Language of document : ECLI:EU:T:2010:448

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

25 octobre 2010 (*)

« Référé – Règlement (CE) n° 1007/2009 – Commerce des produits dérivés du phoque – Interdiction d’importation et de vente – Exception au profit des communautés inuit – Autre demande de sursis à exécution – Faits nouveaux – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑18/10 R II,

Inuit Tapiriit Kanatami, établie à Ottawa (Canada),

Nativak Hunters and Trappers Association, établie à Qikiqtarjuaq (Canada),

Pangnirtung Hunters’ and Trappers’ Association, établie à Pangnirtung (Canada),

Jaypootie Moesesie, demeurant à Qikiqtarjuaq,

Allen Kooneeliusie, demeurant à Qikiqtarjuaq,

Toomasie Newkingnak, demeurant à Qikiqtarjuaq,

David Kuptana, demeurant à Ulukhaktok (Canada),

Karliin Aariak, demeurant à Iqaluit (Canada),

Canadian Seal Marketing Group, établi à Québec (Canada),

Ta Ma Su Seal Products, établi à Cap‑aux‑Meules (Canada),

Fur Institute of Canada, établi à Ottawa,

NuTan Furs, Inc., établie à Catalina (Canada),

GC Rieber Skinn AS, établie à Bergen (Norvège),

Inuit Circumpolar Conference Greenland (ICC), établi à Nuuk, Groenland (Danemark),

Johannes Egede, demeurant à Nuuk,

Kalaallit Nunaanni Aalisartut Piniartullu Kattuffiat (KNAPK), établie à Nuuk,

représentés par Mes J. Bouckaert et H. Viaene, avocats,

parties requérantes,

contre

Parlement européen, représenté par Mme I. Anagnostopoulou et M. L. Visaggio, en qualité d’agents,

et

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Moore et Mme K. Michoel, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

soutenus par

Commission européenne, représentée par MM. É. White, P. Oliver et K. Mifsud-Bonnici, en qualité d’agents,

et par

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme C. Wissels, MM. Y. de Vries, J. Langer et Mme M. Noort, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution du règlement (CE) n° 1007/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, sur le commerce des produits dérivés du phoque (JO L 286, p. 36),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        Le règlement (CE) n° 1007/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, sur le commerce des produits dérivés du phoque (JO L 286, p. 36), a pour objet, selon son article 1er, l’établissement de règles harmonisées concernant la mise sur le marché des produits dérivés du phoque.

2        Afin d’éviter une perturbation du marché intérieur des produits concernés tout en tenant compte de la question du bien-être animal, l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1007/2009 prévoit ce qui suit :

« La mise sur le marché de produits dérivés du phoque est autorisée uniquement pour les produits dérivés du phoque provenant de formes de chasse traditionnellement pratiquées par les communautés [inuit] et d’autres communautés indigènes à des fins de subsistance. Ces conditions s’appliquent au moment ou au point d’importation pour les produits importés. »

3        Le considérant 14 du règlement n° 1007/2009 précise à cet égard qu’il importe que les intérêts économiques et sociaux fondamentaux des communautés inuit pratiquant la chasse aux phoques à des fins de subsistance ne soient pas compromis. En effet, cette chasse ferait partie intégrante de la culture et de l’identité des membres de la société inuit et, en tant que telle, elle serait reconnue par la déclaration des Nations unies relative aux droits des peuples indigènes. C’est pourquoi, la mise sur le marché des produits dérivés du phoque provenant de ces formes de chasse traditionnellement pratiquées par les communautés inuit et d’autres communautés indigènes à des fins de subsistance devrait être autorisée.

4        Il ressort de l’article 3, paragraphe 4, et de l’article 5, paragraphe 3, du règlement n° 1007/2009 que des mesures relatives, notamment, à la mise en œuvre de l’autorisation au bénéfice des communautés inuit doivent être arrêtées par la Commission des Communautés européennes.

5        Selon l’article 8 du règlement n° 1007/2009, bien que ce dernier entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, son article 3 est applicable à partir du 20 août 2010.

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 janvier 2010, Inuit Tapiriit Kanatami, Nativak Hunters and Trappers Association, Pangnirtung Hunters’ and Trappers’ Association, MM. Jaypootie Moesesie, Allen Kooneeliusie, Toomasie Newkingnak, David Kuptana, Mme Karliin Aariak, M. Efstathios Andreas Agathos, Canadian Seal Marketing Group, Ta Ma Su Seal Products, Fur Institute of Canada, NuTan Furs, Inc., GC Rieber Skinn AS, Inuit Circumpolar Conference Greenland (ICC), M. Johannes Egede et Kalaallit Nunaanni Aalisartut Piniartullu Kattuffiat (KNAPK) ont introduit un recours visant à l’annulation du règlement n° 1007/2009.

7        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 11 février 2010, les personnes mentionnées au point précédent ont introduit une première demande en référé, dans laquelle ils ont demandé au président du Tribunal, en substance, d’ordonner le sursis à l’exécution du règlement n° 1007/2009 jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours en annulation formé contre ce même règlement (ci-après la « première demande en référé »).

8        Par ordonnance du 30 avril 2010, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (T‑18/10 R, non publiée au Recueil, ci-après l’« ordonnance du 30 avril 2010 »), le président du Tribunal a rejeté la première demande en référé. En effet, après avoir estimé que, d’une part, la recevabilité du recours principal ne pouvait être exclue (points 28 à 48) et, d’autre part, les moyens invoqués par les requérants apparaissaient, à première vue, suffisamment pertinents et sérieux pour constituer un fumus boni juris de nature à justifier l’octroi du sursis à exécution sollicité (points 49 à 95), il a conclu à l’absence d’urgence en relevant, aux points 108 à 116, ce qui suit :

« 108 […] s’agissant du préjudice financier invoqué, le juge des référés observe que, en ce qui concerne les requérants personnes physiques, le caractère grave et irréparable ne saurait être exclu et qu’il conviendrait de s’assurer, eu égard aux circonstances propres à la situation de chacun de ces requérants, qu’il dispose d’une somme devant normalement lui permettre de faire face à l’ensemble des dépenses indispensables pour assurer la satisfaction de ses besoins élémentaires et de ceux de sa famille jusqu’au moment où il sera statué sur le recours principal […].

109      Toutefois, l’analyse nécessaire pour reconnaître l’existence d’un tel préjudice coïncide largement avec celle relative à l’autre préjudice invoqué par les requérants, à savoir la prétendue impossibilité de continuer à vivre selon leur culture et leurs traditions en raison de l’interdiction prévue par le règlement n° 1007/2009. Un tel préjudice, s’il était prouvé, pourrait être considéré comme susceptible de justifier l’octroi de la mesure provisoire sollicitée.

110      À cet égard, il convient d’observer que, s’il était prouvé qu’un tel préjudice découlait du règlement n° 1007/2009, le juge des référés devrait apprécier si l’abandon des activités économiques visées par ce règlement dans le cadre du recours principal pourrait déjà se produire avant qu’il ne soit statué sur ce dernier, sans qu’il soit possible de reprendre ces activités dans l’hypothèse où l’acte en cause serait annulé […].

111      En l’espèce, il ressort clairement des considérants 14 et 17 ainsi que de l’article 3, paragraphes 1 et 4, et de l’article 5 du règlement n° 1007/2009 que le législateur, ne souhaitant pas compromettre les intérêts économiques et sociaux fondamentaux des communautés inuit pratiquant la chasse aux phoques à des fins de subsistance, a admis la mise sur le marché des produits dérivés du phoque provenant de ces formes de chasse et que, à cette fin, il a chargé la Commission de définir, notamment, les conditions dans lesquelles cette mise sur le marché pourra se faire. Selon la réponse de la Commission à la question que le juge des référés lui a posée, l’adoption des mesures d’exécution du règlement n° 1007/2009 concernant, notamment, cette question pourrait intervenir au cours du mois de mai 2010.

