, dans une interprétation correcte de l’article 17 du règlement no 1371/2007, ÖBB-Personenverkehr AG peut se fonder sur cet article pour introduire une restriction de responsabilité dans ses conditions générales et dans ses conditions de vente de billets de transport ferroviaire. Si la réponse à la seconde question était affirmative, la première question deviendrait hypothétique, parce que la mesure prise par la Schienen-Control Kommission dans ce qu’elle considère être l’exercice de pouvoirs découlant de l’article 30 du règlement no 1371/2007 serait nécessairement incompatible avec une interprétation de l’article 17 du règlement no 1371/2007 dispensant les entreprises ferroviaires de payer une indemnisation relative au prix du billet en cas de force majeure.

IV – Analyse

A –    Réponse à la seconde question

23.      J’observe d’emblée qu’il n’y a rien dans le texte du règlement no 1371/2007 qui limite la responsabilité d’entreprises ferroviaires au titre de l’article 17 de celui-ci en ce qui concerne le remboursement du prix du billet en cas de force majeure. Cependant, ainsi que la juridiction de renvoi l’observe dans la seconde question, cette possibilité pourrait se présenter soit dans le cadre d’une application par analogie des causes d’exonération prévues à l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, à l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1177/2010 et à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 181/2011 ou en tenant compte des exonérations de responsabilité prévues à l’article 32, paragraphe 2, du CIV, qui est inclus dans l’annexe au règlement no 1371/2007, dont il fait donc partie intégrante, et qui concerne également l’indemnisation pour des interruptions imprévues de voyages en train. En outre, comme je l’ai déjà mentionné, il a été soutenu que la force majeure constitue un principe général reconnu dans le droit de l’Union.

1.      Sur l’article 32, paragraphe 2, du CIV

24.      Concernant l’article 32, paragraphe 2, du CIV, je pense – contrairement aux thèses défendues dans les observations écrites de l’ÖBB-Personenverkehr AG, du gouvernement allemand et de la Commission – que le règlement no 1371/2007 n’établit pas de lien entre la responsabilité incombant aux entreprises ferroviaires au titre de l’article 17 de ce règlement en matière de remboursement du prix du billet et les règles d’indemnisation figurant à l’article 32 du CIV, tel qu’il est annexé au règlement no 1371/2007.

25.      Ainsi que le gouvernement suédois le souligne dans ses observations écrites, l’article 32, paragraphe 2, du CIV exonère les transporteurs confrontés à des circonstances échappant à leur contrôle de l’obligation d’indemniser le type de préjudice visé au paragraphe 1 du même article, et seul celui-là. Il comprend «les frais raisonnables d’hébergement ainsi que les frais raisonnables occasionnés par l’avertissement des personnes attendant le voyageur» dans des cas où la perte ou le dommage découle du fait que, en raison de l’annulation, du retard ou de la correspondance manquée, un voyageur ne peut poursuivre son voyage le même jour ou que l’on ne peut raisonnablement exiger de lui qu’il le poursuive.

26.      La clause de force majeure figurant à l’article 32, paragraphe 2, du CIV vient donc restreindre l’obligation d’indemniser les voyageurs par rail du dommage visé audit article 32, paragraphe 1, qui n’inclut pas le prix du billet payé pour un service annulé ou fourni avec retard. L’article 32, paragraphe 1, du CIV se réfère uniquement aux frais d’hébergement et d’avertissement.

27.      Je me rallie donc à l’approche adoptée dans les observations écrites du gouvernement suédois, selon laquelle toute limitation de l’indemnisation du prix du billet, en cas de retard au sens de l’article 17 du règlement no 1371/2007, est régie de façon exhaustive par cette seule disposition. Cet article 17, paragraphe 1, limite la responsabilité de l’entreprise ferroviaire en déclarant que le «calcul de la durée du retard ne tient pas compte des retards dont l’entreprise ferroviaire peut prouver qu’ils se sont produits en dehors des territoires dans lesquels le traité instituant la Communauté européenne est d’application». Ledit article 17, paragraphe 4, ajoute que le voyageur n’a droit à aucune indemnisation s’il a été «informé du retard avant d’acheter le billet ou si le retard imputable à la poursuite du voyage à bord d’un autre train ou à un réacheminement reste inférieur à soixante minutes».

28.      Je ne suis pas d’accord avec les arguments d’ÖBB-Personenverkehr AG, de la République fédérale d’Allemagne et de la Commission, selon lesquels le CIV, et plus précisément son article 32, paragraphe 2, serait pertinent en raison du considérant 14 et de l’article 15 du règlement no 1371/2007. Sous l’intitulé «Responsabilité en matière de retards, de correspondances manquées et d’annulations», cet article 15 dispose que «[s]ous réserve des dispositions du présent chapitre, la responsabilité des entreprises ferroviaires en ce qui concerne les retards, les correspondances manquées et les annulations est régie par le titre IV, chapitre II, de l’annexe I», tandis que ledit considérant 14 déclare «souhaitable» que le système d’indemnisation établi au titre du règlement no 1371/2007 soit placé sur la même base que, entre autres, le CIV. Cependant, les mots «Sous réserve des dispositions du présent chapitre» subordonnent l’article 15 du règlement no 1371/2007, et donc le CIV, aux règles explicites de l’article 17 dudit règlement. En outre, je ne puis accepter une interprétation du considérant 14 de celui-ci qui diminuerait, par recours au CIV, le niveau de protection offert par le règlement no 1371/2007, que ce soit dans ledit article 17 ou ailleurs.

