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Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 21 mars 2024 (1)

Affaires jointes C611/22 P et C625/22 P

Illumina, Inc.

contre

Commission européenne (C611/22 P)

et

Grail LLC

contre

Illumina, Inc.

Commission européenne (C625/22 P)

Pourvoi – Concurrence – Concentrations entre entreprises – Article 22 du règlement (CE) no 139/2004 – Concentrations qui ne sont pas de dimension communautaire – Demande de renvoi émanant d’une autorité de concurrence non compétente en vertu du droit national – Décision de la Commission d’examiner la concentration – Compétence de la Commission – Délai de présentation de la demande de renvoi – Obligation d’agir dans un délai raisonnable – Principe de bonne administration – Droit de la défense – Confiance légitime)






I.      Introduction

1.        La plupart des lois modernes antitrust, tant au sein de l’Union européenne qu’ailleurs, reposent sur un triptyque de dispositions : les règles sur les accords et les pratiques concernées, les règles sur les comportements unilatéraux (ou les abus de position dominante) et les règles sur le contrôle des concentrations.

2.        La particularité des règles de contrôle des concentrations réside dans le fait que, contrairement aux deux autres ensembles de règles, elles exigent généralement des autorités compétentes (administratives et/ou judiciaires) que celles-ci procèdent à un contrôle ex ante, par opposition à un contrôle ex post, pour déterminer si un projet de concentration, à supposer qu’il soit mis en œuvre, est susceptible de porter atteinte de manière significative à une concurrence effective. Il s’agit d’un examen technique particulièrement complexe et laborieux « qui n’est pas fondé sur l’application de règles scientifiques précises, mais sur l’application de critères et de principes qui […] prêtent au débat » et qui vise à effectuer un « pronostic complexe quant aux effets de la concentration sur la structure et les dynamiques concurrentielles des marchés concernés, en tenant compte des nombreux facteurs, évoluant continuellement, susceptibles d’affecter le développement futur de l’offre et de la demande sur ces marchés » (2).

3.        Néanmoins, cet examen doit être réalisé dans les plus brefs délais. En effet, afin de préserver l’efficacité du système, la plupart des régimes juridiques – y compris celui de l’Union européenne – imposent aux entreprises concernées de notifier l’opération aux autorités compétentes et de suspendre sa mise en œuvre jusqu’à ce qu’elles reçoivent une autorisation de ces autorités. La notification et la suspension entraînent des coûts importants et engendrent certains risques pour les entreprises concernées.

4.        Dans ce contexte, le choix par le législateur du type de seuils et la fixation des montants y afférents qui, lorsqu’ils sont atteints, déclenchent les obligations de notification et de suspension pour les parties à la concentration revêtent une importance essentielle pour le bon fonctionnement du système. Ces seuils ont une double fonction : s’assurer de l’existence d’un critère de rattachement (local nexus) justifiant l’intervention des autorités en question et filtrer les opérations susceptibles de présenter un intérêt. Idéalement, les seuils devraient être faciles à calculer (afin d’éviter les incertitudes quant à la nécessité de notifier une opération donnée) et fixés à un niveau qui minimise, à la fois, le nombre d’opérations non susceptibles de soulever des problèmes de concurrence qui sont appréhendées par le régime et le nombre d’opérations pouvant soulever de tels problèmes qui ne relèvent pas de ce régime (3).

5.        Le régime de contrôle des concentrations de l’Union – régi par le règlement (CE) no 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement [UE] sur les concentrations ») (ci‑après le « règlement no 139/2004 ») (4) – est principalement fondé sur le chiffre d’affaires des sociétés qui fusionnent. Il existe toutefois dans ce règlement certaines dispositions qui, par voie d’exception, habilitent la Commission européenne à contrôler des concentrations n’atteignant pas les seuils de chiffre d’affaires en question, lorsque cette institution est saisie par les autorités des États membres et, le cas échéant, après que celles-ci y aient été invitées par cette dernière. La présente affaire porte principalement sur la définition du sens et de la portée de l’une de ces dispositions, à savoir l’article 22 du règlement no 139/2004. En résumé, la question essentielle dans le cadre de la présente procédure est la suivante : cette disposition permet-elle à la Commission de contrôler une concentration dont elle est saisie par les autorités d’un État membre lorsque ces dernières ne sont pas compétentes pour l’examiner, car la concentration en question n’atteint pas les seuils prévus par leur législation nationale en matière de contrôle des concentrations ?

6.        Malgré l’apparente simplicité de la question, il n’est nullement aisé de lui apporter une réponse correcte. Cela requiert de l’interprète une analyse herméneutique minutieuse aux fins de déterminer l’interprétation adéquate de l’article 22 du règlement no 139/2004. Pour ce faire, il convient non seulement d’examiner le libellé, la genèse, le contexte et la finalité de cette disposition, mais également de tenir compte de la logique du régime de contrôle des concentrations de l’Union ainsi que de certains principes fondamentaux du droit de l’Union (tels que l’équilibre institutionnel, la subsidiarité, la sécurité juridique, la territorialité, etc.). Enfin et surtout, l’on ne saurait guère trop insister sur l’importance que la réponse à cette question peut avoir sur le fonctionnement correct et efficace du régime l’Union en matière de contrôle des concentrations.

II.    Le droit de l’Union

7.        L’article 22 du règlement no 139/2004, intitulé « Renvoi à la Commission », dispose :

« 1.      Un ou plusieurs États membres peuvent demander à la Commission d’examiner toute concentration, telle que définie à l’article 3, qui n’est pas de dimension communautaire au sens de l’article 1er, mais qui affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande.

Une telle demande doit être présentée au plus tard dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date de notification de la concentration ou, si aucune notification n’est requise, de sa communication à l’État membre intéressé.

2.      La Commission informe sans délai les autorités compétentes des États membres et les entreprises concernées de toute demande reçue conformément au paragraphe 1.

Tout autre État membre a le droit de se joindre à la demande initiale dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date à laquelle la Commission l’a informé de la demande initiale.

[...]

3.      La Commission peut, dans un délai de dix jours ouvrables suivant l’expiration du délai fixé au paragraphe 2, décider d’examiner la concentration si elle estime que celle-ci affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent la demande. Si la Commission ne prend pas de décision dans ce délai, elle est réputée avoir adopté une décision d’examen de la concentration conformément à la demande.

La Commission informe tous les États membres et les entreprises concernées de sa décision. Elle peut demander qu’une notification lui soit faite conformément à l’article 4.

Le ou les États membres ayant formulé la demande n’appliquent plus leur droit national de la concurrence à la concentration concernée.

4.      L’article 2, l’article 4, paragraphes 2 et 3, les articles 5 et 6 ainsi que les articles 8 à 21 sont applicables lorsque la Commission examine une concentration conformément au paragraphe 3. L’article 7 est applicable pour autant que la concentration n’ait pas été réalisée à la date à laquelle la Commission informe les entreprises concernées qu’une demande a été déposée.

Lorsqu’une notification au sens de l’article 4 n’est pas requise, le délai fixé à l’article 10, paragraphe 1, pendant lequel la procédure peut être ouverte court à compter du jour ouvrable suivant celui où la Commission informe les entreprises concernées qu’elle a décidé d’examiner la concentration en vertu du paragraphe 3.

5.      La Commission peut informer un ou plusieurs États membres qu’elle considère qu’une concentration répond aux critères énoncés au paragraphe 1. Dans ce cas, elle peut inviter ce ou ces États membres à présenter une demande sur la base du paragraphe 1. »

8.        Le mécanisme de renvoi désormais prévu à l’article 22 du règlement no 139/2004 a initialement été établi à l’article 22, paragraphes 3 à 6 (« Application du présent règlement ») du règlement CEE de 1989 relatif aux concentrations (ci-après le règlement no 4064/89) (5), qui a ensuite été modifié par le règlement (CE) no 1310/97 (6). Le règlement no 4064/89 a ensuite été abrogé par le règlement no 139/2004 avec effet au 1er mai 2004.

III. Les faits

9.        Les faits les plus pertinents, tels qu’ils ressortent de l’arrêt rendu dans l’affaire T‑227/21, Illumina/Commission (ci-après l’« arrêt attaqué ») (7), peuvent être résumés de la manière exposée ci-après.

10.      Le 20 septembre 2020, Illumina Inc. – une société établie aux États-Unis et commercialisant des solutions en matière d’analyse génétique et génomique par séquençage et par puces – a conclu un accord et un plan de concentration visant à l’acquisition du contrôle exclusif de Grail LLC (anciennement Grail, Inc.), qui développe des tests sanguins de dépistage précoce des cancers, dont elle détenait déjà 14,5 % du capital (ci-après la « concentration en cause »). Le 21 septembre 2020, Illumina et Grail (ci-après les « requérantes ») ont publié un communiqué de presse annonçant cette concentration.

11.      Étant donné que le chiffre d’affaires des requérantes ne dépassait pas les seuils pertinents, notamment parce que Grail ne générait de recettes dans aucun État membre de l’Union européenne ni ailleurs dans le monde, la concentration en cause ne présentait pas de dimension européenne, au sens de l’article 1er du règlement no 139/2004, et n’a donc pas été notifiée à la Commission. La concentration en cause n’a pas non plus été notifiée dans les États membres de l’Union ou dans des États parties à l’accord sur l’Espace économique européen (8), car elle ne relevait pas du champ d’application de leur réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations.

12.      Après avoir reçu une plainte relativement à la concentration en cause en décembre 2020, la Commission a eu des échanges avec le plaignant, avec plusieurs autorités nationales de concurrence des États membres (ci-après les « ANC »), ainsi qu’avec la Competition and Markets Authority (autorité de la concurrence et des marchés, Royaume-Uni).

13.      Le 19 février 2021, la Commission a informé les États membres de la concentration en cause, en leur envoyant une lettre conformément à l’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 (ci-après la « lettre d’invitation »). Dans cette lettre, la Commission a expliqué les raisons pour lesquelles elle considérait, prima facie, que la concentration semblait remplir les conditions prévues à l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 et elle a invité les États membres à soumettre une demande de renvoi.

14.      Au cours d’un entretien téléphonique du 4 mars 2021, la Commission a informé le représentant légal de chacune des requérantes de la lettre d’invitation et de la possibilité de présenter une demande de renvoi au titre de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004.

15.      Le 9 mars 2021, l’autorité de la concurrence française (ci-après l’« ACF ») a demandé à la Commission, en vertu de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, d’examiner la concentration en cause (ci-après la « demande de renvoi »). Le 10 mars 2021, la Commission a, conformément à l’article 22, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, informé les ANC et l’Autorité de surveillance AELE de la demande de renvoi. Le 11 mars 2021, la Commission a également informé les requérantes de la demande de renvoi en mentionnant que la concentration en cause ne pouvait pas être réalisée pour autant que, et dans la mesure où, l’obligation de suspension prévue à l’article 7 du règlement no 139/2004, lu conjointement avec l’article 22, paragraphe 4, premier alinéa, seconde phrase, de ce règlement était applicable (ci-après la « lettre d’information »).

16.      Les 16 et 29 mars 2021, les requérantes ont présenté à la Commission des observations s’opposant à la demande de renvoi. Les 2, 7 et 12 avril 2021, Illumina a répondu aux demandes de renseignements que la Commission lui a adressées les 26 mars et 8 avril 2021.

17.      Par lettres des 24, 26 et 31 mars 2021, les autorités de la concurrence belge, grecque, islandaise, néerlandaise et norvégienne ont demandé à se joindre à la demande de renvoi, conformément à l’article 22, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 (ci-après les « demandes de jonction »).

18.      Le 31 mars 2021, la Commission a publié une communication intitulée « Orientations concernant l’application du mécanisme de renvoi établi à l’article 22 du règlement [no 139/2004] à certaines catégories d’affaires » (9).

19.      Par décisions du 19 avril 2021, la Commission a accepté la demande de renvoi, ainsi que les demandes de jonction. Par ces décisions, la Commission (i) a constaté que la demande de renvoi avait été présentée dans le délai de 15 jours ouvrables prévu à l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ; (ii) a considéré que les demandes de jonction respectaient le délai prévu à l’article 22, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 ; (iii) a estimé que la concentration en cause satisfaisait aux critères d’un renvoi au titre de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ; et (iv) a rejeté comme non fondés les arguments des requérantes, tirés d’une violation alléguée de leurs droits de la défense et d’autres principes généraux du droit de l’Union.

IV.    La procédure devant le Tribunal, l’arrêt attaqué et la procédure devant la Cour

20.      Par requête déposée le 28 avril 2021, Illumina a sollicité auprès du Tribunal, au titre de l’article 263 TFUE, l’annulation de la lettre d’information, de la décision d’acceptation de la demande de renvoi soumise par l’ACF ainsi que des décisions accueillant la demande de jonction (ci-après les « décisions litigieuses »).

21.      Par ordonnances et décisions du Président de la troisième chambre élargie du Tribunal, (i) Grail a été admise à intervenir au soutien des conclusions d’Illumina, (ii) la République hellénique, la République française, le Royaume des Pays-Bas, et l’Autorité de surveillance AELE ont été autorisés à intervenir au soutien des conclusions de la Commission, et (iii) la requête en intervention, déposée par Computer & Communications Industry Association au soutien des conclusions d’Illumina, a été rejetée.

22.      Illumina, soutenue par Grail, a demandé au Tribunal d’annuler les décisions litigieuses et la lettre d’information, ainsi que de condamner la Commission aux dépens. Pour sa part, la Commission, soutenue par la République hellénique, la République française, le Royaume des Pays-Bas et l’Autorité de surveillance AELE, a demandé au Tribunal de rejeter le recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme en partie irrecevable et en partie non fondé, ainsi que de condamner Illumina aux dépens.

23.      Le 13 juillet 2022, par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours, condamné Illumina à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, et ordonné que la République hellénique, la République française, le Royaume des Pays-Bas, l’Autorité de surveillance AELE et Grail supportent leurs propres dépens.

24.      Dans le cadre de leurs pourvois devant la Cour, introduits respectivement les 22 et 30 septembre 2022, Illumina (affaire C‑611/22 P) et Grail (affaire C‑625/22 P) ont demandé à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, ainsi que les décisions litigieuses et de condamner la Commission aux dépens de l’instance. Grail a également demandé à la Cour d’annuler la demande soumise par l’ACF et la lettre d’information de la Commission.

25.      Le 21 décembre 2022, le président de la Cour a décidé, le juge rapporteur, l’avocat général et les parties entendus, de joindre les deux affaires aux fins de la phase orale de la procédure et de l’arrêt, conformément à l’article 54, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour. Par décision du 10 janvier 2023, le président de la Cour a également décidé, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de rejeter la demande de la Commission tendant à ce que l’affaire C‑625/22 P soit soumise à la procédure accélérée prévue aux articles 133 à 136 du règlement de procédure de la Cour et à ce que cette affaire soit traitée en priorité, en application de l’article 53, paragraphe 3, dudit règlement de procédure.

26.      Par deux ordonnances du président de la Cour du 10 mars 2023, Biocom California a été autorisée à intervenir au soutien des conclusions d’Illumina dans l’affaire C‑611/22 P et les demandes d’intervention au soutien des conclusions de Grail dans l’affaire C‑625/22 P, présentées par l’Association Française des Juristes d’Entreprise (AFJE) et l’European Company Lawyers Association (ECLA), ont été rejetées.

27.      Dans leurs mémoires en réponse, la Commission, la République française, le Royaume des Pays-Bas et l’Autorité de surveillance AELE ont demandé à la Cour de rejeter les pourvois et de condamner les requérantes aux dépens. Pour leur part, Grail a présenté un mémoire en réponse dans l’affaire C‑611/22 P et Illumina un mémoire en réponse dans l’affaire C‑625/22 P, demandant respectivement à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et les décisions litigieuses, ainsi que de condamner la Commission aux dépens.

28.      Les requérantes ont déposé un mémoire en réplique et les défenderesses un mémoire en duplique. Les parties requérantes, défenderesses et intervenantes ont été entendues lors de l’audience devant la Cour, qui s’est tenue le 12 décembre 2023.

V.      Appréciation

29.      À l’appui de leurs pourvois, chacune des requérantes invoque trois moyens, qui se recoupent largement. J’examinerai donc ces moyens conjointement.

30.      En conséquence, j’apprécierai, en premier lieu, si le Tribunal a commis une erreur dans son interprétation du sens et de la portée de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 (A). J’examinerai, en deuxième lieu, les allégations des requérantes selon lesquelles la demande de renvoi a été présentée de manière tardive et la Commission a violé son obligation d’agir dans un délai raisonnable (B). En troisième et dernier lieu, je me pencherait sur les violations alléguées des principes de confiance légitime et de sécurité juridique (C).

A.      Premier moyen : le sens et la portée de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004

31.      Le premier moyen respectivement invoqué par Illumina et par Grail concerne les points 85 à 185 de l’arrêt attaqué. Dans ces passages, le Tribunal a rejeté le premier moyen invoqué par Illumina en première instance, tiré de l’incompétence de la Commission pour contrôler la concentration en cause. En particulier, après avoir examiné les arguments des parties, le Tribunal est parvenu à la conclusion suivante :

« 183            [...] Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, notamment compte tenu des interprétations littérale, historique, contextuelle et téléologique de l’article 22 du règlement no 139/2004, il convient de conclure que les États membres peuvent, dans les conditions qui y sont énoncées, présenter une demande de renvoi au titre de cette disposition indépendamment de la portée de leur réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations.

184.      Partant, c’est à bon droit que la Commission a, par les décisions litigieuses, accepté la demande de renvoi et les demandes de jonction au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 [...] ».

1.      Argumentation des parties

32.      Illumina fait valoir que, en approuvant l’application de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 faite par la Commission, le Tribunal a commis une erreur dans l’interprétation de cette disposition. Ilumina soutient notamment que le Tribunal n’a pas : (i) appliqué un certain nombre de principes fondamentaux du droit de l’Union (tels que la sécurité juridique, la proportionnalité et la subsidiarité) ; (ii) correctement identifié et pris en considération l’objet du règlement no 139/2004 ; (iii) interprété strictement une disposition qui constitue une dérogation à une règle générale ; et (iv) reconnu l’importance du contexte et de l’objet de la disposition en cause. De même, Grail estime qu’une interprétation textuelle, historique, contextuelle et téléologique de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 n’étaye pas la lecture retenue par le Tribunal dans son arrêt.

33.      En substance, Biocom soutient les arguments avancés par les requérantes, soulignant l’insécurité juridique et la charge disproportionnée pour les parties à la concentration qui résultent de l’arrêt attaqué.

34.      La Commission fait valoir que les premiers moyens des requérantes sont inopérants et irrecevables dans la mesure où ils se fondent sur certains documents préparatoires et, à titre subsidiaire, non fondés. La Commission est d’avis que le Tribunal a correctement interprété l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. En particulier, la Commission soutient que les requérantes : (i) ne prennent pas correctement en compte le libellé clair de cette disposition et (ii) commettent une erreur en considérant que, dans le cadre de l’interprétation retenue par le Tribunal, le régime instauré par le règlement no 139/2004 n’offre pas une sécurité juridique suffisante aux parties à la concentration.

35.      Les gouvernements français et néerlandais, ainsi que l’Autorité de surveillance AELE, partagent le point de vue de la Commission. En particulier, le gouvernement français soutient que le Tribunal a correctement appliqué les principes de sécurité juridique, de proportionnalité et de subsidiarité. Le gouvernement néerlandais fait valoir que, en vertu de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, il a le droit de demander à la Commission d’examiner une concentration telle que celle en cause ou de se joindre à une demande présentée par une autre ANC. Pour sa part, l’Autorité de surveillance AELE soutient que les requérantes ont commis une erreur en se fondant sur le système de guichet unique établi par le règlement no 139/2004 : en effet, ce mécanisme ne concerne que les concentrations de dimension communautaire, mais n’est pas applicable à des concentrations qui n’ont pas une telle dimension.

2.      Analyse

36.      Dans les pages qui suivent, j’examinerai tout d’abord certaines objections liminaires de nature procédurale, soulevées par la Commission, avant de me pencher sur le bien-fondé du premier moyen respectivement invoqué par les requérantes.

a)      Questions préliminaires

37.      Il convient d’emblée d’examiner les arguments de la Commission selon lesquels (i) le premier moyen respectivement invoqué par les requérantes au soutien du pourvoi est inopérant et (ii) certains documents sur lesquels se fonde Grail sont irrecevables.

38.      Je ne suis pas convaincu par ces arguments.

39.      Premièrement, un moyen est inopérant lorsque, même s’il était considéré comme fondé, il ne serait pas susceptible d’entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué (10). Tel n’est, à l’évidence, pas le cas des moyens examinés en l’espèce. Il est constant que, si le Tribunal a – comme le soutiennent les requérantes – interprété de manière erronée la nature et la portée de l’article 22 du règlement no 139/2004, de sorte que la Commission ne pouvait pas examiner la concentration en cause, l’arrêt attaqué serait entaché d’une erreur de droit qui entraînerait l’annulation de cet arrêt et des décisions litigieuses.

40.      L’affirmation de la Commission selon laquelle les requérantes n’ont pas contesté les constatations faites par le Tribunal dans certains passages de l’arrêt attaqué (points 90 à 94 de cet arrêt en ce qui concerne Illumina et points 183 et 184 dudit arrêt s’agissant de Grail) est contredite par le texte des pourvois. En réalité, la critique de la Commission semble plutôt porter sur la force des arguments avancés par les requérantes pour contester les constatations du Tribunal figurant dans ces passages. Toutefois, il s’agit là d’une question qui concerne le bien-fondé du moyen invoqué au soutien du pourvoi et non son caractère prétendument inopérant.

41.      Deuxièmement, l’allégation de la Commission relative à la prétendue irrecevabilité de certains documents sur lesquels se fonde Grail en ce qui concerne l’interprétation historique de l’article 22 du règlement no 139/2004 (ci-après les « documents litigieux ») est tout aussi infondée. La Commission fait valoir, en substance, que ces documents auraient dû être d’abord produits devant le Tribunal pour être ensuite recevables dans le cadre d’un pourvoi devant la Cour. La Commission se fonde, à cette fin, sur l’ordonnance du président de la Cour du 10 octobre 2023, Deutsche Lufthansa/Ryanair e.a. (11).

42.      Toutefois, une exigence générale selon laquelle des documents doivent d’abord être produits devant le Tribunal aux fins d’être ensuite recevables dans le cadre d’un pourvoi devant la Cour n’est ni énoncée dans le règlement de procédure de la Cour ni ne découle de la jurisprudence des juridictions de l’Union. Il ne pouvait en être autrement : une telle règle serait tout à fait déraisonnable et contre‑productive. Je n’ai guère besoin de souligner à cet égard que les recours en annulation et en pourvoi ont un objet différent (une décision dans le premier cas, un arrêt dans le second) et que les questions de droit sur lesquelles les deux juridictions sont appelées à se prononcer peuvent, dès lors, ne pas pleinement coïncider.

43.      Plus fondamentalement, une telle règle serait contraire aux principes régissant la production des preuves devant les juridictions de l’Union. La Cour a jugé de manière constante que « le principe d’égalité des armes, qui est un corollaire de la notion même de procès équitable, garanti notamment par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [(ci-après la “Charte”)], implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses éléments de preuve, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire » (12). En ce qui concerne la production des preuves, la règle de base est que toute preuve peut être produite devant les juridictions de l’Union. Toutefois, ces juridictions peuvent prendre en compte l’existence de tout intérêt (intra – ou extra-judiciaire) susceptible de justifier, par voie d’exception, le refus d’accepter la preuve, et procéder à une mise en balance de ces intérêts avec ceux qui plaident en faveur de l’acceptation de cette preuve (13). Tel peut être le cas, par exemple, lorsqu’un document a été obtenu illégalement ou lorsqu’il contient des informations confidentielles qui ne devraient pas être divulguées au public afin de protéger certains intérêts publics ou privés.

44.      En l’espèce, les documents litigieux ont été obtenus légalement par Grail à la suite de demandes d’accès à des documents, présentées au titre du règlement no 1049/2001 (14), aux fins de contester certains passages spécifiques de l’arrêt attaqué. Étant donné que ces passages concernent l’une des questions essentielles de la présente affaire (à savoir le point de savoir si la lecture faite par le Tribunal de l’article 22 du règlement no 139/2004 est étayée par une interprétation historique de ce règlement), je ne vois aucune raison plausible pour laquelle les requérantes ne devraient pas être autorisées à se fonder sur les documents litigieux. En effet, si ces documents devaient être jugés irrecevables, les requérantes seraient de facto privées de la possibilité de contester les appréciations du Tribunal figurant aux points 69 à 117 de l’arrêt attaqué. Cela serait contraire au droit à un recours effectif et à un procès équitable consacré par l’article 47 de la Charte.

