Language of document : ECLI:EU:C:2012:195

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Niilo Jääskinen

présentées le 29 mars 2012 (1)

Affaire C‑5/11

Procédure pénale

contre

Titus Alexander Jochen Donner

[demande de décision préjudicielle
formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Libre circulation des marchandises — Propriété industrielle et commerciale — Vente de marchandises protégées par un droit d’auteur dans l’État membre de l’acquéreur, mais non dans l’État membre du vendeur — Sanction pénale prononcée à l’encontre d’une personne intervenant dans le cadre de la vente et de la livraison — Contrats de vente à distance — Distribution de copies d’œuvres — Directive 2001/29/CE»





I –    Introduction

1.        La société Dimensione Direct Sales Srl (ci-après «Dimensione») est sise à Bologne, en Italie. Elle vend des reproductions d’objets d’ameublement et de design de créateurs renommés (ci-après les «objets en cause»); son marketing s’adresse, en partie, à des clients résidant en Allemagne. Cela prend la forme d’annonces et de prospectus insérés dans des journaux allemands, d’envois postaux nommément adressés à leur destinataire et d’un site Internet en allemand.

2.        Les objets en cause sont vendus et livrés aux acquéreurs allemands avec le concours d’une société de transport italienne du nom d’In. Sp. Em. Srl (ci-après «Inspem»). En Allemagne, les objets en cause sont considérés comme des copies d’œuvres des arts appliqués protégées par un droit d’auteur. En Italie, soit ces œuvres ne sont pas protégées par le droit d’auteur national, soit la protection dont elles bénéficient ne peut, de fait, pas être opposée utilement aux tiers.

3.        Il a été demandé à la Cour d’examiner si l’article 36 TFUE (2), et plus particulièrement ses dispositions concernant la propriété industrielle et commerciale, peut être appliqué par les autorités allemandes dans le cadre des poursuites pénales engagées à l’encontre de M. Donner, le gérant et associé majoritaire d’Inspem. Les poursuites concernent l’intervention de M. Donner dans le cadre de la distribution des objets en cause en Allemagne, dont il est allégué qu’elle a eu lieu en violation des règles du droit d’auteur national. La question relative à l’article 36 TFUE se pose dans la mesure où il n’est pas contesté que les poursuites pénales constituent une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation entre États membres au sens de l’article 34 TFUE. La question se pose, dès lors, de savoir si cela peut être justifié en application de l’article 36 TFUE.

4.        Le présent litige se rapporte donc à la question de la portée de la notion de «propriété industrielle et commerciale» à l’article 36 TFUE et de savoir si les transactions transfrontalières en cause présentent des liens avec l’Allemagne qui sont suffisants pour rendre ledit article applicable. La réponse à cette question dépend de la question préalable de savoir s’il y a eu, dans le champ d’application ratione loci du droit d’auteur allemand, une atteinte au droit exclusif de distribution de l’auteur au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (3), disposition qui a harmonisé la notion de droit de distribution.

5.        S’il y a effectivement eu atteinte au droit de distribution de l’auteur, la question se pose alors de savoir si l’application de l’article 36 TFUE entraînerait un cloisonnement du marché intérieur ou une entrave disproportionnée ou arbitraire aux échanges.

6.        La signification de la précision «toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement» à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 revêt une grande importance tant pour le marché intérieur que pour les relations commerciales extérieures. L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 harmonise un patchwork de règles nationales en matière de droits de distribution. En outre, la signification et la portée de la notion de «distribution» au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ont une incidence tant sur les voies de droit ouvertes au titulaire du droit d’auteur dans l’Union européenne que sur la protection qui lui est offerte au niveau international contre le commerce de produits pirates portant atteinte au droit d’auteur.

7.        À la lumière des défis que représentent aujourd’hui le marketing en ligne et le commerce électronique, les règles développées par l’Union pour protéger les droits d’auteur, telles que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29, doivent être interprétées d’une manière assurant la pleine protection de ces droits à l’époque d’Internet. Le sens qui sera donné à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doit permettre de tenir en échec des activités qui, avant l’abolition des contrôles des marchandises aux frontières intra-européennes, auraient été sanctionnées par les autorités douanières des États membres. En d’autres termes, les obligations pesant sur l’Union et sur ses États membres en vertu de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (4), à savoir de contribuer à empêcher l’importation de copies non autorisées d’œuvres protégées par un droit d’auteur qui sont en libre circulation sur le marché intérieur, ne peuvent plus être remplies par des mesures prises par les autorités douanières nationales. De telles activités doivent désormais être combattues à travers l’application des dispositions harmonisées du droit de l’Union en matière de droit d’auteur.

8.        Ces questions, ainsi que les problèmes engendrés par l’application du principe de territorialité à une vente transfrontalière à distance, offrent à la Cour l’occasion de réexaminer sa jurisprudence classique en matière de libre circulation des marchandises à la lumière des nouvelles règles du droit de l’Union relatives au droit de distribution en ce qui concerne les copies d’œuvres protégées par un droit d’auteur.

II – Le litige au principal et la question préjudicielle

9.        M. Donner, ressortissant allemand, exerce ses activités principalement depuis son lieu de résidence en Allemagne. Au cours de la période allant du 1er janvier 2005 au 15 janvier 2008 (ci-après la «période en cause»), Dimensione, avec laquelle M. Donner coopérait, n’avait pas obtenu l’autorisation des titulaires des droits d’auteur de vendre les objets en cause en Allemagne. Pas davantage n’avait-elle obtenu l’autorisation de les vendre en Italie (5).

10.      Avant la période en cause, à partir, environ, du mois d’avril 1999, M. Donner intervenait dans le cadre de la distribution de meubles de style «Bauhaus» reproduits par Dimensione, les meubles étant acheminés depuis l’Italie jusqu’à un entrepôt situé en Allemagne. Les marchandises étaient ensuite vendues, Inspem, la société de M. Donner, effectuant la livraison à leurs acquéreurs en Allemagne. Après que le ministère public eut déféré M. Donner devant les juridictions pénales pour exploitation commerciale sans autorisation d’œuvres protégées par un droit d’auteur, la procédure devant l’Amtsgericht München (tribunal cantonal de Munich) (Allemagne) a été close contre paiement, par M. Donner, d’une somme de 120 000 euros.

11.      Par la suite, Dimensione a acquis un entrepôt en Italie, à Sterzing. Sur l’emballage de chaque objet vendu étaient indiqués le nom et l’adresse de la personne l’ayant commandé ou, à tout le moins, le numéro de commande. En vertu des conditions générales de vente, les clients devaient soit récupérer eux-mêmes les objets, soit charger un tiers de le faire. Si l’acheteur ne souhaitait pas récupérer lui-même l’objet commandé ou n’était pas en mesure d’en organiser le transport, Dimensione recommandait à l’acheteur de contacter Inspem. En cas de commande sans contact personnel avec Dimensione, les clients recevaient un courrier publicitaire, dans lequel Inspem offrait de transporter les objets d’Italie vers l’Allemagne. Les documents publicitaires de Dimensione précisaient que le client acquerrait les meubles en Italie, mais ne les payerait que lors de la livraison en Allemagne. Dimensione adressait les factures directement aux clients.

12.      Les chauffeurs d’Inspem payaient à Dimensione le prix des objets, tous attribués nominativement à un client, au moment de les récupérer à l’entrepôt à Sterzing. Lors de la livraison en Allemagne, les chauffeurs obtenaient ensuite de l’acquéreur le remboursement du prix, tout comme le paiement des frais de transport. Dans le cas, cependant, où le client refusait de payer, l’objet concerné était retourné par Inspem à Dimensione en Italie et cette dernière remboursait à Inspem le prix de l’objet et payait elle-même les frais de transport.

13.      Le contrat entre Dimensione et les acquéreurs était régi par la loi italienne. En application du droit italien, le transfert de la propriété de Dimensione aux acquéreurs avait lieu en Italie lorsque les objets étaient individualisés dans l’entrepôt de Dimensione et destinés à un client déterminé.

