Language of document : ECLI:EU:C:2002:198

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. F. G. JACOBS

présentées le 21 mars 2002 (1)

Affaire C-136/00

Rolf Dieter Danner

[demande de décision préjudicielle formée par le Kuopion hallinto-oikeus(Finlande)]

1.
    La présente affaire, déférée par le Kuopion hallinto-oikeus (tribunal administratif de Kuopio, Finlande), porte en substance sur la compatibilité avec la libre prestation de services de dispositions finlandaises de droit fiscal qui excluent ou restreignent la faculté de déduire aux fins de l'impôt sur le revenu les cotisations d'assurance retraite volontaire versées à des institutions de retraite étrangères. Cette affaire est analogue à maints points de vue aux affaires Bachmann (2) et Commission/Belgique (3) et fournit à la Cour une excellente occasion de voir comment les principes qu'elle y a dégagés ont évolué ces dix dernières années.

La réglementation finlandaise sur la déductibilité des cotisations d'assurance retraite

2.
    En vertu de l'article 96, paragraphe 1, de la tuloverolaki (loi relative à l'impôt sur le revenu, ci-après la «TVL»), les cotisations d'assurances retraites versées à certains régimes obligatoires ou légaux sont déductibles en totalité du revenu imposable. Il apparaît que cette règle vaut aussi pour des régimes étrangers similaires.

3.
    Les cotisations versées à des régimes d'assurance retraite volontaire sont soumises à des règles différentes selon que l'assurance a été contractée auprès d'une institution finlandaise ou d'une institution étrangère et, dans ce dernier cas, en fonction de l'année de référence.

4.
    En vertu de l'article 96, paragraphes 2 à 6, de la TVL, les cotisations versées à des régimes d'assurance retraite volontaire gérés par des institutions finlandaises sont déductibles en tout ou en partie, à certaines conditions et dans certaines limites. Par exemple, la déduction totale des cotisations est accordée dans une limite de 50 000 FIM si la retraite est servie à titre de pension de vieillesse au plus tôt quand l'assuré atteint l'âge de 58 ans et qu'il peut démontrer que la pension à laquelle il a droit théoriquement n'excède pas un certain pourcentage de son revenu (4). Il est constant que, jusqu'en 1996, les dispositions de l'article 96, paragraphes 2 à 6, s'appliquaient indistinctement aux cotisations versées à des institutions de retraite finlandaises ou étrangères.

5.
    L'article 96, paragraphe 9, de la TVL - qui a été introduit moins de douze mois après l'adhésion de la république de Finlande à l'Union européenne (5) et qui est entré en vigueur le 1er janvier 1996 - exclut désormais la déduction des cotisations versées à des régimes d'assurance retraite volontaire contractés auprès d'institutions étrangères. De telles cotisations restent toutefois déductibles, à titre exceptionnel, dans deux cas, à savoir

-    lorsque la pension est accordée par l'établissement permanent en Finlande d'une institution étrangère; et

-    lorsque l'intéressé a transféré sa résidence de l'étranger en Finlande et n'a pas été assujetti à l'impôt général en Finlande au cours des cinq années précédant son installation. Dans ce cas toutefois, les cotisations ne sont déductibles que l'année du changement de résidence et les trois années suivantes.

6.
    L'article 96, paragraphe 9, est aussi soumis à une disposition transitoire. Pour les exercices fiscaux 1996 et 1997, les cotisations versées à des régimes d'assurance retraite volontaire contractés auprès d'institutions étrangères avant le 1er septembre 1995 restent sous le régime en vigueur en 1995 mais seulement jusqu'à un plafond annuel de 15 000 FIM.

7.
    Le groupe de travail à l'origine du nouvel article 96, paragraphe 9, a considéré qu'il était nécessaire d'interdire la déduction des cotisations d'épargne-assurance retraite étrangères au motif que la pension qui serait servie le moment venu échapperait souvent en pratique à l'impôt finlandais, soit en raison du départ de son bénéficiaire à l'étranger, soit à cause d'une circulation déficiente de l'information sur les pensions servies (6).

8.
    Lors du processus législatif qui a abouti à l'adoption de l'article 96, paragraphe 9, le gouvernement finlandais a estimé que le régime fiscal de l'assurance retraite volontaire constituait un ensemble cohérent dans lequel la faculté de déduire les cotisations reposait sur la prémisse d'une imposition ultérieure des prestations versées. La nouvelle règle était donc justifiée par l'impossibilité de garantir l'imposition en Finlande des pensions servies par des institutions étrangères ou de vérifier si les conditions de déductibilité fixées à l'article 96, paragraphes 2 à 8, de la TVL étaient réunies (7).

Le contexte factuel et l'ordonnance de renvoi

9.
    M. Danner est médecin et possède les nationalités allemande et finlandaise. Il semble (8) qu'il ait vécu et travaillé en Allemagne jusqu'en 1977, époque à laquelle il s'est établi en Finlande.

10.
    En 1976, il a commencé à verser des cotisations d'assurance retraite à des institutions allemandes, la Bundesversicherungsanstalt für Angestellte (BfA) et la Berliner Ärtzeversorgung. Selon les informations données par M. Danner, la BfA gère un régime général d'assurance retraite qui est en principe obligatoire pour toute personne travaillant en Allemagne comme salariée. Les cotisations dues à la BfA et les prestations servies par elle sont déterminées par la loi. La Berliner Ärtzeversorgung gère un régime de retraite complémentaire pour les médecins qui a été créé par une organisation professionnelle de médecins et qui est obligatoire en principe pour les médecins qui travaillent dans sa zone d'application géographique (Berlin). Les cotisations à la Berliner Ärtzeversorgung et les prestations servies par elle sont régies par les règles internes de cette institution.

11.
    Après son installation en Finlande, M. Danner a continué de verser des cotisations aux deux régimes allemands. D'après lui, si ce n'était pas une obligation légale, il devait néanmoins continuer de verser des cotisations à la BfA s'il souhaitait bénéficier d'une pension en cas d'invalidité. De plus, les cotisations versées aux deux régimes augmentaient ses droits à pension.

12.
    Pendant l'exercice fiscal en cause, 1996, M. Danner a versé au total 11 176 DEM de cotisations aux deux régimes allemands. La même année, il a contracté une police d'assurance retraite auprès de la Keskinäinen Henkivakuutusyhtiö Suomi et versé 17 635 FIM de cotisations d'assurance retraite à cette institution finlandaise. Dans sa déclaration d'impôts 1996, il a réclamé que soient déduites de son revenu des cotisations d'assurance retraite d'un montant total de 51 163 FIM.

13.
    Les autorités fiscales ne lui ont permis de déduire les cotisations d'assurance retraite volontaire que dans la limite de 10 % de son revenu imposable, soit 22 562 FIM. La demande de révision de cette évaluation présentée par M. Danner a été rejetée par décision du 17 février 1998.