45.      De même, l’allégation de la Commission selon laquelle le Tribunal ne pourrait pas examiner les documents légalement soumis par une partie est clairement indéfendable. Comme la Cour l’a indiqué à cet égard, « le principe applicable dans le droit de l’Union est celui de la libre appréciation des preuves » (15) et « le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité » (16).

46.      L’ordonnance du président invoquée par la Commission est sans pertinence dans ce contexte. Cette affaire concernait une demande présentée à la Cour par une société en vue d’obtenir le traitement confidentiel, vis-à-vis des autres parties à la procédure, de certains éléments d’information figurant dans le corps et dans une annexe de son pourvoi. Il est important de noter que les informations pour lesquelles le traitement confidentiel a été demandé avaient été produites en première instance, mais ont ensuite été retirées du dossier parce qu’elles ont été considérées comme non pertinentes par le Tribunal. Par conséquent, ces informations n’ont pas bénéficié d’un traitement confidentiel en première instance, car le Tribunal les avait retirées du dossier sans avoir procédé à une mise en balance de leur caractère confidentiel avec les exigences liées au droit à une protection juridictionnelle effective, tel que cela est prévu à l’article 103, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal. Sur ce fondement, le président du Tribunal a rejeté la demande de traitement confidentiel, présentée par cette société, en soulignant que, dès lors que les informations en cause ne figuraient pas dans le dossier ayant servi de base à l’arrêt du Tribunal, ces informations ne pouvaient, en principe, pas être pertinentes pour le contrôle par la Cour de la légalité de cet arrêt au stade du pourvoi. Il n’y avait donc aucune raison d’accorder un traitement confidentiel, au stade du pourvoi, aux informations que la requérante avait volontairement divulguées dans ses observations.

47.      Cette ordonnance est une simple application des principes de base selon lesquels un pourvoi devant la Cour ne porte que sur des questions de droit et l’objet de cette procédure est limité à celui de la première instance et ne peut pas être modifié dans le cadre du pourvoi (17). Toutefois, contrairement à cette affaire, le présent litige concerne (i) un point de droit (interprétation de l’article 22 du règlement no 139/2004) et non l’établissement de faits controversés et (ii) une question ayant été soulevée et examinée en première instance et sur laquelle le Tribunal a statué.

48.      Il ne ressort nullement de cette ordonnance que, pour contester un passage essentiel d’un arrêt faisant l’objet d’un pourvoi, une requérante doive avoir déjà présenté les éléments de preuve pertinents en première instance. Cette ordonnance n’est pas non plus susceptible d’être lue comme impliquant que l’interprétation correcte du droit est une question qu’il incombe à la requérante au pourvoi de prouver à suffisance de droit, et encore moins qu’elle est tenue de le faire en première instance. Cela serait en contradiction manifeste avec le principe bien établi iura novit curia (18), ainsi qu’avec de nombreuses décisions de la Cour (19).

49.      Cela étant dit, la Commission mentionne à juste titre que, en principe, les arguments juridiques essentiels des requérantes doivent figurer dans la requête elle-même et que les documents joints en annexes à cette requête n’ont qu’un rôle d’appui. Ainsi, si la Cour n’est pas liée par l’interprétation du droit proposée par les parties et si elle est libre de s’inspirer à cet égard de tout document qui lui a été valablement soumis, l’on ne saurait attendre d’elle qu’elle recherche et identifie dans les annexes des pourvois les griefs et arguments sur lesquels ces pourvois sont susceptibles d’être fondés (20). Par conséquent, je ne tiendrai pas compte de tous les arguments qui ne sont pas explicitement invoqués dans les pourvois et qui ne peuvent pas être correctement compris sans l’examen des annexes.

b)      Sur le fond

50.      J’en viens maintenant au bien-fondé du premier moyen respectivement invoqué par les requérantes. En substance, ces moyens soulèvent la question de savoir si le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. Ainsi que cela a été précédemment mentionné, le Tribunal est parvenu à la conclusion qu’une interprétation « littérale, historique, contextuelle et téléologique » de cette disposition plaidait en faveur de la thèse selon laquelle les États membres peuvent demander à la Commission d’examiner une concentration qui n’est pas de dimension communautaire, même lorsqu’ils ne sont pas compétents pour contrôler une telle concentration en vertu de leur droit national. En effet, le Tribunal a constaté que l’article 22 du règlement no 139/2004 poursuit des objectifs différents, dont « celui de permettre, en tant que “mécanisme correcteur”, un contrôle effectif de toutes les concentrations susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur et échappant, en raison de l’absence de dépassement des seuils de chiffres d’affaires, aux réglementations en matière de contrôle des concentrations de l’Union et des États membres » (21).

51.      Dans les pages suivantes, j’expliquerai les raisons pour lesquelles j’estime que le Tribunal a commis une erreur dans l’interprétation de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004. Bien que les arguments tirés du libellé de la disposition, avancés par la Commission et repris par le Tribunal, aient une certaine force, un certain nombre d’autres éléments d’interprétation – qui concernent la genèse, le contexte et l’objectif de la disposition et qui revêtent une importance systémique plus large – indiquent très clairement que le sens et la portée de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 ne sont ceux ayant été retenus dans l’arrêt attaqué.

1)      Une interprétation textuelle de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004

52.      Il convient de débuter l’analyse par le libellé de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 qui mérite d’être rappelé : « Un ou plusieurs États membres peuvent demander à la Commission d’examiner toute concentration [...] qui n’est pas de dimension communautaire [...], mais qui affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande ».

53.      Ainsi que l’a constaté le Tribunal, cette disposition (i) prévoit certaines conditions devant être réunies aux fins de son application, parmi lesquelles ne figure pas l’exigence que la concentration relève du champ d’application de la réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations (22) ; (ii) utilise l’expression large « toute concentration » (23) et (iii) n’opère aucune distinction entre les États membres ayant adopté un régime national de contrôle des concentrations et ceux n’en ayant pas adopté (24). À la lumière de ce qui précède, le Tribunal est parvenu à la conclusion que, en principe, une interprétation littérale de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 venait au soutien de l’interprétation proposée par la Commission. Toutefois, dans la mesure où le libellé de la disposition ne permettait pas de tirer une conclusion définitive sur ce point, le Tribunal a considéré qu’il convenait de compléter l’analyse en recourant à d’autres méthodes d’interprétation (25).

54.      Je suis d’accord avec ces deux points.

55.      Selon une lecture prima facie du libellé de la disposition, l’interprétation large retenue par le Tribunal de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 est défendable. Les éléments énumérés ci-dessus peuvent en effet être lus comme indiquant que tous les États membres ont la possibilité de renvoyer toute concentration à la Commission, indépendamment de la question de savoir s’ils disposent ou non d’un régime national de contrôle des concentrations et, dans l’affirmative, si cette concentration relève d’un tel régime.

56.      Dans le même temps, il est également vrai que, comme l’a constaté le Tribunal, le libellé concis et général de cette disposition ne fournit pas de réponse claire à la question d’interprétation qui se pose en l’espèce.

57.      La Commission n’est pas d’accord sur ce point. Elle souligne notamment la large portée de cette disposition qui, selon elle, implique clairement (ou n’exclut pas expressément) que les États membres disposant d’un régime national de contrôle des concentrations ont également la possibilité de renvoyer des opérations qui ne relèvent pas de leurs régimes. Or, le fait d’impliquer (ou de ne pas exclure) quelque chose ne saurait être assimilé, aux fins d’une interprétation textuelle d’une disposition, au fait de l’énoncer expressément. La question de savoir si la prémisse mineure du raisonnement de la Commission (selon laquelle le champ d’application de la disposition couvre également des renvois tels que celui en cause) est la suite logique de sa prémisse majeure (selon laquelle le libellé de la disposition est large) ne peut être résolue – comme la Commission souhaiterait que la Cour le fasse- en examinant un seul alinéa du règlement no 139/2004, dans une forme d’« isolement clinique » du reste de la disposition et, plus généralement, du reste du règlement.

58.      Par principe, l’affirmation de la Commission selon laquelle, lorsque le libellé d’une disposition semble suffisamment clair, la Cour ne devrait pas recourir à d’autres moyens d’interprétation, suscite de la perplexité. La Cour est évidemment libre de recourir à toutes les méthodes d’interprétation qu’elle juge appropriées dans chaque situation spécifique. Il me semble utile d’insister sur ce point qui revêt une importance fondamentale : lorsque les questions litigieuses portent sur l’interprétation du droit, des principes tels que ceux du dispositif, de la charge de la preuve ou du niveau de preuve ne s’appliquent pas. Une fois encore, le principe essentiel dans ce contexte est le principe iura novit curia.

59.      L’argument de la Commission méconnaît également la jurisprudence constante de la Cour. Comme la Cour l’a très clairement indiqué dans l’arrêt Cilfit, « chaque disposition du droit [de l’Union] doit être replacée dans son contexte et interprétée à la lumière de l’ensemble des dispositions [du droit de l’Union] » (26). En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, « lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte ainsi que des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie » (27). Partant, la Cour n’a jamais hésité à procéder à une interprétation contextuelle et/ou téléologique d’une disposition, même lorsque son libellé était prétendument clair, afin soit de confirmer l’interprétation littérale (28), soit, le cas échéant, de s’en écarter (29).

60.      Après tout, il n’y a rien d’inhabituel dans l’importance que la Cour a constamment tout particulièrement attachée à l’interprétation contextuelle et téléologique. En effet, même la convention de Vienne sur le droit des traités, qui établit notoirement une distinction entre la « règle générale d’interprétation » et les « moyens complémentaires d’interprétation » (30), inclut tous ces éléments dans le premier groupe et établit un lien indissoluble entre eux. L’article 31, paragraphe 1, de cette convention énonce qu’ : « Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but » (31).

61.      C’est également la raison pour laquelle la Commission place à tort l’accent sur l’expression « toute concentration », employée à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004. Il convient d’examiner le type de concentrations visées par l’article 22 du règlement no 139/2004 pour déterminer ce à quoi le terme « toute » fait précisément référence. Au risque d’énoncer une évidence, l’expression « toute concentration » peut se référer uniquement à toute concentration qui, non seulement est visée par l’article 22 du règlement no 139/2004, mais qui relève aussi et a fortiori du champ d’application du règlement no 139/2004. Un examen contextuel de cette disposition s’impose donc.

62.      De même, il serait absurde de suggérer que la Cour devrait se limiter à l’examen du texte d’une disposition alors même que des éléments concrets qui mettent en cause le libellé prétendument clair de cette disposition ont été portés à sa connaissance (32). Tel est précisément le cas en l’espèce : ainsi qu’il sera démontré ultérieurement, de nombreux éléments plaident en faveur d’une lecture différente de la disposition en cause.

63.      De même, je trouve l’argument de l’Autorité de surveillance AELE, soulignant l’absence, à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004, de termes indiquant que le mécanisme de renvoi ne serait applicable qu’aux concentrations susceptibles d’être contrôlées en vertu du droit national de la concurrence des États membres, comme étant dénué de pertinence. L’Autorité de surveillance AELE souligne, à cet égard, la différence entre le libellé de l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 (qui concerne également un mécanisme de renvoi et contient ces termes) et celui de l’article 22, paragraphe 1, de ce règlement. Toutefois, cet argument méconnaît le fait que, contrairement à la première disposition, la seconde a été introduite initialement pour lutter contre les concentrations susceptibles de poser problème au niveau national lorsque l’État ou les États membres concernés ne disposent pas de régime national de contrôle des concentrations. Partant, l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 ne pouvait pas contenir d’expression telle que celle figurant à l’article 4, paragraphe 5, de ce règlement, étant donné que cela conduirait à exclure précisément les États membres pour lesquels cette disposition a été établie. Le Tribunal lui-même a d’ailleurs refusé, au point 126 de l’arrêt attaqué, d’établir un quelconque parallèle entre les deux dispositions.

64.      En tout état de cause, les objections de principe de la Commission sont non seulement infondées, mais elles sont également sans objet en l’espèce, étant donné qu’il existe au moins deux éléments textuels qui suffisent à susciter des doutes sur l’interprétation littérale qui, selon la Commission, est si claire que toute autre méthode d’interprétation de l’article 22 du règlement no 139/2004 devrait, d’emblée, être exclue.

65.      Premièrement, le titre de la disposition constitue l’un de ces éléments. L’article 22 du règlement no 139/2004 est intitulé « Renvoi à la Commission ». Le terme correspondant au « renvoi » a, dans la grande majorité des versions linguistiques (33), une connotation spécifique. En effet, ce terme suggère que cette disposition concerne, en principe, des cas qui sont, effectivement ou éventuellement, portés devant les autorités nationales et qui sont ensuite renvoyés (c’est-à-dire transmis, transférés, remis, attribués, etc.) à la Commission. Une telle interprétation est susceptible d’être conforme à l’adage juridique nemo dat quod non habet (nul ne peut donner ce qu’il n’a pas).

66.      Deuxièmement, conformément à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004, l’une des conditions à remplir pour que la Commission puisse contrôler les concentrations n’atteignant pas les seuils fixés à l’article 1er dudit règlement, est que la concentration en question « menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande » (34). Ce libellé est tout à fait logique si l’on pense que la disposition en cause vise, depuis son introduction dans le règlement initial no 4064/89, à permettre le contrôle des concentrations susceptibles de fausser la concurrence dans un État membre ne disposant pas d’un régime national de contrôle des concentrations. En outre, ce libellé est conforme à la finalité d’une disposition qui, après ses modifications en 1997 et en 2004, vise également – ainsi que cela sera souligné ultérieurement – à renforcer le caractère de guichet unique du régime de contrôle des concentrations de l’Union, en évitant autant que possible, de multiples notifications au niveau national.

67.      En revanche, le libellé de cette disposition devient moins évident si celle-ci est interprétée, comme l’a affirmé le Tribunal, comme constituant « un “mécanisme correcteur ” [...] consistant à permettre un contrôle des concentrations susceptibles d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur » (35). Si tel est le cas, pourquoi le législateur de l’Union a-t-il fait référence uniquement à des restrictions de concurrence au niveau des États membres ? Cette disposition ne doit-elle pas faire référence, plus généralement ou à titre supplémentaire, à des restrictions de concurrence au sein du marché intérieur ?  Plus fondamentalement, pourquoi la Commission aurait-elle besoin d’un renvoi par l’autorité d’un État membre si le problème de concurrence se pose au niveau de l’Union ?

68.      Les éléments textuels susmentionnés semblent de nature à susciter certains doutes sur l’interprétation prétendument simple de la disposition, proposée par la Commission.

69.      Dès lors, ainsi que cela est généralement le cas pour les dispositions juridiques qui sont, dans une certaine mesure, peu claires ou, à tout le moins, incomplètes en elles-mêmes (ce qui, à mon sens, est également le cas de la disposition en cause en l’espèce : un seul alinéa d’un article d’un règlement), le vieil adage anglais « bare reading is bare feeding [une lecture superficielle nourrit peu la réflexion] » apparaît tout à fait pertinent. Partant, aux fins de déterminer le sens et la portée exacts de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004, il est en réalité nécessaire, comme l’a considéré à juste titre le Tribunal, de recourir également aux autres méthodes d’interprétation utilisées par la Cour.

2)      Une interprétation historique de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004

70.      Aux points 96 à 117 de l’arrêt attaqué, après avoir examiné un certain nombre de documents concernant l’historique du règlement no 139/2004, le Tribunal est parvenu à la conclusion que « l’interprétation historique tend à confirmer que l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 permet à un État membre, indépendamment de la portée de sa réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations, de renvoyer à la Commission des concentrations qui n’atteignent pas les seuils de chiffres d’affaires de l’article 1er de ce règlement, mais qui risquent d’avoir des effets transfrontaliers significatifs ».

71.      Je ne suis pas d’accord avec une telle appréciation. J’ai, en particulier, quatre réserves majeures à cet égard : (i) les documents auxquels il est fait référence dans l’arrêt attaqué présentent certaines limites inhérentes à la clarification de l’intention du législateur de l’Union ; (ii) les passages cités de ces documents n’étayent pas les constatations du Tribunal ; (iii) lorsque ces documents sont lus dans leur intégralité, ils contredisent en réalité ces constatations ; et (iv) le Tribunal a omis de prendre en compte de nombreux autres documents, y compris les travaux préparatoires y afférents, lesquels viennent au soutien de l’interprétation avancée par les requérantes.

i)      Sur les limites de l’appréciation historique du Tribunal (I)

72.      Premièrement, comme le souligne à juste titre Grail, il existe deux limites importantes, inhérentes au type de documents auxquels il est fait référence dans l’arrêt attaqué comme venant au soutien de la conclusion qui en est tirée. Tous ces documents (le « livre vert de 1996 » (36), le « livre vert de 2001 » (37), la « proposition de la Commission de 2003 » (38) et le « document de travail des services de 2009 » (39)) ont été rédigés par la Commission et sont postérieurs à l’adoption du règlement no 4064/89. L’approche retenue par le Tribunal suscite, selon moi, une grande perplexité en l’espèce.

73.      La Commission a été interrogée lors de l’audience sur le point de savoir si la large portée alléguée de (ce qui est désormais) l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 (i) existait déjà dans le règlement initial no 4064/89 adopté en 1989 ; (ii) a été ajoutée lors de la modification de cette disposition en 1997 ; ou (iii) a été introduite lors de l’adoption du nouveau règlement no 139/2004 en 2004. La Commission a répondu sans hésitation que cette large portée existait dès le début : à savoir, à l’article 22, paragraphe 4, du règlement no 4064/89, tel qu’adopté en 1989. L’Autorité de surveillance AELE était du même avis (40).

74.      Si tel est le cas, il me semble que, pour procéder à une appréciation historique du sens et de la portée de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004, les documents postérieurs à l’adoption du règlement no 4064/89 en 1989 revêtent une moindre importance que les documents antérieurs à l’adoption de ce règlement. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’expliquer pourquoi les documents préparatoires (c’est-à-dire les documents utilisés lors de l’élaboration d’une disposition donnée) sont généralement plus significatifs que les documents ex post facto pour prouver l’intention du législateur.

75.      À cet égard, j’estime également que l’arrêt attaqué est contradictoire. Au point 115 de cet arrêt, le Tribunal a refusé, par principe, d’examiner cinq documents rédigés par la Commission et mentionnés dans les mémoires des requérantes, qui démontreraient que, jusqu’à une date récente, la Commission elle‑même n’a pas interprété l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 de la manière proposée dans la présente procédure.

76.      Si la large portée de cette disposition existait depuis l’adoption du règlement no 4064/89 en 1989, pourquoi le Tribunal a-t-il tenu compte de plusieurs documents qui ont été rédigés après 1989, mais pas de ceux mentionnés par les requérantes ? Si, en revanche, la portée de la disposition a été élargie avec l’adoption du règlement no 139/2004 en 2004, pourquoi le Tribunal n’a-t-il cité aucun document de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de ce règlement, et en particulier ceux émanant de l’institution qui a agi comme seul législateur, à savoir le Conseil ? Cela m’amène au point suivant.

77.      En réalité, il est assez surprenant que, pour confirmer l’interprétation de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 avancée par la Commission, le Tribunal ne se soit fondé que sur des documents rédigés par la Commission elle-même et n’ait cité aucun document émanant du Conseil.

78.      Je peux certainement convenir qu’un document officiel exposant le point de vue de la Commission en ce qui concerne le sens et la portée d’une disposition donnée d’un règlement ou d’une directive revêt une certaine importance, notamment lorsque cette disposition a été incluse dans la proposition initiale et n’a pas fait l’objet de discussions ou de modifications importantes au cours du processus législatif. Toutefois, le point de vue de la Commission ne saurait être considéré comme un élément déterminant pour l’interprétation de la disposition par la Cour. Cela est d’autant plus vrai lorsque la disposition a été ajoutée par le Conseil à un stade relativement tardif du processus législatif, à la suite de longues discussions, comme cela est le cas de (ce qui est maintenant) l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004.

79.      Dans ce contexte, je trouve problématique qu’aucun des documents mentionnés aux points 96 à 117 de l’arrêt attaqué ait été rédigé par le Conseil et/ou soit antérieur à l’adoption du règlement no 4064/89 en 1989.

ii)    Les limites de l’appréciation historique du Tribunal (II)

80.      Deuxièmement, les documents historiques sur lesquels le Tribunal s’est fondé n’étayent pas réellement la conclusion qui en est tirée, et ce pour deux raisons : (i) les passages auxquels il est fait référence dans l’arrêt attaqué sont sans pertinence aux fins du présent litige et (ii) d’autres passages plus pertinents des mêmes documents ont été négligés ou leur importance a été indûment minimisée.

81.      Le Tribunal a débuté son appréciation historique de cette disposition en indiquant que « ledit mécanisme de renvoi faisait suite au souhait du Royaume des Pays-Bas, qui ne disposait pas d’un tel régime [de contrôle des concentrations] à l’époque, de faire examiner, par la Commission, des concentrations ayant des effets négatifs sur son territoire, à condition que ces concentrations affectent également le commerce entre États membres, raison pour laquelle ledit mécanisme a été dénommé “clause néerlandaise” » (41). Il s’est ensuite référé à un certain nombre de documents pertinents, dont il résulterait que : (i) le mécanisme de renvoi est généralement considéré comme un instrument utile, en particulier pour les États membres qui ne disposent pas actuellement d’un régime de contrôle des concentrations, mais son usage ne leur serait en aucun cas réservé (42) ; (ii) le mécanisme viserait à permettre aux États membres de demander à la Commission d’examiner une concentration ayant des effets transfrontaliers lorsque les seuils prévus à l’article 1er de ce règlement ne sont pas atteints (43) ; (iii) les objectifs de ce mécanisme ont été étendus au fil du temps afin de permettre des demandes conjointes de renvoi pour éviter de multiples notifications au niveau national sans remettre en question son objectif initial (44) ; et (iv) les modifications apportées à cette disposition montreraient que la Commission a privilégié un recours accru au mécanisme de renvoi (45).

82.      Toutes ces affirmations du Tribunal sont, à mon sens, correctes sur le plan factuel. C’est une lapalissade que d’affirmer que l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 s’applique aux concentrations ayant des effets transfrontaliers qui n’atteignent pas les seuils fixés à l’article 1er de ce règlement. En outre, il n’est même pas contesté que le mécanisme de renvoi prévu à l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004 peut être utilisé tant par les États membres qui ne disposent pas d’un régime de contrôle des concentrations que par les États membres qui disposent d’un régime de contrôle. Enfin, il ne fait pas non plus de doute que le mécanisme de renvoi a été modifié au fil du temps en vue d’élargir ses objectifs et d’en permettre un usage plus fréquent.

83.       Toutefois, rien dans ces constatations n’apporte, directement ou indirectement, de clarifications sur la question qui est au cœur du présent moyen, c’est-à-dire sur le point de savoir si l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 permet ou non aux États membres qui disposent d’un régime national de contrôle des concentrations de renvoyer des opérations qui ne relèvent pas de ce régime.

84.      Dès lors, non seulement les documents mentionnés dans l’arrêt attaqué ont une valeur persuasive relative, mais, après un examen plus approfondi, les parties de ces documents ayant été citées n’étayent nullement la conclusion finale qui en est tirée au point 116 de cet arrêt. Les conclusions du Tribunal sont, par conséquent, dénuées de pertinence.

iii) Les limites de l’appréciation historique du Tribunal (III)

85.      Troisièmement, lorsqu’ils sont lus dans leur intégralité, les documents mêmes auxquels il est fait référence dans l’arrêt attaqué semblent contredire les conclusions du Tribunal et, partant, corroborer l’interprétation avancée par les requérantes. Il convient de souligner l’importance de ce point. Selon une jurisprudence constante de la Cour, les documents sur lesquels se fonde le Tribunal doivent être lus dans leur intégralité pour apprécier correctement leur valeur probante. Se livrer à des extrapolations à partir d’un ou plusieurs passages spécifiques d’un document, puis tirer des conclusions au regard de passages qui sont incompatibles avec le contenu réel du document lu dans son ensemble constitue une erreur de droit (46).

86.      Ces principes sont, à mon sens, pertinents dans ce contexte.

87.      Tout d’abord, il me semble surprenant que le point 99 de l’arrêt attaqué minimise l’importance du passage du livre vert de 2001, en indiquant que – étant donné que, à la date d’adoption de ce livre, seul le Grand-Duché de Luxembourg ne disposait pas d’un régime de contrôle des concentrations – « en pratique, […] le potentiel d’application de l’article 22, paragraphe 3, sous sa forme originale [était] très limité » (47). Il est exact que ce passage implique, comme le Tribunal l’a affirmé à juste titre, que rien n’empêchait les États membres autres que le Luxembourg de recourir à l’article 22, paragraphe 3, du règlement no 4064/89 (48). Là encore, cela n’est pas l’objet du présent litige. En effet, ce passage laisse entendre que, en raison des limites à l’utilisation du mécanisme de renvoi par les États membres disposant d’un régime de contrôle des concentrations, le recours concret au mécanisme de renvoi avait été réduit au fil du temps. La plupart des États membres avaient entre-temps adopté un régime national de contrôle des concentrations et, par conséquent, ils avaient un intérêt plus limité et moins d’opportunités de renvoyer une opération à la Commission.

