Language of document : ECLI:EU:C:2010:160

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 24 mars 2010 (1)

Affaire C‑399/08 P

Commission européenne

contre

Deutsche Post AG

«Pourvoi – Article 87, paragraphe 1, CE – Aides accordées par les États – Service d’intérêt économique général – Charge de la preuve – Méthode de vérification par la Commission de l’existence d’un avantage – Pouvoir de contrôle du Tribunal»






1.        Par son pourvoi, la Commission des Communautés européennes demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 1er juillet 2008, Deutsche Post/Commission (T‑266/02, Rec. p. II‑1233, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé la décision 2002/753/CE de la Commission, du 19 juin 2002, concernant les mesures prises par la République fédérale d’Allemagne en faveur de Deutsche Post AG (2).

2.        Dans la décision litigieuse, la Commission a estimé que, dans le cadre du processus de la restructuration de l’ancienne administration des postes et télécommunications allemande, Deutsche Post AG a obtenu des versements compensatoires importants provenant de ressources étatiques. Compte tenu, d’une part, de la politique de vente à perte dans le secteur du marché des colis postaux, sanctionnée par la Commission dans une décision du 20 mars 2001 (3) constatant l’abus de la position dominante par Deutsche Post AG, et, d’autre part, du déficit enregistré par Deutsche Post AG pendant la période examinée, la Commission a considéré que la politique agressive des prix n’avait pu être financée qu’à l’aide des ressources perçues par Deutsche Post AG en compensation de la fourniture de services d’intérêt économique général. Par conséquent, la Commission a conclu à l’existence d’une aide d’État illégale.

3.        Le Tribunal a jugé que la Commission avait violé l’article 87, paragraphe 1, CE (4) en considérant que les transferts étatiques avaient conféré un avantage à Deutsche Post AG.

4.        La question principale dans le cadre du présent pourvoi est donc celle relative à la méthode permettant de déterminer si une entreprise chargée de missions de service d’intérêt économique général a obtenu une compensation excédant le surcoût engendré par la fourniture dudit service, susceptible de constituer un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. Cette question s’inscrit dans le cadre d’un débat plus vaste relatif à l’identification de la nature juridique de la compensation des charges découlant de l’accomplissement d’un service d’intérêt économique général.

I –    Les faits, la procédure et l’arrêt attaqué

5.        Deutsche Post AG est une grande entreprise qui opère tant dans le secteur du transport de courrier, dans le cadre duquel elle bénéficie d’un monopole, que dans deux autres secteurs postaux, à savoir le transport de colis et le transport des périodiques et des journaux, qui sont tous deux ouverts à la concurrence.

6.        Dans le secteur du transport de colis, Deutsche Post AG assure, d’une part, des services de transport des colis déposés directement aux guichets des bureaux de poste et, d’autre part, des services de transport de plus grosses quantités de colis qui ne sont pas traités directement dans les guichets des bureaux de poste (ci‑après le «secteur du colis de porte à porte»).

7.        En ce qui concerne le secteur du colis de porte à porte, Deutsche Post AG assure deux principaux services, à savoir, d’une part, le transport de colis de porte à porte ciblé sur la clientèle professionnelle qui trie en amont ou dépose une quantité minimale de colis (ci‑après le «segment de la clientèle professionnelle») et, d’autre part, le transport de colis pour le compte des entreprises de vente par correspondance qui expédient des marchandises commandées sur catalogue ou par voie électronique (ci‑après le «segment de la VPC»).

8.        Dans le cadre du processus de la libéralisation et de la restructuration de l’administration postale, conformément à la loi sur l’organisation de la poste (Postverfassungsgesetz), Deutsche Post AG a reçu des transferts opérés par Deutsche Bundespost Telekom (ci‑après «DB‑Telekom») afin de compenser ses pertes subies de 1990 à 1995 (ci‑après les «transferts opérés par DB‑Telekom»).

9.        Le 20 mars 2001, la Commission a adopté la décision 2001/354 dans laquelle elle a conclu, en substance, que Deutsche Post AG avait enfreint l’article 82 CE dans la mesure où elle avait abusé de sa position dominante dans le seul segment de la VPC, notamment en pratiquant une politique de vente à perte en proposant des prix inférieurs à ses coûts incrémentaux.

10.      Dès lors que cette décision n’a fait l’objet d’aucun recours, elle est devenue définitive. Toutefois, le fait d’avoir pratiqué des prix prédateurs et la question de l’obtention d’une aide d’État illégale constituent deux questions distinctes.

11.      Le 19 juin 2002, la Commission a adopté la décision litigieuse dans laquelle elle a examiné, notamment, l’aide financière de l’État en faveur de Deutsche Post AG. La Commission a considéré que l’aide publique, d’un montant de 572 millions d’euros (soit 1 118,7 millions de DEM), attribuée à Deutsche Post AG était incompatible avec le marché commun. Elle a, par conséquent, ordonné la récupération de l’aide octroyée illégalement.

12.      À la suite d’un recours en annulation introduit par Deutsche Post AG, le Tribunal a accueilli le grief de Deutsche Post AG selon lequel la Commission n’aurait pas établi que Deutsche Post AG avait bénéficié d’un avantage au moyen des transferts opérés par DB‑Telekom. En outre, après avoir jugé que la Commission avait violé l’article 87, paragraphe 1, CE, le Tribunal s’est prononcé, à titre surabondant, sur le grief selon lequel la Commission aurait, en tout état de cause, conclu à tort que les transferts opérés par DB‑Telekom auraient permis à Deutsche Post AG de couvrir les surcoûts nets générés par sa politique de vente à perte. Après avoir analysé les données chiffrées relatives aux surcoûts nets susmentionnés, le Tribunal a également accueilli le grief en question.

II – Sur le pourvoi

13.      À l’appui de son pourvoi, la Commission invoque les moyens suivants.

14.      Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé les articles 87, paragraphe 1, CE et 86, paragraphe 2, CE. La Commission fait valoir que ces dispositions ont été incorrectement interprétées par le Tribunal dès lors qu’il aurait été jugé qu’elles excluaient une méthode, non critiquée par ailleurs dans l’arrêt, qui autorisait, sur la base d’une argumentation logique et pertinente, de conclure à l’existence d’une aide d’État. De plus, la Commission soulève l’incompétence du Tribunal et invoque une violation de l’article 230 CE dans la mesure où le Tribunal aurait excédé les limites de sa compétence et du pouvoir de contrôle qu’il tire de l’article 230 CE. La Commission invoque également une violation de l’article 36 du statut de la Cour de justice, au motif que le Tribunal aurait omis de motiver sa conclusion quant au caractère inapproprié de la méthode employée dans la décision litigieuse.

15.      En outre, par lettre parvenue à la Cour le 9 décembre 2008, le Bundesverband Internationaler Express‑ und Kurierdienste eV (ci‑après le «BIEK») a présenté un mémoire en réponse au soutien de la partie requérante au pourvoi. Par courrier du 4 décembre 2008, UPS Deutschland Inc. et UPS Europe NV (ci‑après «UPS») ont déposé conjointement un mémoire en réponse et un pourvoi incident.

16.      Eu égard à la question principale, à savoir la méthode que la Commission pouvait appliquer en l’espèce, cette dernière propose à la Cour de traiter tous les moyens conjointement.

17.      Il me paraît cependant opportun de scinder les moyens selon qu’ils visent la motivation principale de l’arrêt attaqué ou la motivation surabondante de celui-ci.

III – Observations liminaires sur l’étendue du contrôle juridictionnel des actes de la Commission en matière d’aides d’État

18.      Tout d’abord, il doit être rappelé que la notion d’aide d’État, telle qu’elle est définie dans le traité, doit être interprétée sur la base d’éléments objectifs. Pour cette raison, le juge communautaire doit, en principe, et compte tenu tant des éléments concrets du litige qui lui est soumis que du caractère technique ou complexe des appréciations portées par la Commission, exercer un entier contrôle en ce qui concerne la question de savoir si une mesure entre dans le champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE (5).