14.      En revanche, selon le droit allemand, pour que le transfert de propriété soit parfait, les marchandises doivent se trouver entre les mains de l’acquéreur en ce sens que le pouvoir de disposition effective lui a été transféré. Ce dernier transfert a eu lieu en Allemagne, lorsque les acquéreurs se sont vu remettre les objets, contre paiement, par les chauffeurs d’Inspem.

15.      Des poursuites ont été introduites contre M. Donner en raison de ce nouveau système. Il a été condamné par le Landgericht München II (tribunal régional de Munich II) (Allemagne) pour complicité d’exploitation commerciale sans autorisation d’œuvres protégées par un droit d’auteur. Selon l’ordonnance de renvoi, le Landgericht a également jugé que Dimensione avait distribué des copies des œuvres en cause en les mettant en circulation.

16.      M. Donner a introduit un recours devant le Bundesgerichtshof (Allemagne), avançant notamment que les poursuites à son encontre emportaient violation de l’interdiction des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation énoncée à l’article 34 TFUE et entraînaient un cloisonnement artificiel des marchés. Le ministère public a reconnu que ces poursuites avaient pour résultat une telle restriction, mais a soutenu que cette restriction pouvait être justifiée conformément à l’article 36 TFUE et à l’exigence d’une protection de la propriété industrielle et commerciale.

17.      Le Bundesgerichtshof a estimé nécessaire de déférer la question suivante à la Cour en vue d’une décision préjudicielle:

«Convient-il d’interpréter les articles 34 TFUE et 36 TFUE, relatifs à la libre circulation des marchandises, en ce sens qu’ils font obstacle à des poursuites pour complicité de distribution sans autorisation d’œuvres protégées par un droit d’auteur [(6)] en application du droit pénal national dans le cas où, lors de la vente transfrontalière d’une œuvre protégée par un droit d’auteur en Allemagne,

–        cette œuvre est transportée vers l’Allemagne depuis un État membre de l’Union européenne et le pouvoir de disposition effective sur l’œuvre est transféré en Allemagne,

et

–        le transfert de la propriété, en revanche, intervient dans l’autre État membre, où cette œuvre n’est pas protégée par un droit d’auteur ou où cette protection ne peut être opposée utilement aux tiers?»

18.      M. Donner, le Generalbundesanwalt beim Bundesgerichtshof (procureur général près le Bundesgerichtshof), le gouvernement tchèque et la Commission européenne ont présenté des observations. À l’exception du gouvernement tchèque, ils ont également tous participé à l’audience qui s’est déroulée le 26 janvier 2012.

III – Analyse

A –    Observations liminaires

1.      La portée de la question préjudicielle

19.      Le Bundesgerichtshof a limité la question qu’il a posée à la Cour à l’interprétation des articles 34 TFUE et 36 TFUE. La question préjudicielle ne fait pas référence à la signification de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29, que le Bundesgerichtshof a lui‑même interprété avant de décider du renvoi préjudiciel.

20.      Bien que la procédure de décision préjudicielle n’ait pas pour objet le contrôle, par la Cour, de l’interprétation faite du droit de l’Union par les juridictions nationales, et encore moins une remise en cause des constatations de fait, il n’est en l’occurrence pas possible d’interpréter l’article 36 TFUE sans avoir égard à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29. Étant donné que ce dernier article harmonise pleinement les droits de distribution dans l’Union, l’article 36 TFUE ne peut être invoqué que si une distribution au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 a eu lieu. En outre, le ministère public se fonde sur l’article 36 TFUE pour réfuter un moyen de défense tiré de l’article 34 TFUE dans le cadre de la procédure pénale. Il est donc d’autant plus important d’analyser pleinement tous les principes applicables.

21.      La Commission a également observé qu’il était nécessaire, avant de répondre à la question déférée à la Cour, de déterminer dans quelle mesure il y a eu, en l’occurrence, atteinte au droit de distribution de l’auteur en application du droit allemand ou de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29. Le résultat de cette analyse est, selon la Commission, une étape importante de l’examen de la question posée, à savoir si la restriction à la libre circulation des marchandises résultant des poursuites engagées à l’encontre de M. Donner peut être justifiée par la protection du droit d’auteur.

22.      J’examinerai par conséquent la signification de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29, à la lumière des principes du droit d’auteur de l’Union applicables, dans la section C ci-après. Étant donné que le droit d’auteur repose sur la création de droits d’une portée territoriale limitée et que l’application de ce principe est étroitement liée à l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29, j’examinerai le principe de territorialité en droit d’auteur dans la section B ci-après. Ces questions constituent, avec l’application de l’article 36 TFUE aux faits litigieux, tels que relatés par la juridiction nationale, le noyau du problème qu’il s’agit de résoudre. L’interprétation de l’article 36 TFUE fera l’objet de la section D ci‑après.

23.      Enfin, étant donné que les voies de droit ouvertes au titulaire d’un droit d’auteur afin de faire respecter celui-ci ont été réglementées par la législation de l’Union (7) et qu’il existe des principes du droit de l’Union applicables lorsqu’un État membre choisit de mettre en œuvre le droit de l’Union au moyen de sanctions pénales, comme c’est le cas en l’espèce, je terminerai par quelques remarques consacrées à ce point dans la section E ci-après.

2.      L’harmonisation du droit d’auteur

24.      Dans l’Union, le droit d’auteur reste, comme partout ailleurs, largement régi par le droit national. Aujourd’hui, pas moins de 150 régimes territoriaux, d’origine nationale ou régionale, coexistent en matière de droit d’auteur à travers le monde (8). Sans chercher à donner une image complète de la législation de l’Union dans le domaine du droit d’auteur, il est utile, aux fins de la présente affaire, de formuler les observations suivantes.

25.      L’harmonisation du droit d’auteur dans l’Union a été un processus mélangeant harmonisation partielle et harmonisation complète. Par exemple, certains des droits dits «voisins» n’ont fait l’objet que d’une harmonisation minimale par la législation de l’Union, qui laisse une importante marge de manœuvre aux États membres (9). D’autres droits exclusifs, notamment ceux visés aux articles 2 à 4 de la directive 2001/29, ont en revanche été pleinement harmonisés.

26.      Il y a, de même, eu une harmonisation partielle au niveau de l’Union de la réglementation relative aux voies de droit ouvertes en cas d’atteinte aux droits de l’auteur. En application des dispositions combinées de l’accord ADPIC et de la directive 2004/48, les titulaires d’un droit d’auteur doivent pouvoir disposer de voies de droit efficaces en cas d’atteinte à leurs droits, que cette atteinte ait sa source sur le territoire de l’Union ou hors de ce territoire (10). La législation de l’Union sur les marchandises de contrefaçon ou pirates (11) ne s’applique cependant qu’en relation avec des pays tiers (12). Ces éléments revêtent de l’importance dans la présente affaire dans la mesure où l’article 51 de l’accord ADPIC exige que le titulaire ait au moins le droit d’empêcher l’importation de copies non autorisées vers le territoire de protection (13). Ce droit ne peut cependant être exercé que dans le cadre de contrôles douaniers aux frontières extérieures et cette voie d’action n’est donc pas ouverte s’agissant de flux de marchandises à l’intérieur de l’Union.

27.      Dans ces conditions, la mise en œuvre du droit d’auteur et des droits voisins dépend essentiellement du droit national. Cela veut dire que leurs conditions d’existence et d’exercice sont définies par des mesures nationales (14) et que ces droits ne produisent effet et ne peuvent être opposés aux tiers que sur le territoire national de l’État sur le territoire duquel l’auteur cherche à les faire respecter.

28.      Partant, dans l’affaire au principal, c’est la loi allemande qui, seule, détermine si les objets en cause sont protégés par un droit d’auteur sur le territoire allemand. La question de savoir si, oui ou non, il y a eu une «distribution» sur ce territoire est, en revanche, régie par l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

29.      En outre, les États membres n’ont pas le pouvoir d’exclure les œuvres des arts appliqués et les dessins et modèles industriels, tels que les objets en cause en l’espèce, du champ de la protection conférée par le droit d’auteur (15). Il en va ainsi en raison de la directive 98/71/CE sur la protection juridique des dessins ou modèles (16), qui oblige les États membres à offrir dans ce domaine la protection du droit d’auteur.

