Language of document : ECLI:EU:T:2012:484

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

27 septembre 2012 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché néerlandais du bitume routier –Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Existence et qualification d’un accord – Restriction de concurrence – Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 81 CE aux accords de coopération horizontale – Calcul du montant des amendes – Gravité et durée de l’infraction – Obligation de motivation – Droits de la défense »

Dans l’affaire T‑353/06,

Vermeer Infrastructuur BV, établie à Hoofddorp (Pays-Bas), représentée par Me M. Slotboom, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. A. Bouquet et A. Nijenhuis, en qualité d’agents, assistés de Mes F. Wijckmans, F. Tuytschaever et L. Gyselen, avocats, puis par MM. Bouquet, Nijenhuis et F. Ronkes Agerbeek, en qualité d’agents, assistés de Mes Wijckmans et Tuytschaever,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision C (2006) 4090 final de la Commission, du 13 septembre 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] [Affaire COMP/F/38.456 – Bitume (Pays-Bas)], notamment en tant qu’elle concerne la requérante et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. M. Jaeger, président, N. Wahl et S. Soldevila Fragoso (rapporteur), juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 juin 2011,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante, Vermeer Infrastructuur BV, dénommée Vermeer Grond en Wegen BV jusqu’au 5 mai 1997, appartient au groupe Dura Vermeer. Ce groupe, né de la fusion, le 13 novembre 1998, de Dura Bouwgroep BV avec Vermeer Groep BV, opère dans le secteur de la construction aux Pays-Bas. Dura Vermeer Groep NV a été placée à la tête dudit groupe et a détenu, jusqu’au 29 décembre 2000, la totalité du capital de la requérante. À cette date, Dura Vermeer Infra BV, filiale à 100 % de Dura Vermeer Groep, est devenue la société mère à 100 % de la requérante.

2        Par lettre du 20 juin 2002, British Petroleum (ci-après « BP ») a informé la Commission des Communautés européennes de l’existence alléguée d’une entente relative au marché du bitume routier aux Pays-Bas et a présenté une demande visant à obtenir une immunité d’amende au titre de la communication de la Commission, du 19 février 2002, sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO C 45, p. 3).

3        Le 18 octobre 2004, la Commission a engagé une procédure et a adopté une communication des griefs, adressée le 19 octobre 2004 à plusieurs sociétés, dont la requérante.

4        Le 29 juin 2006, la Commission a adressé une demande de renseignements à plusieurs sociétés, dont la requérante.

5        Le 13 septembre 2006, la Commission a adopté la décision C (2006) 4090 final, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] [Affaire COMP/F/38.456 – Bitume (Pays-Bas)] (ci-après la « décision attaquée »), dont un résumé est publié au Journal officiel de l’Union européenne du 28 juillet 2007 (JO L 196, p. 40) et qui a été notifiée à la requérante le 25 septembre 2006.

6        Dans la décision attaquée, la Commission a indiqué que les sociétés destinataires de celle-ci avaient participé à une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE, consistant à fixer ensemble régulièrement, durant les périodes concernées, le prix brut pour la vente et l’achat de bitume routier aux Pays-Bas (ci-après le « prix brut »), une remise uniforme sur le prix brut pour les constructeurs routiers participant à l’entente (ci-après les « grands constructeurs » ou le « W5 ») et une remise maximale réduite sur le prix brut pour les autres constructeurs routiers (ci-après les « petits constructeurs »).

7        La Commission a précisé qu’un directeur de la requérante ayant participé, dès le début de l’infraction, aux contacts collusoires avait été nommé, le 30 juin 2000, directeur de Dura Vermeer Infra, et avait continué à y participer (considérant 298 de la décision attaquée).

8        La requérante a ainsi été reconnue coupable de cette infraction pour la période du 1er avril 1994 au 15 avril 2002, Dura Vermeer Infra pour la période du 30 juin 2000 au 15 avril 2002 et Dura Vermeer Groep pour la période du 13 novembre 1998 au 15 avril 2002. La requérante s’est vu infliger une amende de 5,4 millions d’euros, dont sont solidairement responsables Dura Vermeer Infra, à hauteur de 3,45 millions d’euros, et Dura Vermeer Groep, à hauteur de 3,9 millions d’euros.

 Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 décembre 2006, la requérante a introduit le présent recours.

10      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

11      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience du 8 juin 2011.

12      Un membre de la sixième chambre ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal s’est désigné, en application de l’article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, pour compléter la chambre.

13      Par ordonnance du 18 novembre 2011, le Tribunal (sixième chambre), dans sa nouvelle composition, a rouvert la procédure orale et les parties ont été informées qu’elles seraient entendues lors d’une nouvelle audience.

14      Par lettres, respectivement, du 25 et du 28 novembre 2011, la Commission et la requérante ont informé le Tribunal qu’elles renonçaient à être entendues une nouvelle fois.

15      En conséquence, le président du Tribunal a décidé de clore la procédure orale.

16      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 1er, l’article 2, sous d), et l’article 3 de la décision attaquée dans la mesure où ils s’appliquent à elle ;

–        à titre plus subsidiaire, annuler l’article 2, sous d), de la décision attaquée dans la mesure où il lui inflige une amende ;

–        à titre encore plus subsidiaire, diminuer le montant de l’amende qui lui a été imposée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

17      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

18      La requérante demande, à titre principal, l’annulation de la décision attaquée notamment en ce qu’elle la concerne et, à titre subsidiaire, la  réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée.

19      La requérante soulève neuf moyens à l’appui de sa requête. Le premier et le deuxième moyens sont tirés d’erreurs de fait, en ce qui concerne la participation des fournisseurs de bitume routier (ci-après les « fournisseurs ») et des grands constructeurs à une seule et même infraction, et notamment la participation de la requérante à la fixation d’une remise maximale pour les petits constructeurs. Le troisième moyen est tiré d’erreurs de fait et de droit en ce qui concerne l’appréciation de la gravité de l’infraction. Le quatrième moyen est tiré d’une erreur de fait, en ce qui concerne l’appréciation de la durée de l’infraction. Le cinquième moyen est tiré de la violation de l’obligation de motivation en ce que la Commission a renoncé à considérer que les fournisseurs avaient procédé à une répartition du marché et de la clientèle. Les sixième, septième et huitième moyens sont tirés de la violation des formes substantielles, en ce que la Commission n’aurait pas permis à la requérante de prendre connaissance des arguments des autres destinataires de la communication des griefs et de présenter des observations à cet égard, l’aurait privée de la possibilité de réagir aux nouveaux arguments avancés pour la première fois dans la décision attaquée et lui aurait refusé l’accès aux dossiers dans des affaires similaires relatives à d’autres États membres. Le neuvième moyen est tiré de la violation de l’obligation de motivation en ce qui concerne la responsabilité de la requérante et la gravité de l’infraction.

 Sur le premier moyen, tiré d’erreurs de fait, en ce que la Commission a conclu que les fournisseurs et les grands constructeurs ont participé à une infraction unique

20      À l’appui de ce moyen, la requérante avance trois branches, tirées, premièrement, de ce qu’elle n’aurait pas participé à la fixation du prix brut, deuxièmement, de ce que les fournisseurs auraient imposé les prix préfixés aux grands constructeurs et, troisièmement, de l’absence d’intérêt commun entre les fournisseurs et les grands constructeurs pour fixer les prix.

 Sur la participation de la requérante à la fixation du prix brut

–       Arguments des parties

21      La requérante considère que la Commission n’a pas prouvé son implication dans la fixation du prix brut, car elle s’est fondée sur des éléments de preuve insuffisants. Ainsi qu’il ressort du considérant 351 de la décision attaquée, la Commission se serait fondée sur huit éléments de preuve, lesquels, à la seule exception d’un courrier électronique de Hollandsche Beton Groep (ci-après « HBG »), seraient soit des déclarations de salariés des fournisseurs effectuées dans le cadre de demandes de clémence, soit des réponses desdits fournisseurs à des demandes de renseignements et à la communication des griefs. De plus ces documents seraient postérieurs à la période d’infraction visée par la décision attaquée.

22      En ce qui concerne la déclaration du salarié de BP du 12 juillet 2002, la requérante souligne que celui-ci n’était pas présent aux réunions au cours desquelles le prix brut aurait été fixé entre les fournisseurs et les grands constructeurs, qu’il n’a assisté qu’à deux réunions préparatoires des fournisseurs, qu’il était incapable de nommer les entreprises qui auraient pris part à la concertation et, enfin, qu’il s’est limité à supposer la présence aux réunions de Shell Nederland Verkoopmaatschappij BV (ci-après « SNV »), laquelle a pourtant été considérée comme l’un des meneurs de l’entente par la Commission. Par ailleurs, il ressortirait de cette déclaration, citée au considérant 70 de la décision attaquée, que les fournisseurs se réunissaient régulièrement de manière préparatoire, afin de fixer le prix brut. Or, les remises accordées au W5 n’auraient pas été arrêtées lors de ces réunions, mais lors de la concertation bilatérale entre les deux groupes, sur proposition des fournisseurs.

23      En ce qui concerne la déclaration de Kuwait Petroleum (Nederland) BV (ci-après « KPN ») du 12 septembre 2003, la requérante reproche à la Commission de ne pas l’avoir reprise dans son intégralité, alors qu’il ressortirait de celle-ci que le prix brut était fixé lors des réunions préparatoires entre les seuls fournisseurs. La requérante fait également valoir que cette déclaration serait contradictoire à celles d’autres personnes et que KPN n’a pas été en mesure d’étayer ses allégations relatives à ExxonMobil.

24      En ce qui concerne la réponse de Nynas du 2 octobre 2003 à une demande de renseignements de la Commission, la requérante affirme qu’il s’agit d’un élément de preuve ultérieur au début de l’enquête de la Commission et que cette réponse contient des affirmations erronées, notamment en ce qui concerne la date de début de l’entente.

25      En ce qui concerne la réponse de Koninklijke Wegenbouw Stevin (ci-après « KWS ») du 12 septembre 2003 à une demande de renseignements de la Commission, il résulterait de celle-ci que les fournisseurs prenaient contact avec les grands constructeurs seulement afin de tester leurs réactions aux hausses de prix déjà convenues.

26      En ce qui concerne la réponse de Ballast Nedam Infra BV (ci-après « Ballast Nedam ») du 20 mai 2005 à la communication des griefs, la requérante considère qu’elle ne peut pas être prise en compte, car la Commission ne lui a pas donné accès aux réponses à la communication des griefs des autres destinataires de la décision attaquée, l’empêchant ainsi de prendre connaissance du contexte dans lequel elle s’inscrivait. Elle conteste par ailleurs que Ballast Nedam ait reconnu son implication dans la fixation du prix du bitume dans ce document et suppose qu’elle a en fait voulu indiquer que les grands constructeurs étaient informés des variations de prix convenues par les fournisseurs.

27      En ce qui concerne le courrier électronique de HBG du 26 avril 2002, la requérante considère qu’il ne constitue pas un élément de preuve suffisant, car, d’une part, il concerne une réunion qui a par la suite été annulée et qui se situe en dehors de la période infractionnelle et, d’autre part, il en ressort que la concertation sur le bitume ne comportait pas d’ordre du jour et était d’une durée trop courte pour permettre aux fournisseurs et aux grands constructeurs de parvenir à un accord sur le prix brut.

28      En outre, s’agissant des documents saisis par la Commission lors des inspections, ils permettraient uniquement de conclure que la requérante avait l’intention d’assister à des concertations sur le bitume.

29      De même, des éléments utilisés par la Commission afin d’établir la durée de l’infraction ne sauraient être utilisés afin d’établir le rôle de la requérante dans la fixation du prix brut. Par ailleurs, la Commission aurait omis d’examiner un grand nombre d’éléments de preuve établissant que les grands constructeurs n’avaient d’autre possibilité que d’accepter le prix brut fixé par les fournisseurs.

30      Enfin, la requérante soutient que les circonstances selon lesquelles certains fournisseurs n’estimaient pas nécessaire d’être présents aux réunions de concertation et selon lesquelles les réunions préparatoires entre fournisseurs étaient substantiellement plus longues que les réunions de concertation entre les fournisseurs et les grands constructeurs permettent de confirmer que les grands constructeurs ne pouvaient exercer aucune influence sur la fixation du prix du bitume.

31      La Commission rejette les arguments de la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

32      La requérante soutient en substance que les preuves apportées par la Commission ne permettent pas d’établir l’implication des grands constructeurs dans la fixation du prix brut, celui-ci étant uniquement fixé par les fournisseurs lors de leurs réunions préparatoires.

33      Il convient tout d’abord de rappeler que, conformément aux dispositions de l’article 2 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), et à la jurisprudence antérieure (arrêts de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 58, et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 86), la charge de la preuve d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE incombe à l’autorité qui l’allègue, celle-ci étant tenue d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction. La jurisprudence a en outre précisé que l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27/76, Rec. p. 207, point 265) et que, conformément au principe de la présomption d’innocence, le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, point 177). Cependant, s’il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction a été commise, chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, précité, point 180).

34      En outre, la jurisprudence reconnaît que, dès lors que les pratiques et accords anticoncurrentiels se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement et que la documentation y afférente est réduite au minimum, il se révèle souvent nécessaire pour la Commission de reconstituer certains détails par des déductions. Ainsi, dans la plupart des cas, l’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de la concurrence (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, points 55 à 57).

35      Par ailleurs, afin d’établir la participation de la requérante à ladite entente, la Commission n’est pas obligée de produire des preuves provenant directement des grands constructeurs si d’autres pièces du dossier étayent à suffisance la participation de ceux-ci à l’accord (arrêt du Tribunal du 13 décembre 2006, FNCBV e.a./Commission, T‑217/03 et T‑245/03, Rec. p. II‑4987, point 161).

