Language of document : ECLI:EU:T:2010:453

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

27 octobre 2010 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché espagnol de l’achat et de la première transformation de tabac brut – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Fixation des prix et répartition du marché – Obligation de motivation – Imputabilité du comportement infractionnel – Égalité de traitement »

Dans l’affaire T‑24/05,

Alliance One International, Inc., anciennement Standard Commercial Corp., établie à Danville, Virginie (États-Unis),

Standard Commercial Tobacco Co., Inc., établie à Wilson, Caroline du Nord (États-Unis),

Trans-Continental Leaf Tobacco Corp. Ltd, établie à Vaduz (Liechtenstein),

représentées initialement par Mes M. Odriozola Alén, M. Marañon Hermoso et A. Emch, puis par Mes Odriozola Alén, M. Barrantes Diaz et A. João Vide, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. F. Castillo de la Torre et É. Gippini Fournier, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2004) 4030 final de la Commission, du 20 octobre 2004, relative à une procédure d’application de l’article 81, paragraphe 1, [CE] (affaire COMP/C.38.238/B.2 − Tabac brut – Espagne),

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. O. Czúcz, président, Mme I. Labucka et M. K. O’Higgins (rapporteur), juges,

greffier : Mme C. Kantza, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 juin 2009,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1.     Requérantes et procédure administrative

1        World Wide Tobacco España, SA (ci-après « WWTE ») est l’une des quatre entreprises de première transformation de tabac brut en Espagne (ci-après les « transformateurs » ou les « transformateurs espagnols »).

2        Les trois autres transformateurs espagnols sont les suivants : Compañia española de tabaco en rama, SA (ci-après « Cetarsa »), Agroexpansión, SA, et Tabacos Españoles, SL (ci-après « Taes »).

3        Entre 1995 et le 5 mai 1998, deux tiers du capital de WWTE étaient détenus par Trans-Continental Leaf Tobacco Corp. Ltd (ci-après « TCLT »), une filiale à 100 % de Standard Commercial Tobacco Co., Inc. (ci-après « SCTC »), elle-même filiale à 100 % de la multinationale américaine Standard Commercial Corp. (ci-après « SCC »). Le tiers restant était détenu par le président de WWTE et deux membres de sa famille.

4        Le 5 mai 1998, TCLT a porté sa participation dans le capital de WWTE à 86,94 %, le reste des actions étant détenu en propre par WWTE (9,73 %) et par une personne physique (3,33 %). En octobre 1998, WWTE a acquis les actions de cette dernière personne et SCC a acquis une participation directe de 0,04 % dans le capital de WWTE. En mai 1999, TCLT et SCC ont porté leur participation dans le capital de WWTE à 89,64 % et à 0,05 %, respectivement, le reste étant détenu en propre par WWTE.

5        SCC, SCTC et TCLT sont les requérantes dans la présente affaire. Il sera fait référence ci-après au groupe de sociétés auquel elles appartiennent par les termes « groupe Standard ».

6        Les 3 et 4 octobre 2001, la Commission des Communautés européennes, disposant d’informations selon lesquelles les transformateurs et les producteurs espagnols de tabac brut auraient commis des infractions à l’article 81 CE, a effectué des vérifications au titre de l’article 14 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), dans les locaux de trois de ces transformateurs, à savoir Cetarsa, Agroexpansión et WWTE, ainsi que de l’Asociación Nacional de Empresas Transformadoras de Tabaco (ci-après l’« Anetab »).

7        La Commission a également procédé à des vérifications dans les locaux de la Maison des métiers du tabac et de la Fédération européenne des transformateurs de tabac, le 3 octobre 2001, ainsi que de la Federación nacional de cultivadores de tabaco (ci-après la « FNCT »), le 5 octobre 2001.

8        Dans le courant des mois de janvier et de février 2002, les transformateurs et l’Anetab ont fourni certaines informations à la Commission. Par la suite, cette dernière leur a adressé, ainsi qu’à la FNCT, plusieurs demandes de renseignements sur le fondement de l’article 11 du règlement n° 17. La Commission a également demandé des renseignements au ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation espagnol à propos de la réglementation espagnole en matière de produits agricoles.

9        Le 11 décembre 2003, la Commission a engagé la procédure à l’origine de la présente affaire et a adopté une communication des griefs qu’elle a adressée à 20 entreprises ou associations, dont les transformateurs espagnols, l’Anetab, la FNCT, les requérantes et Deltafina SpA. Deltafina est une société italienne qui a pour activités principales la première transformation de tabac brut en Italie et la commercialisation de tabac transformé. Elle appartient au même groupe de sociétés que Taes, à savoir celui à la tête duquel se trouve la société américaine Universal Corp.

10      Les entreprises et associations en cause ont eu accès au dossier d’instruction de la Commission sous la forme d’une copie sur CD-ROM, qui leur a été envoyée, et ont transmis des observations écrites en réponse aux griefs soulevés par cette dernière.

11      Une audition s’est tenue le 29 mars 2004.

12      Après avoir consulté le comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes, et au vu du rapport final du conseiller-auditeur, la Commission a adopté, le 20 octobre 2004, la décision C (2004) 4030 final, relative à une procédure d’application de l’article 81, paragraphe 1, [CE] (affaire COMP/C.38.238/B.2 − Tabac brut – Espagne) (ci-après la « décision attaquée »), dont un résumé est publié au Journal officiel de l’Union européenne du 19 avril 2007 (JO L 102, p. 14).

2.     Décision attaquée

13      La décision attaquée concerne deux ententes horizontales conclues et mises en œuvre sur le marché espagnol du tabac brut.

14      La première entente, qui impliquait les transformateurs et Deltafina, avait pour objet de fixer, chaque année, pendant la période 1996/2001, le prix moyen de livraison (maximal) de chaque variété de tabac brut, toutes qualités confondues, ainsi que de répartir les quantités de chaque variété de tabac brut que chacun des transformateurs pouvait acheter auprès des producteurs (voir notamment considérants 74 à 76 et 276 de la décision attaquée). De 1999 à 2001, les transformateurs et Deltafina étaient également convenus des fourchettes de prix par grade qualitatif de chaque variété de tabac brut figurant dans les tableaux annexés aux « contrats de culture » ainsi que des « conditions complémentaires », à savoir le prix minimal moyen par producteur et le prix minimal moyen par groupement de producteurs (voir, notamment, considérants 77 à 83 et 276 de la décision attaquée).

15      Il sera fait référence ci-après à l’entente décrite au point 14 ci-dessus par les termes « entente des transformateurs ».

16      La seconde entente identifiée dans la décision attaquée impliquait les trois syndicats agricoles espagnols, à savoir l’Asociación agraria de jóvenes agricultores (ci-après l’« ASAJA »), l’Unión de pequeños agricultores (ci-après l’« UPA ») et la Coordinadora de organizaciones de agricultores y ganaderos (ci-après la « COAG »), ainsi que la Confederación de cooperativas agrarias de España (ci-après la « CCAE »). Cette entente avait pour objet de fixer chaque année, pendant la période 1996/2001, les fourchettes de prix par grade qualitatif de chaque variété de tabac brut figurant dans les tableaux annexés aux « contrats de culture » ainsi que les « conditions complémentaires » (voir, notamment, considérants 77 à 83 et 277 de la décision attaquée).

17      Il sera fait référence ci-après à l’entente décrite au point 16 ci-dessus par les termes « entente des représentants des producteurs ».

18      Dans la décision attaquée, la Commission considère que chacune de ces ententes constitue une infraction unique et continue à l’article 81, paragraphe 1, CE (voir, notamment, considérants 275 à 277 de la décision attaquée).

19      À l’article 1er de cette décision, elle impute la responsabilité de l’entente des transformateurs aux transformateurs espagnols, à Deltafina, à Dimon Inc. – la société mère du groupe auquel appartient Agroexpansión – et aux requérantes, et celle de l’entente des représentants des producteurs à l’ASAJA, à l’UPA, à la COAG et à la CCAE (ci-après, prises ensemble, les « représentants des producteurs »).

20      À l’article 2 de la décision attaquée, la Commission ordonne à ces entreprises et aux représentants des producteurs de mettre immédiatement fin, s’ils ne l’ont pas déjà fait, aux infractions visées à l’article 1er et de s’abstenir désormais de toute pratique restrictive ayant un objet ou un effet identique ou équivalent.

21      À l’article 3 de la décision attaquée, les amendes suivantes sont infligées :

–        Deltafina : 11 880 000 euros ;

–        Cetarsa : 3 631 500 euros ;

–        WWTE : 1 822 500 euros ;

–        Agroexpansión : 2 592 000 euros ;

–        Taes : 108 000 euros ;

–        l’ASAJA : 1 000 euros ;

–        l’UPA : 1 000 euros ;

–        la COAG : 1 000 euros ;

–        la CCAE : 1 000 euros.

22      Il ressort également de l’article 3 de la décision attaquée que les requérantes sont solidairement responsables du paiement de l’amende infligée à WWTE et Dimon du paiement de celle infligée à Agroexpansión.

3.     Destinataires de la décision attaquée

23      Le point 2.4 de la décision attaquée est consacré à la question des destinataires (considérants 357 à 400 de la décision attaquée).

24      Tout d’abord, la Commission y expose qu’il est établi que les transformateurs espagnols et Deltafina ont participé directement à l’entente des transformateurs et l’ASAJA, l’UPA, la COAG et la CCAE à l’entente des représentants des producteurs, de sorte que chacune de ces entreprises et associations « est appelée à assumer la responsabilité de l’infraction et est par conséquent destinataire de la [décision attaquée] » (considérants 357 et 358 de la décision attaquée). Aux considérants 359 à 369 de cette décision, elle apprécie, plus particulièrement, le rôle de Deltafina dans l’entente des transformateurs.

25      Ensuite, la Commission examine la question de l’imputabilité du comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère, relevant que, en l’espèce, celle-ci se pose dans trois cas, en l’occurrence ceux d’Agroexpansión, de WWTE et de Taes (considérants 370 à 400 de la décision attaquée).

26      À cet égard, en premier lieu, la Commission rappelle les principes applicables, selon elle, en la matière (considérants 371 à 374 de la décision attaquée).

27      Plus particulièrement, elle expose ce qui suit :

–        pour déterminer si une société mère doit être considérée comme responsable du comportement illicite de sa filiale, il est nécessaire d’établir que cette dernière « ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société mère » (arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, Rec. p. 619, points 132 et 133) ;

–        selon une jurisprudence constante, lorsque la société mère détient la totalité du capital de sa filiale, il peut légitimement être supposé qu’elle exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de celle-ci (arrêts de la Cour du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, point 50, et du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925, point 29 ; arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit « PVC II », T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, points 961 et 984) ;

–        cette supposition peut être confirmée par des « facteurs particuliers propres à certaines affaires » ;

–        dans le cas des filiales qui ne sont pas contrôlées à 100 %, une société mère peut, selon la Cour, influencer la politique de sa filiale lorsqu’elle détient, au moment où l’infraction est commise, la majorité du capital de celle-ci (arrêt Imperial Chemical Industries/Commission, précité, point 136) ou lorsqu’elle est « constamment » informée des pratiques de ladite filiale et qu’elle détermine directement son comportement (arrêt AEG-Telefunken/Commission, précité, point 52) ;

–        selon une jurisprudence constante, la notion d’entreprise, placée dans le contexte du droit de la concurrence, doit être comprise comme désignant une unité économique du point de vue de l’objet de l’accord en cause, même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes, physiques ou morales (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission, T‑9/99, Rec. p. II‑1487, point 66, renvoyant à l’arrêt de la Cour du 12 juillet 1984, Hydrotherm Gerätebau, 170/83, Rec. p. 2999, point 11).

28      En second lieu, avant d’examiner plus en détail le cas d’Agroexpansión ainsi que celui de WWTE, la Commission indique, au considérant 375 de la décision attaquée, ce qui suit :

« En l’espèce, trois des quatre transformateurs espagnols de tabac brut sont contrôlés (à 100 % ou à 90 %) par des multinationales américaines. Il existe par ailleurs d’autres éléments factuels qui confirment la présomption selon laquelle le comportement d’Agroexpansión et de WWTE doit être imputé à leur[s] société[s] mère[s] respective[s]. Dans ce cas, les deux sociétés – la société mère et sa filiale – doivent être considérées comme solidairement responsables des infractions constatées dans la […] décision [attaquée]. »

29      Au considérant 376 de la décision attaquée, la Commission ajoute ce qui suit :

« [En revanche], après l’envoi de la communication des griefs et l’audition des parties, il est apparu que les preuves du dossier ne pouvaient pas justifier une conclusion similaire au sujet des participations d’Universal […] et d’Universal Leaf [Tobacco Co. Inc.] dans Taes et Deltafina. En fait, [à part] le lien soci[al] entre les sociétés mères et leurs filiales, le dossier ne contient aucune indication de participation matérielle d’Universal […] et d’Universal Leaf dans les faits examinés dans la [décision attaquée]. Il ne conviendrait donc pas d’en faire les destinataires d’une décision dans cette affaire. La même conclusion s’appliquerait a fortiori à Intabex [Netherlands BV] puisque sa participation de 100 % dans Agroexpansión était purement financière. »

30      Aux considérants 377 à 386 de la décision attaquée, la Commission examine le cas d’Agroexpansión. Elle relève notamment que, depuis le second semestre de l’année 1997, cette société est entièrement contrôlée par Dimon, et ce par l’intermédiaire de la filiale à 100 % de cette dernière, Intabex Netherlands BV (ci-après « Intabex »). Elle en déduit qu’il est légitime de présumer que, à tout le moins à partir de ce moment, Dimon a exercé une influence déterminante sur le comportement d’Agroexpansión. La Commission ajoute que d’autres éléments de son dossier – qu’elle décrit aux considérants 379 et 380 de la décision attaquée – confirment cette présomption. Par ailleurs, elle rejette certaines allégations formulées par Dimon dans sa réponse à la communication des griefs et notamment celle selon laquelle elle aurait violé le principe de non-discrimination en la tenant pour responsable du comportement infractionnel de sa filiale alors qu’elle n’a notamment pas tenu la société mère de Cetarsa, à savoir Sociedad estatal de participaciones industriales (ci-après « Sepi »), pour responsable du comportement infractionnel de sa filiale. La Commission justifie cette différence de traitement par le fait que, contrairement à ce que Dimon aurait affirmé, « [son] dossier […] ne contient pas de communication directe entre Cetarsa et Sepi sur l’objet de la présente affaire », que « la participation de Sepi dans Cetarsa paraît essentiellement financière, analogue au lien entre Intabex et Agroexpansión », que « Cetarsa (contrairement à Agroexpansión) regroupe toute l’activité de transformation du tabac du groupe Sepi et, pour la même raison, est manifestement gérée séparément » et, enfin, que « Cetarsa n’est pas filiale à 100 % de Sepi » (considérant 384 de la décision attaquée).