30.      Enfin, en matière de droit d’auteur, les questions de conflits de lois sont réglées par le principe de la lex loci protectionis, consacré par l’article 8 du règlement (CE) no 864/2007 (17) et l’article 5 de la convention de Berne. Ce principe est pertinent aux fins du présent litige dans la mesure où il vient étayer la compétence des États membres concernant les atteintes aux droits d’auteurs qui ont lieu sur leur territoire.

3.      La protection offerte par le droit de l’Union aux œuvres des arts appliqués

31.      En Italie, une réticence à appliquer la protection du droit d’auteur aux œuvres des arts appliqués a prévalu pendant de longues années (18). Toutefois, le 27 janvier 2011, la Cour a, dans l’arrêt Flos, déclaré non conforme à l’article 17 de la directive 98/71 un moratoire décennal édicté par la législation italienne à compter du 19 avril 2001 sur la protection accordée aux dessins et modèles (19). La loi italienne déclarée non conforme à l’article 17 de la directive 98/71 semble être la même que celle examinée par le Bundesgerichtshof dans la présente affaire avant le prononcé de l’ordonnance de renvoi (20). D’après moi, il découle de l’arrêt Flos, précité, que les objets en cause, bien qu’ils ne fussent pas protégés par le droit d’auteur italien, étaient en droit de bénéficier de cette protection en application du droit d’auteur de l’Union.

32.      En outre, l’arrêt Flos, précité, est postérieur à l’arrêt Peek & Cloppenburg (21). Ni la Cour ni l’avocat général ne bénéficiaient de l’arrêt Flos lors du prononcé de l’arrêt Peek & Cloppenburg.

B –    Le principe de territorialité en droit d’auteur

33.      Les ordres juridiques nationaux des États membres, les conventions internationales et le droit de l’Union reposent sur la prémisse que le droit d’auteur crée des droits d’une portée territoriale limitée. Comme la Cour l’a observé, «le principe de territorialité de[s …] droits [d’auteur…] est reconnu par le droit international et admis également par le traité CE. Ces droits ont donc un caractère territorial et le droit interne ne peut, par ailleurs, sanctionner que des actes accomplis sur le territoire national» (22). La doctrine a, par ailleurs, expliqué que ces droits ne pouvaient être protégés par les tribunaux que si tant l’activité que son effet sur le marché avaient lieu sur le territoire national. Concrètement, cela signifie que le titulaire des droits réclame protection, conformément au principe de la lex loci protectionis, dans le pays dans lequel l’atteinte aux droits de l’auteur alléguée s’est produite, en l’occurrence en Allemagne, et que les juridictions de ce pays décident, en application du droit national, s’il y a effectivement eu violation. Cet exercice peut également englober des activités situées partiellement ou entièrement hors des frontières nationales (23).

34.      Des situations de ce type, qui entraînent à tout le moins une extraterritorialité limitée, surviennent typiquement dans le cadre d’activités liées à des objets protégés immatériels, tels que la radiodiffusion ou la distribution d’œuvres en ligne. Toutefois, des activités liées à des copies matérielles d’œuvres protégées par le droit de la propriété intellectuelle, telles que des ventes à distance transfrontalières, peuvent engendrer des problèmes semblables. À ce jour, la Cour a examiné ces questions à deux reprises dans un contexte d’opérations transfrontalières. Dans les deux cas, la Cour a confirmé que des actes qui avaient lieu hors du territoire sur lequel les droits étaient protégés, mais qui visaient ce territoire tombaient sous le coup de dispositions du droit de la propriété intellectuelle qui avaient été harmonisées par le droit de l’Union. Les deux affaires se présentaient comme suit.

35.      L’affaire L’Oréal e.a. concernait, entre autres, la protection de marques dans le cadre d’offres à la vente faites depuis des lieux hors des frontières de l’Espace économique européen, mais qui étaient accessibles à l’intérieur de celui-ci par l’intermédiaire d’une plateforme commerciale en ligne (24). L’Oréal SA soutenait que cette activité était constitutive d’une atteinte aux différentes marques dont elle était titulaire en Europe. La Cour a jugé qu’il appartenait à la juridiction nationale de déterminer si, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, une offre à la vente ou une publicité affichée sur une place de marché en ligne accessible sur un territoire couvert par une marque communautaire ou une marque nationale d’un État membre de l’Union était destinée à des consommateurs situés sur ce territoire. Le titulaire de la marque pouvait toutefois s’opposer à ces ventes, offres à la vente ou publicités en vertu soit de l’article 5 de la première directive 89/104/CEE rapprochant les législations des États membres sur les marques (25), soit de l’article 9 du règlement (CE) no 40/94 sur la marque communautaire (26).

36.      L’affaire Stichting de Thuiskopie (27) concernait le droit d’auteur et notamment l’article 5, paragraphes 2, sous b), et 5, de la directive 2001/29. Ces dispositions autorisent les États membres à apporter des exceptions au droit d’auteur pour la copie privée d’œuvres protégées, à condition que l’auteur reçoive une compensation équitable. Une société établie en Allemagne commercialisait, au moyen d’Internet, des supports de reproduction vierges, c’est-à-dire non enregistrés, et son activité était notamment dirigée vers les Pays-Bas. La Cour a dit pour droit ce qui suit:

«[L]a directive 2001/29, en particulier son article 5, paragraphes 2, sous b), et 5, doit être interprétée en ce sens qu’il incombe à l’État membre qui a institué un système de redevance pour copie privée à la charge du fabricant ou de l’importateur de supports de reproduction d’œuvres protégées, et sur le territoire duquel se produit le préjudice causé aux auteurs par l’utilisation à des fins privées de leurs œuvres par des acheteurs qui y résident, de garantir que ces auteurs reçoivent effectivement la compensation équitable destinée à les indemniser de ce préjudice. À cet égard, la seule circonstance que le vendeur professionnel d’équipements, d’appareils ou de supports de reproduction est établi dans un État membre autre que celui dans lequel résident les acheteurs demeure sans incidence sur cette obligation de résultat [(28)]. Il appartient à la juridiction nationale, en cas d’impossibilité d’assurer la perception de la compensation équitable auprès des acheteurs, d’interpréter le droit national afin de permettre la perception de cette compensation auprès d’un débiteur agissant en qualité de commerçant» (29).

37.      Les modalités de vente à l’origine de l’arrêt Stichting de Thuiskopie, précité, ressemblent à celles en cause dans la présente affaire. Dans les deux cas, le montage juridique visait à créer une situation dans laquelle la distribution était juridiquement considérée avoir eu lieu à l’étranger et le transport des marchandises à travers une frontière vers un autre État membre, dans lequel un droit d’auteur existait et était invoqué, s’être fait dans le cadre d’une importation privée. Dans les deux cas, le modèle de vente à distance mis en place ciblait des clients situés dans ce dernier État membre et le transfert de propriété intervenait, selon le contrat de vente, hors du territoire de l’État membre dans lequel le droit d’auteur était protégé. L’affaire Stichting de Thuiskopie comportait également un transporteur intervenant en tant que mandataire de l’acquéreur, même si son rôle était alors plus limité que celui d’Inspem, dans la mesure où cette entreprise n’intervenait pas en tant qu’intermédiaire par lequel transitait le paiement de l’acquéreur au vendeur.

38.      Il importe, toutefois, de distinguer entre la possibilité de se prévaloir de la protection du droit d’auteur dans le cadre de procédures civiles relatives à des transactions transfrontalières et l’applicabilité de sanctions pénales pour des atteintes aux droits de l’auteur. Les procédures au principal à l’origine tant de l’arrêt L’Oréal e.a., précité, que de l’arrêt Stichting de Thuiskopie, précité, étaient des procédures civiles, dans lesquelles les titulaires de droits protégés par le droit de la propriété intellectuelle avaient, en leur propre nom, agi au civil devant les juridictions nationales pour obtenir le prononcé de mesures civiles. Dans la présente affaire, c’est le ministère public qui cherche à faire respecter des droits d’auteur protégés en vertu du droit allemand, au moyen d’une procédure pénale.