36      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner les éléments de preuves sur lesquels la Commission a fondé la participation de la requérante, avec le groupe des grands constructeurs, à la fixation du prix brut.

37      À titre liminaire, il convient d’examiner l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait reconnu, au considérant 351 de la décision attaquée, qu’elle ne disposerait pas d’éléments de preuve provenant des grands constructeurs. Il y a lieu de préciser que, dans ce considérant, la Commission a procédé à l’examen des arguments des grands constructeurs relatifs à leur rôle passif et qu’elle s’est bornée à constater que, à la différence des fournisseurs, les grands constructeurs avaient refusé de coopérer avec la Commission en essayant de minimiser au maximum leur rôle dans les accords et en a conclu qu’elle ne saurait être tenue pour responsable du fait que la majorité des preuves fournies sous la forme de déclarations provenaient des fournisseurs.

38      Il ressort en revanche de la décision attaquée que la Commission s’est fondée sur des éléments de preuve divers afin de conclure à la participation de la requérante à l’entente. Elle a notamment utilisé des documents saisis lors des inspections effectuées dans les locaux des grands constructeurs, des déclarations de plusieurs fournisseurs ayant introduit des demandes de clémence et les réponses apportées par toutes les parties à ses demandes de renseignements (considérant 87 de la décision attaquée).

39      À titre principal, il ressort du dossier que plusieurs documents cités dans la décision attaquée attestent de la conclusion d’accords entre les fournisseurs et le W5 portant notamment sur le prix brut, celui-ci n’étant pas fixé de manière unilatérale par les fournisseurs et imposé au W5, comme le soutient la requérante.

40      En premier lieu, en ce qui concerne les éléments dont la force probante n’est pas contestée par la requérante, il convient de citer une note de HBG du 8 juillet 1994, dans laquelle il est fait mention d’accords entre le W5 et les fournisseurs sur le prix brut jusqu’au 1er janvier 1995 (considérant 94 de la décision attaquée). Par ailleurs, la note de SNV du 9 février 1995 fait également mention d’accords sur le prix brut conclus entre le W5 et les fournisseurs (considérant 89 de la décision attaquée). De même, la note de SNV du 14 juillet 2000 fait référence à des accords collectifs sur le prix brut conclus entre les fournisseurs et le W5 en 1995 (considérant 90 de la décision attaquée). En outre, des notes de KWS des 12 mars et 14 septembre 1999 font état des résultats de réunions de concertation en ce qui concerne le prix brut et la remise accordée au W5 (considérants 104 et 106 de la décision attaquée). Des notes de HBG de 1999 et de 2000 se réfèrent également aux accords sur les augmentations de prix et les compensations et au rejet par le W5 de la proposition de majoration de prix des fournisseurs pour le 1er avril 2000 (considérants 107 et 110 de la décision attaquée). Enfin, des notes de HBG et de KWS se réfèrent par ailleurs à une réunion du 1er mars 2001 au cours de laquelle les fournisseurs ont souhaité baisser le prix brut alors que le W5 a préféré maintenir celui en vigueur (considérants 115 et 116 de la décision attaquée).

41      Il convient par ailleurs d’examiner, à titre subsidiaire, les éléments dont la force probante est contestée par la requérante.

42      Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, le seul fait que des informations soient rapportées au second degré ne saurait suffire à les priver de valeur probatoire (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T‑11/89, Rec. p. II‑757, point 86).

43      Il convient dès lors d’écarter les arguments de la requérante relatifs au caractère non probant de la déclaration du salarié de BP du 12 juillet 2002, au seul motif que ce salarié n’aurait pas été présent aux réunions de l’entente. Il y a par ailleurs lieu de préciser qu’il ressort de cette déclaration que ce salarié participait aux réunions préparatoires des fournisseurs. En ce qui concerne l’imprécision alléguée des réponses fournies par ce salarié aux questions de la Commission, elle ne concerne que la liste exacte des fournisseurs participant aux réunions de l’entente. Par ailleurs, il ressort clairement de cette déclaration que la requérante est expressément désignée comme l’un des grands constructeurs participant à la fixation du prix du bitume et qu’elle a en outre joué un rôle particulier dans la découverte d’une violation des accords par les fournisseurs (voir point 104 ci-après).

44      S’agissant de la déclaration du salarié de KPN effectuée en 2003 dans le cadre de sa demande de clémence et qui comportait certains points sur lesquels ce salarié est revenu ultérieurement en ce qui concerne la participation d’ExxonMobil à l’entente, il convient de souligner qu’elle s’est cependant révélée exacte sur de nombreux autres points. Le Tribunal estime dès lors que cette déclaration peut constituer un élément de preuve de l’implication des grands constructeurs dans la fixation du prix brut, à la condition qu’elle soit corroborée par d’autres indices. Or, il ressort du point 40 ci-dessus que la Commission a utilisé de nombreux autres éléments de preuve à cette fin. Il ressort en outre de la lecture de l’extrait de cette déclaration cité par la Commission au considérant 70 de la décision attaquée que, à la suite des réunions préparatoires, les fournisseurs et les grands constructeurs participaient à une réunion pendant laquelle ils s’accordaient sur le prix brut, et non, comme le prétend la requérante, que ce dernier était uniquement arrêté par les fournisseurs.

45      En ce qui concerne la déclaration de Nynas du 2 octobre 2003, les seules circonstances selon lesquelles elle a été établie après le début de l’enquête de la Commission et elle comporterait des imprécisions quant à la manière dont se déroulaient les réunions de l’entente entre 1994 et 1996 ne sauraient suffire à considérer qu’elle ne constitue pas un élément probant, d’autant que la Commission s’est fondée sur de nombreux autres indices corroborant les éléments de cette déclaration.

46      En ce qui concerne la réponse de KWS du 12 septembre 2003 à une demande de renseignements de la Commission, il convient de signaler que la mention de l’existence de contacts préalables entre certains fournisseurs et le W5 avant l’annonce collective d’une hausse de prix substantielle, à la supposer établie, ne saurait à elle seule suffire à remettre en cause l’existence d’une concertation collective destinée à arrêter le prix du bitume. Par ailleurs, dans ce document comme dans sa réponse à la communication des griefs du 20 mai 2005, KWS a admis que les fournisseurs et le W5 avaient conclu des accords à partir des propositions de prix brut effectuées par les fournisseurs (considérant 97 de la décision attaquée).

47      En ce qui concerne la réponse de Ballast Nedam à la communication des griefs, il convient tout d’abord de souligner que l’argument relatif au refus d’accès aux réponses à la communication des griefs des autres destinataires de la décision attaquée sera examiné sous le sixième moyen. Par ailleurs, il ressort de ce document que, si Ballast Nedam affirme que le W5 ne disposait pas d’une réelle influence sur le niveau du prix brut, elle reconnaît cependant avoir participé à une concertation sur le bitume avec les fournisseurs au cours de laquelle étaient arrêtés le prix et les remises (considérants 56 et 71 de la décision attaquée).

48      En ce qui concerne le courrier électronique de HBG du 26 avril 2002, relatif à une réunion ayant été annulée par la suite, il convient de souligner que la Commission n’a utilisé ce document qu’afin de déterminer la durée des réunions de l’entente (considérant 61, note en bas de page n° 155, de la décision attaquée). En tout état de cause, il ressort également de documents (extraits d’agenda) saisis chez la requérante que les réunions du W5 avec les fournisseurs n’étaient pas longues (considérant 110 de la décision attaquée), ce qui peut s’expliquer par la tenue de réunions préparatoires par chacun des deux groupes. Cette seule circonstance ne saurait cependant suffire à conclure que le prix du bitume n’était pas arrêté lors des réunions du W5 avec les fournisseurs.

49      Enfin, la circonstance selon laquelle tous les fournisseurs ne participaient pas aux réunions de concertation ne saurait suffire à établir que le prix brut était fixé par les seuls fournisseurs. De même, la durée limitée des réunions de concertation par rapport à la durée des réunions préparatoires des fournisseurs ne permet pas de conclure que ces derniers imposaient le prix du bitume au W5.

50      Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que la requérante ne saurait soutenir que les éléments de preuve fournis par la Commission ne permettraient que d’établir qu’elle avait l’intention d’assister aux réunions de concertation sur le bitume et non de participer à l’entente. De même, elle ne saurait soutenir que le prix brut était fixé de manière unilatérale par les fournisseurs et était imposé au W5.

51      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de considérer que la Commission n’a pas commis d’erreur de fait et que les éléments de preuve présentés étaient suffisants pour établir la participation de la requérante et du W5 à la fixation du prix brut.

52      Dès lors et sous réserve de la première phrase du point 47 ci-dessus, il y a lieu de rejeter la première branche du premier moyen.

 Sur l’existence d’une entente préalable des fournisseurs

–       Arguments des parties

53      La requérante considère que la Commission n’a pas tenu compte des éléments du dossier qui permettaient d’établir qu’il existait depuis au moins les années 80 une entente des fournisseurs visant à fixer le prix du bitume et à se partager les marchés, laquelle aurait été imposée au W5.

54      La requérante soutient en outre que, malgré les éléments figurant dans la communication des griefs, la Commission n’a pas tenu compte dans la décision attaquée du fait que les fournisseurs s’accordaient aussi sur le partage du marché et de la clientèle, ce qui démontrerait leur position dominante sur le marché.

55      Enfin, et contrairement à ce qu’affirme la Commission au considérant 174 de la décision attaquée, dans la mesure où aucun fournisseur des pays voisins n’a accepté de lui vendre du bitume, la requérante suppose que les comportements des fournisseurs impliqués dans l’entente avaient un caractère international. Elle reproche à cet égard à la Commission de lui avoir refusé l’accès aux documents relatifs aux autres États membres.

56      La Commission rejette l’ensemble des arguments de la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

57      La requérante estime que la Commission n’a pas tenu compte des éléments du dossier permettant d’établir que les fournisseurs avaient mis une entente en place dès les années 80.

58      Elle se fonde notamment sur une note interne de SNV du 6 février 1995, dans laquelle un salarié de SNV effectue une synthèse relative au marché de la construction routière aux Pays-Bas et décrit la situation de surcapacité du marché et les « origines du cartel » depuis 1980. Il mentionne ainsi la création de « Nabit », une organisation professionnelle des entreprises de bitume, en 1980, période d’instabilité du prix du bitume, puis la mise en place du projet « Star », une entente composée des cinq principaux constructeurs routiers et des principaux fournisseurs, qui aurait pris fin en 1993, et, enfin, le fait que les grands constructeurs ont exigé une plus grande stabilité des prix en 1995 afin que les volumes et la répartition des marchés retrouvent approximativement leur niveau de 1993. Ce document souligne en conclusion la part de responsabilité tant des pouvoirs publics que des grands constructeurs et des fournisseurs dans l’apparition de certains accords. Ce document ne permet cependant pas à lui seul de déterminer clairement qu’une entente des fournisseurs existait avant 1994, ni qu’elle aurait été imposée aux grands constructeurs.

59      Par ailleurs, il convient de prendre également en compte d’autres éléments de preuve. Ainsi, dans la note interne de SNV du 9 février 1995, deux salariés exposent la situation du marché de la construction routière aux Pays-Bas et soulignent notamment l’existence d’accords sur le prix brut et les marchés entre les grands constructeurs, qui bénéficiaient d’une remise spécifique, et les fournisseurs, au détriment des entités adjudicatrices et des petits constructeurs. Ils qualifient la situation de « coopération entre deux cartels » et sont conscients qu’il existe un risque de sanction par la Commission. Ils indiquent par ailleurs que SNV a tenté de mettre fin à cette situation à partir de 1992, sans y parvenir, et examinent les possibilités d’évolution de la situation, à savoir le maintien de la coopération et la suppression partielle ou totale de la coopération, et les risques qui y sont liés. Ce document permet de confirmer le caractère bilatéral de l’entente et infirme la théorie de la requérante selon laquelle une entente des fournisseurs aurait existé avant 1994 et qu’ils l’auraient imposée aux grands constructeurs. De plus, un rapport interne de Wintershall AG du 20 février 1992, rédigé à la suite d’une visite de KWS, fait état de contacts entre SNV et KWS, cette dernière ayant demandé à SNV, en tant que « marketleader », d’effectuer des propositions de coopération entre les fournisseurs et le W5, correspondant à un monopole d’achat. Le document indique que Wintershall a signalé à KWS lors de cette visite que cette démarche était problématique au regard du droit des ententes.

60      Le Tribunal estime dès lors que plusieurs documents concordants contemporains de la période ayant précédé le début de l’infraction permettaient à la Commission de considérer que l’entente n’avait pas trouvé son origine dans une entente antérieure mise en place par les fournisseurs et que ces derniers ne l’avaient pas imposée aux grands constructeurs.

61      La requérante reproche en outre à la Commission d’avoir renoncé, malgré les nombreux indices dont elle disposait et qui avaient été mentionnés dans la communication des griefs, à poursuivre ses investigations relatives à des accords de répartition du marché qu’auraient conclus les fournisseurs aux Pays-Bas, à des échanges réguliers d’informations confidentielles entre les fournisseurs, concernant l’utilisation des capacités de production, les clients et les prix, et à l’existence d’ententes de ces fournisseurs dans d’autres pays d’Europe. La Commission aurait agi ainsi afin de renforcer la crédibilité de sa thèse de l’existence d’une entente bilatérale.

62      Il convient tout d’abord de souligner que, d’une part, l’existence d’éventuelles autres ententes entre les fournisseurs n’est pas incompatible avec la théorie de l’existence d’une entente bilatérale entre les fournisseurs et le W5 et que, d’autre part, la Commission n’a pas exclu que les grands constructeurs aient participé à d’autres accords avec les fournisseurs (points 174 et 175 de la communication des griefs).

