Language of document : ECLI:EU:C:2010:96

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Yves Bot

présentées le 25 février 2010 (1)

Affaire C‑66/09

Kirin Amgen, Inc.

contre

Lietuvos Respublikos valstybinis patentų biuras

[demande de décision préjudicielle formée par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Lituanie)]

«Règlement (CEE) n° 1768/92 – Médicaments – Certificat complémentaire de protection – Acte d’adhésion à l’Union européenne de la République de Lituanie –Mesures transitoires en faveur de la République de Lituanie visant exclusivement les médicaments ayant obtenu, dans cet État, une autorisation nationale de mise sur le marché – Dérogation au délai de forclusion visé à l’article 7 du règlement n° 1768/92 – Défaut de mesures transitoires concernant les médicaments ayant obtenu une autorisation communautaire de mise sur le marché délivrée par la Commission conformément au règlement (CEE) n° 2309/93»





1.        Une entreprise pharmaceutique qui est titulaire d’un brevet sur un médicament et qui est, en outre, autorisée à mettre celui-ci sur le marché peut bénéficier d’une prolongation de la durée de ses droits exclusifs grâce à l’octroi d’un «certificat complémentaire de protection» dont la délivrance, dans chacun des États membres, est réglementée par le règlement (CEE) n° 1768/92 (2).

2.        Dans le cadre de l’entrée en vigueur du règlement en Lituanie, le législateur communautaire a adopté une disposition transitoire par laquelle le bénéfice de cette protection complémentaire est réservé, dans cet État, aux médicaments qui ont obtenu une autorisation nationale de mise sur le marché avant l’adhésion dudit État à l’Union européenne.

3.        C’est en application de cette disposition que les autorités compétentes lituaniennes ont refusé d’octroyer à Kirin Amgen Inc. (3), une entreprise pharmaceutique, un certificat complémentaire de protection pour le médicament Aranesp. Bien que ce médicament ait fait l’objet d’une autorisation communautaire de mise sur le marché délivrée en 2001 par la Commission européenne, conformément au règlement (CEE) n° 2309/93 (4), ces autorités ont considéré que la requérante au principal ne possédait pas l’autorisation nationale de mise sur le marché requise en Lituanie pour se prévaloir du bénéfice d’une protection complémentaire.

4.        Le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême) (Lituanie) invite donc la Cour à interpréter ladite disposition afin de déterminer le régime juridique qui doit être appliqué très concrètement à ce type de situation, dans laquelle le titulaire du brevet de base ne possède pas, en Lituanie, d’autorisation nationale de mise sur le marché, mais a obtenu, avant l’adhésion de cet État à l’Union, une autorisation communautaire de mise sur le marché délivrée par la Commission.

5.        Dans le cadre des présentes conclusions, nous proposons à la Cour non pas d’interpréter largement la disposition en cause comme l’on pourrait y être spontanément enclin, l’objectif visé par le législateur étant d’assurer une protection équivalente des médicaments dans l’ensemble de l’Union, mais au contraire de retenir une interprétation stricte, au demeurant conforme à la jurisprudence dégagée par la Cour relative aux dérogations prévues par les actes d’adhésion.

6.        C’est pourquoi, après avoir précisé le cadre dans lequel l’entrée en vigueur du règlement s’est opérée en Lituanie, nous proposerons à la Cour de dire pour droit que le régime transitoire et dérogatoire fixé à l’article 19 bis, sous e), du règlement ne permet pas au titulaire d’un brevet de base, tel que la requérante au principal, de demander la délivrance en Lituanie d’un certificat complémentaire de protection.

I –    Le cadre juridique communautaire

A –    Le traité d’adhésion et l’acte d’adhésion

7.        Le traité relatif à l’adhésion à l’Union de dix nouveaux États membres (5), parmi lesquels la République de Lituanie, a été signé à Athènes le 16 avril 2003 (6). Celui-ci est entré en vigueur le 1er mai 2004 (7). En vertu de l’article 1er, paragraphe 2, de ce traité, les conditions de l’admission et les adaptations des traités que celle-ci a entraînées figurent dans l’acte d’adhésion annexé à ce traité.

8.        L’article 2 de cet acte prévoit que, «[d]ès l’adhésion, les dispositions des traités originaires et les actes pris, avant l’adhésion, par les institutions et la Banque centrale européenne lient les nouveaux États membres et sont applicables dans ces États dans les conditions prévues par ces traités et par le présent acte».

9.        Cependant, conformément à l’article 10 dudit acte, l’application de ces dispositions peut faire l’objet, à titre transitoire, de dispositions dérogatoires prévues par l’acte d’adhésion.

10.      C’est ainsi que l’annexe II de cet acte introduit un nouvel article 19 bis dans le règlement en faveur des nouveaux États membres (8). Cette disposition prévoit les conditions dans lesquelles les produits protégés par un brevet de base et qui ont été autorisés, avant le 1er mai 2004, à être mis sur le marché dans les nouveaux États membres peuvent bénéficier, dans lesdits États, d’un certificat complémentaire de protection.

11.      Les exigences requises pour le dépôt d’une demande de certificat complémentaire de protection en Lituanie sont fixées à l’article 19 bis, sous e), du règlement. Cette disposition est rédigée dans les termes suivants:

«tout médicament qui est protégé par un brevet de base en vigueur demandé après le 1er février 1994 et pour lequel, en tant que médicament, une première autorisation de mise sur le marché a été obtenue en Lituanie avant la date d’adhésion peut donner lieu à délivrance d’un certificat, à condition que la demande de certificat ait été déposée dans les six mois suivant la date d’adhésion».

B –    L’autorisation de mise sur le marché des médicaments à usage humain

12.      Un médicament ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans une autorisation de mise sur le marché, dont le but premier est de préserver la santé publique.

13.      La législation actuelle est composée de deux corps de règles.

14.      Le premier est celui des directives 65/65/CEE (9) et 2001/83/CE (10), qui comprend les dispositions propres aux autorisations nationales de mise sur le marché et à leur reconnaissance mutuelle par les autres États membres. En application de cette procédure nationale ou décentralisée, un laboratoire pharmaceutique dépose un dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché auprès de l’autorité nationale compétente qui examinera ce dossier au regard des exigences harmonisées fixées par lesdites directives. S’il le souhaite, ce laboratoire pourra engager, ensuite, la procédure de reconnaissance de cette autorisation par les autres États membres.