14.
    M. Danner a contesté cette décision devant le Kuopion hallinto-oikeus. Il soutient que les cotisations versées en 1996 auraient dû être déduites en totalité. Il fait valoir, premièrement, que les cotisations aux deux régimes allemands doivent être considérées comme des cotisations à un régime obligatoire et, partant, être déductibles en totalité en vertu de l'article 96, paragraphe 1, de la TVL. À titre subsidiaire, il fait valoir que l'article 96, paragraphe 9, nouveau, qui exclut la faculté de déduire les cotisations versées à des régimes d'assurance retraite volontaire contractés auprès d'institutions étrangères et la disposition transitoire avec son plafond de 15 000 FIM sont contraires au droit communautaire. La faculté de déduire les cotisations aux deux régimes allemands doit donc être appréciée selon les règles applicables aux cotisations versées à des régimes d'assurance retraite volontaire contractés auprès d'institutions finlandaises.

15.
    Par ordonnance du 22 mars 2000, le Kuopion hallinto-oikeus a invité la Cour à se prononcer à titre préjudiciel sur la question suivante:

«La restriction [...] du droit de déduire du revenu imposable les cotisations d'assurance retraite dues à l'étranger, prévue à l'article 96, paragraphe 9, première phrase, de la loi finlandaise relative à l'impôt sur le revenu, est-elle contraire à l'article 59 du traité CE (devenu article 49 CE) ou aux autres dispositions citées dans le recours (articles 6, 60, 73 B, 73 D et 92 du traité CE, devenus articles 12, 50, 56, 58 et 87 CE)?»

16.
    M. Danner, la république de Finlande, le royaume de Danemark, la Commission et l'Autorité de surveillance de l'AELE ont présenté des observations écrites. M. Danner et la république de Finlande ont répondu par écrit à des questions posées par la Cour. Toutes les parties qui avaient présenté des observations écrites ont été représentées à l'audience.

La portée et la pertinence de la question déférée

17.
    Dans sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si la règle de l'article 96, paragraphe 9, et la disposition transitoire connexe, qui excluent ou restreignent la faculté de déduire les cotisations à des régimes d'assurance retraite volontaire gérés par des institutions étrangères sont contraires:

-    à l'article 49 CE, qui garantit la libre prestation de services,

-    à l'article 56 CE, qui garantit la libre circulation des capitaux,

-    à l'article 12 CE, qui interdit la discrimination à raison de la nationalité, et

-    à l'article 87 CE, relatif aux aides d'État.

18.
    À la lumière des faits de l'affaire au principal et de la jurisprudence de la Cour, la Commission suggère à la Cour d'examiner en outre la compatibilité de ces règles nationales avec l'article 39 CE ou l'article 43 CE, qui garantissent respectivement la libre circulation des travailleurs et la liberté d'établissement (9).

19.
    À notre avis, on est en droit de présumer que la juridiction de renvoi - qui connaît parfaitement les arrêts Bachmann, Safir (10) et d'autres affaires pertinentes - a choisi délibérément de ne pas poser de question portant sur ces articles. De plus, aucune des autres parties n'a présenté d'observations relatives à leur interprétation. Nous proposons donc de ne traiter que des dispositions mentionnées expressément dans l'ordonnance de renvoi.

20.
    La Commission se demande également si les autorités fiscales finlandaises ont vraiment appliqué au cas de M. Danner la disposition en litige de l'article 96, paragraphe 9, de la TVL, ou la disposition transitoire y afférente.

21.
    À notre avis, même si les autorités fiscales finlandaises n'ont pas appliqué la disposition en litige, il pourrait être utile dans l'affaire au principal que la Cour réponde à la question (par exemple, si la juridiction de renvoi a le pouvoir non seulement de contrôler la légalité de la décision des autorités fiscales, mais aussi de décider de la règle qu'elles doivent appliquer). En tout état de cause, la question n'est pas manifestement dépourvue de pertinence, et la Cour doit donc y répondre.

L'article 49 CE

L'applicabilité des dispositions du traité sur la libre prestation de services

22.
    Rappelons que M. Danner est affilié à deux régimes d'assurance allemands dont la nature n'est pas absolument claire. Ils sont apparemment régis par le droit public ou par des règles similaires. Ils semblent obligatoires pour les médecins qui exercent en Allemagne alors que ceux qui sont installés à l'étranger peuvent continuer d'y adhérer sur une base volontaire. Quant à la nature des cotisations que perçoivent ces régimes, et des prestations qu'ils servent, nous ne disposons d'aucun renseignement précis.

23.
    Ces considérations soulèvent la question préalable - qu'il appartient à la juridiction de renvoi de résoudre - de savoir si les cotisations à ces régimes sont à analyser comme des cotisations à des régimes obligatoires ou légaux, au sens de l'article 96, paragraphe 1, de la TVL, ou comme des cotisations à des régimes volontaires, qui relèvent de l'article 96, paragraphes 2 à 9.

24.
    Un autre problème est de savoir si les prestations servies par les deux institutions relèvent du champ d'application des dispositions concernant la libre prestation de services. Il est clair que des prestations servies par des institutions de retraite privées relèvent du champ d'application des articles 49 CE et suivants (11). La Cour n'a cependant pas encore décidé si ces dispositions s'appliquent, par exemple, aux pensions servies par des régimes obligatoires relevant de la législation nationale de sécurité sociale et fonctionnant selon le principe de répartition. À cet égard, on se souviendra que, d'après la jurisprudence de la Cour, des cours dispensés dans un établissement d'enseignement supérieur financé essentiellement sur fonds publics ne sont pas des services au sens de l'article 50 CE (12).

25.
    En l'occurrence, il appert que M. Danner verse ses cotisations sur une base volontaire, puisqu'il ne travaille pas en Allemagne. Il n'est donc pas nécessaire de rechercher si des prestations qui sont obligatoirement dues sont susceptibles de relever de la libre prestation des services.

26.
    De plus, pour ce qui est de la nature de la réglementation des deux régimes en question, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l'application des articles 49 CE et 50 CE n'est pas exclue du seul fait que cette réglementation puisse relever de la sécurité sociale (13).

27.
    Enfin, en vertu de l'article 50 CE, les dispositions concernant la libre prestation des services s'appliquent à des prestations qui sont «fournies normalement contre rémunération». D'après la Cour, le trait essentiel de la «rémunération» est le fait qu'elle constitue une contrepartie du service en question (14). Même en l'absence de détails précis, il semble que M. Danner verse volontairement des cotisations d'assurance dont le montant est en rapport avec celui des pensions qui lui seront servies plus tard.