19.      Ainsi que l’a souligné l’avocat général Cosmas dans ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt France/Ladbroke Racing et Commission (6), tant la Cour que le Tribunal et le juge national, lorsqu’ils sont appelés à examiner dans quelle mesure il est justifié ou non de qualifier une mesure nationale d’aide d’État au sens de l’article 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE), doivent exercer – par principe et dans la mesure du possible – un contrôle exhaustif au fond. Cette règle ne peut être écartée que si le juge constate la réunion de conditions spécifiques excluant un contrôle judiciaire extensif. Selon l’avocat général Cosmas, il ne saurait être affirmé que, lorsqu’il se pose une question d’interprétation et d’application de l’article 92, paragraphe 1, du traité, ces conditions particulières, qui limitent les possibilités d’intervention judiciaire sur le fond de l’affaire, seraient réunies a priori.

20.      Il en découle que, dans le cadre du contrôle juridictionnel de mesures au regard de l’article 87, paragraphe 1, CE, le contrôle entier est la règle, tandis que le contrôle restreint constitue une exception (7).

21.      En second lieu, s’agissant d’une appréciation économique complexe, il découle de la jurisprudence que le contrôle juridictionnel d’un acte de la Commission impliquant une telle appréciation doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir (8).

22.      Toutefois, il importe de rappeler que, si la Cour reconnaît à la Commission une marge d’appréciation en matière économique, cela n’implique pas que le juge communautaire doit s’abstenir de contrôler l’interprétation faite par la Commission des données de nature économique (9).

23.      En effet, selon la jurisprudence de la Cour, le juge communautaire doit non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (10). À mon avis, ces éléments comprennent également les méthodes appliquées.

24.      Toutefois, il est constant que, dans le cadre de ce contrôle, il n’appartient pas au juge de substituer son appréciation économique à celle de la Commission (11).

25.      C’est donc à la lumière de ces principes qu’il conviendra d’examiner les moyens soulevés dans le cadre du présent pourvoi.

IV – Sur le premier moyen du pourvoi principal

A –    Sur la première branche du premier moyen

1.      Argumentation des parties

26.      Par la première branche de son premier moyen, la Commission, soutenue par le BIEK et UPS, relève que le Tribunal aurait commis une erreur en droit en ce que l’arrêt attaqué n’exposerait aucune carence de la méthode utilisée dans la décision litigieuse.

27.      Selon la Commission, cette décision ne s’appuierait pas sur une simple «hypothèse». Il s’agirait, au contraire, d’une conclusion fondée, ce qui signifie que ladite décision tire une conclusion de faits déjà connus au moyen d’un raisonnement logique. Selon elle, il s’agit d’un processus de déduction, qui permet de tirer de faits A et B une conclusion C, faisant partie intégrante de toute décision de ce type prise par elle. Afin d’illustrer son raisonnement, la Commission s’appuie sur un exemple, selon lequel, s’il est prouvé qu’un train a quitté la gare A sur une voie unique et qu’il arrive comme prévu à la gare B, il peut en être déduit qu’il est passé par la gare C, située sur cette voie unique entre la gare A et la gare B.

28.      La Commission reproche au Tribunal d’avoir qualifié «d’hypothèse» une telle déduction et d’avoir annulé sa décision sans faire état des erreurs qu’aurait comporté l’acte en cause. Or, la déduction factuelle de la Commission reposerait sur la prémisse que «l’argent doit bien provenir de quelque part».

29.      À cet égard, la Commission souligne que, dans la mesure où il a été établi que, d’une part, le service de colis était une opération à perte et, d’autre part, que l’entreprise procédant au service de transport de colis ne réalisait pas d’autres excédents qu’elle aurait pu imputer au service de colis, la seule conclusion qui s’impose, selon elle, serait celle de considérer que la politique déloyale des prix de Deutsche Post AG a été financée par l’aide d’État qu’elle a perçue.

30.      Deutsche Post AG fait valoir, en réponse aux arguments de la Commission, que le Tribunal n’était pas tenu d’indiquer les raisons pour lesquelles la méthode choisie par la Commission n’était pas correcte, dans la mesure où la notion d’aide d’État est une notion objective. En effet, Deutsche Post AG soutient que la Commission ne détiendrait pas de pouvoir d’appréciation aux fins de déterminer si une mesure constitue ou non une aide d’État dans le cadre de l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE.

31.      Selon le gouvernement allemand, intervenu au soutien de Deutsche Post AG, il ne s’agirait pas d’une simple querelle de méthode permettant d’aboutir au même résultat. En effet, la méthode de la Commission se différencierait du point de vue de son résultat de l’autre méthode, qui permet d’apprécier directement, c’est-à-dire sans déduction prétendument obligatoire, l’existence d’un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

32.      En se référant à l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (12), le gouvernement allemand relève que, dans un premier temps, les surcoûts nets occasionnés par les obligations d’intérêt général incombant aux services postaux devraient être chiffrés au vu de certains paramètres et que, dans un second temps, ils doivent être comparés aux ressources transférées au titre de la compensation.

33.      Enfin, selon le gouvernement allemand, il ne s’agirait pas d’un cas d’appréciation de rapports économiques complexes.

2.      Appréciation

a)      La qualification d’une compensation financière dans le cadre d’un service d’intérêt économique général

34.      En ce qui concerne l’identification de la nature juridique de la compensation financière, deux lignes juridiques s’affrontent depuis des années dans la jurisprudence. Il s’agit, d’une part, de l’approche dite «aide d’État» et, d’autre part, de l’approche dite «compensatoire» (13).

35.      Selon l’approche «aide d’État», tout financement public d’une obligation de service public constitue une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

36.      Ce type de financement peut, toutefois, être déclaré compatible avec le marché commun, à l’issue d’un examen réalisé par la Commission, qui peut se fonder tant sur l’article 87, paragraphes 2 et 3, CE, que sur la disposition figurant à l’article 86, paragraphe 2, CE. Cette approche est illustrée, notamment, par les arrêts du Tribunal FFSA e.a./Commission (14) et SIC/Commission (15). Après avoir considéré que la compensation financière sous forme d’avantage fiscal constitue une aide d’État, le Tribunal a jugé, dans ledit arrêt FFSA e.a./Commission, que le versement d’une aide d’État est susceptible, en vertu de l’article 86, paragraphe 2, CE, d’échapper à l’interdiction de l’article 87 CE lorsqu’elle ne vise qu’à compenser les surcoûts engendrés par l’accomplissement de la mission particulière incombant à l’entreprise chargée de la gestion d’un service d’intérêt économique général et que son octroi s’avère nécessaire pour que ladite entreprise puisse assurer ses obligations de service public dans des conditions d’équilibre économique (16).

37.      Selon l’approche compensatoire qui trouve sa genèse dans les arrêts ABDHU (17) et surtout Ferring (18), les compensations d’obligations de service public ne constituent pas des aides d’État.

38.      Ce n’est que lorsque la compensation dépasse le surcoût engendré par la mission de service public que l’aide d’État est identifiée. Dans ladite affaire ADBHU, l’avocat général Lenz a considéré que, dès lors que les indemnités ne dépassent pas les coûts annuels non couverts et réellement constatés des entreprises, compte tenu d’un bénéfice raisonnable, il ne saurait être question d’un avantage au sens du traité (19). La Cour l’a suivi en soulignant «qu’il ne [s’agissait] pas en l’espèce d’aides au sens de l’article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE) mais de prix représentant la contrepartie des prestations effectuées par l’entreprise de ramassage ou d’élimination» (20).

39.      Ainsi que l’a fait observer l’avocat général Tizzano dans l’affaire Ferring, précitée, si l’État impose des obligations déterminées de service public à une entreprise, la couverture des surcoûts découlant de l’accomplissement de ces obligations ne confère aucun avantage à l’entreprise en question, mais sert à éviter une situation injustifiée de désavantage par rapport à ses concurrents (21).

40.      Une altération des conditions normales de concurrence ne sera donc possible, selon l’avocat général Tizzano, que dans le cas où des compensations excèdent le surcoût net découlant de l’accomplissement des obligations de service public (22). Lorsque le financement étatique se borne à compenser un désavantage objectif imposé par l’État au bénéficiaire, il n’y a pas d’avantage économique susceptible de provoquer des distorsions de concurrence (23).

41.      L’approche compensatoire suivie par la Cour dans l’arrêt Ferring, précité, a été critiquée par l’avocat général Léger dans ses conclusions dans l’affaire Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (24). Selon lui, l’approche compensatoire contribuerait à bouleverser les dispositions dérogatoires sur les aides d’État, dès lors qu’elle reviendrait à examiner la compatibilité de l’aide dans le cadre de l’article 87, paragraphe 1, CE (25).

