Language of document : ECLI:EU:C:2017:134

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 16 février 2017 (1)

Affaire C36/16

Minister Finansów

contre

Posnania Investment S.A.

[demande de décision préjudicielle formée par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne)]

« Législation fiscale – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Opérations soumises à la TVA – Livraison à titre onéreux – Opération d’un assujetti en tant que tel – Obligation fiscale d’effectuer une dation en paiement d’un bien aux fins de l’extinction d’une dette fiscale »






I.      Introduction

1.        La dation de biens en paiement aux fins de s’acquitter d’une dette fiscale constitue-t-elle une opération soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) lorsque le redevable est également un assujetti au sens de la réglementation en matière de TVA ? Cette question, à laquelle il n’a pas encore été répondu jusqu’à ce jour, fait l’objet de la présente demande de décision préjudicielle.

2.        Dans la procédure au principal, une société a fait usage d’une telle possibilité, autorisée par la réglementation polonaise en matière de procédure fiscale, de payer en nature des arriérés d’impôts en transférant la propriété d’un terrain à l’État. Or, cette société opérait aussi, notamment, en tant qu’agent immobilier.

3.        La question de savoir si une opération relative au paiement de l’impôt peut à nouveau être taxée semble singulière. Même compte tenu du caractère indirect de la TVA, dans le cadre de laquelle la charge fiscale doit être répercutée sur le destinataire – en l’espèce, l’État –, l’idée d’un assujettissement à la TVA semble étrange.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

4.        Le cadre juridique de l’affaire, au regard du droit de l’Union, est donné par l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (2). Aux termes de cette disposition, sont soumises à la TVA « les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ».

5.        L’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA définit l’assujetti comme suit :

« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence ».

6.        L’article 16, premier alinéa, de la directive TVA dispose par ailleurs ce qui suit :

« Est assimilé à une livraison de biens effectuée à titre onéreux le prélèvement, par un assujetti, d’un bien de son entreprise qu’il destine à ses besoins privés ou ceux de son personnel, qu’il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu’il affecte à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien ou les éléments le composant ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA ».

B.      Le droit polonais

7.        Le législateur polonais a transposé les dispositions de la directive TVA. De plus, selon les données fournies par la juridiction de renvoi, l’article 66, paragraphe 1, du code des impôts, introduit par la loi du 29 août 1997, autorise l’assujetti à payer des arriérés d’impôts en transférant la propriété d’un bien au fisc ou, notamment, à une commune pour autant que celle-ci a droit au produit de l’impôt en cause. Aux termes de l’article 66, paragraphe 2, du code des impôts, ce transfert et l’extinction de la dette fiscale afférente est réalisé sur la base d’un contrat conclu avec la commune (ou le fisc, notamment), dont les modalités sont précisés à l’article 66, paragraphes 2 et 3, du code des impôts. Aux termes de l’article 66, paragraphe 4, du code des impôts, la date de l’extinction de la dette fiscale est la date du transfert de propriété du bien remis.

III. Le litige au principal

8.        La requérante au principal, Posnania Investment S.A. (ci-après la « société ») est une société de droit polonais opérant, notamment, dans le domaine des transactions immobilières. Aux fins de régler des arriérés d’impôts, elle a fait usage de la possibilité prévue à l’article 66, paragraphe 1, du code des impôts et a conclu avec la commune compétente, le 5 février 2013, un contrat portant sur le transfert de propriété d’un terrain non bâti. Cela a entraîné une extinction partielle de la dette fiscale.

9.        Par la suite, la société a demandé au Minister Finansóv (ministre des Finances, Pologne) de répondre à la question de savoir si le transfert de propriété à la commune était soumis à la TVA. Selon elle, cela ne pouvait pas être le cas. À cet effet, elle a invoqué notamment la jurisprudence du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), selon laquelle le transfert de propriété au fisc en compensation d’arriérés d’impôts, dont le produit est affecté au budget de l’État, n’est pas soumis à la TVA.