29.      En outre, l’article 32, paragraphe 3, du CIV renvoie la question du remboursement du prix du billet au droit national, ce qui revient en l’espèce à renvoyer à l’article 17 du règlement no 1371/2007. Selon l’article 32, paragraphe 3, du CIV, le droit national «détermine si et dans quelle mesure le transporteur doit verser des dommages-intérêts pour des préjudices autres que ceux prévus au paragraphe 1. Cette disposition ne porte pas atteinte à l’article 44» (6).

30.      Les préjudices «autres que ceux prévus» au paragraphe 1 de l’article 32 du CIV englobent très clairement toute forme de remboursement du prix du billet. Ce fait est indirectement reconnu dans le rapport explicatif du CIV (7). Il est précisé au point 3 de la note explicative relative à l’article 32 du CIV que la solution retenue audit article 32, paragraphe 1, reste insuffisante du point de vue des clients, dans la mesure où les retards en trafic voyageurs représentent un cas typique de mauvaise exécution du contrat de transport. Il est également mentionné que, dans de nombreux régimes juridiques, une mauvaise exécution du contrat donne droit à une diminution de la rémunération, c’est-à-dire du prix du transport dans le cas des contrats de transport de voyageurs par rail. En d’autres termes, le CIV laisse la question du remboursement du prix du billet à la charge du droit national, ce qui signifie qu’elle est exclue du champ d’application de l’exonération pour cause de force majeure prévue à l’article 32, paragraphe 2, du CIV.

2.      La force majeure prise en tant que principe général du droit

31.      Il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, en l’absence de définition législative spécifique, comme dans la présente affaire au principal, «la reconnaissance d’un cas de force majeure suppose que la cause extérieure invoquée par des sujets de droit ait des conséquences irrésistibles et inévitables au point de rendre objectivement impossible pour les personnes concernées le respect de leurs obligations [...] La notion de force majeure doit être entendue dans le sens de circonstances étrangères à l’opérateur concerné, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toutes les diligences déployées, de telle façon que des comportements des autorités publiques peuvent, selon les circonstances, constituer un cas de force majeure» (8).

32.      Cependant, avant toute appréciation du principe général ci-dessus au regard des faits, il importe de rappeler le contexte dans lequel la force majeure est invoquée en l’espèce. Dans la procédure au principal, la force majeure n’intervient pas dans les contextes «classiques» évoqués dans la jurisprudence, notamment pour étendre le délai de recours en application de l’article 45 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne (9), en tant que cause d’exonération d’une obligation contractuelle (10) ou en vue de l’interprétation de dispositions spécifiques de la législation de l’Union prévoyant des cas de force majeure ou des circonstances équivalentes. Dans ce dernier contexte, la Cour a constamment jugé que, «la notion de force majeure n’ayant pas un contenu identique dans les divers domaines d’application du droit de l’Union, sa signification doit être déterminée en fonction du cadre légal dans lequel elle est destinée à produire ses effets» (11).

33.      En fait, il semblerait que, dans le présent litige au principal, la notion de force majeure au sens de la législation de l’Union soit invoquée de façon quelque peu originale. La juridiction nationale veut savoir si le principe général de droit de l’Union relatif à la force majeure signifie que le règlement no 1371/2007, ou du moins son article 17, doit être interprété de telle sorte qu’ÖBB-Personenverkehr AG aurait le droit de refuser de verser une indemnisation relative au prix du billet dans un tel cas de force majeure. Cet argument a été lancé en dépit du fait que ni la force majeure ni aucune circonstance équivalente ne sont mentionnées à cet article 17 ou, comme je l’ai expliqué, dans des passages du règlement no 1371/2007 qui seraient pertinents pour interpréter ledit article 17.

34.      Une telle interprétation de l’article 17 du règlement no 1371/2007 est, à mes yeux, impossible à la lumière des objectifs du règlement no 1371/2007, pris en tant que mesure de protection du consommateur.

35.      À titre d’exemple, le considérant 1 du règlement no 1371/2007 énonce entre autres qu’il importe de sauvegarder les droits des voyageurs ferroviaires, tandis que le considérant 2 de ce règlement fait référence au fait que la communication de la Commission intitulée «Stratégie pour la politique des consommateurs 2002‑2006» fixe l’objectif d’un niveau élevé de protection des consommateurs dans le domaine des transports. Le considérant 3 dudit règlement souligne que, le voyageur ferroviaire étant la partie faible du contrat de transport, il convient de sauvegarder ses droits à cet égard, tandis que le considérant 6 de celui-ci appelle notamment à renforcer les droits des voyageurs par rail. Le même principe juridique sous-tend l’article 6 du règlement no 1371/2007, qui établit le caractère contraignant des obligations que ce règlement institue en faveur des voyageurs.

36.      Comme le règlement no 1371/2007 est une mesure visant à renforcer la protection des consommateurs, ses dispositions doivent, en cas d’ambiguïté, être interprétées au regard de son objectif. Cela implique que les restrictions à la responsabilité des entreprises ferroviaires soient appliquées strictement et que leur portée ne puisse être élargie par voie d’interprétation au détriment des consommateurs (12). Le même impératif exclut, incidemment, toute analogie avec le rôle de la force majeure dans l’article 32, paragraphe 2, du CIV, tel que je l’ai analysé aux points 24 à 30 ci-dessus.

37.      Par ailleurs, je suis d’avis que la portée de la notion de force majeure et ses effets en droit de la protection des consommateurs dépendent avant tout du législateur. Comme relevé ci-dessus, en droit de l’Union, la signification de la notion de force majeure doit être déterminée en fonction du cadre légal dans lequel elle est destinée à produire ses effets. Il n’y a donc rien de surprenant aux divergences existant dans la législation de l’Union quant aux conséquences de la force majeure et cela explique la distinction faite dans le règlement no 1371/2007 entre l’indemnisation relative au prix du billet au titre de l’article 17 de ce règlement et l’indemnisation des pertes et dommages causés par la mauvaise exécution du contrat de transport de voyageurs au titre des dispositions du CIV figurant dans l’annexe dudit règlement. En d’autres termes, si le législateur de l’Union avait voulu limiter l’applicabilité de l’article 17 du règlement no 1371/2007 en cas de force majeure, il l’aurait clairement indiqué dans le texte de ce règlement.