112      Dès lors, le juge des référés considère que l’argument des requérants selon lequel l’exception en leur faveur prévue à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1007/2009 serait une ‘boîte vide’ ne saurait, à ce stade, être retenu, dans la mesure où, la Commission n’ayant pas encore adopté, ni même formulé une proposition concernant les mesures d’exécution relatives à ladite exception, la portée et les effets de celle-ci ne peuvent être appréciés.

113      Cette conclusion s’applique également à la crainte exprimée par les requérants quant au fait que les chasseurs inuit n’exportent pas eux-mêmes les produits dérivés du phoque, mais ont recours à des intermédiaires qui ne sont pas forcément inuit. En effet, l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1007/2009 autorisant la mise sur le marché des produits ‘provenant’ notamment de la chasse pratiquée par les Inuit, rien n’oblige la Commission à définir les mesures d’exécution de manière à exclure les produits d’origine inuit importés dans l’Union par des intermédiaires non inuit.

114      En ce qui concerne l’argument des requérants selon lequel l’exception au profit des Inuit prévue par la directive [83/129/CEE du Conseil du 28 mars 1983 concernant l’importation dans les États membres de peaux de certains bébés-phoques et de produits dérivés (JO L 91, p. 30)] n’aurait pas produit d’effets, il y a lieu de noter, d’une part, que, avant l’adoption des mesures d’exécution relatives à l’exception à l’interdiction prévue par le règlement n° 1007/2009, il n’est pas possible d’effectuer de comparaison et, d’autre part, que les requérants eux-mêmes admettent que les effets négatifs que ladite directive a entraînés à l’égard des Inuit ne découlaient pas de l’interdiction qu’elle avait introduite, en tant que telle, mais de l’effet psychologique qu’elle avait engendré auprès des acheteurs potentiels quant à la nécessité de respecter les animaux.

115      De telles réactions négatives de la part des acheteurs potentiels ne peuvent être considérées comme des conséquences du règlement n° 1007/2009, parce que celui-ci ne fournit aucune nouvelle information sur le fait que les phoques sont des animaux sensibles pouvant ressentir de la douleur, de la détresse, de la peur et d’autres formes de souffrance. Ainsi, lesdites réactions négatives, à les supposer avérées, constitueraient un choix autonome fait par les acheteurs potentiels, lequel constituerait la cause déterminante du préjudice allégué […].

116      Il ressort de ce qui précède que les requérants n’ont pas démontré l’existence de circonstances créant une urgence de nature à justifier l’octroi de mesures provisoires. »

9        L’ordonnance du 30 avril 2010 n’a pas fait l’objet d’un pourvoi.

10      En revanche, par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 juillet 2010, toutes les personnes mentionnées au point 6 ci-dessus à l’exception d’une d’entre elles (ci-après « les requérants » ont introduit une nouvelle demande en référé, fondée sur les articles 278 TFUE et 279 TFUE ainsi que sur l’article 109 du règlement de procédure du Tribunal.

11      Au soutien de cette nouvelle demande en référé, les requérants font valoir qu’ils ont pris connaissance, le 2 juin 2010, dans le cadre de la procédure au principal, du projet d’un règlement de la Commission comportant les mesures de mise en œuvre de l’autorisation au bénéfice des communautés inuit (ci-après l’« exception inuit ») au titre de l’article 3, paragraphe 4, du règlement n° 1007/2009. Selon eux, il ressort de ce texte que le futur règlement d’application de la Commission sera totalement inapproprié en ce qu’il privera l’exception inuit de toute portée pratique.

12      Les requérants ajoutent qu’ils auraient préféré attendre la publication du règlement d’application avant d’introduire cette nouvelle demande en référé. Toutefois, cette publication n’étant pas encore intervenue à la fin du mois de juillet 2010, soit trois semaines avant l’entrée en vigueur de l’article 3 du règlement n° 1007/2009, prévue le 20 août 2010, ils soutiennent qu’ils sont obligés de saisir le juge des référés sur le fondement du projet actuel.

13      Par conséquent, les requérants concluent, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        déclarer la nouvelle demande en référé recevable en raison des faits nouveaux qui sont venus étayer les arguments développés dans la première demande en référé ;

–        ordonner le sursis à l’exécution du règlement n° 1007/2009 jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours en annulation formé contre ce même règlement ;

–        condamner le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne aux dépens.

14      Par ordonnance du 19 août 2010, adoptée en vertu de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure, le président du Tribunal a sursis à l’exécution des conditions restreignant, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1007/2009, la mise sur le marché de produits dérivés du phoque, en ce qui concerne les requérants, jusqu’à l’adoption de l’ordonnance clôturant la présente procédure de référé.

15      Dans leurs observations écrites déposées au greffe du Tribunal le 7 septembre 2010, le Conseil, le Parlement et la Commission concluent à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner les requérants dans la présente affaire aux dépens.

 En droit

16      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

 Sur la recevabilité

17      Aux termes de l’article 109 du règlement de procédure, le rejet d’une demande en référé n’empêche pas la partie qui l’avait introduite de présenter une autre demande fondée sur des faits nouveaux.

18      Selon une jurisprudence bien établie, il y a lieu d’entendre par « faits nouveaux », au sens de cette disposition, des faits qui apparaissent après l’adoption de l’ordonnance rejetant la première demande en référé ou que le requérant n’a pas pu invoquer dans sa première demande ou pendant la procédure débouchant sur la première ordonnance et qui sont pertinents pour apprécier le cas en cause (voir ordonnance du président du Tribunal du 13 octobre 2006, Vischim/Commission, T‑420/05 R II, Rec. p. II‑4085, point 54, et la jurisprudence citée).

19      Il y a donc lieu de vérifier si, dans la présente demande en référé, les requérants ont produit des faits nouveaux susceptibles de remettre en cause les appréciations qui ont amené le juge des référés à rejeter, par l’ordonnance du 30 avril 2010, la première demande en référé.

20      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans l’ordonnance du 30 avril 2010, le juge des référés, après avoir constaté que l’analyse du préjudice financier invoqué par les requérants coïncidait largement avec celle de leur préjudice non financier, à savoir la prétendue impossibilité de continuer à vivre selon leur culture et leurs traditions, a relevé que, en adoptant le règlement n° 1007/2009, le législateur ne souhaitait pas compromettre les intérêts économiques et sociaux fondamentaux des communautés inuit pratiquant la chasse aux phoques à des fins de subsistance et tolérait donc la mise sur le marché des produits dérivés du phoque provenant de ces formes de chasse, la Commission étant chargée d’adopter un règlement d’exécution définissant les conditions de cette mise sur le marché. Par ailleurs, le juge des référés a ajouté que, à la date du 30 avril 2010, la Commission n’avait pas adopté, ni même formulé une proposition concernant les mesures d’exécution relative à l’exception inuit, si bien que la portée et les effets de celle-ci ne pouvaient pas être appréciés. Pour ces raisons, le juge des référés a écarté, « à ce stade », l’argument des requérants, selon lequel l’exception inuit prévue à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1007/2009 serait une « boîte vide », et a rejeté la première demande en référé pour défaut d’urgence (voir point 8 ci-dessus).

21      Il s’ensuit que, afin d’écarter l’argument des requérants selon lequel l’exception inuit serait une « boîte vide », le juge des référés a considéré, en substance, dans l’ordonnance du 30 avril 2010, qu’il était impossible d’apprécier la portée et les effets de ladite exception en l’absence de tout texte concernant les mesures d’exécution relative à cette exception, plus particulièrement celui de l’imminence d’un préjudice grave et irréparable, jusqu’à l’adoption du règlement d’exécution prévu à l’article 3, paragraphe 4, du règlement n° 1007/2009, motif pris de ce que l’appréciation de l’urgence devait inclure un examen de la portée et des effets dudit règlement d’exécution. Il s’ensuit que le texte de ce dernier apparaît pertinent pour apprécier le cas en cause, au sens de la jurisprudence citée au point 18 ci-dessus.