10.      En revanche, dans son avis du 10 mai 2013, le ministre des Finances a considéré que le transfert de propriété par la société était une livraison soumise en principe à la TVA. C’est contre cet avis que la société a introduit un recours.

11.      Par arrêt du 13 février 2014, la juridiction de première instance a annulé l’avis du ministre des Finances en se référant à la jurisprudence précitée du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative). En particulier, l’attitude de l’administration des finances aurait violé le « principe de confiance ». Le ministre des Finances a introduit un recours en cassation contre cet arrêt.

IV.    Demande de décision préjudicielle et procédure devant la Cour de justice

12.      Par ordonnance du 21 septembre 2015, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative) a, en application de l’article 267 TFUE, posé à la Cour de justice la question préjudicielle suivante :

« Le transfert de la propriété d’un terrain (bien), par un assujetti à la TVA,

a)      au Trésor public – en compensation d’arriérés de taxes dont le produit est affecté au budget de l’État, ou

b)      à une commune, un district ou une voïvodie – en compensation d’arriérés de taxes dont le produit est affecté à leur budget,

ayant pour conséquence l’extinction de la dette fiscale, constitue-t-il une opération imposable (une livraison de bien à titre onéreux) au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), et de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ? »

13.      La République de Pologne et la Commission européenne ont déposé des observations écrites sur cette question dans le cadre de la procédure devant la Cour de justice.

V.      Appréciation juridique

14.      L’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA contient cinq conditions pour la naissance de la taxe. Il doit y avoir une livraison (1), effectuée par un assujetti (2) agissant en tant que tel (3), effectuée à titre onéreux (4) sur le territoire d’un État membre (5). Trois de ces conditions sont incontestablement réunies. Le transfert d’un terrain est une livraison. Cette livraison a également été effectuée par un assujetti sur le territoire d’un État membre.

15.      Par conséquent, la réponse à la question préjudicielle requiert, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA, d’examiner la question de savoir si, en l’espèce, il peut être considéré qu’il y a une livraison « à titre onéreux » (voir ci-après, sous A), pour laquelle l’assujetti a agi « en tant que tel » (voir ci-après, sous B).

A.      Livraison effectuée par un assujetti sur le territoire d’un État membre à titre onéreux

16.      La remise du terrain dans le cadre du paiement de l’impôt a été effectuée, ainsi que le reconnaissent la République de Pologne et la Commission, à titre onéreux au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA. La libération d’une dette d’argent à la suite d’une livraison ne peut pas être traitée autrement que comme étant la constitution d’une créance d’argent sur la base d’une livraison.

17.      Tout au plus pourrait se poser la question de savoir si la livraison et la libération de la dette fiscale se fondent sur un rapport juridique réciproque. En effet, la Cour de justice, dans ses arrêts, a estimé qu’un tel rapport était nécessaire. Ainsi, une livraison de biens n’est effectuée « à titre onéreux », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA, que s’il existe entre le fournisseur et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le fournisseur constituant la contre-valeur effective du bien livré au bénéficiaire (3).

18.      Le fait que la livraison du terrain et la libération de la dette fiscale se fondent en l’espèce sur un rapport juridique découle déjà de l’article 66, paragraphe 1, du code des impôts. Ce dernier régit un rapport juridique légal. Ce rapport est également confirmé par le contrat de droit public prévu à l’article 66, paragraphe 2, du code des impôts. Tout au plus peut-on se demander si, en cas de libération légale de la dette fiscale (article 66, paragraphe 4, du code des impôts) en vertu de la dation d’un bien en paiement, il existe effectivement un rapport juridique réciproque, ou uniquement un rapport juridique unilatéral. Finalement, cette question peut toutefois rester ouverte.