31      La Commission conclut des éléments exposés au point 30 ci-dessus que Dimon « doit être tenue conjointement responsable, avec Agroexpansión, du comportement de cette dernière établi par la [décision attaquée] pour la période allant du second semestre de 1997 au 10 août 2001 » (considérant 386 de la décision attaquée).

32      Aux considérants 387 à 400 de la décision attaquée, la Commission examine le cas de WWTE.

33      Elle considère qu’il convient de distinguer deux périodes, la première s’étendant de 1995 jusqu’à mai 1998 et la seconde s’étendant de cette dernière date jusqu’à celle de la décision attaquée.

34      S’agissant de la première période, la Commission, tout d’abord, aux considérants 388 à 390 de la décision attaquée, formule les constatations suivantes :

–        deux tiers du capital de WWTE étaient détenus par SCC à travers TCLT, laquelle était une filiale de SCTC ;

–        le reste du capital de WWTE était détenu par trois personnes physiques, à savoir le président de WWTE et deux membres de sa famille ;

–        les décisions de l’assemblée générale des actionnaires de WWTE nécessitaient le vote favorable d’actionnaires représentant au moins 75 % du capital ;

–        le conseil d’administration de WWTE était composé de quatre membres nommés par l’assemblée générale ;

–        deux de ces membres – dont le président de WWTE, qui disposait d’un vote de préférence – représentaient les actionnaires minoritaires ;

–        parmi les deux autres membres, figurait le vice-président de SCC responsable des activités du groupe en Europe, M. V. ;

–        les décisions du conseil d’administration de WWTE étaient adoptées à la majorité simple.

35      Au considérant 391 de la décision attaquée, la Commission conclut des éléments qui précèdent que, pendant la première période, WWTE était conjointement contrôlée par SCC (à travers SCTC et TCLT) et par le président de WWTE et sa famille.

36      Ensuite, au même considérant, elle énonce une série d’éléments, figurant dans son dossier, qui établiraient que, pendant cette même période, SCC « et/ou ses filiales » ont exercé une influence effective sur le comportement de WWTE en Espagne.

37      Enfin, au considérant 392 de la décision attaquée, la Commission expose que, eu égard auxdits éléments, « il y a lieu de conclure qu’entre 1996 et mai 1998, alors que SCC ne contrôlait, via ses filiales TCLT et SCTC, que deux tiers du capital de WWTE, elle avait toutefois mis en place certains mécanismes qui, ensemble, lui permettaient d’être au courant des activités de sa filiale en Espagne et donc de contrôler effectivement la politique commerciale de celle-ci ».

38      S’agissant de la seconde période, aux considérants 393 à 398 de la décision attaquée, la Commission énonce une série d’éléments qui démontreraient que, à partir de mai 1998, SCC, soit directement soit à travers SCTC et TCLT, a eu le contrôle exclusif de WWTE et a exercé une influence déterminante sur la politique commerciale de cette dernière. Ces éléments sont les suivants :

–        en mai 1998, TCLT a porté sa participation dans le capital de WWTE à 86,94 %, le reste du capital étant détenu en propre par WWTE (9,73 %) et par une personne physique (3,33 %) ;

–        en octobre 1998, WWTE a acquis les actions de cette dernière personne et SCC a acquis une participation directe de 0,04 % dans WWTE ;

–        en mai 1999, TCLT et SCC ont porté leur participation dans le capital de WWTE à 89,64 % et à 0,05 %, respectivement ;

–        les règles de vote à l’assemblée générale de WWTE n’ont pas changé, de sorte que, depuis mai 1998, SCC contrôle l’adoption des décisions au sein de cette assemblée générale ;

–        les deux membres du conseil d’administration de WWTE représentant les actionnaires minoritaires ont démissionné et ont été remplacés par deux nouveaux membres nommés par l’assemblée générale ;

–        depuis mai 1998, les décisions du conseil d’administration de WWTE nécessitent le vote favorable de trois de ses quatre membres ;

–        depuis 1998, M. V. joue un rôle dans la conclusion des contrats de culture passés entre WWTE et les groupements de producteurs ;

–        le « manuel de procédures et de systèmes de contrôle interne » de WWTE de 2000 (ci-après le « manuel de WWTE ») mentionne que « [l]e président, avec le directeur des achats, est directement responsable de la [procédure de passation des contrats] moyennant l’autorisation préalable de la société mère, qui approuve le budget pour la campagne chaque année au mois de mars ».

39      Au considérant 399 de la décision attaquée, la Commission indique que « [l]es arguments avancés par SCC dans sa réponse à la communication des griefs ne justifient pas de conclusion différente à ce propos ». En particulier, selon la Commission, « l’existence d’une direction locale de sa filiale espagnole [n’infirme pas la conclusion selon laquelle] SCC exerçait une influence déterminante sur cette même filiale ».

40      Eu égard à ces différents éléments, la Commission conclut, au considérant 400 de la décision attaquée, que, depuis 1996 au moins, « SCC et/ou ses filiales SCTC et TCLT » ont exercé une influence déterminante sur la politique commerciale de WWTE et qu’elles doivent donc être tenues pour solidairement responsables des pratiques reprochées à cette dernière et figurer parmi les destinataires de la décision attaquée.

 Procédure et conclusions des parties

41      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 janvier 2005, les requérantes ont introduit le présent recours.

42      Le même jour, WWTE a introduit un recours visant à la réduction de l’amende qui lui a été infligée par la décision attaquée (affaire T‑37/05).

43      Le 22 janvier 2005, Agroexpansión a également introduit un recours visant à la réduction de l’amende qui lui a été infligée par la décision attaquée (affaire T‑38/05).

44      Le 28 janvier 2005, Dimon a introduit un recours tendant à l’annulation partielle de la décision attaquée ou, à titre subsidiaire, à la réduction de l’amende qui lui a été infligée par cette décision (affaire T‑41/05).

45      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 1er août 2005, les requérantes ont demandé la jonction de la présente affaire avec les affaires T‑37/05, T‑38/05 et T‑41/05.

46      La Commission a indiqué au Tribunal, par lettre déposée au greffe du Tribunal le 7 septembre 2005, qu’elle considérait que la jonction des quatre affaires ne permettrait pas d’améliorer sensiblement l’efficacité de la procédure et qu’elle lui laissait le soin de décider s’il convenait ou non de faire droit à la demande de jonction.

47      Le Tribunal n’a pas donné suite à cette demande de jonction.

48      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, a invité la Commission à déposer un document et à répondre à certaines questions. La Commission a déféré à ces demandes dans le délai imparti.

49      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience qui s’est tenue le 17 juin 2009.

50      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée dans la mesure où elle les concerne ;

–        condamner la Commission aux dépens.

51      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

52      À l’appui du recours, les requérantes soulèvent deux moyens. Le premier moyen s’articule en deux branches. La première branche est tirée d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1). La seconde branche, invoquée à titre subsidiaire, est tirée d’une motivation insuffisante. Le second moyen est pris d’une violation du principe d’égalité de traitement. Ces deux moyens étant étroitement liés, il convient de les examiner ensemble.

1.     Arguments des parties

53      Dans la première branche du premier moyen, les requérantes prétendent que la Commission a violé l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 en les tenant pour responsables de l’infraction commise par WWTE.

54      Elles exposent que, selon la jurisprudence et la pratique décisionnelle de la Commission, deux conditions cumulatives doivent être remplies pour qu’une entreprise puisse être tenue pour responsable d’une infraction commise par une autre : il faut non seulement que la première entreprise soit en mesure d’exercer une influence déterminante sur le comportement de la seconde, mais également qu’elle ait effectivement fait usage de cette influence.

55      S’agissant de la première condition, les requérantes font valoir que, pendant la période antérieure à mai 1998, TCLT n’était pas en mesure d’exercer une influence déterminante sur la politique commerciale de WWTE et ne disposait pas d’un pouvoir de direction à l’égard de cette dernière au point de la priver de toute autonomie réelle dans la détermination de sa ligne d’action sur le marché. Elles considèrent que la Commission a, dès lors, erronément imputé à TCLT et, par extension, à SCTC et à SCC, l’infraction commise par WWTE pendant ladite période.

56      Au soutien de leurs allégations, les requérantes invoquent notamment le fait que SCTC et SCC ne détenaient qu’une participation indirecte dans WWTE, que WWTE était contrôlée conjointement par TCLT, d’une part, et le président de WWTE et sa famille, d’autre part, et que les « éléments du dossier » auxquels la Commission se réfère au considérant 391 de la décision attaquée ne prouvent pas qu’elles étaient en mesure d’exercer une influence déterminante sur WWTE.

57      Les requérantes considèrent que la notion de « contrôle en commun » visée par le règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1), ne correspond pas au pouvoir d’exercer une influence déterminante. À cet égard, d’une part, elles font valoir que ce règlement ne saurait être appliqué par analogie à la présente espèce. D’autre part, elles prétendent que, même à supposer que des indications puissent être trouvées dans ledit règlement, ce serait la notion de « contrôle exclusif », et non celle de « contrôle en commun », qui serait appropriée pour définir le « pouvoir d’exercer une influence déterminante sur la politique commerciale de la filiale ».

58      Pour ce qui est de la période postérieure à mai 1998, les requérantes reconnaissent qu’elles étaient en mesure d’exercer une influence déterminante sur WWTE.

59      S’agissant de la seconde condition, en premier lieu, les requérantes font valoir que, pour que celle-ci soit remplie, il faut que la société mère ait donné à sa filiale des instructions directes de commettre l’infraction ou ait directement participé à celle-ci. Au soutien de cette allégation, elles invoquent notamment la constatation faite par la Commission au considérant 376 de la décision attaquée et selon laquelle « [à part] le lien soci[al] entre les sociétés mères et leurs filiales, le dossier ne contient aucune indication de participation matérielle d’Universal […] et d’Universal Leaf dans les faits examinés dans la [décision attaquée] ».

60      Les requérantes considèrent que la Commission se trompe lorsqu’elle prétend qu’il suffit de prouver que la filiale ne dispose pas d’autonomie totale dans la détermination de sa ligne d’action sur le marché – et ce sans établir de lien spécifique avec le comportement infractionnel – pour que soit établi l’exercice effectif d’une influence déterminante. D’une part, elles estiment que la position ainsi défendue par la Commission n’est pas soutenue par la jurisprudence qu’elle invoque. D’autre part, elles affirment que ladite influence doit porter sur la « politique commerciale concernant l’infraction ». Or, en l’espèce, l’infraction aurait été commise sur le marché de l’achat de tabac brut, soit sur un marché sur lequel WWTE jouirait d’une totale autonomie et qui ne relèverait pas de sa « politique commerciale ou des ventes ». Dans le même sens, les requérantes critiquent le fait que les éléments de preuve sur lesquels se fonde la Commission ne concernent que le financement et les ventes de tabac, et non les achats de tabac brut.

61      En deuxième lieu, les requérantes prétendent que, dans le cas d’un groupe de sociétés verticalement intégré, la responsabilité du comportement infractionnel d’une filiale ne saurait être automatiquement imputée à la société qui se trouve à la tête du groupe. Seule la société mère ayant donné des instructions à la filiale concernée ou ayant dirigé le comportement de celle-ci pour l’essentiel pourrait se voir attribuer une telle responsabilité.

62      En troisième lieu, les requérantes font valoir que c’est à la Commission qu’il incombe de prouver qu’elles ont donné des instructions à WWTE. Elles soutiennent qu’il ne saurait être présumé qu’une société, lorsqu’elle détient 100 % du capital d’une autre société, exerce effectivement une influence déterminante sur la politique commerciale de cette dernière. Elles relèvent notamment que, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts AEG-Telefunken/Commission et PVC II, point 27 supra, le juge communautaire ne s’est pas limité à faire usage d’une telle présomption, mais a également examiné de manière approfondie la question de la participation de la société mère à l’infraction.

63      En tout état de cause, selon les requérantes, la Commission n’a invoqué la présomption précitée ni dans la communication des griefs ni dans la décision attaquée. Elle ne saurait, par conséquent, en faire état pour la première fois dans le mémoire en défense. Les requérantes ajoutent que, aux considérants 18 et 376 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que, même en présence d’un cas de détention de 100 % du capital de la filiale, il lui incombait de fournir des éléments de preuve supplémentaires pour pouvoir tenir la société mère de cette filiale responsable du comportement de celle-ci.