39.      Pour des raisons évidentes, des constatations aboutissant à la conclusion que l’atteinte aux droits d’auteur ou à un droit voisin est établie ne sauraient être directement transposées à un contexte pénal, en ce sens que l’atteinte ainsi constatée justifierait le prononcé de sanctions pénales à l’encontre de son auteur. Il ressort néanmoins de la jurisprudence de la Cour précitée que des actes dont la source se situe hors du territoire national et qui visent le territoire sur lequel les droits de propriété intellectuelle sont protégés peuvent être appréhendés par l’application de règles du droit de la propriété intellectuelle qui ont été harmonisées par le droit de l’Union.

C –    L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29

1.      Observations liminaires

40.      Le trait essentiel du droit d’auteur est de conférer à l’auteur, outre des droits moraux qui sont reconnus par le droit international et national, le pouvoir de décision sur les points de savoir si son œuvre fera l’objet d’une exploitation commerciale et de quelle manière. Ce postulat de base se traduit par plusieurs droits exclusifs de l’auteur d’autoriser ou d’interdire des formes spécifiques d’exploitation de l’œuvre. Les différents ordres juridiques utilisent des techniques diverses pour protéger et réglementer les droits exclusifs des auteurs.

41.      Ceux-ci peuvent être définis de façon explicite ou implicite, par l’énoncé d’exceptions ou de limitations à ces droits. En outre, le système de droits exclusifs peut reposer sur des définitions et des hiérarchies conceptuelles différentes. Par exemple, un droit de prêt ou de location peut être conçu dans un ordre juridique comme étant compris dans le droit de distribution et, dans un autre, comme un droit distinct. Ces divergences d’approche entre les différents États membres ont contribué de façon significative au caractère fragmentaire du processus d’harmonisation du droit d’auteur dans l’Union.

42.      Dans ce contexte, il est utile de noter que, dans de nombreux ordres juridiques nationaux, le droit de distribution, qui est le corollaire indispensable du droit de reproduction (30), est défini en des termes renvoyant à l’offre à la vente, à la mise à disposition ou à la mise en circulation. Quelques lois nationales sur le droit d’auteur interdisent également l’importation non autorisée d’œuvres protégées en tant que forme d’activité comprise dans le droit de distribution ou dérivée de celui-ci (31).

43.      En 1996, une règle internationale distincte sur la signification du droit de distribution a été consacrée à l’article 6 du traité sur le droit d’auteur (32). Selon cette dernière disposition, «[l]es auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser la mise à la disposition du public de l’original et d’exemplaires de leurs œuvres par la vente ou tout autre transfert de propriété». Cette disposition a été transposée en droit de l’Union par l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29. C’est cet article que je vais examiner à présent.

2.      La signification de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29

44.      Le libellé de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 diffère légèrement de la disposition qui y fait pendant dans le TDA, à savoir l’article 6 de celui-ci. L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 énonce que «[l]es États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement, de l’original de leurs œuvres ou de copies de celles-ci». L’article 6 du TDA contient les mots «la mise à la disposition du public», alors que la directive 2001/29 parle de «toute forme de distribution au public».

45.      Malgré cette différence de formulation, je me fonderai sur l’approche adoptée par la Cour dans l’arrêt Peek & Cloppenburg (33), selon laquelle l’article 4, paragraphe 1, de la directive 200129 doit être interprété conformément à la disposition correspondante du TDA. En outre, en dépit du fait que le TDA n’énonce que des règles minimales de protection du droit d’auteur que les parties contractantes ont convenu d’offrir, la Cour a estimé dans l’arrêt Peek & Cloppenburg que la directive 2001/29 ne visait pas à établir un niveau plus élevé de protection des auteurs (34).

46.      Par ailleurs, comme je l’ai déjà noté, la directive 2001/29 harmonise, d’après moi, pleinement les trois droits exclusifs prévus aux articles 2 à 4, à savoir le droit de reproduction, le droit de communication à un public qui n’est pas présent au lieu de la communication et le droit de distribution. La directive 2001/29 ne contient aucun élément indiquant que les États membres seraient libres de s’écarter de ces dispositions, que ce soit pour en étendre la portée ou pour la restreindre.

47.      Dans leurs interprétations divergentes du droit de distribution en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29, le Bundesgerichtshof, les parties, le gouvernement tchèque et la Commission se fondent sur la réponse donnée par la Cour dans l’arrêt Peek & Cloppenburg, précité, à la première question préjudicielle. Ils soulignent tous l’importance du transfert de propriété pour conceptualiser le droit de distribution en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29. D’après moi, cette discussion n’est cependant que d’une utilité limitée.

48.      Dans l’affaire Peek & Cloppenburg, la question soumise à la Cour était en substance de savoir ce qu’il convenait d’entendre par une distribution autrement que par la vente. Cette affaire était afférente à l’exposition dans les vitrines de magasins de confection masculine et féminine et à la mise à disposition, en vue de leur utilisation, dans les espaces de repos de ces magasins, de répliques de meubles qui avaient été fabriquées par une entreprise en Italie, alors que ces meubles étaient protégés par un droit d’auteur en Allemagne. Le renvoi préjudiciel était lié au fait que de nombreux ordres juridiques incluent dans la notion de distribution des situations qui n’impliquent pas de transfert de propriété. Cette interprétation dite extensive a été rejetée par la Cour dans l’arrêt Peek & Cloppenburg, précité. La Cour a jugé qu’une distribution autrement que par la vente au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 avait uniquement lieu lorsqu’il y avait un transfert de la propriété de l’original ou de la copie d’une œuvre protégée (35).

49.      Dans la présente affaire, c’est la distribution par la vente qui est en cause. Il est constant qu’il y a bien eu vente d’objets, laquelle vente a donné lieu à un litige en matière de droit d’auteur. La vente implique, par définition, un transfert de propriété en contrepartie du paiement d’un prix. Par conséquent, la vraie question est en l’occurrence de savoir si, au regard de l’ensemble des circonstances, cette vente a porté atteinte aux droits d’auteur en Allemagne.

50.      M. Donner et le Bundesgerichtshof approchent cette question en se fondant sur l’acception du transfert de propriété en droit civil. Selon M. Donner, il n’y a pas eu de distribution en Allemagne parce que, selon la loi italienne applicable au contrat, la propriété des objets en cause a été transférée aux acquéreurs en Italie. D’après le Bundesgerichtshof, le facteur déterminant était non pas le transfert de la propriété en Italie, mais le transfert de la détention effective des objets en cause, exigée par le droit allemand pour parfaire le transfert de propriété. Or, le transfert de la détention effective a eu lieu en Allemagne. La Commission soutient également que la distribution a eu lieu en Allemagne, non en raison du transfert de la détention effective, mais parce que ce n’est qu’en Allemagne que les objets en cause ont été mis à la disposition du public, lorsque les acquéreurs en ont payé le prix aux chauffeurs de M. Donner.

51.      D’après moi, le contenu de la notion de distribution au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ne saurait dépendre de ce type de facteurs. L’article 8, paragraphe 3, du règlement Rome II prévoit que les parties ne peuvent pas choisir la loi applicable aux obligations non contractuelles en ce qui concerne les droits de propriété intellectuelle. Admettre que la loi du contrat de vente choisie par les partie puisse décider si et où il y a eu distribution par la vente de copies d’œuvres protégées par un droit d’auteur serait contraire à ce principe et permettrait aux parties de contourner les droits des titulaires d’un droit d’auteur (36).

52.      Je m’interroge également sur le point de savoir s’il est vrai qu’une distribution par la vente peut uniquement se produire lorsque l’opération a été menée à bien. Si tel était le cas, l’offre à la vente de copies d’œuvres protégées par un droit d’auteur sans l’autorisation de l’auteur ne constituerait pas une distribution. Il en irait de même d’opérations de location-vente. Dans ce dernier type de transactions, le transfert de la propriété intervient bien après le transfert de la détention effective.

