Language of document : ECLI:EU:C:2006:165

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

9 mars 2006 (*)

«Convention d’application de l’accord de Schengen – Articles 54 et 71 – Principe ne bis in idem – Application ratione temporis – Notion de ‘mêmes faits’ – Importation et exportation de stupéfiants faisant l’objet de poursuites dans différents États contractants»

Dans l’affaire C-436/04,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 35 UE, introduite par le Hof van Cassatie (Belgique), par décision du 5 octobre 2004, parvenue à la Cour le 13 octobre 2004, dans la procédure pénale contre

Leopold Henri Van Esbroeck,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, M. R. Schintgen (rapporteur), Mme R. Silva de Lapuerta, MM. G. Arestis et J. Klučka, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: Mme K. Sztranc, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 septembre 2005,

considérant les observations présentées:

–       pour M. Van Esbroeck, par Me T. Vrebos, advocaat,

–       pour le gouvernement tchèque, par M. T. Boček, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement néerlandais, par Mmes H. G. Sevenster et C. M. Wissels, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement polonais, par M. T. Nowakowski, en qualité d’agent,

–       pour le gouvernement slovaque, par M. R. Procházka, en qualité d’agent,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par MM. W. Bogensberger et R. Troosters, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 octobre 2005,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 54 et 71 de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19, ci-après la «CAAS»), signée le 19 juin 1990 à Schengen (Luxembourg).

2       Cette question a été soulevée dans le cadre d’une procédure pénale engagée en Belgique à l’encontre de M. Van Esbroeck pour trafic de stupéfiants.

 Le cadre juridique

 La convention d’application de l’accord de Schengen

3       Aux termes de l’article 1er du protocole intégrant l’acquis de Schengen dans le cadre de l’Union européenne, annexé au traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne par le traité d’Amsterdam (ci-après le «protocole»), treize États membres de l’Union européenne, dont le Royaume de Belgique, sont autorisés à instaurer entre eux une coopération renforcée dans le domaine relevant du champ d’application de l’acquis de Schengen, tel que défini à l’annexe dudit protocole.

4       Font partie de l’acquis de Schengen ainsi défini, notamment, l’accord entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signé à Schengen le 14 juin 1985 (JO 2000, L 239, p. 13, ci-après l’«accord de Schengen»), ainsi que la CAAS.

5       En vertu de l’article 2, paragraphe 1, premier alinéa, du protocole, à compter de la date d’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, l’acquis de Schengen s’applique immédiatement aux treize États membres visés à l’article 1er dudit protocole, soit à partir du 1er mai 1999.

6       En application de l’article 2, paragraphe 1, deuxième alinéa, seconde phrase, du protocole, le Conseil de l'Union européenne a adopté, le 20 mai 1999, la décision 1999/436/CE, déterminant, conformément aux dispositions pertinentes du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, la base juridique de chacune des dispositions ou décisions constituant l’acquis de Schengen (JO L 176, p. 17). Il résulte de l’article 2 de cette décision, en liaison avec l’annexe A de celle-ci, que le Conseil a désigné respectivement les articles 34 UE et 31 UE ainsi que les articles 34 UE, 30 UE et 31 UE, qui font partie du titre VI du traité sur l’Union européenne, intitulé «Dispositions relatives à la coopération policière et judiciaire en matière pénale», comme bases juridiques des articles 54 et 71 de la CAAS.

7       Aux termes de l’article 54 de la CAAS, qui fait partie du chapitre 3, intitulé «Application du principe ne bis in idem», du titre III de celle-ci, lui-même intitulé «Police et sécurité»:

«Une personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation.»

8       L’article 71 de la CAAS, qui fait partie du chapitre 6, intitulé «Stupéfiants», du même titre III, dispose:

«1.       Les Parties Contractantes s’engagent, en ce qui concerne la cession directe ou indirecte de stupéfiants et de substances psychotropes de quelque nature que ce soit, y compris le cannabis, ainsi que la détention de ces produits et substances aux fins de cession ou d’exportation, à prendre, en conformité avec les Conventions existantes des Nations unies [convention unique sur les stupéfiants de 1961 dans la version modifiée par le protocole de 1972 portant amendement de la convention unique sur les stupéfiants de 1961 et la convention des Nations unies du 20 décembre 1988 relative au trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes], toutes mesures nécessaires à la prévention et à la répression du trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes.