88.      Lu de cette manière, le passage litigieux est en parfaite cohérence avec les extraits des documents cités aux points précédents de l’arrêt attaqué et étaye la position des requérantes, à savoir que le mécanisme de renvoi avait été conçu et considéré comme « particulièrement » utile pour les États membres qui ne disposaient pas de régime de contrôle des concentrations. Si les États membres qui disposaient d’un régime de contrôle des concentrations avaient pu renvoyer toute concentration, relevant ou non de leurs régimes, l’utilisation et l’opportunité du mécanisme pour ces États membres n’auraient pas été très affectées par l’adoption d’un régime national et le mécanisme n’aurait certainement pas été « limité ».

89.      En outre, d’autres passages très clairs et significatifs des documents auxquels le Tribunal fait référence n’ont pas été mentionnés dans l’arrêt attaqué.

90.      Par exemple, lors de l’examen des limites du cadre réglementaire alors en vigueur et des options disponibles pour le modifier afin d’attirer davantage de concentrations ayant des effets transfrontaliers, le livre vert de 1996 ne fait aucune mention d’une prétendue possibilité de renvoyer à la Commission des concentrations qui échappent aux régimes nationaux de contrôle des concentrations au titre de l’article 22 du règlement no 4064/89. En effet, il est fait référence à cette disposition comme d’une disposition concernant uniquement « le partage des compétences entre la Commission et les États membres ». Le livre vert de 1996 va même jusqu’à affirmer que « au-dessous des seuils [du règlement no 4064/89], les opérations sont soumises au contrôle national des concentrations, s’il en existe un » (49).

91.      Le livre vert de 2001 est même ensuite encore plus clair en ce qu’il contredit l’interprétation retenue par le Tribunal de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004. Premièrement, le document indique que ses objectifs (« de renforcer l’application du droit communautaire de la concurrence aux opérations ayant des effets transfrontaliers, ainsi que le principe de guichet unique, et de résoudre le problème des notifications multiples ») devaient être atteints en veillant à ce que les opérations donnant lieu à des notifications multiples au niveau national puissent être traitées par la Commission (50). Il va sans dire que les opérations donnant lieu à des notifications multiples ne sont pas celles n’atteignant pas les seuils nationaux. En effet, ce document fait largement référence à des renvois pour des cas qui font l’objet de notifications obligatoires et/ou volontaires au niveau national (51), mais il ne contient pas le moindre indice en ce sens que le mécanisme de renvoi pourrait également être utilisé pour des concentrations qui ne peuvent pas faire l’objet d’une notification au niveau national (52).

92.      Deuxièmement, le livre vert de 2001 indiquait que l’une des raisons pour lesquelles le mécanisme de renvoi prévu à l’article 22 du règlement no 4064/89 était sous-utilisé résidait dans « les différences techniques qui subsistent entre les procédures nationales de contrôle des concentrations, notamment en ce qui concerne le fait déterminant la notification et les règles concernant les délais de notification » (53). De toute évidence, une telle considération n’aurait pas été pertinente si l’article 22 du règlement no 4064/89 autorisait les États membres à renvoyer des concentrations à la Commission indépendamment de la question de savoir si une obligation de notification a été déclenchée au niveau national (54). De même, si la position retenue par le Tribunal était correcte, l’on ne saurait expliquer les déclarations figurant dans le livre vert de 2001, selon lesquelles la possibilité de rendre plus opérationnels les renvois conjoints au titre de l’article 22, paragraphe 3, du règlement no 4064/89 serait difficile à mettre en œuvre, car cela supposerait la réalisation d’un « degré suffisant d’harmonisation » des législations nationales (55).

93.      En ce qui concerne la proposition de la Commission de 2003, son point 21 était libellé comme suit : « L’une des fonctions initiales de cet article [22 du règlement no 4064/89] consistait à permettre aux États membres qui n’ont pas de droit national en matière de contrôle des concentrations de renvoyer à la Commission les opérations qui ont des effets sur le commerce entre États membres ; aujourd’hui, seul le Luxembourg se trouve dans ce cas. Néanmoins, il ne faudrait pas éliminer totalement la possibilité pour un seul État membre de renvoyer des affaires à la Commission » (56).  Cela suggère que l’utilisation unilatérale du mécanisme de renvoi par les États membres, bien que possible, a été considérée comme peu probable. On peut soutenir que si l’article 22 du règlement no 4064/89 avait permis aux États membres disposant d’un régime de contrôle des concentrations de renvoyer également les affaires qu’ils ne pouvaient pas examiner, le recours au mécanisme de renvoi n’aurait pas pu être considéré comme peu probable.

94.      En outre, les points 22 à 25 de cette proposition indiquaient également que la faiblesse principale des dispositions relatives au renvoi (articles 9 et 22 du règlement no 4064/89) résidait dans le fait que ces dispositions ne [pouvaient] être appliquées qu’après la notification d’une opération soit à la Commission, soit aux autorités de concurrence nationales. De plus, il ressort clairement du point 28 de ce document que la possibilité pour la Commission d’inviter les États membres à présenter une demande de renvoi se limitait aux opérations qui avaient déjà été notifiées.

95.      Enfin, le point 133 du document de travail des services de 2009 indique clairement que : (i) loin d’être un problème aussi simple que le soutient la Commission, la question de savoir si les États membres disposant d’un régime de contrôle des concentrations devraient être autorisés à recourir à l’article 22 du règlement no 139/2004 pour les concentrations qui ne relèvent pas de ces régimes était, même si le libellé ne semblait pas l’exclure, une question controversée et que la plupart des États membres ayant pris position sur cette question ont penché en faveur d’une réponse négative (57) ; (ii) certaines parties concernées consultées (ce qui incluait les ANC) se sont même demandées si une disposition telle que l’article 22 du règlement no 139/2004 devait continuer à exister, étant donné que le fait d’« autoriser un État membre non compétent à procéder ou à se joindre à un renvoi au titre de l’article 22 » créait des problèmes de prévisibilité, d’insécurité juridique et de durée excessive des procédures ; et (iii) la raison d’être initiale de l’article 22 étant devenu presque obsolète, cette disposition servait toujours un objectif, à savoir « lorsqu’un État membre, après une période d’examen d’une opération, estime que celle-ci serait mieux examinée par la Commission » (58).

96.      Je conclus donc que non seulement les documents invoqués aux points 96 à 117 de l’arrêt attaqué n’étayent pas la conclusion qu’en a tirée le Tribunal, mais que ces documents, lorsqu’ils sont lus dans leur intégralité, contredisent en réalité cette conclusion.

iv)    Les limites de l’appréciation historique du Tribunal (IV)

97.      Quatrièmement, l’erreur commise par le Tribunal en ce qu’il a conclu que l’interprétation historique de l’article 22 du règlement no 139/2004 venait au soutien de la thèse selon laquelle cette disposition a une large portée devient encore plus évidente si l’on examine d’autres documents pertinents, parmi lesquels, notamment, certains travaux préparatoires, y compris ceux rédigés par le Conseil.

98.      Les travaux préparatoires montrent très clairement que, lors des discussions et négociations qui ont conduit à l’adoption du règlement no 4064/89 par le Conseil en 1989, certains des sujets les plus controversés concernaient la définition du champ d’application matériel du règlement et son articulation avec d’autres règles (communautaires et nationales) qui pouvaient également s’appliquer aux opérations notifiées au titre de ce règlement. Deux questions se sont notamment posées : l’application du règlement no 4064/89 était-elle exclusive ou les États membres pouvaient-ils également contrôler en parallèle les concentrations notifiées ? L’application du règlement no 4064/89 excluait-elle a priori l’application des articles 85 et 86 CEE alors en vigueur à la même opération (59) ?

99.      À cet égard, un accord a finalement été trouvé, au sein du Conseil, à savoir que la compétence de la Commission au titre du règlement no 4064/89 devait être exclusive et que les concentrations n’atteignant pas les seuils fixés dans le règlement no 4064/89 devaient être contrôlées, en revanche, par les seules autorités nationales (60). En outre, alors qu’il n’était pas possible d’exclure l’application des articles 85 et 86 du traité CEE (droit primaire) aux opérations relevant du règlement, l’on pouvait en revanche limiter l’application de la législation mettant en œuvre ces dispositions à ces opérations (61). Cela a conduit à ajouter deux paragraphes à l’article 22 de la proposition de la Commission (62).

100. Cet accord au sein du Conseil a soulevé le problème des différents États membres qui, à cette date, ne disposaient pas d’un régime national de contrôle des concentrations (y compris la Belgique, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas) : qui contrôlerait les concentrations n’atteignant pas les seuils du règlement no 4064/89 mais ayant un impact sur leur marché national ? Cela a été l’origine de l’introduction de la « clause néerlandaise », qui permettait à la Commission de « se substituer » aux autorités nationales et d’agir en leur nom, à titre exceptionnel, lorsqu’il n’existait pas de législation en matière de contrôle des concentrations ou lorsque ces autorités, en raison de leur relative inexpérience ou de ressources limitées, considéraient la Commission comme une autorité « mieux placée » pour contrôler une concentration qui leur avait été notifiée.

101. En effet, tant le Conseil que la Commission ont considéré que l’on pouvait « raisonnablement supposer » que les concentrations n’atteignant pas les seuils du règlement no 4064/89 avaient, d’une manière générale, une incidence insuffisante sur le commerce pour justifier un examen au niveau de l’Union (63). Le Conseil et la Commission avaient connaissance du fait que les seuils du règlement no 4064/89 pouvaient être fondés sur diverses valeurs et que ces valeurs étaient fixées à des montants différents (tout montant serait nécessairement une approximation) (64).  Par conséquent, il était tout à fait clair pour toutes les parties impliquées dans le processus législatif, y compris le commissaire à la concurrence de l’époque (65), que, indépendamment du type et du montant des seuils choisis, certaines concentrations susceptibles d’affecter le marché commun échapperaient, en tout état de cause, à un contrôle ex ante de la Commission dans le cadre du règlement no 4064/89 (66). Toutefois, cela a été considéré comme inévitable pour plusieurs raisons, notamment, pour maintenir la charge de travail de la Commission à des niveaux raisonnables (67), pour assurer la sécurité juridique des parties à la concentration (68) et pour instaurer une répartition équilibrée et claire des compétences entre la Commission et les autorités nationales (69). En tout état de cause, il était clair que les articles 85 et 86 du traité CEE autorisaient alors une intervention ex post pour toutes les concentrations ne respectant pas les seuils (70).

102. En effet, aucun document, parmi les très nombreux travaux préparatoires relatifs à la version originale du règlement no 4064/89, soumis par les parties, ne fait état du mécanisme de renvoi prévu à l’article 22, paragraphes 3 à 5, du règlement no 4064/89 comme ayant l’objectif « correctif » mentionné par le Tribunal. Aux fins de confirmer cette constatation, il a été demandé à la Commission lors de l’audience si elle pouvait mentionner un tel document et la Commission n’a pas été en mesure de le faire. Cela n’est pas surprenant, selon moi, étant donné que bon nombre des discussions qui ont eu lieu au sein du Conseil concernant le libellé précis de cette disposition, ainsi que cela ressort des travaux préparatoires, deviendrait incompréhensible si les concentrations n’atteignant pas les seuils nationaux pouvaient toujours être contrôlées grâce au mécanisme de renvoi.

103. Il en va de même, mutatis mutandis, en ce qui concerne les modifications apportées au règlement no 4064/89 en 1997. Ainsi que cela a été indiqué au point 82 des présentes conclusions, il est exact que le législateur de l’Union a entendu élargir la portée du mécanisme de renvoi prévu à l’article 22 du règlement no 4064/89. Toutefois, il n’y a aucune trace dans les travaux préparatoires relatifs à la révision du règlement du fait que les modifications poursuivaient l’objectif de combler des lacunes, suggéré par le Tribunal. Au contraire, l’objectif même de renforcer le système du guichet unique en évitant les notifications multiples va à l’encontre de l’interprétation de l’article 22 du règlement no 139/2004 retenue par le Tribunal.

104. En effet, je trouve intrinsèquement paradoxal que le Tribunal se réfère à un document qui explique que la raison d’être de la modification de 1997 de l’article 22 du règlement no 4064/89 était d’éviter les notifications multiples pour retenir une interprétation de cette disposition, qui – comme cela sera expliqué dans la suite des présentes conclusions (71)– encouragera de facto les entreprises qui, en vertu du droit de l’Union et de la législation nationale sur le contrôle des concentrations, ne sont pas tenues d’effectuer la moindre notification à en faire tout de même (potentiellement, jusqu’à 30) (72) par simple précaution.

105. En outre, les documents historiques relatifs à l’adoption, en 2004, du règlement no 139/2004 n’étayent pas les conclusions du Tribunal concernant la volonté du législateur de l’Union de recourir au mécanisme de renvoi prévu à l’article 22 pour remédier aux prétendues lacunes découlant de la rigidité des seuils prévus à l’article 1er du règlement (73). L’idée sous-jacente aux modifications apportées aux dispositions de l’article 22 du règlement no 139/2004 visait à renforcer la fonction de guichet unique du mécanisme de renvoi qui évite aux parties à la concentration de devoir faire de multiples notifications. Le libellé même des modifications en témoigne assez clairement (74).

106. Enfin, certains documents rédigés par la Commission après l’adoption du règlement no 139/2004 fournissent également quelques indications utiles. Ainsi que cela a été précédemment mentionné, leur valeur interprétative ne peut être que relative. Toutefois, dans la mesure où le Tribunal lui-même s’est fondé uniquement sur des documents de la Commission postérieurs à l’adoption du règlement no 4064/89, ces documents supplémentaires permettent d’obtenir une image plus complète, en fournissant des indications intéressantes dans la lecture historique de l’article 22 règlement no 139/2004, effectuée par la Commission.

107. En particulier, dans la « Communication de la Commission sur le renvoi des affaires en matière de concentrations » de 2005 (75), publiée à la suite de l’adoption du règlement no 139/2004, les renvois au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 sont systématiquement désignés comme étant des renvois « postérieurs à la notification » (76). L’utilisation de cette expression est difficilement conciliable avec l’affirmation, formulée à plusieurs reprises par la Commission, selon laquelle celle-ci a toujours interprété cette disposition comme permettant aux États membres de renvoyer des opérations n’atteignant pas les seuils fixés par le droit national. Si l’on suivait les arguments de la Commission, il serait également étrange que le même document ne fasse aucune référence, lorsqu’il énumère « les catégories d’opérations qui se prêtent normalement le mieux à un renvoi à la Commission en vertu de l’article 22 », à des concentrations qui soulèvent de graves problèmes de concurrence alors qu’elles ne relèvent d’aucun régime de contrôle des concentrations au sein de l’Union (77). Il est permis de penser que cette situation aurait dû figurer en tête de liste.

108. De même, dans son livre blanc de 2014 intitulé « Vers un contrôle plus efficace des concentrations dans l’UE », la Commission a notamment proposé de « rend[re] le système de renvoi d’affaires à la fois plus efficient et plus efficace grâce à [...] une modification de l’article 22 permettant de renforcer l’adhésion au principe du guichet unique » (78). De manière intéressante, les modifications proposées de l’article 22 du règlement no 139/2004 mentionnaient expressément que seuls les États membres qui sont « compétents pour examiner une opération sur le fondement de leur droit interne » pouvaient demander un renvoi à la Commission ou s’y opposer (79). On peut légitimement avoir des doutes sur le fait que, avec de telles propositions, la Commission visait à restreindre la portée de l’article 22 du règlement no 139/2004, car cela irait à l’encontre à la fois de l’objectif général de rendre le régime de contrôle des concentrations plus efficace et effectif et de l’objectif plus spécifique d’améliorer les mécanismes de renvoi, « aussi bien avant qu’après notification » (80). Cela dit en passant, j’observe que, toujours dans ce document, la Commission a de nouveau fait référence au mécanisme de l’article 22 du règlement no 139/2004 en tant que renvoi « d’affaires préalablement notifiées » ou renvoi « postérieurement à la notification » (81).

109. Enfin, la feuille de route de 2016 de la Commission sur l’évaluation des aspects procéduraux et juridictionnels du contrôle des concentrations de l’Union semble également présenter un intérêt. Dans ce document, la Commission examine la possibilité de compléter les seuils de compétence actuels basés sur le chiffre d’affaires par d’autres seuils basés sur des critères alternatifs, ainsi que la nécessité de rationaliser le système de renvoi. Selon moi, il ne peut guère y avoir deux sujets qui soient plus étroitement liés à la question en cause dans le cadre du présent litige. Il est donc tout à fait frappant que, dans un tel document, aucune mention ne soit faite de la portée prétendument large de l’article 22 du règlement no 139/2004. Incidemment, le document fait également référence au système de renvoi comme d’un système se rapportant à « la répartition correcte des opérations » et au renvoi des États membres à la Commission comme d’un mécanisme « postérieur à la notification » (82).

110. Ma conclusion intermédiaire est qu’une interprétation historique de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/200 étaye sans équivoque la conclusion selon laquelle le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qui concerne le sens et la portée du mécanisme de renvoi en question.

3)      Une interprétation historique de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004

111. Je porte à présent mon examen sur les points 118 à 139 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a procédé à une interprétation contextuelle de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004. À cette fin, le Tribunal a examiné 12 éléments de contexte, inclus dans 5 dispositions (ou ensembles de dispositions) du règlement no 139/2004. Après avoir examiné ces éléments, le Tribunal est parvenu à la conclusion qu’« il résult[ait] de l’interprétation contextuelle qu’une demande de renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 peut être présentée indépendamment de la portée d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations » (83).

112. Je ne partage pas cette conclusion, et ce pour quatre raisons distinctes : (i) les dispositions du règlement no 139/2004 autres que l’article 22 ne confirment l’interprétation retenue par le Tribunal, (ii) les autres paragraphes et alinéas de l’article 22 ne le font pas non plus ; (iii) le Tribunal a minimisé à tort l’importance de certains éléments de contexte qui – bien qu’ils ne soient nullement déterminants – semblent revêtir une certaine importance lorsqu’ils sont correctement examinés, et (iv) le Tribunal a également négligé certains autres éléments de contexte qui semblent contredire ses propres conclusions.

i)      Sur les limites de l’appréciation contextuelle du Tribunal (I)

113. Le Tribunal a commencé son appréciation contextuelle en examinant si le libellé des dispositions du règlement no 139/2004 autres que l’article 22 de ce règlement pouvait apporter un éclairage sur le sens et la portée de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, dudit règlement. À cette fin, il a d’abord examiné quatre dispositions (ou ensembles de dispositions) du règlement.

114. Premièrement, le Tribunal a constaté que les bases juridiques choisies par le législateur de l’Union (actuels articles 103 et 352 TFUE) (84) pour l’adoption, tout d’abord du règlement no 4064/89, puis du règlement no 139/2004, ne fournissaient aucune indication sur le sens et la portée corrects de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004. Le Tribunal a ainsi rejeté la thèse d’Illumina selon laquelle les bases juridiques étayaient l’interprétation qu’elle proposait de cette disposition (85).

115. Cette conclusion est, selon moi, correcte. Il ressort des considérants du règlement no 4064/89 et du règlement no 139/2004 (86) ainsi que des travaux préparatoires (87) que le législateur de l’Union a considéré que l’article 103 TFUE – qui permet l’adoption d’une réglementation « en vue de l’application des principes figurant aux articles 101 et 102 [TFUE] » – était, à lui seul, insuffisant pour instaurer un régime de contrôle des concentrations visant à empêcher la simple création de positions dominantes (à distinguer de l’exploitation abusive d’une telle position dominante, interdite par l’article 102 TFUE) ainsi qu’à appréhender des concentrations sur le marché des produits agricoles qui, en vertu de l’article 38, paragraphe 3, TFUE et de l’annexe I au traité FUE (88), pourraient être soumises à un régime juridique spécifique prévoyant des exceptions à la pleine application des règles de concurrence de l’Union. Par conséquent, le législateur de l’Union a estimé nécessaire de fonder le règlement également sur l’article 352 TFUE (89).

116. La question de savoir si les bases juridiques du règlement no 139/2004 sont susceptibles d’être pertinentes aux fins du présent litige a également été longuement discutée lors de l’audience. La Commission a fait valoir, pour sa part, que le choix du législateur confirmerait indirectement sa position, étant donné que l’article 352 TFUE est une disposition susceptible de créer une nouvelle compétence en faveur des États membres, leur permettant de demander à la Commission de contrôler une concentration donnée, même en l’absence de compétence en ce sens en vertu du droit national. Toutefois, indépendamment de la question de savoir si l’article 352 TFUE pourrait être lu de cette manière, je n’ai trouvé aucune trace d’une telle considération du législateur dans aucun document historique. Ainsi que je l’ai indiqué, tant les considérants que les travaux préparatoires font clairement apparaître que le choix de la base juridique par le législateur n’a pas été influencé par la portée de l’article 22 du règlement no 139/2004 (90).

117. Deuxièmement, le Tribunal s’est référé à l’article 1er, paragraphes 1 et 2, du règlement no 139/2004 qui fixe les seuils au-dessus desquels une concentration est réputée avoir « une dimension communautaire » (et donc être soumise au régime de notification obligatoire) et qui précise que ces seuils sont « sans préjudice de l’article 4, paragraphe 5, et de l’article 22 ». Le Tribunal a déduit de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, du règlement no 139/20041 que « le champ d’application du règlement no 139/2004 et, par conséquent, la compétence d’examen de la Commission relative aux concentrations dépendent, à titre principal, du dépassement des seuils des chiffres d’affaires définissant la dimension européenne et, à titre subsidiaire, des mécanismes de renvoi prévus à l’article 4, paragraphe 5, et à l’article 22 de ce règlement, lesquels complètent lesdits seuils en autorisant l’examen, par la Commission, de certaines concentrations n’ayant pas une dimension européenne » (91).

118. Une nouvelle fois, la conclusion du Tribunal à cet égard est entièrement correcte et aucune des parties ne conteste le fait que l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 permet à la Commission de contrôler certaines concentrations n’atteignant pas les seuils fixés à l’article 1er du règlement no 139/2004. Néanmoins, la conclusion du Tribunal n’apporte aucun éclairage sur la véritable question soulevée dans le cadre du présent litige, à savoir : quelles concentrations n’atteignant pas les seuils du règlement no 139/2004 peuvent être contrôlées par la Commission conformément à l’article 22 dudit règlement ?

119. Troisièmement, le Tribunal a pris en considération le libellé de l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 139/2004. Cette disposition comporte un autre mécanisme de renvoi, permettant aux parties à une concentration qui n’est pas de dimension communautaire et qui est susceptible d’être contrôlée au regard du droit national de la concurrence d’au moins trois États membres de demander que cette concentration soit examinée par la Commission. Ainsi que l’a relevé le Tribunal, ces deux dispositions diffèrent sensiblement en ce qui concerne leurs conditions d’application et leur finalité. Le Tribunal a ainsi refusé d’interpréter l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 à la lumière de l’article 4, paragraphe 5, de ce règlement (92).

120. Pour les raisons exposées au point 63 des présentes conclusions, cette approche me paraît justifiée. Selon moi, le libellé de l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 n’est tout simplement pas concluant en ce qui concerne l’interprétation de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement.

121. Quatrièmement, le Tribunal a jugé que l’article 22 du règlement no 139/2004 « ne saurait être interprété à la lumière des mécanismes de renvoi prévus à l’article 4, paragraphe 4, et à l’article 9 dudit règlement » (93). Les différences de libellé de ces dispositions démontrent, pour le Tribunal, que ces mécanismes ne sont « pas […] alignés » et que, par conséquent, aucune déduction quant au sens et à la portée de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/200 ne saurait être tirée (94).

122. Une fois de plus, la conclusion du Tribunal est correcte : les arguments des requérantes à cet égard n’étaient pas convaincants. Dans le même temps, il peut être utile d’ajouter que ces dispositions n’étayent pas non plus les arguments de la Commission : en effet, ces dispositions n’apportent aucun élément en ce qui concerne la question en cause dans le cadre du présent litige.

ii)    Sur les limites de l’appréciation contextuelle du Tribunal (II)

123. Enfin, aux points 130 à 138 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné le sens et la portée de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 à la lumière des autres paragraphes et alinéas de cette disposition. À cette fin, le Tribunal a examiné huit éléments à l’article 22 du règlement no 139/2004.

124. Premièrement, contrairement à ce qu’a affirmé le Tribunal (95), le libellé de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 – qui prévoit que la demande de renvoi « doit être présentée au plus tard dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date de notification de la concentration ou, si aucune notification n’est requise, de sa communication à l’État membre intéressé » (96) – ne signifie pas que le premier alinéa de cette disposition « régit [...] les situations dans lesquelles les concentrations ne sont pas notifiées, mais simplement communiquées à l’État membre intéressé, soit parce que celles-ci ne relèvent pas du champ d’application dudit régime, soit parce qu’un tel régime n’existe pas » (97).