64      Par ailleurs, les requérantes insistent sur le fait que la Commission doit rapporter la preuve de l’exercice effectif d’une influence déterminante pour chacune d’entre elles. Dans ce contexte, elles soutiennent notamment que la Commission ne saurait prétendre que M. V. « [a] exercé des fonctions au niveau de la direction du groupe » au sens du point 37 de l’arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, ABB Asea Brown Boveri/Commission (T‑31/99, Rec. p. II‑1881). Elles relèvent que M. V. n’a jamais été un cadre désigné par SCC – de sorte qu’il ne saurait être assimilé aux « hauts dirigeants » visés par cet arrêt – et qu’il n’était pas non plus la personne responsable de l’ensemble des activités du groupe Standard dans une région ou un pays donné ou chargée, au sein dudit groupe, de la direction commerciale au niveau mondial de toutes les entreprises actives dans le secteur concerné. Les requérantes précisent que M. V. avait un rôle de représentation de Standard Commercial Tobacco Services Ltd (ci-après « SCTL ») en Europe, mais que ses pouvoirs résultaient de sa qualité de membre du conseil d’administration des filiales locales – dont WWTE – et non d’un mandat qui lui aurait été conféré par SCC. Les fonctions de M. V. se seraient limitées à la coordination de la vente de tabac transformé par l’intermédiaire du réseau de ventes internationales du groupe Standard.

65      En quatrième lieu, les requérantes envisagent la période antérieure à mai 1998. Elles soutiennent que la Commission n’a pas apporté d’éléments de preuve suffisants établissant que, durant cette période, l’une quelconque d’entre elles avait donné instruction à WWTE d’adopter un comportement anticoncurrentiel. En particulier, les éléments mentionnés au considérant 391 de la décision attaquée ne seraient pas suffisamment probants à cet égard.

66      Sur ce dernier point, premièrement, les requérantes prétendent que la Commission ne produit aucun élément de preuve ni ne fait valoir aucun argument en ce qui concerne TCLT. Elles relèvent notamment que cette dernière est une entreprise sans activité propre, dont la participation dans WWTE est de nature purement financière.

67      Deuxièmement, les requérantes soutiennent que M. V. travaillait pour SCTL, et non pour SCC. Elles ajoutent que l’allégation de la Commission selon laquelle M. V. assumait la responsabilité générale des activités du groupe Standard en Europe et agissait en tant que représentant de SCC est très générale et, par voie de conséquence, dénuée de tout fondement. En tout état de cause, ces circonstances n’établiraient pas que SCTC a donné à WWTE des instructions directes de se comporter de manière anticoncurrentielle.

68      Troisièmement, les requérantes affirment que la déclaration de la Commission selon laquelle M. V. était « responsable des liaisons entre WWTE et ses sociétés mères » (considérant 391 de la décision attaquée) est également très générale et, de ce fait, dénuée de tout fondement. Elles font notamment valoir que la Commission ne démontre pas que lesdites « liaisons » incluaient le fait de donner des instructions à WWTE.

69      Quatrièmement, les requérantes prétendent que le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de WWTE des 25 et 26 mars 1996 mentionné au considérant 391 de la décision attaquée ne fait référence qu’à SCTC, de sorte que SCC et TCLT ne sauraient être visées par les arguments qu’en tire la Commission. SCTC ajoute que ce procès-verbal ne démontre pas qu’elle a donné instruction à WWTE d’adopter un comportement anticoncurrentiel. En effet, SCTC ne serait consultée, et ne devrait donner son autorisation, qu’à propos de questions étrangères à l’achat de tabac brut, à savoir notamment la vente de tabac transformé, et de dépenses extraordinaires.

70      Cinquièmement, TCLT avance que la Commission n’a pas prétendu qu’elle était concernée par l’une quelconque des télécopies mentionnées au considérant 391 de la décision attaquée. SCC soutient que ces télécopies ont été envoyées à l’employé d’une société rattachée à SCTC, et non à elle-même. La mention du nom « Standard Commercial UK » dans certaines desdites télécopies serait une erreur de la part de l’expéditeur, puisque SCC ne disposerait d’aucune représentation au Royaume-Uni. Serait également erronée la mention, en qualité de vice-président de SCC, de M. V. dans les rapports annuels de SCC. Quant à SCTC, elle relève qu’il est seulement indiqué dans les télécopies en cause qu’il est possible que M. V. ait été informé de la conduite de WWTE et considère qu’il ne saurait en être déduit qu’elle a donné instruction à cette dernière de se comporter de manière anticoncurrentielle.

71      En cinquième lieu, les requérantes envisagent la période postérieure à mai 1998. Elles soutiennent que la Commission n’a pas apporté d’éléments de preuve suffisants établissant que, durant cette période, l’une quelconque d’entre elles avait donné instruction à WWTE d’adopter un comportement anticoncurrentiel.

72      À cet égard, premièrement, elles avancent que les constatations figurant aux considérants 396 et 398 de la décision attaquée ne concernent que SCTC.

73      Deuxièmement, les requérantes critiquent les constatations formulées par la Commission au considérant 398 et à la note en bas page n° 313 de la décision attaquée. Elles considèrent, tout d’abord, que les « contrats de fourniture espagnols à long terme » auxquels il est fait référence dans cette note en bas de page ne présentent aucun rapport avec les infractions concernées et qu’ils ne sauraient donc servir à démontrer que l’une d’entre elles a donné instruction à WWTE d’adopter un comportement anticoncurrentiel. Ensuite, elles font valoir que la Commission ne saurait davantage tirer argument du manuel de WWTE. À cet égard, d’une part, elles prétendent que ce manuel ne prouve pas suffisamment que SCTC a donné instruction à WWTE de commettre une infraction aux règles de concurrence. D’autre part, elles exposent que ledit manuel « prévoit que SCTC donne son autorisation avant le début de la procédure de passation des contrats », ce qui signifie, en pratique, qu’elle « autorise les quantités de tabac à acheter en Espagne ». Elles précisent que cette autorisation est donnée dans le cadre de l’approbation du budget annuel et qu’elle ne constitue pas une autorisation d’acheter à un prix déterminé ou de fixer le prix selon une méthode ou une formule données. Dans la limite des dépenses autorisées par SCTC, WWTE « [mettrait] en œuvre de manière totalement autonome une politique d’achats indépendante ». Elles ajoutent que le manuel date de 2000, de sorte qu’il ne saurait servir à établir que SCTC a exercé une influence déterminante sur WWTE à compter de mai 1998.

74      En sixième lieu, les requérantes estiment qu’elles ont démontré à suffisance de droit que WWTE agissait de manière autonome sur le marché, et non sur leurs instructions, lorsque l’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE a été commise.

75      À cet égard, premièrement, elles relèvent que la Commission ne conteste pas que WWTE dispose d’une direction locale propre.

76      Deuxièmement, elles invoquent le fait que WWTE disposait de ses propres actifs et de son propre personnel.

77      Troisièmement, elles répètent que SCTC participait à la commercialisation et à la vente de tabac transformé, tandis que WWTE était seule responsable des achats de tabac brut.

78      Quatrièmement, les requérantes exposent que le groupe Standard a une structure décentralisée et que « le marché espagnol du tabac représente une part tout à fait insignifiante des activités générales du groupe ».

79      Cinquièmement, dans la réplique, les requérantes relèvent que TCLT ne disposait que d’actifs financiers, n’exerçait pas d’activités et n’employait pas de personnel. Elles exposent que TCLT n’achetait du tabac transformé auprès de WWTE que « formellement », « afin d’enregistrer un bénéfice dans la comptabilité de WWTE », et que SCTC n’était nullement intéressée par la stratégie d’achat de cette dernière, qui relevait pour l’essentiel de la responsabilité exclusive du président de WWTE.

80      Les requérantes concluent de l’ensemble des considérations qui précèdent que la Commission n’a pas suffisamment prouvé que l’une quelconque d’entre elles avait donné instruction à WWTE d’adopter un comportement anticoncurrentiel. La Commission aurait, dès lors, fait une application erronée de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003.

81      Dans la seconde branche du premier moyen, invoquée à titre subsidiaire, les requérantes font valoir que la Commission a méconnu l’article 253 CE en ce qu’elle a motivé de façon insuffisante son appréciation selon laquelle elles doivent être tenues pour solidairement responsables du comportement de WWTE.

82      En ce qui concerne le second moyen, en premier lieu, les requérantes exposent que la Commission a utilisé deux critères différents pour conclure qu’Universal, Universal Leaf Tobacco Co. Inc. (ci-après « Universal Leaf ») et Sepi n’étaient pas responsables du comportement infractionnel de leurs filiales respectives. En effet, elle aurait vérifié si son dossier contenait, d’une part, des « indication[s] de participation matérielle d’Universal et d’Universal Leaf dans les faits examinés dans la [décision attaquée] » (considérant 376 de la décision attaquée) et, d’autre part, des « communication[s] directe[s] entre Cetarsa et Sepi sur l’objet de la présente affaire » (considérants 384 de la décision attaquée).

83      Or, la Commission n’aurait rapporté la preuve ni d’une quelconque participation matérielle de SCC, de SCTC ou de TCLT à l’infraction commise par WWTE, ni de la moindre communication directe entre l’une des premières et la seconde sur l’objet de la présente affaire.

84      En deuxième lieu, les requérantes prétendent que la Commission a également traité plus favorablement Intabex que TCLT. Elles critiquent le fait que TCLT, à la différence d’Intabex, a été reprise parmi les destinataires de la décision attaquée et a été tenue pour responsable du comportement infractionnel de sa filiale alors que sa participation dans celle-ci est purement financière et que la Commission n’a pas rapporté la preuve de sa participation matérielle aux faits reprochés à WWTE.

85      Les requérantes considèrent que le fait que TCLT n’a pas mentionné dans sa réponse à la communication des griefs que sa participation dans WWTE était purement financière est dénué de pertinence. Elles relèvent que c’est à la Commission qu’il incombait de démontrer que TCLT pouvait être déclarée responsable. Elles estiment, par ailleurs, que la Commission ne saurait utilement prétendre que TCLT était le principal acheteur de WWTE de 1996 à 1999. En effet, d’une part, les achats auraient exclusivement été effectués pour des raisons fiscales et, en pratique, TCLT n’aurait reçu aucune livraison de tabac. D’autre part, dans la décision attaquée, la Commission n’aurait pas fait valoir cet argument.

86      En troisième lieu, les requérantes soulignent qu’elles n’invoquent pas à leur profit un acte illégal commis en faveur d’un tiers. Elles indiquent, plus précisément, qu’elles ne prétendent pas que la Commission a illégalement omis de retenir la responsabilité d’Universal, d’Universal Leaf, de Sepi ou d’Intabex ou d’adresser à celles-ci la décision attaquée. Elles soutiennent que, si la Commission estime, en se fondant sur un critère déterminé, qu’une entreprise ne doit pas être destinataire de la décision attaquée, elle doit appliquer ce même critère de manière non discriminatoire à toutes les autres entreprises concernées.

87      S’agissant du premier moyen, la Commission considère que celui-ci doit être rejeté comme non fondé.

88      En premier lieu, la Commission partage l’avis des requérantes selon lequel, pour qu’une société mère puisse être tenue pour responsable du comportement mis en œuvre par une de ses filiales, il faut, d’une part, qu’elle ait la possibilité d’exercer une influence déterminante sur le comportement commercial de cette filiale et, d’autre part, qu’elle ait effectivement exercé cette influence.

89      S’agissant de la première de ces conditions, la Commission indique que celle-ci a été définie de manière assez précise par le législateur dans le règlement n° 139/2004. Elle renvoie, plus particulièrement, à l’article 3, paragraphes 2 et 3, de ce règlement. Par ailleurs, elle rejette l’allégation des requérantes selon laquelle une influence n’est « déterminante » que si elle est « exclusive » (voir point 57 ci-dessus).

90      S’agissant de la seconde des conditions visées au point 88 ci-dessus, la Commission conteste la position des requérantes selon laquelle elle exige que la société mère ait donné instruction à sa filiale d’enfreindre l’article 81 CE ou ait participé directement à l’infraction. Elle affirme que, en définissant cette condition, la jurisprudence se réfère de manière constante à l’absence d’autonomie de la filiale dans la détermination de sa ligne d’action sur le marché, et ce sans établir de lien spécifique avec le comportement infractionnel.

91      La Commission fait valoir que, parmi les éléments de preuve de nature à établir l’exercice effectif d’un contrôle sur la politique de la filiale, figure le fait que la société mère est représentée au sein du conseil d’administration de ladite filiale. Elle ajoute qu’une filiale est moins susceptible d’être autonome lorsqu’elle est active sur le même marché que sa société mère ou sur un marché étroitement lié. Outre ces éléments généraux, certains éléments spécifiques pourraient contribuer à démontrer que la société mère participe à la politique commerciale de sa filiale ou qu’elle a mis en place des mécanismes lui permettant de superviser les activités de celle-ci.

92      La Commission ajoute que la jurisprudence a admis que, lorsqu’une filiale est détenue à 100 % par sa société mère, cette dernière est présumée avoir exercé son pouvoir d’influencer le comportement de sa filiale. La société mère pourrait renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve de nature à démontrer que ladite filiale se comporte en réalité de façon autonome sur le marché.

93      La Commission précise que la présomption susvisée s’applique tant dans le cas où la société mère détient directement une participation de 100 % dans sa filiale que dans le cas où elle ne détient qu’indirectement une telle participation.

