Language of document : ECLI:EU:C:2014:239

ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR

8 avril 2014 (*)

«Référé – Pourvoi – Demande de sursis à exécution – Septième programme-cadre pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007-2013) – Contrats concernant les projets Oasis et Perform – Suspension des paiements – Irrégularités constatées dans le cadre d’audits relatifs à d’autres projets – Condamnation de la Commission européenne à procéder aux paiements – Insolvabilité manifeste du bénéficiaire – Fumus boni juris – Préjudice grave et irréparable – Urgence – Mise en balance des intérêts»

Dans l’affaire C‑78/14 P-R,

ayant pour objet une demande de sursis à exécution au titre de l’article 278 TFUE, introduite le 17 février 2014,

Commission européenne, représentée par M. D. Triantafyllou et Mme B. Conte, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

ANKO AE Antiprosopeion, Emporiou kai Viomichanias, établie à Athènes (Grèce), représentée par Me V. Christianos, dikigoros,

partie défenderesse,

LE VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR,

le premier avocat général, M. P. Cruz Villalón, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, déposé au greffe de la Cour le 13 février 2014, la Commission européenne a demandé à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne ANKO/Commission (T‑117/12, EU:T:2013:643, ci-après l’«arrêt attaqué»).

2        Par requête déposée au greffe de la Cour le 17 février 2014, la Commission a demandé à la Cour de surseoir à l’exécution de l’arrêt attaqué jusqu’au prononcé de l’arrêt sur pourvoi. Par lettre déposée au greffe de la Cour le 18 février 2014, la Commission a également demandé qu’il soit fait droit provisoirement à cette demande avant même que l’autre partie à la procédure n’ait présenté ses observations, jusqu’au prononcé de l’ordonnance mettant fin à la procédure en référé.

3        Par ordonnance du 21 février 2014, le vice-président de la Cour a décidé, en vertu de l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour, de surseoir à l’exécution de l’arrêt attaqué jusqu’au prononcé de l’ordonnance mettant fin à la procédure de référé avant même que l’autre partie à la procédure n’ait présenté ses observations. Cette dernière, ANKO AE Antiprosopeion, Emporiou kai Viomichanias (ci-après «ANKO»), a présenté ses observations écrites sur la demande en référé le 4 mars 2014.

 Les antécédents du litige et l’arrêt attaqué

4        ANKO est une société de droit grec, ayant pour objet la commercialisation et la production de produits métalliques ainsi que de produits, de dispositifs et d’appareils électroniques et pour les télécommunications, qui, depuis l’année 2006, a participé à l’exécution de plusieurs projets subventionnés par la Communauté européenne ou par l’Union européenne.

5        Il ressort du point 2 de l’arrêt attaqué que, conformément au règlement (CE) nº 1906/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, définissant les règles de participation des entreprises, des centres de recherche et des universités pour la mise en œuvre du septième programme-cadre de la Communauté européenne et fixant les règles de diffusion des résultats de la recherche (2007-2013) (JO L 391, p. 1), dans le cadre défini par la décision nº 1982/2006/CE du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, relative au septième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007-2013) (JO L 412, p. 1), et, en particulier, du programme spécifique «Coopération», la Commission, agissant pour le compte de la Communauté, a conclu, les 19 décembre 2007 et 21 janvier 2008, avec Siemens SA et FIMI Srl, respectivement, en leur qualité de coordinateurs des deux consortiums distincts dont faisait partie ANKO, la convention de subvention nº 215754 pour le financement du projet intitulé «Une architecture ouverte pour les services accessibles, l’intégration et la normalisation» (ci-après le «projet Oasis») et la convention de subvention nº 215952 pour le financement du projet intitulé «Un système multiparamétrique complexe pour l’évaluation et le suivi effectifs et continus de la capacité motrice dans les cas de la maladie de Parkinson et d’autres maladies neurodégénératives» (ci‑après le «projet Perform»).