53.      D’après moi, il convient d’interpréter la notion de distribution par la vente d’une manière qui confère aux auteurs un contrôle pratique et efficace de la commercialisation de copies de leurs œuvres, à partir de la reproduction à travers des canaux commerciaux jusqu’à l’épuisement du droit d’auteur en application de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 (37). Pour cette raison, la notion de «distribution au public […] par la vente» de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doit se comprendre comme ayant la même signification que les mots «mise à la disposition du public […] par la vente» à l’article 6, paragraphe 1, du TDA.

54.      La mise à la disposition du public par la vente couvre la chaîne d’activités de l’offre à la vente jusqu’à la conclusion de contrats de vente et leur exécution. En revanche, la simple publicité pour des copies d’œuvres protégées ne constituant pas encore une offre à la vente, elle ne relève, à mes yeux, pas du droit exclusif de distribution de l’auteur, alors même qu’elle est appréhendée par la protection offerte par le droit des marques.

55.      Dans le cas de ventes transfrontalières à distance, l’appréciation du point de savoir si les copies sont mises à la disposition du public dans l’État membre où l’auteur cherche à faire respecter ses droits doit être effectuée sur la base des critères développés par la Cour dans l’arrêt L’Oréal e.a. (38). Lorsqu’un vendeur cible des consommateurs dans un État membre déterminé et crée ou met à leur disposition un système de livraison et un mode de paiement spécifiques, qui permettent auxdits consommateurs d’acquérir des copies d’œuvres protégées par un droit d’auteur dans ce même État membre, alors il y a une distribution par la vente dans cet État membre (39). L’existence d’un site Internet en langue allemande, le contenu du matériel publicitaire de Dimensione et sa coopération prolongée avec Inspem, en tant qu’entreprise réalisant des ventes et des livraisons à destination de l’Allemagne, sont autant d’indices d’une activité ciblée. Ce qui importe est de savoir si le vendeur a créé un canal de vente et de livraison ciblé permettant aux acquéreurs d’acheter des œuvres qui sont protégées par un droit d’auteur dans leur propre État membre.

56.      À cet égard, la façon dont la livraison des copies est organisée revêt une importance secondaire. Il y a une distribution par la vente depuis un État membre A au public visé dans l’État membre B même dans le cas où, suivant le système de distribution concrètement mis en place, les copies des œuvres sont livrées au client par la poste ou par un autre service de distribution. L’importance de l’implication du transporteur dans l’exécution du contrat de vente a cependant une incidence sur la question de savoir si le transporteur est à considérer comme une composante du système de distribution ou simplement comme un intermédiaire, tel que visé à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 (40), dont les services sont utilisés par un tiers. Conformément à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et à la disposition correspondante dans la directive 2004/48, l’article 11 de cette dernière, un tel intermédiaire peut se voir adresser des injonctions, mais ne peut faire l’objet de sanctions.

57.      En revanche, si le vendeur dans l’État membre A ne crée pas de canal spécifique pour permettre aux acquéreurs dans l’État membre B d’accéder à des œuvres protégées par un droit d’auteur dans l’État membre B, il ne peut y avoir de distribution par la vente dans l’État membre B (41).

58.      À la lumière de cette analyse, le Bundesgerichtshof ne s’est, d’après moi, pas trompé en concluant qu’il y avait eu une distribution par la vente en Allemagne au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29, même si je ne suis pas le même raisonnement pour arriver à cette conclusion. Tout comme la Cour a, dans l’arrêt L’Oréal e.a., précité, interprété les dispositions pertinentes du droit des marques de l’Union comme recouvrant une activité ciblée et a atteint le même résultat dans l’arrêt Stichting de Thuiskopie, précité, concernant les article 5, paragraphes 2, sous b), et 5, de la directive 2001/29, l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doit également recevoir une interprétation similaire, tout spécialement à la lumière des défis devant lesquels la commercialisation au moyen d’Internet place le droit de la propriété intellectuelle. En outre, comme je l’ai mentionné en introduction, en l’absence de procédures douanières nationales permettant d’interdire le commerce, à l’intérieur de l’Union, de copies non autorisées de produits protégés par un droit d’auteur, l’unique voie qui existe pour assurer que l’Union et les États membres respectent les obligations dont ils sont tenus en vertu du droit d’auteur international est de faire en sorte que les mesures d’harmonisation de l’Union soient interprétées de façon conforme à ces règles.

D –    Sur l’interprétation des articles 34 TFUE et 36 TFUE

1.      La jurisprudence classique de la Cour sur l’article 36 TFUE et les restrictions déguisées aux échanges

59.      La présente affaire ne concerne pas le problème qui se pose classiquement dans le cadre de l’article 36 TFUE, consistant à déterminer si le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin a épuisé celui-ci en mettant les œuvres concernées sur le marché dans un État membre de l’Union ou s’est livré à une autre activité qui lui interdit de faire valoir ses droits (42). Au contraire, les titulaires du droit d’auteur sur les objets en cause n’ont manifestement accompli aucun acte qui pourrait être considéré comme épuisant leurs droits (43). En outre, comme je l’ai déjà mentionné, en droit de l’Union tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt Flos, des doutes existent sur le point de savoir si les objets en cause ont été commercialisés légalement en Italie (44).

60.      Cela signifie que, si M. Donner a distribué les œuvres au public en violation de la directive 2001/29, la Cour n’empêchera le ministère public d’invoquer l’article 36 TFUE que si cela aurait pour effet de créer un obstacle artificiel aux échanges entre États membre (45) ou si les règles du droit d’auteur national en cause opèrent une discrimination fondée sur la nationalité des personnes (46) ou sur l’origine géographique des produits (47).

61.      Toutefois, la jurisprudence de la Cour invoquée par M. Donner, qui fixait des limites à l’application de l’article 36 TFUE, n’est pas directement pertinente aux fins de la procédure au principal ou, à tout le moins, ne semble pas étayer son argumentation.

62.      L’arrêt Commission/Irlande (48) corrobore la règle selon laquelle les dérogations au principe de libre circulation des marchandises sont d’interprétation stricte, mais n’ajoute rien à l’interprétation de l’article 36 TFUE lui-même qui soit pertinent aux fins de la présente affaire.

63.      Dans l’affaire Merck (49), le titulaire d’un brevet pour un médicament dans un État membre A ne pouvait pas invoquer l’article 36 TFUE pour interdire l’importation du même produit depuis l’État membre B, dans lequel le produit ne pouvait être protégé par un brevet. La raison en était que le titulaire du brevet dans l’État membre A avait choisi de commercialiser le produit dans l’État membre B malgré l’absence de protection par un brevet. La Cour a jugé que le titulaire de droits qui optait pour cette démarche devait alors accepter les conséquences de son choix en ce qui concernait la libre circulation du produit à l’intérieur du marché commun. Toute autre décision aurait abouti à un cloisonnement des marchés nationaux, ce qui serait contraire aux objectifs du traité.

64.      Les faits en cause en l’espèce se caractérisent, toutefois, par l’absence de toute action de la part des titulaires des droits d’auteur sur les œuvres, en Italie, en Allemagne ou en quelque autre endroit que ce soit, qui leur interdirait de se prévaloir de l’article 36 TFUE.

65.      De façon similaire, l’affaire EMI Electrola (50) concernait un producteur de phonogrammes qui n’avait pas consenti à la commercialisation de ces phonogrammes dans l’État membre A et qui entendait, ensuite, en interdire l’importation à partir de l’État membre B en invoquant l’article 36 TFUE et ses droits de reproduction et de distribution. La Cour a considéré que, si les œuvres étaient commercialisées régulièrement dans l’État membre A, ce n’était pas le fait du titulaire des droits ou du concessionnaire d’une licence, mais du fait de l’expiration de la durée de protection prévue par la législation de l’État membre A; par conséquent, le titulaire des droits était en droit de se prévaloir de la protection dont il bénéficiait dans l’État membre B. Le problème était survenu en raison de la différence existant entre les législations nationales sur la durée de protection des droits d’auteur et des droits voisins, non d’un acte du titulaire des droits.