94      En deuxième lieu, la Commission examine la période antérieure à mai 1998.

95      À cet égard, premièrement, elle fait valoir que, aux considérants 388, 390 et 391 de la décision attaquée, elle a établi à suffisance de droit que les requérantes avaient la possibilité d’exercer une influence déterminante sur WWTE au cours de cette période.

96      Deuxièmement, la Commission soutient que la décision attaquée fait état, en son considérant 391, de plusieurs éléments établissant que les sociétés mères de WWTE avaient mis en place des mécanismes adéquats leur permettant d’exercer de manière effective une influence déterminante sur le comportement commercial de cette dernière. Elle précise, dans ce contexte, que le fait qu’une influence déterminante a réellement été exercée constitue le meilleur critère objectif pour déterminer si une société mère était en mesure d’exercer une telle influence.

97      S’agissant desdits éléments, la Commission, tout d’abord, insiste sur le rôle et les responsabilités de M. V. au sein du groupe Standard. Elle estime notamment que les requérantes ne sauraient tirer argument du fait que M. V. n’était pas employé par SCC, SCTC ou TCLT ni n’occupait de poste de « corporate officer » au sein de l’une de ces sociétés. Ce qui importerait, c’est seulement de savoir s’il « [a] exercé des fonctions au niveau de la direction du groupe » (arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 64 supra, point 37).

98      Ensuite, la Commission renvoie au procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de WWTE des 25 et 26 mars 1996.

99      Par ailleurs, la Commission prétend que la correspondance mentionnée au considérant 391 de la décision attaquée démontre que le président de WWTE a tenu M. V. informé non seulement des activités d’achat de tabac de cette société, mais aussi des accords sur les prix et les quantités conclus avec les autres transformateurs.

100    Troisièmement, la Commission fait valoir que le fait que, au sein du groupe Standard, TCLT soit la seule société à détenir une participation directe dans WWTE n’empêche pas que SCC et SCTC exercent une influence déterminante sur cette dernière. Elle prétend que plusieurs éléments démontrent l’existence d’un lien entre WWTE et les requérantes. À cet égard, elle relève notamment que TCLT avait désigné deux des quatre membres du conseil d’administration de WWTE et était la principale cliente de cette dernière de 1996 à 1999, que SCTC est active dans le secteur de la transformation et de la commercialisation du tabac et est la principale cliente de WWTE depuis 2000, et que le vice-président de SCC responsable des activités dans le secteur du tabac en Europe est membre du conseil d’administration de WWTE. Elle expose que, dans ce groupe, chaque société joue un rôle déterminé : WWTE achète le tabac brut en Espagne et le transforme ; sa production est ensuite achetée directement par TCLT et SCTC ; ces dernières commercialisent alors cette production par le biais du réseau de vente de SCC, laquelle coordonne les activités des diverses sociétés opérationnelles du groupe.

101    La Commission conclut de tout ce qui précède qu’elle n’a commis aucune erreur de droit en considérant que, durant la période antérieure au mois de mai 1998, WWTE formait une unité économique avec le groupe Standard et que les requérantes devaient être déclarées solidairement responsables du paiement de l’amende.

102    En troisième lieu, la Commission envisage la période postérieure à mai 1998.

103    À cet égard, premièrement, elle relève que les requérantes ne contestent pas que, pendant cette période, elles étaient en mesure d’exercer une influence déterminante sur WWTE.

104    Deuxièmement, la Commission indique que le groupe Standard dispose, depuis mai 1998, du contrôle exclusif de WWTE et détient, depuis octobre 1998, 100 % du capital de cette dernière. Elle considère qu’elle pouvait, dès lors, légitimement présumer que les requérantes exerçaient une influence déterminante sur la politique commerciale de leur filiale.

105    La Commission rejette l’allégation des requérantes selon laquelle, dans la décision attaquée, elle n’a pas eu recours à cette présomption pour les tenir responsables du comportement infractionnel de WWTE. Elle rejette en particulier l’interprétation qu’elles donnent du considérant 376 de la décision attaquée (voir point 59 ci-dessus), affirmant qu’il ressort de ce considérant ainsi que du considérant 18 de la décision attaquée que « la raison pour laquelle [elle] n’a pas adressé [cette décision] à Intabex et à Universal résidait dans leurs observations en réponse à la communication des griefs et lors de l’audition, qui étaient suffisantes pour renverser toute présomption d’exercice effectif d’un contrôle fondé sur leur participation dans le capital de leurs filiales ». Elle précise qu’elle ne pouvait se fonder sur ladite présomption dans le cas de Taes dès lors que ses sociétés mères, à savoir Universal et Universal Leaf, ne détenaient que 90 % de son capital. S’agissant de Deltafina, qui, elle, était contrôlée à 100 % par Universal et Universal Leaf, la Commission avance que ces dernières sont parvenues à renverser ladite présomption et que les requérantes n’ont jamais prétendu que son dossier contenait des éléments démontrant l’exercice d’une influence déterminante par lesdites sociétés mères sur le comportement de ladite filiale.

106    Troisièmement, la Commission expose que, aux considérants 395 à 398 de la décision attaquée, elle fait état d’éléments supplémentaires étayant sa conclusion selon laquelle les requérantes exerçaient effectivement une influence déterminante sur la politique commerciale de WWTE.

107    La Commission se fonde notamment sur certains passages d’un mémorandum du comité exécutif de SCTC à M. V., relatif aux « contrats d’approvisionnement espagnols à long terme » (considérant 396 et note en bas de page n° 313 de la décision attaquée).

108    Un autre élément invoqué par la Commission est le fait, mentionné au considérant 398 et à la note de bas en page n° 314 de la décision attaquée, que le budget annuel de WWTE est approuvé par son conseil d’administration « sous réserve des modifications proposées par la société mère ».

109    Par ailleurs, la Commission renvoie aux constatations relatives au manuel de WWTE qu’elle a effectuées au considérant 398 de la décision attaquée. Elle relève notamment que les requérantes admettent que SCTC devait approuver le budget pour l’achat de tabac avant que le président de WWTE n’entame toute procédure de passation des contrats.

110    La Commission ajoute que son dossier contient de nombreux autres exemples démontrant que les requérantes exerçaient une influence déterminante sur WWTE.

111    Quatrièmement, la Commission considère que les éléments invoqués par les requérantes, tels que repris aux points 75 à 79 ci-dessus, ne démontrent pas à suffisance de droit que WWTE agissait de façon autonome sur le marché.

112    S’agissant du second moyen, la Commission conteste avoir méconnu le principe d’égalité de traitement.

113    À titre liminaire, elle rappelle que, selon la jurisprudence, le respect du principe d’égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui. Elle estime que, dès lors, même s’il devait apparaître que la décision attaquée n’a pas été adressée à certaines entreprises alors qu’elles se trouvaient dans une situation analogue à celle des requérantes, cette circonstance serait dénuée de pertinence en ce qui concerne l’appréciation de la responsabilité de ces dernières.

114    Ensuite, en premier lieu, la Commission fait valoir que la situation des requérantes diffère de celle d’Universal, d’Universal Leaf et de Sepi, de sorte qu’il ne saurait être question d’une violation du principe d’égalité de traitement en l’espèce. Plus particulièrement, renvoyant aux considérants 18, 375, 376, 384 et 385 de la décision attaquée, elle affirme qu’elle ne disposait pas d’éléments suffisants pour conclure que Taes, Deltafina et Cetarsa n’agissaient pas de façon autonome sur le plan commercial par rapport à leurs sociétés mères respectives.

115    S’agissant, d’une part, de Taes et de Deltafina, la Commission indique que, initialement, elle avait adressé la communication des griefs non seulement à ces sociétés, mais aussi à leurs deux sociétés mères. Dans leur réponse à la communication des griefs ainsi que lors de l’audition, lesdites sociétés mères auraient toutefois présenté des arguments « détaillés et convaincants » qui l’auraient amenée à considérer qu’elles ne formaient pas une unité économique avec Taes et Deltafina.

116    La Commission prétend que le passage du considérant 376 de la décision attaquée invoqué par les requérantes (voir points 59 et 82 ci-dessus) doit être lu « dans le contexte du considérant 18 et de [cette] décision dans son ensemble ». Elle insiste sur le fait que, nulle part dans la décision attaquée, elle n’affirme que, pour qu’une société mère puisse être tenue responsable de l’infraction commise par sa filiale, il faut démontrer la « participation matérielle » de ladite société mère à l’infraction. En évoquant, au considérant 376 de la décision attaquée, l’absence de « participation matérielle […] dans les faits examinés dans cette décision », elle se référerait à l’« absence de faits matériels prouvant l’exercice d’une influence déterminante ». En revanche, de tels faits matériels seraient présents dans le cas des requérantes.

117    En ce qui concerne, plus précisément, Deltafina, la Commission avance que, au considérant 376 de la décision attaquée, elle entendait seulement indiquer qu’Universal et Universal Leaf avaient avancé des arguments démontrant l’autonomie commerciale de leur filiale et avaient donc « renversé la présomption ». Elle expose qu’« il se peut que le libellé [de ce considérant] ne soit pas satisfaisant », mais estime qu’il ne saurait avoir amené les requérantes à croire qu’elle n’aurait pu tenir Universal et Universal Leaf pour responsables du comportement de Deltafina que si elle avait rapporté la preuve de leur participation directe à l’infraction.

118    Invitée par le Tribunal, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure (voir point 48 ci-dessus), à donner des précisions sur les arguments « détaillés et convaincants » mentionnés au point 115 ci-dessus, la Commission a toutefois admis que, contrairement à ce qu’elle avait indiqué dans ses écritures, ce n’est pas le fait qu’Universal et Universal Leaf aient réussi, lors de la procédure administrative, à renverser la présomption découlant de la détention de 100 % des actions de Deltafina qui l’avait conduite à ne pas les tenir pour responsables du comportement infractionnel de celle-ci. Elle a exposé que, à l’heure actuelle, il existait une abondante jurisprudence confortant sa thèse selon laquelle la détention de la totalité du capital de la filiale suffit, « à elle seule et en soi », à permettre de présumer que la société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de cette filiale. Toutefois, à l’époque de l’adoption de la décision attaquée, elle aurait eu pour politique de « faire un usage prudent de cette présomption et d’étayer ses constatations relatives à la responsabilité des sociétés mères, dans la mesure du possible, sur une double base : recourir à la présomption pour les filiales à 100 % et contrer toute tentative de renversement de la présomption en établissant spécifiquement l’exercice effectif d’une influence déterminante au moyen de preuves supplémentaires ». Elle a ajouté que, ne disposant dans son dossier d’aucun élément spécifique démontrant l’exercice effectif d’une telle influence par Universal et Universal Leaf sur le comportement commercial de Deltafina, elle a décidé de ne pas tenir les premières pour responsables de l’infraction commise par la seconde. La Commission a précisé qu’elle était d’autant moins encline à se fonder sur ladite présomption dans le cas de Deltafina que cette dernière n’était pas active sur le marché de l’achat et de la première transformation de tabac brut en Espagne.

119    S’agissant, d’autre part, de Cetarsa, la Commission expose que cette société appartient à Sepi, une société holding d’État qui participe à la privatisation en cours en Espagne des sociétés industrielles subventionnées par l’État et qui est placée sous l’autorité du ministre de l’Économie et des Finances espagnol. Elle prétend qu’elle ne disposait dans son dossier d’aucun élément de nature à indiquer que Cetarsa ne déterminait pas son comportement commercial de manière totalement autonome, rappelant à cet égard les constatations faites au considérant 384 de la décision attaquée (voir point 30 ci-dessus). Elle ajoute que ce dernier considérant ne saurait être interprété comme signifiant que la raison pour laquelle Sepi n’a pas été tenue pour responsable du comportement de Cetarsa est l’absence de preuves de communications directes entre ces deux sociétés. Elle relève que, dans ce considérant, elle répond aux arguments spécifiques avancés par Dimon lors de la procédure administrative et se concentre donc sur les différences entre cette dernière société et Sepi.

120    En second lieu, la Commission fait valoir que TCLT se trouvait dans une situation différente de celle d’Intabex.

121    Elle indique qu’elle a estimé, dans la décision attaquée, que, dans sa réponse à la communication des griefs, Intabex avait prouvé que, eu égard à la nature purement financière de sa participation dans Agroexpansión, elle n’était pas en mesure d’exercer la moindre influence déterminante sur cette dernière. En revanche, TCLT, dans sa réponse à la communication des griefs, n’aurait présenté aucun argument en ce sens. La Commission ajoute que, en tout état de cause, TCLT était le principal client de WWTE de 1996 à 1999 et se trouvait, de ce fait, dans une situation différente de celle d’Intabex.

2.     Appréciation du Tribunal

 Observations liminaires sur l’imputabilité du comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère

122    Il convient de rappeler que le droit communautaire de la concurrence vise les activités des entreprises (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 59) et que la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 112).

123    La jurisprudence a également précisé que la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêts de la Cour du 14 décembre 2006, Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, C‑217/05, Rec. p. I‑11987, point 40, et du Tribunal du 15 septembre 2005, DaimlerChrysler/Commission, T‑325/01, Rec. p. II‑3319, point 85).

124    Lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 145 ; du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C‑279/98 P, Rec. p. I‑9693, point 78, et du 11 décembre 2007, ETI e.a., C‑280/06, Rec. p. I‑10893, point 39).

125    L’infraction au droit communautaire de la concurrence doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes. Aux fins de l’application et de l’exécution des décisions de la Commission en matière de droit de la concurrence, il est, en effet, nécessaire d’identifier, en tant que destinataire, une entité dotée de la personnalité juridique (voir, en ce sens, arrêt PVC II, point 27 supra, point 978).