6        Il ressort du point 3 de l’arrêt attaqué que les conditions générales communes à la convention de subvention nº 215754 pour le financement du projet Oasis et à la convention de subvention nº 215952 pour le financement du projet Perform (ci-après, prises ensemble, les «conventions de subvention») figurent à l’annexe II desdites conventions (ci-après l’«annexe II»). Le Tribunal a également relevé, au point 46 de l’arrêt attaqué, que, en vertu du point II.5, paragraphe 3, sous d), de l’annexe II, après réception des rapports visés au point II.4 de ladite annexe, la Commission peut suspendre les paiements, à tout moment, pour tout ou partie du montant destiné au bénéficiaire concerné:

–        si les travaux effectués ne sont pas conformes aux dispositions de la convention de subvention;

–        si le bénéficiaire doit rembourser à l’État dont il est ressortissant une somme indûment perçue au titre de l’aide d’État;

–        en cas de violation des dispositions de la convention de subvention, ou de suspicion ou de présomption de violation de ses dispositions, à la suite notamment des contrôles et des audits prévus aux points II.22 et II.23 de l’annexe II;

–        en cas de suspicion d’irrégularité commise par un ou plusieurs bénéficiaires dans l’exécution de la convention de subvention en cause, et

–        en cas de soupçon ou de constatation d’irrégularité commise par un ou plusieurs bénéficiaires dans l’exécution d’une autre convention de subvention financée par le budget général de l’Union ou par des budgets gérés par elle. En pareil cas, les paiements sont suspendus lorsque l’irrégularité présente un caractère grave et systématique, susceptible d’affecter l’exécution de la convention de subvention en cause.

7        Estimant, en substance, qu’il existait des raisons valables de soupçonner une éventuelle violation des conventions de subvention et, en particulier, du point II.5, paragraphe 3, sous d), de l’annexe II, en raison de l’existence d’irrégularités commises par ANKO, la Commission a, par deux lettres du 9 août 2011, suspendu le versement à cette société des paiements prévus par ces mêmes conventions, à titre de mesure préventive.

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal sur le fondement de l’article 272 TFUE et des clauses compromissoires contenues dans les conventions de subvention en cause, ANKO a demandé au Tribunal:

–        de constater que la suspension des paiements imposée par la Commission au titre des projets Oasis et Perform constituait une violation de ses obligations contractuelles;

–        d’«ordonner» à la Commission de lui verser la somme de 637 117,17 euros au titre du projet Perform, majorée des intérêts prévus par le point II.5, paragraphe 5, de l’annexe II, à compter de la signification de ce recours;

–        d’«ordonner» à la Commission de constater qu’ANKO n’était pas tenue de rembourser à cette institution la somme de 56 390 euros qui lui avait été versée au titre du projet Oasis, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

9        Au point 79 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le moyen formulé par ANKO à l’appui de son premier chef de conclusions, aux termes duquel la Commission aurait suspendu les paiements correspondant aux projets Oasis et Perform en l’absence de base juridique et en violation des conventions de subvention relatives à ces projets. Il a également accueilli le deuxième chef de conclusions, au point 93 dudit arrêt, «en ce qu’il vise à condamner la Commission à procéder au versement des sommes qui ont été suspendues au titre du projet Perform, sans que ce versement préjuge du caractère éligible des dépenses déclarées par [ANKO]». En revanche, il a rejeté le troisième chef de conclusions au point 98 de l’arrêt attaqué.

10      Les points 1 et 2 du dispositif de l’arrêt attaqué sont libellés comme suit:

«1)      La Commission [...] est condamnée à verser à ANKO [...] les sommes dont le paiement a été suspendu sur le fondement du point II.5, paragraphe 3, sous d), [de l’annexe II], sans que ce versement préjuge du caractère éligible des dépenses déclarées par ANKO [...] et de la mise en œuvre des conclusions du rapport final d’audit 11-INFS-0035 par la Commission. Le montant des sommes à verser doit être compris dans les limites du solde de la contribution financière disponible au moment de la suspension des paiements et lesdites sommes doivent être majorées des intérêts de retard qui commencent à courir, pour chaque période, à l’expiration du délai de paiement de 105 jours suivant la réception des rapports correspondants par la Commission. Le taux de majoration applicable aux intérêts est celui en vigueur le premier jour du mois du délai de paiement, tel que publié au Journal officiel de l’Union européenne, série C.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.»

 Les conclusions des parties

11      La Commission demande à la Cour:

–        de surseoir à l’exécution de l’arrêt attaqué et

–        de condamner ANKO aux dépens.