38.      Contrairement aux arguments développés par la République fédérale d’Allemagne lors de l’audience, j’estime qu’il n’y a rien d’incohérent dans le fait que les voyageurs n’ont pas droit à une indemnisation pour frais d’hébergement dans une situation où la force majeure a provoqué un long retard, alors qu’ils gardent un droit au remboursement du prix du billet pour des retards pourtant moindres. Le législateur a pu considérer comme approprié de protéger les entreprises ferroviaires contre des actions en indemnisation imprévisibles, fondées sur des préjudices dus à la force majeure, tout en leur interdisant de garder l’intégralité de la rémunération d’un service qu’elles n’ont pas été en mesure de fournir correctement. C’est là une question de politique et non de logique juridique.

3.      Application par analogie de règles relatives à la force majeure dans les règlements no 261/2004, no 1177/2010 et no 181/2011

39.      Je n’accepte pas non plus les arguments développés par ÖBB‑Personenverkehr AG et par la Commission pour soutenir que les entreprises ferroviaires peuvent échapper à leur obligation de verser une indemnisation relative au prix du billet en cas de force majeure, par analogie avec les causes d’exonération prévues à l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, à l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1177/2010, et à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 181/2011, pour respectivement les transports par avion, par bateau et par autobus ou autocar.

40.      Je prends acte du fait que, comme indiqué au point 31 des présentes conclusions, la conception de la force majeure propre à l’Union implique des «circonstances anormales et imprévisibles». Toutefois, dans le contexte de contrats de transport ferroviaire de voyageurs, les causes les plus fréquentes d’intervention de la force majeure, à savoir les conditions climatiques, le mauvais état de l’infrastructure ferroviaire et les conflits du travail, ont en fait une fréquence statistique prévisible, même si leurs occurrences individuelles ne peuvent être prédites avec certitude. Autrement dit, les entreprises ferroviaires savent à l’avance qu’elles vont sans doute se produire (13). Cela signifie également qu’elles peuvent donc être prises en compte lors du calcul du prix du billet.

41.      La Cour a au demeurant jugé cette année-ci que le législateur de l’Union a pu instaurer des règles prévoyant un niveau de protection du consommateur divergeant selon le secteur de transport concerné. Dans l’arrêt McDonagh, précité, où elle a fait droit à un recours contre le refus d’une compagnie aérienne d’assurer la prise en charge exigée par l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004 à la suite de l’annulation d’un vol en raison de l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull, la Cour a rejeté les arguments soutenant qu’imposer une obligation de prise en charge aux transporteurs aériens enfreindrait le principe d’égalité de traitement, parce que cette obligation ne pèse pas sur d’autres modes de transport, comme le transport par rail au titre du règlement no 1371/2007, le transport par bateau au titre du règlement no 1177/2010 et le transport par autobus ou autocar au titre du règlement no 181/2011 (14). Pour justifier la différence de traitement, la Cour a considéré que «la situation des entreprises intervenant dans le secteur d’activité des différents modes de transport n’est pas comparable dans la mesure où, compte tenu de leurs modalités de fonctionnement, des conditions de leur accessibilité et de la répartition de leurs réseaux, ces différents modes de transport ne sont pas, quant à leurs conditions d’utilisation, interchangeables» (15).

42.      Sur cette base, une juste répartition du risque (16) permet d’exclure toute clause contractuelle imposant à un voyageur de payer l’intégralité d’un service de transport ferroviaire qui n’a pas été fourni en bonne et due forme en raison d’une situation de force majeure.

43.      Pour ces raisons, je propose de répondre à la seconde question en ce sens que l’article 17 du règlement no 1371/2007 doit être interprété comme signifiant qu’une entreprise ferroviaire ne peut s’exonérer de l’obligation prévue à cet article de verser une indemnisation relative au prix du billet en cas de force majeure.

B –    La réponse à la première question

44.      Par la première question, la juridiction de renvoi veut savoir si l’article 30, paragraphe 1, du règlement no 1371/2007 doit être interprété en ce sens que l’organisme national chargé de l’application de ce règlement est habilité à prescrire de manière contraignante à une entreprise ferroviaire dont les conditions d’indemnisation pour le remboursement du prix du billet ne correspondent pas aux critères fixés à l’article 17 dudit règlement, le contenu concret des conditions d’indemnisation à utiliser par cette entreprise, même lorsque le droit national lui accorde seulement la possibilité de déclarer la nullité de telles conditions.

45.      Je rappelle que, selon l’article 30, paragraphe 1, du règlement no 1371/2007, chaque organisme national responsable de l’application dudit règlement doive veiller à ce que les droits des voyageurs soient respectés.

46.      Il est constant que, si les règlements de l’Union sont directement applicables et produisent en règle générale un effet direct dans les systèmes juridiques nationaux, la Cour a apporté certaines restrictions à leurs effets lorsque les autorités de l’État membre gardent une mesure de pouvoir discrétionnaire pour adopter des mesures d’application.