42.      Néanmoins, la Cour a jugé dans l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précité, que, dans la mesure où des subventions publiques accordées à des entreprises explicitement chargées d’obligations de service public afin de compenser les coûts occasionnés par l’exécution de ces obligations répondent aux quatre conditions indiquées dans l’arrêt, ces subventions ne tombent pas sous le coup de l’article 87, paragraphe 1, CE. Selon la Cour, la compensation d’obligation de service public ne constitue pas un avantage, dès lors qu’elle n’a pas «pour effet de mettre [les] entreprises dans une position concurrentielle plus favorable par rapport aux entreprises qui leur font concurrence». À l’inverse, l’intervention étatique qui ne répondrait pas à une ou plusieurs desdites conditions devrait être considérée comme une aide d’État au sens de cette disposition (26).

43.      Enfin, dans ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt GEMO, précité, l’avocat général Jacobs a proposé d’appliquer l’analyse du financement étatique de services d’intérêt général qui dépendrait de la nature du lien entre le financement accordé et les charges d’intérêt général imposées, d’une part, et de la clarté avec laquelle ces charges sont définies, d’autre part (27). Il a surtout souligné que le choix entre l’approche «aide d’État» et l’approche compensatoire n’était pas une simple question théorique, mais qu’il comportait des conséquences pratiques ainsi que des implications procédurales importantes (28).

44.      Certes, pour les besoins de la présente affaire, la question cruciale reste celle de savoir si la méthode choisie par la Commission est appropriée afin d’identifier une situation dans laquelle la compensation excéderait ce qui est nécessaire pour servir une rémunération appropriée pour les coûts supplémentaires découlant des obligations d’intérêt général, et, par conséquent, un éventuel avantage dans le chef de l’entreprise.

45.      Toutefois, j’estime que le choix de la méthode est indissociablement lié au choix opéré par la Cour en ce qui concerne la qualification d’une compensation pour le service public. En effet, selon moi, l’exigence de l’identification d’un surcoût net reste en contradiction avec l’approche défendue par la Commission selon laquelle il serait possible d’éviter le calcul in concreto et de se fonder sur une présomption. Les observations qui suivent en constituent l’illustration.

b)      Les difficultés d’identification des coûts d’un service d’intérêt économique général

46.      Je rappelle que, dans l’arrêt SFEI e.a., la Cour a jugé au sujet de prestations de services d’intérêt économique général que la constatation de l’existence d’un avantage économique impliquait de déterminer la rémunération normale pour les prestations en cause. Une telle appréciation suppose une analyse économique qui tienne compte de tous les facteurs qu’une entreprise, agissant dans des conditions normales de marché, aurait dû prendre en considération lors de la fixation de la rémunération pour les services fournis. L’avantage existe dès lors que l’entreprise bénéficie d’une mesure étatique qu’elle n’aurait pas obtenue dans des conditions normales de marché (29).

47.      La difficulté relative à l’identification des coûts a été décelée par le Tribunal déjà dans le cadre de l’affaire FFSA e.a./Commission, précitée, lorsqu’il s’est référé à la nécessité de l’établissement d’un système de comptabilité analytique pour les entreprises qui sont chargées de missions de service public tout en ayant des activités dans des secteurs concurrentiels (30).

48.       Dans l’affaire FFSA e.a./Commission, la possibilité d’une subvention croisée a été exclue, dans la mesure où le montant de l’aide en question restait inférieur aux surcoûts engendrés par l’accomplissement de la mission d’un service d’intérêt économique général. Par conséquent, la méthode utilisée par la Commission a été considérée comme appropriée pour s’assurer, à suffisance de droit, que l’octroi de l’aide d’État n’engendrait pas de subvention croisée contraire au droit communautaire (31).

49.      Je note que, dans l’affaire Chronopost e.a./Ufex e.a., la Cour s’est référée, ensuite, à l’analyse des éléments objectifs et vérifiables disponibles (32), en précisant que l’identification d’une aide d’État en faveur de la SFMI‑Chronopost «[pouvait] être exclue si, d’une part, il est établi que la contrepartie exigée couvre dûment tous les coûts variables supplémentaires occasionnés par la fourniture de l’assistance logistique et commerciale, une contribution adéquate aux coûts fixes consécutifs à l’utilisation du réseau postal ainsi qu’une rémunération appropriée des capitaux propres dans la mesure où ils sont affectés à l’activité concurrentielle de la SFMI‑Chronopost, et si, d’autre part, aucun indice ne donne à penser que ces éléments ont été sous‑estimés ou fixés de manière arbitraire» (33).

50.      En outre, tant l’approche compensatoire de l’arrêt Ferring, précité (34), que les précisions relatives à la compensation figurant aux troisième et quatrième conditions de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précité, militent en faveur d’une exigence d’un calcul précis et d’un contrôle de l’allocation des coûts (35). La jurisprudence postérieure audit arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg tend à clarifier les conditions susvisées (36).

51.      Je rappelle que, dans sa décision 2005/842/CE, du 28 novembre 2005, concernant l’application des dispositions de l’article 86, paragraphe 2, du traité CE aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général (37), la Commission a indiqué que le montant de la compensation n’excédait pas ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public, compte tenu des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable sur les capitaux propres nécessaires pour l’exécution de ces obligations. Selon la Commission, la compensation doit être effectivement utilisée pour assurer le fonctionnement du service d’intérêt économique général concerné, sans préjudice de la capacité de l’entreprise de profiter d’un bénéfice raisonnable (38). Il découle également de cette décision que les coûts à prendre en considération englobent tous les coûts occasionnés par la gestion du service d’intérêt économique général (39).

52.      En ce qui concerne la méthode de calcul à appliquer en l’espèce, il ressort du point 69 de la décision litigieuse que le gouvernement allemand avait proposé de définir et de calculer le surcoût spécifique lié à l’accomplissement d’obligations de service public en déterminant la différence entre les coûts exceptionnels supportés par Deutsche Post AG en tant qu’ancienne administration publique pour s’acquitter de ces obligations et les coûts habituels occasionnés par des prestations comparables proposées dans un contexte concurrentiel. Cette proposition renvoie au calcul in concreto et semble acceptable.

53.      Toutefois, selon certains auteurs, une telle approche pourrait conduire à un abus du concept de «surcoût net» au sens de l’arrêt Ferring, précité, dès lors que les coûts découlant d’un manque d’efficience de l’entreprise concernée pourraient être pris en charge par l’État membre (40).

54.      À cet égard, je relève que la question de l’inefficience ainsi posée s’inscrit dans le cadre d’un débat plus vaste portant sur les systèmes de réglementation des prix basés sur le principe de compensation des coûts. En effet, une inefficience d’un certain degré est inhérente à tout système de ce type dès lors que l’entreprise n’est pas suffisamment incitée à minimiser les coûts à l’égard desquels elle pense obtenir une compensation (41).

55.      La solution pourrait venir de l’introduction d’un objectif d’augmentation de l’efficience dans le cadre de la compensation des coûts d’un service d’intérêt économique général. J’observe que l’interprétation de la quatrième condition de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précité, conduit à la prise en compte d’un critère d’efficience et d’optimisation des coûts. À mon avis, ce critère s’inscrit dans la logique d’un soutien de la concurrence saine sur le marché de l’Union.

c)      Le calcul opéré par la Commission en l’espèce

56.      Force est de constater d’emblée que, dans la décision litigieuse, la Commission n’a pas procédé à un calcul effectif des coûts. De surcroît, la Commission justifie son approche par la rationalisation de la procédure. Selon cette institution, dès lors qu’une bonne pratique administrative interne privilégie une méthode qui lui permet de traiter rapidement et efficacement les objections présentées par les plaignants, il n’appartiendrait pas au Tribunal de décider, à sa place, du choix de la méthode à appliquer.

57.      La Commission a, en résumé, conclu à l’existence d’une aide d’État après avoir constaté des transferts de la part de DB‑Telekom et des surcoûts nets générés dans le secteur ouvert à la concurrence des services de colis de porte à porte ainsi que le déficit enregistré par Deutsche Post AG. Ainsi, la Commission n’a pas cherché à déterminer la différence entre les montants dont Deutsche Post AG a bénéficié et les coûts réellement supportés par Deutsche Post AG dans le cadre de la fourniture d’un service d’intérêt économique général afin d’identifier le surcoût net qui constituerait alors un avantage.