28.
    Nous concluons donc que les prestations d'assurance retraite servies par les deux institutions allemandes à M. Danner sont des services au sens de l'article 50 CE.

Restriction à la libre prestation de services

29.
    D'après les deux premières phrases de l'article 96, paragraphe 9, de la TVL, les «cotisations à une assurance retraite volontaire contractée auprès d'une institution d'assurance étrangère ne sont pas déductibles. Une police d'assurance est toutefois considérée comme contractée en Finlande si elle est délivrée par l'établissement permanent en Finlande d'une institution étrangère». D'après la règle transitoire appliquée pour les exercices fiscaux 1996 et 1997, les cotisations versées à des institutions d'assurance étrangères sont déductibles dans la limite de 15 000 FIM. Ce plafond ne s'applique pas aux cotisations d'assurance versées à des institutions finlandaises.

30.
    Il nous semble évident que ces règles constituent une violation de la libre prestation de services, et aucune des parties qui ont présenté des observations ne le conteste. Elles ont pour effet de rendre la prestation de services d'assurance retraite entre États membres plus difficile que la prestation de tels services purement interne à un État membre (15) en ce qu'elles sont susceptibles de dissuader les intéressés de souscrire des assurances retraites volontaires auprès de compagnies étrangères et aussi dissuader celles-ci d'offrir leurs services sur le marché finlandais (16). Il est évident que la possibilité d'obtenir des allégements fiscaux est un élément important dans le choix d'une institution d'assurance retraite. De fait, l'avantage que représente la faculté de déduire les cotisations est, selon toute probabilité, si grand que personne ne souhaitera souscrire une assurance auprès d'une institution étrangère.

31.
    Qui plus est, le refus d'autoriser la déduction des cotisations d'assurance retraite versées à des institutions étrangères constitue aussi une discrimination à raison de la nationalité à l'encontre des prestataires d'assurances. À cet égard, la Cour a dit pour droit que l'article 49 CE implique l'élimination de toute discrimination exercée à l'encontre du prestataire en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu'il est établi dans un État membre autre que celui où la prestation doit être exécutée (17). En l'occurrence, il s'agit d'une discrimination ouverte et claire à l'encontre du prestataire en raison de sa nationalité puisque l'article 96, paragraphe 9, de la TVL fait une distinction explicite entre institutions d'assurance finlandaises et étrangères. Seules ces dernières supportent les coûts afférents à la création d'un autre établissement. De plus, si l'on se fonde sur une interprétation littérale de la réglementation en question, il est loisible de soutenir que des cotisations d'assurance retraite versées à un établissement permanent à l'étranger d'une institution d'assurance finlandaise donnent droit au bénéfice du régime de déduction avantageux fixé par l'article 96, paragraphes 2 à 6, de la TVL.

Quelles sont les justifications susceptibles d'être invoquées ?

32.
    Il est notoire qu'une mesure qui restreint la liberté de prestation de services peut être justifiée par des motifs relevant de deux catégories, à savoir

-    une exception prévue expressément dans le traité (par exemple, les articles 45 CE et 46 CE applicables en vertu de l'article 55 CE) ou

-    d'autres motifs qui ne sont pas prévus dans le traité mais que la Cour a reconnus et accepté de qualifier de raisons impérieuses d'intérêt général.

33.
    En l'occurrence, les parties qui ont présenté des observations envisagent en substance quatre motifs justificatifs, à savoir la nécessité de garantir la cohérence du système fiscal finlandais, l'efficacité des contrôles fiscaux, la nécessité de prévenir l'évasion fiscale et celle de préserver l'intégrité de l'assiette d'imposition. Ces moyens ont en commun de ne pas figurer dans le traité. On ne pourrait donc y voir éventuellement des justifications que s'il s'agissait de raisons impérieuses d'intérêt général.

34.
    Est-il même possible d'invoquer ces quatre motifs justificatifs dans la mesure où la législation finlandaise en cause est ouvertement discriminatoire? Il est regrettable que la jurisprudence de la Cour n'apporte pas de réponse claire à cette question importante.

35.
    D'après un certain pan de jurisprudence, des réglementations nationales discriminatoires quant à l'origine du service en cause ne sont compatibles avec le droit communautaire que s'il est possible de les ramener à une disposition dérogatoire expresse telle que celles des articles 45 CE et 46 CE (18). La Cour n'a jamais formellement renoncé à ce principe. Au contraire, elle continue à s'y référer dans des arrêts marquants (19) et elle l'applique de temps en temps: ainsi, dans l'arrêt Royal Bank of Scotland, qui avait trait à une discrimination directe et ouverte en raison de la nationalité dans le domaine de la liberté d'établissement, la Cour a-t-elle refusé d'examiner des motifs justificatifs non visés expressément dans le traité (20). La Cour a suivi la même voie dans l'arrêt Ciola (21), où était en cause la libre prestation de services. L'arrêt Ciola est particulièrement intrigant dans la mesure où il ne s'agissait que d'une discrimination indirecte en raison de la nationalité.

36.
    Toutefois, dans la plupart des affaires récentes qui concernaient des règles susceptibles d'être considérées comme (directement) discriminatoires, la Cour a évité de se prononcer sur le caractère discriminatoire des règles en cause mais a examiné des motifs justificatifs qui ne figuraient pas expressément dans le traité. À cette fin, soit la Cour a qualifié la réglementation en litige de simple entrave à la libre prestation de services (22), soit elle a visé une «différence de traitement» susceptible d'être justifiée par des motifs qui ne figuraient pas dans le traité (23). Les arrêts Bachmann et Commission/Belgique s'inscrivent dans ce pan de jurisprudence. Dans les deux cas, le caractère discriminatoire des mesures en question en ce qui concerne la libre prestation de services n'a été ni examiné ni même mentionné, et la Cour les a considérées comme justifiées pour préserver la cohérence du système fiscal belge, justification qui ne figurait pas expressément dans le traité et que la jurisprudence n'avait pas encore admise.

37.
    Compte tenu de l'importance fondamentale de la question de savoir si des mesures (ouvertement) discriminatoires telles que celles dont il s'agit ici peuvent être justifiées par des motifs qui ne figurent pas expressément dans le traité, la Cour devrait préciser sa position afin de garantir la sécurité juridique nécessaire. Les juridictions nationales, les plaignants, les gouvernements des États membres, les institutions et les citoyens de manière générale ont besoin de tels éclaircissements et de sécurité juridique.

38.
    Nous souhaitons ajouter que la mission primordiale de la Cour en matière préjudicielle n'est pas de trancher des affaires particulières sur la base de faits subtilement nuancés, ni de résoudre le problème que pose un cas d'espèce à la juridiction nationale, mais de dire clairement et avec cohérence, au profit de tous les ressortissants de la Communauté, ce qu'est le droit, et de rendre des arrêts de portée générale. Ce n'est que cette fonction, plus étendue, qui confère sa justification au système du recours préjudiciel et explique la procédure unique en son genre par laquelle les États membres et la Commission sont systématiquement invités à présenter des observations et, de fait, pourquoi l'arrêt de la Cour et les conclusions de l'avocat général sont publiés dans rien de moins que onze langues.