47.      Il a été jugé dans l’affaire SGS Belgium e.a. (17), que les articles 5 et 7 du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (18), ne peuvent constituer le seul fondement pour imposer une sanction administrative au titre du droit national, dès lors qu’ils se «bornent à établir les règles générales de contrôles et de sanctions dans un but de protection des intérêts financiers de l’Union» (19). La Cour a également rappelé le principe général de droit de l’Union, désormais consacré à l’article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), selon lequel, «conformément au principe de la légalité des délits et des peines, [...] aucune sanction administrative ne peut être prononcée tant qu’un acte de l’Union antérieur à l’irrégularité ne l’a pas instaurée» (20), et «une sanction, même de caractère non pénal, ne peut être infligée que si elle repose sur une base légale claire et non ambiguë» (21). Partant, la Cour ne devrait pas se hâter de conclure que l’article 30 du règlement no 1371/2007 apporte à la Schienen-Control Kommission un fondement juridique suffisant pour énoncer la prescription contestée devant la juridiction nationale, alors que ce pouvoir ne lui est pas reconnu par le droit national.

48.      Il est vrai que, selon la jurisprudence Costanzo, la Cour a constamment jugé que, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation et à une application de la réglementation nationale conforme aux exigences du droit de l’Union, «les juridictions nationales et les organes de l’administration ont l’obligation d’appliquer intégralement le droit de l’Union et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire du droit interne» (22).

49.      Selon le dossier, l’affaire est parvenue au Verwaltungsgerichtshof à l’occasion d’une procédure administrative lors de laquelle la Schienen-Control Kommission avait voulu modifier les conditions d’indemnisation des billets de voyage ferroviaire vendus par ÖBB-Personenverkehr AG. Les questions posées lors de l’audience par les juges de la chambre ont permis de préciser que la Schienen-Control Kommission a deux types de fonctions.

50.      Premièrement, dans des situations comme celles qui se sont présentées par l’affaire Westbahn Management (23). elle a agi en tant qu’organe administratif quasi juridictionnel dans le contexte d’une procédure contentieuse opposant deux parties. Ainsi que la Cour l’a confirmé dans cette affaire, elle présente les caractéristiques nécessaires en termes d’indépendance et de composition pour remplir les critères de la jurisprudence en la matière.

51.      Toutefois, dans la présente affaire au principal, la Schienen-Control Kommission joue le rôle d’une autorité administrative investie des tâches de l’organisme national compétent pour la mise en œuvre du règlement no 1371/2007.

52.      Plus précisément, conformément à l’article 78 bis de l’EisbG, l’organe autrichien de supervision des activités ferroviaires, la Schienen-Control GmbH, qui a la forme d’une société à responsabilité limitée, sert de médiateur entre les voyageurs et les compagnies ferroviaires en ce qui concerne l’application du règlement no 1371/2007.

53.      Aux termes de l’article 78 bis, paragraphe 2, de l’EisbG, les plaintes présentées par les voyageurs au titre de l’article 30, paragraphe 2, du règlement no 1371/2007 sont adressées à Schienen-Control GmbH. Elles peuvent également être présentées par des associations et par certains organismes publics. Schienen‑Control GmbH peut adopter des recommandations non contraignantes sur la question. La compétence de Schienen-Control GmbH s’entend sans préjudice des compétences des juridictions ordinaires ou des administrations. Cela signifie qu’un voyageur peut entamer une procédure civile contre l’entreprise ferroviaire et demander réparation pour l’application de conditions d’indemnisation qu’il juge incompatibles avec le droit de l’Union.

54.      Conformément à l’article 78 ter, paragraphe 1, de l’EisbG, lorsque la médiation n’aboutit pas à une solution à l’amiable, Schienen-Control GmbH informe la Schienen-Control Kommission.

55.      La Schienen-Control Kommission peut, au titre de l’article 78 ter, paragraphe 2, de l’EisbG, déclarer d’office la nullité totale ou partielle des conditions d’indemnisation d’un contrat adoptées par l’entreprise ferroviaire aux fins de l’article 17 du règlement no 1371/2007.

56.      L’entreprise ferroviaire peut faire appel de cette décision devant le Verwaltungsgerichtshof. La Schienen-Control Kommission joue alors le rôle de partie défenderesse dans la procédure judiciaire. Partant, dans un tel contexte, la Schienen-Control Kommission ne peut être considérée comme une juridiction, puisqu’elle est en réalité la partie adverse dans le litige avec ÖBB‑Personenverkehr AG (24).

57.      Partant, quelle que puisse être la portée de l’obligation imposée par la jurisprudence Costanzo, précitée, aux autorités administratives «d’appliquer intégralement [le droit de l’Union] et de protéger les droits qu’il confère aux particuliers, en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire du droit interne» (25), elle ne peut aller jusqu’à obliger ces autorités à se conformer à la jurisprudence de la Cour relative à la mise en place de recours judiciaires efficaces pour garantir la mise en œuvre des droits conférés par l’Union.

58.      En outre, dans la présente affaire au principal, la Schienen-Control Kommission ne serait pas tenue de «laisser inappliquée» une législation nationale, mais devrait exercer une compétence non prévue par le droit autrichien. En d’autres termes, la prescription que la Schienen-Control Kommission souhaite adopter ne serait pas un substitut à la déclaration visée à l’article 78 ter de l’EisbG, mais compléterait celle-ci en imposant une obligation additionnelle à l’entreprise ferroviaire.

59.      Compte tenu des principes ci-dessus et des termes de l’article 30, paragraphe 1, du règlement no 1371/2007, il est à mes yeux impossible d’interpréter cette disposition comme habilitant la Schienen-Control Kommission à adresser à des entreprises ferroviaires comme ÖBB-Personenverkehr AG des prescriptions spécifiques au sujet de modifications à apporter à leurs conditions d’indemnisation. Un tel pouvoir exigerait d’attribuer à l’autorité une compétence administrative spécifique, un peu à la façon de la règle selon laquelle les sanctions administratives doivent être fondées sur des bases juridiques claires et spécifiques. De fait, l’article 30 du règlement no 1371/2007 est libellé de façon encore plus générale que les articles 5 et 7 du règlement no 2988/95, qui ont été examinés dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt SGS Belgium e.a., précité, et qui, comme je l’ai déjà mentionné, ont été considérés par la Cour comme un fondement insuffisant pour imposer une sanction administrative.