58.      En ce qui concerne les détails du calcul opéré par la Commission, je considère que c’est à bon droit que le Tribunal a jugé que le lien entre la politique agressive des prix et l’obtention des transferts étatiques prêtait à des doutes.

59.      En effet, la Commission n’a nullement prouvé l’affectation des sommes en question au secteur ayant généré les pertes. Alors même que, selon les documents à la disposition de la Commission, l’ancienne Bundespost craignait une stagnation du volume de ses envois et une perte de parts de marché et considérait que sa place de numéro un sur le marché était menacée, ces circonstances, en elles-mêmes, ne prouvent nullement l’utilisation des transferts en cause aux fins du financement de la politique agressive des prix.

60.      Selon moi, il ne peut pas être exclu que Deutsche Post AG a pu avoir recours aux bénéfices dans les secteurs non ouverts à la concurrence, tels que le monopole du transport du courrier, afin de financer cette politique de rabais, sanctionnée, d’ailleurs, par la Commission. Rien ne prouve non plus qu’elle n’ait pas pu augmenter son endettement.

61.      De surcroît, dans ses écritures, Deutsche Post AG fait valoir qu’elle avait droit au remboursement des coûts nets d’un service d’intérêt économique général pour la période s’étendant de 1990 à 1994, indépendamment de la question de savoir si, au cours des années postérieures à 1994, elle a réalisé des bénéfices ou des pertes. Elle indique également avoir déjà consommé les ressources issues des transferts étatiques au 1er janvier 1995, de sorte que les pertes subies par elle‑même de 1995 à 1998 ne pourraient nullement être couvertes au moyen de la compensation.

62.      À cet égard, la faiblesse de la méthode appliquée par la Commission est particulièrement frappante. En effet, le calcul qu’elle a effectué aurait dû être temporalisé, en définissant une période pendant laquelle l’allocation de la compensation est analysée. Idéalement, il conviendrait de procéder à un calcul distinct portant sur la rentabilité d’un aspect choisi des activités visées dans le bilan de l’entreprise.

63.      La méthode choisie par la Commission n’explique pas pour quel motif il y a lieu de présumer, alors que la situation de Deutsche Post AG se caractérisait en parallèle, d’une part, par un surcoût net engendré par un service d’intérêt économique général et, d’autre part, par un déficit résultant d’une politique agressive des prix, que les ressources étatiques en cause ont financé le déficit, alors même que leur qualité d’aide dépend de leur affectation audit service d’intérêt économique général ainsi que de leur corrélation avec les coûts de ce service.

64.      En outre, malgré le déficit global de la requérante que la Commission rapporte aux années comprises dans sa méthode de calcul, il convient de constater que Deutsche Post AG a indéniablement réalisé des recettes, bien qu’elles aient été inférieures aux dépenses.

65.      Ainsi que le souligne le gouvernement allemand, les dépenses comprennent tant les surcoûts nets justifiés par des obligations d’intérêt général incombant aux services postaux, et, à ce titre, susceptibles de faire l’objet d’une compensation par l’État, que d’autres coûts ne pouvant, pour leur part, faire l’objet d’aucune compensation.

66.      Or, appliquée à d’autres coûts de Deutsche Post AG, la thèse de la Commission selon laquelle la politique à perte a été nécessairement financée par les transferts publics conduit à un résultat paradoxal. Comme le gouvernement allemand l’a relevé, à suivre ce raisonnement, aucune dépense ne pourrait être couverte par d’autres recettes propres de Deutsche Post AG étant donné que cette dernière a subi des pertes durant la période en question. Dès lors, toute dépense devrait être financée par des ressources publiques.

67.      Par ailleurs, ainsi que le fait valoir Deutsche Post AG dans ses écritures, la Commission n’a pas tenu compte du fait que, dans la réalité économique, lorsque les pertes imputables à une année ne peuvent pas être compensées par des ressources propres, elles sont enregistrées comme des pertes reportées au bilan de l’année suivante. Par conséquent, la Commission ne pouvait considérer que le déficit du service d’acheminement de colis de porte à porte était «forcément» financé par les transferts opérés par DB‑Telekom (42).

68.      Dans le même sens, je partage la position du Tribunal en ce qu’il a jugé insuffisante l’approche de la Commission à l’égard des charges héritées du passé de Deutsche Post AG. Vu l’ampleur des activités de Deutsche Post AG, et notamment son rôle en tant qu’entreprise chargée d’un service d’intérêt économique général, l’on ne saurait a priori négliger l’impact de ces coûts hérités du passé. Or, ainsi que cela ressort du point 84 de l’arrêt attaqué, en dépit des informations fournies par le gouvernement allemand, la Commission n’a pas tiré de conclusions à cet égard.

69.      Enfin, en ce qui concerne les difficultés incontestables auxquelles peut être confrontée la Commission dans l’exercice du contrôle du financement d’un service d’intérêt économique général, j’observe qu’il existe une différence entre les difficultés relatives aux données économiques et leur appréciation, d’une part, et les difficultés d’ordre administratif, d’autre part.

70.      S’agissant des difficultés relatives aux données économiques, il ne saurait être exclu que, dans certaines circonstances, l’État membre concerné ne soit pas capable de fournir à la Commission des informations précises concernant, par exemple, l’affectation interne des coûts généraux ou la rémunération appropriée des capitaux propres, dans la mesure où ils sont affectés aux différentes activités. Dans cette hypothèse, je suis d’avis que le jeu d’une présomption basée sur l’expérience ou le bon sens est possible.

71.      En ce qui concerne les difficultés administratives, ainsi que l’a rappelé le Tribunal au point 75 de l’arrêt attaqué, la Commission jouit des compétences lui permettant d’enjoindre à l’État membre de lui fournir tous les documents, informations et données nécessaires pour examiner la compatibilité de l’aide avec le marché commun (43). Ce n’est que si l’État membre omet, nonobstant l’injonction de la Commission, de fournir les renseignements sollicités que celle‑ci a le pouvoir de mettre fin à la procédure et de prendre la décision constatant la compatibilité ou l’incompatibilité de l’aide avec le marché commun sur la base des éléments dont elle dispose (44).

72.      Par conséquent, à défaut d’injonction, la Commission n’est pas autorisée à clôturer la procédure et à prendre la décision sur la base des données disponibles.

d)      Sur le raisonnement du Tribunal

73.      En réponse au grief selon lequel la Commission n’a pas établi que Deutsche Post AG a bénéficié d’un avantage, le Tribunal a rappelé, au point 78 de l’arrêt attaqué, les différents stades du raisonnement de la Commission figurant dans la décision litigieuse. Le Tribunal a également rappelé, au même point, la position de la Commission, exprimée lors de l’audience (45).

74.      Contrairement à ce que soutient la Commission dans son pourvoi, je suis d’avis que, dans le cadre du raisonnement ayant amené le Tribunal, au point 88 de l’arrêt attaqué, à constater que la Commission n’avait pas démontré l’existence d’un avantage, le Tribunal n’a pas privilégié sa propre méthode de calcul. Il a, en réalité, relevé des insuffisances relatives à la problématique de l’étendue de la charge de la preuve qui incombe à la Commission dans le cadre de l’examen des aides d’État.

75.      Le Tribunal a vérifié la manière dont la Commission a procédé en l’espèce et a constaté que celle‑ci s’était abstenue de vérifier si le montant des transferts opérés par DB‑Telekom excédait le montant de surcoûts nets constatés de Deutsche Post AG.

76.      Le Tribunal a donc, conformément à l’article 36 du statut de la Cour de justice (46), explicité les raisons pour lesquelles il a considéré que la décision de la Commission était entachée d’insuffisance et d’inexactitude.

77.      De surcroît, en ce qui concerne la portée du contrôle susceptible d’être opéré par le Tribunal, il importe de constater, à la lumière de la jurisprudence rappelée aux points 18 à 24 des présentes conclusions, que le Tribunal a correctement rappelé au point 90 de l’arrêt attaqué que la qualification d’une mesure d’aide d’État ne saurait, en principe, justifier la reconnaissance d’un large pouvoir d’appréciation à la Commission, en l’absence des circonstances particulières tenant notamment à la nature complexe de l’intervention étatique en cause.