2.       Les Parties Contractantes s’engagent à prévenir et à réprimer par des mesures administratives et pénales l’exportation illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, y compris le cannabis, ainsi que la cession, la fourniture et la remise desdits produits et substances, sans préjudice des dispositions pertinentes des articles 74, 75 et 76.

3.       En vue de lutter contre l’importation illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, y compris le cannabis, les Parties Contractantes renforceront les contrôles de la circulation des personnes et des marchandises ainsi que des moyens de transport aux frontières extérieures. Ces mesures seront précisées par le groupe de travail prévu à l’article 70. Ce groupe de travail prendra notamment en considération le déplacement d’une partie du personnel de la police et des douanes libéré aux frontières intérieures ainsi que le recours à des méthodes modernes de détection de drogue et à des ‘chiens-drogue’.

4.       En vue d’assurer le respect des dispositions du présent article, les Parties Contractantes surveilleront spécifiquement les lieux notoirement utilisés pour le trafic de drogue.

5.       En ce qui concerne la lutte contre la demande illicite de stupéfiants et substances psychotropes de quelque nature que ce soit, y compris le cannabis, les Parties Contractantes feront tout ce qui est en leur pouvoir pour prévenir et lutter contre les effets négatifs de cette demande illicite. Les mesures prises à cette fin relèvent de la responsabilité de chaque Partie Contractante.»

 L’accord conclu par le Conseil de l’Union européenne, la République d’Islande et le Royaume de Norvège sur l’association de ces deux États à la mise en œuvre, à l’application et au développement de l’acquis de Schengen

9       Conformément à l’article 6, premier alinéa, du protocole, un accord a été conclu, le 18 mai 1999, par le Conseil de l’Union européenne, la République d’Islande et le Royaume de Norvège sur l’association de ces deux États à la mise en œuvre, à l’application et au développement de l’acquis de Schengen (JO L 176, p. 36, ci‑après l’«accord»).

10     L’article 1er, sous b), de la décision 2000/777/CE du Conseil, du 1er décembre 2000, relative à la mise en application de l’acquis de Schengen au Danemark, en Finlande et en Suède, ainsi qu’en Islande et en Norvège (JO L 309, p. 24), prévoit, conformément à l’article 15, paragraphe 4, de l’accord, que toutes les dispositions visées aux annexes A et B de celui-ci sont, à partir du 25 mars 2001, mises en application «pour l’Islande et la Norvège, dans leurs relations entre eux et avec la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, la Grèce, l’Espagne, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Autriche, le Portugal, la Finlande et la Suède». Les articles 54 et 71 de la CAAS font partie de ladite annexe A.

11     Il s’ensuit que les articles 54 et 71 de la CAAS s’appliquent depuis le 25 mars 2001 dans les relations entre le Royaume de Norvège et le Royaume de Belgique.

 Les conventions des Nations unies sur les stupéfiants et les substances psychotropes

12     Aux termes de l’article 36 de la convention unique sur les stupéfiants de 1961, telle que modifiée par le protocole de 1972 (ci-après la «convention unique»):

«Dispositions pénales

1.      a)     Sous réserve de ses dispositions constitutionnelles, chaque Partie adoptera les mesures nécessaires pour que la culture et la production, la fabrication, l’extraction, la préparation, la détention, l’offre, la mise en vente, la distribution, l’achat, la vente, la livraison, à quelque titre que ce soit, le courtage, l’envoi, l’expédition en transit, le transport, l’importation et l’exportation de stupéfiants non conformes aux dispositions de la présente Convention, ou tout autre acte qui, de l’avis de ladite Partie, serait contraire aux dispositions de la présente Convention, constituent des infractions punissables lorsqu’elles sont commises intentionnellement et pour que les infractions graves soient passibles d’un châtiment adéquat, notamment de peines de prison ou d’autres peines privatives de liberté.

b)       […]

2.       Sous réserve des dispositions constitutionnelles de chaque Partie, de son système juridique et de sa législation nationale,

a) i)  Chacune des infractions énumérées au paragraphe 1 sera considérée comme une infraction distincte, si elles sont commises dans des pays différents;

[…]»

13     L’article 22 de la convention de 1971 sur les substances psychotropes (ci-après la «convention de 1971») contient une disposition en substance identique à celle de l’article 36, paragraphe 2, sous a), i), de la convention unique.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14     M. Van Esbroeck, de nationalité belge, a été condamné par jugement du 2 octobre 2000 du tribunal de première instance de Bergen (Norvège) à une peine d’emprisonnement de cinq ans pour importation illicite en Norvège, le 1er juin 1999, de produits stupéfiants (amphétamines, haschisch, MDMA et diazépam). Après avoir purgé une partie de la peine qui lui avait été infligée, M. Van Esbroeck a été libéré conditionnellement le 8 février 2002 et ramené sous escorte en Belgique.