12      ANKO demande à la Cour:

–        de rejeter la demande de sursis à exécution et

–        de condamner la Commission aux dépens.

 Sur la demande en référé

13      Il y a lieu de rappeler que, selon l’article 60, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, un pourvoi contre un arrêt du Tribunal n’a pas, en principe, d’effet suspensif. Toutefois, en application de l’article 278 TFUE, la Cour peut, si elle estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution de l’arrêt attaqué (ordonnance du président de la Cour, Front national et Martinez/Parlement, C‑486/01 P‑R et C‑488/01 P‑R, EU:C:2002:116, point 71).

14      L’article 160, paragraphe 3, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier «l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent». Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision au principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, C‑404/04 P‑R, EU:C:2005:267, points 10 et 11 ainsi que jurisprudence citée).

15      S’agissant de la condition relative à l’existence d’un fumus boni juris, il y a lieu de rappeler qu’il est satisfait à celle-ci dès lors qu’il existe, au stade de la procédure de référé, une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas d’emblée, de sorte que, à première vue, le pourvoi n’est pas dépourvu de fondement sérieux (voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour Publishers Association/Commission, 56/89 R, EU:C:1989:238, point 31, ainsi que Commission/Artegodan e.a., C‑39/03 P‑R, EU:C:2003:269, point 40). En effet, la finalité de la procédure de référé étant de garantir la pleine efficacité de la décision définitive à intervenir, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par la Cour, le juge des référés doit se borner à apprécier «à première vue» le bien-fondé des moyens invoqués dans le cadre du litige au fond afin d’établir s’il existe une probabilité de succès du recours suffisamment grande [ordonnance du vice-président de la Cour Commission/Allemagne, C‑426/13 P(R), EU:C:2013:848, point 41].

16      En l’espèce, la Commission avance un moyen unique de pourvoi qui s’articule en cinq branches tirées, en substance, de violations des conditions contractuelles applicables aux conventions de subvention, et notamment du point II.5, paragraphe 3, sous d), de l’annexe II. Plus particulièrement, la première branche de ce moyen est tirée d’une erreur commise par le Tribunal dans le cadre de son interprétation de cette clause contractuelle et de son application aux fins d’apprécier la nature «grave et systématique» des irrégularités en cause en tant que motif de suspension des paiements prévus par les conventions de subvention, la deuxième d’une appréciation erronée quant à l’existence d’un risque de répétition desdites irrégularités, la troisième du caractère erroné des déductions effectuées par le Tribunal sur la base de certaines corrections ad hoc et de restitutions de sommes réalisées par ANKO, la quatrième d’une interprétation erronée, par le Tribunal, de l’annexe II en ce qui concerne la possibilité, pour les bénéficiaires de la subvention, d’utiliser une méthode de calcul des dépenses reposant sur les coûts moyens et d’une application de cette possibilité à des dépenses fictives plutôt que réelles, ainsi que d’une dénaturation des preuves à cet égard, et, enfin, la cinquième d’une confusion opérée par le Tribunal entre les conditions de suspension des paiements et les conditions d’éligibilité des dépenses déclarées.

17      À cet égard, il convient d’observer que ces différentes branches du moyen de pourvoi unique soulèvent des questions complexes dont la solution ne s’impose pas d’emblée. En effet, l’examen par le Tribunal du litige faisant l’objet du pourvoi introduit par la Commission a nécessité l’appréciation, par le Tribunal, d’un ensemble d’éléments composé de points de droit, ainsi que de la qualification juridique, de l’appréciation et de la constatation des faits, toutes ces questions étant étroitement liées les unes aux autres. Par conséquent, l’appréciation de la recevabilité et du bien-fondé des griefs avancés dans le cadre de ce pourvoi nécessite un examen approfondi, de sorte que ledit pourvoi doit être considéré, au stade de la présente procédure de référé, comme n’étant pas dépourvu de toute perspective de prospérer au fond.