63      Par ailleurs, il ne saurait être fait grief à la Commission, dans le cadre de ce recours, de ne pas avoir inclus certains accords dans sa décision. En effet, un tel argument, à le supposer fondé, ne saurait avoir une quelconque influence sur la légalité de la décision attaquée.

64      En outre, il convient de rappeler la nature préliminaire de la communication des griefs, la fonction de ce document, telle que définie par les règlements de l’Union, consistant à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises pour qu’elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission adopte une décision définitive. Si le juge de l’Union impose ainsi à la Commission d’adopter une décision finale fondée sur les seuls griefs au sujet desquels les parties ont pu faire valoir leurs observations, il ne la contraint cependant à adopter un complément de griefs que dans le cas où le résultat des vérifications l’amènerait à mettre à la charge des entreprises des actes nouveaux ou à modifier sensiblement les éléments de preuve des infractions contestées (arrêts de la Cour du 14 juillet 1972, Geigy/Commission, 52/69, Rec. p. 787, point 14, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 34 supra, point 192).

65      Par ailleurs, la requérante conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle elle n’aurait pas essayé de s’approvisionner en bitume à l’étranger auprès d’autres fournisseurs, qu’elle estime non fondée, car reposant sur la seule déclaration de KPN du 12 septembre 2003 (considérant 174 de la décision attaquée). Elle cherche ainsi à se prévaloir d’une déclaration de l’un de ses directeurs du 19 mai 2005, dans laquelle il indique qu’« il n’est pas apparu possible de recevoir les prix [du bitume] de l’étranger » et que, dans le cadre d’un important projet de construction routière et afin d’obtenir une remise supplémentaire de la part de son fournisseur aux Pays-Bas, il avait soutenu de manière mensongère qu’il achèterait du bitume en France. La requérante n’a cependant fourni aucun autre élément permettant d’établir qu’elle aurait cherché à acheter du bitume à l’étranger et, en tout état de cause, cette affirmation semble peu compatible avec les éléments du dossier, qui permettent d’établir que le W5 s’inquiétait des différences de prix existant avec les pays voisins. Il ressort ainsi d’un courriel du 19 juin 2000 de HBG rapportant une réunion avec Veba, devenue une filiale de BP le 1er février 2002, que Veba avait discuté avec SNV des effets d’une augmentation de prix en Allemagne sur le prix aux Pays-Bas. De même, des courriels internes de KPN indiquent que les fournisseurs étaient tenus d’accorder des remises supplémentaires à un grand constructeur disposant d’une centrale d’enrobage dans une zone proche de la frontière avec l’Allemagne afin d’éviter qu’il se fournisse à l’étranger (considérant 174, notes en bas de page nos 374 et 375, de la décision attaquée). En outre, des notes manuscrites de HBG relatives à la réunion du 16 février 2001 mettent en évidence que les fournisseurs et les grands constructeurs avaient discuté de la pression causée par le faible niveau de prix en Allemagne et en Belgique (considérant 115, note en bas de page n° 293, de la décision attaquée). Enfin, les déclarations de BP du 12 juillet 2002 indiquent que le prix brut devait être baissé de temps en temps, « car la différence serait trop évidente par rapport aux prix pratiqués en Allemagne, en Belgique ou en France » (considérant 116 de la décision attaquée).

66      Enfin, l’argument de la requérante concernant le refus d’accès aux dossiers relatifs à l’enquête menée dans d’autres pays sera traité dans le cadre du huitième moyen.

67      Sous réserve du point 66 ci-dessus, il y a donc lieu de rejeter la deuxième branche du premier moyen.

 Sur l’absence d’un intérêt commun aux fournisseurs et aux grands constructeurs

–       Arguments des parties

68      La requérante relève que, selon la jurisprudence, dans le cas d’accords ayant un objet anticoncurrentiel, la Commission doit établir que l’entreprise a entendu contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’entente et qu’elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 33 supra, point 87). Or, en l’espèce, la Commission n’aurait pas réussi à établir que la requérante et les autres membres du W5 poursuivaient un objectif anticoncurrentiel commun consistant à conserver un niveau relativement élevé et stable du prix brut grâce au système d’indexation des prix et à l’attribution de remises spécifiques.

69      La requérante relève ainsi que les affirmations de la Commission relatives à l’existence d’un intérêt commun aux fournisseurs et au W5 sont contradictoires et insuffisamment motivées. Par ailleurs, elle précise que ces affirmations ne figurent pas dans la communication des griefs, ce qui constitue une violation grave de ses droits de la défense.

70      La requérante estime que la Commission a commis une erreur d’appréciation de l’intérêt du W5 à l’entente en se méprenant sur le fonctionnement du mécanisme d’indexation des prix du bitume qui ne concernerait que les marchés publics de construction routière importants et de longue durée, qui ne représenteraient que 10 % de son chiffre d’affaires, et qui ne serait pas déclenché à partir d’un certain seuil.

71      Elle conteste également l’existence d’une compensation des hausses de prix infligées au W5 par le biais du mécanisme d’indexation des prix et des remises (considérant 151 de la décision attaquée). Elle souligne ainsi que toute augmentation du prix du bitume était désavantageuse pour les grands constructeurs, dès lors qu’ils n’étaient en mesure de faire application du mécanisme d’indexation des prix que dans un nombre de cas très limité. Elle réfute également l’affirmation de SNV, reprise par la Commission, selon laquelle les grands constructeurs parvenaient, même en l’absence de clause de règlement des risques, à obtenir un dédommagement de la part d’un maître d’ouvrage pour une hausse du prix du bitume. Par ailleurs, la requérante rappelle que les remises accordées par les fournisseurs au W5 ne compensaient que partiellement les hausses du prix brut.

72      La Commission rejette les arguments de la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

73      Selon la jurisprudence, les participants à une même entente peuvent avoir des intérêts économiques complémentaires (arrêt FNCBV e.a./Commission, point 35 supra, point 322). En l’espèce, la Commission a considéré que les fournisseurs comme le W5 avaient un intérêt commun à l’existence d’accords sur le prix brut et les remises, ceux-ci ayant eu pour effet de restreindre la concurrence tant du côté des fournisseurs que des grands constructeurs. La requérante estime que la Commission a commis une erreur d’appréciation de l’objectif du W5, lequel ne consistait qu’à limiter les effets des hausses de prix imposées par les fournisseurs en obtenant des remises.

74      Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que les accords conclus entre le W5 et les fournisseurs doivent être appréciés de manière globale, ceux-ci concernant à la fois le prix brut, la remise minimale accordée au W5 et la remise maximale applicable aux petits constructeurs.

75      Par ailleurs, selon la jurisprudence, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si l’entreprise accusée avait un intérêt commercial audit accord lorsque la Commission a réussi à réunir des preuves documentaires à l’appui de l’infraction alléguée et que ces preuves apparaissent suffisantes pour démontrer l’existence d’un accord de nature anticoncurrentielle (arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, Rec. p. I‑729, point 46). Ce n’est donc qu’à titre subsidiaire que le Tribunal examine la question d’une appréciation erronée de l’objectif du W5.

76      Contrairement à ce que soutient la requérante, il ressort du dossier que la Commission a fourni des éléments de preuve permettant d’établir l’existence d’un intérêt commun aux fournisseurs et aux grands constructeurs.

77      Il ressort ainsi de la note interne de SNV du 9 février 1995 que les cinq grands constructeurs dominant le marché étaient très attachés à la stabilité des prix et à la possibilité d’acheter au prix le plus bas par rapport à leurs concurrents (considérants 89 et 153, notes en bas de page nos 241 et 351, de la décision attaquée). Une note interne de HBG du 23 novembre de 1999 indique de même que « l’intention de départ a toujours été de conserver pratiquement le même niveau de prix aux Pays-Bas et dans les pays voisins ». Elle précise que, « sur ce niveau, une remise est accordée pour le W5, en raison des quantités totales et de l’avantage sur ceux qui ne participent pas au système » (considérant 108 de la décision attaquée). Enfin, la réponse de KWS à la communication des griefs met en évidence que les augmentations du prix brut ne constituaient pas un problème pour les grands constructeurs tant que les remises suivaient (considérant 149 de la décision attaquée).

78      Il y a lieu de souligner que, contrairement à ce qu’affirme la requérante, la décision attaquée ne comporte aucune contradiction quant à l’existence d’un intérêt commun aux fournisseurs et aux grands constructeurs. Le fait de reconnaître que chacun des groupes pouvait avoir des intérêts particuliers différents n’empêchait en effet pas la Commission de conclure à l’existence d’un intérêt commun, la jurisprudence considérant que les participants à une même entente peuvent avoir des intérêts économiques complémentaires (voir point 73 ci-dessus). Dès lors, la requérante ne saurait se fonder sur ce seul élément pour affirmer que la décision attaquée est insuffisamment motivée.

79      En ce qui concerne les arguments de la requérante relatifs à une divergence existant entre la communication des griefs et la décision attaquée quant à l’appréciation des intérêts des grands constructeurs à l’entente, il convient de renvoyer à l’examen du septième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense (point 197 ci-après).

80      Par ailleurs, la requérante estime que la Commission a procédé à une appréciation erronée du fonctionnement du mécanisme de règlement des risques. À cet égard, en premier lieu, elle conteste l’existence d’un seuil permettant le déclenchement de l’indice des prix du bitume routier publié par le Centrum voor regelgeving en onderzoek in de grond-, water- en wegenbouw en de Verkeerstechniek (CROW, Centre pour la régulation et la recherche en matière d’ingénierie civile et de trafic) (ci-après l’« indice CROW »).

81      Il convient de rappeler brièvement le fonctionnement du CROW, organisme sans but lucratif qui était notamment chargé de publier mensuellement le prix du bitume routier depuis les années 70 (considérants 25 et 26 de la décision attaquée), à partir des éléments du dossier.

82      La publication de l’indice CROW s’effectuait, jusqu’au 1er novembre 1995, après consultation des producteurs de bitume. Après cette date, le calcul était effectué par le Centraal bureau voor de statistiek  (CBS, Bureau central de la statistique), organe gouvernemental, à partir d’une étude de marché portant sur plusieurs centrales d’enrobage, soit avant l’application d’une éventuelle remise aux constructeurs. Cet indice CROW servait de référence pour les marchés de construction routière de longue durée comportant une clause de règlement des risques. En effet, il ressort du dossier que, pour ces marchés, en cas d’augmentation de l’indice CROW au-delà d’un certain seuil, à savoir 1 000 florins néerlandais (NLG), les pouvoirs adjudicateurs étaient tenus d’indemniser les constructeurs. À l’inverse, en cas de baisse de l’indice CROW en deçà de ce seuil, les constructeurs devaient dédommager les pouvoirs adjudicateurs. Les constructeurs n’étaient dès lors pas défavorisés par une hausse des prix lorsque ceux-ci augmentaient de manière simultanée, faisant ainsi augmenter l’indice CROW. En revanche, les constructeurs n’avaient pas intérêt à une baisse des prix, qui, si elle entraînait une baisse de l’indice CROW, les obligeait à rembourser leur cocontractant du différentiel de prix.

83      En second lieu, la requérante tente de minimiser l’importance de l’indice CROW en indiquant que seuls les marchés publics de construction routière importants et de longue durée comportaient une clause de dédommagement liée à l’évolution du prix des matières premières et que ceux-ci ne représentaient que 10 % de son chiffre d’affaires. Le Tribunal relève qu’il ressort cependant de nombreux documents que cette question faisait l’objet de discussions lors des réunions de l’entente [considérants 94 (note de HBG du 8 juillet 1994), 101 (note interne de BP de 1996), 107 (rapport de HBG du 14 septembre 1999), 111 (notes de la requérante du 12 avril 2000) et 115 (notes de HBG du 16 février 2001) de la décision attaquée], ce qui permet de la considérer comme un élément central des négociations, quel que soit le nombre de marchés publics concernés.

84      La requérante réfute par ailleurs l’affirmation de la Commission selon laquelle les grands constructeurs obtenaient, même en l’absence de clause de règlement des risques, un dédommagement de la part d’un maître d’ouvrage pour une hausse du prix du bitume.

85      Il ressort cependant d’un document interne d’ExxonMobil saisi lors des inspections et d’une note interne de BP relative au marché du bitume aux Pays‑Bas en 1996 que, lorsque les travaux n’étaient pas soumis contractuellement à une clause de règlement des risques, il était convenu que les grands constructeurs bénéficiaient d’une remise supplémentaire afin de compenser l’augmentation du prix brut (considérant 101 de la décision attaquée). Cette circonstance est confirmée par un document de HBG du 14 septembre 1999, qui effectue un résumé des accords sur les « augmentations et les compensations » pour l’année 1999 conclus entre le W5 et les fournisseurs et qui fait mention des dédommagements accordés au W5 pour les projets ne comportant pas de clause de règlement des risques (considérant 107 de la décision attaquée).

86      Enfin, la requérante soutient que les remises accordées par les fournisseurs au W5 ne compensaient que partiellement les hausses du prix brut. Il convient cependant de rappeler qu’il y a lieu de prendre en compte les accords conclus dans leur ensemble, ceux-ci concernant à la fois le prix brut, la remise minimale accordée au W5 et la remise maximale applicable aux petits constructeurs. Dès lors, à supposer même que les remises accordées par les fournisseurs aux membres du W5 n’aient compensé que de manière partielle les hausses du prix brut, cette seule circonstance ne suffirait pas à démontrer l’absence d’intérêt des membres du W5 à l’entente. En effet, il convient de tenir compte du caractère spécifique de la remise dont ils bénéficiaient, qui leur procurait un avantage concurrentiel par rapport aux petits constructeurs pour l’obtention des marchés publics. Il ressort à cet égard de la réponse de KWS à la communication des griefs que les grands constructeurs pouvaient accepter une hausse du prix brut à la condition qu’ils obtiennent une remise plus importante que les petits constructeurs (considérant 149 de la décision attaquée).