60.      C’est pourquoi je propose de répondre à la première question que l’article 30, paragraphe 1, du règlement no 1371/2007 doit être interprété en ce sens que l’organisme national chargé de l’application de ce règlement n’est pas habilité à prescrire de manière contraignante à une entreprise ferroviaire dont les conditions d’indemnisation ne correspondent pas aux critères fixés à l’article 17 dudit règlement, le contenu concret des conditions d’indemnisation à utiliser par cette entreprise, même lorsque le droit national lui accorde seulement la possibilité de déclarer la nullité de telles conditions.

C –    Observations complémentaires

61.      Toutefois, à mon avis, la réponse à la première question doit être complétée aux fins d’une appréciation exhaustive des principes juridiques en cause. Cela exige de commencer par une analyse plus approfondie des obligations découlant pour ÖBB-Personenverkehr AG du règlement no 1371/2007 et du rôle du Verwaltungsgerichtshof.

62.      En substance, le vrai problème est ici l’absence apparente de lois nationales suffisamment «musclées» pour garantir l’application effective de l’article 17 du règlement no 1371/2007. Selon la décision de renvoi et les observations de la Schienen-Control Kommission, si cette dernière déclare la nullité des conditions d’indemnisation pratiquées par ÖBB-Personenverkehr AG, celle-ci se bornera à réadopter des conditions similaires. Il en résulte un jeu de «ping-pong» entre le régulateur et l’entreprise ferroviaire.

63.      Cependant, même si cette situation peut faire soupçonner que la bonne application du règlement no 1371/2007 n’est pas garantie en Autriche en raison de certains manques dans les pouvoirs conférés par le droit autrichien à la Schienen‑Control Kommission, et notamment en raison de l’absence de sanctions appropriées, il y a une limite à ce qui peut être fait dans le cadre de la présente procédure pour remédier à cela. Comme il ne s’agit pas ici d’une procédure en manquement introduite contre la République d’Autriche par la Commission, et compte tenu des problèmes de preuve évidents, je ne me vois pas en mesure d’aller plus loin dans l’analyse de cette question. Même ainsi, il reste que certains principes du droit de l’Union méritent d’être pris en considération et lient ÖBB‑Personenverkehr AG et la juridiction de renvoi. Ces principes ont également leur pertinence pour l’application de l’article 17 du règlement no 1371/2007.

1.      Obligations d’ÖBB-Personenverkehr AG

64.      Selon les règles de l’Union concernant les effets juridiques des règlements sur la législation de l’État membre, ÖBB-Personenverkehr AG doit se conformer aux obligations imposées par l’article 17 du règlement no 1371/2007, parce que, à la différence de l’article 30 de ce règlement, il ne laisse à l’État membre aucune marge de pouvoir discrétionnaire et aucune possibilité d’adopter des mesures nationales de mise en œuvre (26). En d’autres termes, l’existence d’obligations juridiques que l’article 17 du règlement no 1371/2007 impose à ÖBB‑Personenverkehr AG à l’égard des voyageurs par rail ne dépend en aucune façon de l’existence de sanctions ou de voies de recours au niveau national.

65.      Il est également bien établi que des dispositions réglementaires directement applicables, telles que l’article 17 du règlement no 1371/2007, peuvent faire l’objet d’une mise en œuvre horizontale, dans le cadre de procédures judiciaires opposant des opérateurs du secteur privé (27).

66.      Cela signifie que ÖBB-Personenverkehr AG est juridiquement tenue par l’article 17 du règlement no 1371/2007 et que des voyageurs peuvent invoquer cette disposition dans tout procès civil introduit contre ÖBB-Personenverkehr AG à propos d’une indemnisation relative au prix du billet. J’observe que, conformément à l’article 78 bis, paragraphe 2, de l’EisbG, les compétences des juridictions ordinaires ne sont pas affectées par la procédure particulière impliquant Schienen-Control GmbH et, finalement, la Schienen-Control Kommission.

67.      Je réalise que le procès civil peut ne pas être une alternative praticable pour des consommateurs qui veulent récupérer le prix du billet pour des voyages interrompus par un cas de force majeure. Cela s’explique notamment par les faibles montants en cause et par le coût relativement élevé d’un tel procès. Toutefois, à mes yeux, tout aménagement éventuel des actions disponibles au civil pour la mise en œuvre du règlement no 1371/2007 ressortit au champ d’action du législateur autrichien. On ne saurait donc affirmer que le droit autrichien ne prévoirait pas d’accès aux tribunaux pour défendre les droits conférés par la législation de l’Union que les voyageurs tirent de l’article 17 du règlement no 1371/2007 (28).

2.      La position du Verwaltungsgerichtshof

68.      La Cour a constamment jugé que, en l’absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union (29). Le Verwaltungsgerichtshof est incontestablement une «juridiction», au sens du droit de l’Union, et il est tenu par toutes les obligations s’imposant aux juridictions des États membres à ce titre. Partant, conformément à l’article 4, paragraphe 3, TUE (ex article 10 CE), il doit «prendre toutes les mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution» des droits individuels conférés par les règlements. Il est également bien établi qu’une juridiction comme le Verwaltungsgerichtshof doit «assurer la protection juridique découlant pour les justiciables des dispositions du droit communautaire et [...] garantir le plein effet de celles-ci» (30).