125. Le Tribunal a méconnu le fait évident que le terme « communication » était nécessaire pour que la disposition remplisse sa fonction essentielle de « clause néerlandaise » : permettre aux États membres ne disposant pas d’un régime national de contrôle des concentrations de demander à la Commission de contrôler les concentrations susceptibles de poser des problèmes au niveau national.

126. En outre, le Tribunal a ignoré les modifications apportées au fil du temps à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004. Dans le règlement initial no 4064/89, cette disposition se limitait à faire référence à une demande à présenter « dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle l’opération de concentration a été communiquée à l’État membre ou réalisée ». À la suite de la modification du règlement no 139/2004 en 1997, cette disposition était libellée comme suit : « Celle-ci doit intervenir au plus tard dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle l’opération de concentration a été portée à la connaissance de l’État membre ou des États membres introduisant une demande commune ou a été réalisée ». Enfin, ce n’est qu’avec l’adoption du règlement no 139/2004 que cette disposition a été modifiée de manière à inclure également une référence à la « notification » de la concentration (98).

127. Que nous apprennent ces modifications ? Selon moi, elles confirment clairement ce qui ressortait de l’analyse des travaux préparatoires : (i) l’article 22 du règlement initial no 4064/89 a été conçu pour régir les renvois effectués par les États membres ne disposant pas d’un régime de contrôle des concentrations (d’où l’absence de mention d’une quelconque notification) ; (ii) l’article 22 du règlement no 4064/89 a été modifié en 1997 pour permettre le renvoi par plusieurs États membres, aux fins d’éviter les notifications multiples, lorsque la Commission était considérée comme étant l’autorité la mieux placée (d’où l’introduction de la référence aux demandes communes) ; et (iii) l’article 22 du règlement no 139/2004 a consolidé l’acquis de l’article 22 et renforcé la fonction de guichet unique de cette disposition (d’où l’introduction de la référence aux notifications) (99). Partant, la conclusion du Tribunal, fondée sur le libellé de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, n’est, selon moi, pas correcte.

128. Deuxièmement, le Tribunal a jugé que les requérantes ne pouvaient pas se fonder sur le libellé de l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 139/2004 qui impose à la Commission d’informer « les autorités compétentes des États membres » d’une demande de renvoi. Cette référence est générique et n’implique pas qu’une notification au niveau national ait été effectuée ou soit, à tout le moins, possible (100).

129. Je partage, pour partie, l’avis du Tribunal. Considéré isolément, cet élément ne semble pas concluant pour déterminer le sens et la portée de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004. Néanmoins, comme je l’expliquerai aux points 152 à 162 des présentes conclusions, la disposition en question n’est pas dépourvue de toute signification, lorsqu’elle est appréciée en combinaison avec d’autres dispositions pertinentes.

130.  Troisièmement, le Tribunal a jugé que l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004 – qui prévoit que « [t]out autre État membre a le droit de se joindre à la demande initiale [de renvoi] » – était « en cohérence avec son paragraphe 1 et confirme que tout État membre peut présenter une demande de renvoi ou de jonction au titre de cet article, indépendamment de la portée de sa réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations » (101).

131. Il s’agit, certes, d’un élément qui, comme l’a relevé le Tribunal, semble conforter la position de la Commission. Toutefois, la valeur convaincante d’un tel élément est plutôt limitée, et ce pour les quatre raisons suivantes :

–        d’emblée, comme le Tribunal l’a lui-même relevé, le libellé de l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004 est similaire à celui de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement. Compte tenu du lien étroit et intrinsèque entre les deux dispositions (qui prévoient respectivement qui peut présenter une demande et qui peut introduire une demande commune), cela est tout à fait logique. Il n’est donc pas surprenant que les deux dispositions contiennent des termes qui, de manière similaire, sont inconditionnels. Toutefois, dans la mesure où la première disposition est prétendument peu claire, le libellé correspondant de la seconde peut difficilement être considéré comme donnant des indications fiables sur la signification de la première ;

–        le libellé de l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004 est également peu clair pour une autre raison. En effet, le considérant 15 du règlement no 139/2004 – qui concerne l’article 22 du règlement no 139/2004 – indique que « [l]es autres États membres également compétents pour examiner la concentration devraient pouvoir se joindre à la demande [de renvoi] » (102). À tout le moins, ce considérant suscite quelques doutes sur l’interprétation retenue par le Tribunal de l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004, étant donné qu’il laisse entendre que l’État membre qui procède au renvoi doit être compétent ;

–        en outre, même si l’on partageait l’interprétation de l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004, retenue par le Tribunal, cela ne serait pas incompatible avec l’interprétation de l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, proposée par les requérantes. La Commission acquiert une compétence potentielle pour contrôler une concentration n’atteignant pas les seuils fixés à l’article 1er du règlement no 139/2004 lorsqu’une demande de renvoi est faite par un État membre qui est compétent en vertu de l’article 22 de ce règlement. Par conséquent, lorsqu’un ou plusieurs États membres se joignent à une demande de renvoi (valablement formulée) émanant d’un autre État membre, la concentration est déjà entrée dans le champ d’application du règlement no 139/2004. Il n’est donc ni problématique ni anormal qu’un État membre puisse se joindre à une telle demande ;

–        enfin, le fait qu’un ou plusieurs États membres se joignent (ab initio ou successivement) à une demande de renvoi (valablement) introduite ou en cours d’introduction par un autre État membre n’a pas de conséquences négatives pour les entreprises concernées en termes de sécurité juridique et de prévisibilité des procédures (103). Ces conséquences seraient, à cet égard, nettement différentes si l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 était interprété de la manière suggérée par la Commission (104).

132. Quatrièmement, le Tribunal a jugé que le fait que, selon l’article 22, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 139/2004 « tous les délais nationaux relatifs à la concentration sont suspendus » ne venait pas au soutien de l’interprétation, retenue par les requérantes, de l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 139/2004 (105).

133. Sur ce point également, je partage la conclusion directe qu’en a tirée le Tribunal : l’article 22, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 139/2004, considéré isolément, n’apporte aucun éclairage sur la portée de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement (106).

134. Cinquièmement, le Tribunal a examiné le libellé de l’article 22, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement no 139/2004 qui prévoit que « le ou les États membres ayant formulé la demande n’appliquent plus leur droit national de la concurrence à la concentration concernée ». Le Tribunal a constaté à cet égard que cette disposition n’étayait pas les arguments des requérantes, car la législation nationale en question renvoie également aux dispositions nationales relatives aux accords anticoncurrentiels et aux abus de position dominante (107).

135. À cet égard, je partage pleinement l’appréciation du Tribunal. En effet, l’article 22, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 139/2004 ne vient pas au soutien de l’interprétation avancée par les requérantes de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement (et, par la même occasion, de celle proposée par la Commission).

136. Sixièmement, le Tribunal a examiné l’article 22, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement no 139/2004, selon lequel l’article 2, ainsi que l’article 4, paragraphes 2 et 3, les articles 5 et 6 et les articles 8 à 21 de ce règlement sont applicables lorsque la Commission examine une concentration ayant fait l’objet d’un renvoi et l’article 7 dudit règlement s’applique « pour autant que la concentration n’ait pas été réalisée à la date à laquelle la Commission informe les entreprises concernées qu’une demande a été déposée ». La Commission déduit du libellé de cette disposition que l’obligation de suspension prévue à l’article 7 du règlement no 139/2004 est applicable « tant [dans] les situations dans lesquelles la concentration faisant l’objet de la demande de renvoi ne relève [...] du champ d’application d’aucune réglementation nationale que [dans] celles dans lesquelles une telle réglementation est applicable mais ne prévoit pas sa suspension » (108).

137. La déduction opérée par le Tribunal suscite de la perplexité. Considérée de manière littérale, celle-ci est correcte (109). Toutefois, elle est également susceptible d’être dénuée de pertinence aux fins du présent litige. Par conséquent, je comprends la déduction du Tribunal en ce sens que l’obligation de suspension prévue à l’article 7 du règlement no 139/2004 est également applicable aux concentrations qui ne relèvent pas du régime national de contrôle des concentrations de l’État membre qui soumet la demande.

138. Néanmoins, il semble y avoir une lacune dans le raisonnement du Tribunal : en effet, l’on ne comprend pas très bien comment une telle déduction découle du libellé de l’article 22, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement no 139/2004. En tout état de cause, j’estime qu’une telle déduction est erronée.

139. L’article 22, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement no 139/2004 rend l’obligation de suspension applicable à toutes les concentrations pour lesquelles une demande de renvoi a été présentée, afin de garantir l’efficacité du système de contrôle et d’éviter que des distorsions de concurrence n’aient lieu avant qu’il ne soit décidé si la Commission examinera l’affaire.

140. Le fait que l’obligation de suspension ne s’applique que pour autant que « la concentration n’ait pas été réalisée à la date à laquelle la Commission informe les entreprises concernées qu’une demande a été déposée » résulte nécessairement du fait qu’une concentration pour laquelle une demande de renvoi a été présentée a pu (légalement) être réalisée avant cette présentation. Il existe diverses raisons pour lesquelles cela est possible. En particulier, une demande de renvoi peut émaner d’un État membre (ou d’un État de l’EEE/AELE) (110) : (i) qui ne dispose pas d’un régime de contrôle des concentrations ; (ii) qui dispose d’un régime de contrôle des concentrations qui ne prévoit pas d’obligation de suspension (111) ; et (iii) dans lequel une obligation de suspension, bien qu’existante, n’était pas applicable dans le cas spécifique. En ce qui concerne ce dernier point, il convient d’ailleurs de mentionner que le champ d’application des obligations de suspension, y compris les exemptions et les éventuelles dérogations à celles-ci, ainsi que la durée des périodes d’attente applicables, varient d’un État membre à l’autre (112).

141. La conclusion du Tribunal relative à l’article 7 du règlement no 139/2004 constitue donc un non sequitur. Selon moi, le libellé de l’article 22, paragraphe 4, du règlement no 139/2004 n’apporte aucun éclairage sur l’interprétation correcte de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004.

142. Septièmement, le Tribunal a souligné que, conformément à l’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004, « la Commission peut informer un ou plusieurs États membres qu’elle considère qu’une concentration répond aux critères énoncés au paragraphe 1 [de cet article] ». Étant donné que ce libellé ne fait référence qu’à ces critères, lesquels semblent exhaustifs, le Tribunal a considéré que cette disposition n’exige pas que la concentration relève du champ d’application d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations.  (113)

143. Selon moi, le Tribunal procède à une lecture trop extensive de cette disposition. L’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 complète l’article 22, paragraphe 1, de ce règlement : le mécanisme de renvoi en question peut être initié par un ou plusieurs États membres, mais aussi par la Commission – dans les deux cas, les deux conditions matérielles requises par l’article 22 du règlement no 139/2004 doivent être remplies, ce qui explique la formulation très similaire utilisée dans les dispositions respectives. Il aurait, en réalité, été étrange que l’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 soit plus détaillé ou contienne une différence substantielle par rapport à l’article 22, paragraphe 1, de ce règlement. Ainsi, comme je l’ai indiqué au point 131 des présentes conclusions, une telle disposition peut difficilement être utilisée comme une source fiable d’interprétation contextuelle de la disposition dont elle reflète le libellé.

144. En outre, même si l’on considère le libellé de l’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 comme étant pertinent, je vois au moins deux autres explications pour un tel libellé : non seulement celles-ci n’étayent pas la position de la Commission, mais elles sont même susceptibles d’être considérées comme étant en faveur de la position retenue par les requérantes.

145. L’une de ces explications ressort du point 110 de l’arrêt attaqué. Dans ce passage, le Tribunal a relevé que, dans une affaire antérieure (« Kesko »), il avait déjà jugé qu’« il n’appartenait pas à la Commission de statuer sur la compétence d’une autorité nationale de la concurrence pour introduire une demande de renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 4064/89, mais qu’il lui incombait seulement de vérifier si cette demande était, à première vue, celle d’un État membre » (114). Cet arrêt est correct en ce sens que la question de savoir si une concentration donnée est notifiable en vertu du droit national n’est pas une question de droit de l’Union, mais une question de droit national. Par conséquent, il ne saurait incomber à la Commission d’informer un État membre en vertu de l’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 que, selon elle, il est satisfait non seulement aux conditions matérielles du renvoi, mais aussi aux seuils nationaux.

146. Une autre explication découle de l’absence de toute indication, à l’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004, concernant les critères auxquels la Commission devrait recourir pour identifier lesdits « un ou plusieurs États membres » qu’elle doit, en vertu de cette disposition, tout d’abord contacter, puis inviter à présenter une demande. S’agit-il des États membres sur le territoire desquels la concurrence est susceptible d’être affectée ? Dans l’affirmative, la Commission peut-elle choisir librement uniquement certains d’entre eux (et sur la base de quels critères ?) ou est-elle tenue de les traiter de manière égale ? Le libellé de cette disposition pourrait, à première vue, sembler quelque peu ambigu à cet égard. Ou peut-être pas. On pourrait soutenir que la Commission dispose d’une large marge d’appréciation en la matière parce que, notamment, elle peut être amenée à examiner, dans chaque cas concret, quels États membres sont, prima facie, compétents pour renvoyer une concentration et quels États membres ne le sont pas.

147. Partant, je suis d’avis que l’article 22, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 n’est pas non plus utile pour déterminer la nature et la portée de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement.

148. Enfin, le Tribunal a considéré que les autres dispositions de l’article 22 du règlement no 139/2004 « ne contiennent aucun élément pertinent pouvant contribuer à éclairer davantage le contenu de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, dudit règlement » (115). Comme je l’expliquerai dans les points suivants des présentes conclusions, je ne suis pas d’accord avec cette dernière considération.

149. Sur la base des différents éléments de contexte précédemment exposés, le Tribunal est parvenu à la conclusion qu’une interprétation contextuelle de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 confirmait qu’une demande de renvoi au titre de l’article 22 de ce règlement peut être présentée indépendamment de la portée de la réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations. Toutefois, ainsi que je l’ai expliqué, une telle conclusion ne découle pas de l’analyse contextuelle effectuée par le Tribunal. Dans cette analyse, le Tribunal s’est fondé, dans l’ensemble, sur douze éléments de contexte. Sur ces 12 éléments examinés :

–        7 éléments sont, selon le Tribunal lui-même, dénués de pertinence aux fins de l’interprétation de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004. Ils ont, en effet, été examinés principalement pour écarter certains arguments des requérantes. Le Tribunal n’a pas déclaré (ni même laissé entendre) que ces éléments pouvaient étayer la position de la Commission ; et

–        1 élément a été évoqué par le Tribunal aux fins de corroborer un point qui n’est toutefois pas contesté et qui, de surcroît, n’apporte aucune indication quant à l’interprétation litigieuse.

150. Par conséquent, même si l’on suivait entièrement le raisonnement du Tribunal, quod non, sa conclusion ne reposerait que sur quatre éléments contextuels. Or, ainsi qu’il a été exposé, trois de ces éléments ont fait l’objet d’une appréciation erronée et l’un d’entre eux, bien que, certes, en faveur de la position de la Commission, n’apparaît pas particulièrement convaincant.

151. En outre, l’analyse contextuelle effectuée dans l’arrêt attaqué me semble problématique pour deux raisons supplémentaires : (i) le Tribunal a exclu à tort l’importance de certains éléments de contexte qui – bien que nullement déterminants – ont une valeur indicative lorsqu’ils sont correctement pris en considération et (ii) le Tribunal a ignoré d’autres éléments de contexte qui semblent contredire ses conclusions.

iii) Sur les limites de l’appréciation contextuelle du Tribunal (III)

152. Tout d’abord, certains éléments du contexte que le Tribunal a écartés comme étant sans pertinence (116) acquerraient, selon moi, une certaine valeur herméneutique si l’on tenait compte de deux aspects que le Tribunal a négligés : leur lien et le facteur temps.

153. Je m’explique : les éléments auxquels je me réfère sont des dispositions et considérants du règlement no 139/2004 qui, examinés isolément, peuvent sembler sans pertinence particulière aux fins de l’interprétation de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement. Toutefois, si l’on prend en fait du recul et qu’on examine ces dispositions et considérants dans leur ensemble, en tenant compte du moment et du motif de leur introduction dans le règlement, il est possible de recueillir quelques indications utiles.

154. En première instance, les requérantes ont invoqué un certain nombre de dispositions et considérants du règlement no 139/2004 qui semblent reposer sur la prémisse que (i) la concentration faisant l’objet d’un renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 est soit notifiée, soit notifiable au niveau national (117) ; (ii) cette concentration doit, en tout état de cause, être examinée quelque part, même si la Commission décide de ne pas le faire (118) ; ou (iii) les autorités nationales qui procèdent au renvoi doivent être compétentes pour contrôler la concentration. Ce dernier point mérite une brève explication.

155. Ainsi qu’il a été précédemment mentionné, l’article 22, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement no 139/2004 impose à la Commission d’informer « sans délai les autorités compétentes des États membres et les entreprises concernées de toute demande [de renvoi] reçue ». À l’instar du Tribunal, j’aurais également tendance à lire les termes « autorités compétentes » comme renvoyant aux autorités nationales qui sont généralement en charge des concentrations – par opposition aux autorités compétentes aux fins de l’examen de la concentration spécifique en vertu du droit national.

156. Or, cette lecture est remise en cause, ainsi que je l’ai indiqué au point 131 des présentes conclusions, par le considérant 15 du règlement no 139/2004 – un considérant qui traite précisément du mécanisme de renvoi en cause et, plus spécifiquement, des conditions auxquelles il convient de satisfaire pour recourir à ce mécanisme en vertu de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004. Ce considérant est libellé comme suit : « [u]n État membre devrait pouvoir renvoyer à la Commission une concentration qui n’a pas de dimension communautaire mais qui a des effets sur les échanges entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur son territoire. Les autres États membres également compétents pour examiner la concentration devraient pouvoir se joindre à la demande » (119). Le libellé de ce considérant ne suggère-t-il pas – comme le soutiennent les requérantes – que l’État membre qui procède à un renvoi doit être compétent en vertu du droit national pour contrôler la concentration en cause ?

157. Le Tribunal a écarté les arguments des requérantes, à savoir que ces dispositions et considérants ne sauraient être lus comme impliquant que, pour faire l’objet d’un renvoi, une concentration donnée doit être notifiée ou notifiable dans l’État membre qui déclenche le mécanisme(120). Cela est tout à fait exact. Je n’ai guère besoin de souligner à nouveau que le mécanisme de renvoi prévu à l’article 22 du règlement no 139/2004 peut être utilisé par – et a, en réalité, été principalement conçu pour – les États membres qui ne disposent pas d’un régime national de contrôle des concentrations.

158. Toutefois, il est un peu trop simpliste d’arrêter l’analyse juridique à ce stade, comme l’a fait le Tribunal. De même, il me semble surprenant que la Commission ne se soit pas davantage attardée sur le libellé de ces dispositions dans ses observations, étant donné l’importance essentielle qu’elle attache à l’interprétation textuelle dans le cadre de la présente affaire.

159. On ne peut que se demander dans ce contexte s’il n’existe pas une certaine incohérence dans les arguments avancés par la Commission ainsi que dans la motivation de l’arrêt attaqué. Ils se fondent tous deux largement sur le libellé (prétendument clair) de certaines dispositions, puis s’écartent de ce qui semble découler du libellé (prétendument clair) d’autres dispositions, tout simplement parce que ces dernières ne peuvent être conciliées avec l’interprétation donnée aux premières. Selon moi, écarter les indications données par certaines dispositions parce que ces indications ne correspondent pas à la conclusion provisoire ayant précédemment été tirée ne constitue pas une interprétation contextuelle approfondie. On est proche d’un raisonnement circulaire.

160. Un interprète plus prudent aurait dû, à mon sens, se demander pourquoi un certain nombre de dispositions et considérants du règlement no 139/2004 pouvaient ne pas signifier ce que leur libellé suggère. Selon moi, la particularité de ces considérants et dispositions réside dans le fait qu’aucun d’entre eux ne figurait dans le règlement initial no 4064/89 en 1989. Ils ont tous été introduits ultérieurement, lorsque le règlement no 4064/89, après avoir été modifié sur ce point en 1997, a finalement été abrogé par le règlement no 139/2004.

161. Étant donné que cet aspect a déjà fait l’objet d’un traitement approfondi, il n’y a pas lieu de s’y attarder à nouveau. Le règlement no 139/2004 visait à développer l’objectif du « guichet unique » du mécanisme de renvoi. Dès lors, dans la mesure où cet objectif ne concerne que les opérations de concentration notifiées ou notifiables, il est tout à fait évident que le législateur de l’Union a rédigé le texte de ces dispositions et considérants en ayant ces opérations à l’esprit.

162. Vu sous cet angle, le texte de ces dispositions et considérants est parfaitement logique et en cohérence avec le reste du règlement no 139/2004. Par conséquent, ces éléments de contexte suggèrent également que l’article 22 du règlement no 139/2004 n’a jamais eu pour objectif de permettre aux États membres de renvoyer à la Commission des concentrations n’atteignant pas les seuils nationaux. Dans le cas contraire, ils auraient probablement été rédigés différemment. En utilisant une autre expression courante, je dirais que, en ce qui concerne ces dispositions et considérants, le Tribunal a seulement vu l’arbre qui cachait la forêt.

iv)    Sur les limites de l’appréciation contextuelle du Tribunal (IV)

163. En outre, le Tribunal a ignoré d’autres aspects du contexte juridique qui, à mon avis, semblent également conforter l’interprétation de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 avancée par les requérantes.

164. Sur ce point, je peux à nouveau être bref. En effet, j’ai déjà mentionné précédemment plusieurs de ces éléments à certains points des présentes conclusions.

165. Le considérant 15 in fine indique tout d’abord que, en vertu de l’article 22 du règlement no 139/2004, la Commission acquiert le « pouvoir d’examiner et de traiter une opération de concentration au nom d’un ou plusieurs États membres requérants » (121). La formulation de ce considérant est difficilement conciliable avec une disposition qui, selon la Commission et le Tribunal, donne compétence à la Commission pour contrôler certaines concentrations qui affectent la concurrence dans le marché intérieur. Si le problème se situe au niveau du marché intérieur, pourquoi la Commission devrait-elle agir dans l’intérêt, à la place ou au nom (122) d’une autorité nationale, a fortiori d’une autorité qui n’est pas compétente pour contrôler la concentration en question ?

166. Les doutes que j’éprouve sur ce point sont renforcés par le libellé de l’article 22, paragraphe 5, du règlement initial no 4064/89 qui énonce que : « La Commission ne prend, en application du paragraphe 3, que les mesures strictement nécessaires pour préserver ou rétablir une concurrence effective sur le territoire de l’État membre à la demande duquel elle est intervenue » (123). La limitation expresse des pouvoirs accordés à la Commission dans ces circonstances (124) montre, selon moi, sans équivoque que l’article 22 du règlement no 139/2004 n’était pas destiné à remplir la vaste fonction corrective que lui a attribuée le Tribunal.

167. Il est également intéressant de noter que, dans l’arrêt attaqué, il ne soit fait aucune mention de l’article 1er, paragraphes 4 et 5, du règlement no 139/2004 qui prévoit une procédure simplifiée (125), permettant au Conseil, sur proposition de la Commission, de réviser « les seuils et les critères » qui, conformément à cette disposition, définissent le champ d’application du règlement no 139/2004 (126). Il est important de noter que cette disposition vise non seulement les « seuils » (c’est‑à‑dire les seuils de chiffre d’affaires), mais aussi les « critères ». Cela signifie que le législateur de l’Union peut, s’il l’estime nécessaire, décider de remplacer les seuils de chiffre d’affaires par des critères fondés sur d’autres types de valeurs ou d’intégrer ces seuils dans de tels critères (par exemple, le prix payé par l’acheteur, la valeur de l’opération, les parts de marché, la part de l’offre, la valeur des actifs locaux à transférer, l’impact potentiel sur les marchés concernés, etc.). Il existe donc un mécanisme correcteur systémique dans le règlement no 139/2004 qui permet un ajustement rapide du champ d’application de ce règlement, si, en raison de l’évolution du marché, les critères de compétence utilisés ne sont plus aptes à appréhender des concentrations ayant des effets potentiellement préjudiciables.

168. Je partage l’avis de la Commission selon lequel la valeur herméneutique de cet élément ne devrait, en elle-même, pas être surestimée. Toutefois, cela soulève des questions en ce qui concerne la nécessité de disposer dans le règlement d’un mécanisme correcteur ad hoc tel que celui envisagé par le Tribunal. En outre, cet élément de contexte devient beaucoup plus pertinent pour l’interprète lorsqu’il est examiné sous un angle différent.