39.
    La présente affaire montre bien pourquoi on ne peut se satisfaire de l'incertitude qui règne actuellement sur cette question cruciale de droit communautaire. Les autorités finlandaises avaient connaissance de la jurisprudence Bachmann et Commission/Belgique lorsqu'elles ont suivi le processus législatif qui a débouché sur l'adoption de la législation en litige. Elles ne savaient pas, toutefois - ainsi que le montrent les travaux préparatoires soumis à la Cour -, si cette jurisprudence permettait de justifier des règles ouvertement discriminatoires dans le but de préserver la cohérence du système fiscal. Il appert que ce type d'incertitude est susceptible de causer des dommages économiques substantiels aux gouvernements, aux entreprises et aux citoyens.

40.
    Quant aux motifs justificatifs susceptibles d'être invoqués, nous ne pensons pas qu'il soit judicieux de défendre des arguments différents selon que la mesure est discriminatoire (directement ou indirectement) ou qu'elle implique une restriction non discriminatoire de la prestation de services. Une fois admis qu'il est possible d'invoquer des justifications autres que celles énoncées dans le traité, il ne semble pas fondé d'appliquer une catégorie de motifs justificatifs aux mesures discriminatoires et une autre catégorie aux restrictions non discriminatoires. Il est certain que le texte du traité ne donne pas de raison de le faire: l'article 49 CE ne parle pas de discrimination mais, de façon générale, de «restrictions à la libre prestation des services». En tout état de cause, il est difficile d'établir une distinction rigoureuse entre les mesures (directement ou indirectement) discriminatoires et celles qui ne le sont pas. De plus, il existe des objectifs d'intérêt général que le traité ne cite pas expressément (par exemple, la protection de l'environnement, ou celle du consommateur) qui, dans certaines circonstances, peuvent être tout autant légitimes et impérieux que ceux qu'il cite. Il convient donc de fonder l'analyse sur la question de savoir si le motif invoqué est un motif légitime d'intérêt général et, dans ce cas, s'il est possible de justifier la restriction au regard du principe de proportionnalité. En tout état de cause, plus une mesure est discriminatoire, moins il est vraisemblable qu'elle soit conforme à ce principe. Une telle solution serait dans la ligne de la méthode que la Cour a suivie implicitement dans la plupart des affaires récentes en matière de libre prestation de services. Nous ajouterons que cette solution pourrait valoir aussi pour la libre circulation des marchandises. Elle répondrait à la nécessité, lorsqu'on apprécie des restrictions apportées à cette libre circulation, de donner une importance égale à des intérêts qui ne sont pas moins vitaux que ceux énoncés à l'article 30 CE, notamment la protection de l'environnement (24).

41.
    Comme nous estimons qu'il n'y a pas lieu de tracer une distinction rigide entre les mesures discriminatoires et celles qui ne le sont pas, nous allons traiter des quatre motifs invoqués.

La nécessité de préserver la cohérence du système fiscal finlandais

42.
    On se souvient que, dans les affaires Bachmann et Commission/Belgique, la Cour a admis que la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal belge pouvait justifier une restriction à la faculté de déduire les cotisations versées à des institutions étrangères. L'arrêt de la Cour reposait sur l'hypothèse qu'il existait, en droit belge, un lien direct entre la faculté de déduire des cotisations et l'imposabilité de sommes versées par les assureurs aux termes de contrats d'assurance retraite et d'assurance vie: dans le système belge, la perte de recettes due à la déduction des cotisations d'assurance était compensée par l'imposition des pensions, annuités et rentes en capital servies par les assureurs. En revanche, ces sommes étaient exonérées lorsque les cotisations n'avaient pas été déduites.

43.
    La république de Finlande et le royaume de Danemark font valoir que la réglementation en litige peut être justifiée par des considérations similaires. À leur avis, le système fiscal finlandais repose sur le même lien entre la faculté de déduire les cotisations d'assurance retraite volontaire et l'imposabilité des sommes versées par les assureurs. La perte de recettes due à la déduction des cotisations d'assurance est compensée en principe par l'imposition ultérieure des pensions. Se référant à la communication récente de la Commission relative à l'«[é]limination des entraves fiscales à la fourniture transfrontalière des retraites professionnelles» (25), les deux États membres affirment que le système finlandais favorise l'épargne et l'élaboration de plans de retraite en prévoyant un ajournement d'impôt sur les cotisations versées, ce qui aide à faire face au vieillissement de la population en réduisant les recettes fiscales actuelles en échange de recettes ultérieures plus importantes.

44.
    La république de Finlande dit qu'elle impose non seulement les pensions servies par des institutions finlandaises et étrangères aux résidents (imposition des résidents), mais aussi, aux termes de l'article 10 de la TVL, les pensions servies par des institutions finlandaises à des non-résidents (imposition à la source). Partant, si un redevable verse des cotisations à une entreprise finlandaise, on a la garantie que la pension due sera imposée en Finlande, même si l'intéressé s'est établi à l'étranger. Or, la même garantie n'existe pas si le redevable qui quitte le pays a versé des cotisations à une entreprise étrangère. La nécessité de préserver la cohérence du système fiscal finlandais s'opposerait donc à la déduction de ces cotisations.

45.
    D'après la république de Finlande, il n'est pas possible de garantir la cohérence de ce système par des moyens moins restrictifs que ceux en cause. Un mécanisme de «récupération», par exemple, qui contraindrait le redevable qui quitte le pays à «rembourser» les allégements fiscaux que constitue la faculté de déduire les cotisations d'assurance volontaire (26) représenterait une restriction disproportionnée à la libre circulation des travailleurs ou à la liberté d'établissement. De plus, l'article 96, paragraphe 9, autorise (à certaines conditions et pendant une période limitée) la déduction des cotisations à un régime étranger lorsque l'intéressé a transféré sa résidence de l'étranger en Finlande.

46.
    Ces arguments n'emportent pas notre conviction. Nous partageons les opinions de M. Danner, de la Commission et de l'Autorité de surveillance de l'AELE qui soutiennent que, au vu de la structure du système fiscal finlandais, la république de Finlande ne saurait se retrancher derrière la nécessité de préserver la cohérence de ce système et que la réglementation en litige enfreint en tout état de cause le principe de proportionnalité.