22      Or, un projet de règlement contenant une proposition concernant les mesures d’exécution relatives à l’exception inuit a été portée à la connaissance des requérantes le 2 juin 2010 (voir point 11 ci-dessus). Il s’ensuit que ledit projet de règlement constitue un fait nouveau au sens de la jurisprudence citée au point 18 ci-dessus et, partant, que les requérants étaient autorisés à fonder la présente demande de référé sur ce projet de règlement sans attendre l’entrée en vigueur formelle du règlement (UE) n° 737/2010 de la Commission, du 10 août 2010, portant modalités d’application du règlement (CE) n° 1007/2009 du Parlement européen et du Conseil sur le commerce des produits dérivés du phoque (JO L 216, p. 1) (ci-après le « règlement d’exécution ». En effet, s’il est vrai que le règlement d’exécution n’a été adopté que le 10 août 2010 et publié au Journal officiel de l’Union européenne que le 17 août 2010, il ne saurait être exigé des requérants qu’ils attendent cette dernière date pour introduire leur demande en référé, d’autant que pareille date coïncide presque avec la date à laquelle doivent être appliquées les conditions restreignant, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1007/2009, la mise sur le marché de produits dérivés du phoque.

23      Par conséquent, la présente demande en référé doit être déclarée recevable. Il convient de préciser, cependant, que l’examen du débat mené entre les parties sera limité à la condition relative à l’urgence, alors que les nombreux arguments concernant la recevabilité du recours principal et le fumus boni juris outrepassent le champ d’application de l’article 109 du règlement de procédure. Enfin, cet examen portera, pour des raisons d’opportunité, sur le règlement d’exécution tel que publié le 17 août 2010, et non sur le projet de règlement du 2 juin 2010, d’autant que ce dernier texte correspond, en substance, à celui du règlement d’exécution.

 Sur l’urgence

24      S’agissant du règlement d’exécution, il y a lieu de relever que ce texte a introduit un mécanisme par lequel des « organismes reconnus » délivrent des attestations établissant que les produits dérivés du phoque remplissent les conditions fixées à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1007/2009.

25      À cette fin, l’article 3 du règlement d’exécution dispose :

« 1. Les produits dérivés du phoque provenant de formes de chasse pratiquées par les communautés inuit ou d’autres communautés indigènes ne peuvent être mis sur le marché que s’il peut être établi qu’ils proviennent de chasses au phoque satisfaisant à l’ensemble des conditions suivantes :

a)      elles sont pratiquées par des communautés inuit ou d’autres communautés indigènes qui ont une tradition de chasse aux phoques dans la communauté et dans la région géographique ;

b)      les produits de ces chasses sont, au moins en partie, utilisés, consommés ou transformés au sein des communautés conformément à leurs traditions ;

c)      elles sont pratiquées à des fins de subsistance de la communauté.

2. Lors de la mise sur le marché, le produit dérivé du phoque est accompagné de l’attestation visée à l’article 7, paragraphe 1. »

26      Selon l’article 7, paragraphe 1, du règlement d’exécution, les « organismes reconnus » délivrent, sur demande, une attestation lorsque les conditions de mise sur le marché visées à l’article 3, paragraphe 1, dudit règlement sont remplies. Conformément à l’article 9, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, les États membres doivent désigner une ou plusieurs autorités chargées, notamment, de vérifier les attestations accompagnant les produits dérivés du phoque importés de pays tiers.

27      L’article 6 du règlement d’exécution précise les conditions de reconnaissance par la Commission des « organismes reconnus » comme suit :

« 1. Un organisme est inscrit sur une liste d’organismes reconnus lorsqu’il peut prouver qu’il remplit les conditions suivantes :

a)      il est doté de la personnalité juridique ;

b)      il est en mesure de vérifier que les exigences énoncées aux articles 3 ou 5 sont satisfaites ;

c)      il est en mesure de délivrer et de gérer des attestations visées à l’article 7, paragraphe 1, ainsi que de traiter et d’archiver des dossiers ;

d)      il est capable de s’acquitter de ses fonctions de manière à éviter tout conflit d’intérêts ;

e)      il est en mesure de contrôler le respect des conditions fixées aux articles 3 et 5 ;

f)      il est en mesure de retirer l’attestation visée à l’article 7, paragraphe 1, ou d’en suspendre la validité en cas de non-respect des prescriptions du présent règlement et de prendre des mesures pour en informer les autorités compétentes et les autorités douanières des États membres ;

g)      il fait l’objet d’un audit indépendant réalisé par un tiers ;

h)      il opère au niveau national ou régional.

2. Pour pouvoir figurer sur la liste visée au paragraphe 1, un organisme doit présenter à la Commission une demande assortie de documents prouvant qu’il satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 1.

3. L’organisme reconnu fournit à la Commission des rapports d’audit établis par le tiers indépendant visé au paragraphe 1, point g), à la fin de chaque cycle de rapports. »

 Arguments des parties

28      Rappelant que le règlement n° 1007/2009 interdit la commercialisation des produits dérivés du phoque, les requérants affirment que la majeure partie des exportations de ces produits vers l’Union européenne est appelée à disparaître. Le même sort attendrait les produits inuit, l’exception inuit étant une « boîte vide ». En effet, il serait à craindre que les autorités nationales compétentes ne mettront pas correctement en œuvre ladite exception. L’absence de définition de la « tradition de chasse aux phoques » dans le règlement d’exécution et l’impossibilité de mettre ce règlement en application, compte tenu de la date de son entrée en vigueur, laisseraient à ces autorités toute latitude pour priver l’exception inuit de toute substance.

29      Les requérants craignent que ni l’industrie du phoque ni les communautés ou chasseurs inuit ne soient en mesure de créer des « organismes reconnus », étant donné que ceux-ci doivent, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous d), du règlement d’exécution, s’acquitter de leurs fonctions « de manière à éviter tout conflit d’intérêts ». Or, aucune entité privée n’aurait d’intérêt à établir de tels organismes et il ne serait nullement certain que les gouvernements canadien ou « inuit » envisagent de le faire, compte tenu du rapport coûts/avantages de l’opération. En tout état de cause, il resterait à voir si ces gouvernements ne se trouveraient pas dans une situation de conflit d’intérêts, du fait qu’ils sont notoirement favorables à la vente de produits dérivés du phoque.

30      En outre, l’article 6, paragraphe 1, sous h), du règlement d’exécution, selon lequel lesdits organismes doivent « opérer au niveau national ou régional », exigerait la création d’un certain nombre d’organismes différents, qui devraient tous être reconnus par la Commission. La mise en œuvre de l’exception inuit serait ainsi extrêmement chère, complexe et coûteuse en temps, autrement dit purement théorique à la lumière de l’entrée en vigueur du règlement d’exécution le 20 août 2010 et du caractère limité du marché des produits inuit dérivés du phoque.

31      Toutes les conditions mentionnées dans le règlement d’exécution devraient être remplies au plus tard le 20 août 2010, alors qu’il serait inconcevable que tel puisse être le cas pour permettre une application effective de l’exception inuit à compter de cette date. Au contraire, il faudrait des années pour créer un système structuré praticable, à supposer qu’un tel système soit possible. En particulier, il n’existerait pas d’« organismes reconnus » à la date du 20 août 2010. Il serait donc irréaliste de dire que les Inuit peuvent immédiatement se conformer aux conditions prévues par le règlement d’exécution.