169. L’on doit garder à l’esprit qu’une disposition similaire à l’article 1er, paragraphes 4 et 5, du règlement no 139/2004 figurait déjà dans le règlement initial no 4064/89 et que, dans ce dernier règlement, le lien entre le mécanisme d’ajustement des seuils et le mécanisme de renvoi était direct et explicite. Il est intéressant de noter que le mécanisme de renvoi prévu à l’article 22, paragraphes 3 à 5, du règlement no 4064/89 était initialement conçu comme un mécanisme temporaire. En effet, l’article 22, paragraphe 6, du règlement no 4064/89 prévoyait que « [l]es paragraphes 3, 4 et 5 restent d’application jusqu’à la révision des seuils visés à l’article 1er, paragraphe 2 ». Cela signifie que le législateur de l’Union a considéré en 1989 que le mécanisme de renvoi était destiné à devenir obsolète une fois que l’expérience « en pratique » permettrait de procéder aux ajustements appropriés des seuils de chiffre d’affaires (127). De toute évidence, une telle considération aurait été totalement dépourvue de sens si le mécanisme de renvoi visait, comme le soutient la Commission, à appréhender également des concentrations n’atteignant pas les seuils nationaux : son utilité ne serait absolument pas affectée par un changement des seuils du règlement no 4064/89. A fortiori, si le mécanisme de renvoi était destiné à appréhender des concentrations n’atteignant pas les seuils nationaux, pourquoi le rendre temporaire ?

170. Ma conclusion intermédiaire est que, dans l’ensemble, une interprétation contextuelle de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 étaye également la conclusion selon laquelle le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qui concerne le sens et la portée du mécanisme de renvoi en question. En effet, bien qu’il y ait des éléments allant dans les deux sens, ceux qui vont dans le sens d’une portée plus étroite de cette disposition sont beaucoup plus nombreux et plus pertinents que ceux qui vont dans le sens d’une portée plus large.

4)      Une interprétation téléologique de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004

171. Aux points 140 à 151 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ensuite procédé à une interprétation téléologique de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004, en se centrant principalement sur le texte des considérants. En particulier, il a souligné que, ainsi qu’il ressort des considérants 5, 6, 8, 24 et 25 de ce règlement, l’objectif de celui-ci est « de permettre un contrôle effectif de toutes les concentrations ayant des effets significatifs sur la structure de la concurrence dans l’Union ». Le Tribunal a également souligné que, au considérant 11, les mécanismes de renvoi sont désignés comme des « mécanisme[s] correcteur[s] », ce qui indique qu’ils donnent lieu à « une compétence subsidiaire de la Commission lui conférant la flexibilité nécessaire pour atteindre l’objectif de ce règlement ». Sur cette base, le Tribunal a conclu que « l’interprétation téléologique confirme qu’une demande de renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 peut être présentée indépendamment de la portée d’une réglementation nationale en matière de contrôle des concentrations ».

172. Une fois de plus, je ne peux qu’être en désaccord avec le Tribunal. Pour expliquer pourquoi, je tenterai de répondre à deux questions qui, dans ce contexte, éclairent le sens et la portée de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004. Premièrement, quels sont les objectifs spécifiques de cette disposition ? Deuxièmement, le prétendu objectif de combler des lacunes, poursuivi par cette disposition, est-il compatible avec les objectifs généraux du règlement no 139/2004 ?

i)      Sur les limites de l’appréciation téléologique du Tribunal (I)

173. La réponse à la première question est, à ce stade de mon analyse, partiellement claire. En effet, tant l’évaluation historique que l’appréciation contextuelle du règlement no 139/2004 ont fait apparaître deux objectifs manifestement poursuivis par le mécanisme de renvoi prévu à l’article 22 de ce règlement. Le premier objectif qui a motivé l’inclusion du mécanisme de renvoi dans le règlement initial no 4064/89 (la « clause néerlandaise ») était de permettre le contrôle des concentrations susceptibles de fausser la concurrence au niveau local, lorsque l’État membre en question ne dispose pas d’un régime national de contrôle des concentrations. Le second objectif, introduit lors d’une modification du règlement no 4064/89 en 1997, puis renforcé par l’adoption du règlement no 139/2004, est l’objectif du « guichet unique » qui est de permettre l’examen d’une concentration notifiée ou notifiable dans plusieurs États membres par la Commission, afin d’éviter de multiples notifications au niveau national.

174. Le premier objectif ne ressort pas clairement du texte des considérants du règlement initial no 4064/89. Toutefois, le fait que le mécanisme de renvoi a été initialement instauré pour poursuivre cet objectif a été constaté par le Tribunal et est constant entre les parties. En tout état de cause, l’absence de référence à cet objectif dans les considérants du règlement no 4064/89 n’est pas surprenante étant donné que, ainsi que cela a été précédemment expliqué, la portée et la signification de ce règlement étaient censées, à l’origine, être très limitées. En effet, il était initialement destiné à ne s’appliquer que de manière temporaire, à savoir jusqu’à ce que les seuils de chiffre d’affaires soient ajustés, et de manière exceptionnelle, compte tenu de sa portée restreinte, ainsi que le commissaire chargé de la concurrence de l’époque l’a expressément indiqué (128).

175. En revanche, le second objectif est expressément (et explicitement) mentionné dans les considérants du règlement no 1310/97 et du règlement no 139/2004 (129). Cela n’est pas non plus surprenant compte tenu de l’importance des modifications apportées au mécanisme de renvoi en question.

176. Je me penche à présent sur la question de savoir si un troisième objectif prétendument poursuivi par l’article 22 du règlement no 139/2004 – celui de combler des lacunes, en permettant le contrôle des concentrations n’atteignant ni les seuils de l’Union ni les seuils nationaux – peut être identifié. Le Tribunal a trouvé une confirmation de cet objectif dans le considérant 11 règlement no 139/2004, selon lequel « [l]es règles régissant le renvoi des concentrations de la Commission aux États membres et des États membres à la Commission devraient constituer un mécanisme correcteur efficace ».

177. À cet égard, je suis d’avis que le Tribunal a fait une lecture erronée de ce considérant. L’expression « mécanisme correcteur » ne devrait pas être lue isolément, mais elle devrait être considérée dans son contexte propre.

178. Premièrement, quel est l’objet du considérant 11 ? Son contexte est important. Le considérant 8 clarifie les principes de base concernant la répartition des compétences entre la Commission et les ANC. Les considérants 9 et 10 concernent les seuils de chiffre d’affaires fixés par le règlement no 139/2004 pour que les concentrations soient de « dimension communautaire ». Le considérant 12 concerne, quant à lui, les concentrations qui n’atteignent pas les seuils de chiffre d’affaires fixés par le règlement no 139/2004, mais qui « peuvent remplir les conditions déterminant leur examen dans le cadre de plusieurs systèmes de contrôle des concentrations nationaux ». En ce qui concerne ce dernier aspect, le considérant 12 mentionne que « [l]es notifications multiples d’une même transaction augmentent l’insécurité juridique, les efforts et les coûts pour les entreprises et peuvent conduire à des appréciations contradictoires » pour en conclure que « [l]e système qui permet le renvoi des concentrations à la Commission par les États membres concernés devrait par conséquent être davantage développé ». Les considérants 13 à 16 soulignent ensuite la coopération qui doit s’établir à cette fin entre la Commission et les ANC et illustrent le fonctionnement des différents mécanismes de renvoi.

179. À mon sens, le cadre susmentionné suggère que le considérant 11 fait référence à un mécanisme ayant une fonction corrective en termes de répartition des compétences entre la Commission et les ANC. En effet, ce considérant ne concerne pas l’établissement, comme l’a indiqué le Tribunal, d’« une compétence subsidiaire de la Commission lui conférant la flexibilité nécessaire pour atteindre l’objectif de ce règlement » (130).

180. La considération susmentionnée trouve un soutien supplémentaire, premièrement, dans le fait que ce considérant n’a pas figuré dans le règlement initial no 4064/89, mais a seulement été introduit dans le règlement no 139/2004. En effet, l’utilité du mécanisme de renvoi en ce qui concerne la répartition des affaires entre les différentes autorités, toutes compétentes pour contrôler une concentration donnée, n’est apparue qu’en 1997 avant d’acquérir plus d’importance en 2004.

181. En fait, le point 94 du livre vert de 2001 confirme que, « pour que l’article 22, paragraphe 3 puisse constituer un mécanisme correcteur généralement applicable au problème des notifications multiples, il ne suffira probablement pas de modifier le seul Règlement » (131). Ce point permet de tirer deux conclusions. Premièrement, que le terme « mécanisme correcteur » figurant au considérant 11 du règlement no 139/2004 fait référence au problème singulier des notifications multiples et non à la question plus large de toutes les lacunes inhérentes à un régime de contrôle des concentrations fondé sur des seuils. En outre, la question des notifications multiples est soulevée uniquement parce que les concentrations peuvent être soumises à plusieurs régimes nationaux de contrôle des concentrations et non parce qu’elles échappent à ces régimes. Deuxièmement, recourir à l’article 22 pour remédier au problème des notifications multiples aurait nécessité des discussions et une modification législative et ne constituait donc par l’objectif initial de cet article. Il peut en résulter que recourir à l’article 22 pour remédier à d’autres problèmes, plus larges, est également susceptible de nécessiter des discussions et des modifications.

182. La lecture du considérant 11 dans son intégralité confirme plus avant les constatations susmentionnées. Ce considérant mentionne que : « [l]es règles régissant le renvoi des concentrations de la Commission aux États membres et des États membres à la Commission devraient constituer un mécanisme correcteur efficace à la lumière du principe de subsidiarité. Ces règles protègent de façon idoine les intérêts des États membres quant à la concurrence et prennent en considération le besoin de sécurité juridique et le principe du guichet unique ». Je tire deux conséquences de ce texte. Premièrement, la référence au principe de subsidiarité et à la protection adéquate de la concurrence des États membres confirme une portée restreinte du mécanisme de renvoi : celui-ci ne vise qu’à remédier à des situations dans lesquelles la concurrence est affectée localement. Deuxièmement, la référence à la sécurité juridique et au principe du guichet unique suggère également que les mécanismes de renvoi visent à remplacer plusieurs procédures nationales par une procédure centralisée, ce qui suppose que les concentrations en question atteignent les seuils nationaux.

183. Je ne suis donc pas convaincu par la lecture faite par le Tribunal du considérant 11 du règlement no 139/2004. Le fait que le Tribunal se fonde sur les considérants 6 et 24 du règlement no 139/2004, dans la mesure où ceux-ci font référence au contrôle effectif de toutes les concentrations, ne me convainc pas non plus.

184. Une fois encore, lorsque ces considérants sont lus dans leur intégralité et dans leur contexte propre, il apparaît assez clairement que le terme « toutes » ne signifie pas que chaque concentration se produisant dans le monde, pour autant qu’elle puisse soulever des problèmes de concurrence dans un État membre, devrait être soumise à un contrôle « effectif » en vertu du règlement no 139/2004. Le considérant 6 mentionne que : « Un instrument juridique spécifique est donc nécessaire sous la forme d’un règlement qui permette un contrôle effectif de toutes les concentrations en fonction de leur effet sur la structure de concurrence dans la Communauté et qui soit le seul applicable à de telles concentrations ». De même, le considérant 24 précise que : « le présent règlement doit permettre un contrôle effectif de toutes les concentrations du point de vue de leur effet sur la concurrence dans la Communauté ».

185. Plusieurs éléments textuels de ces considérants contredisent clairement la conclusion selon laquelle ils concernent le mécanisme de renvoi en question. Premièrement, « toutes les concentrations » ne peuvent pas être contrôlées en vertu du règlement no 139/2004 : si les seuils prévus par ce règlement ne sont pas atteints, la concentration doit normalement être contrôlée par d’autres autorités de concurrence (les autorités des États membres de l’Union et/ou d’États tiers). Deuxièmement, en ce qui concerne les concentrations qui – si l’on suivait la thèse de la Commission – seraient susceptibles d’entrer dans le champ d’application du règlement no 139/2004 « par la petite porte » (à savoir, celles pour lesquelles, en principe, ni la Commission ni les ANC concernées ne sont compétentes), l’on ne saurait affirmer que le règlement no 139/2004 sera « le seul instrument applicable à de telles concentrations ». En effet, l’article 22 du règlement no 139/2004 autorise des procédures parallèles devant la Commission (à la demande d’une ou de plusieurs ANC) et une ou plusieurs ANC (celles qui ne se joignent pas à la demande de renvoi). Troisièmement, en vertu de l’article 22 du règlement no 139/2004, la Commission n’examine pas les concentrations « du point de vue de leur effet sur la concurrence dans la Communauté » comme l’indiquent les considérants 6 et 24 (132), mais uniquement sur les territoires des États membres qui procèdent au renvoi (article 22, paragraphes 1 et 5, du règlement no 139/2004). En fait, les juridictions de l’Union ont interprété de manière constante les termes « toutes les concentrations » figurant dans les considérants du règlement no 139/2004 comme se référant aux concentrations « de dimension communautaire » (133).

186. Si tel est le cas, une question se pose toutefois : que désigne le terme « toutes » dans le cadre de ces considérants ? La réponse réside à nouveau dans le texte de ces considérants et est confirmée par leur historique et leur finalité. Les expressions utilisées dans ces considérants remontent au considérant 7 du règlement initial no 4064/89 (134) et visent à préciser très clairement que, au regard du règlement sur les concentrations, toutes les concentrations seront appréciées « du point de vue de leur effet sur la concurrence ». Cette clarification, qui peut certes paraître évidente et donc inutile aujourd’hui, n’était en aucun cas anodine lorsque le règlement no 4064/89 a été adopté. En effet, une autre raison qui, pendant de nombreuses années, a fait traîner en longueur les négociations au sein du Conseil était la divergence de vues très marquée entre les différents États membres concernant les critères que la Commission devait utiliser pour décider d’autoriser ou non une concentration. Alors que la Commission et de nombreux États membres étaient favorables à une analyse purement antitrust, certains États membres se sont opposés à cette idée, estimant que les concentrations devaient également être appréciées à la lumière d’autres considérations, et notamment au regard de motifs de politique industrielle. Finalement, le premier point de vue a prévalu et le compromis a consisté à inclure dans le règlement ladite « clause allemande » (à cette date, l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 4064/89, à présent, l’article 21, paragraphe 4, du règlement no 139/2004) qui octroyait un certain pouvoir résiduel d’intervention aux États membres (135). La jurisprudence des juridictions de l’Union semble confirmer ma lecture du considérant (136).

187. Partant, c’est à tort, selon moi, que le Tribunal se fonde dans ce contexte sur les considérants 6, 11 et 24. À y regarder de plus près, on ne trouve, dans les considérants d’aucun des trois règlements sur les concentrations, aucun élément mentionnant ou permettant de déduire une quelconque fonction de comblement de lacunes attribuée à l’article 22 du règlement no 139/2004. Le silence sur ce point est tout à fait significatif, étant donné l’impact potentiellement extraordinaire qu’une telle disposition aurait sur le fonctionnement d’un régime de contrôle des concentrations qui (i) « repose sur le principe d’une répartition précise des compétences entre [la Commission et les autorités nationales] » (137), et (ii) est « limit[é] par des seuils quantitatifs » (138).

188. Cela étant dit, une autre question se pose dans ce contexte, concernant le point de savoir si l’objectif de combler des lacunes, attribué par le Tribunal à cet article, est susceptible d’être conforme aux objectifs généraux du règlement no 139/2004.

ii)    Sur les limites de l’appréciation téléologique du Tribunal (II)

189. Au point 140 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné les considérants du règlement no 139/2004 et est parvenu à la conclusion que l’objectif de comblement de lacunes attribué au mécanisme de renvoi en question était conforme à « l’objectif de ce règlement [qui] est de permettre un contrôle effectif de toutes les concentrations ayant des effets significatifs sur la structure de concurrence dans l’Union » (139).

190. Cette analyse soulève, selon moi, deux problèmes fondamentaux : le Tribunal a, d’une part, ignoré certains éléments essentiels figurant dans les considérants et, d’autre part, interprété de manière erronée certains considérants.

191. Premièrement, le Tribunal a souligné à plusieurs reprises l’objectif du règlement no 139/2004 tendant à assurer un contrôle effectif des concentrations, en allant jusqu’à mentionner uniquement « l’objectif », à savoir le seul objectif.

192. Il ne fait aucun doute, selon moi, que l’objectif visant à assurer un contrôle efficace des concentrations est la raison d’être même du règlement et son importance est, par conséquent, soulignée dans les considérants du règlement no 139/2004. Toutefois, il ne saurait s’agir du seul objectif ou, en d’autres termes, cet objectif ne saurait exister dans le vide. En fait, l’article 2 du règlement no 139/2004 fait référence aux « concentrations visées par le présent règlement[, devant être] appréciées en fonction des objectifs du présent règlement » (140).

193. En effet, la poursuite de l’objectif consistant à permettre un contrôle effectif des concentrations va de pair avec la poursuite d’autres objectifs, dont certains sont particulièrement pertinents en l’espèce. Le premier de ces objectifs, qui est le résultat des discussions longues et (si j’ose dire) animées qui ont finalement abouti à l’adoption du règlement no 4064/89, après presque 20 ans de négociations au sein du Conseil, est d’établir un système dans lequel la compétence est partagée entre la Commission et les autorités nationales de concurrence (141). Le second objectif est de réaliser, au niveau de l’Union, un système efficace fondé sur le principe du « guichet unique » : la Commission est seule compétente pour contrôler les concentrations notifiées en vertu du règlement no 139/2004, qui ne nécessitent aucune notification supplémentaire au niveau des États membres, et les autorités nationales ne peuvent plus appliquer leur droit national de la concurrence à ces opérations (142). Le troisième objectif est d’établir un système efficace et prévisible, apte à offrir de la sécurité juridique aux entreprises concernées (143). Le Tribunal lui‑même fait référence au point 226 de l’arrêt attaqué aux « objectifs fondamentaux d’efficacité et de célérité sous-tendant [le règlement no 139/2004] », ainsi qu’à l’intention du législateur de l’Union de « définir une répartition claire des interventions des autorités nationales et de l’Union ».

194. Alors que les deux premiers objectifs mentionnés au point précédent sont, pour des raisons évidentes, des caractéristiques spécifiques du régime de contrôle des concentrations de l’Union, le troisième ne l’est pas. En effet, chaque régime de contrôle des concentrations existant au niveau mondial cherche à établir un équilibre entre un contrôle efficace de la concurrence et la prévention des coûts inutiles et des retards tant pour les parties à la concentration que pour l’administration publique elle-même (144). Pour garantir cet équilibre, les règles en matière de concentrations sont généralement fondées sur des seuils qui filtrent les opérations à contrôler et imposent aux autorités des délais spécifiques pour effectuer leur évaluation. On ne saurait donc trop insister sur l’importance de la prévisibilité et de la sécurité juridique, en particulier pour les parties à la concentration. Les entreprises potentiellement soumises à des obligations de notification et de suspension doivent savoir, avec un degré de confiance relativement élevé, si leur projet d’opération fera l’objet d’un examen antitrust et par quelles autorités et à quelle date une réponse définitive de ces autorités peut être attendue (145).

195. Ainsi qu’il a été mentionné, cela est vrai au niveau mondial. Toutefois, cela est encore plus vrai pour les concentrations qui sont susceptibles de faire l’objet d’un contrôle dans l’Union. Non seulement parce que, au sein de l’Union, plusieurs autorités de contrôle coexistent (la Commission et les ANC) – avec tout ce que cela implique en termes de complexité – mais aussi parce que, contrairement à la grande majorité des régimes de contrôle des concentrations dans le monde, le règlement no 139/2004 impose aux parties à la concentration une interdiction mondiale de conclure. Cela signifie que la mise en œuvre d’une opération notifiée doit, en principe, être suspendue dans son intégralité jusqu’à ce que la Commission adopte une décision finale. Les parties à la concentration ne peuvent donc pas accélérer cette mise en œuvre en maintenant, par exemple, de manière séparée certains actifs, unités ou entreprises au niveau local jusqu’à l’octroi de l’autorisation en cours. Les coûts et risques imposés aux parties à la concentration sont, en conséquence, encore plus importants, de sorte que ces entreprises doivent être en mesure de prendre les précautions appropriées à cet égard.

196. À cette fin, ainsi que la Cour l’a jugé, le règlement no 139/2004 « comporte également des dispositions dont l’objectif est de limiter, pour des raisons de sécurité juridique et dans l’intérêt des entreprises concernées, la durée des procédures de vérification des opérations qui incombent à la Commission ». En effet, le législateur de l’Union a « souhaité assurer un contrôle des opérations de concentration dans des délais compatibles à la fois avec les exigences d’une bonne administration et celles de la vie des affaires » (146).

197. À la lumière de ce qui précède, je conviens que la garantie de l’efficacité du système (c’est-à-dire sa capacité à appréhender les concentrations potentiellement préjudiciables) est l’objectif principal du règlement no 139/2004. Toutefois, cette efficacité ne peut pas être atteinte au détriment d’une poursuite satisfaisante des autres objectifs du règlement. Ainsi, les références dans les considérants à l’« efficacité » ne sauraient conduire l’interprète à élargir la portée et la finalité des dispositions du règlement no 139/2004 à tel point que leur portée dépasse les intentions claires du législateur de l’Union en rompant l’équilibre que celui-ci a soigneusement conçu entre les différents objectifs.

198. Dans ce contexte, l’objectif de comblement des lacunes de l’article 22 du règlement no 139/2004, préconisé par la Commission et approuvé par le Tribunal, est-il conforme aux autres objectifs précédemment décrits et à l’équilibre établi entre eux ? À mon sens, cette question appelle clairement une réponse négative. Il me semble que l’interprétation de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004, retenue par le Tribunal, va à l’encontre des trois objectifs mentionnés au point 193 des présentes conclusions et est susceptible de rompre l’équilibre entre ces derniers, tel qu’il a été recherché par le législateur de l’Union.

199. Premièrement, l’« empilement de compétences » qui découlerait de l’interprétation retenue par le Tribunal de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 – Commission (concentrations importantes)/ANC (concentrations n’atteignant pas les seuils du règlement no 139/2004, mais dépassant les seuils nationaux)/Commission (concentrations n’atteignant pas les seuils nationaux) – semble difficilement compatible avec un système qui, comme l’a souligné la Cour, « repose sur le principe d’une répartition précise des compétences entre les autorités nationales et [de l’Union] » (147).

200. Cette interprétation apparaît également étrange au regard du principe de subsidiarité auquel se réfèrent pas moins de quatre considérants du règlement no 139/2004 (148). Il s’agit d’un règlement qui – selon les termes employés par le commissaire chargé de la concurrence de l’époque – constituait « un excellent exemple de la manière de mettre en œuvre [ce principe] » (149). La subsidiarité est un principe qui, dit simplement, a surtout un effet vers le bas : dans un domaine de compétence partagée, il incite à ce que la compétence pour une action spécifique soit exercée par les États membres (150). Naturellement, dans certaines circonstances, ce principe peut également avoir un effet vers le haut : en incitant à ce qu’une compétence soit exercée par l’Union lorsqu’une action donnée apparaît, en raison de ses dimensions ou de ses effets, plus efficace si elle est entreprise au niveau de l’Union. Toutefois, je me demande si une situation dans laquelle la compétence pour faire quelque chose (en l’espèce, examiner une concentration) est attribuée à une institution de l’Union (dans la présente affaire, la Commission) pour la simple raison qu’un État membre a considéré que les dimensions ou les effets de situations telles que celle en cause ne sont pas suffisamment importantes pour justifier une action au niveau national ne serait pas contraire à la logique de subsidiarité.

201. Deuxièmement, il est constant entre les parties que l’une des conséquences découlant de l’interprétation de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 retenue par le Tribunal est que les entreprises souhaitant avoir la certitude qu’un projet de concentration ne pourra pas être contesté par la Commission après sa réalisation, bien que cette concentration ne soit notifiable nulle part dans l’Union et qu’elle ne soit soumise à aucune obligation de suspension, devraient : (i) suspendre temporairement la mise en œuvre ; et (ii) porter la concentration à l’attention (potentiellement) de tous les États de l’Union et de l’EEE/AELE (pour un total de 30 autorités nationales différentes), afin de déclencher le délai de 15 jours ouvrables prévu à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004.

202. Dans ce contexte, il semble important d’ajouter que, selon la Commission, la communication effectuée par les parties à la concentration à l’attention des autorités nationales en question devrait contenir toutes les données et informations nécessaires à ces autorités pour déterminer si les deux conditions matérielles énoncées à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 – la concentration affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire de l’État membre en question – sont remplies. Néanmoins, il me semble évident qu’une évaluation correcte de ces conditions n’est pas un exercice facile, et encore moins dans un délai de seulement 15 jours ouvrables. Par conséquent, il est probable que les notifications informelles adressées aux autorités nationales pourraient nécessiter, dans de nombreux cas, d’être relativement élaborées et détaillées, de sorte qu’elles ne seraient pas très différentes des observations normalement requises pour une notification formelle.

