Language of document : ECLI:EU:T:2011:107

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

24 mars 2011 (*)

« Concurrence – Ententes – Secteur des raccords en cuivre et en alliage de cuivre – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Imputabilité du comportement infractionnel »

Dans l’affaire T‑376/06,

Legris Industries SA, établie à Rennes (France), représentée initialement par Mes A. Wachsmann et C. Pommiès, puis par Mes Wachsmann et A. Carré, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. V. Bottka et A. Nijenhuis, en qualité d’agents, assistés de Me N. Coutrelis, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision C (2006) 4180 de la Commission, du 20 septembre 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/F-1/38.121 ? Raccords),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de Mme M. E. Martins Ribeiro, président, MM. N. Wahl (rapporteur) et A. Dittrich, juges,

greffier : Mme T. Weiler, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 février 2010,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige et décision attaquée

1        Par la décision C (2006) 4180, du 20 septembre 2006, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/F-1/38.121 ? Raccords) (résumé au JO 2007, L 283, p. 63, ci-après la « décision attaquée »), la Commission des Communautés européennes a constaté que plusieurs entreprises avaient enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) en participant, au cours de différentes périodes comprises entre le 31 décembre 1988 et le 1er avril 2004, à une infraction unique, complexe et continue aux règles communautaires de concurrence revêtant la forme d’un ensemble d’accords anticoncurrentiels et de pratiques concertées sur le marché des raccords en cuivre et en alliage de cuivre, qui couvraient le territoire de l’EEE. L’infraction consistait à fixer les prix, à convenir de listes de prix, de remises et de ristournes et de mécanismes d’application des hausses des prix, à répartir les marchés nationaux et les clients et à échanger d’autres informations commerciales ainsi qu’à participer à des réunions régulières et à entretenir d’autres contacts destinés à faciliter l’infraction.

2        La requérante, Legris Industries SA (ci-après « Legris ») une société mère qui détenait, à l’époque des faits, 99,99 % du capital de Comap SA, figure parmi les destinataires de la décision attaquée.

3        Le 9 janvier 2001, Mueller Industries Inc., un autre producteur de raccords en cuivre, a informé la Commission de l’existence d’une entente dans le secteur des raccords, et dans d’autres industries connexes sur le marché des tubes en cuivre, et de sa volonté de coopérer au titre de la communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération de 1996 ») (considérant 114 de la décision attaquée).

4        Les 22 et 23 mars 2001, dans le cadre d’une enquête concernant les tubes et les raccords en cuivre, la Commission a effectué, en application de l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), des vérifications inopinées dans les locaux de plusieurs entreprises (considérant 119 de la décision attaquée).

5        À la suite de ces premières vérifications, la Commission a, en avril 2001, scindé son enquête portant sur les tubes en cuivre en trois procédures distinctes, à savoir la procédure relative à l’affaire COMP/E-1/38.069 (Tubes sanitaires en cuivre), celle relative à l’affaire COMP/F-1/38.121 (Raccords) et celle relative à l’affaire COMP/E-1/38.240 (Tubes industriels) (considérant 120 de la décision attaquée).

6        Les 24 et 25 avril 2001, la Commission a effectué d’autres vérifications inopinées dans les locaux de Delta plc, société à la tête d’un groupe de génie international dont le département « Ingénierie » regroupait plusieurs fabricants de raccords. Ces vérifications portaient uniquement sur les raccords (considérant 121 de la décision attaquée).

7        À partir de février/mars 2002, la Commission a adressé aux parties concernées plusieurs demandes de renseignements en application de l’article 11 du règlement nº 17, puis de l’article 18 du règlement (CE) nº 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1) (considérant 122 de la décision attaquée).

8        En septembre 2003, IMI plc a présenté une demande visant à bénéficier de la communication sur la coopération de 1996. Cette demande a été suivie par celles du groupe Delta (mars 2004) et de FRA.BO SpA (juillet 2004). La dernière demande de clémence a été présentée en mai 2005 par Advanced Fluid Connections plc (considérants 115 à 118 de la décision attaquée).

9        Le 22 septembre 2005, la Commission a, dans le cadre de l’affaire COMP/F-1/38.121 (Raccords) engagé une procédure d’infraction et a adopté une communication des griefs, laquelle a notamment été notifiée à la requérante (considérants 123 et 124 de la décision attaquée).