15     Le 27 novembre 2002, une procédure a été engagée dans ce dernier État contre M. Van Esbroeck, qui a abouti, le 19 mars 2003, à une condamnation par jugement du correctionele rechtbank te Antwerpen (Belgique) à une peine d’emprisonnement d’un an notamment pour exportation illicite, hors de Belgique, le 31 mai 1999, des produits susvisés. Ce jugement a été confirmé par arrêt du 9 janvier 2004 du hof van beroep te Antwerpen. Ces deux juridictions ont fait application de l’article 36, paragraphe 2, sous a), de la convention unique, en vertu duquel chacune des infractions visées à celle-ci, parmi lesquelles figurent l’importation et l’exportation de stupéfiants, sera considérée comme une infraction distincte si elles ont été commises dans des pays différents.

16     L’intéressé a formé contre cet arrêt un pourvoi en cassation en invoquant la violation du principe ne bis in idem, énoncé à l’article 54 de la CAAS.

17     C’est dans ces conditions que le Hof van Cassatie a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)       L’article 54 de la [CAAS] doit-il être interprété en ce sens qu’il peut être appliqué par une juridiction belge à l’égard d’une personne qui est poursuivie en Belgique après le 25 mars 2001 devant un tribunal correctionnel pour les mêmes faits que ceux pour lesquels il a été jugé et condamné par jugement d’un tribunal correctionnel norvégien le 2 octobre 2000 et lorsque la sanction ou la mesure a déjà été subie, alors que, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de [l’accord], l’article 54 de la [CAAS] notamment ne sera mis en œuvre et appliqué par la Norvège qu’à partir du 25 mars 2001?

Dans la mesure où la réponse à la première question est affirmative:

2)      L’article 54 de la [CAAS], lu en combinaison avec l’article 71 de cette même convention, doit-il par conséquent être interprété en ce sens que les faits punissables de détention destinée à l’exportation et à l’importation concernant ces mêmes stupéfiants et les substances psychotropes de toute nature, le cannabis inclus, et qui sont poursuivis dans différents États ayant signé la [CAAS] ou ayant mis en œuvre et appliqué l’acquis Schengen, doivent être considérés en tant qu’exportation ou importation comme ‘les mêmes faits’ au sens de l’article 54 précité?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

18     Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe ne bis in idem, consacré par l’article 54 de la CAAS, doit trouver à s’appliquer à une procédure pénale engagée dans un État contractant pour des faits qui ont déjà donné lieu à la condamnation de l’intéressé dans un autre État contractant, alors même que la CAAS n’était pas encore en vigueur dans ce dernier État au moment du prononcé de ladite condamnation.

19     À cet égard, il convient, en premier lieu, de rappeler que l’acquis de Schengen s’applique en Belgique depuis le 1er mai 1999 et en Norvège depuis le 25 mars 2001. L’infraction reprochée à M. Van Esbroeck a été commise les 31 mai et 1er juin 1999. Par ailleurs, l’intéressé a été condamné en Norvège le 2 octobre 2000 pour l’importation illégale de substances prohibées et, en Belgique, le 19 mars 2003, pour l’exportation illicite des mêmes produits.

20     En deuxième lieu, il convient de constater que l’acquis de Schengen ne comporte aucune disposition spécifique concernant l’entrée en vigueur de l’article 54 de la CAAS ou ses effets dans le temps.

21     En troisième lieu, il importe de rappeler que, ainsi que la Commission des Communautés européennes le relève à juste titre, le problème de l’application du principe ne bis in idem ne se pose qu’au moment où une seconde procédure pénale est engagée contre le même individu dans un autre État contractant.