126    Il résulte d’une jurisprudence constante que le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère (arrêts de la Cour Imperial Chemical Industries/Commission, point 27 supra, points 132 et 133 ; du 14 juillet 1972, Geigy/Commission, 52/69, Rec. p. 787, point 44, et du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, Rec. p. 215, point 15), eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir, par analogie, arrêts Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 122 supra, point 117, et ETI e.a., point 124 supra, point 49).

127    En effet, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise, au sens de la jurisprudence mentionnée aux points 122 et 123 ci-dessus. Ce n’est donc pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise au sens de l’article 81 CE qui permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère (arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T‑112/05, Rec. p. II‑5049, point 58).

128    Il ressort également de la jurisprudence que la Commission ne saurait se contenter de constater que la société mère est en mesure d’exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, mais doit également vérifier si cette influence a effectivement été exercée (voir, en ce sens, arrêts Imperial Chemical Industries/Commission, point 27 supra, point 137, et AEG-Telefunken/Commission, point 27 supra, point 50).

129    Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles communautaires de la concurrence, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale (voir, en ce sens, arrêt Imperial Chemical Industries/Commission, point 27 supra, points 136 et 137) et, d’autre part, il existe une présomption simple selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (voir, en ce sens, arrêt AEG-Telefunken/Commission, point 27 supra, point 50, et arrêt PVC II, point 27 supra, points 961 et 984).

130    Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (voir, en ce sens, arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 27 supra, point 29).

131    S’il est vrai que la Cour a évoqué aux points 28 et 29 de l’arrêt Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, point 27 supra, hormis la détention de 100 % du capital de la filiale, d’autres circonstances, telles que l’absence de contestation de l’influence exercée par la société mère sur la politique commerciale de sa filiale et la représentation commune des deux sociétés durant la procédure administrative, il n’en demeure pas moins que de telles circonstances n’ont été relevées par la Cour que dans le but d’exposer l’ensemble des éléments sur lesquels le Tribunal avait fondé son raisonnement et non pas pour subordonner la mise en œuvre de la présomption mentionnée au point 129 ci-dessus à la production d’indices supplémentaires relatifs à l’exercice effectif d’une influence de la société mère (arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T‑69/04, Rec. p. II‑2567, point 57).

132    Enfin, il convient de préciser que la présomption tirée de la détention de la totalité du capital est susceptible de s’appliquer non seulement dans les cas de figure où il existe une relation directe entre la société mère et sa filiale, mais également dans des cas, comme celui de l’espèce, où cette relation est indirecte, par filiale interposée.

 Sur les critères utilisés par la Commission, dans la décision attaquée, pour imputer à une société mère la responsabilité de l’infraction commise par sa filiale

133    Il ressort de la décision attaquée que, pour imputer à une société mère la responsabilité de l’infraction commise par sa filiale et, par suite, la faire figurer, avec celle-ci, parmi les destinataires de cette décision et la déclarer solidairement responsable du paiement de l’amende infligée à ladite filiale, la Commission a suivi le raisonnement suivant.

134    La Commission est partie de la prémisse selon laquelle une telle imputation est possible lorsque la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, par voie de conséquence, constituent une seule entreprise au sens de l’article 81 CE (voir considérant 374 de la décision attaquée).

135    L’élément central sur lequel la Commission s’est fondée pour établir que la société mère et sa filiale se trouvent dans un tel cas de figure est l’absence d’autonomie de cette dernière en ce qui concerne son comportement sur le marché (voir considérant 371 de la décision attaquée), cette absence d’autonomie étant le corollaire de l’exercice d’une « influence déterminante » de la société mère sur le comportement de sa filiale (voir considérants 18, 372, 373, 378, 380, 381, 383, 391, 392, 397, 399, 400, 422 et 441 de la décision attaquée).

136    À cet égard, la Commission a estimé qu’elle ne pouvait se contenter de constater que la société mère avait la possibilité d’exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, mais qu’il lui incombait de démontrer que cette influence avait effectivement été exercée (voir, notamment, considérants 18, 376, 384, 391, 392, 397, 399 et 400 de la décision attaquée).

137    Ainsi, notamment, il ressort du considérant 384 de la décision attaquée que, si la Commission a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’imputer à Sepi la responsabilité de l’infraction commise par sa filiale Cetarsa, dont elle détenait pourtant près de 80 % du capital, c’est au motif qu’elle ne disposait dans son dossier d’aucun élément permettant d’établir que cette dernière ne déterminait pas de façon autonome son comportement sur le marché. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes (voir point 82 ci-dessus), la constatation, figurant dans ce même considérant, selon laquelle ledit dossier ne contient pas « de communication directe entre Cetarsa et Sepi sur l’objet de la présente affaire » ne saurait être interprétée en ce sens que c’est en soi cet élément qui a conduit la Commission à ne pas retenir la responsabilité de Sepi. En effet, par cette constatation, la Commission visait avant tout à répondre à une allégation qui avait été formulée par Dimon dans sa réponse à la communication des griefs et selon laquelle elle faisait l’objet d’un traitement discriminatoire par rapport à Sepi dès lors que cette dernière, bien que – comme Dimon – elle eût été prétendument pleinement informée des pratiques illégales en cause, n’avait pas été tenue pour responsable du comportement infractionnel de sa filiale. Il convient d’ajouter, par ailleurs, que, au considérant 384 de la décision attaquée, la Commission fait valoir trois considérations supplémentaires afin de distinguer la situation de Dimon de celle de Sepi et de justifier sa décision de ne pas retenir la responsabilité de cette dernière.

138    De même, il ressort du considérant 18 de la décision attaquée que la raison pour laquelle la Commission n’a pas tenu Universal ni sa filiale à 100 %, Universal Leaf, pour responsables du comportement infractionnel de la filiale à 90 % de celle-ci, Taes, est qu’elle ne disposait pas de preuves suffisantes de ce qu’elles exerçaient effectivement une influence déterminante sur cette dernière.

139    Ce sont les mêmes principes que la Commission a entendu appliquer dans le cas des requérantes, s’agissant de la période antérieure à mai 1998. Ainsi, dans un premier temps, elle s’est attachée à démontrer que les requérantes exerçaient un contrôle conjoint sur WWTE avec le président de celle-ci et deux membres de sa famille, laissant ainsi entendre qu’elles étaient en mesure d’exercer une influence déterminante sur le comportement de cette société (voir considérants 388 à 391 de la décision attaquée). Dans un second temps, la Commission s’est efforcée d’établir que les requérantes exerçaient effectivement une telle influence sur le comportement de WWTE (voir considérants 391, 392 et 400 de la décision attaquée).

140    Par ailleurs, la Commission a relevé que, dans le cas particulier où une société mère détenait la totalité du capital de sa filiale, il pouvait, selon la jurisprudence, être présumé que la première exerçait effectivement une influence déterminante sur le comportement de la seconde (voir considérant 372 de la décision attaquée).

141    Toutefois, en l’espèce, pour imputer aux sociétés mères se trouvant dans un tel cas de figure la responsabilité de l’infraction commise par leur filiale, la Commission a choisi de ne pas se contenter d’avoir recours à cette présomption, mais de se fonder également sur des éléments de fait visant à établir que ces sociétés mères exerçaient effectivement une influence déterminante sur leur filiale et, partant, à corroborer ladite présomption (voir, notamment, considérants 372, 375, 376 et 378 de la décision attaquée).

142    Ainsi, il ressort expressément du considérant 18 de la décision attaquée que, si la Commission n’a pas tenu les sociétés mères faîtière et intermédiaire de Deltafina, à savoir Universal et Universal Leaf, pour responsables du comportement infractionnel de leur filiale, en dépit du fait qu’elles la contrôlaient à 100 %, c’est au motif qu’elle ne disposait pas de preuves suffisantes de ce qu’elles exerçaient effectivement une influence déterminante sur ladite filiale. C’est dans le même sens qu’il convient de comprendre le passage du considérant 376 de la décision attaquée invoqué par les requérantes (voir points 59 et 82 ci-dessus). Certes, ce passage est rédigé en des termes quelque peu ambigus. Toutefois, lu en parallèle avec le considérant 18 de cette décision et replacé dans le contexte de celle-ci, il ne saurait être interprété comme signifiant que la raison pour laquelle la Commission n’a pas retenu la responsabilité de ces deux sociétés mères – ou d’une quelconque autre société mère – est leur absence d’implication dans l’infraction.

143    De même, il ressort tout aussi expressément du considérant 18 de la décision attaquée que le motif pour lequel la Commission n’a pas tenu la société mère intermédiaire d’Agroexpansión, à savoir Intabex, pour responsable du comportement infractionnel de sa filiale, alors même qu’elle contrôlait celle-ci à 100 %, est l’absence de preuves suffisantes quant à l’exercice effectif, par Intabex, d’une influence déterminante sur ladite filiale, sa participation dans celle-ci étant de nature purement financière (voir également considérant 376 de la décision attaquée).

144    En revanche, c’est précisément le fait qu’il existait de telles preuves en ce qui concerne Dimon, la société mère faîtière d’Agroexpansión, venant s’ajouter à la détention par la première de la totalité du capital de la seconde, qui a conduit la Commission à imputer à cette société mère la responsabilité de l’infraction (voir, notamment, considérants 375 et 378 à 380 de la décision attaquée).

145    C’est la même approche que la Commission a entendu suivre dans le cas des requérantes, s’agissant de la période s’étendant de mai 1998 jusqu’à la date d’adoption de la décision attaquée. Ainsi, pour déclarer ces dernières responsables du comportement infractionnel de WWTE, elle ne s’est pas contentée de se fonder sur la présomption découlant du fait qu’elles détenaient la totalité – ou, pendant quelques mois seulement, la quasi-totalité – du capital de WWTE (voir considérants 375 et 393 de la décision attaquée), mais a également tenu compte de certains éléments supplémentaires qui démontreraient qu’elles exerçaient effectivement une influence déterminante sur le comportement de cette même société (voir considérants 375, 396 et 398 de la décision attaquée). La Commission a ajouté que les arguments invoqués par SCC dans sa réponse à la communication des griefs pour tenter de démontrer que WWTE agissait de manière autonome sur le marché n’étaient pas concluants (voir considérant 399 de la décision attaquée).

146    Il doit être précisé que la Commission a retenu ladite approche non seulement pour les sociétés mères faîtières, mais aussi pour les sociétés mères intermédiaires, ainsi que le démontre – s’agissant de ces dernières – le cas d’Universal Leaf, d’Intabex, de SCTC et de TCLT.

147    Enfin, il convient de relever que, dans sa réponse à l’une des questions écrites qui lui avaient été posées par le Tribunal ainsi que lors de l’audience, la Commission a confirmé que, dans la décision attaquée, dans le cas des filiales contrôlées à 100 % par leurs sociétés mères, elle avait choisi de ne pas se contenter de se fonder sur la présomption visée aux points 129, 130 et 140 ci-dessus pour imputer à ces dernières la responsabilité de l’infraction commise par lesdites filiales, mais de tenir compte également d’éléments supplémentaires démontrant l’exercice effectif d’une influence déterminante. Elle a justifié en substance cette approche par le fait que, eu égard à l’état de la jurisprudence pertinente à l’époque de l’adoption de la décision attaquée, elle avait jugé plus prudent d’établir la responsabilité des sociétés mères sur une telle « double base ».

 Sur la seconde branche du premier moyen

148    Tout d’abord, il y a lieu d’examiner la seconde branche du premier moyen, dans le cadre de laquelle les requérantes font valoir que la Commission n’a pas suffisamment motivé sa décision de leur imputer la responsabilité du comportement anticoncurrentiel de WWTE.

149    Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63, et la jurisprudence citée, et arrêt du Tribunal du 4 juillet 2006, Hoek Loos/Commission, T‑304/02, Rec. p. II‑1887, point 58).

150    Il est également de jurisprudence constante que, lorsqu’une décision d’application de l’article 81 CE concerne une pluralité de destinataires et pose un problème d’imputabilité de l’infraction, elle doit comporter une motivation suffisante à l’égard de chacun des destinataires, particulièrement de ceux d’entre eux qui, aux termes de cette décision, doivent supporter la charge de cette infraction (arrêts du Tribunal du 28 avril 1994, AWS Benelux/Commission, T‑38/92, Rec. p. II‑211, point 26, et du 27 septembre 2006, Akzo Nobel/Commission, T‑330/01, Rec. p. II‑3389, point 93).

151    Dans le cas d’espèce, il ressort du résumé de la partie de la décision attaquée relative aux destinataires de celle-ci figurant aux points 25 à 40 ci-dessus ainsi que des constatations opérées aux points 133 à 146 ci-dessus que, dans ladite décision, la Commission a fourni une motivation suffisante des raisons pour lesquelles elle avait décidé d’imputer aux requérantes la responsabilité de l’infraction commise par WWTE. La Commission a ainsi exposé, en référence à la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, les principes qu’elle entendait appliquer pour définir lesdits destinataires. En ce qui concerne plus spécifiquement les requérantes, elle a distingué deux périodes, la première allant de 1995 jusqu’au mois de mai 1998, et la seconde allant de ce dernier mois jusqu’à la date d’adoption de la décision attaquée. S’agissant de la première période, la Commission, après avoir relevé que WWTE était alors soumise au contrôle conjoint des requérantes, d’une part, et de son président et de deux membres de sa famille, d’autre part, a considéré qu’elle disposait d’éléments factuels démontrant que les requérantes exerçaient effectivement une influence déterminante sur le comportement de WWTE et a exposé ces éléments. S’agissant de la seconde période, tout d’abord, la Commission a relevé que les requérantes détenaient alors la quasi-totalité (pendant quelques mois) puis la totalité du capital de WWTE et, partant, le contrôle exclusif de celle-ci. Ensuite, elle a considéré qu’il était établi que les requérantes exerçaient effectivement une influence déterminante sur la politique commerciale de WWTE, se fondant à cet égard non seulement sur la présomption découlant de la détention de la totalité (ou de la quasi-totalité) du capital de la filiale, mais aussi sur certains éléments supplémentaires corroborant ladite présomption. Enfin, la Commission a considéré qu’aucun des arguments invoqués par SCC dans sa réponse à la communication des griefs ne permettait de conduire à une conclusion contraire.