69.      Ainsi que la Commission le souligne dans ses observations écrites, lorsqu’une situation de «ping-pong» entre l’organisme national d’exécution et l’entreprise ferroviaire, comme celle décrite ci-dessus au point 62, compromet l’application des principes d’indemnisation du règlement no 1371/2007, il appartient aux juridictions autrichiennes de dire s’il y a lieu d’écarter l’application des dispositions pertinentes de l’EisbG.

70.      Je réalise bien que la Cour n’a pas été interrogée par le Verwaltungsgerichtshof sur ses propres obligations en termes de sanctions. Cela signifie notamment que la Cour n’a pas été invitée à résoudre un problème du genre Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral et/ou Comet, où une règle de procédure nationale s’oppose à l’exécution d’une mesure directement applicable de l’Union (31). La Cour n’a pas non plus été invitée à examiner une question analogue à celle déférée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Unibet, qui concernait notamment l’existence ou non d’une obligation pour des juridictions nationales d’élaborer une nouvelle voie de recours en vue de la mise en œuvre d’une mesure de l’Union directement applicable, afin de compléter les sanctions prévues par le droit national (32). La question posée dans la procédure au principal est plutôt cantonnée aux pouvoirs de la Schienen-Control Kommission, un organisme que j’ai qualifié d’administratif au regard des fonctions qu’il a assumées dans la présente affaire au principal. Cependant, compte tenu du fait que le litige au principal doit être tranché par le Verwaltungsgerichtshof en sa qualité de juridiction administrative, la question des voies de recours qu’il doit offrir en vertu du droit de l’Union devient forcément pertinente.

71.      Comme je l’ai déjà mentionné, j’estime que, en l’absence de règle de procédure autrichienne qui serait incompatible avec la jurisprudence Rewe‑Zentralfinanz et Rewe-Zentral, précitée, et la jurisprudence Comet, précitée, ou en l’absence de problème lié à la possibilité d’obtenir le prononcé de mesures provisoires (33), le droit de l’Union ne fait peser, dans la présente procédure, aucune obligation sur le Verwaltungsgerichtshof de donner accès à une voie de recours qui irait au-delà de ce à quoi il est habilité en vertu du droit autrichien (34). Ni la jurisprudence de la Cour sur la protection juridictionnelle effective ni les obligations résultant de l’article 47 de la Charte (35) n’imposent au Verwaltungsgerichtshof d’aller au-delà. Il y a deux raisons à cela.

72.      Premièrement, aucun voyageur par rail n’est partie à la procédure au principal. En réalité, la mise en œuvre des droits conférés par l’article 17 du règlement no 1371/2007 est demandée par un organisme administratif, la Schienen-Control Kommission, contre une société, ÖBB-Personenverkehr AG. C’est cette dernière qui demande une protection juridictionnelle contre une décision administrative qui, selon elle, excède le champ des compétences de l’autorité et est incorrecte quant au fond.

73.      L’article 30, paragraphe 2, du règlement no 1371/2007 donne certes aux voyageurs le droit de présenter une plainte à l’organisme compétent désigné au paragraphe 1 du même article, ce qui a été fait en Autriche par l’entremise de la Schienen-Control GmbH, mais ce règlement ne va pas au-delà, excepté en ce qui concerne l’obligation pesant sur les États membres au titre de l’article 32 dudit règlement d’imposer des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives (36).

74.      Selon moi, cela signifie que la mise en œuvre administrative du règlement no 1371/2007 ne protège les droits des passagers qu’indirectement, jetant ainsi le doute quant au point de savoir si la jurisprudence de la Cour sur les droits individuels et les conséquences que cette situation a pour une protection juridictionnelle effective est applicable à la procédure entre une autorité administrative comme la Schienen-Control Kommission et une entité qui est soumise à la supervision de cette dernière, comme ÖBB-Personenverkehr AG.

75.      Deuxièmement, en toute hypothèse, la jurisprudence de la Cour sur les recours effectifs n’impose pas aux juridictions administratives d’agir contre le principe interdisant la reformatio in pejus ou de prononcer des injonctions que le droit national ne leur permet pas (37), à l’exception des mesures provisoires visant à protéger la mise en œuvre de mesures de l’Union jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue (38). Arrivé à ce point, j’aimerais citer les constatations faites par la Cour aux points 40 et 41 de son arrêt Unibet, précité. Ce sont les suivantes:

«40.      En effet, si le traité CE a institué un certain nombre d’actions directes qui peuvent être exercées, le cas échéant, par des personnes privées devant le juge communautaire, il n’a pas entendu créer devant les juridictions nationales, en vue du maintien du droit communautaire, des voies de droit autres que celles établies par le droit national (arrêt du 7 juillet 1981, Rewe[-Handelsgesellschaft Nord et Rewe-Markt Steffen], 158/80, Rec. p. 1805, point 44).

41.      Il n’en irait autrement que s’il ressortait de l’économie de l’ordre juridique national en cause qu’il n’existe aucune voie de recours permettant, même de manière incidente, d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt [Rewe-Zentralfinanz et Rewe‑Zentral], précité, point 5, et arrêts précités Comet, point 16, ainsi que Factortame e.a., points 19 à 23).»

76.      Il me semble que le droit autrichien offre des voies de recours, tant directes qu’indirectes, pour permettre aux voyageurs par train de contester le respect par la République d’Autriche du règlement no 1371/2007 (39). Dans la présente affaire au principal, on n’a au demeurant pas envisagé l’hypothèse où des voyageurs par train, voire la Schienen-Control Kommission elle-même, se verraient refuser l’accès au juge, qui est au cœur des principes établis par la Cour sous la rubrique de la protection juridictionnelle effective.