22     Dès lors que c’est dans le cadre de cette dernière procédure qu’il incombe à l’instance compétente d’apprécier si toutes les conditions d’application dudit principe sont réunies, il est exigé aux fins de l’application de l’article 54 de la CAAS par l’instance saisie en second lieu que la CAAS soit en vigueur à cette date dans le deuxième État contractant concerné.

23     Par conséquent, la circonstance que la CAAS ne liait pas encore le premier État contractant au moment où l’intéressé y a été définitivement jugé, au sens dudit article 54, est dépourvue de pertinence.

24     Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question que le principe ne bis in idem, consacré par l’article 54 de la CAAS, doit trouver à s’appliquer à une procédure pénale engagée dans un État contractant pour des faits qui ont déjà donné lieu à la condamnation de l’intéressé dans un autre État contractant, alors même que la CAAS n’était pas encore en vigueur dans ce dernier État au moment du prononcé de ladite condamnation, pour autant qu’elle était en vigueur dans les États contractants en cause au moment de l’appréciation des conditions d’application du principe ne bis in idem par l’instance saisie d’une seconde procédure.

 Sur la seconde question

25     Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, quel est le critère pertinent aux fins de l’application de la notion de «mêmes faits» au sens de l’article 54 de la CAAS et, plus particulièrement, si des comportements illicites consistant dans l’exportation du territoire d’un État contractant et dans l’importation dans un autre État contractant des mêmes stupéfiants, qui ont donné lieu à des poursuites pénales dans les deux États concernés, relèvent de ladite notion.

26     À cet égard, le gouvernement tchèque a soutenu que l’identité des faits présuppose l’identité de leur qualification juridique ainsi que celle des intérêts juridiques protégés.

27     Toutefois, d’une part, il ressort du libellé de l’article 54 de la CAAS, qui utilise les termes «les mêmes faits», que cette disposition vise la seule matérialité des faits en cause, à l’exclusion de leur qualification juridique.

28     Force est également de constater que les termes employés audit article se distinguent de ceux figurant dans d’autres instruments internationaux qui consacrent le principe ne bis in idem. En effet, contrairement à l’article 54 de la CAAS, l’article 14, paragraphe 7, du pacte international relatif aux droits civils et politiques de même que l’article 4 du protocole 7 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales utilisent la notion d’«infraction», ce qui implique la pertinence du critère de la qualification juridique des faits comme condition d’application du principe ne bis in idem consacré par ces derniers instruments.

29     D’autre part, il importe de rappeler, ainsi que la Cour l’a constaté au point 32 de l’arrêt Gözütok et Brügge, du 11 février 2003 (C‑187/01 et C‑385/01, Rec. p. I‑1345), qu’aucune disposition du titre VI du traité sur l’Union européenne, relatif à la coopération policière et judiciaire en matière pénale, dont les articles 34 et 31 ont été désignés comme constituant les bases juridiques des articles 54 à 58 de la CAAS, ni de l’accord de Schengen ou de la CAAS elle-même ne subordonne l’application de l’article 54 de la CAAS à l’harmonisation ou, à tout le moins, au rapprochement des législations pénales des États membres.

30     Le principe ne bis in idem, consacré à ce dernier article, implique nécessairement qu’il existe une confiance mutuelle des États contractants dans leurs systèmes respectifs de justice pénale et que chacun desdits États accepte l’application du droit pénal en vigueur dans les autres États contractants, quand bien même la mise en œuvre de son propre droit national conduirait à une solution différente (arrêt Gözütok et Brügge, précité, point 33).

31     Il en découle que l’éventualité de qualifications juridiques divergentes des mêmes faits dans deux États contractants différents ne saurait faire obstacle à l’application de l’article 54 de la CAAS.

32     Pour les mêmes motifs, le critère de l’identité de l’intérêt juridique protégé ne saurait être retenu, celui-ci étant susceptible de varier d’un État contractant à l’autre.

33     Ces constatations sont encore confortées par l’objectif de l’article 54 qui vise à éviter qu’une personne, par le fait d’exercer son droit de libre circulation, ne soit poursuivie pour les mêmes faits sur le territoire de plusieurs États contractants (arrêts Gözütok et Brügge, précité, point 38, ainsi que du 10 mars 2005, Miraglia, C-469/03, Rec. p. I-2009, point 32).