10      Le 20 septembre 2006, la Commission a adopté la décision attaquée.

11      À l’article 1er de la décision attaquée, la Commission a constaté que la requérante avait enfreint les dispositions de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE entre le 31 janvier 1991 et le 1er avril 2004.

12      Pour cette infraction, la Commission a, à l’article 2, sous g), de la décision attaquée, infligé à la requérante une amende d’un montant de 46,8 millions d’euros, dont 18,56 millions d’euros solidairement avec Comap.

13      Aux fins de fixer le montant de l’amende infligée à chaque entreprise, la Commission a fait application, dans la décision attaquée, de la méthode définie dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3).

14      S’agissant, d’abord, de la fixation du montant de départ de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction, la Commission a qualifié l’infraction de très grave, en raison de sa nature même et de sa portée géographique (considérant 755 de la décision attaquée).

15      Estimant ensuite qu’il existait une disparité considérable entre les entreprises concernées, la Commission a procédé à un traitement différencié, se fondant à cet effet sur leur importance relative sur le marché en cause déterminée par leurs parts de marché. Sur cette base, elle a réparti les entreprises concernées en six catégories (considérant 758 de la décision attaquée).

16      La requérante a été classée dans la quatrième catégorie, catégorie pour laquelle le montant de départ de l’amende a été fixé à 14,25 millions d’euros (considérant 765 de la décision attaquée).

17      Du fait de la durée de la participation de la requérante à l’infraction (treize ans et deux mois), la Commission a majoré le montant de l’amende de 130 % (considérant 775 de la décision attaquée), ce qui a abouti à fixer le montant de base de l’amende à 32,7 millions d’euros (considérant 777 de la décision attaquée).

18      La Commission a ensuite considéré que la participation à l’infraction après les inspections constituait une circonstance aggravante justifiant une majoration de 60 % du montant de base de l’amende (considérant 785 de la décision attaquée).

19      Eu égard au fait que le montant de base de l’amende ainsi calculé dépassait 10 % du chiffre d’affaires total de la requérante, la Commission a réduit le montant de l’amende à 46,8 millions d’euros (considérant 831 de la décision attaquée).

 Procédureetconclusionsdesparties

20      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 décembre 2006, la requérante a introduit le présent recours.

21      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, a demandé à la requérante de fournir des indications sur les données se trouvant dans la requête présentant un caractère confidentiel vis-à-vis du public et dans la réplique, demande à laquelle elle a répondu dans le délai imparti.

22      Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 8 décembre 2009, la requérante a demandé la jonction de la présente affaire avec l’affaire T‑377/06 aux fins de la procédure orale ou, à défaut, aux fins de l’arrêt, en application de l’article 50, paragraphe 1, du règlement de procédure. Par courrier du 5 janvier 2010, la Commission a indiqué qu’elle laissait à l’appréciation du Tribunal la décision relative à la jonction desdites affaires. Par décision du président de la huitième chambre du Tribunal du 14 janvier 2010, la jonction des deux affaires, aux fins de la procédure orale et de l’arrêt, a été refusée.

23      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience qui s’est tenue le 2 février 2010.

24      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée, en tant que la Commission lui a imposé une amende du fait du comportement infractionnel de Comap ;

–        lui donner acte qu’elle fait siennes les conclusions et les écritures de Comap à l’encontre de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

25      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité du deuxième chef de conclusions de la requête

 Arguments des parties

26      La Commission fait valoir que la demande de la requérante tendant à faire siennes les conclusions et les écritures de Comap est irrecevable, dans la mesure où celle-ci n’est étayée, dans la requête, par aucune argumentation juridique. Or, selon la jurisprudence, le renvoi global à d’autres écritures, même lorsque celles-ci sont annexées à la requête, ne pourrait pallier l’absence d’argumentation en droit, laquelle devant être exposée avec une clarté suffisante et figurer dans la requête.

27      Concernant le cas d’espèce, la Commission soutient que la requérante ne conteste pas le fait de ne pas avoir développé d’argumentation juridique dans la requête et que celle-ci se contente d’affirmer qu’un renvoi à l’argumentation de Comap est approprié eu égard aux liens qui l’unissent à Comap. Toutefois, la Commission considère que le fait que Comap soit la filiale de la requérante est dénué de pertinence, car cela ne peut pas permettre à la requérante de s’affranchir du respect des exigences procédurales en matière de recevabilité.