47.
    On remarquera avec intérêt à titre préliminaire que la notion même de cohérence fiscale dégagée par la Cour dans les affaires Bachmann et Commission/Belgique a été largement critiquée (27). Dans sa jurisprudence ultérieure, la Cour a souligné que les États membres ne peuvent se fonder sur la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal que s'il existe un lien direct entre un avantage fiscal donné et un désavantage correspondant et, dans aucune des affaires qui ont suivi, elle n'a autorisé les États membres à invoquer la cohérence du système fiscal.

48.
    En l'occurrence, il n'y a pas, à notre avis, de vrai lien direct entre la faculté de déduire les cotisations et l'imposition des pensions. Dans le système fiscal finlandais, les pensions servies par les institutions d'assurance étrangères aux personnes qui résident en Finlande sont imposées, que les cotisations y afférentes aient ou non été déductibles. Si M. Danner continue de résider en Finlande, les pensions qui lui seront servies par les deux régimes allemands seront assujetties à l'impôt finlandais sur le revenu, bien qu'il n'ait pas le droit de déduire les cotisations versées à ces régimes. À cet égard, le système finlandais est dissymétrique et diffère sur un point essentiel du système symétrique dont la Cour a présumé l'existence dans les affaires Bachmann et Commission/Belgique. Étant donné que, dans le cas de redevables tels que M. Danner, il n'y a pas de lien direct entre déductibilité et imposition, nous considérons que la république de Finlande ne saurait faire valoir la nécessité de préserver la cohérence de son système fiscal.

49.
    À l'encontre de cet argument, la république de Finlande objecte que, en vertu des principes généraux du droit fiscal, il se pourrait que M. Danner soit en mesure de demander une déduction qualifiée de «naturelle» lorsqu'il entrera en jouissance des pensions, en arguant de la non-déductibilité des cotisations y afférentes. Or, la république de Finlande admet elle-même qu'il n'est pas du tout certain que les juridictions finlandaises admettraient cette «déduction naturelle» dans le cas de M. Danner. À notre avis, le principe de la sécurité juridique s'oppose à la prise en compte dans l'équation de la cohérence fiscale de tout avantage fiscal futur de ce genre, à moins que le droit à en bénéficier ne soit clairement établi. De plus, un droit de déduction n'équivaut pas à l'exonération totale des pensions futures présumée dans les affaires Bachmann et Commission/Belgique. Nous ne sommes donc pas convaincu que cette «déduction naturelle» garantit la symétrie qui est exigée du système finlandais.

50.
    Deuxièmement, il découle de l'arrêt Wielockx (28) que, en l'occurrence, la cohérence du système fiscal est garantie par une convention bilatérale conclue avec la République fédérale d'Allemagne.

51.
    En vertu de l'article 21 de la convention, visant à éviter la double imposition dans le domaine de l'impôt sur le revenu, de l'impôt sur la fortune et d'autres impôts (29), un revenu, non visé aux articles précédents de la convention, perçu par une personne résidant dans l'un des États contractants, est imposé seulement dans cet État. Les pensions servies par des institutions d'assurance au titre de contrats d'assurance volontaire relèvent de cette clause de portée très générale (30). En revanche, l'article 18, paragraphe 2, de la convention exonère dans l'État de résidence les prestations qu'un résident de l'un des États contractants perçoit au titre de la législation de sécurité sociale de l'autre État contractant (31).

52.
    Dans l'arrêt Wielockx, la Cour a déclaré ce qui suit, dans un contexte factuel et juridique analogue (mais pas identique) à celui de la présente affaire:

«[Par] l'effet des conventions contre les doubles impositions qui, comme celle mentionnée ci-dessus, suivent le modèle de la convention type de l'OCDE, l'État impose toutes les pensions perçues par les résidents sur son territoire, quel que soit l'État où les cotisations ont été payées, mais, à l'inverse, il renonce à soumettre à l'impôt les pensions perçues à l'étranger, même si elles ont pour origine des cotisations versées sur son territoire qu'il a considérées comme déductibles. La cohérence fiscale n'est donc pas établie au niveau d'une même personne, par une corrélation rigoureuse entre la déductibilité des cotisations et l'imposition des pensions, mais elle est reportée à un autre niveau, celui de la réciprocité des règles applicables dans les États contractants. La cohérence fiscale étant assurée sur la base d'une convention bilatérale conclue avec un autre État membre, ce principe ne saurait être invoqué pour justifier le refus d'une déduction telle que celle en cause» (32).

53.
    En concluant cette convention avec la République fédérale d'Allemagne, la république de Finlande a renoncé, dans l'article 21, à son droit d'imposer des pensions servies par des institutions finlandaises d'assurance retraite volontaire à des personnes résidant en Allemagne. Inversement, la république de Finlande a le droit d'imposer toutes les pensions perçues par les personnes qui résident sur son territoire. L'article 18, paragraphe 2, exonère dans l'État de résidence les prestations servies au titre de la législation de sécurité sociale de l'autre État contractant. Si M. Danner continue de résider en Finlande et que cette règle s'applique aux pensions servies par l'un des régimes allemands, ou les deux, la république de Finlande a effectivement renoncé à son droit d'imposer les revenus de l'un de ses résidents.

54.
    La cohérence fiscale n'est donc pas établie au niveau d'une même personne, par une corrélation rigoureuse entre la déductibilité des cotisations et l'imposition des pensions, mais elle est reportée à un autre niveau, celui de la réciprocité des règles applicables dans les États contractants. Un refus ouvertement discriminatoire de déduction des cotisations versées à une assurance retraite étrangère dessert le maintien de cette autre catégorie de cohérence fiscale.

55.
    La république de Finlande tente de répondre à l'argument tiré de la convention contre les doubles impositions en laissant entendre que la solution ne saurait dépendre de l'existence d'une telle convention dans un cas donné. Elle souligne qu'il aurait pu tout aussi bien ne pas exister de convention avec la République fédérale d'Allemagne et que le droit communautaire ne peut pas obliger les États membres à en conclure.

56.
    L'argument de la république de Finlande semble difficile à concilier avec l'arrêt Wielockx. Toutefois, à supposer qu'il fût exact que la solution ne saurait dépendre de l'existence d'une convention contre les doubles impositions applicable dans un cas particulier, cet argument nous paraît voué à l'échec. Ce qui est important, à notre avis, ce n'est pas l'existence d'une convention particulière applicable en l'occurrence mais plutôt l'existence, entre les États membres, d'un réseau général de conventions contre les doubles impositions (même si chaque État membre n'a pas conclu de conventions avec tous les autres États membres). Dans l'arrêt Wielockx, le raisonnement part de l'existence de ce réseau général qui démontre que les États membres trouvent en général leur compte à renoncer sur la base de la réciprocité au droit d'imposer à la source les pensions versées à des personnes résidant dans un autre État membre. En conséquence, une personne qui a pu déduire des cotisations de retraite de son revenu imposable dans un État membre puis qui s'installe dans un autre État membre n'aura pas, le plus souvent, à payer des impôts sur sa pension dans le premier État membre. De plus, une personne qui a pu déduire dans un État membre A des cotisations à un régime de retraite d'un État membre B pourrait jouir de sa pension dans un État membre C et n'être soumise à un impôt y afférent ni dans A ni dans B mais dans C. L'argument fondé sur la cohérence fiscale n'est donc pas fondé.