78.      Au point 91 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ainsi relevé, à bon droit, que, si la jurisprudence avait reconnu à la Commission une certaine marge d’appréciation quant à l’adoption de la méthode la plus appropriée afin de s’assurer de l’absence de subvention croisée au profit d’activités concurrentielles, il n’en demeurait pas moins que la Commission ne pouvait, conformément à l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précité, qualifier d’aide d’État des ressources étatiques octroyées en compensation de surcoûts liés à l’accomplissement d’un service d’intérêt économique général.

79.      Ainsi, il ressort clairement de la première phrase du point 91 de l’arrêt attaqué que la critique du Tribunal porte sur la qualification juridique, et non sur l’analyse des faits, opérée par la Commission.

80.      Le Tribunal n’a donc pas eu à constater quelle était la portée du pouvoir d’appréciation de la Commission et, partant, l’étendue du contrôle du juge de l’Union à l’égard des constatations factuelles en cause. En revanche, sans s’être prononcé explicitement sur le point de savoir s’il s’agissait, en l’espèce, d’évaluations économiques complexes ou non, il a reproché à la Commission, à la deuxième phrase du point 91 de l’arrêt attaqué, de s’être basée sur une présomption en ce qui concerne l’identification de l’existence d’un avantage au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

81.      Ainsi, le raisonnement du Tribunal demeure dans les limites du pouvoir de contrôle juridictionnel dont il dispose dans le cadre du contrôle de légalité.

82.      Par conséquent, eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, je considère que le Tribunal n’a nullement violé les dispositions des articles 87, paragraphe 1, CE, 86, paragraphe 2, CE et 230 CE. La question de la violation de l’article 36 du statut de la Cour de justice ne se pose pas non plus. Je propose donc à la Cour de rejeter ce moyen comme non fondé.

B –    Sur la deuxième branche du premier moyen

1.      Argumentation des parties

83.      Dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen, la Commission, soutenue par UPS, fait valoir que c’est à tort que le Tribunal lui a reproché de ne pas avoir examiné tous les éléments de preuve. La Commission critique ainsi les points 78, 85, 86, 87 et 88 de l’arrêt attaqué.

84.      La Commission aborde dans ce contexte la question de la charge de la preuve. Elle fait valoir qu’il incombait à la requérante en première instance, dans le cadre de la procédure devant le Tribunal, de prouver l’illégalité de la méthode utilisée par la Commission et qu’elle‑même n’était pas tenue d’établir que la méthode retenue par le Tribunal était «impossible».

2.      Appréciation

85.      Par cette branche du premier moyen, la Commission ne fait que réitérer son argumentation relative au bien-fondé de la méthode qu’elle a appliquée afin de constater l’existence d’une aide illégale.

86.      Par conséquent, eu égard à la réponse apportée à la première branche du premier moyen, je considère que l’argumentation de la Commission pourrait être écartée d’emblée.

87.       En tout état de cause, les prétentions de la Commission formulées dans le cadre de la deuxième branche du moyen appellent les observations suivantes de ma part.

88.      Tout d’abord, je rappelle que, selon un principe général du droit, il incombe à la personne qui veut faire valoir un droit en justice de prouver les faits sur lesquels elle fonde sa prétention, règle souvent exprimée par le célèbre adage latin «ei incumbit probatio qui dicit, non qui negat» (47).

89.      Par conséquent, le Tribunal a correctement appliqué les règles régissant la charge de la preuve en considérant que c’est à la Commission qu’il incombait de prouver que les mesures en question constituaient une aide d’État illégale.

90.      Du reste, je relève que le Tribunal a jugé, au vu des éléments du dossier, que la Commission s’était abstenue de vérifier si le montant total des transferts opérés par DB‑Telekom était inférieur au montant total des surcoûts nets générés par un service d’intérêt économique général.

91.      Ce faisant, il s’est livré à une appréciation des faits qui l’a conduit à constater que l’existence d’une aide d’État illégale n’a pas été prouvée. Une telle appréciation ne constitue pas, sous réserve de la dénaturation des éléments de preuve produits devant lui, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (48).

92.      Or, dès lors qu’aucune dénaturation n’a été soulevée par la Commission, je propose à la Cour de rejeter la deuxième branche du premier moyen comme non fondée.

C –    Sur la troisième branche du premier moyen

1.      Argumentation des parties

93.      Après avoir indiqué que le raisonnement suivi par le Tribunal dans l’arrêt attaqué serait erroné en ce qu’il n’expliquerait pas en quoi la décision litigieuse serait défaillante, la Commission allègue que l’argumentation du Tribunal ne reposerait ni sur les griefs avancés ni sur la décision litigieuse. Selon elle, l’examen du Tribunal serait entaché d’une erreur de méthodologie comme l’illustrerait le fait que le Tribunal aurait fondé son raisonnement sur une affirmation de l’agent de la Commission lors de l’audience. Elle fait valoir que le début du point 79 de l’arrêt attaqué où figure le mot «Partant» démontrerait que le Tribunal accorderait une importance déterminante à cette affirmation.

94.      En outre, la Commission, soutenue par le BIEK et UPS, relève, d’une part, que le Tribunal aurait procédé à des constatations contraires au dossier. Selon la Commission, «contrairement à l’affirmation faite par le Tribunal au point 82 de l’arrêt attaqué, la décision constate clairement que ‘les informations que lui avait fournies la République fédérale d’Allemagne selon lesquelles le secteur du colis de porte à porte constituait un service d’intérêt économique général n’étaient pas fondées’». Or, la Commission souligne qu’elle avait constaté, au point 76 de la décision litigieuse, que les services de colis de porte à porte n’étaient pas couverts par l’obligation d’acheminement et, par conséquent, par la mission de service public.

95.      D’autre part, selon la Commission, le raisonnement suivi par le Tribunal dans la seconde partie du point 82 de l’arrêt attaqué serait erroné, lorsque celui-ci constate que la Commission aurait reconnu, à tout le moins implicitement, que Deutsche Post AG avait également enregistré, hormis les surcoûts nets qui ont été générés par sa politique de vente à perte, des surcoûts nets qui étaient quant à eux liés à l’accomplissement d’un service d’intérêt économique général.

2.      Appréciation

96.      En ce qui concerne l’allégation liminaire de la Commission selon laquelle le Tribunal aurait attribué, au point 78 in fine de l’arrêt attaqué, une importance déterminante à la position soutenue lors de l’audience par un agent de la Commission, il suffit de constater que cette position est identifiée par le Tribunal afin de confirmer la motivation de la décision litigieuse, exposée au début de ce même point de l’arrêt attaqué. En tout état de cause, la Commission n’a pas soutenu que cette affirmation était erronée.

97.      Par la troisième branche du premier moyen, la Commission reproche notamment au Tribunal d’avoir dénaturé des éléments du dossier dans le cadre du recours en annulation, ce qui constitue une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour. Il convient donc de l’examiner.

98.      En premier lieu, afin de pouvoir se prononcer sur le point de savoir si le Tribunal a dénaturé des données figurant dans le dossier, il convient de confronter le texte du point 82 de l’arrêt attaqué et celui du passage pertinent de la décision litigieuse.

99.      Tout d’abord, il ressort du dossier que le secteur du colis de porte à porte comprenait deux volets, à savoir le segment de la clientèle professionnelle qui trie en amont ou dépose une quantité minimale de colis et celui de la VPC.

100. Au point 76 de la décision litigieuse, la Commission explique que l’article 2, paragraphe 2, point 3, du règlement sur les prestations obligatoires (Postdienst-Pflichtleistungsverordnung) exclut de l’obligation générale d’acheminement les petits colis pour lesquels des dispositions spéciales sont conclues dans le cadre de contrats particuliers avec des clients qui prétraitent leurs envois ou ceux qui passent des contrats de coopération (49).

101. Quand bien même il serait possible d’admettre que la Commission constate ainsi l’exclusion du champ d’un service d’intérêt économique général de certaines prestations relevant du premier volet du secteur du colis de porte à porte, je considère que le Tribunal se borne à relever, dans la première partie du point 82 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’a pas émis de critiques à l’égard des informations fournies par le gouvernement allemand (50).