19.      La TVA est un impôt général sur la consommation (4), qui frappe la dépense du destinataire pour la réception d’un avantage consommable (livraison ou prestation de services). Par conséquent, la notion de « rapport juridique » considéré comme nécessaire à cet effet doit être interprétée de manière très large. Ne peuvent être déterminants ni la validité au regard du droit civil, ni le fondement de droit civil ou de droit public, ni le caractère réciproque de ce fondement. Seule importe la question de savoir si le destinataire consacre des actifs à un avantage consommable (une livraison ou une prestation de services) qui lui est procuré par un assujetti (5). Est donc déterminante la réciprocité entre la dépense et l’avantage consommable et non pas la réciprocité des bases de droit civil ou public.

20.      Dans le cadre de cette interprétation large d’une opération à titre onéreux, requise par la réglementation en matière d’impôt sur la consommation, il y a lieu de constater en l’espèce – ainsi qu’en conviennent la République de Pologne et la Commission – l’existence d’une livraison à titre onéreux. Cela vaut également lorsque les dettes fiscales s’éteignent, en vertu de la loi, avec le transfert de la propriété du terrain (article 66, paragraphe 4, du code des impôts).

B.      Assujetti agissant en tant que tel

1.      Paiement d’une dette fiscale en tant qu’activité économique ?

21.      De plus, il convient de clarifier la question de savoir si un assujetti à la TVA qui, en tant que contribuable, paie ses impôts non pas avec de l’argent, mais en nature, agit également en tant qu’assujetti à la TVA, c’est-à-dire « en tant que tel » au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA.

22.      Un assujetti n’agit en cette qualité (« en tant que tel ») que lorsqu’il effectue des opérations dans le cadre de son activité taxable (6). Ainsi que cela ressort par ailleurs de l’article 9 de la directive TVA, une activité à titre onéreux ne suffit pas à elle seule à cet effet. La directive TVA exige au contraire une certaine qualité, à savoir une activité économique au moment de l’opération.

23.      Ce faisant, est déterminante en l’espèce la question de savoir si le paiement de dettes fiscales constitue une activité économique du contribuable au sens de l’article 9 de la directive TVA. En cas de réponse négative, il conviendrait encore de se demander si le fait que les dettes fiscales sont payées non pas avec de l’argent, mais en nature, change quelque chose à cela.

24.      Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, deuxième phrase, de la directive TVA, la notion d’« activités économiques » englobe toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services et, selon la jurisprudence, elle inclut tous les stades de la production, de la distribution et de la prestation de services (7).

25.      L’article 9, paragraphe 1, deuxième phrase, de la directive TVA décrit les activités économiques au moyen de profils professionnels. À bien y regarder, il s’agit en l’espèce d’une description typologique, consistant en une énumération des types (professions types) d’entreprise. Au contraire d’une notion abstraite, une délimitation typologique est plus ouverte. L’appartenance à un type ne doit pas être déterminée au moyen d’une qualification logico-abstraite, mais peut-être selon le degré de similitude avec l’archétype (modèle). Les éléments caractéristiques du type ne doivent pas tous être présents, mais l’un ou l’autre des éléments peut faire défaut dans un cas particulier. Le cas particulier à apprécier est uniquement classé dans un type au moyen d’une comparaison de la similitude. Ce classement exige une vue d’ensemble dans un cas particulier, qui tient compte de la perception du public et porte sur le degré de similitude avec le type (archétype).

26.      Quand bien même la notion d’« activités économiques » doit faire l’objet d’une interprétation large (8), le paiement de dettes fiscales ne constitue pas une telle activité économique. Au contraire, le paiement des impôts constitue simplement l’exécution d’une obligation personnelle de droit public, qui existe pour chaque contribuable, même lorsqu’il n’est pas assujetti à la TVA. Il en va de même lorsqu’il s’agit d’impôts fondés sur une activité économique – comme le paiement d’arriérés de TVA.