203. Cela signifie, en pratique, que les entreprises qui réalisent une opération qui, en principe, échappe à tous les régimes de contrôle des concentrations de l’Union peuvent être amenées à procéder à des notifications informelles auprès de toutes les autorités nationales, uniquement pour éviter un recours ultérieur au mécanisme de renvoi en question qui pourrait avoir, de leur point de vue, des conséquences dramatiques.

204. En outre, si une ANC qui n’est pas compétente pour examiner une concentration présente une demande de renvoi, déclenchant ainsi le mécanisme de renvoi, et qu’une ou plusieurs ANC qui, en revanche, sont compétentes pour l’examiner décident de ne pas se joindre à la demande, le mécanisme de renvoi peut avoir pour effet de multiplier les procédures parallèles. En effet, les procédures devant les ANC compétentes coexisteraient avec une procédure supplémentaire devant la Commission, qui n’aurait pas existé s’il n’y avait pas eu le mécanisme de renvoi.

205. Il ressort de ce qui précède que l’interprétation de l’article 22 du règlement no 139/2004 retenue par le Tribunal conduirait à introduire une large exception au principe du guichet unique qui ne serait guère compatible avec l’un des principaux objectifs du règlement no 139/2004 et qui serait également en contradiction avec l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union lorsque celui-ci a modifié l’article 22 en 1997 et en 2004.

206. Troisièmement – et c’est l’aspect le plus problématique selon moi – la ou les procédures qui résulteraient d’une interprétation large de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 ne seraient guère efficaces, prévisibles et aptes à garantir la sécurité juridique aux parties.

207. Tout d’abord, il est manifeste et cela n’a pas été contesté par la Commission que, à moins que les parties à la concentration prennent des mesures positives pour informer les 30 autorités nationales de l’existence d’une concentration non notifiable, ces parties ne peuvent avoir aucune sécurité juridique quant à la question de savoir si la Commission sera, à un moment donné, invitée à examiner la concentration sur la base de l’article 22 du règlement no 139/2004 et, dans l’affirmative, dans quel délai.

208. La Commission rétorque que les parties à la concentration peuvent néanmoins obtenir de la sécurité juridique si, ainsi que cela a été mentionné précédemment, elles portent le projet de concentration à l’attention de ces 30 autorités au moyen de notifications informelles. Cela « déclencherait le délai » et, si aucune demande de renvoi n’est présentée dans un délai de 15 jours ouvrables, ces parties peuvent être sûres que la concentration échappera à tout contrôle dans l’Union.

209. Toutefois, je ne suis pas certain qu’une telle démarche apporte beaucoup plus de sécurité juridique ou, à tout le moins, une sécurité juridique adéquate à ces parties. Le principal problème est qu’il s’agit d’une procédure informelle qui n’est prévue nulle part dans le règlement no 139/2004 ou, à ma connaissance, dans la législation des États membres. Par conséquent, les concentrations non notifiables ne sont soumises ni aux règles de procédure nationales ni à celles établies dans le règlement no 139/2004 lui-même. Certes, l’article 22, paragraphe 4, du règlement no 139/2004 rend certaines règles de ce règlement applicables au contrôle de ces concentrations, mais uniquement après que la Commission a accepté le renvoi. La période antérieure est une sorte de « no man’s land » juridique qui présente très peu de clarté et de prévisibilité.

210. Par exemple, qui est habilité à déclencher la procédure informelle ? Les parties à la concentration doivent-elles être les seules à pouvoir le faire ou des tiers (par exemple, des concurrents des parties à la concentration) le peuvent-ils également ? Le libellé de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004 semble plaider pour la seconde alternative. Dans l’affirmative, l’ANC pourrait-elle procéder à un renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 sur la base des informations fournies par ces tiers et, le cas échéant, sans entendre les parties à la concentration ? Étant donné que l’autorité ne dispose que de 15 jours ouvrables pour prendre une décision, un traitement superficiel de la situation ne peut être exclu. Qu’en est-il si ces informations sont inexactes ou incomplètes ? Les conséquences pour les parties à la concentration résultant d’une appréciation erronée, par une autorité nationale, des conditions matérielles d’un renvoi peuvent ne pas être négligeables.

211. La Commission est toutefois d’avis que le délai ne commence à courir qu’à partir du moment où les ANC disposent d’informations suffisantes pour effectuer l’analyse requise par l’article 22 du règlement no 139/2004. Toutefois, cela signifie que le délai de 15 jours ouvrables est susceptible de devenir illusoire, étant donné qu’il peut être (et, éventuellement, sera) souvent prolongé par une ou plusieurs autorités, au moyen d’une ou de plusieurs demandes de renseignements, laissant ainsi les parties à la concentration sans aucun délai prévisible.

212. En outre, on ne trouve aucune indication, dans le règlement no 139/2004, sur le type et le niveau de détail des informations que les parties à la concentration sont censées inclure dans leurs notifications informelles. Les parties pourraient certainement s’inspirer des formulaires officiels de soumission de l’Union (tels qu’ils ont été récemment modifiés : formulaire CO, formulaire abrégé CO, formulaire RS et formulaire RM) (151). Toutefois, même la Commission n’a pas été jusqu’à le suggérer. Cela aurait impliqué, à l’évidence, que la procédure de notification prévue par le règlement no 139/2004 puisse de facto s’appliquer aux concentrations non notifiables. La Commission a plutôt suggéré lors de l’audience que les parties pourraient peut-être s’inspirer des informations devant lui être fournies, en vertu de l’article 14 du Digital Market Act (152), par les entreprises définies comme contrôleurs d’accès lorsque celles-ci ont l’intention de procéder à certaines concentrations. Cependant, outre le fait qu’il est curieux de suggérer aux parties de trouver des informations dans un instrument réglementaire différent, adopté après le règlement no 139/2004 et applicable uniquement à certains secteurs spécifiques de l’économie, je ne suis pas sûr que les informations énumérées dans cet instrument soient suffisantes aux fins de l’article 22 du règlement no 139/2004.

213. À ceci s’ajoute un petit détail qui revêt toutefois de l’importance : dans quelle langue ces informations doivent-elles être communiquées ? La Commission a fait valoir que toute langue communément comprise par le personnel de l’autorité nationale compétente (par exemple, l’anglais) serait adéquate. Je peine à voir sur quelle base la Commission peut soutenir ce point de vue. En tout état de cause, je doute que les autorités nationales acceptent de procéder à une analyse assez complexe, dans un calendrier très serré, sur la base d’un mémoire (éventuellement accompagné de certaines annexes) rédigé dans une langue qui n’est pas la leur.

214. À la lumière de ce qui précède, je suis d’avis que l’interprétation téléologique de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 effectuée par le Tribunal est entachée d’erreur en ce qu’elle est incompatible avec un certain nombre d’objectifs que le régime de contrôle des concentrations instauré par le règlement no 139/2004 vise à poursuivre et en ce qu’elle est susceptible de rompre l’équilibre entre ces objectifs, conçu par le législateur de l’Union. L’importance de cet équilibre n’a pas échappé à la Cour. Dans son récent arrêt dans l’affaire CK Telecoms, par exemple, la Cour a relevé que « l’impératif de célérité qui caractérise l’économie générale du [règlement no 139/2004] » est d’une telle importance que même une concentration préjudiciable sera réputée approuvée, à moins que la Commission prenne une décision dans le délai imparti (153).

5)      Autres considérations relatives à l’interprétation de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004

215. Enfin, je vais expliquer brièvement pourquoi l’interprétation de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004, retenue par le Tribunal, soulève, selon moi, un certain nombre de questions systémiques lorsque l’on prend en compte divers principes généraux du droit de l’Union.

216. Il importe de souligner d’emblée que la lecture que fait le Tribunal de la disposition donne lieu à une extension très importante du champ d’application du règlement no 139/2004 et de la compétence de la Commission (154). D’un seul coup, par une interprétation originale de l’article 22 du règlement no 139/2004, la Commission obtient le pouvoir de contrôler quasiment toute concentration ayant lieu n’importe où dans le monde, indépendamment du chiffre d’affaires et de la présence des entreprises dans l’Union ainsi que de la valeur de l’opération, et ce, à tout moment, y compris bien après la réalisation de la concentration. Cela est clair et incontesté. En effet, lorsque, au cours de l’audience, il a été posé une question précise à la Commission sur ce point, celle-ci a confirmé que cela est, en théorie, exact. Elle a néanmoins ajouté que, en pratique, tel ne sera pas le cas, étant donné que la Commission n’a aucun intérêt à faire fréquemment usage de ce pouvoir et qu’elle agira donc avec discipline à cet égard. Selon la Commission, la concentration en cause présentait certaines caractéristiques spécifiques, contrairement à la grande majorité des autres concentrations susceptibles de relever de l’article 22 du règlement no 139/2004.

217. Le litige en l’espèce ne porte toutefois pas uniquement sur l’application de ce pouvoir de contrôle (éventuellement nouveau) dans le cadre de la concentration en cause. La Cour est en effet appelée à interpréter, pour la première fois, le sens et la portée de l’article 22 du règlement no 139/2004 qui est susceptible de s’appliquer dans un nombre indéfini d’affaires. La position de la Commission ne peut que susciter des préoccupations à maints égards.

218. Premièrement, je doute que cette position soit conforme au principe de l’équilibre institutionnel, caractéristique de la structure institutionnelle de l’Union, découlant de l’article 13, paragraphe 2, TUE, qui requiert, en substance, que chacune des institutions exerce ses compétences dans le respect de celles des autres (155).

219. L’un des éléments les plus fondamentaux du règlement no 139/2004 est la définition des seuils qui, conformément à l’article 1er, paragraphes 1 à 3, de ce règlement, déclenchent l’obligation de notification. Toutefois, selon l’interprétation que fait la Commission de l’article 22 du règlement no 139/2004, la valeur de ces seuils, et indirectement des seuils et critères fixés dans les législations nationales, n’est plus que relative. Une concentration peut très bien n’être notifiable nulle part dans l’Union sans que cela n’exclue la possibilité pour la Commission de revendiquer sa compétence pour la contrôler au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 (156).

220. Je n’exclus certainement pas que, dans un monde de plus en plus fondé sur une « économie 2.0 », il pourrait être souhaitable, voire nécessaire, de modifier les seuils actuels de contrôle d’une concentration. Dans ce contexte, il peut être intéressant de noter que, très récemment, deux États membres (l’Autriche et l’Allemagne) ont modifié leur législation nationale pour inclure des seuils fondés sur des valeurs de transaction. D’autres États utilisent des seuils de compétence différents, spécifiquement conçus pour permettre le contrôle d’une concentration même lorsque l’entreprise cible ne génère pas de recettes locales [comme le Royaume-Uni, avec le « share of supply test » (critère lié à la part de biens ou services acquis ou fournis au Royaume-Uni)]. Ces options, ainsi que d’autres, pourraient naturellement être envisagées en vue de modifier le règlement no 139/2004. Toutefois, c’est au législateur de l’Union et non à la Commission qu’incombe cette tâche.

221. Deuxièmement l’interprétation large faite par le Tribunal de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 crée un nombre important de cas dans lesquels un conflit avec le principe de territorialité du droit de l’Union pourrait potentiellement survenir. Il convient de rappeler que, pour être conforme au droit international, l’application du droit de l’Union suppose un rattachement adéquat au territoire de l’Union (157). Plus précisément, il résulte de l’arrêt Intel et Gencor que l’application du droit de la concurrence de l’Union au comportement des entreprises est légitime, indépendamment du lieu où il se produit, dans la mesure où ce comportement a des effets prévisibles, immédiats et substantiels dans l’Union (ci-après le « critère des effets qualifiés ») (158).

222. Je conviens assurément avec la Commission que les conditions matérielles exposées à l’article 22, paragraphe 1, du règlement no 139/2004, sont, en principe, aptes à établir un lien adéquat avec le territoire de l’Union. Cependant, il faut garder à l’esprit que, ainsi que cela a été mentionné, la vérification de ces conditions est effectuée uniquement prima facie et dans un délai particulièrement court (15 jours ouvrables). Par conséquent, il ne saurait être exclu que l’Union puisse se déclarer compétente, en vertu de l’article 22 du règlement no 139/2004, pour contrôler une concentration (avec tout ce que cela implique, y compris le déclenchement soudain de l’obligation de suspendre, à l’échelle mondiale, tout acte de mise en œuvre de cette concentration), alors même que ladite concentration peut s’avérer par la suite sans effet prévisible, immédiat et substantiel sur le territoire de l’État membre concerné.

223. Troisièmement, cette situation peut susciter des interrogations au regard du principe de courtoisie internationale. J’ai bien conscience du fait que les contours d’un tel principe ainsi que ses implications juridiques sont assez incertains (159). Toutefois, il me semble que l’on peut déduire d’un tel principe, à tout le moins, une obligation générale pour les États d’examiner, avant de se déclarer compétents dans des affaires présentant un élément significatif d’extranéité et un lien interne plutôt faible, si l’application de leurs lois ne pourrait pas avoir pour effet de porter atteinte à l’application effective des lois d’États tiers ayant un lien territorial plus étroit avec ces affaires. Une telle lecture du principe semble largement conforme aux suggestions d’autres avocats généraux (160), aux accords internationaux de l’Union dans ce domaine (161), ainsi qu’aux conclusions d’autres juridictions, y compris en matière de droit de la concurrence (162). Dans ce contexte, je me demande si la conception de la Commission quant à sa compétence étendue en matière de contrôle des concentrations au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 est pleinement conforme au principe de courtoisie internationale.

224. Quatrièmement, l’argument invoqué par les requérantes, selon lequel l’interprétation de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 retenue par le Tribunal est contraire aux principes d’égalité et de proportionnalité, ne me semble pas non plus non fondé comme le soutient la Commission. En effet, des entreprises ayant des ventes limitées ou inexistantes dans l’Union se trouveraient de facto dans une situation considérablement plus défavorable que les entreprises ayant des activités plus importantes dans l’Union.

225. Ces dernières peuvent bénéficier du guichet unique instauré par le règlement no 139/2004 ou, à défaut, elles devront uniquement effectuer une ou plusieurs notifications au niveau national dans les pays où la concentration atteint les seuils nationaux. Le nombre de ces notifications peut être calculé à l’avance et les parties à la concentration savent quelles autorités contrôleront la concentration, ainsi que comment et dans quel délai elles le feront. En revanche, ainsi que cela a été précédemment expliqué, les entreprises qui sont parties à des concentrations non notifiables n’ont aucun moyen de prévoir le devenir de leur concentration, à moins qu’elles ne procèdent, dans l’EEE, à pas moins de 30 notifications informelles ; et même dans ce cas, certains aspects de la procédure, dont sa durée, demeurent incertains.

226. Cette situation me paraît problématique au regard du principe d’égalité qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (163). Il semble également qu’une telle situation crée une charge disproportionnée, en termes de coûts et de risques, pour les entreprises ayant conclu des transactions qui, comme je l’ai indiqué, ont une activité plutôt limitée dans l’Union (164).

227. Cinquièmement, le principe d’effectivité ne saurait conduire à étendre la portée de la disposition en cause au-delà de ce qui est raisonnable et nécessaire aux fins du règlement no 139/2004. J’ai expliqué notre position à ce sujet au point 197 des présentes conclusions. Il me suffit d’ajouter un dernier élément dans ce contexte : je ne suis pas convaincu par l’affirmation de la Commission concernant la nécessité de combler une lacune dans le champ d’application du règlement no 139/2004.

228. Selon une jurisprudence constante de la Cour- en dernier lieu dans l’arrêt Towercast (165) –, les articles 101 et 102 du TFUE sont applicables aux concentrations qui n’atteignent pas les seuils fixés dans le règlement no 139/2004 (y compris celles qui n’atteignent pas les seuils nationaux). Ces dispositions permettent aux ANC d’intervenir ex post en ce qui concerne les concentrations qui se révèlent anticoncurrentielles. Certes, une intervention ex post peut souvent n’être qu’une « solution de second choix » par rapport à un contrôle ex ante. Toutefois, les différences entre ces deux formes de contrôle constituaient, ainsi qu’il ressort sans équivoque des travaux préparatoires, un aspect qui a été dûment pris en compte par le législateur de l’Union au cours de la procédure qui a conduit à l’adoption du règlement no 139/2004. Les considérations de la Commission ne sauraient donc remettre en cause les choix spécifiques opérés par le législateur de l’Union.

229. En outre, je ne suis pas non plus convaincu par l’argument avancé par la Commission et certains gouvernements qui sont intervenus dans la présente procédure, selon lequel la mise en œuvre au titre des articles 101 et 102 TFUE serait inefficace et chronophage.

230. Ainsi que la Cour l’a récemment confirmé dans l’arrêt European Superleague Company, un abus de position dominante est établi lorsqu’un comportement a « soit pour effet actuel ou potentiel, soit même pour objet, d’empêcher à un stade préalable, par la mise en place de barrières à l’entrée ou par le recours à d’autres mesures de verrouillage ou à d’autres moyens différents de ceux qui gouvernent la concurrence par les mérites, des entreprises potentiellement concurrentes ne serait-ce que d’accéder à ce ou ces marchés et, ce faisant, d’empêcher le développement de la concurrence sur ceux-ci au détriment des consommateurs, en y limitant la production, le développement de produits ou de services alternatifs ou encore l’innovation » (166). À mon sens, une acquisition dite « tueuse » (« killer acquisition ») répond parfaitement à cette description et constitue un exemple typique d’un abus de position dominante « par objet » (167).

231.  Ainsi, je ne pense pas qu’il faille une enquête excessivement longue ou complexe pour établir l’existence d’une infraction. Il en est notamment ainsi parce qu’un contrôle ex post d’une concentration déjà réalisée – une activité qui n’est pas inhabituelle dans un certain nombre de juridictions (168) – peut entraîner certains inconvénients, mais présente également un avantage très significatif : les autorités n’ont pas besoin de faire de prévisions sur le comportement futur des entreprises. En effet, dans le cadre de son évaluation, l’autorité de concurrence peut examiner à la fois des éléments de preuve antérieurs à la concentration (par exemple, pour établir l’intention de l’acquéreur et déterminer si cette entreprise considérait l’entreprise cible comme une menace potentielle pour sa position sur le marché) et des éléments de preuve postérieurs à la concentration, qui montrent ce qui s’est effectivement passé sur le marché à la suite de l’acquisition (par exemple, pour établir s’il y avait des effets sensibles sur les prix, la production et l’innovation, ou si les activités de l’entreprise cible ont été interrompues ou significativement réduites) (169).

232. En outre, il convient de garder à l’esprit que, lorsqu’elles enquêtent sur d’éventuelles violations des articles 101 et 102 TFUE, les ANC doivent bénéficier des pouvoirs énoncés dans la « directive ECN+ » (170). Conformément à cette directive, lorsqu’une infraction est détectée, l’autorité compétente est non seulement habilitée à imposer des sanctions financières (articles 13 à 16 de cette directive), mais elle peut aussi, en vertu de l’article 10, paragraphe 1, de cette directive, obliger les entreprises concernées « à mettre fin à cette infraction. À cette fin, [l’autorité peut] leur imposer toute mesure corrective de nature structurelle ou comportementale proportionnée à l’infraction commise et nécessaire pour faire cesser effectivement l’infraction ». Cela peut éventuellement inclure, dans des cas particulièrement graves, une dissolution partielle ou totale de l’entité fusionnée (171). En outre, en vertu de l’article 11, paragraphe 1, de cette directive, les ANC peuvent également « au moins dans les cas d’urgence justifiés par le fait qu’un préjudice grave et irréparable risque d’être causé à la concurrence […] agir de leur propre initiative, pour ordonner, par voie de décision sur la base d’un constat prima facie d’infraction aux dispositions de l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’imposition de mesures provisoires aux entreprises […] ». De telles mesures pourraient, par exemple, prendre la forme d’injonctions suspensives(172).

233. Sixièmement, la portée très large donnée par le Tribunal à une disposition qui constitue incontestablement une exception aux dispositions de l’article 1er du règlement no 139/2004 va à l’encontre du principe d’interprétation bien admis selon lequel les exceptions et dérogations à l’économie générale ou aux règles générales d’un instrument juridique sont d’interprétation stricte, afin que ces règles ne soient pas vidées de leur substance (173). En effet, le Tribunal a déjà jugé que ce principe était pertinent pour interpréter la portée du mécanisme de renvoi prévu à l’article 9 du règlement no 139/2004 (174). Je ne vois pas très bien pour quels motifs il a décidé dans l’arrêt attaqué d’écarter la pertinence de ce principe d’interprétation en ce qui concerne le mécanisme de renvoi prévu à l’article 22 du règlement no 139/2004 (175).

234. Sur la base des considérations susmentionnées je suis d’avis que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation et l’application de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004. L’arrêt attaqué doit, pour cette raison, être annulé.

235. Si, toutefois, la Cour ne partage pas mon appréciation du premier moyen, je considère qu’elle doit rejeter les pourvois. Dans la section suivante, j’expliquerai brièvement les raisons pour lesquelles je considère que les deuxième et troisième moyens des requérantes sont non fondés.

B.      Deuxième moyen : moment où a été effectuée la demande de renvoi et obligation de la Commission d’agir dans un délai raisonnable

236. Le deuxième moyen du pourvoi d’Illumina et de Grail vise le rejet, par le Tribunal, du deuxième moyen qu’Illumina a soulevé en première instance, tiré du caractère tardif de la demande de renvoi et, à titre subsidiaire, de la violation des principes de sécurité juridique et de « bonne administration ». Les requérantes contestent, en particulier, les points 190 à 211 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal est parvenu à la conclusion que :

« la notion de “communication à l’État membre intéressé”, telle que figurant à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, [du règlement no 139/2004], doit être interprétée en ce sens qu’elle exige une transmission active d’informations pertinentes à cet État membre lui permettant d’évaluer, de manière préliminaire, si les conditions pour une demande de renvoi au titre de cet article sont réunies. Par conséquent, selon cette interprétation, le délai de quinze jours ouvrables prévu dans ladite disposition commence à courir, lorsque la notification de la concentration n’est pas requise, à compter du moment où ces informations ont été transmises ».

237. Les requérantes contestent également le point 240 ainsi que les points 242 à 245 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a notamment constaté que (i) « [Illumina] n’était pas capable de préciser à suffisance les prétendues “erreurs factuelles significatives” viciant la décision attaquée qui auraient déjà entaché la lettre d’invitation, et donc pu influer de manière décisive sur le contenu de la demande de renvoi de l’ACF » ; et (ii) « [les requérantes] concernées [...] ont eu plusieurs occasions de faire connaître leur point de vue au cours de la procédure administrative ayant conduit à l’adoption [des décisions attaquées] ».

1.      Arguments des parties

238. Par leur deuxième moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit (i) en ne tirant aucune conséquence juridique de la conclusion correcte qu’il a fallu à la Commission un délai déraisonnable pour envoyer aux États membres la lettre d’invitation concernant l’opération de concentration en cause et (ii) en estimant que la Commission n’a pas violé les droits de la défense des parties au cours de la procédure ayant conduit à l’adoption des décisions litigieuses.

239. La Commission soutient que ce moyen est non fondé et, pour partie, irrecevable.

2.      Analyse

240. Je ne suis pas convaincu par l’argumentation des requérantes au pourvoi.

241. Premièrement, je ne pense pas que le Tribunal ait commis une erreur de droit dans l’interprétation des termes « sa communication à l’État membre intéressé » figurant à l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004. Ainsi qu’il a été relevé au point 192 de l’arrêt attaqué, il ressort d’une comparaison des différentes versions linguistiques du règlement que, pour déclencher le délai de 15 jours ouvrables, il ne suffit pas que la concentration soit annoncée publiquement dans l’État membre en question – par exemple au moyen d’un communiqué de presse ou par l’intermédiaire d’une couverture médiatique (176) – afin que les autorités concernées puissent en avoir connaissance. Au contraire, cette disposition exige des actes positifs de communication concernant la concentration, adressés à ces autorités. Cette lecture me semble conforme à la finalité de cette disposition, qui est de permettre aux autorités de procéder à un examen préliminaire afin d’apprécier si, prima facie, les conditions matérielles énoncées à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 139/2004 sont remplies (177).

242. Les requérantes n’ont, selon moi, avancé aucun argument de nature à susciter un doute sur cette interprétation de l’article 22, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 139/2004.

243. Deuxièmement, bien que je ne sois pas entièrement convaincu par le cadre juridique appliqué par le Tribunal pour déterminer les conséquences découlant du fait que la Commission n’a pas envoyé la lettre d’invitation dans un délai raisonnable, je considère que la conclusion qu’il en a tirée dans l’arrêt attaqué est correcte.