87      Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que les fournisseurs comme le W5 avaient un intérêt commun à l’existence d’accords sur le prix brut et les remises et que l’intérêt du W5 s’explique à la fois par le mécanisme des clauses de règlement des risques dans les marchés publics et par la remise spécifique dont ils bénéficiaient, laquelle leur procurait un avantage concurrentiel par rapport aux petits constructeurs pour l’obtention des marchés publics.

88      Il y a lieu, dès lors, de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur de fait en ce qui concerne l’existence d’un intérêt commun à l’entente des grands constructeurs et des fournisseurs. Sous réserve du point 79 ci-dessus, il convient donc de rejeter cette branche et, par conséquent, le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de fait concernant la participation de la requérante à la fixation d’une remise maximale pour les petits constructeurs

–       Arguments des parties

89      La requérante conteste avoir pris part à un accord visant à arrêter une remise maximale pour les petits constructeurs. Elle estime ainsi que certains documents utilisés par la Commission ne sont pas probants.

90      Elle soutient notamment que le mécanisme supposé de sanctions collectives infligées par les grands constructeurs aux fournisseurs en cas d’attribution d’une remise importante à un petit constructeur ne saurait, à supposer son existence établie, constituer une preuve de l’existence d’accords portant sur la fixation d’une remise maximale pour les petits constructeurs. Par ailleurs, les grands constructeurs n’auraient protesté de manière collective qu’à une seule reprise, ce qui serait en outre justifié par les quantités plus importantes qu’ils achetaient.

91      La Commission rejette l’ensemble des arguments de la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

92      La requérante conteste que les accords aient porté sur la fixation d’une remise maximale sur le prix brut pour les petits constructeurs.

93      La décision attaquée fait cependant référence à de nombreux documents attestant de ce que les négociations entre les fournisseurs et les grands constructeurs portaient non seulement sur la remise accordée au W5, mais également sur la remise maximale accordée aux petits constructeurs. La force probante de certains de ces documents n’est pas contestée par la requérante. C’est par exemple le cas d’une note interne de HBG du 24 février 1994 qui montre l’importance que les grands constructeurs accordaient au fait d’obtenir une remise non concédée aux petits constructeurs et d’éviter que la remise ne soit appliquée à l’ensemble des constructeurs (considérant 95 de la décision attaquée). En outre, un rapport interne du 14 septembre 1999 de HBG effectue un résumé des accords sur les « augmentations et les compensations » de 1999 conclus entre le W5 et les fournisseurs qui montre que la remise n’était accordée qu’aux membres du W5 (considérant 107 de la décision attaquée). La réponse de KPN du 16 septembre 2003 à une demande de renseignements indique également que la réunion de concertation du 27 mars 1998 avait permis de traiter du prix brut et des remises (considérant 103 de la décision attaquée). Une note interne de KWS relative à une réunion du 12 mars 1999 fait également référence au prix brut et à la remise convenue pour le W5 (considérant 104 de la décision attaquée). Une note interne de KWS du 23 mai 2001, confirmée par sa réponse du 12 septembre 2003 à une demande de renseignements, fait également état du prix brut et de la remise accordée au W5 (considérant 119 de la décision attaquée). Dans cette réponse, KWS a également indiqué que les discussions entre les fournisseurs et les grands constructeurs portaient à la fois sur les « barèmes de prix » et « les remises standard » (considérant 72 de la décision attaquée). Dans sa réponse du 20 mai 2005 à la communication des griefs, KWS, citant l’un de ses salariés, a de même indiqué que les « augmentations du prix standard ne constituaient pas un problème tant que les remises suivaient » (considérant 149 de la décision attaquée). Enfin, une analyse de SNV du 9 février 1995 indique l’importance pour le W5 de bénéficier d’une remise plus importante que celle accordée aux petits constructeurs (considérant 153 de la décision attaquée).

94      Il convient par ailleurs d’examiner, à titre subsidiaire, les éléments dont la force probante est contestée par la requérante.

95      Ainsi, la note interne de HBG du 28 mars 1994 indique que les accords en cause concernaient le prix brut, la remise accordée au W5 et la remise maximale consentie aux petits constructeurs (considérant 93 de la décision attaquée), sans que cette note ne puisse être interprétée comme résultant d’un accord conclu exclusivement entre fournisseurs, comme le soutient la requérante.

96      En ce qui concerne les notes de HBG et de KWS relatives à la réunion du 1er mars 2001, il ressort de la décision attaquée que celles-ci font également état du prix brut, de la remise accordée au W5 et de celle consentie aux petits constructeurs (considérant 116 de la décision attaquée). Il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel elle n’est pas certaine d’avoir assisté à la réunion du 1er mars 2001, dès lors qu’il ressort du dossier qu’il y était fait référence dans l’agenda de son directeur, lequel participait régulièrement aux réunions de l’entente. Il est en tout état de cause peu crédible que la requérante n’ait pas assisté à cette réunion dans la mesure où, d’une part, en tant que membre du W5, elle participait régulièrement aux réunions de l’entente, au moins à partir de 1996, par l’intermédiaire de l’un de ses directeurs (voir les notes d’agenda de la requérante, ainsi que les documents de KWS mentionnés au considérant 77, notes en bas de page nos 225 et 226, de la décision attaquée) et où, d’autre part, elle n’a fourni aucun élément de preuve permettant d’établir que son représentant aurait refusé de participer à cette réunion et de prendre part aux accords qui y ont été adoptés (voir jurisprudence citée au point 34 ci-dessus).

97      La réponse de KWS à la communication des griefs et la déclaration de KPN du 12 septembre 2003 mettent également en évidence l’existence de réunions au cours desquelles les fournisseurs et les grands constructeurs fixaient une remise maximale pour les petits constructeurs (considérants 53 et 97 de la décision attaquée). La seule circonstance selon laquelle, dans une autre partie de sa déclaration, KPN a uniquement mentionné les remises accordées aux grands constructeurs ne saurait suffire à contredire la première information relative à la remise maximale appliquée aux petits constructeurs.

98      En outre, contrairement à ce que soutient la requérante, le fait que, dans sa réponse du 2 octobre 2003, Nynas a déclaré que les grands constructeurs faisaient pression sur les fournisseurs afin qu’ils limitent les remises aux petits constructeurs (considérant 54 de la décision attaquée) démontre également la volonté des grands constructeurs de limiter les remises accordées aux petits constructeurs.

99      La requérante ne saurait par ailleurs soutenir que les notes de KWS relatives à la réunion du 12 avril 2000 seraient vagues et illisibles. Il résulte en effet de ce document, intitulé « Concertation sur le bitume », qu’il existait deux types de réductions applicables au prix brut, fixé lors de cette réunion à 530 NLG, représentées par deux colonnes comportant, la première, les nombres 65 et 20 et, la seconde, avec la mention « petits », les nombres 35 et 30, ces deux colonnes chiffrées étant placées, dans les deux cas, en dessous du nombre 530. En outre, la requérante n’a fourni aucune explication alternative plausible du contenu de ces notes.

100    En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la Commission n’aurait fourni aucune preuve de sa participation directe aux réunions de l’entente pour la période 1994-1996, il convient de rappeler que, du 1er avril 1994 au 19 février 1996, seules deux personnes participaient aux réunions de l’entente, un représentant de SNV pour les fournisseurs et un représentant de KWS pour le W5 (considérant 100 de la décision attaquée).De plus, il y a lieu de rappeler que la requérante ne conteste pas avoir été membre du W5 et qu’elle n’a fourni aucun élément qui permettrait néanmoins de considérer que les accords conclus par SNV et KWS ne lui étaient pas applicables pendant cette période (voir points 148 à 156 ci-après).

101    Par ailleurs, l’existence d’un mécanisme de sanctions permet de confirmer que les accords visaient à arrêter le montant maximal des remises accordées aux petits constructeurs.

102    Il ressort en effet de la décision attaquée que la Commission s’est fondée sur plusieurs éléments concordants qui font état de sanctions financières individuelles ou, à une reprise au moins, collectives par le W5, c’est-à-dire des amendes infligées à l’ensemble des fournisseurs, à des fournisseurs accordant aux petits constructeurs une remise supérieure à celle convenue, ainsi que de changements de fournisseur en cas de découverte d’une telle remise.

103    Il y a lieu de souligner, à titre liminaire, que le fait que certains éléments sont issus de déclarations des fournisseurs ne suffit pas à leur ôter toute valeur probante. Il convient en effet de rappeler que la Commission n’est pas tenue de se fonder sur des preuves provenant directement des grands constructeurs si d’autres pièces du dossier étayent à suffisance leur participation aux accords (voir point 35 ci-dessus). En l’espèce, le contenu des déclarations relatif à l’existence de sanctions est confirmé par des éléments de preuve provenant de membres du W5.

104    Ainsi, dans un rapport interne de Wintershall du 4 mars 1996 relatif à une visite à Heijmans Infrastructuur BV, il est fait état de ces sanctions pour l’année 1995 (considérant 82 de la décision attaquée). De même, un rapport de HBG relatif à la concertation du 14 septembre 1999 relate une interrogation sur la remise importante accordée à deux petits constructeurs (considérant 83 de la décision attaquée). En ce qui concerne l’année 2000, KWS et BP font état d’une amende collective infligée aux fournisseurs à la suite de la découverte de la remise effectuée à Krekel, un petit constructeur, lors de son rachat par le groupe auquel appartient la requérante (considérant 84 de la décision attaquée). KPN a également confirmé le mécanisme de sanctions dans sa déclaration du 9 octobre 2003 (considérant 85 de la décision attaquée). Dans sa réponse du 16 septembre 2003 à une demande de renseignements, BP a de même déclaré que la requérante avait cessé de se fournir auprès de Veba en 2002 à la suite de la découverte d’une remise importante accordée à un petit constructeur (considérant 86 de la décision attaquée). Dans la note interne de SNV du 9 février 1995, il est également fait mention d’une menace de diminution des achats de bitume en cas d’offres compétitives effectuées à des grands constructeurs non membres du W5 (considérant 86 de la décision attaquée). Dans sa déclaration du 12 septembre 2003, KPN a confirmé que, si un fournisseur accordait à un petit constructeur une remise supérieure à celle fixée, le W5 menaçait de ne plus s’approvisionner auprès de ce fournisseur (considérant 86 de la décision attaquée). Enfin, dans un document relatif à la concertation du 4 mai 2001, KWS a également fait mention d’une amende infligée à Nynas en raison de sa politique de prix (considérant 117 de la décision attaquée), ce qui a été confirmé par KPN dans sa déclaration du 12 septembre 2003 (considérant 118 de la décision attaquée).

105    Le Tribunal estime que si ces documents ne font référence de manière précise au mécanisme de l’amende collective infligée aux fournisseurs par le W5 qu’en ce qui concerne l’année 2000, ils montrent cependant, dans leur ensemble, qu’il existait un mécanisme individuel ou collectif de sanctions en cas de non‑respect des accords de l’entente pendant l’ensemble de sa durée, lequel pouvait consister soit en un arrêt des commandes au fournisseur ayant enfreint lesdits accords, soit en une amende infligée au fournisseur fautif ou à l’ensemble des fournisseurs.

106    La requérante ne saurait enfin justifier l’existence de sanctions en soutenant que le volume d’achat du W5 était plus important que le volume d’achat individuel des petits constructeurs.

107    Il convient en effet d’examiner le volume individuel d’achat de chaque membre du W5, et non la quantité globale achetée par l’ensemble de ses membres. Il ressort ainsi de la décision attaquée que les petits constructeurs ne bénéficiaient pas de la même remise que les membres du W5, alors même qu’ils achetaient parfois, individuellement, des quantités de bitume plus importantes que les membres du W5. Ainsi, dans une déclaration du 12 juillet 2002, un salarié de BP a indiqué que les fournisseurs méconnaissaient souvent les accords conclus avec le W5 en accordant une remise plus élevée à certains petits constructeurs qui leur achetaient des quantités de bitume plus importantes. Il convient de relever que la Commission avait déjà répondu à cet argument au considérant 157 de la décision attaquée, en soulignant, en outre, que les grands constructeurs eux-mêmes avaient reconnu qu’ils négociaient en général une remise supplémentaire en fonction des quantités achetées individuellement. Elle avait également souligné que, même en considérant, comme l’affirme la requérante, que ce mécanisme n’ait été utilisé qu’à une seule reprise, l’existence d’un mécanisme de sanctions en cas d’octroi aux petits constructeurs d’une remise supérieure à celle arrêtée dans les accords constituait un indice supplémentaire de ce que la remise accordée au W5 n’était pas proportionnelle aux volumes achetés. Il ressort, par ailleurs, d’un document interne de HBG du 23 décembre 1999 que la remise accordée au W5 lors des réunions de concertation s’expliquait « en raison des quantités totales et de l’avantage sur ceux qui ne particip[ai]ent pas au système » (considérant 108 de la décision attaquée). Ces divers éléments, ainsi que l’intérêt du W5 à l’existence d’un accord portant notamment sur les remises (voir point 87 ci-dessus), permettent de considérer que la requérante n’a pas établi que la remise accordée au W5 dépendait des volumes achetés.