28      La requérante précise qu’elle fait siennes les conclusions et les écritures déposées et développées par Comap à l’encontre de la décision attaquée, notamment, parce que la Commission a commis des erreurs de droit et de fait ainsi que des erreurs manifestes d’appréciation en condamnant Comap pour d’autres périodes que celle allant du 13 décembre 1997 à mars 2001. De plus, la Commission aurait violé l’article 23, paragraphe 2, et l’article 25, du règlement n° 1/2003, ainsi que les lignes directrices de 1998. La requérante souligne également avoir annexé à la requête une synthèse des arguments de Comap.

29      À cet égard, la requérante fait remarquer qu’il ressort de la jurisprudence qu’une requête ou un élément de celle-ci est déclaré recevable dès lors que les principes de droit dont la violation est alléguée y sont mentionnés avec une clarté suffisante. Dans la présente affaire, la requête serait recevable, même si la requérante a, comme l’admettrait ladite jurisprudence, omis d’indiquer exactement les moyens invoqués et les règles de droit qui auraient été violées. La requérante fait valoir qu’il aurait été « illogique et artificiel » d’insérer intégralement les moyens de Comap.

 Appréciation du Tribunal

30      À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, toute requête doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués.

31      Selon une jurisprudence bien établie, cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours. Il en va de même pour toute conclusion, qui doit être assortie de moyens et d’arguments permettant, tant à la partie défenderesse qu’au juge, d’en apprécier le bien-fondé (arrêt du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T‑43/92, Rec. p. II‑441, point 183). Ainsi, pour qu’un recours soit recevable, il faut que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. À cet égard, si le corps de celle-ci peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui, en vertu des dispositions rappelées ci-dessus, doivent figurer dans la requête. En outre, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens et arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale (voir arrêt du Tribunal du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, Rec. p. II‑3601, point 94, et la jurisprudence citée).

32      En l’occurrence, il y a lieu de considérer qu’un renvoi général, dans une requête, aux moyens et aux arguments invoqués au soutien d’un recours formé dans le cadre d’une affaire connexe ne répond pas à l’exigence mentionnée ci-dessus.

33      Il résulte de ce qui précède que le deuxième chef de conclusions de la requérante, tendant à faire siennes les conclusions et les écritures de Comap, doit être rejeté.

 Sur le fond

34      Dans la requête, la requérante soulève un moyen unique, tiré de la méconnaissance des règles gouvernant l’imputabilité aux sociétés mères des infractions commises par leurs filiales. Ce moyen s’articulait initialement en trois branches. Dans le cadre de la première branche, la requérante contestait que la seule détention par la société mère de 100 % du capital de la filiale permette de conclure à la responsabilité de la société mère pour une infraction commise par sa filiale. La deuxième branche portait sur l’absence de preuve apportée par la Commission de l’exercice d’une influence effective de la requérante sur sa filiale. Dans le cadre de la troisième branche, la requérante estime que la Commission n’a pas pris en compte les éléments de preuve qu’elle a présentés afin de prouver l’autonomie de Comap et que celle-ci a ainsi conclu à tort à l’existence d’un pouvoir de direction effectif de sa part sur sa filiale.

35      Lors de l’audience, en réponse à une question posée par le Tribunal concernant les conséquences à tirer de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237), la requérante a déclaré qu’elle ne maintenait sa requête qu’en ce qui concerne le troisième grief et qu’elle se désistait de ses deux premiers griefs, ce dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience.

 Arguments des parties

36      La requérante estime que la Commission n’a pas pris en compte les éléments de preuve qu’elle a apportés afin de démontrer l’autonomie de Comap et que celle-ci a ainsi conclu à tort à l’existence d’un pouvoir de direction effectif sur sa filiale.