77.      Par ailleurs, il est établi que, lorsqu’un État membre a, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire «de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire» (40), laissé ouverte la possibilité d’invoquer un argument tiré du non-respect du principe d’effectivité, l’obligation imposée par le droit de l’Union aux juridictions nationales est uniquement «d’interpréter les règles internes de compétence dans toute la mesure du possible d’une manière telle qu’elles contribuent à la mise en œuvre de l’objectif consistant à garantir une protection juridictionnelle effective des droits que peuvent tirer les justiciables du droit communautaire» (mis en italiques par mes soins) (41).

78.      Il y a une autre raison importante pour laquelle le pouvoir des juridictions d’adresser aux autorités administratives des injonctions autres que des mesures provisoires ne peut être considéré comme faisant partie du principe général de protection juridictionnelle effective. Aucune telle compétence n’a jamais été attribuée aux juridictions de l’Union vis-à-vis des autres institutions de l’Union (42). Il est donc difficile de soutenir que l’on peut exiger plus de juridictions d’un État membre que de celles de l’Union (43).

V –    Conclusion

79.      Au vu des considérations qui précèdent, je propose de répondre aux questions préjudicielles déférées par le Verwaltungsgerichtshof dans le sens suivant:

1)      L’article 30, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires, doit être interprété en ce sens que l’organisme national chargé de l’application de ce règlement n’est pas habilité à prescrire de manière contraignante à une entreprise ferroviaire dont les conditions d’indemnisation ne correspondent pas aux critères fixés à l’article 17 de ce règlement, le contenu concret des conditions d’indemnisation à utiliser par cette entreprise, même lorsque le droit national lui accorde seulement la possibilité de déclarer la nullité de telles conditions. Toutefois, l’obligation juridique pour une entreprise ferroviaire de respecter ledit article 17, tel qu’il est interprété par les juridictions nationales compétentes et par la Cour de justice de l’Union européenne, ne dépend pas des pouvoirs de l’organisme national ou des sanctions que celui-ci peut prononcer.

2)      L’article 17 du règlement no 1371/2007 doit être interprété comme signifiant qu’une entreprise ferroviaire ne peut s’exonérer de l’obligation prévue à cet article de verser une indemnisation relative au prix du billet en cas de force majeure.


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – JO L 315, p. 14.


3 – Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91 (JO L 46, p. 1).


4 – Règlement du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 concernant les droits des passagers voyageant par mer ou par voie de navigation intérieure et modifiant le règlement (CE) n° 2006/2004 (JO L 334, p. 1).


5 – Règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant les droits des passagers dans le transport par autobus et autocar et modifiant le règlement (CE) n° 2006/2004 (JO L 55, p. 1).


6 – L’article 44 de l’annexe du règlement n° 1371/2007 traite de l’indemnisation en cas de retard dans la livraison d’un véhicule.


7 – Rapport de l’Office central relatif à la révision de la convention relative aux transports internationaux ferroviaires (COTIF) du 9 mai 1980 et rapports explicatifs relatifs aux textes adoptés par la 5e assemblée générale le 1er janvier 2011.


8 – Arrêt du 7 décembre 1993, Huygen e.a. (C‑12/92, Rec. p. I‑6381, point 31).


9 – Voir notamment, arrêt du 15 décembre 1994, Bayer/Commission (C‑195/91 P, Rec. p. I‑5619).


10 – Voir par exemple, l’arrêt Parlement/SERS (C‑167/99, Rec. 2003 p. I‑3269).


11 – Voir par exemple, l’arrêt CIVAD du 14 juin 2012 (C‑533/10, point 26 avec la jurisprudence citée).


12 – Voir notamment, par analogie, arrêts du 19 novembre 2009, Sturgeon e.a. (C‑402/07 et C‑432/07, Rec. p. I‑10923, points 43 à 45); du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann (C‑549/07, Rec. p. I‑11061, point 20); du 4 octobre 2012, Finnair (C‑22/11, point 38), et du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, non encore publié au Recueil, points 31 et 32).


13 – Voir par analogie, l’arrêt de la Cour du 4 mars 2010, Commission/Italie (C‑297/08, Rec. p. I‑1749, point 86), et la réaction d’une «administration diligente» à l’éventuelle survenance de circonstances considérées comme équivalent à un cas de force majeure; voir également point 118 de l’arrêt Parlement/SERS, précité à la note 10, relatif à la prévisibilité pour le maître d’œuvre, avant le début des travaux, qu’un certain nombre d’entreprises fassent défaut.


14 – Point 54.


15 – Point 56 et jurisprudence citée.


16 – Voir points 40 à 45 des conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt McDonagh, précité. Ce passage se rapporte à la répartition du risque entre le transporteur et le voyageur en ce qui concerne les effets de la force majeure. Ainsi que cet arrêt l’a confirmé, l’obligation de prise en charge du transporteur a été évaluée autrement que celle d’indemnisation des préjudices.


17 – Arrêt du 28 octobre 2010 (C–367/09, Rec. p. I‑10761).


18 – JO L 312, p. 1.


19 – Point 36. Sur les effets juridiques de règlements appelant des mesures d’application, voir points 32 et 33 ainsi que jurisprudence citée du même arrêt.


20 – Point 39.


21 – Point 61 et jurisprudence citée. Ainsi que l’avocat général Kokott l’a souligné au point 36 de ses conclusions dans cette affaire, cette exigence est «une expression particulière du principe général de sécurité juridique qui constitue un principe fondamental du droit communautaire et exige notamment qu’une réglementation soit claire et précise, afin que les justiciables puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et prendre leurs dispositions en conséquence».