27.      Ce résultat n’est non plus en rien modifié par le fait que la dette fiscale est payée en nature. Le paiement en nature ne constitue finalement qu’une modalité particulière de paiement dans le cadre de la perception de l’impôt. Tout comme dans une procédure fiscale normale, la dette fiscale née légalement peut aussi être payée, en lieu et place de l’argent, par un bien en nature à hauteur de sa valeur objective – et non pas à hauteur d’un prix d’achat. Par conséquent, une telle opération dans le cadre de la perception de l’impôt prévue par le droit public ne peut pas être qualifiée d’« activité économique ». La remise d’actifs aux fins du paiement de sa propre dette fiscale n’est pas comparable à l’activité d’un assujetti typique à la TVA, au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA (par exemple, avec un commerçant qui achète des biens pour les revendre).

28.      Cela n’est non plus en rien modifié par le contrat de droit public prévu par le code des impôts. Ce dernier se contente de s’assurer de l’accord des parties sur une modalité particulière de paiement. Ce faisant, le créancier fiscal marque uniquement son accord sur le fait que la dette fiscale peut être éteinte par ce paiement en nature.

29.      De plus, la décision de renvoi ne contient non plus aucun indice indiquant que le droit national autoriserait le fisc à s’adresser à un contribuable et à lui proposer, au lieu de payer l’impôt avec de l’argent, de préférer le transfert de la propriété d’un terrain déterminé, qui, sinon, devrait être acquis moyennant paiement. Seul le contribuable peut décider s’il souhaite payer ses impôts en nature et au moyen de quels biens. Le fisc peut tout au plus marquer son accord sur ce moyen de paiement, mais il ne peut pas exiger un tel paiement.

30.      En particulier, la dette fiscale s’éteint en vertu de la loi par le transfert à hauteur de la valeur du bien. Cela ne dépend pas de la volonté ou de la négociation des parties au contrat de droit public. Dans un État de droit, la valeur de l’objet est déterminée au moyen de critères d’appréciation abstraits – applicables à tous les contribuables. À ces conditions – que doit toutefois vérifier la juridiction de renvoi –, on ne peut en principe pas parler d’une activité économique (typique) en cas de paiement de dettes fiscales par la remise d’un bien.

2.      Exception en raison de la proximité avec l’activité principale soumise à la taxe ?

31.      Cependant, en l’espèce, le transfert du terrain a été effectué non pas par un avocat ou un médecin, notamment, mais par un agent immobilier. Ce faisant, il est indéniable qu’il existe une certaine proximité de l’activité (dation du terrain en paiement) avec l’activité économique exercée (opérations immobilières).

32.      La Cour a examiné un cas de figure similaire dans l’affaire Kostov (9). Dans cette affaire, un assujetti (un huissier indépendant) avait conclu certains contrats de mandat aux fins d’acheter aux enchères des terrains pour le compte de tiers, contrats dont le contenu présentait une certaine proximité avec son activité principale (vente aux enchères). La Cour a reconnu que ces contrats étaient soumis à l’impôt.

33.      La Cour a déclaré que « l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’une personne physique, déjà assujettie à la TVA, pour ses activités d’huissier indépendant, doit être considérée comme “assujetti” pour toute autre activité économique exercée de manière occasionnelle, à condition que cette activité constitue une activité au sens de l’article 9, paragraphe 1, second alinéa, de la directive TVA » (10).

34.      Cela ne peut toutefois pas être compris en ce sens que toutes les opérations d’un assujetti à titre onéreux sont subitement effectuées aussi en sa qualité d’assujetti. Dans le cas concret examiné, il existait effectivement un rapport étroit entre « l’activité secondaire » de l’huissier et son activité principale soumise à l’impôt. Par conséquent, dans le cadre de l’approche typologique requise, le mandat litigieux dans cette affaire, exercé uniquement de manière occasionnelle pour des tiers étrangers, constituait en fait aussi une activité économique.

35.      En revanche, dans le cadre d’une approche typologique, le paiement de dettes fiscales d’un agent immobilier effectué par la dation en paiement d’un terrain ne constitue pas une activité économique au sens de l’article 9, paragraphe 1, second alinéa, de la directive TVA.