37      À cet égard, la requérante attire l’attention sur le fait qu’elle est un holding financier, qui n’a pas d’activité commerciale ou industrielle propre, son activité étant concentrée sur les implications de sa cotation en bourse. Par ailleurs, elle ne disposerait pas des ressources humaines lui permettant de s’intéresser aux activités commerciales de ses filiales ou de peser sur leurs activités. Sa culture d’entreprise serait en effet fondée sur une importante délégation de pouvoirs à ses filiales. La requérante souligne également qu’elle n’a jamais donné d’instruction à Comap quant à son comportement sur le marché ou à la détermination de sa politique commerciale, cette dernière ayant été menée de façon indépendante. En particulier, la requérante ne serait, à aucun moment, intervenue dans le processus d’élaboration des tarifs de Comap en matière de raccords tel qu’il est visé dans la décision attaquée. Elle précise encore que, parmi les personnes ayant été impliquées dans la politique commerciale de Comap en matière de raccords en cuivre, aucune n’était un de ses salariés.

38      Pour étayer ses affirmations, la requérante fait référence à plusieurs éléments de preuve, qui illustreraient l’hostilité de ses filiales à l’égard de toute tentative de la société mère de s’impliquer dans leurs activités opérationnelles. À cet égard, elle invoque, tout d’abord, le « mauvais accueil » réservé aux conclusions du rapport, du 8 février 1991, rédigé par un consultant externe, dans lequel il était proposé une plus grande coordination des politiques commerciales des différentes sociétés faisant partie du groupe. En particulier, la requérante se réfère à une note de M. B., du 15 mars 1991. Ensuite, la requérante fait mention du rejet de toutes les suggestions qui visaient à accroître son contrôle sur ses filiales, lors de la « convention de Courchevel », qui s’est tenue en mars 1998 et qui avait réuni les principaux cadres dirigeants de ses filiales. La requérante mentionne également l’attachement des principaux cadres dirigeants à l’autonomie des filiales. Enfin, elle soutient que, comme l’atteste notamment la lettre de M. J. à M. B., en date du 11 janvier 1988, les déclarations de certains dirigeants et d’anciens dirigeants de ses filiales confirment la grande autonomie de ces dernières dans la détermination de leur politique commerciale.

39      S’agissant du suivi financier et du budget de Comap, la requérante fait valoir que les informations qu’elle a récoltées auprès de ses filiales étaient limitées à celles qui lui permettaient de s’assurer du respect de ses obligations légales d’information inhérentes à son statut de société cotée en bourse. La requérante n’aurait défini que les grands équilibres budgétaires de ses filiales, mais n’aurait exercé aucun pouvoir de direction en matière budgétaire, ces dernières établissant elles-mêmes leurs budgets selon leurs propres procédures.

40      D’après la requérante, les sources de financement propres à Comap constituaient également un élément supplémentaire illustrant l’autonomie de sa filiale. À cet égard, elle indique que Comap faisait couramment appel, de manière autonome, à d’importants emprunts externes à court et à moyen terme. Une telle autonomie de Comap se vérifierait également en matière de crédit-bail.

41      Ensuite, la requérante reproche à la Commission d’avoir considéré que, en vertu de l’obligation de bonne gouvernance incombant aux sociétés cotées en bourse, elle était tenue de contrôler ses filiales et de veiller à ce que celles-ci n’enfreignent pas les règles en matière d’ententes, ainsi que, en cas d’infraction, de leur donner l’ordre d’y mettre fin. D’après la requérante, conférer une telle responsabilité absolue aux sociétés cotées en bourse serait contraire à l’autonomie juridique et commerciale de la filiale et au principe de la responsabilité personnelle de l’entité économique ayant commis une infraction au droit de la concurrence. Cette approche aboutirait en outre à une différence de traitement injustifiée des sociétés cotées en bourse.

42      S’agissant de son pouvoir de nomination des dirigeants de ses filiales et de sa représentation au conseil d’administration de Comap, la requérante fait valoir qu’il s’agit seulement d’obligations juridiques qui, d’une part, lui sont imposées par le droit des sociétés français et, d’autre part, découlent du lien capitalistique qui l’unissait à sa filiale.

43      Concernant la prétendue existence d’un management commun, la requérante affirme que, en réalité, elle n’a exercé aucune influence sur sa filiale. Au sein des conseils d’administration et lors des assemblées générales de Comap, les représentants de la requérante étant rarement présents, des représentants de Comap auraient été dûment mandatés pour les remplacer et prendre des décisions sans limitation de liberté de vote.