57.
    Troisièmement, et en tout état de cause, il est disproportionné d'interdire à tous ceux qui versent des cotisations d'assurance à des institutions d'assurance étrangères de déduire ces cotisations au seul motif qu'il se peut que les intéressés quittent le pays ensuite. Même si nous ne souhaitons pas nous prononcer sur la compatibilité avec le droit communautaire, par exemple, d'un mécanisme de récupération - dans lequel les redevables qui quittent le pays doivent rembourser les allégements fiscaux obtenus en déduisant les cotisations -, il nous semble clair que même un tel système serait moins restrictif que le refus absolu de la déduction qui pèse sur toutes les personnes qui résident en Finlande. Le cas de M. Danner illustre à la perfection le caractère excessif de cette restriction: il n'a pas le droit de déduire les cotisations versées aux régimes allemands bien que des liens solides le rattachent à la Finlande et qu'il est donc peu vraisemblable - ainsi qu'il l'a expliqué de manière convaincante - qu'il la quitte pour de simples raisons fiscales (il a ajouté que, de toute façon, il n'y avait pas de raison de voir l'Allemagne comme un paradis fiscal).

La nécessité de garantir l'efficacité des contrôles fiscaux et de prévenir la fraude fiscale

58.
    La république de Finlande et le royaume de Danemark soutiennent que le refus d'autoriser la déduction des cotisations versées à des régimes gérés par des institutions étrangères est justifié par la nécessité de garantir l'efficacité des contrôles fiscaux et de prévenir la fraude fiscale.

59.
    Il leur semble difficile, voire impossible, de vérifier si les régimes étrangers remplissent les diverses conditions de déductibilité fixées à l'article 96, paragraphes 2 à 6, de la TVL. Même si c'est le cas au moment de la déduction, on ne saurait interdire à ces régimes de modifier ensuite leur fonctionnement.

60.
    D'après ces États membres, il est également impossible de contrôler et, partant, d'imposer efficacement les pensions ou autres prestations servies à des personnes résidant en Finlande par des régimes étrangers. À cet égard, la république de Finlande affirme que la publicité de certains régimes de pension étrangers indique que les prestations qu'ils servent échapperaient à l'impôt en Finlande.

61.
    Ces États membres soutiennent que les difficultés rencontrées pour vérifier si les conditions de déductibilité sont remplies et contrôler les pensions versées sont dues, premièrement, au fait que, si les autorités finlandaises peuvent contraindre les institutions nationales à informer les services fiscaux de tout versement, elles n'ont pas ce pouvoir envers les assureurs établis à l'étranger. Deuxièmement, alors que le redevable qui cherche à déduire ses cotisations à des régimes étrangers a un intérêt à fournir toute information requise, il n'est pas incité de la même manière à fournir des renseignements complets et exacts sur les modifications ultérieures de la police d'assurance ou sur les pensions et prestations servies par l'étranger. Troisièmement, l'échange d'informations entre les États membres prévu par la directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l'assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs (33), n'est pas non plus un outil suffisamment efficace pour surmonter les difficultés rencontrées.

62.
    Ces arguments n'emportent pas notre conviction. Nous partageons les opinions de M. Danner, de la Commission et de l'Autorité de surveillance de l'AELE selon lesquelles la réglementation en litige viole le principe de proportionnalité. À notre avis, il est possible d'atteindre les objectifs légitimes d'efficacité des contrôles fiscaux et de prévention de la fraude fiscale par des moyens beaucoup moins restrictifs que le refus absolu de la déduction de toutes les cotisations versées à des institutions d'assurance étrangères.

63.
    La jurisprudence bien établie voit dans l'efficacité des contrôles fiscaux une exigence impérieuse d'intérêt général qui est susceptible de justifier une restriction à l'exercice des libertés fondamentales garanties par le traité (34). En l'occurrence, la nécessité de prévenir la fraude fiscale coïncide avec celle de garantir l'efficacité des contrôles fiscaux.

64.
    Par le biais des mesures contestées, la république de Finlande cherche à protéger deux intérêts fiscaux distincts.

65.
    Premièrement, la république de Finlande souhaite s'assurer qu'aucune déduction ne soit accordée en l'absence d'un droit à l'obtenir (contrôle efficace de la déductibilité des cotisations). La déduction ne devrait être accordée que si les cotisations ont bien été versées, que le régime d'assurance étranger remplit les conditions fixées par le législateur finlandais pour le bénéfice de la déduction (en ce qui concerne par exemple le caractère et l'importance des prestations ou l'âge de la retraite) (35) et continue de les remplir même après que la déduction a été accordée.

66.
    Pour ce qui est de ce premier intérêt, il est clair, au vu de la jurisprudence Bachmann et Commission/Belgique, qu'un État membre peut invoquer la directive 77/799 (36) afin de contrôler si des versements ont été effectués dans un autre État membre, lorsque l'établissement correct de l'impôt sur le revenu doit tenir compte desdits versements. En tout état de cause, les autorités fiscales concernées sont en droit d'exiger de l'intéressé les preuves relatives au versement des cotisations et aux conditions de l'assurance retraite qu'elles jugent nécessaires et, le cas échéant, de refuser la déduction si ces preuves ne sont pas fournies. Comme la déduction dépend du consentement des autorités, l'intéressé est fortement incité à fournir des renseignements exacts et complets. Il s'ensuit que même le fait que l'État membre tenu, en vertu de la directive 77/799, de fournir des renseignements ne dispose d'aucune base juridique pour exiger des assureurs les renseignements nécessaires ne saurait justifier la non-déductibilité des cotisations d'assurance retraite versées à des institutions établies à l'étranger (37).

67.
    Deuxièmement, la république de Finlande souhaite s'assurer que les pensions dues par les institutions d'assurance à des personnes qui résident sur son territoire soient effectivement imposées (efficacité du contrôle de l'imposition des pensions).

68.
    Il est vrai que, dans la jurisprudence Bachmann et Commission/Belgique, la Cour a admis que les mesures dont il s'agissait étaient proportionnées parce qu'il n'était pas possible d'employer des moyens moins restrictifs pour garantir la cohérence du système belge. Toutefois, eu égard à la gravité de la restriction en litige, il est nécessaire de réexaminer la proportionnalité de la mesure finlandaise dans le présent contexte.