32      Il ne servirait à rien que le règlement d’exécution permette l’exportation par des sociétés commerciales « non inuit » de produits dérivés du phoque provenant de la chasse inuit. En effet, en l’absence d’un système de traçabilité permettant d’identifier les produits dérivés du phoque provenant de la chasse inuit, il serait impossible de mettre en œuvre l’exception inuit. En outre, les investissements requis pour établir un tel système ne seraient jamais effectués, car ils seraient disproportionnés par rapport au bénéfice que ces sociétés commerciales pourraient tirer de la vente de produits inuit dérivés du phoque. Selon les requérants, ce constat est confirmé le rapport final Cowi datant de 2010 (ci-après le « rapport Cowi », joint en annexe A30 à la présente demande en référé).

33      En ce qui concerne ce rapport Cowi, les requérants indiquent que la direction générale « Environnement » de la Commission a demandé à une société danoise active dans les domaines de l’ingénierie et de la planification pour projets à grande échelle, d’établir un rapport sur la façon de mettre en œuvre l’exception inuit. Ledit rapport, achevé en janvier 2010, confirmerait les craintes des requérants quant aux effets du règlement d’exécution. Ainsi, la Commission aurait choisi d’adopter un système de surveillance ayant pour effet l’abandon de l’infrastructure commerciale existante pour la quantité relativement modeste de produits inuit dérivés du phoque.

34      Les requérants affirment qu’il serait extrêmement difficile de créer un créneau alternatif pour les produits inuit dérivés du phoque dans un tel système. En effet, le Conseil, le Parlement et la Commission auraient négligé le fait que le marché international des peaux de phoque obéit bien plus aux tendances de la mode qu’à une demande spécifique de produits inuit. Le gouvernement du territoire du Nunavut (Canada) n’aurait guère réussi à développer au Canada la demande en produits inuit originaux dérivés du phoque. Or, il serait bien plus difficile de développer ce créneau à l’échelle internationale, où les consommateurs sont moins nombreux à connaître et/ou à apprécier la culture inuit.

35      Dans ce contexte, les requérants rappellent, d’une part, que l’interdiction de commerce des produits dérivés du phoque entraînera sans doute la disparition au sein de l’Union d’infrastructures comme les maisons de vente aux enchères et les tanneries, qui appartiennent pour la plupart à des sociétés commerciales « non inuit » intégrées dans le commerce « non inuit » de ces produits, étant entendu que, sans ces infrastructures, il serait impossible pour les Inuit de commercialiser les peaux de phoque sur le marché européen (ordonnance du 30 avril 2010, point 102). Ils indiquent, d’autre part, que l’embargo sur les peaux de bébés-phoques, provoqué par la directive 83/129 en 1983, a entraîné l’effondrement du marché des produits dérivés du phoque même pour les communautés inuit (ordonnance du 30 avril 2010, point 103). Le même résultat serait à attendre du règlement d’exécution.

36      De plus, l’exception inuit exigerait un accord cadre avec le gouvernement fédéral canadien et peut-être, à un stade ultérieur, avec des collectivités régionales, provinciales ou territoriales, d’autant que celles-ci seraient appelées à gérer le système. Pour se conformer à la coûteuse exigence de traçabilité imposée par le règlement d’exécution, les Inuit canadiens devraient persuader le gouvernement fédéral canadien d’entamer des négociations avec l’Union, lesquelles impliqueraient un investissement en temps et en argent auquel ledit gouvernement ne serait pas nécessairement disposé.

37      Les requérants font valoir que la situation décrite ci-dessus leur cause un préjudice tant financier que non financier.

38      Le plus évident de leurs préjudices consisterait en un manque à gagner, dont l’évaluation devrait être faite non pas de façon rigide et mécanique, sur la seule base du chiffre d’affaires pertinent, mais compte tenu des circonstances du cas d’espèce, c’est-à-dire de leur situation particulière, de la récession mondiale et de la difficile situation du marché. Ainsi, le règlement n° 1007/2009, publié en septembre 2009, aurait créé une vague d’insécurité parmi les acheteurs de produits dérivés du phoque et aurait déjà fait chuter les ventes de peaux de phoque.

39      Les requérants précisent, par un premier tableau, que les prix moyens des peaux de phoque ont chuté – depuis la proposition d’un règlement d’interdiction de commerce en juillet 2008 – au Nunavut de presque 60 dollars canadiens (CAD) en décembre 2006 à environ 48 CAD en décembre 2008, pour tomber à environ 15 CAD en mai 2010. Le sursis à exécution serait donc indispensable pour éviter un effondrement total de ces prix sur le marché mondial.

40      Les requérants ajoutent que, en conséquence de la chute des prix des peaux de phoque, le produit de la vente aux enchères de ces peaux au Canada a également décliné depuis la proposition de juillet 2008, et ce de la manière suivante :

Années

Nombre de peaux vendues

Prix moyen (en CAD)

Somme totale

2002-03

8.508

48,83

415.445,64

2003-04

7.600

45,13

342.988,00

2004-05

7.180

63,61

456.719,80

2005-06

7.658

66,83

511.784,14

2006-07

7.677

57,85

444.114,45

2007-08

1.101

55,90

61.545,90

2008-09

4.059

38,31

155.500,29

2009-10

4.150

16,85

69.927,50


41      Selon les requérants, cette évolution est confirmée par la forte chute du nombre de phoques capturés au Canada depuis la proposition de la Commission en 2008 et l’adoption du règlement n° 1007/2009 en 2009 :

Année

Quota

Prix moyen

Captures

%

2005

319.517

75,00

323.826

101,4

2006

335.000

105,00

354.857

105,9

2007

270.000

69,00

224.745

83,2

2008

275.000

31,00

217.850

79,2

2009

280.000

12,50

72.407

25,9

2010

322.306

19,50

66.496

20,6


42      Les requérants indiquent que, au mois de juillet 2010, il est devenu clair que la diminution des captures, du prix des peaux de phoque et du nombre de peaux vendues, entamée en 2008, était la conséquence non pas de la crise financière mondiale, mais de l’incertitude due à la menace d’une interdiction de commerce des produits dérivés du phoque. L’entrée en vigueur du règlement n° 1007/2009 avant la mise en place d’un système certifié pour les produits inuit dérivés du phoque aurait, en raison notamment de la date d’adoption du règlement d’exécution, un effet dévastateur sur le marché mondial des produits dérivés du phoque.

43      Dans ce contexte, ils rappellent que les Inuit tiraient en 2006 environ un million de CAD (environ 650 000 euros) de la chasse aux phoques et que, selon une estimation faite par les autorités du territoire du Nunavut en 2005, la chasse aux phoques dans son ensemble contribuait annuellement à l’économie de ce territoire à hauteur de 800 000 CAD (voir ordonnance du 30 avril 2010, point 99). Ces recettes, très importantes pour les chasseurs inuit et leurs familles, seraient perdues, puisque l’interdiction de commerce des produits dérivés du phoque ne permettrait plus de vendre ces produits, en particulier les peaux, pour couvrir les frais exposés pour la chasse.

44      Les requérants relèvent une seconde conséquence financière de l’interdiction de commerce des produits dérivés du phoque : le commerce serait affecté non seulement dans l’Union, mais également dans d’autres parties du monde. Du fait de l’attention accordée par l’Union à cette question, l’interdiction aurait un effet boule de neige sur les opérateurs et les consommateurs en dehors de l’Union. Le résultat serait une baisse globale de l’intérêt des consommateurs pour les produits dérivés du phoque et une faiblesse des prix sur tous les marchés géographiques.

45      Par ailleurs, il serait peu probable que les relations commerciales puissent être rétablies après l’annulation du règlement n° 1007/2009, puisque les utilisateurs de produits dérivés du phoque seront vraisemblablement passés dans l’intervalle à des produits de substitution, comme le montrerait l’expérience acquise avec l’embargo de 1983 sur les peaux de bébés-phoques.