15.      Le second corps de règles est celui du règlement n° 2309/93, qui établit une procédure centralisée d’autorisation de mise sur le marché au niveau communautaire, produisant des effets juridiques uniformes sur l’ensemble du territoire de l’Union. Cette procédure est obligatoire lorsque le médicament concerné est issu de la biotechnologie (11), ce qui est le cas de l’Aranesp.

16.      Conformément à l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 2309/93, une autorisation de mise sur le marché délivrée selon la procédure centralisée est valide pour toute la Communauté et «confère, dans chaque État membre, les mêmes droits et les mêmes obligations qu’une autorisation de mise sur le marché délivrée par cet État membre conformément à l’article 3 de la directive 65/65».

17.      En outre, aux termes de l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2309/93, les notifications des autorisations de mise sur le marché sont publiées au Journal officiel des Communautés européennes avec notamment l’indication de la date d’autorisation.

18.      Enfin, aux termes de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 2309/93, cette autorisation est valable pour une durée de cinq ans et peut être renouvelée par périodes de cinq ans après un examen par l’agence européenne d’un dossier reprenant l’état des données de la pharmacovigilance.

C –    Le certificat complémentaire de protection

19.      Le règlement institue un certificat complémentaire de protection, accessoire à un brevet national ou européen précédemment accordé, en vue de prolonger la durée des droits que ce dernier confère à son titulaire (12). En vertu de ce brevet, celui-ci dispose du droit exclusif de fabriquer et de mettre dans le commerce le produit breveté ainsi que du droit de s’opposer à toute contrefaçon (13).

20.      Le règlement est entré en vigueur le 2 janvier 1993.

21.      Il a pour objectif de contribuer à l’amélioration continue de la santé publique en encourageant la recherche et l’innovation dans le domaine pharmaceutique par l’octroi d’une protection juridique complémentaire en faveur des médicaments issus d’une recherche longue et coûteuse (premier et deuxième considérants du règlement).

22.      En effet, les activités de recherche pharmaceutique requièrent des investissements considérables ne pouvant être amortis que si l’entreprise qui les exerce obtient un monopole sur l’exploitation de ses résultats pour une durée suffisante. Or, afin d’assurer la sauvegarde de la santé publique, la mise sur le marché d’une spécialité pharmaceutique est subordonnée à la délivrance d’une autorisation, au terme d’une procédure longue et complexe, de sorte que la période qui s’écoule entre le dépôt de la demande de brevet et l’octroi de l’autorisation de mise sur le marché du produit réduit de façon notable la durée de l’exploitation exclusive, décourage les investisseurs et pénalise la recherche pharmaceutique (14) (troisième et quatrième considérants du règlement). Une telle situation fait craindre une fuite des centres de recherche situés dans les États membres vers des États offrant une meilleure protection, tels que les États-Unis d’Amérique ou le Japon (cinquième considérant du règlement).

23.      Pour écarter le risque d’une évolution hétérogène des législations nationales, susceptible d’entraver la libre circulation des médicaments dans le marché intérieur, le règlement institue donc un certificat qui peut être obtenu selon les mêmes conditions dans tous les États membres par le titulaire d’un brevet national ou européen (sixième et septième considérants du règlement).

24.      En outre, afin d’accorder aux médicaments une protection effective suffisante et équivalente à celle dont bénéficient d’autres secteurs technologiques, le règlement fixe à quinze ans la durée des droits exclusifs dont le titulaire, à la fois d’un brevet et d’un certificat, doit pouvoir bénéficier à partir de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté (huitième considérant du règlement).

25.      Le champ d’application du règlement est défini à son article 2 comme s’étendant aux produits protégés par un brevet et qui sont soumis, en tant que médicaments, préalablement à leur mise sur le marché, à une procédure d’autorisation administrative en vertu de la directive 65/65 (remplacée par la directive 2001/83).

26.      L’article 3 du règlement énonce les conditions d’obtention du certificat, à savoir que le produit soit protégé par un brevet de base en vigueur dans l’État membre où la demande est présentée, qu’il ait obtenu une autorisation de mise sur le marché en cours de validité, que le produit n’ait pas déjà fait l’objet d’un certificat et, enfin, que l’autorisation susmentionnée soit la première autorisation de mise sur le marché du produit, en tant que médicament.

27.      Aux termes de l’article 5 du règlement, «le certificat confère les mêmes droits que ceux qui sont conférés par le brevet de base et est soumis aux mêmes limitations et aux mêmes obligations».

28.      Conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement, la demande de certificat doit être déposée dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle le produit, en tant que médicament, a obtenu l’autorisation de mise sur le marché mentionnée à l’article 3, sous b), du règlement.

29.      En vertu de l’article 13 du règlement, le certificat produit effet à l’expiration du brevet de base pour une durée égale à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande de brevet et celle de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté, réduite d’une période de cinq ans. Toutefois, la durée du certificat ne peut excéder cinq ans à compter de la date à laquelle il produit effet.

30.      Enfin, les articles 19 et 19 bis du règlement prévoient des mesures transitoires en ce qui concerne la délivrance des certificats complémentaires de protection dans les États membres issus des trois dernières adhésions.

31.      En ce qui concerne la République de Lituanie, les dispositions transitoires sont fixées à l’article 19 bis, sous e), du règlement dans les termes que nous avons précédemment cités.

II – Les faits et la procédure au principal

32.      La requérante au principal est titulaire d’un brevet européen dont la demande a été introduite le 16 août 1994 conformément à la convention sur le brevet européen. Celui-ci a été délivré en 1997 et protège le médicament Aranesp.

33.      Conformément à l’accord portant application de l’article 3(3) de l’accord de coopération dans le domaine des brevets entre le gouvernement de la République de Lituanie et l’Organisation européenne des brevets (15), les effets de ce brevet européen ont tout d’abord été étendus à la République de Lituanie sur requête du demandeur. Conformément à l’article 1er de l’annexe de cet accord, intitulé «Dispositions régissant l’extension à la Lituanie de la validité des brevets européens», un brevet européen qui s’étend à la République de Lituanie produit les mêmes effets et est soumis aux mêmes conditions qu’un brevet national délivré en vertu de la loi lituanienne sur les brevets.