18      Plus particulièrement, il convient de relever que par la quatrième branche du moyen à l’appui de son pourvoi, la Commission soutient que, en admettant la validité de certains coûts de personnel déclarés par ANKO, par référence aux clauses contractuelles et, en particulier, au point II.14, paragraphe 1, deuxième alinéa, de l’annexe II qui autorise une prise en compte des coûts moyens de personnel du prestataire sous certaines conditions, le Tribunal a méconnu, aux points 71 à 75 de l’arrêt attaqué, la portée de ces clauses contractuelles, en ce que si celles-ci permettent le recours à une méthode de calcul des dépenses fondée sur une moyenne, c’est uniquement dans la mesure où le calcul de cette moyenne s’opère sur la base de coûts de personnel réels et non pas fictifs. L’utilisation d’une «moyenne» en application des clauses en question ne saurait valider de tels coûts fictifs, dès lors que cette moyenne doit être établie sur la base de coûts réels. En tout état de cause, ANKO aurait en réalité produit devant le Tribunal des éléments de preuve fondés sur des coûts non pas «moyens», mais spécifiques et individualisés. Par conséquent, l’arrêt attaqué serait, d’une part, entaché d’une erreur de droit quant à l’interprétation des clauses contractuelles en cause et, d’autre part, d’une dénaturation, par le Tribunal, des éléments de preuve soumis par ANKO.

19      ANKO conteste le fait que les arguments développés par la Commission dans le cadre de la quatrième branche du moyen à l’appui de son pourvoi révèlent l’existence d’un fumus boni juris. Selon elle, cette argumentation est manifestement non fondée en ce qui concerne la dénaturation des preuves alléguée et irrecevable pour le surplus, dans la mesure où la Commission chercherait, en réalité, à remettre en cause les appréciations de fait effectuées par le Tribunal.

20      Il y a lieu de constater que l’examen de cette quatrième branche du moyen soulevé par la Commission à l’appui de son pourvoi met en exergue une controverse importante entre elle-même et le Tribunal quant au mode de calcul des coûts en question par ANKO et, partant, à leur qualification au regard des dispositions des conventions de subvention et est susceptible de nécessiter une analyse détaillée tant des clauses contractuelles sur la base desquelles le Tribunal a validé le mode de calcul retenu par ANKO que des éléments de preuve qu’elle a produits dans ce contexte devant le Tribunal et que ce dernier aurait prétendument dénaturés. Eu égard au caractère technique de la controverse susmentionnée, il convient de constater que le moyen de pourvoi, en cette branche, soulève effectivement, au stade de la procédure en référé, des questions juridiques importantes dont la solution ne s’impose pas d’emblée, notamment en ce qui concerne la prétendue dénaturation des éléments de preuve alléguée, de sorte que, à première vue, le pourvoi n’est pas dépourvu de fondement sérieux, au sens de la jurisprudence citée au point 15 de la présente ordonnance.

21      Par ailleurs, à supposer que la quatrième branche de ce moyen soit jugée fondée dans l’arrêt à intervenir au fond, elle serait susceptible de remettre en cause la conclusion retenue par le Tribunal, aux points 78 et 79 de l’arrêt attaqué, selon laquelle les conditions requises pour l’application du point II.5, paragraphe 3, sous d), de l’annexe II n’étaient pas remplies et que, par conséquent, la Commission a violé les conventions de subvention en procédant à la suspension des paiements sur ce fondement, de même que la conclusion retenue aux points 88 et 93 de l’arrêt attaqué sur la base desdits points 78 et 79, selon laquelle les sommes dont le paiement avait été suspendu par la Commission devaient être versées à ANKO, majorées d’intérêts moratoires. Le fumus boni juris constaté en ce qui concerne la quatrième branche du moyen est donc pertinent en l’espèce aux fins de l’octroi du sursis à l’exécution sollicité par la Commission.

22      Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la condition relative au fumus boni juris est établie en l’espèce.

23      En ce qui concerne la condition relative à l’urgence, il appartient à la partie qui sollicite l’adoption de mesures provisoires d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour Matra/Commission, C‑225/91 R, EU:C:1991:460, point 19, ainsi que SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), EU:C:1996:381 point 30]. Pour établir l’existence d’un tel préjudice grave et irréparable, il n’est pas nécessaire d’exiger que la survenance du préjudice soit établie avec une certitude absolue mais que celui-ci soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant [ordonnance du vice-président de la Cour EMA/InterMune UK e.a., C‑390/13 P(R), EU:C:2013:795, point 38 et jurisprudence citée].