152    Par conséquent, la seconde branche du premier moyen doit être rejetée comme non fondée.

 Sur la légalité de la méthode appliquée en l’espèce par la Commission et sur le second moyen

153    Il convient d’apprécier la légalité, au regard de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, de la méthode appliquée en l’espèce par la Commission pour déterminer s’il y a lieu d’imputer à une société mère la responsabilité de l’infraction commise par sa filiale, telle que décrite aux points 134 à 136, 140, 141 et 146 ci-dessus.

154    À cet égard, il suffit de constater que ladite méthode – sans préjudice de la question de savoir si elle a été correctement appliquée dans le cas des requérantes, question qui sera examinée ci-après – est totalement conforme aux principes posés en la matière par la jurisprudence, tels que rappelés aux points 122 à 132 ci-dessus.

155    Certes, s’agissant du cas particulier où une société mère détient la totalité du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles communautaires de la concurrence, la Commission, dans un souci de prudence, ne s’est pas fondée exclusivement sur la présomption consacrée par la jurisprudence (voir points 129 et 130 ci-dessus) pour démontrer que la première exerce effectivement une influence déterminante sur la politique commerciale de la seconde, mais a également tenu compte d’autres éléments de fait visant à confirmer cet exercice. Toutefois, en procédant de la sorte, la Commission n’a fait qu’augmenter le niveau de preuve requis pour qu’elle considère comme établi que la condition relative à l’exercice effectif d’une influence déterminante était remplie, tout en respectant pleinement la notion fondamentale d’unité économique qui sous-tend toute la jurisprudence relative à l’imputabilité de la responsabilité des infractions aux personnes juridiques constituant une même entreprise.

156    Enfin, il importe de relever que, lorsque, dans une affaire mettant en cause une infraction impliquant plusieurs entreprises différentes, la Commission adopte, à l’intérieur du cadre fixé par la jurisprudence, une certaine méthode pour déterminer s’il y a lieu de retenir tant la responsabilité des filiales ayant matériellement commis cette infraction que celle de leurs sociétés mères, elle doit, sauf circonstances particulières, se fonder à cet effet sur les mêmes critères dans le cas de toutes ces entreprises.

157    La Commission est, en effet, tenue de respecter le principe d’égalité de traitement, qui, selon une jurisprudence constante, requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts de la Cour du 13 décembre 1984, Sermide, 106/83, Rec. p. 4209, point 28, et du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 309).

158    Force est de constater que la Commission partage d’ailleurs ce point de vue lorsque, au considérant 384 de la décision attaquée, elle indique que « si les circonstances précises qui peuvent [l’] amener […] à considérer une société mère comme responsable du comportement de sa filiale peuvent varier d’un cas à l’autre, il ne saurait s’agir pour autant d’une violation du principe de non-discrimination aussi longtemps que les principes de responsabilité sont appliqués d’une manière cohérente ».

159    Il ressort des constatations effectuées aux points 137 à 139 et 142 à 145 ci-dessus que, dans la décision attaquée, la Commission a appliqué les mêmes principes à toutes les sociétés mères concernées pour déterminer s’il y avait lieu de leur imputer la responsabilité de l’infraction commise par leurs filiales. En particulier, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il n’apparaît pas qu’elle a, à cet égard, traité différemment leur situation, d’une part, et celle d’Universal, d’Universal Leaf, de Sepi ou d’Intabex, d’autre part.

160    Partant, le second moyen, tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement, doit être rejeté comme non fondé.

 Sur l’existence d’une entité économique unique entre les requérantes et WWTE

161    Il reste à examiner si la Commission a correctement appliqué, à chacune des requérantes, les critères exposés aux points 134 à 136, 140, 141 et 146 ci-dessus pour conclure à l’existence d’une entité économique unique entre celles-ci et WWTE et, partant, les tenir pour solidairement responsables de l’infraction ainsi que du paiement de l’amende et les faire figurer parmi les destinataires de la décision attaquée. Le cas échéant, il conviendra, ensuite, de vérifier si les considérations invoquées par les requérantes, telles que reproduites aux points 74 à 79 ci-dessus, corroborent leur affirmation selon laquelle WWTE agissait de manière autonome sur le marché pendant la période infractionnelle.

162    Il y a lieu, à l’instar de la Commission dans la décision attaquée, de distinguer deux périodes, la première s’étendant du 13 mars 1996, date du point de départ de l’entente des transformateurs, jusqu’au 5 mai 1998, et la seconde s’étendant de cette dernière date jusqu’à celle de l’adoption de la décision attaquée.

 Sur la période s’étendant du 13 mars 1996 jusqu’au 5 mai 1998

163    Il est constant entre les parties et il ressort du dossier – et notamment des éléments mentionnés aux considérants 388 à 390 de la décision attaquée, tels que repris au point 34 ci-dessus – que, pendant la période s’étendant du 13 mars 1996 jusqu’au 4 mai 1998 inclus, WWTE était contrôlée conjointement par, d’une part, SCC – et ce, par l’intermédiaire de TCLT et de SCTC – et, d’autre part, le président de WWTE et deux membres de sa famille.

164    Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, un tel cas de figure n’exclut nullement que la condition relative à la possibilité d’exercer une influence déterminante sur le comportement de la filiale (voir point 128 ci-dessus) puisse être satisfaite. En particulier, il n’est pas nécessaire, à cet effet, d’être en présence d’une situation de contrôle exclusif de la société mère sur la filiale.

165    Lorsqu’une entreprise est soumise au contrôle conjoint de deux ou plusieurs autres entreprises ou personnes, ces dernières entreprises ou personnes ont par définition la possibilité d’exercer une influence déterminante sur la première entreprise. Cela ne suffit toutefois pas pour leur imputer la responsabilité de l’infraction aux règles de la concurrence commise par l’entreprise qu’elles contrôlent conjointement, puisqu’une telle imputation requiert en outre que la condition relative à l’exercice effectif de l’influence déterminante soit remplie (voir point 128 ci-dessus). Si tel est le cas, les différentes entreprises ou personnes qui exercent le contrôle conjoint pourraient être tenues pour responsables du comportement infractionnel de leur filiale, ainsi que l’illustre l’arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Avebe/Commission (T‑314/01, Rec. p. II‑3085), dans lequel ce dernier a confirmé le bien-fondé d’une décision de la Commission d’imputer à deux sociétés participant chacune à concurrence de 50 % dans une filiale et disposant d’un pouvoir de direction conjoint concernant la gestion commerciale de cette dernière la responsabilité du comportement infractionnel de ladite filiale. S’il devait apparaître que, en réalité, une seule des entreprises ou personnes détenant le contrôle conjoint exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de leur filiale ou si d’autres circonstances particulières devaient le justifier, la Commission pourrait ne tenir solidairement responsable de l’infraction commise par cette filiale que cette entreprise ou personne.

166    En tout état de cause, ainsi que le souligne à juste titre la Commission dans ses écritures, s’il devait être établi en l’espèce que, pendant la période allant du 13 mars 1996 au 4 mai 1998 inclus, les requérantes exerçaient effectivement une influence déterminante sur le comportement de WWTE, cela impliquerait nécessairement qu’elles étaient en mesure de le faire.

167    La question principale à résoudre est donc de savoir si les éléments retenus par la Commission dans la décision attaquée démontrent à suffisance de droit que, pendant la période considérée, les requérantes exerçaient effectivement une telle influence.

168    À cet égard, il convient d’emblée de rejeter l’argument sur lequel les requérantes fondent une grande partie de leur raisonnement et tiré de ce que la Commission n’aurait pas suffisamment démontré qu’elles avaient donné instruction à WWTE de commettre l’infraction ou qu’elles étaient directement impliquées dans celle-ci.

169    En effet, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 127 ci-dessus, ce n’est pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une seule entreprise au sens de l’article 81 CE qui permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère. Pour les motifs exposés au point 142 ci-dessus, cette constatation ne saurait être remise en cause par le passage du considérant 376 de la décision attaquée invoqué par les requérantes (voir points 59 et 82 ci-dessus).

170    Il y a lieu également de rejeter l’argument des requérantes selon lequel l’influence déterminante que doit exercer une société mère afin de se voir imputer la responsabilité de l’infraction commise par sa filiale doit concerner des activités qui relèvent de la politique commerciale stricto sensu de celle-ci et, de surcroît, sont directement liées à ladite infraction, en l’occurrence l’achat de tabac brut (voir points 60, 69, 73 et 77 ci-dessus).

171    En effet, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 126 ci-dessus, afin d’établir si une filiale détermine de façon autonome son comportement sur le marché, il convient de prendre en compte l’ensemble des éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent la filiale à la société mère, lesquels peuvent varier selon les cas et ne sauraient donc faire l’objet d’une énumération exhaustive.

172    Les éléments sur lesquels la Commission se fonde, dans la décision attaquée, pour conclure que, pendant la période considérée, les requérantes exerçaient effectivement une influence déterminante sur le comportement de WWTE sur le marché sont énoncés au considérant 391 de cette décision et relèvent de trois catégories distinctes.

–       Sur les fonctions de M. V. au sein du groupe Standard

173    En premier lieu, la Commission invoque certains éléments relatifs aux fonctions de M. V. au sein du groupe Standard.

174    Il convient de constater que, ainsi que les requérantes l’ont indiqué en réponse à une demande de renseignements qui leur avait été adressée par la Commission lors de la procédure administrative et qu’elles l’ont confirmé dans leurs écritures, M. V. était, au moins depuis le début de la période infractionnelle, l’un des quatre membres du conseil d’administration de WWTE. Dans la même réponse, les requérantes ont précisé que, à différents moments sur une période débutant le 30 septembre 1989, M. V. avait également été membre du conseil d’administration de quatre autres filiales du groupe Standard établies en Italie et en Grèce. Ces indications concordent parfaitement avec l’affirmation des requérantes, formulée dans leur réponse à la communication des griefs et répétée dans la réplique, selon laquelle M. V. avait un « rôle de représentation en Europe » qui se concrétisait par sa présence au sein du conseil d’administration de ces différentes filiales et selon laquelle il était chargé, en Europe, de la « coordination des ventes de tabac transformé par l’intermédiaire du réseau de vente international de SCC ».

175    Il convient de constater également que les requérantes ne contestent pas l’affirmation de la Commission, figurant au considérant 391 de la décision attaquée, selon laquelle M. V. avait une « responsabilité générale pour les activités du groupe [Standard] en Europe ». Elles se bornent à faire valoir, d’une part, que la situation de M. V. n’est pas comparable à celle des dirigeants visés par le Tribunal dans l’arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, point 64 supra, de sorte que la Commission ne saurait tirer argument de cet arrêt, et, d’autre part, que ladite affirmation est très générale et ne démontre pas que SCTC aurait donné instruction à WWTE d’adopter un comportement anticoncurrentiel. Il y a lieu d’ajouter que, dans la requête, les requérantes elles-mêmes font référence à M. V. comme étant le « dirigeant responsable des activités du groupe en Europe ».

176    Dans leurs écritures, les requérantes ne contestent pas davantage l’affirmation de la Commission, figurant également au considérant 391 de la décision attaquée, selon laquelle M. V. agissait en tant que représentant de SCC et était « responsable des liaisons entre WWTE et ses sociétés mères ». Elles se contentent de nouveau de faire valoir que cette affirmation est très générale et ne démontre pas qu’elles auraient donné instruction à WWTE d’adopter un comportement anticoncurrentiel.

177    Certes, M. V. n’était employé par aucune des requérantes – mais par SCTL, une filiale à 100 % de SCTC – et n’était pas mentionné dans la liste des « corporate directors » ou « corporate officers » de SCC qui avait été communiquée par cette dernière à la Commission lors de la procédure administrative. Il n’en reste pas moins que les fonctions et responsabilités qu’il exerçait au sein du groupe Standard étaient d’un très haut niveau, en particulier dans la mesure où elles concernaient l’un des deux principaux secteurs d’activité de ce groupe et l’ensemble du territoire européen.

178    L’importance du rôle de M. V. au sein du groupe Standard est encore soulignée par le fait que, dans les rapports annuels de SCC des années 1999 à 2001, celui-ci est identifié comme étant « vice-président et directeur régional – Europe » de la division tabac de cette société. L’allégation des requérantes selon laquelle ce titre n’existait pas en réalité et n’avait été attribué à M. V. que dans le but de rehausser son image n’est guère crédible.

179    Eu égard à ces différents éléments, M. V. pouvait raisonnablement être considéré comme faisant partie de la direction du groupe Standard. Partant, c’est à bon droit que la Commission a estimé qu’il existait un lien direct entre la société mère faîtière de ce groupe, en l’occurrence SCC, et M. V.

180    Cette circonstance, s’ajoutant au fait que M. V. était l’un des quatre membres du conseil d’administration de WWTE, constitue un indice fort de l’exercice effectif d’une influence déterminante de SCC sur le comportement de WWTE sur le marché.