108    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les différents éléments de preuve examinés étaient suffisants pour établir que les accords conclus entre les grands constructeurs et les fournisseurs portaient, entre le 1er avril 1994 et le 15 avril 2002, sur la fixation d’une remise spécifique accordée au W5 et d’une remise maximale pour les petits constructeurs.

109    Il y a donc lieu de rejeter le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré d’erreurs de fait et de droit dans l’appréciation de la gravité de l’infraction

110    La requérante considère que la Commission a commis des erreurs de fait et de droit dans la qualification de son comportement comme étant une infraction très grave à l’article 81 CE compte tenu, d’une part, de la nature de l’infraction commise et, d’autre part, de son impact sur le marché. Selon elle, il s’agirait tout au plus d’une infraction peu grave au sens des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices pour le calcul des amendes »).

 Sur la nature de l’infraction commise

–       Arguments des parties

111    La requérante considère que, eu égard à la nature de l’infraction, il ne s’agit pas d’une infraction très grave. D’une part, comme elle l’aurait démontré dans son premier moyen, ni elle ni les autres membres du W5 n’auraient été impliqués dans la fixation directe du prix brut. D’autre part, il résulterait de son deuxième moyen que la Commission n’aurait pas établi son implication dans un accord sur la fixation d’une remise maximale pour les petits constructeurs moins élevée que celle accordée au W5.

112    La Commission rejette les arguments de la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

113    Aux termes des dispositions du point 1 des lignes directrices pour le calcul des amendes, le montant de base de l’amende est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction devant prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché quand il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné. Les lignes directrices pour le calcul des amendes opèrent ainsi une distinction entre les infraction peu graves (par exemple restrictions le plus souvent verticales visant à limiter les échanges, mais dont l’impact sur le marché reste limité), les infractions graves (le plus souvent restrictions horizontales ou verticales dont l’application est plus rigoureuse et dont l’impact sur le marché commun plus large) et les infractions très graves (pour l’essentiel restrictions horizontales de type « cartels de prix », quotas de répartition du marché ou autres pratiques portant atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur).

114    Il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la gravité d’une infraction est déterminée en tenant compte de nombreux éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et au regard desquels la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation (arrêts de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 241, et du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, C‑328/05 P, Rec. p. I‑3921, point 43 ; arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T‑69/04, Rec. p. II‑2567, point 153). Par ailleurs, selon la jurisprudence, lors de la détermination du montant des amendes, il y a lieu de tenir compte de tous les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité des infractions, tels que, notamment, le rôle joué par chacune des parties dans l’infraction et le risque que des infractions de ce type représentent pour les objectifs de l’Union (arrêts de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, points 120 et 129, et du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, point 52 ; arrêt du Tribunal du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission, T‑49/02 à T‑51/02, Rec. p. II‑3033, points 168 à 183). Lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu d’examiner la gravité relative de la participation de chacune d’entre elles (arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C‑51/92 P, Rec. p. I‑4235, point 110, et Montecatini/Commission, C‑235/92 P, Rec. p. I‑4539, point 207).

115    Le juge de l’Union a également reconnu la qualification d’infraction très grave par nature pour les ententes horizontales en matière de prix ou les accords visant notamment à la répartition des clientèles ou au cloisonnement du marché commun (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission, T‑148/89, Rec. p. II‑1063, point 109 ; du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, point 136 ; du 18 juillet 2005, Scandinavian Airlines System/Commission, T‑241/01, Rec. p. II‑2917, point 85 ; du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 147, et du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, Rec. p. II‑1333, point 279). Ces accords peuvent emporter, sur le seul fondement de leur nature propre, la qualification de très grave, sans qu’il soit nécessaire que de tels comportements se caractérisent par une étendue géographique ou un impact particuliers (arrêt Brasserie nationale e.a./Commission, point 114 supra, point 178). Par ailleurs, une entente horizontale qui couvre le territoire entier d’un État membre et qui a pour objet un partage de marché et un cloisonnement du marché commun ne saurait être qualifiée de peu grave au sens des lignes directrices pour le calcul des amendes (arrêt Brasserie nationale e.a./Commission, point 114 supra, point 181).

116    Ainsi, contrairement à ce qu’affirme la requérante, il n’appartenait pas à la Commission de procéder à une analyse des répercussions effectives du comportement en cause sur la concurrence pour pouvoir apprécier la gravité de l’infraction en établissant que les accords auraient désavantagé les petits constructeurs et artificiellement augmenté le niveau du prix brut aux Pays-Bas.

117    En l’espèce, la Commission a estimé, aux considérants 312 à 317 de la décision attaquée, que la requérante avait commis une infraction très grave à l’article 81, paragraphe 1, CE. Elle a souligné qu’une infraction consistant à fixer directement ou indirectement les prix de vente et d’achat et à appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant ainsi un désavantage dans la concurrence, faisait partie des infractions les plus graves par leur nature. Elle a en outre indiqué que les deux groupes impliqués dans l’infraction auraient dû être conscients de la nature illicite de l’entente, les membres du W5 ayant notamment délibérément infligé un désavantage concurrentiel aux petits constructeurs. Le caractère secret des arrangements conclus par l’entente constituerait à cet égard une preuve supplémentaire de leur nature illicite.

118    Il y a lieu de relever qu’il ressort de l’examen des deux premiers moyens que l’entente consistait à fixer directement ou indirectement les prix de vente et d’achat et à appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant ainsi un désavantage concurrentiel. Or, les mécanismes ainsi décrits par la Commission relèvent des formes les plus graves d’atteinte à la concurrence.

119    La requérante se borne à chercher à établir une distinction entre plusieurs comportements relatifs à la même entente, en arguant du fait que la Commission aurait dû procéder à une appréciation distincte du comportement des fournisseurs et de celui des grands constructeurs, les premiers s’étant rendus responsables d’une entente sur le prix brut alors que les seconds n’auraient fait que négocier une remise collective sur le prix d’achat. Il convient cependant de prendre en compte les accords conclus entre le W5 et les fournisseurs de manière globale, ceux-ci concernant à la fois le prix brut, la remise minimale accordée au W5 et la remise maximale applicable aux petits constructeurs. Ainsi, les circonstances avancées par la requérante en l’espèce ne sont pas susceptibles de remettre en cause la validité de l’appréciation de la gravité de l’infraction à laquelle la Commission a procédé. Il s’ensuit que la conclusion de la Commission selon laquelle les accords et les concertations en cause constituaient, par leur nature même, une infraction très grave ne saurait être contestée.

120    Il résulte de tout ce qui précède que la Commission n’a commis aucune erreur de fait ou de droit dans l’appréciation de la gravité de l’infraction eu égard à la nature de celle-ci. Il convient dès lors de rejeter les conclusions de la requérante tendant à la qualification de l’entente comme une infraction peu grave (arrêt Brasserie nationale e.a./Commission, point 114 supra, point 181) et, partant, la première branche du troisième moyen.

 Sur l’impact de l’infraction sur le marché

–       Arguments des parties

121    La requérante considère que, eu égard à l’impact concret de l’infraction sur le marché, l’infraction ne peut être qualifiée de très grave.

122    En effet, en premier lieu, les accords présumés auraient eu un impact très limité sur le marché de la construction routière aux Pays-Bas, car, d’une part, le bitume ne représenterait que 1 % des coûts totaux des projets relevant de ce marché et, d’autre part, l’étendue géographique du marché du bitume dépasserait les frontières des Pays-Bas. En deuxième lieu, le W5 n’aurait pas bénéficié d’un avantage concurrentiel fondé sur un système de remises différenciées assorti de sanctions. Les grands constructeurs se seraient uniquement limités à demander aux fournisseurs, en tant que leurs clients les plus importants, de compenser l’application aux petits constructeurs de remises plus élevées que les leurs, ce qui constituerait une pratique commerciale habituelle. En troisième lieu, l’action du W5 aurait permis une baisse des prix pour les consommateurs finals. En quatrième lieu, les fournisseurs auraient accordé des remises à l’ensemble des constructeurs, les petits constructeurs bénéficiant parfois de remises identiques ou supérieures à celles accordées aux grands constructeurs.

123    La Commission rejette les arguments de la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

124    Au considérant 314 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que la détermination de la gravité de l’infraction et du montant de l’amende ne dépendait pas de l’impact de l’entente sur le marché. Elle a précisé qu’il n’était pas possible de mesurer l’impact concret de l’entente en raison du manque d’informations sur l’évolution du prix brut en l’absence d’accords, mais qu’elle pouvait s’en tenir à des estimations de probabilité des effets de l’entente. À cette fin, elle a souligné que les accords conclus avaient effectivement été mis en œuvre, y compris l’application d’une remise préférentielle aux seuls membres du W5 et l’application d’un mécanisme de sanctions en cas de non‑respect des accords, créant ainsi des conditions de marché artificielles. Elle a en outre indiqué que le niveau du prix brut aux Pays-Bas était supérieur à celui en vigueur dans les pays voisins et que la remise spécifique accordée au W5 avait pu jouer un rôle déterminant dans l’obtention de marchés publics.

125    Comme rappelé au point 113 ci-dessus, le point 1 des lignes directrices pour le calcul des amendes indique que l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché quand il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné.

126    Le juge de l’Union a confirmé que la Commission n’était pas tenue d’établir l’impact concret de l’infraction sur le marché, la question de savoir dans quelle mesure la restriction de concurrence a abouti à un prix de marché supérieur à celui qui aurait prévalu dans l’hypothèse de l’absence de l’entente n’étant pas un critère décisif pour la détermination du niveau des amendes (voir arrêt du Tribunal du 19 mai 2010, KME Germany e.a./Commission, T‑25/05, non publié au Recueil, point 82, et la jurisprudence citée).

127    La Cour a ainsi rappelé qu’il résultait des lignes directrices pour le calcul des amendes que la nature propre de l’infraction pouvait suffire à la qualifier de « très grave », et ce indépendamment de son impact concret sur le marché et de son étendue géographique (voir point 115 ci-dessus et arrêt de la Cour du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, Rec. p. I‑8681, point 103). Cette conclusion est corroborée par le fait que, si la description des infractions « graves » mentionne expressément l’impact sur le marché et les effets sur des zones étendues du marché commun, celle des infractions « très graves », en revanche, ne mentionne aucune exigence d’impact concret sur le marché, ni de production d’effets sur une zone géographique particulière (arrêts Groupe Danone/Commission, point 115 supra, point 150, et KME Germany e.a./Commission, point 126 supra, point 83). La Cour a également rappelé qu’il ressortait du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices pour le calcul des amendes que cet impact était à prendre en considération uniquement lorsqu’il était mesurable (arrêts de la Cour du 9 juillet 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑511/06 P, Rec. p. I‑5843, point 125, et du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, Rec. p. I‑7415, point 74).

128    En l’espèce, compte tenu de la nature de l’infraction en cause et du fait que la Commission a précisé dans la décision attaquée que l’impact concret de l’infraction n’était pas mesurable (considérants 314 et 316), la Commission n’était pas tenue de procéder à une appréciation de cet impact concret sur le marché pour qualifier l’infraction de très grave.

129    Par ailleurs, selon la jurisprudence, si la Commission estime opportun, aux fins du calcul du montant de l’amende, de tenir compte de cet élément facultatif qu’est l’impact concret de l’infraction sur le marché, elle ne peut se limiter à fournir une simple présomption, mais doit apporter des indices concrets, crédibles et suffisants permettant d’apprécier l’influence effective que l’infraction a pu avoir au regard de la concurrence sur ledit marché, dès lors que la prise en considération supplémentaire de cet élément permet à la Commission d’augmenter le montant de départ de l’amende au-delà du montant minimal envisageable de 20 millions d’euros fixé par les lignes directrices pour le calcul des amendes, sans autre plafond que la limite maximale de 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par l’entreprise concernée au cours de l’exercice social précédent, fixé pour le montant total de l’amende à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 (arrêt Prym et Prym Consumer/Commission, point 127 supra, points 81 et 82).

130    Cependant, en l’espèce, la Commission ayant indiqué clairement dans la décision attaquée que l’impact concret de l’infraction n’était pas mesurable et qu’il n’intervenait dès lors pas pour la détermination de la gravité de l’infraction et du montant de l’amende, il ne saurait lui être fait grief d’avoir précisé que les accords en cause avaient été mis en œuvre dans le considérant relatif à l’impact concret de l’entente sur le marché. Il ne sera de même pas nécessaire d’examiner si les autres indices qu’elle a présentés étaient suffisants pour établir l’influence effective que l’infraction a pu avoir sur la concurrence sur ledit marché.

131    Il convient dès lors de rejeter la deuxième branche du troisième moyen.

 Sur les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale

–       Arguments des parties

132    La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir tenu compte des lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 81 CE aux accords de coopération horizontale (JO 2001, C 3, p. 2, ci-après les « lignes directrices sur les accords de coopération horizontale ») selon lesquelles ne constitueraient des infractions à l’article 81, paragraphe 1, CE que les accords d’achats qui ne concernent pas des achats groupés, mais qui sont utilisés pour parvenir à une entente déguisée, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

133    La Commission rejette les arguments de la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

134    À titre liminaire, le Tribunal rappelle qu’il résulte d’une jurisprudence constante qu’il appartient aux entreprises demandant le bénéfice d’une exemption au titre de l’article 81, paragraphe 3, CE d’établir, sur la base de preuves documentaires, le caractère justifié d’une exemption. Dans cette perspective, il ne saurait être fait grief à la Commission de n’avoir pas proposé d’autres solutions, ni indiqué ce qu’elle considérait comme justifiant l’octroi d’une exemption (arrêt de la Cour du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43/82 et 63/82, Rec. p. 19, point 52). Il appartient uniquement à la Commission, au titre de son obligation de motivation, de mentionner les éléments de fait et de droit et les considérations qui l’ont amenée à prendre une décision rejetant la demande d’exemption, sans que la requérante puisse exiger qu’elle discute tous les points de fait et de droit qu’elle a soulevés au cours de la procédure administrative (arrêt du Tribunal du 21 février 1995, SPO e.a./Commission, T‑29/92, Rec. p. II‑289, points 262 et 263). Il s’ensuit qu’il appartient à la requérante d’établir que la Commission a commis une erreur de droit ou de fait en refusant de lui octroyer une exemption au titre de l’article 81, paragraphe 3, CE.