24      La Commission s’appuie, à cet égard, sur le préjudice financier qu’elle subirait en cas d’exécution de l’arrêt attaqué. Pour établir le caractère irréparable de celui-ci, elle s’appuie sur le fait que cet arrêt est exécutoire, conformément à l’article 280 TFUE, ainsi que sur le fait que ledit arrêt la condamne à verser à ANKO les «sommes dont le paiement a été suspendu sur le fondement du point II.5, paragraphe 3, sous d), [de l’annexe II]», majorées d’intérêts moratoires. Elle soutient qu’elle risque, partant, de se trouver à tout moment confrontée à des mesures d’exécution forcée de cette condamnation. Par ailleurs, la Commission affirme que selon, notamment, les informations qu’ANKO lui a elle-même communiquées, cette société se trouve «au bord de la faillite» et fait l’objet de procédures d’insolvabilité en Grèce, dont il ressortirait qu’elle n’a pas d’actifs de nature à désintéresser ses créanciers.

25      ANKO conteste ces arguments. Les allégations de la Commission concernant son état financier seraient «totalement dépourvues de fondement» et se baseraient sur des éléments de preuve caducs, inexacts et inopérants. ANKO avance d’autres éléments de preuve à l’appui de sa propre thèse selon laquelle elle est parfaitement solvable et poursuit normalement ses activités commerciales. Par ailleurs, l’article 1er du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, annexé aux traités UE, FUE et CEEA, écarterait le risque d’une exécution forcée à charge de la Commission sans qu’une autorisation de saisie des biens et des avoirs de l’Union n’ait été délivrée par la Cour.

26      À cet égard, il résulte de la jurisprudence de la Cour que lorsque le préjudice invoqué est d’ordre financier, les mesures provisoires sollicitées se justifient, en principe, s’il apparaît que, en l’absence de ces mesures, la partie requérante se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure au fond ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière importante [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour Camar/Commission et Conseil, C‑43/98 P(R), EU:C:1998:166, point 36, ainsi que du vice-président de la Cour EDF/Commission, C‑551/12 P(R), EU:C:2013:157, point 54]. Or, le préjudice financier invoqué par la Commission en l’espèce ne correspond à aucun de ces deux cas de figure.

27      Toutefois, il convient de constater que le préjudice financier qui serait subi par la Commission en cas d’exécution de l’arrêt attaqué, bien que différent de celui décrit dans les ordonnances citées au point précédent, n’en serait pas moins irréparable compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, à supposer qu’ANKO se trouve réellement dans une situation financière proche de la faillite. En effet, dans ce cas, le versement à ANKO des sommes visées au dispositif de l’arrêt attaqué risquerait d’entraîner la perte irréversible de celles-ci pour le budget de l’Union.

28      Or, nonobstant les réfutations d’ANKO à ce sujet, les éléments de preuve apportés par la Commission en ce qui concerne la situation financière de cette société étayent sa thèse. À cet égard, la Commission relève, sans être contredite par ANKO, qu’une procédure de conciliation avec les créanciers de cette société a été ouverte à la demande de celle-ci et que dans le cadre de cette procédure, le Protodikeio Athinon (tribunal de première instance d’Athènes) a jugé que la situation financière d’ANKO était à ce point obérée que son patrimoine était insuffisant pour couvrir les frais de procédure liés à une déclaration de faillite.

29      La Commission, sans être critiquée sur ce point par ANKO, fait en effet référence à la législation grecque en matière de faillite, et plus particulièrement à l’article 6, paragraphe 2, de la loi 3588/2007, en vertu duquel le juge des faillites rejette une demande qui lui est déférée s’il est démontré que, quoique les conditions d’une déclaration de faillite soient réunies, le patrimoine du débiteur ne suffira pas à couvrir les frais de la procédure. En cas de rejet pour cette raison, le juge des faillites ordonne l’enregistrement du nom ou de la dénomination, selon le cas, du débiteur au registre général du commerce ainsi qu’aux registres des faillites aux fins de donner une publicité officielle à l’état financier du débiteur, cet enregistrement étant radié après un délai de trois ans. Or, le certificat émis le 20 janvier 2014 par le greffe du Protodikeio Athinon, annexé à la demande de sursis à exécution, atteste que même si la procédure ouverte à la demande d’ANKO n’a pas abouti et que cette dernière n’a pas été déclarée en faillite, une mention concernant cette société a néanmoins été inscrite sur le registre général du commerce ainsi que sur les registres des faillites, au titre des articles 6, paragraphe 2, et 8, paragraphe 3, de la loi 3588/2007.