102. Par conséquent, contrairement à ce que soutient la Commission, le Tribunal n’a nullement dénaturé la position exprimée par la Commission dans la décision litigieuse.

103. En second lieu, en ce qui concerne la seconde partie du point 82 de l’arrêt attaqué, la formulation employée par le Tribunal peut certes apparaître imprécise.

104. Toutefois, il résulte clairement du raisonnement du Tribunal que la constatation critiquée se rattache à la citation du point 73 de la décision litigieuse (51), dans lequel la Commission a relevé que Deutsche Post AG supportait des surcoûts nets dont une part minimale n’était pas due à l’accomplissement d’obligations d’un service d’intérêt économique général.

105. Par conséquent, le Tribunal a pu en déduire que la Commission n’a pas exclu le fait que Deutsche Post AG supportait des surcoûts nets dus à l’accomplissement d’un service d’intérêt économique général. Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de rejeter comme non fondée également cette branche du premier moyen.

V –    Sur le second moyen soulevé par la Commission

1.      Argumentation des parties

106. Par ce moyen, la Commission, soutenue par le BIEK et UPS, reproche, en substance, au Tribunal de s’être substitué à elle en effectuant à sa place un examen auquel elle n’a procédé à aucun moment. Selon elle, aux points 97 à 109 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait examiné des informations qui n’avaient fait l’objet d’aucun examen dans la décision litigieuse et dont l’exactitude n’était pas confirmée.

107. La Commission, rejointe sur ce point en particulier par le BIEK, reproche au Tribunal d’avoir comparé les résultats comptables avec les versements compensatoires publics et les rétrocessions. Le Tribunal en aurait conclu que les prix d’éviction n’avaient pas pu être financés par des ressources publiques, étant donné que les compensations financières à hauteur de 11 081 millions de DEM seraient inférieures à la somme des pertes comptables d’un montant de 4 945 millions de DEM et des rétrocessions à hauteur de 10 104 millions de DEM.

108. Selon la Commission, cette argumentation serait erronée pour plusieurs raisons.

109. Tout d’abord, selon la requérante, le Tribunal n’aurait pas prouvé que Deutsche Post AG aurait pu survivre financièrement sans compensation financière. Or, afin de pouvoir considérer que Deutsche Post AG a été en mesure de financer les coûts des prix d’éviction avec ses propres ressources sans apports de fonds publics, une telle preuve aurait été indispensable.

110. Ensuite, l’analyse de comptabilité financière réalisée par le Tribunal ne permettrait pas de répondre à cette question. En effet, selon la Commission, pour déterminer de quelle manière les prix d’éviction ont été financés, il conviendrait d’examiner, dans un premier temps, le niveau des disponibilités. La question est donc celle de savoir non pas si les versements compensatoires étaient supérieurs ou inférieurs aux pertes comptables, mais si les versements compensatoires ont fourni à Deutsche Post AG des liquidités suffisantes pour disposer d’un flux de trésorerie lui permettant de financer sa politique déloyale des prix.

111. En outre, ayant indiqué que l’analyse du flux de trésorerie devait porter au‑delà de 1995, la Commission fait valoir que le Tribunal semble avoir ajouté les rétrocessions aux coûts, ce qui accroîtrait les pertes comptables. Or, les rétrocessions ne pourraient, selon elle, être considérées comme des coûts ordinaires car elles rempliraient une double fonction en remplaçant des impôts et des dividendes (52).

112. Enfin, la Commission relève la nécessité d’actualiser les recettes et les dépenses sur la base d’une même année afin de pouvoir comparer des produits ou des flux de trésorerie sur plusieurs années.

2.      Appréciation

113. Dans le cadre du second moyen, lequel, eu égard à son objet, doit être qualifié de moyen distinct, la Commission critique la motivation développée par le Tribunal à titre surabondant en ce qu’il a examiné la question de savoir si les transferts opérés par DB‑Telekom auraient permis à Deutsche Post AG, compte tenu des pertes qu’elle avait enregistrées de 1990 à 1995, de couvrir les prétendus surcoûts nets générés par sa politique de vente à perte entre 1994 et 1999.

114. À cet égard, je rappellerai que le moyen dirigé contre un motif surabondant doit être qualifié d’inopérant, dès lors qu’il ne saurait conduire à l’annulation de l’arrêt (53). Les moyens visant à mettre en cause des motifs additionnels qui ne sont pas le soutien nécessaire de la décision doivent également être rejetés (54).

115. Toutefois, dans l’hypothèse où la Cour considérerait qu’il n’est pas exempt de doute que cet élément de la motivation du Tribunal a un caractère surabondant, nonobstant l’affirmation en ce sens au point 97 de l’arrêt attaqué, je propose de suivre un raisonnement alternatif.

116. En l’espèce, le Tribunal a outrepassé les limites du contrôle de la décision litigieuse en employant des données d’ordre économique figurant dans le dossier afin de présenter son propre calcul.

117. Je considère que ce type d’exercice ne constitue pas, en principe, une tâche incombant au juge de l’Union dans le cadre du contentieux de la légalité. Cela me semble générer un risque particulièrement important de voir le Tribunal substituer sa propre appréciation à celle de la Commission et, corrélativement, empiéter de manière illégale sur la marge d’appréciation de celle-ci (55).

118. Par conséquent, il convient de constater que, en procédant, aux points 103 à 108 de l’arrêt attaqué, à l’analyse des données financières relatives à la capacité des transferts opérés par DB‑Telekom de couvrir les surcoûts générés par la politique de vente à perte conduite pas Deutsche Post AG entre 1994 et 1999, le Tribunal a commis une erreur de droit consistant à substituer sa propre appréciation à celle de la Commission.

119. Néanmoins, je considère que la motivation précédant le point 97 de l’arrêt attaqué constitue un fondement juridique autonome et déterminant sur lequel repose, à bon droit, l’annulation de la décision litigieuse.

120. Dès lors, quand bien même le second moyen est fondé, il ne saurait cependant conduire à la mise en cause de l’arrêt attaqué en tant que celui‑ci a annulé la décision litigieuse, dans la mesure où cette annulation trouve son fondement dans l’analyse selon laquelle la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que les transferts opérés par DB‑Telekom avaient conféré un avantage, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, dans le chef de Deutsche Post AG (56).

VI – Les moyens soulevés par les autres parties à la procédure

A –    Les mémoires des parties intervenues au soutien de la Commission

121. Au‑delà de leur soutien, tant le BIEK que UPS, développent une argumentation propre, quoique coïncidant majoritairement avec les moyens développés par la Commission.

122. Cette argumentation tient essentiellement à la prétendue violation par le Tribunal des principes découlant de la jurisprudence Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, dans la mesure où il aurait omis de constater qu’aucune des exigences fixées par cet arrêt afin de pouvoir soustraire les compensations perçues pour la fourniture d’un service d’intérêt économique général aux règles en matière d’aides d’État n’était remplie. Le BIEK fait également grief au Tribunal d’avoir méconnu les conditions posées dans l’arrêt BUPA e.a./Commission, précité.

123. Plus particulièrement, le BIEK soutient que le Tribunal aurait méconnu les règles régissant la charge de la preuve lorsque, au point 86 de l’arrêt attaqué, il reproche à la Commission de ne pas s’être assurée que le montant des transferts opérés n’excédait pas les surcoûts nets liés à l’accomplissement d’un service d’intérêt économique général.

124. Pour sa part, UPS soutient que le Tribunal aurait commis une erreur de droit en ce qu’il aurait estimé que le soutien conféré à Deutsche Post AG constituait une «compensation» pour un service d’intérêt économique général (point 73 de l’arrêt attaqué), sans toutefois vérifier si ces prestations de services étaient effectivement des prestations de service d’intérêt économique général. UPS relève également que le Tribunal aurait omis de recourir aux conditions de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg précité, lorsqu’il a conclu que la Commission n’avait pas démontré à suffisance de droit que les transferts opérés par DB‑Telekom avaient conféré un avantage à Deutsche Post AG (point 88 de l’arrêt attaqué).

B –    Appréciation

125. Tout d’abord, s’agissant de la violation alléguée de la jurisprudence Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, je constate que, aux points 68 à 74 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a correctement rappelé la jurisprudence applicable, relative à la qualification de la notion d’aide d’État, puis celle relative à la problématique de la compensation visant à financer des obligations de service public. Il a notamment cité les conditions définies dans ledit arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg.