135    En l’espèce, il convient de relever que la Commission a exposé, aux considérants 162 à 168 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle a estimé que la participation du W5 aux accords ne pouvait être considérée comme des achats collectifs au sens des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale. Ainsi, tout d’abord, ce texte n’a pas pour objet d’autoriser les accords de coopération horizontale de manière générale, mais expose les principes permettant de les apprécier au regard des dispositions de l’article 81 CE, de tels accords pouvant créer des problèmes de concurrence. En l’espèce, les accords en cause visaient à restreindre la concurrence, dès lors que, en fixant le prix brut pour tous les constructeurs aux Pays-Bas et en déterminant des plafonds de remise pour les petits constructeurs, ils avaient des conséquences pour des entreprises n’y participant pas. En outre, et en tout état de cause, le W5 n’a pas procédé à des achats lors de ces négociations avec les fournisseurs, lesquelles n’avaient pour objet que de fixer le prix brut et les remises, comportement que le point 124 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale qualifie d’entente déguisée. De plus, il convient de souligner que le W5 a conclu ces accords avec un groupe de vendeurs qui adoptait également un comportement collusoire et que le W5 ne l’a pas signalé aux autorités compétentes. Enfin, les dispositions de l’article 81, paragraphe 3, CE ne sont en tout état de cause pas applicables dès lors que, selon le point 133 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, les accords d’achat ne peuvent être exemptés s’ils imposent des restrictions qui ne sont pas indispensables aux bénéfices économiques apportés par les accords. En effet, en l’espèce, les accords en cause imposaient des restrictions à des tiers non indispensables à la réalisation des avantages économiques recherchés.

136    La requérante reproche à la Commission de ne pas avoir examiné les effets des accords en cause sur la concurrence.

137    Il convient cependant de souligner que, aux termes des dispositions du point 18 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, il n’est pas nécessaire d’examiner les effets réels sur la concurrence et le marché des accords qui ont pour objet de restreindre la concurrence par la fixation des prix, la limitation de la production ou encore la répartition des marchés ou des clients, ces accords étant présumés produire des effets négatifs sur le marché. La Commission ayant considéré que les accords en cause visaient par nature à restreindre la concurrence (considérant 165 de la décision attaquée), il ne lui appartenait dès lors pas de procéder à une analyse des effets réels des accords sur la concurrence.

138    La requérante conteste en outre l’affirmation de la Commission selon laquelle les accords en cause auraient eu pour objet de restreindre la concurrence. Elle affirme que ces accords n’avaient pas pour objet de limiter la concurrence entre l’ensemble des constructeurs, le bitume ne représentant qu’une part négligeable de leurs coûts totaux et la remise spécifique accordée au W5 ne constituant, en tout état de cause, que l’une des remises accordées par les fournisseurs à tous les constructeurs.

139    Il ressort cependant du point 87 ci-dessus que la remise spécifique accordée au W5 avait un impact sur la concurrence dans ce secteur, dès lors qu’elle leur procurait un avantage concurrentiel par rapport aux petits constructeurs pour l’obtention des marchés publics.

140    Dès lors, il convient de rejeter cette branche et, par conséquent, le moyen dans son ensemble.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur de fait dans l’appréciation de la durée de l’infraction

 Arguments des parties

141    La requérante soutient que la Commission n’a pas démontré son implication dans l’infraction depuis le 1er avril 1994, car les éléments de preuve utilisés n’établissent son implication qu’à partir du 19 février 1996.

142    La Commission n’aurait ainsi avancé aucune preuve pour établir sa participation à la fixation du prix brut ou des remises pour l’année 1994. En ce qui concerne l’année 1995, la Commission aurait elle-même reconnu dans la décision attaquée qu’elle ne détenait aucune preuve attestant de la conclusion d’un nouvel accord sur le prix brut ou les remises.

143    Selon la requérante, son implication dans l’entente en 1994 et en 1995 ne saurait être déduite de sa simple qualité de membre du W5.

144    En ce qui concerne la période du 19 février 1996 au 12 mars 1999, la requérante précise enfin que la Commission n’a présenté aucune preuve contemporaine des faits.

145    La Commission rejette l’ensemble des arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

146    L’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003 précise que, « pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci ». En l’espèce, la Commission a estimé que la requérante avait commis une infraction de longue durée, celle-ci étant supérieure à cinq ans, et a retenu une durée totale de huit ans, du 1er avril 1994 au 15 avril 2002, augmentant ainsi le montant de départ de 80 % (considérant 332 de la décision attaquée).

147    La requérante estime que la Commission a commis une erreur de fait en considérant qu’elle était impliquée avant l’année 1996 dans l’infraction en cause, laquelle était en réalité limitée à une entente entre fournisseurs.

148    Il ressort cependant de plusieurs éléments du dossier que les grands constructeurs participaient déjà à l’entente avant l’année 1996, laquelle portait déjà sur la remise spécifique accordée au W5 et sur la remise maximale accordée aux petits constructeurs (considérants 175 à 178 de la décision attaquée).

149    La requérante conteste la valeur de certains de ces éléments de preuve. Il convient, à titre préalable, de souligner les origines variées de ces éléments, qui proviennent à la fois des fournisseurs et des grands constructeurs.

150    En premier lieu, deux documents des 28 mars et 8 juillet 1994 saisis chez HBG (considérants 93 et 94 de la décision attaquée) font mention d’un accord entre le W5 et les fournisseurs sur le prix brut qui entrait en vigueur le 1er avril 1994 et serait appliqué jusqu’au 1er janvier 1995, ainsi que sur la remise spécifique accordées au W5 et sur la remise maximale applicable aux petits constructeurs. La note du 8 juillet 1994 fait également mention du fait que, à cette époque, les accords étaient conclus entre un représentant de KWS et un représentant de SNV. Contrairement à ce que soutient la requérante, ces deux documents ne sauraient être interprétés comme résultant d’accords conclus exclusivement entre fournisseurs ou visant uniquement l’indice CROW.

151    En deuxième lieu, les deux notes internes de SNV des 6 et 9 février 1995 font également référence aux accords sur le prix brut et les remises spéciales conclus entre le W5 et les fournisseurs (considérants 88 et 89 de la décision attaquée).

152    En effet, dans la note de SNV du 6 février 1995, un salarié effectuant une synthèse relative au marché de la construction routière aux Pays-Bas décrit la situation de surcapacité du marché et les « origines du cartel » depuis 1980. Il mentionne ainsi la création de « Nabit », une organisation professionnelle des entreprises de bitume, en 1980, période d’instabilité du prix du bitume, puis la mise en place du projet Star, une entente composée des cinq principaux constructeurs et des principaux fournisseurs, qui aurait pris fin en 1993, et, enfin, le fait que les grands constructeurs ont exigé une plus grande stabilité du prix du bitume en 1995 afin que les volumes et la répartition des marchés retrouvent approximativement leur niveau de 1993. Le document souligne en conclusion la part de responsabilité tant des pouvoirs publics que des grands constructeurs et des fournisseurs dans l’apparition de certains accords.

153    Par ailleurs, dans la note interne de SNV du 9 février 1995, deux salariés exposent la situation du marché de la construction routière aux Pays-Bas et soulignent notamment l’existence d’accords sur les prix et les marchés entre les grands constructeurs, qui bénéficiaient d’une remise spécifique, et les fournisseurs, au détriment des entités adjudicatrices et des petits constructeurs. Ils qualifient la situation de « coopération entre deux cartels » et il ressort de ce document qu’ils sont conscients de l’existence d’un risque de sanction par la Commission. Ils indiquent par ailleurs que SNV a tenté de mettre fin à cette situation à partir de 1992, sans y parvenir, et examinent les possibilités d’évolution de la situation, à savoir le maintien de la coopération et la suppression partielle ou totale de la coopération, et les risques qui y sont liés. Ce document permet également de confirmer le caractère bilatéral de l’entente dès le début de l’année 1995.

154    En troisième lieu, la réponse de KWS à la communication des griefs indique également que les accords entre les fournisseurs et les grands constructeurs existaient dès l’année 1993 et avaient pour objet la fixation d’un prix brut, d’une remise minimale pour le W5 et d’une remise maximale pour les petits constructeurs (considérants 96 et 97 de la décision attaquée). Il y a par ailleurs lieu de signaler, que, contrairement à ce que la requérante soutient, elle a eu accès aux points 75 et 91 de ce document, qui ont été repris au considérant 177 de la décision attaquée, le 24 mai 2006 (voir point 186 ci-après).

155    En quatrième lieu, plusieurs documents saisis par la Commission lors de vérifications permettent de confirmer que le système de remises et de sanctions fonctionnait en 1995. Ainsi, une note interne de HBG du 7 juillet 1995 indique que KPN et Wintershall offraient une remise supplémentaire à HBG et un rapport interne de Wintershall du 4 mars 1996 relatif à une entrevue avec Heijmans Infrastructuur fait mention du montant de la remise due à cette société (considérant 98 de la décision attaquée). Ce même rapport de Wintershall indique également que, en 1995, il avait été constaté que les fournisseurs avaient accordé des remises indues aux petits constructeurs (considérant 82 de la décision attaquée).

156    En cinquième lieu, les demandes de clémence de trois entreprises permettent de confirmer que les accords existaient depuis au moins le 1er avril 1994. Il s’agit de la déclaration de KPN du 9 octobre 2003, de la réponse de Nynas du 2 octobre 2003 à une demande de renseignements et de la déclaration de BP du 12 juillet 2002.

157    Il convient par ailleurs de rejeter l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait elle-même reconnu qu’elle ne disposait d’aucune preuve de l’existence des accords pour l’année 1995. Il ressort en effet de la décision attaquée que la Commission a uniquement reconnu qu’elle ne disposait pas de preuves de la conclusion de nouveaux accords, ni de ce que les accords antérieurs auraient pris fin cette année-là, et qu’elle en avait dès lors conclu que les accords passés en 1994 étaient toujours en vigueur en 1995 (considérants 98 et 99 de la décision attaquée).

158    Il convient également de rejeter l’argument selon lequel ces documents ne seraient pas pertinents pour établir sa participation directe à l’infraction. En effet, l’absence d’éléments de preuve concernant la participation directe de la requérante aux réunions de l’entente avant l’année 1996 s’explique par le fait que, du 1er avril 1994 au 19 février 1996, seules deux personnes participaient aux réunions de l’entente, un représentant de SNV pour les fournisseurs et un représentant de KWS pour le W5 (considérant 100 de la décision attaquée).

159    Il ressort néanmoins de la décision attaquée que la requérante était membre du W5 (considérant 57), ce qu’elle ne conteste pas, et, que, en tant que membre du W5, les accords conclus par SNV et KWS lui étaient applicables (voir points 148 à 156 ci-dessus).

160    De plus, la requérante a elle-même reconnu lors de l’audience qu’elle avait bénéficié, pendant cette période, des remises accordées aux membres du W5. En l’absence de toute explication alternative sur l’origine de ces remises, le Tribunal estime que cette circonstance confirme aussi la participation de la requérante à l’entente pendant la période en cause.

161    Dès lors, il y lieu de considérer que la Commission a établi la participation de la requérante à l’entente depuis le 1er avril 1994, sans qu’elle ait été tenue de fournir des preuves de la participation directe de la requérante aux réunions de l’entente.

162    La requérante affirme enfin que la Commission n’a pas établi, par des éléments de preuve contemporains de l’infraction, l’existence d’accords anticoncurrentiels entre les fournisseurs et les grands constructeurs pour la période du 19 février 1996 au 12 mars 1999.

163    Cependant, il y a lieu de souligner que la requérante a elle-même indiqué dans la requête que le premier accord dont la preuve de l’existence a été apportée par la Commission datait du 19 février 1996. Il convient par ailleurs de rappeler que le fait que les éléments de preuve utilisés par la Commission ne soient pas contemporains de l’infraction ne suffit pas à leur ôter toute valeur probatoire.

164    En tout état de cause, il ressort de la décision attaquée que la Commission s’est également fondée sur des documents contemporains de l’infraction pour la période en cause, que les différents documents postérieurs à la période infractionnelle confirment les mêmes faits et que ces deux types de documents permettent d’aboutir aux mêmes conclusions.

165    En effet, afin d’établir que les prix et les remises appliqués en 1996 étaient restés en vigueur en 1997 et en 1998, la Commission a présenté deux documents d’ExxonMobil, une note interne de BP concernant le marché du bitume en 1996 et un courriel interne de BP de 1997 (considérant 102, notes en bas de page nos 260 et 261, de la décision attaquée). De même, afin d’établir la baisse provisoire du prix brut pour la période du 1er juillet au 1er septembre 1997, la Commission s’est fondée sur six déclarations similaires de membres de l’entente (considérant 102, note en bas de page n° 262, de la décision attaquée). Enfin, afin d’établir une nouvelle baisse du prix brut et une hausse des remises au moins à la fin de l’année 1998, la Commission s’est également fondée sur six déclarations convergentes de membres de l’entente, une déclaration de BP et une note interne de Wintershall (considérant 103, notes en bas de page nos 266 et 267, de la décision attaquée).