46      S’agissant de leur préjudice non financier, les requérants affirment que les produits dérivés de la chasse au phoque, principalement les peaux, sont commercialisés pour couvrir le coût de la chasse. Du fait de l’adoption du règlement n° 1007/2009 et de l’absence d’effet de l’exception inuit, les exportations de ces produits vers l’Union, y compris les produits inuit, cesseraient sans doute. Les requérants inuit et plus généralement les Inuit ne disposeraient donc plus de ce revenu pour couvrir leurs dépenses de chasse. Au demeurant, pour les requérants et, plus généralement, pour les communautés inuit, la chasse aux phoques représenterait plus qu’un moyen de subsistance et ne pourrait être ramenée à une simple activité économique. Elle ferait en effet partie de leurs traditions ancestrales.

47      En empêchant de fait les requérants d’exporter leurs produits à base de phoque vers l’Union, le règlement n° 1007/2009 et le règlement d’exécution affecteraient donc leurs conditions de vie en intervenant dans le tissu sociétal des communautés inuit. En effet, l’élément non monétaire dans la chasse aux phoques inuit serait bien plus important que l’aspect monétaire, du fait que la viande de phoque reste un élément très important du régime alimentaire inuit.

48      Selon les requérants, la dynamique entre le besoin d’argent pour la chasse, la perte des revenus tirés des produits dérivés du phoque, la nécessité d’occuper un emploi salarié qui en découle, la pénurie de tels emplois, la diminution du temps disponible pour la chasse et la réduction inévitable de la quantité disponible de viande de phoque et d’autres aliments traditionnels aggravera rapidement et irrémédiablement les conditions de vie déjà difficiles d’un grand nombre d’Inuit, notamment des chasseurs inuit et des fabricants de produits dérivés du phoque sollicitant les présentes mesures provisoires ainsi que des Inuit représentés dans la présente procédure par leurs organisations.

49      Enfin, le taux de suicide des jeunes dans les communautés inuit serait très élevé. De même, la consommation abusive de drogues, qui constituerait déjà un énorme défi pour les communautés inuit, devrait augmenter, puisque de plus en plus d’Inuit ne seront plus en mesure de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles en pratiquant leur mode de vie traditionnel et en obtenant un modeste revenu pour couvrir leurs dépenses.

50      Les requérants concluent finalement que l’adoption du règlement n° 1007/2009 justifie – indépendamment de celle du règlement d’exécution – les craintes que les requérants inuit, et les populations inuit en général, ne seront plus en mesure de préserver leur mode de vie. Ils estiment donc avoir établi l’urgence.

51      Le Conseil et le Parlement, soutenus par la Commission, contestent l’ensemble des arguments des requérants et concluent à l’absence d’urgence.

 Appréciation du juge des référés

52      Dans la mesure où les requérants dénoncent le préjudice grave et irréparable que subiraient « les populations inuit », « les communautés inuit », « les chasseurs inuit » et « l’industrie du phoque », il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante qu’une entité de droit public telle qu’un État ou une entité territoriale infra-étatique est par nature responsable de la sauvegarde des intérêts économiques, sociaux et culturels considérés comme généraux sur le plan national, régional ou local. Par conséquent, une telle entité de droit public peut, dans le cadre d’une procédure tendant à l’octroi de mesures provisoires, faire état de préjudices affectant un secteur économique général, notamment lorsque la mesure contestée est susceptible d’avoir des répercussions défavorables sur le niveau de l’emploi et sur le coût de la vie (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 9 novembre 2007, Pologne/Commission, T‑183/07 R, non publiée au Recueil, point 39 ; du 16 novembre 2007, Dimos Peramatos/Commission, T‑312/07 R, non publiée au Recueil, point 36, et du 14 décembre 2007, Portugal/Commission, T‑387/07 R, non publiée au Recueil, point 34).

53      En l’espèce, force est cependant de constater qu’aucune entité de droit public – telle que, par exemple, le gouvernement fédéral canadien, le gouvernement danois, le gouvernement de la province autonome du Groenland (Danemark), le gouvernement du territoire du Nunavut ou une autre entité infra-étatique chargée de défendre les intérêts inuit – ne figure parmi les requérants dans la présente affaire.

54      Il s’ensuit que les requérants ne peuvent se prévaloir de la jurisprudence citée au point 52 ci-dessus pour faire valoir, dans le cadre de la présente procédure de référé, les intérêts généraux économiques, sociaux et culturels des Inuit. Au contraire, il appartient à chacun des requérants dans la présente affaire d’indiquer de façon pertinente les raisons pour lesquelles le règlement n° 1007/2009, dont il demande le sursis à exécution, est susceptible de lui causer, à titre personnel, compte tenu des circonstances de fait et de droit qui caractérisent son cas individuel, un préjudice grave et irréparable dans l’hypothèse où aucun sursis ne serait accordé (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 4 décembre 2007, Cheminova e.a./Commission, T‑326/07 R, Rec. p. II‑4877, points 50 et 51 ; du 14 mars 2008, Huta Buczek/Commission, T‑440/07 R, non publiée au Recueil, point 24, et du 18 juin 2008, Dow AgroSciences e.a./Commission, T‑475/07 R, non publiée au Recueil, point 80 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169/84, Rec. p. 391, point 28).

55      S’agissant du préjudice tant financier que non financier allégué par les requérants, il convient de rappeler que leur thèse consiste essentiellement à faire valoir que les phoques sont un important moyen de subsistance et que la vente de leurs produits dérivés génère des revenus nécessaires pour leur chasse qui forme une base importante de l’identité culturelle et de la cohésion sociale pour les communautés inuit (partage de la viande après la chasse). Selon eux, les Inuit pratiquent la chasse aux phoques principalement pour leur viande, tandis que les peaux de phoques, produits dérivés inévitables de cette chasse, sont vendues pour couvrir les frais de chasse. Les requérants en concluent qu’une diminution des ventes de peaux de phoque inuit entraîne donc une diminution de la chasse et, par conséquent, une diminution des quantités de viande de phoque susceptible d’être partagée au sein desdites communautés.

56      Toutefois, les requérants concentrent leur argumentation sur l’imminence d’un préjudice financier, notamment en termes de perte des revenus tirés de la vente des produits dérivés du phoque. Quant au préjudice non financier allégué, ils se limitent à le présenter comme une conséquence du préjudice financier subi en alléguant l’existence d’un lien inséparable entre les deux catégories de préjudices en cause.

57      Dans ces circonstances, il convient pour le juge des référés d’apprécier, en tout premier lieu, les arguments que les requérants avancent pour établir le préjudice financier qu’ils subiraient, en raison du caractère impraticable du règlement d’exécution, si la présente demande en référé était rejetée.

58      Il est, par ailleurs, opportun de procéder à l’examen de ce préjudice financier en faisant une distinction entre les différentes catégories de requérants, à savoir les personnes physiques (chasseurs de phoques, trappeurs de phoques et transformateurs de produits dérivés du phoque), les sociétés commerciales actives dans les domaines de la transformation et de la commercialisation de produits dérivés du phoque ou utilisant de tels produits à des fins médicales ainsi que les organisations et associations sans but lucratif représentant les intérêts des Inuit.

59      S’agissant du préjudice financier allégué par les requérants qui ont la qualité de personnes physiques, il est de jurisprudence bien établie qu’une mesure provisoire se justifie s’il apparaît que, en l’absence de cette mesure, la partie qui la sollicite se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière, puisqu’elle ne disposerait pas d’une somme devant normalement lui permettre de faire face à l’ensemble des dépenses indispensables pour assurer la satisfaction de ses besoins élémentaires et de ceux de sa famille jusqu’au moment où il sera statué sur le recours principal [voir ordonnances du président du Tribunal du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 94, et du 27 avril 2010, Parlement/U, T‑103/10 P(R), non publiée au Recueil, point 36, et la jurisprudence citée ; voir, également, ordonnance du 30 avril 2010, point 108].