244. Selon moi, l’aspect décisif n’est pas de déterminer si les requérantes sont parvenues à établir que, en raison du retard avec lequel la Commission a agi, leurs droits de la défense ont été violés. Le point essentiel est plutôt de savoir si les requérantes pouvaient fournir des indications suffisantes établissant que, sans l’irrégularité procédurale en question, l’issue de la procédure aurait pu être différente.

245. Comme je l’ai expliqué dans mes conclusions dans l’affaire HSBC, la jurisprudence des juridictions de l’Union semble distinguer deux formes principales d’erreurs de procédure : les violations des « formes substantielles », qui entraînent automatiquement la nullité de l’acte en question et les violations d’autres règles de procédure, soumises au « critère de l’erreur bénigne ». Cela signifie que les erreurs de procédure « ordinaires » entraînent l’annulation de l’acte attaqué, sauf si l’erreur est susceptible d’être considérée comme bénigne, en ce sens qu’elle n’avait ou ne pouvait avoir aucune incidence sur l’issue de la procédure. Il est important de noter que ces critères ont, en fonction des caractéristiques de la règle violée, distingué trois formes différentes, à savoir : (i) des violations de nature grave et structurelle donnant lieu à une présomption (réfragable) que l’erreur a eu une incidence sur l’issue de la procédure et dont la réfutation incombe à la partie défenderesse ; (ii) des erreurs dites « ordinaires » qui sont ou non susceptibles d’avoir eu une incidence sur l’issue de la procédure, pour lesquelles la partie requérante doit prouver que, en l’absence d’erreur, l’acte attaqué aurait pu être différent ; et (iii) des irrégularités de moindre nature, qui entraînent l’annulation de l’acte en cause si la partie requérante établit que, en l’absence d’erreur, la procédure aurait abouti à un résultat différent (178).

246. À la lumière du libellé de la disposition pertinente (qui ne prévoit aucun délai spécifique) (179) ainsi que de la finalité et de la logique du régime de contrôle des concentrations instauré par le règlement no 139/2004 (qui vise à assurer un contrôle effectif des concentrations potentiellement anticoncurrentielles, au moyen d’un système efficace et prévisible, apte à offrir de la sécurité juridique aux entreprises concernées) (180), il me semble que l’omission, par la Commission, d’agir dans un délai raisonnable ne saurait être considérée comme une violation d’une forme substantielle et que les critères habituels, applicables aux erreurs de procédure, devraient s’appliquer (181).

247. Ni dans les observations présentées en première instance, ni dans le cadre de la présente procédure, les requérantes n’ont fourni d’élément concret susceptible d’indiquer que, si la Commission avait agi dans un délai raisonnable, son appréciation concernant la possibilité et l’aptitude de la concentration en cause à faire l’objet d’un renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004 aurait pu être différente.

248. En tout état de cause, je partage également l’avis de la Commission selon lequel les requérantes (i) n’ont pas explicitement invoqué une violation de leurs droits de la défense en première instance, de sorte que cette branche du moyen est irrecevable et (ii) n’ont pas prouvé à suffisance de droit qu’il a été porté atteinte à leur capacité à exercer leurs droits de la défense au cours de la procédure ayant conduit à l’adoption des décisions litigieuses. S’agissant de ce dernier point, il est exact que les requérantes ont fourni un certain nombre d’éléments suggérant que la Commission pourrait ne pas avoir agi à l’égard de ces entreprises avec le degré de transparence et d’équité que l’on est en droit d’attendre d’une administration publique (182). Cela est manifestement regrettable dans la mesure où de tels comportements peuvent avoir une incidence sur la manière dont le public perçoit le fonctionnement d’un service qui – en raison des pouvoirs importants qui lui sont conférés – devrait constamment agir avec la plus grande impartialité et la plus grande objectivité. Toutefois, il n’en demeure pas moins que le comportement de la Commission n’a pas privé les requérantes de la possibilité de faire valoir leurs arguments de fait et de droit, au cours de la procédure engagée sur le fondement de l’article 22 du règlement no 139/2004, en vue d’en influencer l’issue.

249. Pour les raisons susmentionnées, il conviendrait de rejeter le deuxième moyen.

C.      Troisième moyen : les principes de la confiance légitime et de la sécurité juridique

250. Par leur troisième moyen – dirigé contre les points 254 à 260 de l’arrêt attaqué – Illumina et Grail font grief au Tribunal d’avoir rejeté le troisième moyen invoqué par Illumina en première instance, tiré d’une violation des principes de protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique. Dans ces passages, le Tribunal n’a examiné que les arguments relatifs à la confiance légitime, étant donné que ceux se rapportant à la sécurité juridique n’avaient pas été suffisamment développés.

251. En ce qui concerne le principe de protection de la confiance légitime, le Tribunal a constaté que les principaux éléments invoqués par Illumina n’étayaient pas « l’existence de la prétendue politique de la Commission sur laquelle [Illumina] s’appuie » et ne pouvaient être considérés comme constituant des « assurances précises, inconditionnelles et concordantes de la part de la Commission eu égard au traitement de la concentration en cause ».

1.      Arguments des parties

252. Les requérantes estiment que la motivation de l’arrêt attaqué est entachée de plusieurs erreurs de droit. Elles font notamment valoir que le Tribunal : (i) a dénaturé le sens de l’argument invoqué par Illumina en première instance en ce qui concerne la confiance légitime ; (ii) a commis une erreur en considérant qu’il ne pourrait y avoir de confiance légitime que si les assurances sur lesquelles cette confiance était fondée se rapportaient spécifiquement à la concentration en cause ; (iii) a commis une erreur en évaluant l’importance d’un discours de Mme Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive de la Commission et « commissaire à la concurrence », prononcé quelques mois seulement avant l’envoi de la lettre d’invitation par la Commission (183) ; et (iv) a omis d’examiner leurs arguments tirés d’une violation du principe de sécurité juridique.

253. La Commission objecte que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit à cet égard.

2.      Analyse

254. Là encore, bien que certains des passages pertinents de l’arrêt attaqué ne me paraissent pas convaincants, je suis d’avis que le Tribunal n’a pas commis d’erreur en rejetant le troisième moyen invoqué par Illumina.

255. Tout d’abord, l’allégation des requérantes selon laquelle le Tribunal aurait dénaturé le sens des arguments fondés sur la confiance légitime n’est pas convaincante. Les requérantes font valoir que l’argument invoqué par Illumina était que la Commission avait fait naître une confiance dans le fait qu’elle n’encouragerait pas les demandes de renvoi pour des concentrations n’atteignant pas les seuils nationaux, tandis que le Tribunal aurait examiné si la Commission pouvait légalement accepter de tels renvois. Cela me semble revenir à « couper les cheveux en quatre ». Il est clair que les deux aspects sont complémentaires et peuvent difficilement être dissociés.

256. La teneur essentielle de l’argument des requérantes était, en substance, qu’elles ne pouvaient pas prévoir le changement soudain de politique de la Commission en ce qui concerne l’interprétation de l’article 22 du règlement no 139/2004. Ce qui importe réellement, à cet égard, c’est de savoir si les requérantes pouvaient légitimement croire, en raison des informations reçues de la Commission, que leur concentration ne ferait pas l’objet d’un renvoi au titre de l’article 22 du règlement no 139/2004. La question de savoir si, dans ce contexte, le renvoi en question a été déclenché par une ou plusieurs ANC agissant d’office, ou parce qu’elles ont été invitées à le faire par la Commission, ne me semble pas pertinente.

257. En outre, je ne suis pas non plus convaincu par les arguments des requérantes faisant valoir que le Tribunal n’a pas examiné leurs allégations relatives à une violation du principe de sécurité juridique. Après avoir examiné les observations présentées par les requérantes en première instance, je ne peux que partager l’avis du Tribunal selon lequel elles n’ont présenté aucun argument spécifique à cet égard. En d’autres termes, aucun de leurs arguments ne se distinguait de ceux relatifs à la confiance légitime, auxquels le Tribunal a expressément répondu dans l’arrêt attaqué.

258.  En outre, je ne pense pas que toutes les conditions permettant à une partie d’invoquer le principe de confiance légitime soient remplies en l’espèce.

259. Certes, certains passages de l’arrêt attaqué sont, à mon sens, erronés. Au point 254 de cet arrêt, le Tribunal a rappelé une jurisprudence selon laquelle des renseignements précis, inconditionnels et concordants fournis par l’administration peuvent faire naître une confiance légitime, à condition, notamment, que ces renseignements « soient conformes aux normes applicables ». Puis, au point 265 de cet arrêt, le Tribunal a ajouté en se référant à cette jurisprudence que « dans la mesure où il ressort du premier moyen que les décisions attaquées étaient fondées sur une interprétation correcte de la portée de cet article, la requérante ne peut se prévaloir de la réorientation de la pratique décisionnelle de la Commission ». 

260. Je ne peux pas être d’accord avec le Tribunal à cet égard. La jurisprudence citée par le Tribunal (qui, autant que je sache, est essentiellement composée de ses propres arrêts) ne saurait logiquement signifier que les particuliers ne peuvent se prévaloir d’une confiance légitime que si les assurances fournies par l’administration sont conformes aux normes applicables. En effet, si les assurances sont conformes au droit applicable, il ne serait pas nécessaire pour les particuliers en question d’invoquer la protection de la confiance légitime : leur position serait dûment protégée par les dispositions mêmes auxquelles se réfère l’administration. La raison d’être du principe de confiance légitime est, à l’évidence, de protéger les particuliers qui, sans faute de leur part, sont induits en erreur par l’interprétation du droit applicable retenue par l’administration.

261. Selon moi, cette ligne jurisprudentielle ne peut être admise que si elle est comprise comme excluant la possibilité pour les particuliers de se prévaloir du principe de confiance légitime lorsqu’un individu raisonnablement avisé se rendra compte que les assurances fournies par l’administration ne sont pas conformes aux normes applicables. Par conséquent, si, en l’espèce, les requérantes avaient effectivement reçu de la Commission des « assurances précises, inconditionnelles et concordantes », le fait que cette institution ait ensuite appliqué correctement l’article 22 du règlement no 139/2004 ne saurait avoir empêché ces entreprises d’invoquer une violation du principe de confiance légitime.

262. Cela étant dit, je partage l’avis du Tribunal selon lequel, en tout état de cause, aucune assurance de ce type ne peut être tirée du discours de la commissaire auxquelles les requérantes font référence. Ainsi que le Tribunal l’a relevé à juste titre tant l’objet du discours (qui « concernait la politique générale de la Commission en matière de concentrations et ne mentionnait pas la concentration en cause ») (184) que sa substance et sa teneur (selon laquelle, dans le passé, « la Commission avait eu la pratique consistant à décourager les autorités nationales de renvoyer des concentrations pour l’examen desquelles elles n’étaient pas compétentes elles-mêmes ») (185) excluent qu’un tel discours puisse être considéré comme donnant lieu à des assurances « précises, inconditionnelles et concordantes » au sens de la jurisprudence de la Cour (186).

263. Eu égard aux considérations qui précèdent, le troisième moyen devrait, à mon sens, également être rejeté.

VI.    Conséquences de l’appréciation : la solution de la présente affaire

264. Conformément aux termes de l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice de justice de l’Union européenne, la Cour peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, statuer définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

265. Tel est, selon moi, clairement le cas dans la présente procédure. Le Tribunal a commis une erreur dans son interprétation et son application de l’article 22 du règlement no 139/2004. Selon une interprétation correcte, cette disposition n’habilite pas la Commission à adopter des décisions telles que celles contestées par les requérantes dans la présente procédure. Ces décisions devraient donc être annulées.

266. Toutefois, la demande de l’ACF et la lettre d’information de la Commission ne peuvent être annulées pour la raison suivante : (i) l’acte antérieur n’a pas été contesté en première instance (187) (indépendamment du fait qu’il ne s’agit pas d’un acte des institutions de l’Union) et (ii) la lettre d’information de la Commission, bien qu’elle ait été contestée en première instance, a été considérée comme un acte non susceptible de recours devant le Tribunal (188). Les passages pertinents de l’arrêt attaqué ne sont pas non plus visés par le pourvoi formé par les requérantes.

VII. Sur les dépens

267. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant demandé à se voir accorder le bénéfice des dépens et leurs pourvois ayant été accueillis, il y a lieu de condamner la Commission aux dépens afférents à la procédure.

268. Conformément à l’article 140 et à l’article 184, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, les États membres qui sont intervenus au litige, ainsi que l’Autorité de surveillance AELE et Biocom, supportent leurs propres dépens.

VIII. Conclusion

269. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de statuer comme suit :

–        annuler l’arrêt du Tribunal du 13 juillet 2022, Illumina/Commission (T‑227/21, EU:T:2022:447) ;

–        annuler la décision C (2021) 2847 final de la Commission, du 19 avril 2021, accueillant la demande de l’Autorité de la concurrence française d’examiner l’opération de concentration visant l’acquisition par Illumina, Inc. du contrôle exclusif de Grail, Inc. (affaire COMP/M.10188 – Illumina/Grail), les décisions C (2021) 2848 final, C (2021) 2849 final, C (2021) 2851 final, C (2021) 2854 final et C (2021) 2855 final de la Commission, du 19 avril 2021, accueillant les demandes des autorités de la concurrence belge, néerlandaise, grecque, islandaise et norvégienne de se joindre à cette demande de renvoi, ainsi que la lettre de la Commission européenne du 11 mars 2021 informant Illumina et Grail de cette demande de renvoi ;

–        condamner la Commission aux dépens ; et

–        ordonner que la République française, le Royaume des Pays-Bas, l’Autorité de surveillance AELE et Biocom California supportent leurs propres dépens.


1       Langue originale : l’anglais.


2      Conclusions de l’avocat général Tizzano dans l’affaire Commission/Tetra Laval (C‑12/03 P, EU:C:2004:318, point 73).


3      Sur ces questions, voir International Competition Network Merger Working Group Notification & Procedures Subgroup, « Setting Notification Thresholds for Concentration Review », avril 2008 [consultable sur le site internet du réseau international de la concurrence (International Competition Network)].


4      JO 2004, L 24, p. 1.


5      Règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1989, L 395, p. 1). L’article 22, paragraphes 3 à 6, du règlement no 4064/89 est libellé de la manière suivante :


« 3.      Si la Commission constate, à la demande d’un État membre, qu’une opération de concentration, telle que définie à l’article 3 mais sans dimension communautaire au sens de l’article 1er, crée ou renforce une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative sur le territoire de l’État membre concerné, elle peut, dans la mesure où cette concentration affecte le commerce entre États membres, prendre les décisions prévues à l’article 8 paragraphe 2 deuxième alinéa et paragraphes 3 et 4.


4.      L’article 2 paragraphe 1 points a) et b) ainsi que les articles 5, 6, 8 et 10 à 20 sont d’application. Celle-ci doit intervenir au plus tard dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle l’opération de concentration a été communiquée à l’État membre ou réalisée. […]


5.      La Commission ne prend, en application du paragraphe 3, que les mesures strictement nécessaires pour préserver ou rétablir une concurrence effective sur le territoire de l’État membre à la demande duquel elle est intervenue.


6.      Les paragraphes 3, 4 et 5 restent d’application jusqu’à la révision des seuils visés à l’article 1er paragraphe 2 ».


6      Règlement du 30 juin 1997 modifiant le règlement (CEE) nº 4064/89 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1997, L 180, p. 1, ci-après le « règlement no 1310/97 »). Il a notamment modifié l’article 22 du règlement no 139/2004 comme suit : (i) en introduisant une référence aux demandes conjointes de deux ou plusieurs États membres au paragraphe 3 ; (ii) en introduisant les phrases « L’article 7 est applicable pour autant que l’opération de concentration n’a pas été réalisée à la date à laquelle la Commission informe les parties qu’une demande a été déposée » et « [la demande] doit intervenir au plus tard dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle l’opération de concentration a été portée à la connaissance de l’État membre ou des États membres introduisant une demande commune ou a été réalisée » au paragraphe 4 ; et (iii) en supprimant le paragraphe 6.


7      EU:T:2022:447.


8      JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE ».


9      JO 2021, C 113, p. 1.


10      Voir, par exemple, arrêt du 22 juin 2023, DI/BCE (C‑513/21 P, EU:C:2023:500, point 47 et jurisprudence citée).


11      C‑457/23 P, EU:C:2023:760.


12      Voir, notamment, arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 128 et jurisprudence citée). Mise en italique par mes soins.


13      Voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, EU:C:2022:548, points 130 et 131, et jurisprudence citée), ainsi que conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, EU:C:2021:831, point 120).


14      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).


15      Arrêt du 12 juillet 2022, Pologne/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 129 et jurisprudence citée).


16      Voir, par exemple, ordonnance du 12 juin 2019, OY/Commission (C‑816/18 P, EU:C:2019:486, point 6 des conclusions de l’avocat général citées au point 4 de l’ordonnance, et jurisprudence citée).


17      Voir, plus précisément, ordonnance du 12 juin 2019, OY/Commission (C‑816/18 P, EU:C:2019:486, points 9 et 10).


18      Voir, à nouveau, conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, EU:C:2021:831, point 177 et jurisprudence citée).


19      Voir, par exemple, arrêts du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 86), et du 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (C‑611/16 P, EU:C:2021:245, point 153).


20      Voir, par analogie, arrêt du 30 septembre 2021, Cour des comptes/Pinxten (C‑130/19, EU:C:2021:782, points 310 et 311 et jurisprudence citée).


21      Point 177 de l’arrêt attaqué. Mise en italique par mes soins.


22      Points 89, 90 et 92 de l’arrêt attaqué.


23      Point 91 de l’arrêt attaqué (mise en italique par mes soins). Cela est le cas de la majorité des versions linguistiques du règlement et, d’ailleurs, d’une minorité de versions linguistiques (telles que les versions en langue néerlandaise et suédoise) qui n’utilisent pas l’expression « toute concentration » mais d’autres termes qui pourraient être traduits par « une concentration ».


24      Point 93 de l’arrêt attaqué.


25      Points 94 et 95 de l’arrêt attaqué.


26      Arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335, point 20). Mise en italique par mes soins.


27      Voir, notamment, arrêt du 6 octobre 2020, Jobcenter Krefeld (C‑181/19, EU:C:2020:794, point 61 et jurisprudence citée). Mise en italique par mes soins.


28      Arrêt du 6 octobre 2020, Jobcenter Krefeld (C‑181/19, EU:C:2020:794, points 62 à 66).


29      Voir, par exemple, arrêts du 19 novembre 2009, Sturgeon e.a. (C‑402/07 et C‑432/07, EU:C:2009:716, points 40 à 69), et du 27 octobre 2016, Commission/Allemagne (C‑220/15, EU:C:2016:815, points 38 à 47).


30      (1969) UNTS Vol. 1155, p. 331. Voir, respectivement, article 31 et article 32.


31      Mise en italique par mes soins.


32      Ainsi que l’a relevé l’avocat général Wathelet, la Cour peut se limiter à l’interprétation littérale de la disposition lorsque le texte en question est absolument clair et univoque, mais elle n’est pas tenue de s’y limiter (voir, à cet égard, conclusions dans l’affaire France/Parlement, C‑73/17, EU:C:2018:386, point 25 et jurisprudence citée).


33      Voir, notamment, les termes « postoupení » (tchèque), « Verweisung » (allemand), « παραπομπή » (grec), « remisión » (espagnol), « referral » (anglais), « áttétel » (hongrois), « rinvio » (italien), « remessa » (portugais) et « napotitev » (slovène).


34      Mise en italique par mes soins.


35      Point 142 de l’arrêt attaqué (mise en italique par mes soins). Voir, également, points 141, 165, 177 et 182 de cet arrêt.


36      Livre vert de la Commission du 31 janvier 1996 concernant la révision du règlement sur les concentrations [COM (96) 19 final], mentionné aux points 97 et 98 de l’arrêt attaqué.


37      Livre vert de la Commission du 11 décembre 2001 sur la révision du règlement (CEE) no 4064/89 du Conseil [COM (2001) 745 final], mentionné aux points 97, 99, 101 et 103 de l’arrêt attaqué.


38      Proposition de règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« Le règlement CE sur les concentrations ») (JO 2003, C 20, p. 4), mentionnée au point 97 et aux points 106 à 113 de l’arrêt attaqué.


39      Document de travail des services de la Commission accompagnant la communication de la Commission au Conseil – Rapport sur le fonctionnement du règlement no 139/2004, du 30 juin 2009 [SEC (2009) 808 final/2], mentionné aux points 97 et 115 de l’arrêt attaqué.


40      Malheureusement, le Tribunal n’a pas pris expressément position sur ce point et cette position ne peut pas non plus être déduite de l’examen de la motivation de l’arrêt attaqué. En effet, le Tribunal s’est référé sans distinction à des éléments présents dans le règlement initial no 4064/89 et aux éléments ajoutés ultérieurement, par le règlement no 1310/97 ou le règlement no 139/2004.


41      Point 97 de l’arrêt attaqué.


42      Point 98 de l’arrêt attaqué.


43      Point 102 de l’arrêt attaqué.


44      En particulier, en 1997, lorsque la disposition a été modifiée. Voir point 103 de l’arrêt attaqué.


45      Point 109 de l’arrêt attaqué.


46      Voir, notamment, arrêts du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission (C‑326/05 P, EU:C:2007:443, points 60 à 68), et du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil (C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 76).


47      Point 99 de l’arrêt attaqué.


48      Cela était encore exact au moment de la rédaction des présentes conclusions. Toutefois, je crois savoir que la situation peut évoluer dans un avenir proche, car le gouvernement luxembourgeois a introduit en août 2023 un projet de loi établissant un régime de contrôle des concentrations dans ce pays.


49      Points 9 et 10 du livre vert de 1996 (mise en italique par mes soins).


50      Point 86 du livre vert de 2001, auquel il est fait référence au point 103 de l’arrêt attaqué.


51      Par des notifications « volontaires », elle a fait référence aux notifications déposées auprès de l’autorité britannique de la concurrence, étant donné que le Royaume-Uni (qui, à l’époque, était un État membre de l’Union) applique un régime de contrôle des concentrations qui, contrairement aux régimes tant de l’Union que des autres États membres, n’est pas fondé sur des notifications obligatoires, mais sur des notifications volontaires.


52      Voir, en particulier, page 2 (« Résumé ») et points 72 à 88 du livre vert de 2001.


53      Point 53 (mise en italique par mes soins).


54      Ce point est encore souligné par la référence, dans le livre vert de 2001, au fait qu’il n’y a pas de définition de ce qu’il y a lieu d’entendre par « porter une opération de concentration à la connaissance de l’État membre », mais qu’« il paraît naturel de prendre la date d’une notification nationale comme date de départ dans les États membres où la notification est obligatoire ». Là encore, la Commission est clairement saisie d’opérations qui ont attiré l’attention des autorités nationales parce qu’elles sont soumises à leurs régimes nationaux de contrôle des concentrations.


55      Voir, en particulier, les points 93, 95 et 99 du livre vert de 2001.


56      Mise en italique par mes soins.


57      Voir point 138 du document de travail des services de 2009 : « sur la question de savoir si un État membre doit ou non être en mesure de procéder ou de se joindre à un renvoi sans être compétent au titre de l’opération, cinq États ont estimé qu’il convenait de l’autoriser, tandis que neuf ont considéré que tel ne devait pas être le cas. Cela soulève la question de savoir si un État membre devrait ou non pouvoir renvoyer une opération lorsque sa compétence n’est pas déclenchée mais que l’activité des parties a un effet dans cet État membre » (mise en italique par mes soins).


58      Voir points 133, 140 à 142, et 144 du document de travail des services de 2009 (mise en italique par mes soins). Voir, dans le même sens, point 86 du livre vert de 2001.


59      Voir, en particulier, les rapports du Conseil du 7 novembre 1988 (9114/88), du 10 novembre 1988 (9265/88) et du 8 décembre 1988 (10054/88).


60      Projet de procès-verbal de la 1339e réunion du Conseil du 18 juillet 1989 (8016/89 PV/CONS 47), p. 2.


61      In primis, règlement no 17 du Conseil du 6 février 1962 : premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité [CEE] (JO 1962, no 13, p. 204).


62      Proposition modifiée d’un règlement (CEE) du Conseil sur le contrôle des opérations de concentration entre entreprises [COM(88) 97 final] (JO 1988, C 130, p. 4). L’article 22 de cette proposition, intitulé « Application exclusive du présent règlement », est libellé de la manière suivante : « Les règlements no 17, (CEE) no 1017/68, (CEE) no 4056/86 et (CEE) no 3975/87 ne sont pas applicables aux concentrations relevant du présent règlement ».