66.      Comme, dans l’affaire au principal, le problème est également dû à des différences concernant la protection conférée par le droit d’auteur aux objets en cause en Italie et en Allemagne, cette affaire est des plus similaires à l’affaire EMI Electrola (51), précitée. Les principes développés dans ce dernier arrêt sont applicables aux faits de la présente affaire. Comme dans l’affaire EMI Electrola, le problème dans l’affaire au principal est le résultat de disparités, entre États membres, dans la protection du droit d’auteur, ce qui a pour effet de rendre l’article 36 TFUE pleinement applicable, sous réserve des principes généraux que j’examinerai à présent.

2.      Absence de cloisonnement disproportionné des marchés nationaux et d’obstacle à la libre prestation des services

67.      L’application de l’article 36 TFUE n’entraîne pas de restriction disproportionnée à la libre circulation des marchandises. Il impose simplement à des opérateurs tels que Dimensione et M. Donner d’obtenir l’autorisation des titulaires du droit d’auteur avant de se livrer à des actes constitutifs d’une forme de distribution au public par la vente en Allemagne. Comme je l’ai expliqué, cela inclut une commercialisation des produits qui cible cet État membre.

68.      Si cette voie était choisie, aucun cloisonnement prohibé des marchés n’en résulterait. Compte tenu de la nécessaire mise en balance entre la libre circulation des marchandises et la protection de la propriété industrielle et commerciale imposée par les articles 34 TFUE et 36 TFUE, l’exigence que les opérateurs respectent les contraintes que leur impose la protection par un droit d’auteur dans l’État membre où la distribution a lieu ne saurait être analysée comme affectant de façon disproportionnée la libre circulation des marchandises. En outre, les restrictions à la libre circulation des marchandises assurant le respect, par l’Union et par ses États membres, de leurs obligations internationales en matière de droit d’auteur, ne peuvent être disproportionnées (52).

69.      Si la distribution au public par la vente ou autrement visée à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 devait être interprétée comme englobant l’activité de transporteurs indépendants qui ne se sont pas livrés à des actes constitutifs d’une distribution par la vente, alors je veux bien admettre qu’il pourrait y avoir un obstacle disproportionné à la prestation de services de transport et de livraison à l’intérieur de l’Union. Il en va ainsi parce que cette interprétation imposerait aux entreprises de transport de vérifier si les marchandises qu’elles transportent sont protégées par un droit d’auteur dans l’État membre vers lequel elles doivent être transportées, sous peine de s’exposer à des poursuites pénales. Une obligation de surveillance aussi générale constituerait un obstacle sérieux à la prestation de services de transport dans l’Union au-delà des frontières nationales.

70.      Toutefois, telle n’est pas la conclusion à laquelle je parviens. Si M. Donner relève de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et, par conséquent, du champ d’application ratione materiae de l’article 36 TFUE, c’est pour s’être livré à des actes relevant de la notion de distribution par la vente d’œuvres protégées. Cela découle des faits suivants: il a lui-même financé le paiement du prix en Italie; il a donné instruction à ses chauffeurs de recevoir paiement du prix des acquéreurs en Allemagne; il a accepté de retourner les œuvres en Italie en vue d’obtenir le remboursement du prix et des frais de livraison par Dimensione en cas de refus de l’acquéreur de payer ces frais. Ces activités montrent une implication dans la transaction qui va nettement au-delà de ce qu’une entreprise de transport indépendante, étrangère au système de distribution de Dimensione, aurait été prête à accepter dans le cadre du déroulement normal d’une livraison transfrontalière de meubles.

3.      Absence de discrimination arbitraire

71.      Le principe d’égalité de traitement s’applique à l’épuisement des droits de l’auteur prévu à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29. Le principe d’égalité de traitement veut que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée. En outre, selon la jurisprudence établie de la Cour, le droit d’auteur et les droits voisins qui, en raison de leurs effets sur les échanges intracommunautaires de biens et de services, entrent dans le domaine d’application du traité sont soumis au principe général de non-discrimination du fait de la nationalité (53).

72.      Ainsi, les principes généraux du droit de l’Union font obstacle à toute interprétation de l’article 36 TFUE ou de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 qui aurait pour conséquence que des situations comparables soient traitées de manière différente sans que cela ne soit objectivement justifiée.

73.      Toutefois, l’interprétation du droit de l’Union que je préconise n’engendre aucune discrimination. Des acquéreurs qui se rendent en Italie pour y récupérer des œuvres qu’ils ont achetées auprès de Dimensione, ou qui font appel à un transporteur indépendant qui n’est pas intégré au système de distribution, ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle de M. Donner. Ils procèdent uniquement à une importation privée de copies d’œuvres protégées par un droit d’auteur, laquelle semble être licite en droit allemand.

E –    Sanctions

74.      Le droit de l’Union n’empêche pas les États membres d’imposer des sanctions pénales proportionnées afin de lutter contre les activités ciblées telles que celles en cause dans l’affaire au principal. Au contraire, le vingt-huitième considérant de la directive 2004/48 déclare expressément que «des sanctions pénales constituent également, dans des cas appropriés, un moyen d’assurer le respect des droits de propriété intellectuelle» (54), pendant que l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2001/29 exige des États membres de prévoir des sanctions et des voies de recours appropriées contre les atteintes aux droits et obligations prévus par cette directive et leur impose l’obligation d’en garantir l’application. Sous réserve des principes généraux du droit de l’Union pertinents, l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ajoute que les sanctions ainsi prévues doivent être «efficaces, proportionnées et dissuasives» (55).

75.      La question du caractère proportionné de la sanction sera à apprécier par la juridiction nationale, qui devra tenir dûment compte du fait que la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacre tant la protection de la propriété intellectuelle (56) que la proportionnalité des peines (57). En outre, le dix-septième considérant de la directive 2004/48 déclare que les mesures devraient être déterminées en tenant «dûment compte des caractéristiques spécifiques de chaque cas, notamment des caractéristiques spécifiques de chaque droit de propriété intellectuelle et, lorsqu’il y a lieu, du caractère intentionnel ou non intentionnel de l’atteinte commise».

76.      Il convient de noter par ailleurs que des actes qui peuvent justifier le prononcé de sanctions ou de réparations en droit civil (ou en application des règles de procédure civile) en raison de leur caractère abusif, peuvent néanmoins ne pas tomber sous le coup du droit pénal en raison de l’exigence de prévisibilité inhérente au principe nulla poena sine lege, lequel est garanti par l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (58). Enfin, la jurisprudence de la Cour contient un autre garde-fou, applicable lorsque des États membres choisissent de mettre en œuvre des directives au moyen de sanctions pénales. Il est établi que, lorsque les États membres ont le choix entre plusieurs sanctions pénales, ils ne peuvent se fonder sur la directive pour aggraver la responsabilité pénale ou pour, rétroactivement, imposer une sanction pénale plus sévère (59).

IV – Conclusion

77.      Pour ces raisons, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question posée par le Bundesgerichtshof:

«Les articles 34 TFUE et 36 TFUE, relatifs à la libre circulation des marchandises, ne font pas obstacle à des poursuites pour complicité de distribution sans autorisation de copies d’œuvres protégées par un droit d’auteur en application du droit pénal national dans le cas où des copies d’œuvres protégées par un droit d’auteur sont distribuées par la vente dans un État membre du fait qu’elles sont mises à la disposition du public dans cet État membre au moyen d’une vente transfrontalière à distance depuis un autre État membre de l’Union européenne, où cette œuvre n’est pas protégée par un droit d’auteur ou où cette protection ne peut être opposée utilement aux tiers.»


1 —      Langue originale: l’anglais.


2 —      Alors que la question préjudicielle fait référence aux articles 34 TFUE et 36 TFUE, ce sont les articles 28 CE et 30 CE qui sont applicables ratione temporis. Pour plus de clarté, je me référerai cependant ci-après aux articles 34 TFUE et 36 TFUE, et ce même pour discuter de la jurisprudence établie et développée sous l’empire des articles 30 CEE et 36 CEE.