69.
    Pour ce qui est de la gravité de la restriction, il convient de se rappeler que la mesure en cause implique vraisemblablement l'exclusion totale des institutions d'assurance étrangères du marché finlandais. Il s'agit donc d'une mesure conçue non pour assurer un contrôle effectif des prestations de services transfrontalières, mais pour exclure totalement de telles prestations de services sur la base de la prémisse de l'impossibilité de les contrôler efficacement. Il est clair également qu'une telle exclusion ne nuit pas seulement aux opérateurs malhonnêtes, elle joue aussi au détriment d'institutions d'assurance honorables et de redevables honnêtes qui n'ont pas d'intérêt à favoriser des pratiques illégales, ou à s'y prêter.

70.
    Pour ce qui est de la possibilité de sauvegarder l'application de la réglementation fiscale des États membres par des moyens moins restrictifs que l'élimination de facto de toutes les prestations d'assurance retraite transfrontalières, les autorités fiscales de ces États peuvent, à notre avis, recourir à trois sources d'informations potentielles, le redevable concerné, l'État membre de l'institution d'assurance qui sert la prestation et, ce qui est peut-être le plus important, cette institution elle-même.

71.
    Premièrement, il n'y a manifestement aucun problème si le redevable concerné inclut dûment les pensions servies par l'étranger dans sa déclaration d'impôts. Mais les autorités fiscales ne dépendent pas totalement de cette déclaration. En général, avant de recevoir une pension servie par une institution étrangère, le redevable aura demandé la déduction des cotisations y afférentes. Les demandes de déductions et les éléments justificatifs fournis à l'époque par le redevable constituent, nous semble-t-il, une source utile de renseignements sur la pension qui lui sera servie plus tard. Il se peut même que les renseignements fournis à l'époque de la déduction permettent aux autorités fiscales de présumer que des versements de pensions ont lieu, à moins que le redevable ne produise des preuves contraires convaincantes.

72.
    Deuxièmement, les États membres pourraient procéder à des échanges d'informations sur les prestations servies par leurs institutions de pensions aux résidents des autres États membres, ce qui permettrait à ceux-ci de vérifier que leurs résidents s'acquittent bien de leurs obligations fiscales. La directive 77/799 fournit déjà le cadre de ces échanges d'informations. Dans sa communication précitée, la Commission fait des propositions détaillées en vue d'instaurer des échanges d'informations automatiques et efficaces sur les retraites professionnelles (38).

73.
    En dehors de ces suggestions particulières, la Cour a dit pour droit que les autorités d'un État membre pouvaient invoquer la directive 77/799 pour obtenir auprès des autorités compétentes d'un autre État membre toutes les informations qu'elles jugent nécessaires pour apprécier le montant exact de l'impôt sur le revenu dû par un redevable en fonction de la législation qu'elles appliquent (39).

74.
    Troisièmement, et c'est peut-être le point le plus important, il nous semble qu'un État membre peut s'assurer de ce que les institutions d'assurance établies à l'étranger coopèrent et lui fournissent les renseignements nécessaires sur les prestations qu'elles versent aux résidents. Il peut par exemple subordonner la déduction des cotisations versées à un régime étranger à un accord préalable entre l'institution qui gère le régime et ses autorités. Dans cet accord, l'État membre pourrait exiger la fourniture d'informations exactes et complètes sur les pensions servies par cette institution. Il pourrait aussi être stipulé que les conditions d'assurance ne devront plus être modifiées substantiellement une fois que la déduction aura été accordée. Il y a lieu de présumer que les institutions d'assurance - qui sont quand même en général des entreprises stables et d'une certaine dimension, soumises à la surveillance étroite de leur État d'établissement - ne tenteront pas d'enfreindre ou de tourner ces accords. Mais, même si cela était le cas, l'État membre pourrait recourir à des sanctions appropriées, telles qu'une suspension immédiate de la déduction des cotisations versées par les résidents (40). Même une politique rigoureuse de fermeture du marché d'un État membre aux institutions étrangères qui ne coopèrent pas de bonne foi serait à l'évidence moins restrictive qu'une politique qui ferme de facto le marché à toutes les institutions étrangères.

75.
    Il résulte des considérations énoncées ci-dessus que les mesures en litige ne sauraient être justifiées par la nécessité de garantir l'efficacité des contrôles fiscaux ou de prévenir la fraude fiscale.

La nécessité de préserver l'intégrité de l'assiette d'imposition

76.
    Le royaume de Danemark soutient que la restriction apportée au droit de déduire les cotisations est justifiée par la nécessité de préserver l'intégrité de l'assiette d'imposition. Pour lui, la Cour a reconnu dans l'arrêt Safir que cette nécessité était une considération impérieuse d'intérêt général. Si les cotisations d'assurance payées à des assureurs étrangers étaient déductibles, les résidents des États membres où l'impôt sur le revenu est élevé seraient très fortement incités à contracter des assurances auprès d'institutions établies dans des États membres où cet impôt est réduit. Il s'ensuivrait des manoeuvres pour se placer dans le cadre de la fiscalité la plus favorable, des abus et une esquive des législations fiscales des États membres où l'impôt est élevé ainsi qu'une course au «dumping fiscal» qui aurait des conséquences désastreuses pour les États membres qui financent par la fiscalité des services sociaux de grande qualité. De plus, les États membres ont un intérêt légitime à ne pas accorder l'avantage fiscal de la déductibilité des cotisations lorsque l'épargne ainsi encouragée est constituée à l'étranger.

77.
    Ces arguments n'emportent pas notre conviction.

78.
    Nous ne pensons pas que la Cour ait admis la nécessité de préserver l'intégrité de l'assiette d'imposition au nombre des motifs de justification légitimes. Elle a estimé au contraire que prévenir la réduction des recettes fiscales ne figurait pas parmi les raisons énoncées à l'article 46 CE et ne pouvait être tenu pour une raison impérieuse d'intérêt général (41). Dans l'arrêt Safir, elle a seulement dit que, dans le cas d'espèce, la nécessité de combler une lacune du système fiscal n'était pas de nature à justifier la mesure nationale restrictive en cause.

79.
    En tout état de cause, l'argument du royaume de Danemark sur le «dumping fiscal» nous semble reposer sur la prémisse erronée qu'un impôt peu élevé dans l'État d'établissement de l'institution d'assurance étrangère incite les redevables à y contracter des assurances. Étant donné que, dans la très grande majorité des cas, les pensions servies par ces institutions seront imposées par l'État de résidence du redevable (et non par l'État d'origine), aux taux qui y sont applicables, il n'y a pas, à notre avis, d'intérêt fiscal à contracter des assurances retraite à l'étranger.