34.      La République de Lituanie a ensuite adhéré à la convention sur le brevet européen le 1er décembre 2004 (16).

35.      Dans la mesure où l’Aranesp est un médicament issu de la technologie de l’ADN recombinant, la demande d’autorisation de mise sur le marché a été introduite conformément à la procédure centralisée prévue par le règlement n° 2309/93. Celle-ci a été délivrée le 8 juin 2001.

36.      À la suite de l’adhésion de la République de Lituanie à l’Union le 1er mai 2004, la requérante au principal a introduit, le 29 octobre 2004, une demande de certificat complémentaire de protection auprès du Lietuvos Respublikos valstybinis patentų biuras (Office national des brevets de la République de Lituanie).

37.      Celui-ci a rejeté cette demande, le 28 septembre 2005, au motif que la requérante au principal ne possédait pas l’autorisation requise de mise sur le marché en Lituanie. Cette dernière a alors introduit un recours contre cette décision, lequel a été rejeté par la chambre de recours du Lietuvos Respublikos valstybinis patentų biuras. Celle-ci a considéré que la requérante au principal n’avait pas, en tout état de cause, introduit sa demande de certificat complémentaire de protection dans le délai de six mois prévu à l’article 7 du règlement.

38.      La requérante au principal a ensuite introduit d’autres recours, tout d’abord devant le Vilniaus Apygardos teismas (tribunal régional de Vilnius), puis devant le Lietuvos Apeliacinis teismas (cour d’appel). Ces derniers ont été rejetés pour des motifs en substance analogues à ceux invoqués par la chambre de recours du Lietuvos Respublikos valstybinis patentų biuras. La requérante au principal a alors saisi le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas.

III – Le renvoi préjudiciel

39.      Le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La ‘date d’entrée en vigueur du présent règlement’ visée à l’article 19, paragraphe 2, du règlement […] est-elle à comprendre à l’égard de la République de Lituanie comme étant la date de son adhésion à l’Union européenne?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, de quelle nature est le rapport entre les articles 19 et 7 du règlement […] aux fins du calcul du délai de six mois et lequel de ces articles convient-il d’appliquer en l’occurrence?

3)      L’autorisation de mise sur le marché dans la Communauté est-elle entrée en vigueur de façon inconditionnelle en République de Lituanie le jour de son adhésion à l’Union européenne?

4)      En cas de réponse affirmative à la troisième question, l’entrée en vigueur de l’autorisation de mise sur le marché est-elle à assimiler à son obtention au sens de l’article 3, sous b), du règlement […]?»

40.      Des observations écrites et orales ont été fournies par la requérante au principal, par les gouvernements lituanien, tchèque, letton et hongrois, ainsi que par la Commission.

IV – Analyse

A –    L’enjeu du litige

41.      L’enjeu du litige concerne la durée des droits exclusifs dont la requérante au principal est en droit de bénéficier en Lituanie au titre du brevet de base qu’elle détient pour le médicament Aranesp.

42.      Ainsi que nous l’avons indiqué, la requérante au principal est titulaire d’un brevet européen sur un médicament dont la demande a été introduite devant l’Office européen des brevets le 16 août 1994. Celle-ci a ensuite obtenu, de la part de la Commission, sa première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté le 8 juin 2001. C’est sur la base de cette première autorisation que la requérante au principal a introduit en Lituanie, le 29 octobre 2004, sa demande de certificat complémentaire de protection. Les autorités lituaniennes ont refusé le bénéfice d’une telle protection complémentaire au motif, premièrement, qu’elle n’avait pas introduit sa demande dans le délai de six mois fixé à l’article 7 du règlement et, deuxièmement, qu’elle ne possédait pas l’autorisation nationale de mise sur le marché requise par les dispositions transitoires prévues par l’acte d’adhésion.

43.      La requérante au principal se trouve donc dans la situation suivante:

–        Dans les États membres dans lesquels elle a pu déposer une demande de certificat complémentaire de protection dans le délai fixé à l’article 7 du règlement (17) et l’a obtenu, la requérante au principal bénéficiera d’une protection de ses droits jusqu’au mois d’août 2016 (18).

–        En revanche, en l’absence de certificat complémentaire de protection en Lituanie, la requérante au principal perdra les droits exclusifs de fabrication et de commercialisation attachés à son brevet à l’expiration de celui-ci, c’est-à-dire au mois d’août 2014. À cette date, elle ne pourra donc plus s’opposer à la mise sur le marché en Lituanie d’une version générique de l’Aranesp (19).

44.      Une telle situation aboutit donc à une protection différenciée du médicament dans la Communauté, situation dont la Cour a déjà évoqué les risques dans ses arrêts Espagne/Conseil, précité (20), et AHP Manufacturing (21).

45.      En vertu de cette jurisprudence, une telle différenciation, pour un médicament identique, «donnerait lieu à une fragmentation du marché caractérisée par des marchés nationaux où le médicament serait encore protégé et des marchés où cette protection n’existerait plus». Selon le juge communautaire, une telle différenciation entraînerait pour le médicament concerné des conditions de commercialisation elles-mêmes différentes selon les États membres, ce qui serait susceptible d’entraver la libre circulation des médicaments au sein de la Communauté et ainsi d’affecter directement l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur (22).

46.      La présente affaire confronte donc ladite jurisprudence au cas particulier dans lequel un médicament ne peut pas bénéficier a priori d’une protection complémentaire dans un nouvel État membre, compte tenu des dispositions transitoires expressément adoptées dans le cadre des négociations d’adhésion à l’Union.

47.      Par son renvoi préjudiciel, la juridiction lituanienne invite la Cour à interpréter les dispositions transitoires adoptées en faveur de la République de Lituanie et cherche ainsi à déterminer le régime juridique qu’il convient d’appliquer à une situation telle que celle en cause au principal.

B –    Sur les première et deuxième questions préjudicielles

1.      Observations liminaires sur la portée des première et deuxième questions préjudicielles

48.      Par ses deux premières questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, lequel de l’article 7 ou de l’article 19 du règlement est applicable au cas d’espèce et s’interroge sur le rapport existant entre chacune de ces deux dispositions.

49.      Dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (23).

50.      En outre, la Cour a pour mission d’interpréter toutes les dispositions du droit de l’Union dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis, même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément dans les questions qui lui sont adressées par ces juridictions (24).