126. Il importe cependant de constater que l’analyse du Tribunal porte sur la légalité de la décision litigieuse.

127. En effet, le Tribunal a rappelé, au point 94 de l’arrêt attaqué, que la Commission s’était contentée de constater, dans la décision litigieuse, que les surcoûts nets générés par la politique de vente à perte de Deutsche Post AG ne pouvaient pas faire l’objet d’une compensation. En revanche, elle n’a ni vérifié ni établi que Deutsche Post AG n’avait pas enregistré d’autres surcoûts nets liés à l’accomplissement d’un service d’intérêt économique général pour lesquels elle était en droit de prétendre à une compensation au moyen de la totalité des transferts opérés par DB‑Telekom dans les conditions prévues par l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précité.

128. Par conséquent, le Tribunal a jugé, à bon droit, au point 95 de l’arrêt attaqué, que, dans la mesure où la Commission n’avait opéré aucun examen ni aucune appréciation à cet égard, il n’appartenait pas au juge de l’Union de se substituer à la Commission en effectuant à sa place un examen auquel elle n’a procédé à aucun moment et en supputant les conclusions auxquelles elle serait parvenue au terme de celui‑ci.

129. Enfin, en ce qui concerne la problématique de la violation des règles régissant la charge de la preuve et le défaut de la détermination par le Tribunal de la nature des prestations de services fournies par Deutsche Post AG, ces moyens se confondent avec les deuxième et troisième branches du premier moyen de la Commission. Ainsi, il n’y a plus lieu de les réexaminer.

VII – Remarques finales

130. Selon moi, l’application d’une approche compensatoire dans le cadre du financement d’un service public d’intérêt général, telle qu’adoptée dans la jurisprudence de la Cour, exclut toute méthode selon laquelle il n’y a pas lieu de procéder à un calcul permettant d’identifier les coûts du service et de les comparer avec les montants versés à titre compensatoire. Toutefois, si la Cour optait pour l’une ou l’autre variante de l’approche dite «aide d’État», il ne saurait être exclu que l’aide en question soit considérée comme incompatible avec le marché intérieur, eu égard au comportement anticoncurrentiel de l’entreprise bénéficiaire. Néanmoins, j’estime que l’approche de type compensatoire est d’ores et déjà bien établie dans la jurisprudence et, par suite de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, davantage justifiée que ces alternatives.

131. Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de rejeter le pourvoi de la Commission ainsi que le pourvoi incident dans son ensemble et de condamner la Commission aux dépens.

VIII – Conclusion

132. En conclusion, je suggère à la Cour de:

–        rejeter le pourvoi de la Commission européenne ainsi que le pourvoi incident dans son ensemble,

–        condamner la Commission européenne aux dépens.


1 – Langue originale: le français.


2 – JO L 247, p. 27, ci-après la «décision litigieuse».


3 – Décision 2001/354/CE de la Commission, du 20 mars 2001, relative à une procédure d’application de l’article 82 du traité CE (Affaire COMP/35.141 – Deutsche Post AG) (JO L 125, p. 27).


4 – Compte tenu du fait que l’arrêt attaqué a été rendu le 1er juillet 2008, les références aux dispositions du traité CE suivent la numérotation applicable avant l’entrée en vigueur du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.


5 – Voir, en ce sens, arrêts du 16 mai 2000, France/Ladbroke Racing et Commission (C‑83/98 P, Rec. p. I‑3271, point 25), et du 1er juillet 2008, Chronopost/UFEX e.a. (C‑341/06 P et C‑342/06 P, Rec. p. I‑4777, point 141, ci‑après «Chronopost II»).


6 – Voir point 15 desdites conclusions.


7 – C’est une situation distincte de celle qui prévaut lors de l’application de l’article 87, paragraphe 3, CE, c’est-à-dire lorsque la Commission est appelée à se prononcer sur la compatibilité d’une mesure constitutive d’une aide d’État. Voir arrêt du 11 septembre 2008, Allemagne/Kronofrance (C‑75/05 P et C‑80/05 P, Rec. p. I‑6619, point 59 ainsi que jurisprudence citée).


8 – Voir arrêt Chronopost II (point 143).


9 – Dans le domaine des concentrations, voir arrêts du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval (C‑12/03 P, Rec. p. I‑987, point 39), et du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing (C‑525/04 P, Rec. p. I‑9947, point 56). Voir von Danwitz, T., Europäisches Verwaltungsrecht, Springer, Berlin, 2008, p. 361. Selon l’auteur, à la différence du droit allemand, le droit de l’Union n’opère pas, en principe, de distinction entre, d’une part, une marge d’appréciation concernant la qualification des faits («Beurteilungsspielraum auf Tatbestandsseite») et, d’autre part, un pouvoir discrétionnaire quant aux conséquences juridiques («Ermessen auf Rechtsfolgenseite»).


10 – Voir, en ce sens, arrêts du 25 janvier 1979, Racke (98/78, Rec. p. 69, point 5); du 22 octobre 1991, Nölle (C‑16/90, Rec. p. I‑5163, point 12); Commission/Tetra Laval, précité (point 39), et du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission (C‑326/05 P, Rec. p. I‑6557, point 76).


11 – Ordonnance du 25 avril 2002, DSG/Commission (C‑323/00 P, Rec. p. I‑3919, point 43), et arrêt Espagne/Lenzing, précité (point 57).


12 – Arrêt du 24 juillet 2003 (C‑280/00, Rec. p. I‑7747).


13 – Nettesheim, M., «Europäische Beihilfeaufsicht und mitgliedstaatliche Daseinsvorsorge», Europäisches Wirtschafts- und Steuerrecht, 2002, Heft 6, p. 253. L’auteur distingue, d’une part, une méthode intervenant au niveau de l’examen des éléments constitutifs de la notion d’aide d’État («Tatbestandslösung») dans le cadre duquel les prestations compensatoires ne sont pas considérées comme aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE et, d’autre part, deux autres méthodes dans le cadre desquelles toute prestation compensatoire étatique serait, au niveau conceptuel, qualifiée d’aide, dont la compatibilité pourrait être fondée soit sur l’article 86 CE («Spezialitätslösung»), soit sur l’article 87 CE («Rechtfertigungslösung»); Quigley, C., European State aid law and policy, Hart, Oxford, 2009, p. 158 et suiv. Voir, également, les conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 novembre 2003, GEMO (C‑126/01, Rec. p. I‑13769, points 94 et 95).


14 – Arrêt du 27 février 1997 (T‑106/95, Rec. p. II‑229).


15 – Arrêt du 10 mai 2000 (T‑46/97, Rec. p. II‑2125, point 82). L’arrêt de la Cour du 15 mars 1994, Banco Exterior de España (C‑387/92, Rec. p. I‑877), peut également être rattaché à cette approche. Voir conclusions dans l’affaire GEMO, précitées (point 99).


16 – Point 178.


17 – Arrêt du 7 février 1985 (240/83, Rec. p. 531).


18 – Arrêt du 22 novembre 2001 (C‑53/00, Rec. p. I‑9067).


19 – Voir les conclusions présentées le 22 novembre 1984.


20 – Arrêt ADBHU, précité (point 18).


21 – Voir point 61 des conclusions.


22 – Ibidem (point 62).


23 – Ibidem (point 63). Dans l’arrêt Ferring, la Cour a rejeté l’analyse de la notion d’avantage retenue par le Tribunal dans l’arrêt FFSA e.a./Commission, précité.


24 – Ainsi que l’a soutenu l’avocat général Léger, dans ses deuxièmes conclusions du 14 janvier 2003 dans l’affaire Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précitée, la conception de l’avantage découlant des traités est une conception «brute» de l’aide ou théorie de l’avantage «apparent». Dans cette approche, les avantages conférés par les autorités publiques et la contrepartie mise à charge du bénéficiaire doivent être examinés séparément. L’existence de cette contrepartie ne serait pas pertinente pour déterminer si la mesure étatique constitue une aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. Elle n’interviendrait qu’à un stade ultérieur de l’analyse, pour apprécier la compatibilité de l’aide avec le marché commun (voir points 33 et 34).


25 – Deuxièmes conclusions dans l’affaire Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (point 46).