30      Il ressort par conséquent de manière univoque de ce certificat, valable jusqu’au 20 janvier 2017, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 2, de la loi 3588/2007, d’une part, qu’ANKO se trouve dans une situation financière manifestement proche de la faillite, le juge des faillites ayant considéré que son patrimoine ne suffisait pas à couvrir fût-ce les frais de la procédure, et d’autre part, corolairement, que l’argument de cette société selon lequel le certificat établi par le greffe du Protodikeio Athinon ne fait que confirmer qu’elle n’a pas été déclarée en faillite ne saurait prospérer. D’ailleurs, il ressort de ce certificat que l’inscription d’ANKO sur les registres en cause demeure d’actualité.

31      Par ailleurs, les éléments de preuve apportés par ANKO, attestant qu’elle n’accuse aucun défaut de paiement tant en matière de cotisations de sécurité sociale que d’impôts et continue de signer certains accords commerciaux, ne suffisent pas à infirmer la conclusion qui découle du certificat du greffe du Protodikeio Athinon, produit par la Commission.

32      En ce qui concerne l’argument d’ANKO fondé sur l’absence de risque immédiat d’une exécution forcée, compte tenu des termes de l’article 1er du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, l’existence de l’arrêt attaqué suffit, toutefois, pour établir que la Commission ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice irréparable et que la survenance du préjudice invoqué est prévisible avec un degré de probabilité suffisant, au sens de la jurisprudence citée au point 23 de la présente ordonnance. En effet, de la même manière que l’adoption par un État membre de mesures juridiquement contraignantes suffit pour rendre le risque du préjudice susceptible de découler de la récupération d’une aide étatique prévisible avec un degré de probabilité suffisant pour satisfaire à la condition relative à l’urgence [voir, en ce sens, ordonnance du vice-président de la Cour France/Commission, C‑574/13 P(R), EU:C:2014:36, points 22 à 26], le caractère exécutoire de l’arrêt attaqué emporte la même conséquence dans le cadre de la présente procédure.

33      Quant au caractère grave du préjudice invoqué par la Commission, il ressort de la demande en référé, lue dans son ensemble, et notamment des points 5 et 6 de celle-ci, que ce préjudice, consiste dans le fait, pour cette institution, de devoir verser à ANKO, conformément au point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué, les «sommes dont le paiement a été suspendu sur le fondement du point II.5, paragraphe 3, sous d), [de l’annexe II]», majorées d’intérêts moratoires. Même si le point 1 de ce dispositif ne précise pas le montant exact devant être versé à ANKO par la Commission, le Tribunal a accueilli, en substance, le deuxième chef de conclusions formulé par cette société, visant au versement de la somme de 637 117,17 euros, majorée d’intérêts moratoires, ainsi que le relève la Commission dans sa demande en référé.

34      Il y a lieu de considérer que le fait pour la Commission et, partant, pour les finances publiques de l’Union de subir la perte d’une somme d’argent de cet ordre, d’un montant objectivement non négligeable, doit être regardé comme constituant un préjudice grave aux fins de la présente procédure de référé.

35      Il convient, par conséquent, de constater que la condition relative à l’urgence est également remplie.

36      Enfin, quant à la mise en balance des intérêts en présence, ANKO soutient que la Commission lui a causé un préjudice irréparable en la privant de liquidités précieuses au cours d’une période cruciale pour sa viabilité alors qu’elle exécute avec succès des contrats pour le compte de cette institution depuis plusieurs années. Elle insiste également sur le fait que la somme d’argent qui lui est due est négligeable par rapport au budget pertinent de la Commission mais présente une importance beaucoup plus grande pour son entreprise. En effet, la somme de 637 117,17 euros ne représenterait que 0,007 % du budget affecté par la Commission aux seuls projets de développement technologique réalisés dans le cadre du septième programme-cadre pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration, lequel s’élèverait à 9,05 milliards d’euros pour les années 2007 à 2013. En revanche, une telle somme représenterait 0,953 % du chiffre d’affaires d’ANKO pour les années 2007 à 2012, qui était de 66 835 051,14 euros.