51.      Il ressort de la décision de renvoi que ces deux premières questions préjudicielles se fondent sur la prémisse que le régime juridique applicable en Lituanie aux demandes de certificat complémentaire de protection est déterminé aux articles 7 et 19 du règlement. Or, une telle prémisse est, à notre avis, erronée.

52.      En effet, l’article 7 du règlement fixe le délai de principe applicable à toutes les demandes de certificat complémentaire de protection, sans égard aux dispositions transitoires qui ont expressément été adoptées en vue de l’adhésion des nouveaux États membres à l’Union. Quant à l’article 19 du règlement, il prévoit le régime transitoire qui était applicable aux États membres de l’Union le 1er janvier 1993 ainsi qu’aux États issus de l’élargissement du 1er janvier 1995, à savoir la République d’Autriche, la République de Finlande et le Royaume de Suède (25).

53.      Or, pour déterminer le régime juridique applicable à une situation telle que celle en cause au principal, il est nécessaire de se référer à l’article 19 bis, sous e), du règlement, qui seul fixe le régime transitoire et dérogatoire adopté en faveur de la République de Lituanie à l’occasion des négociations d’adhésion à l’Union.

54.      Dans ces conditions, nous pensons qu’il n’est pas nécessaire, aux fins de la résolution du litige au principal, de répondre à la première question préjudicielle qui vise l’interprétation de l’article 19, paragraphe 2, du règlement.

55.      En outre, afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, nous proposons à la Cour de reformuler la deuxième question et de considérer que, par celle-ci, ladite juridiction vise à savoir si l’article 19 bis, sous e), du règlement doit être interprété en ce sens qu’il permet au titulaire d’un brevet de base sur un médicament de demander auprès des autorités compétentes lituaniennes la délivrance d’un certificat complémentaire de protection lorsque, avant l’adhésion de la République de Lituanie à l’Union, ce médicament a obtenu une autorisation communautaire de mise sur le marché délivrée par la Commission conformément au règlement n° 2309/93, mais n’a pas obtenu d’autorisation nationale de mise sur le marché.

2.      Sur l’interprétation de l’article 19 bis, sous e), du règlement

56.      L’article 19 bis, sous e), du règlement précise les trois conditions requises aux fins de l’obtention d’un certificat complémentaire de protection en Lituanie, à savoir que le médicament doit être protégé par un brevet de base en vigueur demandé après le 1er février 1994, qu’il doit avoir fait l’objet d’une première autorisation de mise sur le marché délivrée par les autorités compétentes lituaniennes avant l’adhésion de la République de Lituanie à l’Union et que la demande de certificat doit avoir été introduite dans les six mois suivant cette adhésion.

57.      Aux fins de notre analyse, il convient d’appliquer les règles d’interprétation que la Cour a énoncées en ce qui concerne les dérogations prévues par les actes d’adhésion. Ainsi que nous l’avons vu, en vertu d’une jurisprudence constante, les dérogations doivent être limitées au strict nécessaire et doivent être prévues expressément (26). Elles doivent, en outre, être interprétées de manière stricte, au regard de l’économie du système dans lequel elles s’insèrent et doivent, enfin, être interprétées en vue d’une réalisation plus facile des objectifs du traité et d’une application intégrale de ses règles (27).

58.      Nous rappelons que, conformément à l’article 2 de l’acte d’adhésion, celui-ci est fondé sur le principe de l’application immédiate et intégrale des dispositions du droit de l’Union aux nouveaux États membres. En outre, en vertu de l’article 10 du même acte, les dérogations ne sont admises que dans la mesure où elles sont prévues expressément par les dispositions transitoires (28).

59.      Par conséquent, sous réserve de l’application de l’article 19 bis du règlement, les dispositions de ce règlement sont pleinement applicables aux nouveaux États membres dès leur adhésion à l’Union.

60.      Il en résulte que, si l’article 19 bis du règlement n’autorisait pas, à titre dérogatoire, la délivrance d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments qui ont obtenu une première autorisation de mise sur le marché dans les nouveaux États membres, avant leur adhésion, aucun certificat complémentaire de protection ne pourrait être délivré pour ceux des médicaments qui ont obtenu, plus de six mois avant l’adhésion, une autorisation de mise sur le marché, et ce conformément à l’article 7 du règlement.

61.      En effet, en vertu de cette dernière disposition, la demande de certificat complémentaire de protection doit être déposée dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle le médicament a obtenu une première autorisation de mise sur le marché délivrée par un État membre en vertu de la directive 65/65. Cela est également le cas lorsque l’autorisation est octroyée par la Commission, conformément au règlement n° 2309/93 (29).

62.      L’article 19 bis, sous e), du règlement introduit une double dérogation à l’article 7 de celui-ci.

63.      D’une part, il permet le dépôt d’une demande de certificat complémentaire de protection pour un médicament qui, préalablement à sa mise sur le marché, n’a pas fait l’objet d’une procédure d’autorisation administrative conforme à la directive 65/65. En effet, l’article 19 bis, sous e), du règlement vise expressément le cas des médicaments qui ont fait l’objet d’une procédure purement nationale d’autorisation de mise sur le marché (30).

64.      D’autre part, cette disposition introduit une dérogation au délai de forclusion visé à l’article 7 du règlement, puisqu’une demande de certificat complémentaire de protection fondée sur l’obtention d’une autorisation purement nationale de mise sur le marché pourra être déposée dans un délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur du règlement dans le nouvel État membre. En l’absence d’une telle mesure transitoire, le titulaire du brevet de base ne pourrait pas introduire une demande de certificat sur le fondement de l’article 7 du règlement, le délai de six mois prévu à cet article ayant expiré avant même l’entrée en vigueur du règlement dans cet État.

65.      Il résulte clairement de l’interprétation littérale de cette disposition que celle-ci a uniquement vocation à s’appliquer aux produits qui, en tant que médicaments, ont déjà obtenu une première autorisation de mise sur le marché dans l’État membre de la demande de certificat, à savoir la République de Lituanie, au moment de l’entrée en vigueur du règlement. Ladite disposition ne prévoit aucune dérogation concernant les produits ayant fait l’objet d’une autorisation communautaire de mise sur le marché délivrée par la Commission, conformément au règlement n° 2309/93, et ni ce dernier ni le règlement ne font référence, de manière explicite ou implicite, à ce cas de figure.