26 – Arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, précité (points 87 et 94). À toutes fins utiles, je rappellerai que, selon les critères dudit arrêt: 1) l’entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée de l’exécution d’obligations de service public et ces obligations doivent être clairement définies; 2) les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation doivent être préalablement établis de façon objective et transparente; 3) la compensation ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations, et 4) lorsque le choix de l’entreprise à charger de l’exécution d’obligations de service public n’est pas effectué dans le cadre d’une procédure de marché public, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait supportés pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations.


27 – Point 118. En outre, voir conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 novembre 2003, Enirisorse (C‑34/01 à C‑38/01, Rec. p. I‑14243), dans lesquelles l’avocat général Stix‑Hackl a exprimé des doutes quant à la possibilité d’appliquer la solution Ferring dans l’hypothèse où les obligations de service public n’étaient pas clairement définies.


28 – Conclusions dans l’affaire GEMO, précitées (points 110 à 114).


29 – Arrêt du 11 juillet 1996 (C‑39/94, Rec. p. I‑3547, points 60 et 61).


30 – Point 186. J’observe, à cet égard, que l’acte qui était applicable au cas d’espèce était la directive 80/723/CEE de la Commission, du 25 juin 1980, relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques (JO L 195, p. 35).


31 – Ordonnance du 25 mars 1998, FFSA e.a./Commission (C‑174/97 P, Rec. p. I‑1303, point 33).


32 – Arrêt du 3 juillet 2003 (C‑83/01 P, C‑93/01 P et C‑94/01 P, Rec. p. I‑6993, ci‑après «Chronopost I»). Au point 38 de cet arrêt, la Cour a précisé que, «en l’absence de toute possibilité de comparer la situation de La Poste avec celle d’un groupe privé d’entreprises n’opérant pas dans un secteur réservé, ‘les conditions normales de marché’, qui sont nécessairement hypothétiques, doivent s’apprécier par référence aux éléments objectifs et vérifiables qui sont disponibles».


33 – Ibidem (point 40).


34 – Point 33.


35 – Pour le rappel des conditions Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, voir note en bas de page 26.


36 – Voir arrêts Enirisorse, précité, ainsi que du Tribunal du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission (T‑289/03, Rec. p. II‑81, point 160), dans lequel le Tribunal a jugé qu’il convenait de faire preuve de souplesse quant à l’application de l’arrêt Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, en se référant à l’esprit et à la finalité des conditions y figurant.


37 – JO L 312, p. 67.


38 – «Le montant de la compensation inclut tous les avantages accordés par l’État ou au moyen de ressources d’État, sous quelque forme que ce soit. Le bénéfice raisonnable tient compte de tout ou partie des gains de productivité réalisés par les entreprises en cause au cours d’une période convenue et limitée, sans réduire le niveau qualitatif des services confiés à l’entreprise par l’État.» (Article 5 de la décision).


39 – La proposition du calcul sur la base des principes de comptabilité analytique figure dans ladite décision.


40 – Voir, Nettesheim, M., op. cit.; Bartosch, A., «The ‘Net Additional Costs’ of Discharging Public Service Obligations: The Commission’s Deutsche Post Decision of 19 June 2002», European State Aid Law Quarterly, vol. 1, 2002, n° 2, p. 189.


41 – Dans la doctrine économique, on parle d’une «allocative efficiency»; voir, Netz, J. S., Price regulation, a non technical overview, 1999; voir également, Spulber, D. F., Regulation and markets, MIT, 1989, p. 134.


42 – Ainsi, selon moi, l’exemple d’une ligne de chemin de fer unique auquel fait référence la Commission n’est pas pertinent, dès lors que le système du financement de l’entreprise constitue non pas un système clos, mais un système ouvert alimenté par plusieurs sources de financement, y compris les dettes.


43 – Arrêt du 14 février 1990, France/Commission (C‑301/87, Rec. p. I‑307, points 19 et 20, ci‑après l’«arrêt Boussac»). Ainsi que l’a précisé le Tribunal au point 75 de l’arrêt attaqué, ces exigences ont été reprises dans le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO L 83, p. 1).


44 – Voir arrêts Boussac (point 22) et du Tribunal du 29 mars 2007, Scott/Commission (T‑366/00, Rec. p. II‑797, point 144).


45 – Selon cette position, dès lors que la requérante n’avait pas apporté la preuve qu’elle avait couvert ses prétendus surcoûts nets générés par sa politique de vente à perte au moyen d’autres ressources que les transferts opérés par DB‑Telekom, la Commission pouvait à bon droit présumer que Deutsche Post AG avait bénéficié d’une aide d’État à concurrence de 1 118,7 millions de DEM.


46 – Applicable au Tribunal en vertu de l’article 53 du statut de la Cour de justice.


47 – Conclusions de l’avocat général Tizzano dans l’affaire Laboratoires Boiron (arrêt du 7 septembre 2006, C‑526/04, Rec. p. I‑7529, point 68). Pour une reconnaissance expresse de la validité de ce principe également dans le contentieux communautaire, voir arrêt du Tribunal du 10 mai 1990, Sens/Commission (T‑117/89, Rec. p. II‑185, point 20). Voir, également, arrêts du 28 juin 1988, Commission/Italie (3/86, Rec. p. 3369, point 13), ainsi que du 5 octobre 1989, Commission/Pays‑Bas (290/87, Rec. p. 3083, points 11 et 20).


48 – Voir, notamment, arrêt du 11 novembre 2004, Ramondín e.a./Commission (C‑186/02 P et 188/02 P, Rec. p. I-10653, point 46).


49 – Point 76: «D’après l’exposé des motifs concernant le règlement PPfLV, l’article 2, paragraphe 2, point 3, exclut de l’obligation générale d’acheminement les petits colis, pour lesquels des dispositions spéciales sont conclues dans le cadre de contrats particuliers avec des clients donnés – ceux qui prétraitent leurs envois ou ceux qui passent des contrats de coopération par exemple. Selon l’exposé des motifs, ces clients professionnels peuvent être dispensés de l’obligation d’acheminement, car la concurrence qui s’exerce dans ce secteur la rend superflue.»


50 – Point 82: «Il y a donc lieu de relever que, comme la Commission l’a par ailleurs confirmé dans ses écritures, d’une part, elle n’a pas constaté dans la décision [litigieuse] que les informations que lui avait fournies la République fédérale d’Allemagne selon lesquelles le secteur du colis de porte à porte constituait un [service d’intérêt économique général] n’étaient pas fondées et, d’autre part, elle a reconnu, à tout le moins implicitement, que [...] Deutsche Post AG avait également enregistré, hormis les surcoûts nets qui ont été générés par sa politique de vente à perte, des surcoûts nets qui étaient quant à eux liés à l’accomplissement d’un [service d’intérêt économique général] (ci‑après les ‘surcoûts nets non contestés’).»


51 – Citation figurant au point 81 de l’arrêt attaqué.


52 – J’observe, à cet égard, que, dans le cadre de la présente affaire, la Commission s’est fondée sur l’existence alléguée d’un déficit constant pendant la période concernée. Or, les impôts exigibles ainsi que les dividendes sont normalement payés au moyen des bénéfices de l’exercice courant.


53 – Arrêts du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission (C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 148), ainsi que du 13 septembre 2007, Common Market Fertilizers/Commission (C‑443/05 P, Rec. p. I‑7209, point 137). Voir également, en ce qui concerne la suffisance de l’un des motifs pour justifier le dispositif de l’arrêt attaqué, arrêt du 28 octobre 2004, van den Berg/Conseil et Commission (C‑164/01 P, Rec. p. I‑10225, point 60), ainsi que ordonnances du 28 septembre 2006, Unilever Bestfoods/Commission (C‑552/03 P, Rec. p. I‑9091, point 148), et du 13 mars 2007, Arizona Chemical e.a./Commission (C‑150/06 P, point 47).


54 – Arrêt du 2 juin 1994, de Compte/Parlement (C‑326/91 P, Rec. p. I‑2091, points 107 et 123).


55 – Voir, à cet égard, points 89 et 90 des conclusions de l’avocat général Kokott rendues le 17 septembre 2009 dans l’affaire Commission/Alrosa (C‑441/07 P), pendante devant la Cour.


56 – Voir, en ce sens, arrêt Commission/Tetra Laval, précité (point 89).