3 —      Directive du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001 (JO L 167, p. 10).


4 —      L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci‑après l’«accord ADPIC»), qui constitue l’annexe 1C à l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994, a été approuvé par décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986‑1994) (JO L 336, p. 1).


5 —      Dimensione vendait sans en avoir obtenu l’autorisation des auteurs les objets suivants: des chaises de l’«Alumium Group», dessinées par Charles et Ray Eames, la «Lampe Wagenfeld», conçue par Wilhelm Wagenfeld, des sièges créés par Le Corbusier, la table d’appoint «Adjustable Table» et la lampe «Tubelight» dessinées par Eileen Gray, des chaises cantilever en acier, créées par Mart StaM. Les objets dessinés par Eileen Gray n’étaient pas protégés par un droit d’auteur en Italie entre le 1er janvier 2002 et le 25 avril 2007; la protection ne leur a été renouvelée qu’à compter du 26 avril 2007. Les autres objets en cause étaient des copies d’œuvres protégées en vertu du droit italien au cours de la période en cause, sans que cette protection ne puisse cependant être opposée aux fabricants qui avaient reproduit, offert à la vente et/ou commercialisé les œuvres avant le 19 avril 2001.


6 —      La formulation de la question préjudicielle semble comporter une légère imprécision de formulation. En effet, ce sont des copies des œuvres qui sont distribuées, non les œuvres elles‑mêmes.


7 —      Voir directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO L 157, p. 45, et — rectificatif — JO 2004, L 195, p. 16).


8 —      Voir Peukert, A., «Territoriality and Extraterritoriality in Intellectual Property Law», dans Handl, G., et Zekoll, J., «Beyond Territoriality: Transnational Legal Authority in an Age of Globalization», Queen Mary Studies in International Law, Brill Academic Publishing, Leiden/Boston, 2011, p. 2. Disponible sur le site Internet du Social Science Research Network à l’adresse http://ssrn.com/abstract=1592263.


9 —      Voir vingtième considérant de la directive 92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (JO L 346, p. 61). La directive 92/100 a été abrogée et remplacée, avec effet au 17 janvier 2007, par la directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (version codifiée) (JO L 376, p. 28). Voir également arrêt du 14 juillet 2005, Lagardère Active Broadcast (C‑192/04, Rec. p. I‑7199, point 46).


10 —      Voir article 61 de l’accord ADPIC: «Les Membres prévoiront des procédures pénales et des peines applicables au moins pour les actes délibérés de contrefaçon de marque de fabrique ou de commerce ou de piratage portant atteinte à un droit d’auteur, commis à une échelle commerciale. […] Les Membres pourront prévoir des procédures pénales et des peines applicables aux autres actes portant atteinte à des droits de propriété intellectuelle, en particulier lorsqu’ils sont commis délibérément et à une échelle commerciale.» Ces sanctions sont préservées par le cinquième considérant de la directive 2004/48. Ledit cinquième considérant déclare, entre autres, que cette «directive ne devrait pas affecter les obligations internationales des États membres y compris celles résultant de l’accord sur les ADPIC». Voir également sixième considérant.


11 —      La note 14, sous b), à l’article 51 de l’accord ADPIC définit les «marchandises pirates portant atteinte au droit d’auteur» comme «toutes les copies faites sans le consentement du détenteur du droit ou d’une personne dûment autorisée par lui dans le pays de production et qui sont faites directement ou indirectement à partir d’un article dans les cas où la réalisation de ces copies aurait constitué une atteinte au droit d’auteur ou à un droit connexe en vertu de la législation du pays d’importation».


12 —      Règlement (CE) no 1383/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle (JO L 196, p. 7).


13 —      Voir Peukert, A., op. cit., p. 15.


14 —      Il ressort de la jurisprudence récente de la Cour que, lorsqu’une question de droit d’auteur est régie par le droit de l’Union, seules des œuvres qui sont des créations intellectuelles propres à leur auteur et sont donc originales en ce sens sont susceptibles de bénéficier de la protection du droit d’auteur. Voir, par exemple, arrêts du 16 juillet 2009, Infopaq International (C‑5/08, Rec. p. I‑6569, point 37), et du 1er décembre 2011, Painer (C‑145/10, Rec. p. I‑12533, point 87). Comme l’avocat général Mengozzi l’a observé aux points 39 à 41 de ses conclusions dans l’affaire Football Dataco e.a. (arrêt du 1er mars 2012, C‑604/10), cette définition est plus proche de la tradition juridique continentale que de celle du «common law».


15 —      Cette possibilité leur était ouverte par l’article 2, paragraphe 7, de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (telle que révisée à Paris le 24 juillet 1971 et modifiée le 28 septembre 1979, ci-après la «convention de Berne»). L’Union n’est pas partie contractante à la convention de Berne, mais, dans sa jurisprudence, la Cour s’est appuyée sur la convention de Berne au point de faire bénéficier ladite convention d’un statut désormais comparable à celui d’une convention internationale conclue par l’Union.


16 —      Directive du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 1998 (JO L 289, p. 28).


17 —      Règlement du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) (JO L 199, p. 40, ci-après le «règlement Rome II»). Il convient de noter que les parties ne peuvent déroger au principe de la lex loci protectionis (voir article 8, paragraphe 3, du règlement Rome II).


18 —      Lors de l’audience, la Commission a observé que la distribution de meubles «design» avait été vivement débattue en Italie, tout comme dans d’autres États membres. La législation y a été modifiée par petites touches successives. Pour une discussion, voir Fittante, A., «The issue of Conformity of Article 239 of the Italian Industrial Property Code with European Law», The European Legal Forum, 2010, p. 23.


19 —      C‑168/09, Rec. p. I‑181.


20 —      La date à partir de laquelle la suspension du droit d’auteur s’applique est la même dans l’arrêt Flos, précité, et dans l’ordonnance de renvoi. Il s’agit d’un moratoire décennal, à compter du 19 avril 2001, pendant lequel «la protection accordée aux dessins et modèles […] n’est pas opposable à l’égard uniquement de ceux qui, avant ladite date, ont entrepris de fabriquer, d’offrir ou de commercialiser des produits réalisés selon des dessins ou des modèles qui étaient, ou étaient tombés, dans le domaine public». Voir arrêt Flos (précité à la note 19, point 17).


21 —      Arrêt du 17 avril 2008 (C‑456/06, Rec. p. I‑2731).


22 —      Voir arrêt Lagardère Active Broadcast (précité à la note 9, point 46).


23 —      Voir Peukert, A., op. cit., p. 7 et 13.


24 —      Arrêt du 12 juillet 2011 (C‑324/09, Rec. p. I‑6011). Une situation similaire est à l’origine de l’affaire Wintersteiger (C‑523/10, pendante devant la Cour), laquelle porte cependant sur la compétence juridictionnelle, en application du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1, ci-après le «règlement Bruxelles I»), des tribunaux des États membres dans lesquels une marque est enregistrée. Voir conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans ladite affaire.


25 —      Première directive du Conseil, du 21 décembre 1988 (JO 1989, L 40, p. 1). La première directive 89/104 a été abrogée et remplacée par la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (version codifiée) (JO L 299, p. 25), entrée en vigueur le 28 novembre 2008.


26 —      Règlement du Conseil, du 20 décembre 1993 (JO 1994, L 11, p. 1). Le règlement no 40/94 a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (version codifiée) (JO L 78, p. 1), entré en vigueur le 13 avril 2009. Arrêt L’Oréal e.a. (précité à la note 24, point 67).


27 —      Arrêt du 16 juin 2011 (C‑462/09, Rec. p. I‑5331).


28 —      C’est moi qui mets en évidence.


29 —      Arrêt Stichting de Thuiskopie (précité à la note 27, point 41). Les principes énoncés dans ledit arrêt ont été confirmés par la Cour dans l’arrêt du 9 février 2012, Luksan (C‑277/10, point 106).


30 —      L’article 2 de la directive 2001/29 énonce que «[l]es États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie: a) pour les auteurs, de leurs œuvres».