63      Voir Conseil, note de la Présidence au Conseil, 7 avril 1989 [5857/89 (RC 9)], annexe, p. 4 ; rapports du 12 avril 1989 (6267/89, RC 12) ; projet de procès-verbal de la 1339e réunion du Conseil du 18 juillet 1989 (8016/89 PV/CONS 47), p. 13 ; rapports du 9 novembre 1989, [9672/89 (RC 41)], p. 3. Voir également lettre de Sir Leon Brittan, adressée au Conseil, [SG (89) D/5429], 24 avril 1989, p. 2.


64      Voir rapport de la Commission au Conseil sur l’application du règlement « Concentrations », du 28 juillet 1993, [COM(14) 1993 final, p. 14] (ci-après le « rapport de 1993 ») ; Commission, note de G. Drauz au service juridique (COMP/HT.60), groupe de travail du Conseil, du 6 juin 2003 (11430), point 4.


65      Voir Sir Leon Brittan, Competition Policy and Merger Control in the Single European Market, Grotius, 1991, p. 33 et 49. De même, Jones, C., « Procedures and Enforcement under EEC Merger Regulation », dans Hawk, B. (ed.), Annual Proceedings of the Fordham Corporate Law Institute, 1990, p. 476.


66      Voir rapport de la Commission de 1993, p. 7. Voir également Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant la révision du règlement sur les concentrations, COM (96) 313 final, p.5. Voir également Levy, N., Rimsa, A., et Buzatu, B., « The jurisdictional reach of EC merger control : Striking the right balance », dans Kokkoris, I., et Levy, N., Research Handbook on Global Merger Control, Edward Elgar Publishing, 2023, p. 219 : « Aucun régime efficace de contrôle des concentrations ne peut appréhender toutes les opérations susceptibles d’affecter la concurrence dans une juridiction donnée ».


67      Voir Conseil, Résultats des travaux du Groupe des questions économiques (contrôle des concentrations), 8 mars 1989 (5770/89 RC 8) p. 4. Voir également lettre de Sir Leon Brittan, adressée au Conseil, 30 mars 1989 [SG (89) D/4008], p. 2.


68      Voir Conseil, Rapport au Comité des représentants permanents, 9 décembre 1988, (10189/89 RC 36), p. 8 ; et avis du service juridique, 11 juillet 1989 (7896/89 JUR 98 RC 24), p. 10. Voir également Commission, rapport de 1993, p. 14.


69      Voir lettre de Sir Leon Brittan, adressée au Conseil, 30 mars 1989 [SG (89) D/4008], p. 39, 48 et 53.


70      Voir Conseil, avis du service juridique, 11 juillet 1989 (7896/89 JUR 98 RC 24), p. 4.


71      Voir points 201 et 208 des présentes conclusions.


72      Ce chiffre correspond au nombre d’États membres de l’Union (à l’exception du Luxembourg) et des États de l’EEE/AELE (Islande et Norvège) qui disposent actuellement d’un régime national de contrôle des concentrations.


73      Au contraire, l’adoption du règlement no 139/2004 visait à améliorer les points forts du règlement no 4064/89. Voir Commission, note de G. Drauz au service juridique (COMP/HT.60), groupe de travail du Conseil, 6 juin 2003 (11430), p. 7 ; et proposition de la Commission de 2003, p. 10.


74      Voir notes 5 et 6 des présentes conclusions.


75      JO 2005, C 56, p. 2.


76      Voir, en particulier, points 33, 45, 47 et 50 de la Communication.


77      Voir point 45 de la Communication.


78      Points 2 et 79 du livre blanc de 2014.


79      Points 69 et 70 du livre blanc de 2014.


80      Point 61 du livre blanc de 2014.


81      Points 21, 63 et 69 du livre blanc de 2014.


82      Disponible sur le site de la Commission. Voir, en particulier, sections A.1, B.2 et B.3.


83      Point 139 de l’arrêt attaqué.


84      Auparavant, les articles 87 et 235 du traité CEE.


85      Points 119 et 120 de l’arrêt attaqué.


86      Voir considérant 7 du règlement no 4064/89 et considérant 7 du règlement no 139/2004.


87      Voir, notamment, Conseil, Résultats des travaux du Groupe des questions économiques (contrôle des concentrations), 29 mai 1989, (7752/89 RC 20) p. 5 ; Résultats des travaux du Groupe des questions économiques (contrôle des concentrations), 22 juin 1989, (7827/89 RC 22) p. 1, annexe II, p. 3 ; et avis du service juridique, 11 juillet 1989 (7896/89 JUR 98 RC 24), p. 4.


88      À cette date, article 38 CEE et annexe II au traité CEE.


89      En substance, l’article 352, paragraphe 1, TFUE permet au Conseil d’adopter des mesures appropriées lorsqu’une action de l’Union s’avère nécessaire, dans le cadre des politiques définies par les traités, pour atteindre l’un des objectifs visés par les traités, sans que ceux-ci n’aient prévu les pouvoirs d’action requis à cet effet.


90      Sur cette question, voir également Dashwood, A., Community Report, XIVth FIDE Congress, Madrid, 2010.


91      Points 121 à 124 de l’arrêt attaqué. Mise en italique par mes soins.


92      Points 125 et 126 de l’arrêt attaqué.


93      L’article 4, paragraphe 4, du règlement no 139/2004 permet aux parties à une concentration de demander à la Commission de renvoyer l’examen, en tout ou en partie, d’une concentration de dimension communautaire aux autorités d’un État membre lorsque cette concentration « risque d’affecter de manière significative la concurrence sur un marché à l’intérieur d’un État membre qui présente toutes les caractéristiques d’un marché distinct ». Pour sa part, l’article 9 du règlement no 139/2004 permet à la Commission, dans certaines circonstances, de renvoyer une concentration qui lui a été notifiée aux autorités compétentes des États membres concernés.


94      Points 127 à 129 de l’arrêt attaqué.


95      Point 130 de l’arrêt attaqué.


96      Mise en italique par mes soins.


97      Point 130 de l’arrêt attaqué (mise en italique par mes soins).


98      Mise en italique par mes soins dans ces dispositions.


99      Voir points 100, 103 et 105 des présentes conclusions. En ce qui concerne, plus spécifiquement, le règlement no 139/2004, voir également son considérant 12. Cette évolution, également due à la réduction progressive du champ d’application du mécanisme de renvoi, a été soulignée dans la doctrine : voir, par exemple, Albors-Llorens, A., Goyder, D. G., et Goyder, J., Goyder’ s EC Competition Law, 5e édition, Oxford University Press, 2009, p. 43 1 ; et Frenz, W., Handbook of EU Competition Law, Springer, 2016, p. 1308.


100      Point 131 de l’arrêt attaqué.


101      Point 132 de l’arrêt attaqué. Mise en italique par mes soins.


102      Mise en italique par mes soins. Je reviendrai sur cette question aux points 155 et 156 des présentes conclusions.


103      En effet, la procédure a été valablement déclenchée et, le cas échéant, une demande conjointe de renvoi par plusieurs États membres renforce la cohérence du système : si la demande est acceptée, tous les États membres concernés peuvent ne plus appliquer « leur droit national de la concurrence à la concentration concernée » (article 22, paragraphe 3, du règlement no 139/2004), y compris leurs dispositions relatives aux accords anticoncurrentiels et aux abus de position dominante à l’égard de la concentration en question. Voir, sur ce dernier aspect, point 134 de l’arrêt attaqué.


104      Voir, plus en détail, points 206 à 214 des présentes conclusions.


105      Point 133 de l’arrêt attaqué.


106      Voir, cependant, points 152 à 162 des présentes conclusions.


107      Point 134 de l’arrêt attaqué.


108      Points 135 et 136 de l’arrêt attaqué.


109      En effet, (i) si un État membre ne disposant pas d’un régime national de contrôle des concentrations soumet une demande de renvoi, l’obligation de suspension prévue à l’article 7 du règlement no 139/2004 s’applique à la concentration en question indépendamment de la question de savoir si cette concentration relève d’un ou de plusieurs autres régimes nationaux de contrôle des concentrations et (ii) si un État membre soumet une demande de renvoi, l’obligation de suspension prévue à l’article 7 du règlement no 139/2004 s’applique à la concentration en question en vertu du règlement no 4064/89, et ce indépendamment du fait que la législation de cet État membre prévoie ou non une obligation équivalente.


110      Comme l’Autorité de surveillance AELE l’a souligné à juste titre dans ses observations, le règlement no 139/2004 est un acte qui, en vertu de l’article 57 de l’accord EEE, est également applicable dans les « États de l’AELE membres de l’EEE » (Islande, Liechtenstein et Norvège). Le Liechtenstein n’a pas de régime national de contrôle des concentrations.


111      Cela est notoirement le cas du Royaume-Uni, qui était toujours un État membre de l’Union européenne au moment de l’adoption du règlement no 4064/89 et du règlement no 139/2004.


112      Pour une bonne vue d’ensemble de ces aspects spécifiques du régime, voir les « Merger Notification and Procedures Templates » soumis par de nombreux États membres de l’Union au réseau international de la concurrence [International Competition Network] (consultables sur le site internet du réseau international de la concurrence).


113      Point 137 de l’arrêt attaqué.


114      Arrêt du 15 décembre 1999, Kesko/Commission (T‑22/97, EU:T:1999:327, point 84).


115      Point 138 de l’arrêt attaqué.


116      Voir points 129 à 133 des présentes conclusions.


117      Voir, en particulier, article 22, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 139/2004 : « Tous les délais nationaux relatifs à la concentration sont suspendus ». Mise en italique par mes soins.


118      Voir, à nouveau, article 22, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 139/2004 : « jusqu’à ce que, conformément à la procédure prévue au présent article, le lieu d’examen de la concentration ait été fixé ». Mise en italique par mes soins.


119      Mise en italique par mes soins.


120      S’agissant de l’article 22, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement no 139/2004, voir points 133 et 150 de l’arrêt attaqué. Toutefois, le Tribunal n’a examiné que les termes « tous les délais nationaux » et non la formulation « jusqu’à ce que [...] le lieu d’examen de la concentration ait été fixé ». En ce qui concerne le considérant 15 (« également compétents »), voir points 149 à 151 de l’arrêt attaqué.


121      Mise en italique par mes soins.


122      Voir, également, les expressions similaires figurant, par exemple, dans les versions en langue allemande (« für »), grecque (« για λογαριασμό »), espagnole (« en nombre de »), française (« au nom d[e] ») et italienne (« per conto di ») du règlement. Article soulignant que la Commission semble agir dans le cadre d’une sorte de délégation des pouvoirs détenus par l’autorité nationale compétente : Cohen-Tanugi, C., et al., La pratique communautaire du contrôle des concentrations, De Boeck Université, 1995, p. 56. Lettre de Sir Leon Brittan, adressée au Conseil, 30 mars 1989 [SG (89) D/4008], p. 52.


123      Mise en italique par mes soins. Cette disposition n’a fait l’objet que d’une modification mineure en 1997 et a ensuite été abrogée par le règlement no 139/2004, car elle n’était plus conforme à la nouvelle fonction de guichet unique prévue à l’article 22 du règlement no 139/2004. Voir Cook, J., et Kerse, C., EC Merger Control, 5e édition, Sweet Maxwell, 2005, p. 343.


124      Le fait que les pouvoirs limités de la Commission impliquaient une marge de manœuvre restreinte pour le mécanisme de renvoi prévu à l’article 22 du règlement no 4064/89 a été souligné, par exemple, par Cook, J., et Kerse, C., EEC Merger Control – Regulation 4064/89, 1ère édition, Sweet&Maxwell, 1991, p. 60 et 61.


125      En effet, la modification du règlement no 139/2004 nécessiterait normalement l’unanimité (car sa base juridique est l’article 352 TFUE), mais l’article 1er, paragraphe 5, du règlement no 139/2004 habilite le Conseil à modifier les seuils en « statuant à la majorité qualifiée ».


126      Voir également considérant 9 du règlement no 139/2004 qui mentionne que « […] La Commission devrait faire rapport au Conseil sur la mise en œuvre des seuils et critères applicables, de sorte que le Conseil, statuant en vertu de l’article 202 du traité, soit en mesure de les réviser régulièrement […] à la lumière de l’expérience acquise. À cet effet, les États membres doivent fournir à la Commission des données statistiques pour lui permettre d’élaborer ces rapports et des propositions éventuelles de modification. Les rapports et propositions de la Commission devraient s’appuyer sur les informations pertinentes régulièrement fournies par les États membres » (mise en italique par mes soins). À la lumière de ce considérant, je lis l’article 1er, paragraphes 4 et 5, du règlement no 139/2004 comme permettant de recourir à la procédure simplifiée à tout moment après la remise du rapport dû pour le 1er juillet 2009. Toutefois, je reconnais que le libellé de la disposition laisse place à une ambiguïté qui pourrait laisser croire que la procédure simplifiée n’était applicable qu’aux modifications proposées à la suite de l’adoption du rapport de 2009. Néanmoins, même en faisant abstraction de la formulation spécifique du considérant 9 du règlement no 139/2004, l’idée selon laquelle cette disposition ne serait applicable qu’une seule fois apparaît illogique. En effet, au fil du temps, la nécessité d’ajuster les seuils devient encore plus manifeste.


127      Article soulignant la nature temporaire du mécanisme : Downes, T. A., et Ellison, J., The legal control of mergers in the EC, Blackston, 1991, p. 63 à 65.


128      Lettre de Sir Leon Brittan, adressée au Conseil, 30 mars 1989 [SG (89) D/4008], p. 42 : « Cette disposition est définie de manière étroite et n’est pas susceptible de permettre à la Commission d’examiner, de façon générale, les concentrations n’atteignant pas le seuil fixé, même si cette dernière était encline à éluder l’esprit de la disposition relative au seuil de cette manière » (mise en italique par mes soins). Voir, également, Sir Leon Brittan, « The Law and Policy of Fusion Control in the EEC », European Law Review, 1990, p. 245.


129      Voir, en particulier, considérant 10 du règlement no 1310/97 et considérants 11, 12 et 14 du règlement no 139/2004.


130      Ainsi que cela est mentionné au point 142 de l’arrêt attaqué.


131      Mise en italique par mes soins.


132      Mise en italique par mes soins.


133      Voir, notamment, arrêt du 4 mars 2020, Marine Harvest /Commission (C‑10/18 P, EU:C:2020:149, point 108 et jurisprudence citée). Voir, également, arrêt du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission(T‑332/09, EU:T:2012:672, point 246).


134      Ce considérant était libellé comme suit : « considérant que, dès lors, il y a lieu de créer un instrument juridique nouveau sous forme d’un règlement qui permette un contrôle effectif de toutes les opérations de concentration en fonction de leur effet sur la structure de concurrence dans la Communauté et qui soit le seul applicable à de telles concentrations ».


135      Selon cette disposition, nonobstant la compétence exclusive de la Commission pour contrôler les concentrations relevant du champ d’application du règlement no 139/2004, « les États membres peuvent prendre les mesures appropriées pour assurer la protection d’intérêts légitimes autres que ceux qui sont pris en considération par le présent règlement et compatibles avec les principes généraux et les autres dispositions du droit communautaire ».


136      Voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2017, Austria Asphalt (C‑248/16, EU:C:2017:643, point 21). Voir, également, arrêts du 25 mars 1999, Gencor/Commission (T‑102/96, EU:T:1999:65, point 314) ; et du 22 septembre 2021, Altice Europe/Commission (T‑425/18, EU:T:2021:607, point 299).


137      Voir arrêt du 22 juin 2004, Portugal/Commission (C‑42/01, EU:C:2004:379, point 50), et considérant 8 du règlement no 139/2004.


138      Voir considérant 9 du règlement no 139/2004.


139      Voir, en particulier, point 140 de l’arrêt attaqué.


140      Mise en italique par mes soins. En réalité, la doctrine a également mentionné le règlement no 4064/89 comme un instrument poursuivant plusieurs objectifs : voir, par exemple, Navarro Varona et al., Merger Control in the EU : Law, Economics and Practice, 1ère édition, Oxford University Press, 2001, p. 1 à 5.


141      Voir les références au principe de subsidiarité aux considérants 6, 8, 11 et 14. Voir également le considérant 8 in fine : « Concentrations not covered by this Regulation come, in principle, within the jurisdiction of the Member States [Les concentrations non couvertes par le présent règlement relèvent, en principe, de la compétence des États membres] » qui n’a pas d’équivalent dans la version en langue française du règlement.


142      Voir les références au principe du guichet unique aux considérants 8 et 11, à la « compétence exclusive » de la Commission au considérant 17 et aux limites qui en découlent pour l’action des États membres aux considérants 18 et 19.


143      Voir les références à l’efficacité aux considérants 14, 15 et 16, à la prévisibilité au considérant 15 et à la sécurité juridique aux considérants 11, 25 et 34. Voir également le livre vert de 1996, point 29. Dans la doctrine, voir notamment Blaise, J.B., « Concurrence – Contrôle des opérations de concentration », Revue trimestrielle de droit européen, 1990, p. 743 ; et Venit, J., « The “merger” control regulation : Europe comes of age…or Caliban’s dinner », Common Market Law Review, 1990, p. 44.


144      De même, Whish, R., et Bailey, D., Competition Law, 8e édition, Oxford University Press, 2018, p. 832 et 833.


145      Voir, d’une manière générale, Irarrazabal Philippi, F., « Merger control procedure », Global Dictionary of Competition Law, Concurrences, art. No 12342.


146      Arrêt du 22 juin 2004, Portugal/Commission (C‑42/01, EU:C:2004:379, points 51 et 53). Voir, également, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Cementbouw Handel & Industrie/Commission (C‑202/06 P, EU:C:2007:255, point 44).


147      Voir arrêt du 22 juin 2004, Portugal/Commission (C‑42/01, EU:C:2004:379, point 50). Voir également considérant 8 ( « [c]oncentrations not covered by this Regulation come, in principle, within the jurisdiction of the Member States [Les concentrations non couvertes par le présent règlement relèvent, en principe, de la compétence des États membres] » qui n’a pas d’équivalent dans la version en langue française du règlement et le considérant 9 (« [i]l convient [de limiter] le champ d’application du présent règlement [...] par des seuils quantitatifs afin de couvrir les concentrations qui revêtent une dimension communautaire »).


148      Voir note 141 des présentes conclusions.


149      Sir Leon Brittan, « Subsidiarity in the Constitution of the EC », Robert Schuman Lecture, European University Institute, 1992, p. 12.


150      Article 5, paragraphe 3, premier alinéa, TUE : « En vertu du principe de subsidiarité, [...] l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union ».


151      Voir règlement d’exécution (UE) 2023/914 de la Commission, du 20 avril 2023, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises et abrogeant le règlement (CE) no 802/2004 de la Commission (JO 2023, L 119, p. 22).


152      Règlement (UE) 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 (règlement sur les marchés numériques) (JO 2022, L 265, p. 1).


153      Arrêt du 13 juillet 2023, Commission/CK Telecoms UK Investments (C‑376/20 P, EU:C:2023:561, point 72 et jurisprudence citée).


154      Ainsi qu’il a été souligné par l’ensemble de la doctrine, voir, par exemple, Bushell, G., Chapter II, dans Jones, C., et Weinert, L. (eds), EU Competition Law, Vol. II, Book One, Edward Elgar Publishing, 2021, p. 41.


155      Voir, récemment, arrêt du 22 novembre 2022, Commission/Conseil (Adhésion à l’acte de Genève) (C‑24/20, EU:C:2022:911, point 83).


156      Cela vaut a fortiori si l’on considère, comme moi, que la procédure simplifiée prévue l’article 1er, paragraphes 4 et 5, du règlement no 139/2004 pour la modification de ces seuils est toujours applicable. Voir notes 125 et 126 des présentes conclusions.


157      Voir, notamment, arrêt du 24 novembre 1992, Poulsen et Diva Navigation (C‑286/90, EU:C:1992:453, point 28).


158      Arrêts du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 40 à 47), et du 25 mars 1999, Gencor/Commission (T‑102/96, EU:T:1999:65, point 243).


159      Voir conclusions de l’avocat général Darmon dans les affaires jointes Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (89/85, 104/85, 114/85, 116/85, 117/85 et 125/85 à 129/85, EU:C:1988:258, point 57).


160      Voir, par exemple, s’agissant du droit de la concurrence, conclusions de l’avocat général Wathelet dans l’affaire InnoLux/Commission (C‑231/14 P, EU:C:2015:292, points 39 à 42), et de l’avocat général Wahl dans l’affaire Intel Corporation/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2016:788, points 283 et 300) ; ainsi que, dans un autre contexte, conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Nikiforidis (C‑135/15, EU:C:2016:281, point 88).


161      Voir, par exemple, article I.2, sous b), et article IV de l’accord du 4 juin 1998 entre les Communautés européennes et le gouvernement des États-Unis d’Amérique concernant la mise en œuvre des principes de courtoisie active dans l’application de leurs règles de concurrence (JO 1998, L 173, p. 28).


162      Voir, en particulier, Avis de la Cour suprême des États-Unis, F. Hoffmann-La Roche, Ltd. v. Empagran S.A., 124 S. Ct. 2359 (2004).


163      Voir, notamment, arrêt du 17 décembre 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a. (C‑336/19, EU:C:2020:1031, point 85). S’agissant de l’application de ce principe dans le présent contexte, voir, mutatis mutandis, point 236 de l’arrêt attaqué.


164      Comme l’a indiqué Korah V., il peut être très coûteux pour les entreprises de traiter avec plusieurs autorités et de leur fournir des informations dans différentes langues et sous différentes formes dans des délais différents, mais, en tout état de cause, brefs (voir An Introductory Guide to EC Competition Law and Practice, 8e édition, Hart, 2004, p. 356).


165      Arrêt du 16 mars 2023 (C‑449/21, EU:C:2023:207).


166      Arrêt du 21 décembre 2023 (C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 131).


167      Voir, mutatis mutandis, United States Department of Justice and the Federal Trade Commission, Horizontal Merger Guidelines, 2010, Section 6.4.


168      Voir, avec références citées, Organisation for Economic Co-operation and Development (OCDE), « Disentangling Consummated Mergers : Experiences and Challenges », Competition Policy Roundtable Background Note, 2022.


169      Sur ce sujet, voir, par exemple, Ginsburg, D. H., et Wong-Ervin, K. W., « Challenging Consummated Mergers Under Section 2 », Competition Policy International, Mai 2020.


170      Directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur (JO 2019, L 11, p. 3). Sur cette directive, voir, de manière générale, Arsenidou, E., « The ECN+ Directive », dans Dekeyser, K. et al. (eds), Regulation 1/2003 and EU Antitrust Enforcement – A Systematic Guide, Wolters Kluwer, 2023, p. 143 à 149.


171      Voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Towercast (C‑449/21, EU:C:2022:777, point 63).


172      Sur les mesures provisoires, voir récemment OECD, « Interim Measures in Antitrust Investigations », Competition Policy Roundtable Background Note, 2022.


173      Voir, par exemple, arrêt du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem) (C‑435/22 PPU, EU:C:2022:852, point 119 et jurisprudence citée).


174      Arrêt du 3 avril 2003, Royal Philips Electronics/Commission (T‑119/02, EU:T:2003:101, point 354).


175      Voir point 182 de l’arrêt attaqué. Le sens de ce passage demeure, pour moi, assez obscur.


176      Voir, à cet égard, point 203 de l’arrêt attaqué.


177      Voir, à cet égard, point 199 de l’arrêt attaqué.


178      Voir, avec la jurisprudence citée, mes conclusions dans l’affaire HSBC Holdings e.a./Commission (C‑883/19 P, EU:C:2022:384, points 38 à 59).


179      Voir, à cet égard, point 221 de l’arrêt attaqué.


180      Voir, à cet égard, point 226 de l’arrêt attaqué.


181      Voir, par analogie, la jurisprudence des juridictions de l’Union à laquelle il est fait référence au point 240 de l’arrêt attaqué.


182      Il est notamment difficile de comprendre pourquoi les requérantes ont été contactées par la Commission, puis informées de ses préoccupations, près de trois mois après que la Commission a reçu une plainte concernant la concentration, alors que la Commission a eu – tout au long de cette période – de nombreux échanges avec le plaignant, plusieurs ANC, les autorités d’autres États membres et la Competition and Markets Authority (autorité de la concurrence et des marchés).


183      Discours intitulé « The Future of EU Merger Control », prononcé lors de la 24e conférence annuelle de la concurrence de l’Association internationale du barreau le 11 septembre 2020.


184      Voir, à cet égard, point 260 de l’arrêt attaqué.


185      Voir, à cet égard, point 261 de l’arrêt attaqué.


186      Voir, par exemple, arrêts du 20 mai 2021, Riigi Tugiteenuste Keskus (C‑6/20, EU:C:2021:402, point 49), et du 31 mars 2022, Smetna palata na Republika Bulgaria (C‑195/21, EU:C:2022:239, point 65).


187      Voir, à cet égard, point 62 de l’arrêt attaqué.


188      Voir, à cet égard, points 79 et 80 de l’arrêt attaqué.