37      À cet égard, le fait pour ANKO d’être privée de la possibilité d’obtenir l’exécution immédiate de l’arrêt attaqué, et donc de percevoir sans délai les sommes en cause, n’est pas susceptible de la priver définitivement, ni même de priver ses créanciers, le cas échéant, du bénéfice de ses droits dans l’hypothèse où le pourvoi serait rejeté ultérieurement. En outre, il découle du dispositif de l’arrêt attaqué que des intérêts moratoires sont dus sur le montant en principal, de sorte que le versement de ces intérêts est réputé compenser, le cas échéant, le préjudice lié à un retard dans l’exécution de cet arrêt.

38      En revanche, ainsi que cela a été constaté au point 27 de la présente ordonnance, une exécution immédiate de l’arrêt attaqué, avant même que l’arrêt mettant fin à la procédure sur pourvoi ne soit rendu, serait susceptible de porter préjudice de manière irréparable aux intérêts financiers de l’Union défendus par la Commission. Le sursis à l’exécution sollicité est donc nécessaire pour assurer l’effet utile de ce dernier arrêt s’il venait à annuler l’arrêt attaqué.

39      Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argumentation avancée par ANKO, fondée sur une comparaison entre ses propres ressources et celles mobilisées par la Commission dans le contexte du septième programme-cadre pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration. En effet, vu l’absence de risque qu’ANKO soit définitivement privée des montants en cause en l’espèce, ce que cette dernière ne conteste pas, tandis que la Commission encourt, quant à elle, un risque non négligeable, compte tenu de la situation financière de cette société, de n’être définitivement plus être en mesure de récupérer ces mêmes montants dans l’hypothèse où la Cour annulerait l’arrêt attaqué, cette argumentation d’ANKO n’est pas de nature à faire pencher la balance des intérêts en sa faveur.

40      Enfin, dans la mesure où ANKO affirme qu’elle risque de subir un préjudice irréparable en l’absence d’exécution immédiate de l’arrêt attaqué dès lors qu’elle serait privée de liquidités précieuses au cours d’une période cruciale pour sa viabilité, il ressort, certes, de l’examen de la condition relative à l’urgence, effectué aux points 23 à 35 de la présente ordonnance, qu’ANKO est dans une situation proche de la faillite, de sorte que cette affirmation bénéficie d’une certaine crédibilité. Toutefois, il ne saurait en être déduit que l’intérêt d’ANKO à l’exécution immédiate de l’arrêt attaqué, qui devrait lui permettre de percevoir une somme ne représentant, selon ses propres affirmations, qu’environ 1 % de son chiffre d’affaires réalisé pendant la période en cause, devrait prévaloir sur l’intérêt lié à la protection des finances de l’Union défendu par la Commission. En effet, précisément en raison de la situation financière obérée d’ANKO, telle que constatée dans la présente ordonnance, l’intérêt de l’Union à ce que de l’argent public ne soit pas versé à une société qui présente un risque important d’être dans l’incapacité de le rembourser avec intérêts moratoires, dans l’hypothèse où l’arrêt mettant fin à la procédure sur pourvoi, voire un éventuel arrêt ultérieur du Tribunal, l’y contraindrait, doit l’emporter.

41      Dans ces conditions, il convient, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de surseoir à l’exécution de l’arrêt attaqué jusqu’au prononcé de l’arrêt mettant fin à la procédure sur pourvoi.

Par ces motifs, le vice-président de la Cour ordonne:

1)      Il est sursis à l’exécution de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne ANKO/Commission (T‑117/12) jusqu’au prononcé de l’arrêt mettant fin à la procédure sur pourvoi dans l’affaire C‑78/14 P.

2)      Les dépens sont réservés.

Signatures


* Langue de procédure: le grec.