31 —      Les importantes variations existant entre les différents droits nationaux dans la conception et dans la formulation des droits de distribution ont été décrites de façon détaillée dans une étude comparative de la transposition de la directive 2001/29. Voir Westkamp, G. e.a., The Implementation of Directive 2001/29/EC in the Member States, accessible sur Internet à l’adresse http://www.ivir.nl/publications/guibault/InfoSoc_Study_2007.pdf


32 —      Le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, adopté à Genève le 20 décembre 1996 (ci‑après le «TDA»), a été approuvé, au nom de la Communauté européenne, par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000, relative à l’approbation, au nom de la Communauté européenne, du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et du traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et sur les phonogrammes (JO L 89, p. 6). Le quinzième considérant de la directive 2001/29 déclare que cette directive vise aussi à mettre en œuvre certaines des nouvelles obligations internationales en vertu du TDA. Voir également arrêt Peek & Cloppenburg, (précité à la note 21, point 31) qui énonce qu’«[i]l est constant, ainsi qu’il résulte du quinzième considérant de la directive 2001/29, que cette dernière vise à mettre en œuvre sur le plan communautaire les obligations qui incombent à la Communauté en vertu du TDA et du [traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et sur les phonogrammes]».


33 —      Précité à la note 21 (points 29 à 36).


34 —      Précité à la note 21 (points 38 et 39).


35 —      Arrêt précité à la note 21 (point 41).


36 —      Voir points 56 à 58 de mes conclusions dans l’affaire Stichting de Thuiskopie, précitée à la note 27. Il convient également de noter que la Commission a déclaré lors de l’audience avoir reçu de nombreuses plaintes concernant des imitations de mobilier «design» fabriqués à grande échelle à Sterzing. Des problèmes similaires existent également au Royaume-Uni. Un contrôle de la Commission est en cours.


37 —      Le vingt-huitième considérant de la directive 2001/29 déclare que «[l]a protection du droit d’auteur en application de la présente directive inclut le droit exclusif de contrôler la distribution d’une œuvre incorporée à un bien matériel. La première vente dans la Communauté de l’original d’une œuvre ou des copies de celle-ci par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le droit de contrôler la revente de cet objet dans la Communauté».


38 —      Précité à la note 24. Comme l’a Cour l’a observé dans l’arrêt L’Oréal e.a., lorsque «l’offre à la vente est accompagnée de précisions quant aux zones géographiques vers lesquelles le vendeur est prêt à envoyer le produit, ce type de précision a une importance particulière» (point 65) pour déterminer si des offres à la vente y affichées «sont destinées à des consommateurs situés sur ce territoire» (point 64). Suivant les critères développés par la Cour au point 67 de l’arrêt L’Oréal e.a., une offre à la vente ou une publicité affichée sur une place de marché en ligne accessible sur ledit territoire est destinée à des consommateurs situés sur celui-ci lorsque les produits en cause n’ont pas, auparavant, été commercialisés dans l’EEE ou, en cas de marque communautaire, n’ont pas, auparavant, été commercialisés dans l’Union et que lesdits produits sont vendus par un opérateur économique au moyen d’une place de marché en ligne et sans le consentement du titulaire de cette marque à un consommateur situé sur le territoire couvert par ladite marque ou font l’objet d’une offre à la vente ou d’une publicité sur une telle place destinée à des consommateurs situés sur ce territoire.


39 —      Voir, également, au sujet de la notion d’activité ciblée, arrêt du 7 décembre 2010, Pammer and Hotel Alpenhof (C‑585/08 et C‑144/09, Rec. p. I‑12527), qui concernait une activité ciblée au moyen d’Internet dans le cadre de contrats conclus par des consommateurs et du règlement Bruxelles I.


40 —      L’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 dispose que «[l]es États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin».


41 —      Je fais ici référence à la situation où les acquéreurs se rendent eux-mêmes dans l’État membre A pour y récupérer les copies ou engagent eux-mêmes un transporteur, étranger à la transaction de vente et qui, n’ayant pas connaissance des aspects de la vente qui relèvent du droit d’auteur, effectue la livraison aux conditions normales du commerce telles qu’applicables entre des parties indépendantes.


42 —      Voir, par exemple, arrêts du 8 juin 1971, Deutsche Grammophon Gesellschaft (78/70, Rec. p. 487), et du 24 janvier 1989, EMI Electrola (341/87, Rec. p. 79).


43 —      Voir arrêt du 11 juillet 1996, Bristol-Myers Squibb e.a. (C‑427/93, C‑429/93 et C‑436/93, Rec. p. I‑3457). Pour être complet, j’ajouterai qu’il peut bien entendu exister des chaînes au sein desquelles les actes de distribution illégale se succèdent et où, de ce fait, aucun épuisement des droits ne se produit.


44 —      Précité à la note 19.


45 —      Voir arrêt Bristol-Myers Squibb e.a. (précité à la note 43, points 52 à 57).


46 —      Voir arrêts du 20 octobre 1993, Phil Collins e.a. (C‑92/92 et C‑326/92, Rec. p. I‑5145), et du 6 juin 2002, Ricordi (C‑360/00, Rec. p. I‑5089). L’interdiction de toute discrimination exercée en raison de la nationalité est désormais énoncée à l’article 18 TFUE.


47 —      Voir arrêts du 30 juin 1988, Thetford et Thetford (Aqua) Products (35/87, Rec. p. 3585); du 30 novembre 1993, Deutsche Renault (C‑317/91, Rec. p. I‑6227), et du 30 juin 2005, Tod’s et Tod’s France (C‑28/04, Rec. p. I‑5781).


48 —      Arrêt du 17 juin 1981 (113/80, Rec. p. 1625).


49 —      Arrêt du 14 juillet 1981 (187/80, Rec. p. 2063, points 11 et 13).


50 —      Précitée à la note 42.


51 —      M. Donner invoque également l’arrêt du 9 avril 1987, Basset (402/85, Rec. p. 1747). Cette affaire ne semble pas présenter le moindre lien avec les questions que la Cour doit trancher.


52 —      Voir point 34 de mes conclusions dans l’affaire Stichting de Thuiskopie, précitée à la note 27.


53 —      Voir jurisprudence citée à la note 46. Cela s’étend à l’interdiction des discriminations en raison de l’origine géographique des produits. Voir jurisprudence citée à la note 47.


54 —      À cet égard, la situation en cause en l’espèce est à l’opposé de celle à l’origine de l’affaire El Dridi (arrêt du 28 avril 2011, C‑61/11 PPU, Rec. p. I‑3015), où le prononcé d’une sanction pénale n’était pas conforme aux normes et procédures réglementées par une directive et risquait de mettre en péril, plutôt que de garantir, la réalisation de l’objet poursuivi par cette directive. Voir également arrêt du 6 décembre 2011, Achughbabian (C‑329/11, Rec. p. I‑12695).


55 —      Voir, en des termes similaires, cinquante-huitième considérant de la directive 2001/29.


56 —      Voir article 17, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.


57 —      Voir article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.


58 —      Voir arrêt du 29 mars 2011, ThyssenKrupp Nirosta/Commission (C‑352/09 P, Rec. p. I‑2359, point 80).


59 —      Arrêt du 3 mai 2005, Berlusconi e.a. (C‑387/02, C‑391/02 et C‑403/02, Rec. p. I‑3565, points 70 à 78). Au sujet des limites du principe interdisant l’application rétractive d’une sanction pénale plus sévère, voir arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a. (C‑17/10, points 64 à 66). M. Donner avait également invoqué l’arrêt du 6 mars 2007, Placanica e.a. (C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04, Rec. p. I‑1891), notamment le point 68 dans lequel la Cour avait rappelé qu’il était de jurisprudence constante que la législation pénale ne pouvait restreindre les libertés fondamentales garanties par le droit communautaire. Toutefois, comme j’ai conclu que toute restriction à l’article 34 TFUE pouvait être justifiée en application de l’article 36 TFUE, le prononcé, en l’espèce, d’une sanction pénale ne constituerait pas une violation du principe de la libre circulation des marchandises.