60      Pour les requérants qui sont des chasseurs de phoques, des trappeurs de phoques ou des transformateurs de produits dérivés du phoque, il convient donc de vérifier si chacun d’entre eux a établi à suffisance de droit que, eu égard aux circonstances propres à sa situation, il ne disposerait plus des moyens nécessaires pour financer la chasse aux phoques, si la présente demande en référé était rejetée.

61      Afin d’apprécier si le préjudice allégué présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution du règlement attaqué, le juge des référés doit, selon une jurisprudence constante, disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des documents détaillés qui démontrent la situation financière de chaque requérant personne physique qui sollicite le sursis à exécution et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées (voir, en ce sens, ordonnance Parlement/U, précitée, point 37, et la jurisprudence citée).

62      Il s’ensuit que, en vue de justifier l’octroi du sursis à exécution sollicité, chacun des requérants doit produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière. En outre, le juge des référés, confronté à des contestations de la part des parties adverses, ne saurait faire droit à la demande en référé en se contentant de pures affirmations non étayées desdits requérants. En effet, compte tenu du caractère strictement exceptionnel de l’octroi de mesures provisoires, de telles mesures ne peuvent être accordées que si ces affirmations s’appuient sur des éléments de preuve concluants (voir, en ce sens, ordonnance Parlement/U, précitée, point 39).

63      Il convient d’ajouter que l’image fidèle et globale de la situation financière d’un requérant doit être fournie, par ce dernier, au stade de l’introduction de la demande en référé. En effet, selon une jurisprudence constante, une demande en référé doit permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir du texte même de la demande en référé (voir, en ce sens, ordonnance Parlement/U, précitée, point 40, et la jurisprudence citée).

64      En l’espèce, force est de constater que les requérants qui ont la qualité de personnes physiques n’ont pas fourni, dans la présente demande en référé, d’éléments permettant de déterminer la situation financière réelle de chacun d’entre eux, pris individuellement. Les requérants se sont abstenus de préciser leurs revenus provenant de la chasse ou d’autres activités ou leur fortune personnelle. Ils ont également omis de produire des attestations émanant d’une autorité compétente qui indiqueraient leurs droit à une aide sociale, à une indemnité de chômage ou à une autre forme d’allocation. En tout état de cause, ils n’ont pas expliqué les raisons pour lesquelles ils auraient été incapables de fournir ces précisions ou de se procurer de telles attestations (voir, en ce sens, ordonnance Aden e.a./Commission, précitée, points 101 à 115).

65      Cette obligation de fournir une image fidèle et globale de la situation financière des requérants qui sont chasseurs ou trappeurs de phoques était, en l’espèce, encore renforcée par le fait que le rapport Cowi, produit par les requérants (voir points 32 et 33 ci-dessus), fait état de régimes de subventions existant au Groenland et au Nunavut pour soutenir la chasse aux phoques. D’une part, au Groenland, la chasse professionnelle aux phoques serait fortement subventionnée au moyen d’un accord portant sur l’acquisition des peaux par le réseau des tanneries de la société Great Greenland détenue à 100 % par le gouvernement groenlandais. D’autre part, le gouvernement du territoire du Nunavut aurait lancé un programme de soutien aux chasseurs de phoques, consistant non seulement à leur procurer des équipements, mais également en l’achat de peaux en vue de leur revente aux enchères, ce qui viserait à financer l’acquisition de carburant et de munitions. Selon le rapport Cowi, ces mesures assurent le maintien des traditions sociales, culturelles et économiques du territoire du Nunavut (rapport Cowi, pages 42 et 43 ; annexe 2, page 3, et annexe 3, page 2).

66      Or, les requérants ne se sont prononcés ni sur la véracité des indications relatives à ces régimes de soutien, ni sur le point de savoir dans quelle mesure les subventions en cause pouvaient contribuer à financer la chasse aux phoques par ceux d’entre eux qui sont des chasseurs ou des trappeurs de phoques.

67      Il s’ensuit que les éléments produits au regard de la situation financière des requérants qui sont des personnes physiques ne permettent pas au juge des référés d’apprécier la gravité du préjudice financier que subiraient lesdits requérants en cas de rejet de la demande en référé.

68      En ce qui concerne le préjudice financier allégué par les requérants qui sont des sociétés commerciales actives dans les domaines de la transformation et de la commercialisation de produits dérivés du phoque ou utilisant de tels produits à des fins médicales, il convient de rappeler qu’une jurisprudence bien établie n’admet l’octroi d’une mesure provisoire que s’il apparaît que, en l’absence d’une telle mesure, la partie qui la demande se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence ou de modifier gravement et irrémédiablement ses parts de marché (voir, en ce sens, ordonnance Dow AgroSciences e.a./Commission, précitée, points 71 et 72, et la jurisprudence citée). Il est également de jurisprudence constante que la gravité du préjudice allégué ne peut être appréciée qu’au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de chaque société ou entreprise individuelle ainsi que, le cas échéant, des caractéristiques du groupe auquel elle appartient (voir, en ce sens, ordonnance Dow AgroSciences e.a./Commission, précitée, point 77, et la jurisprudence citée).

69      Or, en l’espèce, force est de constater que les requérants n’ont fourni, dans la présente demande en référé (voir point 63 ci-dessus), aucun élément permettant au juge des référés d’apprécier la situation financière individuelle de chacune des sociétés commerciales actives dans les domaines de la transformation et de la commercialisation de produits dérivés du phoque ou utilisant de tels produits à des fins médicales, ladite demande ne comportant aucune indication relative au chiffre d’affaires réalisé dans le cadre de la vente, de la transformation, de la commercialisation ou de l’utilisation de produits dérivés du phoque que chacune d’elles risquerait de perdre. À défaut de tels éléments, le juge des référés ne peut pas apprécier la gravité du préjudice financier que subiraient ces sociétés en cas de rejet de la demande en référé.

70      S’agissant du préjudice financier allégué par les requérants qui sont des organisations ou des associations sans but lucratif représentant les intérêts des Inuit, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, même le préjudice qui serait constitué par le fait pour de telles entités de devoir cesser toutes leurs activités ne saurait être considéré comme grave, étant donné précisément que, loin d’être exposées au libre jeu de la concurrence, elles sont dépourvues de tout but lucratif, leurs activités pouvant continuer à être exercées, après leur éventuelle dissolution, par d’autres associations qui seraient créées par leurs membres actuels (voir, en ce sens, ordonnance Aden e.a./Conseil et Commission, précitée, point 118 ; ordonnances du président du Tribunal du 2 juillet 2009, Insula/Commission, T‑246/09 R, non publiée au Recueil, points 24 à 27, et du 26 mars 2010, Alisei/Commission, T‑16/10 R, non publiée au Recueil, points 41 à 43). En l’espèce, les requérants n’ont fourni aucune précision concernant l’atteinte qui serait portée à l’efficacité des activités exercées par chacune des associations et des organisations en cause ou concernant leur dissolution éventuelle.

71      Il s’ensuit que les requérants ne sont pas parvenus à établir l’imminence d’un préjudice financier grave, et ce pour aucune des trois catégories de requérants.