66.      Dès lors, conformément aux règles d’interprétation que la Cour a déjà énoncées et compte tenu de la clarté du libellé de l’article 19 bis, sous e), du règlement, il nous semble difficile d’étendre le champ d’application de cette disposition à un produit tel que celui en cause au principal dont la mise sur le marché a été autorisée par la Commission, mais ne l’a pas été par les autorités nationales compétentes.

67.      Cette interprétation de l’article 19 bis, sous e), du règlement nous semble conforme à l’économie du système dans lequel il s’insère ainsi qu’aux objectifs poursuivis par le législateur communautaire.

68.      L’article 19 bis du règlement prévoit, comme l’article 19 de celui-ci, un régime dérogatoire qui permet aux produits ayant déjà obtenu une première autorisation de mise sur le marché dans les nouveaux États membres, avant leur adhésion, de bénéficier d’un certificat complémentaire de protection. Selon les États membres concernés, la nature de l’autorisation de mise sur le marché requise à cet effet ainsi que la date à laquelle celle-ci doit avoir été délivrée diffèrent.

69.      Par exemple, en ce qui concerne la République tchèque, l’autorisation de mise sur le marché doit avoir été obtenue soit dans cet État, après le 10 novembre 1999, soit dans la Communauté six mois au maximum avant l’adhésion dudit État à l’Union. Dans d’autres États membres, comme la République d’Estonie, la République de Chypre, la République de Lettonie, la République de Lituanie, la République de Malte ou bien encore la République de Slovénie, l’autorisation de mise sur le marché doit avoir été délivrée par les autorités nationales avant le 1er mai 2004. En revanche, s’agissant de la République de Hongrie, de la République de Pologne ou bien encore de la République de Bulgarie ou de la Roumanie qui sont toutes deux issues du dernier élargissement, il suffit qu’une autorisation de mise sur le marché ait été délivrée après le 1er janvier 2000. Dans ce dernier cas, nous ignorons si cette autorisation doit avoir été délivrée par les autorités nationales ou simplement dans la Communauté.

70.      Ces mécanismes spécifiques à chacun des États membres ont été justifiés par la Cour dans l’arrêt Hässle, précité. Dans cette affaire, la Cour était saisie de l’interprétation et de l’appréciation de validité de l’article 19 du règlement qui, comme nous l’avons vu, prévoit des mesures transitoires applicables aux États membres de l’Union le 1er janvier 1993, et aux États issus de l’élargissement du 1er janvier 1995, à savoir la République d’Autriche, la République de Finlande et le Royaume de Suède. Ainsi que nous l’avons vu, cette disposition prévoit des dates de référence, pour le dépôt d’une demande de certificat complémentaire de protection, différentes selon les États membres, ce qui, selon la requérante au principal, contrevenait à l’objectif d’harmonisation dans le marché intérieur.

71.      La Cour a rejeté cette argumentation en tenant compte du contexte particulier des négociations d’adhésion dans lequel s’inscrit l’article 19 du règlement et des objectifs poursuivis par chacune des parties dans le cadre du secteur pharmaceutique.

72.      Le juge communautaire a ainsi jugé, aux points 38 à 40 de l’arrêt Hässle, précité, que chacune des dates fixées par l’article 19 du règlement était l’expression de l’appréciation portée par chaque État membre en fonction, notamment, de son système de santé, dont la Cour a admis que l’organisation et le financement variaient d’un État membre à l’autre. La Cour a ainsi reconnu que si, à la date d’adoption du règlement, tous les États membres souhaitaient protéger l’industrie pharmaceutique innovatrice en assurant, par l’octroi d’un certificat, une protection effective des détenteurs de brevet, leur permettant d’amortir les investissements effectués dans la recherche, certains d’entre eux souhaitaient garantir pour une période plus longue la réalisation d’autres objectifs légitimes liés à leur politique en matière de santé publique, et notamment assurer la stabilité financière de leur système de santé en soutenant l’industrie des fabricants de médicaments génériques.

73.      C’est compte tenu de ces différences d’appréciation que la Cour a légitimé la fixation, à titre transitoire, de ces dates de référence différentes, et ce bien qu’elle ait constaté l’existence d’un défaut d’harmonisation en ce qui concerne les produits pour lesquels une première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté avait été obtenue entre le 1er janvier 1982 et le 1er janvier 1988.

74.      Ce raisonnement est, selon nous, parfaitement transposable à la présente affaire et milite en faveur d’une interprétation stricte de l’article 19 bis, sous e), du règlement.

75.      En effet, comme l’article 19 du règlement, l’article 19 bis de celui-ci consacre les résultats des négociations d’adhésion menées avec les nouveaux États membres et introduit des mécanismes spécifiques à chacun d’entre eux.

76.      Ainsi que l’avait déjà relevé la Cour aux points 67 et 68 de l’arrêt Parlement/Conseil (31), les négociations d’adhésion sont destinées à résoudre les difficultés que l’adhésion entraîne soit pour la Communauté, soit pour l’État adhérent. En offrant des possibilités de dialogue et de coopération, elles permettent à chacun des futurs États membres de faire valoir leur intérêt à obtenir les dérogations transitoires nécessaires compte tenu, par exemple, de l’impossibilité dans laquelle ils se trouveraient d’assurer l’application immédiate des nouveaux actes communautaires au moment de l’adhésion ou de problèmes d’ordre socio-économique majeurs qu’une telle application serait de nature à engendrer. Dans le domaine pharmaceutique, les intérêts et les objectifs poursuivis par chacune des parties à la négociation sont nombreux. Il peut s’agir non seulement de garantir l’équilibre financier du système de santé national et d’assurer aux patients l’accès à des médicaments qui soient sûrs, efficaces et abordables (en soutenant, par exemple, l’industrie des fabricants de produits génériques (32)), mais également de créer un environnement commercial qui soit capable de stimuler la recherche, de favoriser l’innovation et de soutenir la compétitivité du secteur pharmaceutique (33). C’est donc à la faveur de mécanismes spécifiques, tels que ceux visés à l’article 19 bis du règlement, que les intérêts particuliers ainsi invoqués peuvent être mis en balance de manière appropriée avec l’intérêt général de la Communauté.

77.      Ainsi, si l’interprétation que nous proposons laisse effectivement subsister un défaut d’harmonisation en ce qui concerne les médicaments qui n’ont pas obtenu d’autorisation de mise sur le marché en Lituanie avant l’entrée en vigueur du règlement, nous pensons que cette interprétation s’impose pour respecter cet équilibre et les négociations y relatives.