36.      Certes, l’exigence de neutralité concurrentielle – ainsi que le fait valoir en substance la Commission – requiert que tous les fournisseurs concurrents de consommateurs soient soumis de la même manière à la TVA. Cependant, en cas de paiement en nature de dettes d’impôt, il n’y a pas de situation de concurrence avec d’autres contribuables. Le contribuable payant sa dette fiscale ne fait pas non plus concurrence à ce moment à un autre assujetti à la TVA (par exemple, à un autre agent immobilier). En effet, il ne dispose pas de pouvoir de négociation lors de « l’établissement du prix d’achat » de l’objet à transmettre. Au contraire, l’évaluation du terrain à transférer s’effectue, dans le cadre de la perception de l’impôt, selon des critères objectifs. Ce faisant, il ne saurait précisément pas y avoir de concurrence sur le prix.

37.      À cet égard, la dation d’un bien en paiement de dettes fiscales s’effectue en dehors d’un marché. Cela vaut pour les contribuables « normaux » de la même manière que pour les contribuables qui sont en même temps des personnes assujetties à la TVA. De même, l’État, en tant que destinataire, n’a pas de possibilité de choix quant au fait d’« acquérir » ce terrain plutôt qu’un autre. Il a uniquement le choix d’accepter, en lieu et place de l’argent, également des biens en nature à hauteur de leur valeur objective aux fins du paiement de l’impôt.

38.      C’est pourquoi la Cour considère même qu’une opération incontestablement économique et à titre onéreux (la vente de drogue) n’est pas taxable lorsque toute concurrence (légale) est exclue au sein d’un secteur économique (11). Cette idée peut être utilement invoquée pour le présent cas de figure. En cas d’extinction de la dette fiscale personnelle par le transfert de biens en nature au créancier fiscal (c’est-à-dire en cas de perception de l’impôt), toute concurrence entre assujettis est également exclue.

39.      Ce qui est déterminant, c’est de savoir si le droit national (en l’espèce, au moyen du contrat de droit public prévu) autorise les parties, dans le cadre de la perception de l’impôt prévue par le droit public, de déterminer d’un commun accord – comme lors d’un achat – le bien à remettre et le prix. Si tel n’est pas le cas, l’assujetti à la TVA n’agit pas, lors du paiement de sa dette fiscale, dans le cadre de son activité économique. Il n’agit donc pas « en tant que tel » au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA. Cela vaut également lorsque l’assujetti à la TVA est un agent immobilier et qu’il donne un terrain en paiement, en lieu et place de l’argent.

3.      Sur la nature de la TVA

40.      La nature de la TVA en tant qu’impôt indirect sur la consommation confirme cette conclusion. La TVA doit grever le consommateur final (12), l’assujetti agissant « uniquement » en tant que collecteur de taxes pour le compte de l’État (13). Cela milite également en l’espèce contre l’hypothèse d’une activité économique. Une activité économique au sens de l’article 9 de la directive TVA est reconnaissable au fait que l’assujetti, au moyen de sa contrepartie, qu’il négocie avec son cocontractant, répercute la TVA sur le destinataire de la prestation et peut la percevoir auprès de ce dernier. Cette idée ne correspond pas à un droit de prélever l’impôt s’éteignant en vertu de la loi ni avec la circonstance que l’État destinataire veut percevoir l’impôt et ne veut pas supporter d’autres impôts (en l’espèce, la TVA à répercuter sur l’État).

4.      Risque d’avantager l’État en tant que « consommateur » ?

41.      En revanche, nous ne comprenons pas les doutes exprimés par la Commission au sujet du risque d’avantager le contribuable ou l’État. Le contribuable n’obtient aucun avantage étant donné que la remise d’un bien aux fins de payer l’impôt ne serait pas concernée par une obligation en matière de TVA. En effet, une telle obligation déploierait les effets suivants : si un contribuable est redevable d’un impôt à hauteur de X, possède un terrain d’une valeur X et que l’opération est taxable, l’impôt à hauteur de X s’éteindrait et l’État devrait encore payer la TVA au contribuable pour que l’assujetti puisse la payer (à nouveau à l’État). En revanche, l’État n’économiserait pas de TVA puisqu’il obtient le bien en nature indépendamment de ses propres besoins de consommation, de sorte qu’il n’économise pas des dépenses supplémentaires grevées par la TVA.