34     Ainsi que le relève M. l’avocat général au point 45 de ses conclusions, ce droit à la libre circulation n’est utilement garanti que si l’auteur d’un acte sait que, une fois condamné et sa peine purgée, ou, le cas échéant, après avoir été définitivement acquitté dans un État membre, il peut se déplacer à l’intérieur de l’espace Schengen sans avoir à craindre des poursuites dans un autre État membre au motif que cet acte constitue une infraction distincte dans l’ordre juridique de ce dernier État membre.

35     Or, en raison de l’absence d’harmonisation des législations pénales nationales, un critère fondé sur la qualification juridique des faits ou sur l’intérêt juridique protégé serait de nature à créer autant d’obstacles à la liberté de circulation dans l’espace Schengen qu’il existe de systèmes pénaux dans les États contractants.

36     Dans ces conditions, le seul critère pertinent aux fins de l’application de l’article 54 de la CAAS est celui de l’identité des faits matériels, compris comme l’existence d’un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles.

37     S’agissant plus particulièrement d’une situation telle que celle en cause au principal, il y a lieu de constater qu’elle est susceptible de constituer, en principe, un ensemble de faits qui, par leur nature même, sont indissociablement liés.

38     Cependant, l’appréciation définitive à cet égard appartient, ainsi que le relève à juste titre le gouvernement néerlandais, aux instances nationales compétentes qui doivent déterminer si les faits matériels en question constituent un ensemble de faits indissociablement liés dans le temps, dans l’espace ainsi que par leur objet.

39     Contrairement à ce que prétend le gouvernement slovaque, cette interprétation n’est pas remise en cause par l’article 71 de la CAAS qui prévoit l’adoption, par les États contractants, de toutes les mesures nécessaires à la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants.

40     Ainsi que le gouvernement néerlandais l’a soutenu à juste titre, la CAAS ne prévoit pas d’ordre de priorité entre les différentes dispositions, et, par ailleurs, l’article 71 de ladite convention ne contient aucun élément tendant à limiter le champ d’application dudit article 54 qui consacre, dans l’espace Schengen, le principe ne bis idem, reconnu comme principe fondamental du droit communautaire par la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I-8375, point 59).

41     Il en résulte que la référence faite à l’article 71 de la CAAS aux conventions existantes des Nations unies ne saurait être comprise comme faisant obstacle à l’application du principe ne bis in idem énoncé à l’article 54 de la CAAS qui empêche uniquement la pluralité des poursuites d’une personne pour les mêmes faits sans pour autant entraîner une dépénalisation dans l’espace Schengen.

42     Au vu de ces considérations, il y a donc lieu de répondre à la seconde question que l’article 54 de la CAAS doit être interprété en ce sens que:

–       le critère pertinent aux fins de l’application dudit article de la CAAS est constitué par celui de l’identité des faits matériels, compris comme l’existence d’un ensemble de faits indissociablement liés entre eux, indépendamment de la qualification juridique de ces faits ou de l’intérêt juridique protégé;

–       les faits punissables consistant en l’exportation et en l’importation des mêmes stupéfiants et poursuivis dans différents États contractants à la CAAS sont, en principe, à considérer comme «les mêmes faits» au sens de cet article 54, l’appréciation définitive à cet égard appartenant aux instances nationales compétentes.

 Sur les dépens

43     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      Le principe ne bis in idem, consacré par l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée le 19 juin 1990 à Schengen, doit trouver à s’appliquer à une procédure pénale engagée dans un État contractant pour des faits qui ont déjà donné lieu à la condamnation de l’intéressé dans un autre État contractant, alors même que ladite convention n’était pas encore en vigueur dans ce dernier État au moment du prononcé de ladite condamnation, pour autant qu’elle était en vigueur dans les États contractants en cause au moment de l’appréciation des conditions d’application du principe ne bis in idem par l’instance saisie d’une seconde procédure.

2)      L’article 54 de la même convention doit être interprété en ce sens que:

–       le critère pertinent aux fins de l’application dudit article est constitué par celui de l’identité des faits matériels, compris comme l’existence d’un ensemble de faits indissociablement liés entre eux, indépendamment de la qualification juridique de ces faits ou de l’intérêt juridique protégé;

–       les faits punissables consistant en l’exportation et en l’importation des mêmes stupéfiants et poursuivis dans différents États contractants à cette convention sont, en principe, à considérer comme «les mêmes faits» au sens de cet article 54, l’appréciation définitive à cet égard appartenant aux instances nationales compétentes.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.