78.      Au regard de l’ensemble de ces éléments, nous sommes d’avis que l’article 19 bis, sous e), du règlement doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas au titulaire d’un brevet de base en vigueur sur un médicament de demander auprès des autorités compétentes lituaniennes la délivrance d’un certificat complémentaire de protection lorsque, avant l’adhésion de cet État à l’Union, ce médicament a obtenu une autorisation communautaire de mise sur le marché délivrée par la Commission conformément à l’article 3 du règlement n° 2309/93, mais n’a pas obtenu d’autorisation nationale de mise sur le marché.

C –    Sur les troisième et quatrième questions préjudicielles

79.      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi invite la Cour à préciser si la date à laquelle l’autorisation communautaire de mise sur le marché a été étendue à la République de Lituanie correspond bien à la date à laquelle cet État a adhéré à l’Union. Si tel est le cas, la juridiction de renvoi demande, par sa quatrième question, si cette première date peut être assimilée à la «date d’obtention de l’autorisation de mise sur le marché» au sens de l’article 3, sous b), du règlement.

80.      En substance, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, dans un cas tel que celui en cause au principal, le délai de six mois prévu à l’article 7 du règlement pour déposer une demande de certificat complémentaire de protection peut commencer à courir à compter de la date à laquelle l’autorisation communautaire de mise sur le marché a été étendue à la République de Lituanie.

81.      Nous savons que l’adhésion à l’Union suppose pour les nouveaux États membres l’acceptation intégrale et immédiate de l’«acquis communautaire» sous réserve des aménagements acceptés d’un commun accord, comme en témoignent les dispositions des accords d’adhésion.

82.      Ainsi, conformément à l’article 2 de l’acte d’adhésion, les dispositions des traités originaires et les actes pris, avant l’adhésion, par les institutions lient les nouveaux États membres dès leur adhésion. Par conséquent, et ainsi que l’ensemble des parties le soutient, l’autorisation communautaire de mise sur le marché qui a été délivrée par la Commission pour l’Aranesp, conformément à l’article 3 du règlement n° 2309/93, a été étendue à la République de Lituanie à la date à laquelle son adhésion à l’Union est devenue effective, date à laquelle la qualité d’État membre lui a été acquise, à savoir le 1er mai 2004.

83.      Néanmoins, et contrairement à ce que soutiennent la Commission et la requérante au principal, nous ne pensons pas qu’il soit possible d’assimiler la date à laquelle une autorisation a été étendue à un nouvel État membre à la date d’obtention de celle-ci, au sens de l’article 3, sous b), du règlement, même dans une situation telle que celle en cause au principal.

84.      D’une part, une telle interprétation reviendrait à introduire une dérogation aux règles fixées par le règlement, alors que cette dernière n’a pas été expressément prévue par le législateur communautaire. Or, cette interprétation serait contraire à la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les dérogations doivent être expressément prévues (34).

85.      D’autre part, une telle interprétation nous semble difficilement conciliable avec le libellé des articles 3, sous b), et 7 du règlement ainsi qu’avec l’économie et les objectifs visés par celui-ci.

86.      Premièrement, il est nécessaire de lire le libellé desdits articles en lien avec l’article 3, sous d), du règlement. En effet, conformément à cette dernière disposition, l’autorisation de mise sur le marché visée aux articles 3, sous b), et 7 du règlement renvoie uniquement à la première autorisation de mise sur le marché du produit octroyée conformément à la directive 65/65. Une autorisation de mise sur le marché qui est étendue à un nouveau territoire ne correspondra donc jamais à une première autorisation de mise sur le marché du produit.

87.      Deuxièmement, cette interprétation nuirait à la clarté ainsi qu’à la cohérence du système mis en place par le règlement.

88.      En effet, la date à laquelle la première autorisation de mise sur le marché a été accordée à un médicament est l’une des pierres angulaires du règlement, puisque c’est elle qui permet d’assurer une durée de protection uniforme du médicament au titre du brevet.

89.      Nous rappelons que, en vertu du règlement, un certificat complémentaire de protection peut être obtenu par le titulaire d’un brevet national ou européen selon les mêmes conditions dans chaque État membre de la Communauté (35). Ainsi que l’avait relevé l’avocat général Jacobs dans ses conclusions rendues dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Espagne/Conseil, précité, l’une des conséquences les plus importantes du certificat est que la protection au titre du brevet, en ce qui concerne les produits couverts par le certificat, prendra fin au même moment dans tous les États membres où le certificat a été délivré, et ce même si les demandes pour la délivrance des brevets de base n’ont pas été déposées la même année (36).

90.      Ce système se fonde sur l’article 13 du règlement et, en particulier, sur le mécanisme par lequel la durée du certificat dépend d’un seul événement, publié au Journal officiel des Communautés européennes (37), à savoir l’obtention de la première autorisation de mise sur le marché du produit dans la Communauté.

91.      Un exemple fictif, sur lequel s’était fondé l’avocat général Jacobs dans cette même affaire, permet d’illustrer ce point (38). Cet exemple se base sur la méthode de calcul exposée à l’article 13 du règlement. Supposons que la demande de brevet ait été présentée en 1990 dans l’État membre A, et en 1991 dans l’État membre B, la protection liée au brevet expirant respectivement en 2010 et en 2011. L’autorisation de mise sur le marché du produit est accordée, tout d’abord, dans l’État membre C, en 1998. Cela amène à calculer ainsi la durée du certificat. Dans l’État membre A, cette durée est de huit ans (1990-1998) moins cinq ans, le certificat prenant effet en 2010 et expirant en 2013. Dans l’État membre B, la durée est de sept ans (1991-1998) moins cinq ans, le certificat prenant effet en 2011 et, de la même façon, expirant en 2013 (39).

92.      Ce raisonnement s’applique à plus forte raison dans une situation telle que celle en cause au principal, où le titulaire a déposé une demande de brevet européen et a obtenu une autorisation communautaire de mise sur le marché.