72      S’agissant du préjudice non financier allégué par les requérants, ceux-ci n’ont pas expliqué les raisons pour lesquelles la perte de revenus que subirait chacun d’eux – et dont la gravité n’a pas été démontrée – les contraindrait à cesser ou à réduire leurs activités de chasse aux phoques dans une mesure qui porterait gravement atteinte à leurs moyens de subsistance, à leur identité culturelle et à leur cohésion sociale. Ils ont omis, notamment, de préciser la relation entre la perte de revenus qu’ils subiraient et la réduction de leurs activités de chasse aux phoques et d’indiquer à partir de quel montant exact ils seraient contraints d’abandonner toute activité de chasse. Au demeurant, ils n’ont pas affirmé, et encore moins démontré, que la diminution importante du nombre des phoques capturés au Canada en 2009 et en 2010 – seuls 72 407 et 66 496 par rapport à 217 850 en 2008 (voir point 41 ci-dessus) – ait provoqué une famine au sein des communautés inuit concernées ou un effondrement de leur vie culturelle et sociale, avec des conséquences graves pour les requérants inuit canadiens, pris individuellement.

73      Dès lors, les requérants n’ont pas établi la gravité des préjudices allégués, en ce qui concerne chacun d’entre eux pris individuellement, et ce à supposer même que leurs prétentions relatives au caractère impraticable du règlement d’exécution soient fondées. Par conséquent, la condition liée à l’urgence ne saurait être considérée comme remplie en ce qui les concerne.

74      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner, à titre surabondant et sommaire, les éléments chiffrés globaux et généraux avancés par les requérants pour démontrer l’urgence en ce qui concerne les communautés inuit au Canada et au Groenland.

75      À cet égard, il y a lieu de rappeler, d’une part, que, dans le cadre de la première demande en référé, les requérants ont affirmé que l’application du règlement n° 1007/2009 éliminerait au moins la moitié du revenu des Inuit, le marché de l’Union ayant toujours été très important pour l’économie inuit et l’industrie de transformation du phoque en général. Au soutien de cette allégation, ils ont indiqué que, en 2006, les importations dans l’Union en provenance du Canada s’étaient élevées à 720 039 euros et en provenance du Groenland à 1 419 042 euros, que les Inuit canadiens gagnaient près de 650 000 euros grâce aux exportations et que la chasse aux phoques dans son ensemble contribuait annuellement (estimation de 2005) à l’économie du territoire du Nunavut à hauteur de 800 000 CAD (ordonnance du 30 avril 2010, point 99).

76      D’autre part, dans la présente demande en référé, les requérants, tout en réitérant les données chiffrées susmentionnées (voir point 43 ci-dessus), ajoutent trois tableaux démontrant la chute importante, depuis juillet 2008, du prix moyen des peaux de phoque, du produit de la vente aux enchères de ces peaux et du nombre de phoques capturés (voir points 39 à 41 ci-dessus). Les requérants affirment que cette triple chute était la conséquence non de la crise financière mondiale, mais de l’incertitude due à la menace d’une interdiction de commerce des produits dérivés du phoque à la suite de l’adoption du règlement n° 1007/2009 (voir point 42 ci-dessus).

77      Il y a toutefois lieu de relever que ces derniers tableaux ne sont aucunement de nature à étayer l’affirmation des requérantes selon laquelle les pertes causées sont le résultat de l’incertitude due à la menace d’une interdiction de commerce des produits dérivés du phoque à la suite de l’adoption du règlement n° 1007/2009 et non de la crise financière mondiale.

78      En effet, premièrement, ces chiffres concernent le seul marché canadien des produits dérivés du phoque, plus particulièrement celui du Nunavut, alors qu’aucun élément chiffré n’a été présenté pour le marché groenlandais. Cette lacune d’information ne saurait être comblée par la simple affirmation des requérants (point 39 de la première demande en référé), selon laquelle la documentation relative aux Inuit canadiens vaut également mutatis mutandis pour les Inuit groenlandais, de sorte que toute référence aux Inuit canadiens devrait également être comprise comme incluant les Inuit groenlandais. En effet, si une telle assimilation paraît justifiée en ce qui concerne les aspects généraux caractérisant la vie des communautés inuit, tels que les conditions climatiques dans l’arctique, les moyens de subsistance ainsi que les traditions sociales et culturelles, elle ne peut être admise en ce qui concerne les résultats de l’organisation et de la productivité économiques, exprimés par des chiffres, d’autant que les deux communautés inuit en cause, les Inuit canadiens et les Inuit groenlandais, relèvent de deux pays distincts et font l’objet de mesures politiques différentes.

79      Deuxièmement, si les chiffres relatifs au marché canadien reflètent incontestablement un fort recul de ce marché, ils ne permettent pas, à eux seuls, d’imputer ce déclin à l’incertitude due à la menace d’adoption du règlement n° 1007/2009 plutôt qu’à la crise financière mondiale. Il convient d’ajouter que, au point 52 de la première demande en référé, les requérants se sont fondés sur des données selon lesquelles, en 2006, les Inuit canadiens ne capturaient qu’environ un dixième des phoques capturés au Canada, soit 30 000 phoques par an, dont seulement un cinquième, soit 6 000 phoques par an, étaient exportés, « mais pas nécessairement vers l’[Union] ».

80      Les requérants font donc, eux-mêmes, état d’une participation plutôt minime (10 %) des Inuit canadiens à l’« économie du phoque » au Canada et d’un taux d’exportation assez faible (20 %) de « produits inuit » en tant que tels. En outre, ils ne sont pas en mesure de préciser la quote-part des exportations destinées à l’Union, seules ces dernières pouvant être affectées par le règlement n° 1007/2009. Or, le rapport Cowi (voir points 32 et 33 ci-dessus) ne mentionne pas l’Union, mais la Russie, la Chine et l’Extrême-Orient comme constituant les « grands débouchés » pour les produits dérivés du phoque et précise que seulement 3 % des phoques capturés au Canada l’ont été par des Inuit. Il est permis d’en conclure, d’une part, que l’incertitude due à la menace d’une interdiction de commerce des produits dérivés du phoque à la suite de l’adoption du règlement n° 1007/2009 n’a pas d’effet important sur l’« économie inuit » du Canada et, d’autre part, que la baisse énorme des chiffres relatifs à l’« économie du phoque » au Canada doit, selon toute probabilité, être principalement imputée à la crise financière mondiale, dans la mesure où celle-ci a également touché les grands marchés d’exportation que sont la Russie, la Chine et l’Extrême-Orient.

81      Par conséquent, les requérants n’ont pas démontré l’urgence en invoquant des chiffres globaux et généraux relatifs aux communautés inuit au Canada, et ce à supposer même que leur prétentions concernant le caractère impraticable du règlement d’exécution soient fondées.

82      S’agissant des chiffres concernant les Inuit groenlandais, les requérants ont indiqué, au point 52 de la première demande en référé, que les importations dans l’Union en provenance du Groenland s’étaient élevées, en 2006, à 1 419 042 euros et qu’un quart des exportations du Groenland étaient destinées au marché de l’Union. Ils ont ajouté que le Groenland comptait, en janvier 2009, 56 194 habitants, dont 89 % étaient Inuit.

83      Bien que les requérants aient omis de fournir des chiffres plus précis indiquant pour le Groenland, à l’instar des trois tableaux concernant l’« économie du phoque » au Canada, l’évolution du prix des peaux de phoque, du produit de la vente aux enchères de ces peaux et du nombre de phoques capturés, il est permis de supposer que l’impact du règlement n° 1007/2009 sur l’« économie inuit » du Groenland ne serait pas négligeable, si le règlement d’exécution s’avérait effectivement impraticable. En effet, les Inuit constituant presque 90 % de la population groenlandaise, il apparaît probable que les exportations destinées au marché de l’Union, qui seraient affectées dans cette hypothèse, relèverait presque totalement de l’« économie inuit » du Groenland. Au demeurant, le rapport Cowi (voir points 32 et 33 ci-dessus) confirme que la quasi-totalité des phoques capturés au Groenland l’ont été par des Inuit.

84      Il convient donc d’examiner – toujours à titre surabondant et sommaire – si les requérants ont établi, à suffisance de droit, le caractère impraticable du règlement d’exécution en ce qui concerne la mise en œuvre de l’exception inuit au Groenland.