22 – Voir par exemple, l’arrêt du 22 décembre 2010, Gavieiro Gavieiro et Iglesias Torres (C‑444/09 et C‑456/09, Rec. p. I‑14031, point 73, avec la jurisprudence citée). Pour une décision similaire et plus récente, voir l’arrêt du 24 mai 2012, Amia (C‑97/11, point 38). La jurisprudence Costanzo, précitée, a été critiquée parce qu’elle ne respecterait pas la séparation des pouvoirs dans le droit des États membres, en tant qu’elle exigerait des autorités administratives d’aller au-delà des limites assignées à leurs pouvoirs par le droit national, y compris par les mesures législatives de droit primaire. Voir par exemple, de Witte, B. ‘Direct Effect, Primacy, and the Nature of the EU Legal Order’, dans Craig, P. et de Búrca, G., The Evolution of EU Law, (Oxford, 2011) 323 à la page 333. Pour une étude détaillée, voir Verhoeven, M., The Costanzo Obligation: the obligations of national administrative authorities in the case of incompatibility between national law and European law, (Intersentian, 2011).


23 – Arrêt du 22 novembre 2012 (C‑136/11, non encore publié au Recueil).


24 – À ce stade, je voudrais établir une analogie avec l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire VEBIC (arrêt du 7 décembre 2010, C‑439/08, Rec. p. I‑12471), dans lequel il a été jugé que, compte tenu de l’exigence que les articles 101 TFUE et 102 TFUE soient appliqués effectivement, une autorité nationale en matière de concurrence doit avoir le droit d’agir en qualité de défendeur ou d’intervenant dans des procédures judiciaires d’appel contre sa propre décision. La Schienen‑Control Kommission peut parfaitement se prévaloir des mêmes droits. Or, elle serait nécessairement exclue de l’exercice de ce droit si elle était elle-même une juridiction.


25 – Arrêt Gavieiro Gavieiro et Iglesias Torres (précité à la note 22, point 73).


26 – Arrêt SGS Belgium c.a., précité à la note 17.


27 – Arrêt du 17 septembre 2002, Muñoz et Superior Fruiticola (C‑253/00, Rec. p. I‑7289).


28 – En ce sens, voir arrêt du 22 décembre 2010, DEB (C‑279/09, Rec. p. I‑13849). Voir également, les possibilités de règlement alternatif de litiges transfrontaliers mises à la disposition des consommateurs par la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale (JO L 136, p. 3).


29 – Arrêt du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, Rec. p. I‑2483, point 44 et jurisprudence citée).


30 – Point 42 de l’arrêt Impact (précité à la note 29).


31 – Arrêts du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral (33/76, Rec. p. 1989), ainsi que Comet (45/76, Rec. p. 2043).


32 – Arrêt du 13 mars 2007 (C‑432/05, Rec. p. I‑2271).


33 – Arrêt du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C-213/89, Rec. p. I‑2433).


34 – Pour une analyse de la différence entre l’autonomie nationale de procédure et l’autonomie nationale en matière de voies de recours, qui a généré une relation de plus en plus complexe entre le principe d’effectivité de la jurisprudence Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral, précitée, et le principe fondamental de la protection juridictionnelle effective, tel qu’il est abordé dans des arrêts comme les arrêts précités Unibet et Impact, voir Prechal, S., et Widdershoven, R., «Redefining the Relationship between ‘Rewe‑effectiveness’ and Effective Judicial Protection», Review of European Administrative Law, vol. 4, 2011, p. 31, en particulier p. 33.


35 – Le droit à un recours effectif, tel qu’il est protégé par l’article 47 de la Charte, a récemment été examiné par la Cour dans son arrêt du 28 juillet 2011, Samba Diouf (C‑69/10, Rec. p. I‑7151).


36 – À ce sujet, il résulte de l’article 167 de l’EisbG qu’une personne qui ne publie pas de conditions d’indemnisation conformément à l’article 22 bis, paragraphe 1, de l’EisbG est passible d’une amende jusqu’à 2 180 euros, qui lui sera infligée par l’administration régionale et non par la Schienen-Control Kommission.


37 – Pour une étude détaillée de l’impact des pouvoirs des juridictions administratives en matière de voies de recours sur le maintien de la séparation des pouvoirs, voir rapport général de l’Association internationale des hautes juridictions administratives, VIII° congrès, Madrid, 2004.


38 – Voir arrêt Factortame e.a. (précité à la note 33).


39 – Point 55 de l’arrêt Unibet (précité à la note 32).


40 – Voir point 44 et jurisprudence citée de l’arrêt Impact (précité à la note 29).


41 – Point 54 de l’arrêt Impact, précité. Voir, aussi, points 95 et 96 de l’arrêt Gavieiro Gavieiro et Iglesias Torres (précité à la note 22). Similairement, voir arrêt du 8 mars 2011, Lesoochranárske zoskupenie (C‑240/09, Rec. p. I‑1255, point 51).


42 – J’observe que le traité de Lisbonne a maintenu la limitation traditionnelle des formes de réparation qui peuvent être offertes par la Cour et le Tribunal de l’Union européenne, à savoir les mesures provisoires et suspensives (articles 278 TFUE et 279 TFUE), l’annulation de mesures prises par l’Union (articles 264 TFUE et 266 TFUE) et l’indemnisation (articles 268 TFUE et 340, deuxième et troisième alinéas, TFUE). Autrement dit, sera déclarée irrecevable toute demande présentée en vue du prononcé d’une injonction individualisée imposant à l’institution concernée de l’Union de prendre des mesures spécifiques pour réparer le tort invoqué. Voir, notamment, arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission (T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, point 53).


43 – Je note, par analogie, le parallélisme établi en matière de responsabilité d’État, au regard des règles imputables aux États membres et aux institutions de l’Union, dans l’arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission (C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291).