42.      Contrairement à ce que pense la Commission, il existe plutôt un risque que l’hypothèse d’une opération taxable ouvre la déduction de la taxe en amont également pour l’acquisition d’actifs utilisés à des fins privées parce que ceux-ci doivent peut-être être employés pour le paiement de dettes fiscales (14).

43.      De même, le traitement différent du paiement de l’impôt – selon que l’impôt est payé avec de l’argent (pas de charge fiscale) ou en nature (charge fiscale) – ne serait pas convaincant. Cela vaut également pour le traitement différent des paiements de l’impôt en nature selon que ceux-ci sont effectués par des personnes assujetties à la TVA ou des personnes non assujetties à la TVA. Cette qualification au regard de la réglementation TVA ne saurait jouer aucun rôle pour le montant des recettes fiscales (provenant des autres types d’impôt dont résultent les dettes fiscales).

44.      À cet égard, reste en définitive uniquement le risque d’une consommation finale non taxée si la dation en paiement de biens en nature n’est pas considérée comme une activité économique. Cependant, ce risque n’existe que si le prestataire (en l’espèce, la société) a déjà procédé, en sa qualité d’assujetti à la TVA, à une déduction de la taxe en amont relative au bien à transmettre.

45.      Ce risque est toutefois prévenu, conformément au système, par les dispositions de l’article 16 (et également de l’article 26) de la directive TVA. Si le paiement en nature des impôts n’est pas une activité économique, la dation des biens en paiement les ferait sortir de l’entreprise à des fins étrangères à celle-ci. L’article 16 de la directive TVA corrige donc une déduction de la TVA effectuée et évite une consommation finale non taxée. L’assujetti à la TVA est ainsi traité comme une personne privée qui remet un bien à l’État en paiement de dettes fiscales. Cela garantit une égalité de traitement de tous les paiements d’impôts de tous les contribuables indépendamment de la question de savoir si (de manière plus ou moins fortuite) elles sont aussi dans le même temps une personne assujettie à la TVA.

5.      Conclusion

46.      En conclusion, la dation en paiement d’un bien prélevé sur les actifs de l’assujetti aux fins du paiement de ses dettes fiscales n’est pas une activité économique dans le cadre de laquelle l’assujetti agit « en tant que tel » au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA. Cela vaut également lorsqu’il remet un bien avec lequel il opérerait normalement dans le cadre de son entreprise. Par conséquent, une opération soumise à la TVA au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA fait défaut.

VI.    Proposition de décision

47.      Nous proposons de répondre comme suit à la question préjudicielle du Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne) :

Le transfert de la propriété d’un terrain par l’assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au créancier d’impôt, entraînant l’extinction de la dette fiscale en vertu de la loi, n’est pas une opération imposable au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. Ce faisant, l’assujetti à la TVA n’agit pas en tant que tel. Cependant, une déduction de la TVA en amont effectuée en rapport avec le bien à remettre doit être corrigée en appliquant l’article 16 de la directive TVA.

Il est impératif que la possibilité de payer des impôts en nature ne soit ouverte qu’au seul contribuable et soit effectuée uniquement par le contrat de droit public prévu. À cet égard, les parties ne peuvent avoir aucune influence sur le « prix d’achat ». Ce dernier doit plutôt être déterminé selon des critères d’appréciation objectifs, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.