–       Sur le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de WWTE des 25 et 26 mars 1996

181    En deuxième lieu, la Commission se fonde sur le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de WWTE des 25 et 26 mars 1996, lequel était rédigé tant en espagnol qu’en anglais.

182    À cet égard, il convient de relever qu’il ressort de certains passages de ce procès-verbal, figurant au point 2, intitulé « Procédure relative aux réunions du conseil d’administration », que, lors de la réunion en question, les deux membres du conseil d’administration de WWTE désignés par le groupe Standard ont insisté sur le fait que cette société ne pouvait agir indépendamment de SCTC. Ainsi, M. V. a relevé que, bien que WWTE ait sa « propre identité/entité », elle était « également une filiale de SCTC » et devait, par conséquent, « respecter la culture de SCTC ». M. C. a, quant à lui, souligné que, « même si tous les membres du conseil d’administration [de WWTE disposaient] de pouvoirs et de responsabilités, ils [n’étaient] pas libres dans toutes les décisions et [devaient] consulter dans de nombreux cas les instances supérieures de SCTC ».

183    Il ressort d’autres passages du procès-verbal que, pour toute une série de questions ou de dépenses, WWTE devait consulter SCTC ou obtenir son approbation préalable.

184    Ainsi, premièrement, au point 3, intitulé « Procédures de ventes », il est mentionné qu’« aucune quantité de tabac ne devrait être exportée sans être accompagnée d’un formulaire portant une double signature, dont le format sera établi après la visite [de M. F., l’une des personnes invitées à participer à la réunion en cause du conseil d’administration de WWTE] à Godalming [le siège des activités de SCTC au Royaume-Uni] cette semaine » et que « [c]e formulaire devra être dûment complété par [M. D., l’un des membres du conseil d’administration de WWTE] après vérification de toutes les données pertinentes auprès de [M. A.] à Godalming ».

185    Deuxièmement, il y est indiqué, s’agissant du financement à long terme, ce qui suit : « Nous sommes bloqués pour le moment puisque nous ne sommes pas en mesure d’hypothéquer les actifs à la suite des instructions de SCTC. » Il est également noté que M. F. se rendra à Godalming pour examiner cette question avec notamment M. M. Il y a lieu de préciser que ce dernier était, pendant la période infractionnelle, l’un des « corporate officers » et vice-présidents de SCC ainsi que son trésorier.

186    Troisièmement, dans un tableau figurant au point 10 du procès-verbal, sont énumérés une série de projets d’investissements nécessitant l’« approbation finale de SCTC ». En ce qui concerne le projet le plus important, en l’occurrence la construction d’un nouvel entrepôt, MM. V. et M. ont relevé qu’« il pourrait être très difficile de faire approuver cette dépense par SCTC au cours du prochain exercice ». Au même point 10, il est fait état de ce qu’un investissement relatif au transfert de « pivots » d’un endroit de l’exploitation vers un autre « devrait très probablement être approuvé très rapidement par SCTC compte tenu du besoin immédiat de ce projet ».

187    Les éléments repris aux points 182 à 186 ci-dessus constituent des indices forts de l’exercice effectif d’une influence déterminante par SCTC sur le comportement de WWTE sur le marché. L’allégation des requérantes selon laquelle SCTC n’était consultée – et ne devait donner son approbation – qu’à propos de questions étrangères à l’achat de tabac brut – à savoir, notamment, la vente de tabac transformé – est dénuée de pertinence pour les motifs exposés aux points 170 et 171 ci-dessus. Quant à leur allégation selon laquelle l’approbation préalable de SCTC n’était requise que dans le cas de dépenses extraordinaires, celle-ci manque en fait, le tableau figurant au point 10 du procès-verbal faisant état de projets d’investissements dont les coûts allaient de 1 220 jusqu’à 1 056 911 dollars des États-Unis (USD), en passant par des montants aussi peu élevés que 4 800, 5 600 ou 6 504 USD.

188    La conclusion exposée au point 187 ci-dessus est corroborée par d’autres indications contenues dans le procès-verbal en cause. Ainsi, d’une part, il ressort de son point 4 que le code de conduite auquel était soumis le personnel de SCTC était destiné à s’appliquer également au personnel de WWTE, étant entendu que, à la suite de certaines objections émises par le président de WWTE, il avait été décidé de le traduire de l’anglais vers l’espagnol. D’autre part, il ressort du point 7 dudit procès-verbal que le conseil d’administration de WWTE a examiné la situation économique et commerciale de SCTC.

189    Il convient de relever également que le procès-verbal en cause fait état de ce que le conseil d’administration de WWTE a préparé la stratégie d’achat de tabac brut pour la récolte de l’année 1996 en Espagne. Dans ce contexte, il est expressément fait mention de la réunion de l’entente des transformateurs du 13 mars 1996 à Madrid dans les termes suivants :

« Il y a quelques jours, une réunion s’est tenue à Madrid avec la participation de toutes les entreprises acheteuses pour tenter de parvenir à plusieurs accords portant sur la stratégie de passation des contrats pour la récolte [de 1996]. Dans une ambiance très tendue, les seuls accords verbaux conclus ont été :

1. prix minimal de 3 [pesetas espagnoles (ESP)]/kg pour le FCV [flue cured Virginia]

2. les intentions de prix moyen de chacune des sociétés ont été révélées

Malheureusement, aucun accord n’a pu être obtenu sur la répartition du tabac espagnol entre les quatre entreprises acheteuses. »

190    Il apparaît donc que les représentants du groupe Standard qui siégeaient au sein du conseil d’administration de WWTE étaient informés des pratiques de l’entente des transformateurs. Bien plus, ainsi qu’il sera exposé plus en détail aux points 192 et 193 ci-après, il ressort d’autres éléments du dossier de la Commission que M. V. était, en outre, personnellement informé, en dehors des réunions du conseil d’administration de WWTE, de certains aspects de cette entente. Il est constant entre les parties que lesdits représentants n’ont jamais manifesté leur opposition à ces pratiques et que SCC – en dépit du risque de poursuites ou d’actions en réparation de tiers auquel elle s’exposait en se comportant de la sorte – n’a pris à l’égard de WWTE aucune mesure destinée à empêcher la poursuite de sa participation à l’infraction. La Commission pouvait légitimement en déduire que SCC approuvait tacitement ladite participation et considérer qu’une telle manière d’agir constituait un indice supplémentaire de l’exercice d’une influence déterminante sur le comportement de sa filiale.

–       Sur les télécopies adressées par le président de WWTE à M. V.

191    En troisième lieu, la Commission invoque quatre télécopies adressées par le président de WWTE, M. S., à M. V.

192    Dans la première de ces télécopies, datée du 28 octobre 1996 et envoyée à SCTC à l’attention de M. V., M. S. informe ce dernier notamment du résultat des achats de tabac pendant la campagne 1996 et des prix moyens payés par chacun des transformateurs espagnols, lui fournissant ainsi des détails sur certains aspects de l’entente des transformateurs. Dans la deuxième télécopie, datée du 6 octobre 1997 et envoyée à « Standard Commercial – UK » – cette référence devant très vraisemblablement se comprendre comme visant SCTC, laquelle avait des activités au Royaume-Uni (voir point 184 ci-dessus) et était la société mère de la société qui employait M. V. (voir point 177 ci-dessus) – , M. S. donne des informations détaillées sur une réunion qui s’est tenue entre WWTE, Cetarsa et Agroexpansión à la fin du mois de septembre précédent et au cours de laquelle ces sociétés sont convenues de s’échanger des informations sur les prix et quantités d’achat de tabac brut. Par la troisième télécopie, datée du 8 octobre 1997 et envoyée à « Standard Commercial – UK », M. S. communique à M. V. une copie d’une lettre qu’il a adressée le même jour au président de Cetarsa et dans laquelle il se plaint du fait que cette dernière ne respecte pas les accords sur les prix conclus par les transformateurs. Enfin, dans la quatrième télécopie, datée du 10 octobre 1997 et envoyée à « Standard Commercial – UK », M. S. donne des indications sur les quantités de tabac brut achetées par les transformateurs et sur les prix payés.

193    Pour les motifs exposés au point 190 ci-dessus, le fait – au demeurant non contesté par les requérantes – que M. V. était tenu personnellement informé, par le président de WWTE, de différents aspects de l’entente des transformateurs pouvait légitimement être considéré comme un indice supplémentaire de l’exercice, par SCC, d’une influence déterminante sur le comportement de WWTE.

–       Conclusion en ce qui concerne la période s’étendant du 13 mars 1996 jusqu’au 5 mai 1998

194    Il ressort des considérations mentionnées aux points 173 à 193 ci-dessus que la Commission a établi à suffisance de droit que, pendant la période s’étendant du 13 mars 1996 jusqu’au 4 mai 1998 inclus, SCC et SCTC exerçaient effectivement une influence déterminante sur le comportement de WWTE.

195    En revanche, force est de constater que, ainsi que le soulignent à juste titre les requérantes, aucun des éléments invoqués par la Commission dans la décision attaquée ne permet de considérer que TCLT – qui, selon les requérantes, est une société sans activité propre et dont la participation dans WWTE est de nature purement financière – exerçait effectivement, pendant ladite période, une influence déterminante sur le comportement de WWTE sur le marché. Ces éléments concernent, en effet, exclusivement SCC et SCTC.

196    S’agissant de la circonstance que TCLT était la principale cliente de WWTE de 1996 à 1999, celle-ci ne saurait être prise en compte par le Tribunal dès lors que ce n’est que dans le mémoire en défense que la Commission l’a, pour la première fois, invoquée pour tenter d’attribuer à TCLT la responsabilité du comportement infractionnel de sa filiale. Par ailleurs, il ressort du procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de WWTE des 25 et 26 mars 1996 que ce n’est que pour des raisons purement comptables et fiscales que des achats de tabac transformé auprès de WWTE étaient attribués à TCLT : « [D]ans le passé, [WWTE facturait lesdits achats à TCLT] afin d’enregistrer un bénéfice dans la comptabilité de WWTE. » Aucune livraison de tabac transformé n’a été matériellement effectuée auprès de TCLT. En tout état de cause, ladite circonstance, si elle peut indiquer que TCLT était intéressée par la politique commerciale de WWTE, ne suffit pas, en soi, à établir qu’elle exerçait effectivement une influence déterminante sur le comportement de cette dernière.

197    Il s’ensuit que la Commission n’était pas fondée à imputer à TCLT le comportement infractionnel de WWTE pour la période s’étendant du 13 mars 1996 jusqu’au 4 mai 1998 inclus ni, partant, à la tenir pour solidairement responsable du paiement de l’amende s’agissant de la même période.

 Sur la période s’étendant du 5 mai 1998 jusqu’à la date d’adoption de la décision attaquée

198    Eu égard aux éléments mentionnés au considérant 393 de la décision attaquée (voir les trois premiers tirets du point 38 ci-dessus), il peut être considéré que les requérantes détenaient la quasi-totalité du capital de WWTE du 5 mai 1998 jusqu’en octobre 1998 et la totalité de ce capital à partir de cette dernière date jusqu’à la date d’adoption de la décision attaquée.

199    À cela s’ajoute le fait que, depuis le 5 mai 1998, les requérantes disposent de la majorité requise pour l’adoption des décisions au sein de l’assemblée générale de WWTE (considérant 394 de la décision attaquée) et que le conseil d’administration de WWTE comprend deux nouveaux membres, désignés par l’assemblée générale de WWTE en remplacement des membres qui représentaient les anciens actionnaires minoritaires.

200    Au vu des éléments exposés aux points 198 et 199 ci-dessus, il est clair que, depuis le 5 mai 1998, les requérantes sont en mesure d’exercer une influence déterminante sur le comportement de WWTE. Au demeurant, dans leurs écritures, les requérantes reconnaissent expressément cet état de fait.

201    Il convient, dès lors, d’examiner si, pour ce qui est de la période s’étendant du 5 mai 1998 jusqu’à la date d’adoption de la décision attaquée, la condition relative à l’exercice effectif d’une influence déterminante était remplie s’agissant de chacune des requérantes, ainsi que le prétend la Commission.

202    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, après avoir défendu une thèse différente dans ses écritures (voir point 105 ci-dessus), la Commission a admis, à la suite d’une question écrite qui lui avait été posée par le Tribunal, que, dans la décision attaquée, s’agissant des filiales contrôlées à 100 % par leurs sociétés mères, elle avait choisi de ne pas se contenter de se fonder sur la présomption visée aux points 129, 130 et 140 ci-dessus pour imputer à ces dernières la responsabilité de l’infraction commise par lesdites filiales, mais de tenir compte également d’éléments supplémentaires démontrant l’exercice effectif d’une influence déterminante (voir points 118 et 147 ci-dessus). Il ressort de différents considérants de la décision attaquée que telle est effectivement l’approche que la Commission a entendu suivre en l’espèce (voir points 141 à 145 ci-dessus).

203    Il convient donc de vérifier si les éléments retenus par la Commission dans la décision attaquée établissent à suffisance de droit que, pendant la période considérée, les requérantes exerçaient effectivement une influence déterminante sur le comportement de WWTE. Ces éléments sont énoncés aux considérants 396 et 398 de la décision attaquée ainsi qu’aux notes en bas de page nos 313 et 314 de cette décision.

–       Sur le rôle joué par M. V. dans la conclusion des contrats de culture

204    Le premier élément invoqué par la Commission est le fait, mentionné au considérant 396 de la décision attaquée, que, depuis 1998, M. V. « joue […] un rôle dans la conclusion des contrats de culture conclus par WWTE avec les groupements de producteurs ». La note en bas de page n° 313 de la décision attaquée renvoie, à cet égard, à un mémorandum du comité exécutif de SCTC à M. V. relatif aux « contrats de fourniture espagnols à long terme » datant du début de l’année 1998.