80.
    Le dernier argument du royaume de Danemark peut être compris comme un aveu de ce que des règles de ce genre visent essentiellement à protéger les institutions d'assurance établies dans un État membre contre la concurrence provenant d'autres États membres. Or, il convient de rappeler que les libertés fondamentales du traité tendent à empêcher non seulement les restrictions à l'achat de biens ou de services provenant d'autres États membres, mais aussi les incitations, conçues par les États membres, à acheter par priorité des biens ou des services nationaux plutôt que des biens ou des services provenant d'autres États membres (42).

81.
    Partant, les mesures en cause sont interdites par l'article 49 CE, aucun des arguments invoqués ne permettant de les justifier.

Les articles 12 CE, 56 CE et 87 CE

82.
    Compte tenu du résultat clair de l'analyse fondée sur l'article 49 CE, et en l'absence d'un débat développé devant la juridiction de renvoi et devant la Cour, il ne semble ni nécessaire ni utile d'examiner ces dispositions.

Conclusions

83.
    Par ces motifs, nous suggérons à la Cour de répondre ce qui suit à la question posée par le Kuopion hallinto-oikeus:

«Une réglementation fiscale d'un État membre qui restreint ou exclut la faculté de déduire aux fins de l'impôt sur le revenu des cotisations d'assurance retraite volontaire versées à des prestataires de pensions établis dans d'autres États membres tout en accordant la faculté de déduire des cotisations versées à des régimes d'assurance retraite volontaire établis dans le premier État membre est contraire à l'article 49 CE.»


1: -     Langue originale: l'anglais.


2: -     Arrêt du 28 janvier 1992 (C-204/90, Rec. p. I-249).


3: -     Arrêt du 28 janvier 1992 (C-300/90, Rec. p. I-305).


4: -     Articles 96, paragraphes 2 à 4, de la TVL.


5: -     Par la loi n° 1594 du 18 décembre 1995.


6: -     La juridiction de renvoi a transmis le rapport de ce groupe de travail à la Cour.


7: -     Projet de loi HE 76/1995.


8: -     Les déclarations de M. Danner à cet égard sont quelque peu contradictoires.


9: -     La Commission vise ces deux libertés puisqu'on ne sait pas exactement si M. Danner exerçait comme salarié ou en indépendant.


10: -     Arrêt du 28 avril 1998 (C-118/96, Rec. p. I-1897).


11: -     Voir arrêt Safir, précité note 10, point 22.


12: -     Arrêt du 7 décembre 1993, Wirth (C-109/92, Rec. p. I-6447).


13: -     Arrêts du 28 avril 1998, Kohll (C-158/96, Rec. p. I-1931, point 21), et du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms (C-157/99, Rec. p. I-5473, point 54).


14: -     Arrêt Smits et Peerbooms, précité note 13, point 58.


15: -     Arrêt du 5 octobre 1994, Commission/France (C-381/93, Rec. p. I-5145, point 17).


16: -     Arrêt Safir, précité note 10, point 30.


17: -     Arrêt du 25 juillet 1991, Commission/Pays-Bas (C-353/89, Rec. p. I-4069, point 14, qui comporte des renvois à d'autres affaires).


18: -     Arrêts du 26 avril 1988, Bond van Adverteerders e.a. (352/85, Rec. p. 2085, points 32 et 33); Commission/Pays-Bas (précité note 17, point 15), et du 25 juillet 1991, Collectieve Antennevoorziening Gouda (C-288/89, Rec. p. I-4007, point 11).


19: -     Arrêt du 21 septembre 1999, Läärä e.a. (C-124/97, Rec. p. I-6067, point 31).


20: -     Arrêt du 29 avril 1999 (C-311/97, Rec. p. I-2651, point 32).


21: -     Arrêt du 29 avril 1999 (C-224/97, Rec. p. I-2517, point 16).


22: -     Voir, par exemple, l'arrêt Safir, précité note 10, points 25 à 30.


23: -     Voir, par exemple, les arrêts du 18 novembre 1999, X et Y (C-200/98, Rec. p. I-8261, point 28); du 28 octobre 1999, Vestergaard (C-55/98, Rec. p. I-7641, point 22), et du 26 octobre 1999, Eurowings Luftverkehrs (C-294/97, Rec. p. I-7447, point 36).


24: -     Voir nos conclusions dans l'affaire PreussenElektra (arrêt du 13 mars 2001, C-379/98, Rec. p. I-2099, points 220 à 233).


25: -     JO 2001, C 165, p. 4.


26: -     Les parties qui ont présenté des observations disent que le royaume des Pays-Bas a instauré un mécanisme de ce genre.


27: -     Voir, par exemple, Knobbe-Keuk B., «Restrictions on the fundamental freedoms enshrined in the EC Treaty by discriminatory tax provisions - ban and justification», EC Tax Review 1994, p. 74, et Fosseland, D., «L'obstacle fiscal à la réalisation du marché intérieur», Cahiers de Droit européen 1993, p. 472.


28: -     Arrêt du 11 août 1995 (C-80/94, Rec. p. I-2493).


29: -     Convention du 5 juillet 1979. La version de langue allemande a été publiée au BGBl. 1981 II, p. 1165.


30: -     De même que les annuités servies sur la base de cotisations antérieures, voir: Vogel, K., Klaus Vogel on Double Taxation Conventions (3e édition 1997), Kluwer, p. 1072.


31: -     Nous devons citer les deux branches de cette alternative, puisque nous ne savons pas si les deux régimes allemands relèvent de l'article 21 ou de l'article 18, paragraphe 2, de la convention.


32: -     Arrêt précité note 28, points 24 et 25.


33: -     JO L 336, p. 15.


34: -     Arrêts du 20 février 1979, Rewe-Zentral (120/78, Rec. p. 649); du 15 mai 1997, Futura Participations et Singer (C-250/95, Rec. p. I-2471), ainsi que Vestergaard, précité note 23.


35: -     Pour ce qui est du point de savoir si la déduction peut être subordonnée à de telles conditions dans le cas d'un travailleur qui s'installe temporairement dans un autre État membre, voir la discussion dans la communication de la Commission précitée note 25, point 3.4.


36: -     La Cour fait référence à l'article 1er, paragraphe 1, de la directive.


37: -     Voir points 18 à 20 de l'arrêt Bachmann, précité note 2.


38: -     Voir point 4 de la communication précitée note 25.


39: -     Arrêt Vestergaard, précité note 23, point 28.


40: -     Farmer, P., et Lyal, R., EC Tax Law (1994), p. 333.


41: -     Arrêt du 21 septembre 1999, Saint Gobain ZN (C-307/97, Rec. p. I-6161, point 51).


42: -     Voir, par exemple, les arrêts du 24 novembre 1982, Commission/Irlande (249/81, Rec. p. I-4005, points 27 à 29), et du 20 mars 1990, Du Pont de Nemours Italiana (C-21/88, Rec. p. I-889, point 11).