93.      Si nous devions confondre la date à laquelle la première autorisation de mise sur le marché a été obtenue avec celle à laquelle cette autorisation a été étendue aux nouveaux États membres à la suite de leur adhésion, cela entraînerait des conséquences préjudiciables pour le bon fonctionnement du système mis en place par le règlement. En effet, cela signifierait qu’il y aurait autant de dates d’obtention différentes que d’adhésions à l’Union, et ce pour un seul et même produit. Si nous appliquions ce raisonnement à la méthode de calcul fixée à l’article 13 du règlement, alors la durée de protection du médicament ne serait donc pas uniforme au sein de la Communauté, ce qui contreviendrait à l’objectif d’uniformisation visé par le règlement.

94.      Au vu de l’ensemble de ces éléments, nous proposons à la Cour de répondre à la juridiction de renvoi que l’autorisation de mise sur le marché délivrée par la Commission pour le médicament Aranesp, conformément à l’article 3 du règlement n° 2309/93, a été étendue à la République de Lituanie le 1er mai 2004. Nous l’invitons également à répondre que cette date n’est pas assimilable à la date d’obtention de cette autorisation au sens de l’article 3, sous b), du règlement.

V –    Conclusion

95.      Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles posées par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas:

«1)      L’article 19 bis, sous e), du règlement (CEE) n° 1768/92 du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments, tel que modifié, premièrement, par l’acte relatif aux conditions d’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne du 29 août 1994, deuxièmement, par l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne du 23 septembre 2003, et, enfin, par l’acte relatif aux conditions d’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne du 21 juin 2005, doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas au titulaire d’un brevet de base en vigueur sur un médicament de demander auprès des autorités compétentes lituaniennes la délivrance d’un certificat complémentaire de protection lorsque, avant l’adhésion de cet État à l’Union européenne, ce médicament a obtenu une autorisation communautaire de mise sur le marché délivrée par la Commission européenne conformément à l’article 3 du règlement (CEE) n° 2309/93 du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l’évaluation des médicaments, mais n’a pas obtenu d’autorisation nationale de mise sur le marché.

2)      L’autorisation de mise sur le marché délivrée par la Commission pour le médicament Aranesp, conformément à l’article 3 du règlement n° 2309/93, a été étendue à la République de Lituanie le 1er mai 2004. Cette date n’est pas assimilable à la date d’obtention de cette autorisation au sens de l’article 3, sous b), du règlement n° 1768/92, tel que modifié.»


1 – Langue originale: le français.


2 – Règlement du Conseil, du 18 juin 1992, concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments (JO L 182, p. 1), tel que modifié, premièrement, par l’acte relatif aux conditions d’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne du 29 août 1994 (JO C 241, p. 21, et JO 1995, L 1, p. 1); deuxièmement, par l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne du 23 septembre 2003 (JO L 236, p. 33, ci-après l’«acte d’adhésion»), et, enfin, par l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne du 21 juin 2005 (JO L 157, p. 203), ci-après, ensemble, le «règlement».


3 – Ci-après la «requérante au principal».


4 – Règlement du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l’évaluation des médicaments (JO L 214, p. 1).


5 – Il s’agit de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque (ci-après les «nouveaux États membres»).


6 – JO 2003, L 236, p. 17 (ci‑après le «traité d’adhésion»).


7 – Voir article 2, paragraphe 2, du traité d’adhésion.


8 – Voir annexe II, chapitre 4 «Droit des sociétés», point C «Droits de propriété industrielle», sous II «Certificats complémentaires de protection» (JO 2003, L 236, p. 342).


9 – Directive du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO 1965, 22, p. 369), telle que modifiée par les directives 87/21/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986 (JO 1987, L 15, p. 36), et 93/39/CEE du Conseil, du 14 juin 1993 (JO L 214, p. 22), ci‑après la «directive 65/65». La directive 87/21 a déterminé les exigences applicables à la délivrance des autorisations de mise sur le marché dans le cas particulier d’une procédure abrégée. La directive 93/39 a, quant à elle, introduit, dans la législation communautaire existante, une procédure de reconnaissance mutuelle des autorisations nationales de mise sur le marché, assortie d’une procédure de concertation et d’arbitrage communautaires.


10 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67), telle que modifiée par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 (JO L 136, p. 34), ci-après la «directive 2001/83».


11 – Voir article 3 du règlement n° 2309/93.


12 – Comme l’a précisé la Cour au point 27 de l’arrêt du 13 juillet 1995, Espagne/Conseil (C‑350/92, Rec. p. I‑1985), ce certificat complémentaire de protection ne constitue pas un titre nouveau de propriété industrielle.


13 – Voir arrêt du 31 octobre 1974, Sterling Drug (15/74, Rec. p. 1147, point 9).


14 – L’article 63, paragraphe 1, de la convention sur la délivrance de brevets européens, conclue à Munich le 5 octobre 1973 (Recueil des traités des Nations unies, 1978, vol. 1065, n° 16208, p. 199, ci-après la «convention sur le brevet européen»), prévoit que la durée du brevet européen est de 20 ans à compter de la date de dépôt de la demande. Lorsque la Commission a présenté sa proposition de règlement (CEE) du Conseil concernant la création d’un certificat complémentaire de protection pour les médicaments [COM(1990) 101 final], elle a estimé que la période écoulée entre le dépôt de la demande de brevet et la date à laquelle l’invention était mise sur le marché était en moyenne de quatre ans dans ce secteur industriel (point 51 de l’exposé des motifs de la proposition). En pratique, la période d’exclusivité effective conférée par le brevet est donc réduite à seize ans. Cependant, dans le domaine pharmaceutique, la nécessité de se conformer à d’autres exigences strictes avant l’octroi de l’autorisation de commercialiser un nouveau médicament signifie que, souvent, bien plus de quatre ans s’écouleront avant que le titulaire du brevet ne puisse espérer commencer à amortir son investissement. La période réelle d’exclusivité sera donc réduite à due concurrence. Cette situation est la conséquence de procédures administratives par ailleurs reconnues et jugées nécessaires pour la protection de la population lors de la commercialisation de médicaments.


15 – Recueil des traités des Nations unies, 1995, vol. 1885, n° I‑32085, p. 518. Cet accord a été signé à Munich le 25 janvier 1994, puis est entré en vigueur le 5 juillet 1994. Enfin, il a été résilié le 30 novembre 2004, à la suite de l’entrée en vigueur de la convention sur le brevet européen en Lituanie, le 1er décembre 2004.


16 – Le gouvernement lituanien a, le 3 septembre 2004, déposé son instrument d’adhésion à la convention sur le brevet européen et à l’acte portant révision de cette convention du 29 novembre 2000.