166    Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il convient de rejeter ce moyen dans son ensemble.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation en ce que la Commission a renoncé à considérer que les fournisseurs avaient procédé à une répartition du marché et de la clientèle

 Arguments des parties

167    La requérante reproche à la Commission d’avoir renoncé, dans la décision attaquée, à l’argument figurant dans la communication des griefs selon lequel les fournisseurs avaient également procédé à une répartition du marché et de la clientèle, sans fournir aucune motivation à ce sujet.

168    La Commission rejette l’argument de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

169    Il convient de préciser que la Commission n’est pas tenue, dans la décision attaquée, de vérifier et de répondre à chaque allégation des parties présentée lors de la procédure administrative, mais qu’il lui appartient, conformément aux dispositions de l’article 253 CE, d’exposer de façon claire et non équivoque son raisonnement, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Cette exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts de la Cour du 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296/82 et 318/82, Rec. p. 809, point 19 ; du 29 février 1996, Belgique/Commission, C‑56/93, Rec. p. I‑723, point 86, et du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63 ; arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T‑220/00, Rec. p. II‑2473, point 216).

170    Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que la décision de la Commission ne doit pas nécessairement être une copie exacte de la communication des griefs (arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 68). Ainsi, la Commission est uniquement tenue de ne pas mettre à la charge d’une entreprise, dans la décision finale, des infractions différentes de celles visées dans la communication des griefs et de ne pas retenir des faits différents (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, points 26 et 94, et arrêt du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T‑39/92 et T‑40/92, Rec. p. II‑49, points 49 à 52). Enfin, comme il ressort du point 64 ci-dessus, compte tenu de la nature préliminaire de la communication des griefs, la Commission n’est tenue d’adopter un complément de griefs que dans le cas où le résultat des vérifications l’amènerait à mettre à la charge des entreprises des actes nouveaux ou à modifier sensiblement les éléments de preuve des infractions contestées.

171    Il y a lieu, en outre, de souligner que, d’une part, l’existence d’éventuelles autres ententes entre les fournisseurs n’est pas incompatible avec l’existence d’une entente bilatérale entre ces fournisseurs et le W5 et que, d’autre part, la Commission n’a pas exclu que les grands constructeurs aient participé à d’autres accords avec les fournisseurs (points 174 et 175 de la communication des griefs).

172    Enfin, il ne saurait être fait grief à la Commission, dans le cadre de ce recours, de ne pas avoir inclus certains accords dans sa décision. En effet, un tel argument, à le supposer fondé, ne saurait avoir une quelconque influence sur la légalité de la décision attaquée.

173    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que ce moyen doit être rejeté.

 Sur le sixième moyen, tiré de la violation des droits de la défense, en ce que la Commission n’a pas permis à la requérante de prendre connaissance des déclarations des autres destinataires de la communication des griefs

 Arguments des parties

174    La requérante reproche à la Commission de ne pas lui avoir permis de prendre connaissance des déclarations figurant dans les réponses à la communication des griefs de trois autres destinataires de la décision attaquée sur lesquelles elle s’est pourtant fondée dans la décision attaquée.

175    La Commission rejette les arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

–       Principes généraux relatifs à l’accès aux documents postérieurs à la communication des griefs

176    Conformément aux dispositions de l’article 27, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, « [l]es droits de la défense des parties concernées sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure », « [e]lles ont le droit d’avoir accès au dossier de la Commission sous réserve de l’intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d’affaires ne soient pas divulgués » et « [l]e droit d’accès au dossier ne s’étend pas aux informations confidentielles et aux documents internes de la Commission ou des autorités de concurrence des États membres ». Dans sa communication relative à l’accès au dossier dans les affaires relevant des articles 81 [CE] et 82 [CE], des articles 53, 54 et 57 de l’accord EEE et du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil (JO 2005, C 325, p. 7), la Commission définit au point 8 le « dossier de la Commission » comme l’« ensemble des documents obtenus, produits et/ou assemblés par la direction générale de la concurrence de la Commission lors de l’enquête ». Au point 27 de cette communication, la Commission précise que « [l]’accès au dossier est donné sur demande et normalement une seule fois, après la communication des griefs de la Commission aux parties, afin de respecter le principe de l’égalité des armes et de protéger les droits de la défense », que, « [e]n règle générale, les parties n’ont donc pas accès aux réponses des autres parties aux griefs formulés par la Commission », qu’« [u]ne partie aura toutefois accès aux documents reçus après la communication des griefs dans des phases ultérieures de la procédure administrative, lorsque ces documents peuvent constituer de nouveaux éléments de preuve, qu’ils soient à charge ou à décharge, relatifs aux allégations formulées à l’égard de cette partie dans la communication des griefs de la Commission » et que « [c]’est particulièrement le cas lorsque la Commission entend se fonder sur de nouvelles preuves ».

177    Il est de jurisprudence constante que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou à des astreintes, constitue un principe fondamental du droit de l’Union, qui doit être observé, même s’il s’agit d’une procédure ayant un caractère administratif (arrêts de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 9, et du 2 octobre 2003, ARBED/Commission, C‑176/99 P, Rec. p. I‑10687, point 19).

178    En ce sens, le règlement n° 1/2003 prévoit l’envoi aux parties d’une communication des griefs qui doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Une telle communication des griefs constitue la garantie procédurale appliquant le principe fondamental du droit de l’Union qui exige le respect des droits de la défense dans toute procédure (arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C‑322/07 P, C‑327/07 P et C‑338/07 P, Rec. p. I‑7191, points 34 et 35).

179    Il convient également d’indiquer que l’accès au dossier dans les affaires de concurrence a notamment pour objet de permettre aux destinataires d’une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu’ils puissent se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue, dans sa communication des griefs, sur la base de ces éléments. L’accès au dossier relève ainsi des garanties procédurales visant à protéger les droits de la défense et à assurer, en particulier, l’exercice effectif du droit d’être entendu (voir arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II-3275, point 334, et la jurisprudence citée). Le droit d’accès au dossier implique que la Commission doit donner à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Corus UK/Commission, C‑199/99 P, Rec. p. I‑11177, point 125, et arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T‑30/91, Rec. p. II‑1775, point 81). Ceux-ci comprennent tant les pièces à charge que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, point 177 supra, points 9 et 11, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 34 supra, point 68).

180    Selon la jurisprudence, ce n’est qu’au début de la phase contradictoire administrative que l’entreprise concernée est informée, moyennant la communication des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Par conséquent, la réponse des autres parties à la communication des griefs n’est pas comprise, en principe, dans l’ensemble des documents du dossier d’instruction que peuvent consulter les parties (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T‑161/05, Rec. p. II‑3555, point 163). Néanmoins, si la Commission entend se fonder sur un passage d’une réponse à une communication des griefs ou sur un document annexé à une telle réponse pour établir l’existence d’une infraction dans une procédure d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, les autres parties impliquées dans cette procédure doivent être mises en mesure de se prononcer sur un tel élément de preuve (voir arrêts du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, dit « Ciments », T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 386, et du 27 septembre 2006, Avebe/Commission, T‑314/01, Rec. p. II‑3085, point 50, et la jurisprudence citée).

181    Par ailleurs, selon la jurisprudence relative au dossier administratif antérieur à la communication des griefs, l’absence de communication d’un document ne constitue une violation des droits de la défense que si l’entreprise concernée démontre, d’une part, que la Commission s’est fondée sur ce document pour étayer son grief relatif à l’existence d’une infraction (arrêts de la Cour du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, points 7 et 9, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 34 supra, point 71) et, d’autre part, que ce grief ne pourrait être prouvé que par référence audit document (arrêts de la Cour du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, points 24 à 30, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 34 supra, point 71 ; arrêt Solvay/Commission, point 179 supra, point 58). La Cour établit à cet égard une distinction entre les documents à charge et les documents à décharge. S’il s’agit d’un document à conviction, il incombe à l’entreprise concernée de démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue aurait été différent si ce document avait été écarté. En revanche, s’agissant de l’absence de communication d’un document à décharge, l’entreprise concernée doit seulement établir que sa non‑divulgation a pu influencer, à son détriment, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 34 supra, points 73 et 74). Cette distinction vaut également pour les documents postérieurs à la communication des griefs (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, Rec. p. II‑3435, points 351 à 359).

182    Par ailleurs, en ce qui concerne la question de savoir si, lorsqu’il est utilisé par la Commission comme élément de preuve dans sa décision, un document postérieur à la communication des griefs doit ou non être transmis dans son intégralité, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence, et notamment du point 386 de l’arrêt Ciments, point 180 supra, que la Commission n’est tenue, afin de permettre à l’entreprise concernée d’être en mesure de se prononcer utilement sur cet élément de preuve, de ne lui transmettre que le seul passage pertinent du document en question, replacé dans son contexte si cela est nécessaire à sa compréhension.

183    Il convient en outre de préciser que l’absence de communication systématique des réponses des autres entreprises à la communication des griefs n’est pas contraire au principe du respect des droits de la défense. Comme il a été rappelé ci-dessus, ce principe implique que la Commission doit, au cours de la procédure administrative, divulguer aux entreprises concernées tous les faits, circonstances ou documents sur lesquels elle se fonde, pour leur permettre de faire connaître utilement leurs points de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués et sur les documents retenus par elle à l’appui de ses allégations. Ainsi, quel que soit le contenu des réponses des entreprises à la communication des griefs, la Commission ne peut fonder sa décision que sur des faits sur lesquels celles-ci ont eu l’occasion de s’expliquer.

184    Enfin, la requérante ne saurait se prévaloir de la jurisprudence selon laquelle il ne saurait appartenir à la seule Commission, qui notifie les griefs et prend la décision infligeant une sanction, de déterminer les documents utiles à la défense de l’entreprise concernée (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 34 supra, point 126 ; arrêts Solvay/Commission, point 179 supra, points 81 et 83, et Atlantic Container Line e.a./Commission, point 179 supra, point 339). En effet, cette considération est relative aux documents relevant du dossier de la Commission et ne saurait s’appliquer à des réponses données par d’autres parties concernées aux griefs communiqués par la Commission.

–       Application en l’espèce

185    La requérante reproche à la Commission de ne pas lui avoir transmis les réponses de Ballast Nedam, de SNV et de KWS à la communication des griefs.

186    Il ressort cependant du dossier que la Commission a transmis le 24 mai 2006 à la requérante certains extraits des réponses à la communication des griefs qu’elle avait l’intention d’utiliser dans sa décision, à savoir, en premier lieu, les paragraphes 48, 73 à 75, 91 à 92 et 17 de l’annexe 2 de la réponse de KWS à la communication des griefs, en deuxième lieu, les paragraphes 105 et 106 de la réponse de Ballast Nedam à la communication des griefs et, en troisième lieu, les paragraphes 31, 32, 46, 47 et 60 de la réponse de SNV à la communication des griefs. Il convient en outre de préciser que, en tout état de cause, l’examen des extraits de ces documents transmis par la Commission à la requérante permet de constater que ceux-ci sont parfaitement compréhensibles et explicites sans qu’il soit nécessaire de les replacer dans un contexte plus large.

187    Il ressort enfin du dossier que la requérante a formulé des observations le 12 juin 2006 concernant deux des trois documents en cause. Dès lors, contrairement à ce qu’elle affirme, la requérante a eu accès aux éléments du dossier contenant des éléments de preuve à charge.

188    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le sixième moyen et l’argument de la requérante soulevé dans le cadre du premier moyen, tiré du refus d’accès aux réponses de Ballast Nedam à la communication des griefs (voir point 47 ci-dessus), doivent être rejetés.

 Sur le septième moyen, tiré de la violation des droits de la défense, en ce qu’il existe des divergences entre la décision attaquée et la communication des griefs

 Arguments des parties

189    La requérante reproche à la Commission d’avoir violé ses droits de la défense en ne reprenant pas dans la décision attaquée l’argumentation suivie dans la communication des griefs relative à la qualification de l’infraction, la privant ainsi de la possibilité de réagir aux nouveaux arguments figurant pour la première fois dans la décision attaquée.

190    Dans la communication des griefs, la Commission aurait en effet reconnu l’existence de deux groupes, les fournisseurs et les grands constructeurs, ayant leurs propres objectifs, ainsi que celle de deux infractions distinctes, qui pourraient donner lieu à une seule infraction. Dans la décision attaquée, la Commission aurait cependant renoncé à cette analyse en affirmant qu’il s’agissait d’une infraction unique.

191    De même, la requérante relève que les affirmations de la Commission relatives à l’existence d’un intérêt commun aux fournisseurs et au W5 ne figuraient pas dans la communication des griefs.

192    La Commission rejette l’ensemble des arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

193    Comme rappelé aux points 177 et 178 ci-dessus, la communication des griefs constitue la garantie procédurale appliquant le principe fondamental du droit de l’Union qui exige le respect des droits de la défense dans toute procédure.

194    Il convient néanmoins de rappeler que la décision ne doit pas nécessairement être une copie exacte de la communication des griefs. Dès lors, ce n’est que si la décision finale met à la charge des entreprises concernées des infractions différentes de celles visées dans la communication des griefs ou retient des faits différents qu’une violation des droits de la défense devra être constatée (voir point 170 ci-dessus). Tel n’est pas le cas lorsque les différences alléguées entre la communication des griefs et la décision finale ne portent pas sur des comportements autres que ceux sur lesquels les entreprises concernées s’étaient déjà expliquées et qui, partant, sont étrangers à tout nouveau grief (arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 179 supra, point 191).