205    Force est de constater que ledit mémorandum a effectivement pour objet d’autoriser M. V. – désigné en sa qualité de « dirigeant régional Europe » – à « conclure des contrats de fourniture avec les cultivateurs pour la livraison de tabac à [WWTE ] ». Ce même document donne des indications très précises sur les conditions auxquelles M. V. peut passer ces contrats et, plus particulièrement, sur les volumes d’achat, les prix d’achat, les bonus de qualité et avances qui peuvent être octroyés aux producteurs ainsi que sur les « garanties pour avances » qui peuvent être réclamées auprès de ces derniers.

206    Le mémorandum susvisé, outre le fait qu’il contredit l’affirmation des requérantes selon laquelle M. V. s’occupait exclusivement des ventes de tabac transformé, démontre clairement que SCTC jouait un rôle actif dans la politique d’achat de tabac brut de WWTE et, partant, exerçait effectivement une influence déterminante sur le comportement de cette dernière sur le marché.

207    Ce mémorandum permet également d’établir que SCC exerçait effectivement une telle influence. À cet égard, d’une part, il convient de constater qu’il devait être signé par M. H., qui était président et président-directeur général de cette société, et M. C., qui était l’un des trois membres de son comité exécutif. D’autre part, M. V. – à qui avait ainsi été conféré le pouvoir de conclure certains contrats de fourniture de tabac brut – était toujours, à cette époque, simultanément membre du conseil d’administration de WWTE et directement lié à SCC, dont il était l’un des vice-présidents (voir points 174 à 179 ci-dessus).

208    Ces constatations ne sauraient être remises en cause par l’argument des requérantes selon lequel les infractions qui font l’objet de la décision attaquée ne concernaient que les contrats de culture d’une durée d’un an, alors que les contrats visés par le mémorandum du comité exécutif de SCTC de 1998 étaient d’une durée de trois ans ou plus. En effet, l’imputation du comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère ne nécessite pas la preuve que la société mère influence la politique de sa filiale dans le domaine spécifique ayant fait l’objet de l’infraction (voir points 170 et 171 ci-dessus).

209    N’est pas davantage pertinent, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 168 et 169 ci-dessus, l’argument des requérantes selon lequel les contrats de fourniture espagnols à long terme ne démontrent pas qu’elles avaient donné instruction à WWTE de commettre l’infraction.

–       Sur le manuel de WWTE

210    Le deuxième élément invoqué par la Commission est le fait, repris au considérant 398 de la décision attaquée, que le manuel de WWTE prévoit que « [l]e président, avec le directeur des achats, est directement responsable de la [procédure de passation des contrats] moyennant l’autorisation préalable de la société mère, qui approuve le budget pour la campagne chaque année au mois de mars ».

211    À cet égard, force est de constater que, selon les explications données par les requérantes elles-mêmes, en application de cette disposition, il appartient à SCTC d’autoriser, dans le cadre de la procédure d’approbation du budget annuel de WWTE et avant le lancement de la procédure de passation des contrats, les quantités maximales de tabac brut qui pouvaient être achetées par cette dernière en Espagne (voir point 73 ci-dessus). En d’autres termes, il incombe à SCTC d’approuver le budget pour l’achat de tabac brut avant que le président de WWTE ne puisse engager la procédure de passation des contrats. Cette circonstance confirme clairement que SCTC exerçait effectivement une influence déterminante sur le comportement de WWTE sur le marché.

212    Quant à l’argument des requérantes selon lequel le manuel de WWTE est dépourvu de valeur probante pour ce qui est de la période s’étendant du 5 mai 1998 jusqu’à l’année 2000, puisqu’il ne date que de cette dernière année, il suffit de relever que ledit manuel constitue un élément de preuve qui vient s’ajouter au mémorandum du comité exécutif de SCTC à M. V. mentionné au point 204 ci-dessus, lequel établit déjà une absence d’autonomie commerciale de WWTE à compter de 1998 (voir points 206 et 207 ci-dessus).

213    Enfin, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel le manuel de WWTE ne prouve pas suffisamment que SCTC a donné instruction à cette dernière d’adopter un comportement anticoncurrentiel, celui-ci doit être rejeté pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 168 et 169 ci-dessus.

–       Sur le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de WWTE du 20 janvier 2000

214    Le troisième élément retenu par la Commission dans la décision attaquée est le fait, mentionné dans la note en bas de page n° 314 de celle-ci, qu’il ressort du procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de WWTE du 20 janvier 2000 que le programme d’activités de cette société pour l’année fiscale 2001 a été approuvé « sous réserve des modifications suggérées par la société mère », à savoir, selon les propres indications des requérantes, SCTC.

215    Cet élément vient confirmer que SCTC exerçait effectivement une influence déterminante sur le comportement de WWTE.

216    Il convient de noter que le procès-verbal visé au point 214 ci-dessus contient d’autres indications qui démontrent que la politique commerciale de WWTE faisait l’objet d’un contrôle de la part de certaines de ses sociétés mères. Ainsi, il y est mentionné que « M. [V.] [avait] confirmé qu’il se chargerait d’envoyer le plan de culture à Wilson [à savoir, le lieu où se situait le siège de SCC et de SCTC] et il [avait] bon espoir qu’il serait approuvé en mars ».

–       Conclusion en ce qui concerne la période s’étendant du 5 mai 1998 jusqu’à la date d’adoption de la décision attaquée

217    Il ressort des éléments mentionnés aux points 204 à 216 ci-dessus, conjugués à la détention par SCC et SCTC de la quasi-totalité, puis de la totalité, du capital de WWTE au cours de la période considérée, que la Commission a établi à suffisance de droit que, pendant cette période, les deux premières sociétés exerçaient effectivement une influence déterminante sur le comportement de la troisième.

218    En revanche, force est de constater que, ainsi que le soulignent à juste titre les requérantes, aucun des éléments invoqués par la Commission dans la décision attaquée ne permet de considérer que TCLT exerçait effectivement, pendant la période s’étendant du 5 mai 1998 jusqu’à la date d’adoption de la décision attaquée, une telle influence. À cet égard, la Commission ne saurait se fonder sur le seul fait que TCLT détenait la totalité du capital de WWTE, puisque TCLT serait alors traitée de manière discriminatoire par rapport à Intabex (voir point 143 ci-dessus) ainsi que par rapport à Universal et Universal Leaf (voir point 142 ci-dessus).

219    Il s’ensuit que la Commission n’était pas fondée à imputer à TCLT le comportement infractionnel de WWTE pour la période visée au point 218 ci-dessus ni, partant, à la tenir pour solidairement responsable du paiement de l’amende s’agissant de la même période.

 Sur les arguments invoqués par les requérantes afin de démontrer que WWTE agissait de manière autonome sur le marché pendant la période infractionnelle

220    Les requérantes prétendent que les éléments exposés aux points 75 à 79 ci-dessus démontrent que, pendant la période infractionnelle, WWTE était « largement » autonome par rapport à SCTC et jouissait d’une autonomie « presque totale » par rapport à SCC et TCLT.

221    Dès lors qu’il a été jugé que TCLT ne pouvait être tenue pour responsable du comportement infractionnel de WWTE (voir points 195 à 197, 218 et 219 ci-dessus), il n’est plus besoin d’examiner la présente question pour autant qu’elle concerne TCLT.

222    En premier lieu, il convient de constater que le fait qu’une filiale dispose de sa propre direction locale et de ses propres moyens ne prouve pas, en soi, qu’elle définit son comportement sur le marché de manière autonome par rapport à ses sociétés mères. Ainsi, en l’espèce, si, certes, WWTE se trouvait dans une telle situation, il n’en reste pas moins qu’elle devait recueillir l’avis ou l’approbation préalable de SCTC pour toute une série de questions et de dépenses (voir points 183 à 187 ci-dessus), que son président ne pouvait entamer la procédure de passation des contrats d’achat de tabac brut avant que SCTC n’ait approuvé le budget correspondant (voir points 210 et 211 ci-dessus) et que SCC et SCTC jouaient un rôle actif dans sa stratégie d’achat de tabac brut (voir points 204 à 207 ci-dessus).

223    En deuxième lieu, s’agissant de l’allégation selon laquelle les achats de tabac brut étaient de la responsabilité exclusive de WWTE, il convient de relever que, ainsi que les requérantes le reconnaissent elles-mêmes et qu’il a déjà été exposé aux points 210 et 211 ci-dessus, il appartenait à SCTC d’approuver le budget pour l’achat de tabac brut avant que ne soit entamée la procédure de passation des contrats. Il est donc clair que WWTE n’était pas autonome en matière d’achat de tabac brut. En tout état de cause, l’autonomie de la filiale ne saurait s’apprécier uniquement au regard du marché de produit sur lequel l’infraction a été commise.

224    En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux indiqués aux points 222 et 223 ci-dessus, les requérantes ne sauraient utilement invoquer le fait que le groupe Standard a une structure décentralisée. Quant à leur allégation selon laquelle les activités de WWTE ne représentent qu’une part tout à fait insignifiante des activités du groupe Standard, celle-ci ne prouve pas en soi que SCC et SCTC aient laissé à WWTE une autonomie pour définir son comportement sur le marché.

225    Il découle de ce qui précède que les éléments mis en avant par les requérantes ne permettent pas d’établir que WWTE agissait de manière autonome sur le marché pendant la période infractionnelle.

 Conclusion

226    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que la Commission a imputé à SCC et à SCTC la responsabilité de l’infraction commise par WWTE et, partant, les a tenues pour solidairement responsables du paiement de l’amende et les a fait figurer parmi les destinataires de la décision attaquée.

227    En revanche, la Commission n’était pas fondée à parvenir à la même conclusion en ce qui concerne TCLT, et ce s’agissant de la totalité de la période infractionnelle.

228    Partant, il y a lieu d’annuler la décision attaquée dans la mesure où elle concerne TCLT.

229    Cette annulation partielle est sans conséquence sur le montant de l’amende pour le paiement de laquelle SCC et SCTC restent solidairement responsables. En particulier, contrairement à ce que font valoir les requérantes dans la réplique, une telle annulation est sans effet sur le coefficient multiplicateur de 1,5 appliqué par la Commission au montant de départ de l’amende déterminé pour WWTE afin d’assurer à l’amende un effet suffisamment dissuasif (considérant 423 de la décision attaquée), puisque ce coefficient a été fixé en tenant compte du chiffre d’affaires global de SCC, laquelle se trouve à la tête de l’unité économique dont fait partie WWTE. Contrairement à ce que soutiennent également les requérantes dans la réplique, ladite annulation partielle est également sans effet sur la majoration de 50 % qui a été appliquée, au titre de la durée de l’infraction, au montant de départ de l’amende infligée à WWTE (considérants 432 et 433 de la décision attaquée). Le fait que TCLT ne puisse être tenue pour responsable de l’infraction est, en effet, sans incidence aucune sur la durée de celle-ci.

 Sur les dépens

230    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En application du paragraphe 3, premier alinéa, de la même disposition, le Tribunal peut répartir les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

231    En l’espèce, le recours ayant été partiellement accueilli, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que les requérantes supporteront deux tiers de leurs propres dépens et deux tiers des dépens exposés par la Commission, cette dernière supportant un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens exposés par les requérantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C (2004) 4030 final de la Commission, du 20 octobre 2004, relative à une procédure d’application de l’article 81, paragraphe 1, [CE] (affaire COMP/C.38.238/B.2 − Tabac brut – Espagne), est annulée dans la mesure où elle concerne Trans-Continental Leaf Tobacco Corp. Ltd.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Alliance One International, Inc., Standard Commercial Tobacco Co., Inc. et Trans-Continental Leaf Tobacco supporteront deux tiers de leurs propres dépens et deux tiers des dépens exposés par la Commission européenne, cette dernière supportant un tiers de ses propres dépens et un tiers des dépens exposés par les requérantes.

Czúcz

Labucka

O’Higgins

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 octobre 2010.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

1.  Requérantes et procédure administrative

2.  Décision attaquée

3.  Destinataires de la décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

Observations liminaires sur l’imputabilité du comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère

Sur les critères utilisés par la Commission, dans la décision attaquée, pour imputer à une société mère la responsabilité de l’infraction commise par sa filiale

Sur la seconde branche du premier moyen

Sur la légalité de la méthode appliquée en l’espèce par la Commission et sur le second moyen

Sur l’existence d’une entité économique unique entre les requérantes et WWTE

Sur la période s’étendant du 13 mars 1996 jusqu’au 5 mai 1998

–  Sur les fonctions de M. V. au sein du groupe Standard

–  Sur le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de WWTE des 25 et 26 mars 1996

–  Sur les télécopies adressées par le président de WWTE à M. V.

–  Conclusion en ce qui concerne la période s’étendant du 13 mars 1996 jusqu’au 5 mai 1998

Sur la période s’étendant du 5 mai 1998 jusqu’à la date d’adoption de la décision attaquée

–  Sur le rôle joué par M. V. dans la conclusion des contrats de culture

–  Sur le manuel de WWTE

–  Sur le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de WWTE du 20 janvier 2000

–  Conclusion en ce qui concerne la période s’étendant du 5 mai 1998 jusqu’à la date d’adoption de la décision attaquée

Sur les arguments invoqués par les requérantes afin de démontrer que WWTE agissait de manière autonome sur le marché pendant la période infractionnelle

Conclusion

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.