1      Langue originale : l’allemand.


2      JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA ».


3      Voir arrêts du 21 novembre 2013, Dixons Retail (C‑494/12, EU:C:2013:758, point 32) ; du 20 juin 2013, Newey (C‑653/11, EU:C:2013:409, point 40) ; du 23 mars 2006, FCE Bank (C‑210/04, EU:C:2006:196, point 34) ; du 17 septembre 2002, Town & County Factors (C‑498/99, EU:C:2002:494, point 18), ainsi que du 3 mars 1994, Tolsma (C‑16/93, EU:C:1994:80, point 14).


4      Voir arrêts du 24 octobre 1996, Elida Gibbs (C-317/94, EU:C:1996:400, point 19) ; du 7 novembre 2013, Tulică et Plavoşin (C‑249/12 et C‑250/12, EU:C:2013:722, point 34), ainsi qu’ordonnance du 9 décembre 2011, Connoisseur Belgium (C-69/11, EU:C:2011:825, point 21).


5      Même le pourboire payé unilatéralement et volontairement dans un restaurant après exécution du contrat de restauration constitue donc une rémunération d’un service.


6      Voir, en ce sens, arrêts du 4 octobre 1995, Armbrecht (C‑291/92, EU:C:1995:304, points 17 et suiv.) ; du 29 avril 2004, EDM (C‑77/01, EU:C:2004:243, point 66), ainsi que du 12 janvier 2006, Optigen e.a. (C‑354/03, C‑355/03 et C‑484/03, EU:C:2006:16, point 42).


7      Voir, notamment, arrêts du 4 décembre 1990, van Tiem (C‑186/89, EU:C:1990:429, point 17) ; du 26 juin 2003, MKG-Kraftfahrzeuge-Factoring (C‑305/01, EU:C:2003:377, point 41), ainsi que du 12 janvier 2006, Optigen e.a. (C‑354/03, C‑355/03 et C‑484/03, EU:C:2006:16, point 41).


8      Voir arrêts du 12 septembre 2000, Commission/Royaume-Uni (C‑359/97, EU:C:2000:426, point 39) ; du 26 juin 2003, MKG-Kraftfahrzeuge-Factoring (C‑305/01, EU:C:2003:377, point 42) ; du 26 juin 2007, T‑Mobile Austria e.a. (C-284/04, EU:C:2007:381, point 35), ainsi que du 20 juin 2013, Finanzamt Freistadt Rohrbach Urfahr (C‑219/12, EU:C:2013:413, point 17).


9      Voir arrêt du 13 juin 2013, Kostov (C‑62/12, EU:C:2013:391).


10      Voir arrêt du 13 juin 2013, Kostov (C‑62/12, EU:C:2013:391, point 31).


11      Voir, notamment, arrêts du 29 juin 1999, Coffeeshop « Siberië » (C-158/98, EU:C:1999:334, points 14 et 21) ; du 29 juin 2000, Salumets e.a. (C-455/98, EU:C:2000:352, point 19), ainsi que du 12 janvier 2006, Optigen e.a. (C-354/03, C-355/03 et C-484/03, EU:C:2006:16, point 49).


12      Voir arrêts du 24 octobre 1996, Elida Gibbs (C-317/94, EU:C:1996:400, point 19) ; du 7 novembre 2013, Tulică et Plavoşin (C‑249/12 et C‑250/12, EU:C:2013:722, point 34), ainsi qu’ordonnance du 9 décembre 2011, Connoisseur Belgium (C-69/11, EU:C:2011:825, point 21).


13      Voir arrêts du 20 octobre 1993, Balocchi (C-10/92, EU:C:1993:846, point 25), et du 21 février 2008, Netto Supermarkt (C-271/06, EU:C:2008:105, point 21).


14      En particulier, des activités de loisirs durablement déficitaires d’assujettis (en matière d’impôt sur le revenu, on trouve ici souvent des avocats et des médecins indépendants avec des domaines viticoles, des élevages de chevaux, des voiliers privés, etc.) peuvent être pratiquées de manière très efficace grâce à la déduction de la taxe en amont aux frais de la communauté.