195    À cet égard, il doit être souligné que, pour faire valoir une violation des droits de la défense concernant les griefs repris dans la décision attaquée, les entreprises en cause ne sauraient se contenter d’invoquer la simple existence de différences entre la communication des griefs et la décision attaquée, sans exposer de manière précise et concrète en quoi chacune de ces différences constitue, dans le cas d’espèce, un grief nouveau au sujet duquel elles n’ont pas eu l’occasion d’être entendues (arrêt Atlantic Container Line e.a./Commission, point 179 supra, point 192). En effet, selon la jurisprudence, une violation des droits de la défense doit être examinée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, en ce qu’elle dépend essentiellement des griefs retenus par la Commission pour établir l’infraction reprochée aux entreprises concernées (arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, ICI/Commission, T‑36/91, Rec. p. II‑1847, point 70).

196    Il ressort cependant du dossier que les griefs exposés par la Commission dans la décision attaquée, relatifs à l’existence, d’une part, d’une infraction unique et, d’autre part, d’un intérêt commun aux grands constructeurs et aux fournisseurs, figuraient dans la communication des griefs.

197    En effet, en ce qui concerne l’existence d’un intérêt commun aux deux groupes (considérants 146 à 156 de la décision attaquée), il ressort de la communication des griefs que la Commission y avait déjà fait mention. Ainsi, au point 258 de la communication des griefs, la Commission a affirmé expressément que « les différentes entreprises concernées partageaient certains objectifs communs » même si elles participaient à l’entente pour des raisons parallèles, qui n’étaient pas nécessairement identiques. Ces objectifs sont décrits aux points 259 et 262 de la communication des griefs. Dès lors, comme la Commission l’a affirmé aux points 252 et 253 de la communication des griefs, « l’ensemble de ces accords entre les fournisseurs de bitume et les grands constructeurs routiers [faisait partie] du plan global qualifié d’infraction à l’article 81[CE] » et poursuivait un « même but économique anticoncurrentiel ». D’ailleurs, la Commission a précisé, au point 254 de la communication des griefs, que l’existence de conflits internes n’empêchait pas de conclure « qu’il exist[ait] un seul objectif commun et continu ». Enfin, la Commission a décrit aussi, aux points 73 à 75 de la communication des griefs, le fonctionnement de l’indice CROW comme un mécanisme permettant indirectement de faire coïncider les intérêts des fournisseurs avec ceux des grands constructeurs.

198    De même, en ce qui concerne l’existence d’une infraction unique (considérants 145, 149 et 151 de la décision attaquée), il ressort de la communication des griefs que la Commission n’a pas modifié son raisonnement au cours de la procédure administrative. Elle a en effet indiqué, au point 257 de la communication des griefs, que « le cumul des différents accords et/ou pratiques concertées entre les fournisseurs de bitume, entre les grands constructeurs et entre les premiers et les seconds sur le marché néerlandais s’inscri[vait] dans un plan global et a[vait] par conséquent constitué, pendant la période concernée, une infraction unique et continue à l’article 81 [CE] ». La Commission a également précisé, au point 258 de la communication des griefs, que « l’existence d’une infraction unique et continue dans la présente affaire [était] compatible avec celle de deux arrangements qui pourraient en soi constituer des infractions à l’article 81 [CE] ».

199    Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que la Commission n’a pas modifié ses griefs relatifs à l’existence d’une infraction unique et d’un intérêt commun aux grands constructeurs et aux fournisseurs au cours de la procédure administrative. Il convient dès lors de rejeter le septième moyen dans son ensemble, ainsi que les arguments de la requérante soulevés dans le cadre du premier moyen, tirés d’une divergence entre la communication des griefs et la décision attaquée en ce qui concerne l’appréciation des intérêts des grands constructeurs à l’entente (voir point 79 ci-dessus).

 Sur le huitième moyen, tiré de la violation des formes substantielles, en ce que la Commission aurait refusé à la requérante l’accès aux dossiers dans des affaires similaires relatives à d’autres États membres

 Arguments des parties

200    La requérante reproche à la Commission d’avoir divisé l’enquête sur les infractions des fournisseurs par État membre, alors qu’il résulte du dossier et de la communication des griefs que les accords sur le prix brut, les remises et le partage de marché entre les fournisseurs faisaient partie d’un mécanisme d’ententes international.

201    En limitant à tort l’examen des comportements des fournisseurs aux Pays-Bas, la Commission aurait effectué une présentation inexacte du rôle des grands constructeurs et n’aurait pas permis à la requérante de présenter des observations relatives à la qualification de l’infraction.

202    La requérante indique qu’elle a pourtant sollicité le 6 décembre 2004 l’accès au dossier belge, le seul dont elle avait connaissance à cette date, et que la Commission lui a notifié son refus par lettre du 22 décembre 2004, en soutenant qu’il s’agissait d’une affaire différente concernant un marché géographiquement différent et relative à d’autres faits.

203    La requérante considère cependant que les dossiers des enquêtes dans les autres États membres pourraient contenir des informations utiles à sa défense, comme le refus des fournisseurs de fournir les clients à partir de la Belgique ou de l’Allemagne. Pour cette raison, la requérante demande au Tribunal d’ordonner à la Commission de produire les pièces relatives aux enquêtes sur la violation de l’article 81 CE sur le marché du bitume en Belgique et, éventuellement, dans d’autres États membres.

204    La Commission rejette l’ensemble des arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

205    Comme indiqué au point 179 ci-dessus, l’accès au dossier relevant des garanties procédurales visant à protéger les droits de la défense, il implique que la Commission donne à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense. L’accès au dossier dans les affaires de concurrence a notamment pour objet de permettre aux destinataires d’une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu’ils puissent se prononcer utilement sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue, dans sa communication des griefs, sur la base de ces éléments.

206    Par ailleurs, le juge de l’Union considère que la Commission n’est pas obligée de rendre accessibles, de sa propre initiative, des documents ne figurant pas au dossier d’instruction et qu’elle n’a pas l’intention d’utiliser à charge contre les parties concernées dans la décision définitive. Il appartient à l’entreprise qui apprend au cours de la procédure administrative que la Commission détient des documents qui pourraient être utiles pour sa défense de présenter à l’institution une demande expresse d’accès à ces documents (arrêts Ciments, point 180 supra, point 383).

207    Dans l’hypothèse où la Commission a rejeté au cours de la procédure administrative une demande d’une entreprise visant à l’accès à des documents ne figurant pas dans le dossier d’instruction, une violation des droits de la défense ne peut être constatée que s’il est établi que la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent dans l’hypothèse où la partie requérante aurait eu accès aux documents en question au cours de cette procédure (voir arrêts Ciments, point 180 supra, point 383, et la jurisprudence citée, et Jungbunzlauer/Commission, point 181 supra, point 356).

208    S’il ne saurait à cet égard être exigé de l’entreprise une argumentation élaborée quant aux effets sur la décision adoptée d’une pièce qui, par hypothèse, ne lui a jamais été communiquée, dont elle ignore le contenu et dont elle ne connaît que le numéro et l’intitulé, il faut cependant que la pièce en cause soit identifiée et ait eu quelque chance, même réduite, d’aller dans le sens de la partie requérante et de lui être utile dans l’exercice de son droit d’être entendue (conclusions de l’avocat général M. Léger sous l’arrêt de la Cour du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, C‑310/93 P, Rec. p. I‑865, points 119 à 121). Ainsi, il n’appartient au Tribunal de se faire communiquer un document et de l’examiner qu’à la condition que l’entreprise ait identifié le document en cause et ait apporté un commencement de preuve de son utilité. En revanche, si l’entreprise ne se réfère que de manière très générale à des documents, en soutenant de manière purement spéculative qu’ils auraient pu lui être utiles, sans apporter aucune précision supplémentaire, il n’appartient pas au Tribunal de se faire communiquer de telles pièces.

209    En l’espèce, il ressort du dossier que la Commission a donné accès à la requérante à l’ensemble des documents saisis lors des inspections effectuées chez les fournisseurs de bitume de Belgique et d’Allemagne, à l’exception, d’une part, d’une série de documents qu’elle estimait n’avoir aucun lien objectif avec la procédure en cause, qui a été soumise au contrôle du conseiller-auditeur, et, d’autre part, d’informations fournies dans le cadre de demandes de clémence, relatives aux pratiques mises en œuvre dans ces pays, pour lesquelles elle a établi des listes descriptives rendues accessibles à la requérante le 21 avril 2005 (considérant 45 de la décision attaquée). Il convient également de relever que la requérante n’a formulé aucun commentaire à la suite de cet envoi, mais que, dans sa réponse à la communication des griefs, elle a indiqué que la Commission aurait dû lui accorder un accès total au dossier relatif à la Belgique afin de lui permettre d’apporter des preuves supplémentaires établissant que le comportement des fournisseurs s’inscrivait dans une entente transfrontalière et que ceux-ci auraient refusé de lui livrer du bitume en provenance de Belgique et d’Allemagne.

210    En premier lieu, force est de constater que, bien que la Commission ait fourni à la requérante une liste des documents auxquels elle ne lui avait pas donné accès, celle-ci n’a pas indiqué au Tribunal les documents particuliers de cette liste auxquels elle souhaitait avoir accès. Il convient également de relever que, dans son mémoire en réplique et lors de l’audience, la requérante n’a formulé aucun argument supplémentaire à l’appui de ce moyen.

211    En second lieu, il y a lieu de constater que la requérante s’est contentée de formuler, devant le Tribunal, une affirmation générale laissant entendre que les documents non divulgués seraient susceptibles de contenir des éléments à décharge dans la mesure où ils lui permettraient d’établir l’existence d’une entente internationale des fournisseurs sur le prix brut, les remises et le partage du marché du bitume et le fait que les fournisseurs auraient refusé de lui livrer du bitume en provenance de Belgique et d’Allemagne.

212    Or, cette seule affirmation n’est pas de nature à établir, conformément aux principes rappelés au point 208 ci-dessus, la possibilité que les documents non divulgués par la Commission puissent être utiles pour la défense de la requérante. En effet, le seul caractère potentiellement international de l’entente en cause, du côté des fournisseurs, n’est pas incompatible avec l’existence d’une entente bilatérale entre les fournisseurs et le W5 (voir points 62 et 63 ci-dessus). Par ailleurs, la requérante n’a apporté aucun commencement de preuve de l’utilité des documents en cause au soutien de son affirmation selon laquelle elle aurait essayé de s’approvisionner en bitume à l’étranger. À cet égard, il convient de rappeler que cette affirmation est peu crédible au regard des éléments figurant dans le dossier, qui permettent d’établir que le W5 s’inquiétait des différences de prix existant avec les pays voisins (voir point 65 ci-dessus).

213    Pour l’ensemble de ces raisons, et sans qu’il y ait lieu de recourir aux mesures d’organisation ou d’instruction complémentaires demandées par la requérante dès l’instant où le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier, le huitième moyen et l’argument de la requérante soulevé dans le cadre du premier moyen, tiré du refus d’accès aux dossiers relatifs à l’enquête menée dans d’autres pays (voir point 66 ci-dessus), doivent être rejetés.

 Sur le neuvième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

 Arguments des parties

214    La requérante soutient que la Commission n’a pas suffisamment motivé la décision attaquée eu égard, d’une part, à sa participation à une entente portant sur le prix brut et la remise maximale accordée aux petits constructeurs et, d’autre part, à l’existence d’une infraction unique à l’article 81 CE, qui serait très grave et aurait débuté le 15 avril 1994.

215    La Commission rejette les arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

216    La requérante se borne à soutenir de manière générale que la Commission a insuffisamment motivé la décision attaquée en ce qui concerne la définition de l’infraction, sa qualification et sa durée.

217    Comme rappelé au point 169 ci-dessus, la Commission n’est cependant pas tenue, dans la décision attaquée, de vérifier et de répondre à chaque allégation des parties présentée lors de la procédure administrative et il lui appartient uniquement, conformément aux dispositions de l’article 253 CE, d’exposer de façon claire et non équivoque son raisonnement, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle.

218    Eu égard aux conclusions ressortant de l’examen des quatre premiers moyens, il y a lieu de rejeter ce dernier moyen et, par conséquent, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

219    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Vermeer Infrastructuur BV est condamnée aux dépens.

Jaeger

Wahl

Soldevila Fragoso

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 septembre 2012.

Signatures

Table des matières


Faits à l’origine du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur le premier moyen, tiré d’erreurs de fait, en ce que la Commission a conclu que les fournisseurs et les grands constructeurs ont participé à une infraction unique

Sur la participation de la requérante à la fixation du prix brut

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur l’existence d’une entente préalable des fournisseurs

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur l’absence d’un intérêt commun aux fournisseurs et aux grands constructeurs

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de fait concernant la participation de la requérante à la fixation d’une remise maximale pour les petits constructeurs

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le troisième moyen, tiré d’erreurs de fait et de droit dans l’appréciation de la gravité de l’infraction

Sur la nature de l’infraction commise

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur l’impact de l’infraction sur le marché

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le quatrième moyen, tiré d’une erreur de fait dans l’appréciation de la durée de l’infraction

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation en ce que la Commission a renoncé à considérer que les fournisseurs avaient procédé à une répartition du marché et de la clientèle

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le sixième moyen, tiré de la violation des droits de la défense, en ce que la Commission n’a pas permis à la requérante de prendre connaissance des déclarations des autres destinataires de la communication des griefs

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

– Principes généraux relatifs à l’accès aux documents postérieurs à la communication des griefs

– Application en l’espèce

Sur le septième moyen, tiré de la violation des droits de la défense, en ce qu’il existe des divergences entre la décision attaquée et la communication des griefs

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le huitième moyen, tiré de la violation des formes substantielles, en ce que la Commission aurait refusé à la requérante l’accès aux dossiers dans des affaires similaires relatives à d’autres États membres

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le neuvième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : le néerlandais.