17 – Il s’agit des États qui étaient donc membres de l’Union au 7 décembre 2001, l’autorisation ayant été octroyée le 8 juin de la même année.


18 – Ainsi que nous l’avons indiqué, la durée du brevet européen est de 20 ans à compter de la date de dépôt de la demande. Le brevet dont la requérante au principal est titulaire devrait donc expirer au mois d’août 2014. Il faut, en outre, ajouter la durée de la protection complémentaire accordée par le certificat, fixée à l’article 13 du règlement. Celle-ci, nous le rappelons, est égale à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté (en l’occurrence sept ans), réduite d’une période de cinq ans. Le certificat complémentaire de protection sera donc d’une durée de deux ans et prendra effet au terme légal du brevet européen, c’est-à-dire à partir du mois d’août 2014.


19 – La requérante au principal sera donc confrontée à une nouvelle concurrence par les prix, puisque le médicament générique, qui présente la même composition qualitative et quantitative en substances actives et la même forme pharmaceutique que le médicament de référence, sera vendu à un prix beaucoup plus abordable. Dans le cadre d’une enquête sectorielle récente, portant sur le secteur pharmaceutique, la Commission a constaté que près de la moitié des médicaments brevetés se trouvent confrontés à l’arrivée de médicaments génériques sur leur marché dans les quatre à sept mois suivant l’expiration de la protection conférée par le brevet et par le certificat complémentaire de protection. Selon cette étude, le prix de ces médicaments génériques est, en moyenne, 25 % inférieur au prix du médicament de référence tel qu’il est fixé avant la perte de son exclusivité (voir communication de la Commission «Synthèse du rapport d’enquête sur le secteur pharmaceutique», du 8 juillet 2009 [COM(2009) 351 final, p. 10 et 11]).


20 – Point 36.


21 – Arrêt du 3 septembre 2009 (C‑482/07, non encore publié au Recueil, point 35).


22 – Voir arrêts précités Espagne/Conseil (points 35 et 36) ainsi que AHP Manufacturing (points 35 et 36).


23 – Arrêt du 11 mars 2008, Jager (C‑420/06, Rec. p. I‑1315, point 46).


24 – Ibidem (point 47).


25 – Le rapport existant entre ces deux dispositions a déjà été explicité par la Cour dans l’arrêt du 11 décembre 2003, Hässle (C‑127/00, Rec. p. I‑14781). Comme le relève le juge communautaire, l’article 19 du règlement est une disposition transitoire qui introduit une dérogation à l’article 7 du règlement. Conformément à l’article 19, paragraphe 2, du règlement, le titulaire d’un brevet de base peut déposer une demande de certificat complémentaire de protection dans les six mois suivant la date d’entrée en vigueur du règlement dans les cas et les conditions particulières visés au paragraphe 1 de ladite disposition:


lorsque le produit, à la date de l’entrée en vigueur du règlement ou à la date de l’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède, est déjà protégé par un brevet de base en vigueur et a déjà obtenu une première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté ou sur le territoire de ces trois États après le 1er janvier 1985;


lorsque le certificat doit être délivré au Danemark, en Allemagne et en Finlande, la date du 1er janvier 1985 est remplacée par celle du 1er janvier 1988;


lorsque le certificat doit être délivré en Belgique, en Italie et en Autriche, la date du 1er janvier 1985 est remplacée par celle du 1er janvier 1982.


26 – Voir, notamment, arrêt du 9 décembre 1982, Metallurgiki Halyps/Commission (258/81, Rec. p. 4261, point 8).


27 – Voir, notamment, arrêts du 5 décembre 1996, Merck et Beecham (C‑267/95 et C‑268/95, Rec. p. I‑6285, point 23 et jurisprudence citée); du 3 décembre 1998, KappAhl (C‑233/97, Rec. p. I‑8069, point 18 et jurisprudence citée), ainsi que Hässle, précité (points 52 et suiv.).


28 – Arrêt KappAhl, précité (point 15 et jurisprudence citée).


29 – En effet, selon l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 2309/93, une autorisation de mise sur le marché délivrée selon la procédure centralisée confère, dans chaque État membre, les mêmes droits et les mêmes obligations qu’une autorisation de mise sur le marché délivrée par un État membre conformément aux exigences harmonisées fixées par la directive 65/65.


30 – Nous pouvons nous demander si, comme les autorisations délivrées par les autorités autrichiennes, finlandaises et suédoises, les autorisations délivrées par la République de Lituanie n’ont pas été assimilées, en vertu de l’article 19 bis du règlement, à une autorisation octroyée conformément aux exigences de la directive 65/65. En ce qui concerne la République d’Autriche, la République de Finlande et le Royaume de Suède, cela a été expressément précisé à l’article 3 du règlement. En effet, cet article dispose qu’une autorisation de mise sur le marché du produit, accordée conformément à la législation nationale autrichienne, finlandaise ou suédoise, est traitée comme une autorisation octroyée conformément à la directive 65/65. En revanche, il n’existe aucune disposition similaire concernant les adhésions successives à l’Union.


31 – Arrêt du 28 novembre 2006 (C‑413/04, Rec. p. I‑11221), relatif à l’application de certaines dispositions du droit communautaire dérivé à la République d’Estonie.


32 – Les prix des médicaments génériques sont habituellement très inférieurs à ceux des médicaments princeps, ce qui permet de contenir les budgets alloués à la santé publique et assure à un plus grand nombre de patients l’accès à des médicaments sûrs et innovants.


33 – Voir communication de la Commission mentionnée à la note 19 (p. 2).


34 – Voir, notamment, arrêt Metallurgiki Halyps/Commission, précité (point 8).


35 – Arrêt AHP Manufacturing, précité (point 35).


36 – Voir point 44 des conclusions.


37 – En vertu de l’article 12, paragraphe 3, du règlement n° 2309/93, la date à laquelle l’autorisation de mise sur le marché est délivrée par la Commission est publiée au Journal officiel des Communautés européennes.


38 – Nous rappelons que, conformément à l’article 13 du règlement, la durée de ce certificat est égale à la période écoulée entre la date du dépôt de la demande du brevet de base et la date de la première autorisation de mise sur le marché dans la Communauté, réduite d’une période de cinq ans.


39 – Voir point 44 des conclusions.