85      Dans ce contexte, les requérants dénoncent, notamment, les obligations résultant des articles 3, 6 et 7 du règlement d’exécution (voir points 24 à 27 ci-dessus) en faisant valoir que, premièrement, il serait impossible de créer le système de traçabilité imposé par ce règlement, qui devrait permettre l’identification des produits dérivés du phoque provenant de la chasse par les Inuit, un tel système étant trop cher, trop complexe et trop coûteux en temps et le règlement d’exécution ne contenant aucune définition des termes « tradition de chasse aux phoques », deuxièmement, personne ne serait en mesure d’instaurer avant le 20 août 2010 les « organismes reconnus » chargés d’assurer ladite traçabilité, troisièmement, il serait à craindre que les autorités nationales, en raison du caractère impraticable du règlement d’exécution, ne mettent pas correctement en œuvre l’exception inuit et, quatrièmement, les actuelles infrastructures commerciales (tanneries et maisons de vente aux enchères) ne seraient pas maintenues pour la modeste quantité de produits inuit, de sorte qu’il deviendrait impossible de vendre ces produits sur le marché européen.

86      À cet égard, il ne saurait certes être exclu que la publication officielle relativement tardive du règlement d’exécution soit susceptible de retarder la mise en œuvre de l’exception inuit en ce qui concerne la commercialisation sur le marché de l’Union des produits dérivés du phoque provenant de la chasse par les Inuit groenlandais. Cependant, si ce retard peut nuire à l’« économie inuit » du Groenland, les requérants ne démontrent pas l’impraticabilité objective du règlement d’exécution, les arguments avancés en ce sens constituant de simples affirmations générales non étayées, alors qu’ils auraient dû fournir des indications concrètes et prouver les faits censés fonder la perspective de l’impraticabilité alléguée, étant entendu qu’un préjudice de nature purement hypothétique ne saurait justifier l’octroi du sursis à exécution sollicité (voir, en ce sens, ordonnance du 30 avril 2010, points 105 et 106, et la jurisprudence citée).

87      Ainsi, s’agissant de la prétendue impossibilité de réaliser un système de traçabilité, tel que prévu par le règlement d’exécution, impliquant des « organismes reconnus », les requérants se sont abstenus de prendre position sur le rapport Cowi (voir points 32 et 33 ci-dessus) lequel fait mention de systèmes de traçabilité qui sont déjà effectivement pratiqués au Groenland en indiquant que, d’une part, les produits de la société Great Greenland, qui dispose d’un réseau de tanneries et est détenue à 100 % par le gouvernement groenlandais, portent un label revêtu d’un code-barres et contenant le texte « [c]hasse traditionnellement pratiquée par des communautés inuit à des fins de subsistance » et, d’autre part, il existe un « système de soutien gouvernemental » qui offre une base de données centralisée pour l’identification de l’origine des produits de la chasse lesquels, dans le cas du Groenland, sont par définition d’origine inuit ou indigène.

88      Les requérants ont omis tant de contester la véracité de ces passages du rapport Cowi que d’exposer les raisons pour lesquelles il serait impossible d’adapter lesdits systèmes de traçabilité groenlandais aux exigences du règlement d’exécution, alors que le Parlement et la Commission ont indiqué que les efforts entrepris par le gouvernement groenlandais pour mettre en œuvre un système de traçabilité qui serait conforme précisément règlement d’exécution étaient déjà bien avancés. De plus, rien ne semble s’opposer à ce que la société Great Greenland ou une autorité publique groenlandaise soit chargée des fonctions d’un « organisme reconnu », la Commission ayant, par ailleurs, commenté positivement les mesures envisagées en ce sens par le gouvernement groenlandais. Dans ces circonstances, il ne semble pas probable que l’absence, dans le règlement d’exécution, d’une définition plus détaillée de la notion « tradition de la chasse aux phoques » puisse démontrer le caractère impraticable dudit règlement en ce qui concerne la mise en œuvre de l’exception inuit au Groenland.

89      S’agissant des infrastructures, telles que les tanneries et maisons de vente aux enchères, qui sont nécessaires à la commercialisation des produits dérivés du phoque mis sur le marché par les Inuit groenlandais, les données chiffrées présentées par les requérants ne font pas apparaître un risque de disparition rapide de ces infrastructures en raison de la modeste quantité de produits inuit. En effet, selon ces données, les Inuit constituent presque 90 % de la population groenlandaise, de sorte que la quasi-totalité des phoques capturés au Groenland ont été chassés par des Inuit. En d’autres termes, l’« économie du phoque » au Groenland est, en substance, une « économie inuit ». Il est donc probable que les dispositions combinées du règlement n° 1007/2009 et du règlement d’exécution n’auront aucun impact sensible sur cette dernière économie et que la société Great Greenland ainsi que les maisons de vente aux enchères approvisionnées par cette société continueront à fonctionner comme auparavant.

90      Compte tenu des considérations qui précèdent, rien ne permet de supposer, à ce stade, que les autorités nationales pourraient s’abstenir d’appliquer correctement le règlement d’exécution aux produits dérivés du phoque provenant des Inuit groenlandais. En tout état de cause, les requérant n’ont présenté aucun indice concret qui justifierait leurs craintes à cet égard. Par conséquent, le préjudice qui serait éventuellement causé par un tel comportement des autorités doit être qualifié de purement hypothétique, en ce qu’il serait fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains. Or, un tel préjudice ne saurait justifier l’octroi d’une mesure provisoire (voir ordonnance du 30 avril 2010, point 106, et la jurisprudence citée).

91      Dans la mesure où les requérants soutiennent encore que l’introduction par l’Union de restrictions au commerce avec les produits dérivés du phoque aurait un effet boule de neige sur le marché mondial tout entier, il suffit d’observer, d’une part, que l’introduction par un pays tiers de restrictions semblables serait, même si elles étaient calquées sur les mesures prises au niveau de l’Union, la conséquence directe non pas de ces mesures, mais d’une décision prise par les autorités dudit pays tiers dans l’exercice de leur pouvoir souverain (voir, en ce sens, ordonnance Cheminova e.a./Commission, précitée, point 110) et, d’autre part, que le fait pour des consommateurs ou d’autres opérateurs économiques de s’abstenir, sous l’influence desdites mesures, d’acheter des produits dérivés du phoque en dehors de l’Union serait la conséquence d’un choix autonome de ces acheteurs potentiels, lequel constituerait la cause déterminante du préjudice en résultant (voir, en ce sens, ordonnance du 30 avril 2010, point 115).

92      Enfin, en faisant valoir que l’interdiction de commerce instaurée par le règlement n° 1007/2009 risquerait de provoquer une augmentation du taux de suicide des jeunes inuit ainsi que leur abus de drogues, les requérants se bornent à émettre de pures affirmations générales et abstraites. Étant donné que le règlement n° 1007/2009 et le règlement d’exécution n’auront vraisemblablement aucun impact sensible sur l’« économie inuit » au Groenland (voir point 89 ci-dessus), ces risques doivent, à ce stade, être considérés comme dépourvus de lien suffisamment étroit avec la mise en œuvre de l’exception inuit au Groenland.

93      Il ressort de tout ce qui précède que les requérants n’ont pas démontré l’existence de circonstances créant une urgence de nature à justifier l’octroi du sursis à exécution demandé.

94      L’existence de l’urgence n’étant pas établie, il y a lieu de rejeter la présente demande en référé, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la condition relative à la mise en balance des intérêts est remplie [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, DSR-Senator Lines/Commission, C‑364/99 P(R), Rec. p. I‑8733, point 61].

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      L’ordonnance du président du Tribunal du 19 août 2010, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (T-18/10 R II, non publiée au Recueil), est rapportée.

3)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 25 octobre 2010.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.