44      La requérante soutient que la politique commerciale de Comap n’a jamais été discutée lors des réunions de son directoire ni lors des réunions de son conseil de surveillance. Si la requérante concède qu’un point relatif à l’activité régulière de Comap aurait été présenté aux membres de son directoire sur la base des éléments financiers généraux de cette filiale, la stratégie commerciale de cette dernière n’aurait pas été décidée à ce niveau.

45      La requérante souligne que la Commission se réfère à plusieurs comptes rendus de réunions de son directoire pour démontrer que la stratégie commerciale de Comap y avait été discutée. À cet égard, la requérante conteste la conclusion qu’en a tirée la Commission et fait valoir qu’il ne s’agit que de simples références faites aux activités de Comap. D’après elle, cela est tout à fait normal, car un groupe coté en bourse doit communiquer de manière régulière au marché l’état général des activités de ses filiales.

46      La Commission rétorque que la requérante n’est pas parvenue à démontrer la « totale autonomie » de sa filiale comme l’exigerait la jurisprudence. Au contraire, les éléments de preuve présentés par la requérante montreraient un intérêt réel de celle-ci concernant la gestion et les choix de sa filiale.

 Appréciation du Tribunal

47      En l’espèce, il est constant que la requérante détenait la quasi-totalité du capital de Comap durant la période de l’infraction et que la présomption simple selon laquelle une société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale s’applique. C’est sur le fondement de cette présomption que la Commission a considéré que la requérante était, en sa qualité de société mère, solidairement responsable des activités de sa filiale pour la durée de l’infraction. Dans ces conditions, il incombe à la requérante de renverser cette présomption par des éléments de preuve suffisants. À défaut, l’exercice d’un contrôle est démontré par le fait que la présomption tirée de la détention de la totalité du capital n’a pas été renversée (voir, en ce sens, arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, point 35 supra, points 60 à 62).

48      À cet égard, il convient de préciser que les obligations juridiques imposées par le droit des sociétés applicable ainsi que celles qui découlent du lien capitalistique ne sont pas pertinentes pour renverser ladite présomption, sauf si cette législation nationale empêche une société mère d’exercer pleinement un contrôle effectif sur sa filiale.

49      S’agissant des arguments selon lesquels, premièrement, la requérante ne serait qu’un holding financier, caractérisée par une culture d’entreprise fondée sur la délégation de pouvoirs à ses filiales et, deuxièmement, son activité serait concentrée sur les implications de sa cotation en bourse, il y lieu de relever qu’ils ne sont pas non plus de nature à renverser la présomption.

50      Premièrement, le fait que la requérante considère ses propres activités comme étant de l’ordre d’un simple investissement financier n’est pas susceptible de renverser la présomption, cette dernière étant étayée par des constatations factuelles indiquant une influence déterminante de la requérante sur les activités de Comap.

51      Deuxièmement, rien ne distingue en principe un holding des autres sociétés mères aux fins de l’appréciation d’une telle présomption dans le cadre de l’examen de l’imputabilité à celui-ci du comportement infractionnel de sa filiale. La notion d’entreprise est une notion fonctionnelle, qui englobe également les holdings. En effet, si la notion de holding recouvre des situations variées, elle peut, de manière générale, être définie comme une société qui détient des participations dans une ou plusieurs sociétés en vue de les contrôler (arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T‑69/04, Rec. p. II‑2567, point 60).

52      Dès lors, l’argument selon lequel la requérante n’aurait qu’un intérêt financier, car elle définissait seulement les grands équilibres budgétaires de ses filiales, est inopérant.

53      Troisièmement, l’application au sein d’un holding d’un modèle d’organisation fondé sur une philosophie de délégation maximale aux filiales ne constitue pas un élément de preuve susceptible de démontrer l’autonomie de ces dernières. Au contraire, l’introduction et l’application d’une telle stratégie ou de toute autre stratégie de management attestent plutôt l’existence d’un pouvoir de contrôle effectif du holding sur ses filiales. En tout état de cause, la délégation de l’autorité à la direction des filiales à 100 % est une pratique fréquemment utilisée et de ce fait ne prouve pas l’autonomie réelle des filiales.

54      En outre, il convient de constater que le fait que la requérante est cotée en bourse n’a aucune importance, étant donné qu’il ne s’agit pas d’un élément pertinent dans le cadre de l’examen de l’imputabilité du comportement infractionnel d’une entreprise en droit de la concurrence. En tout état de cause, il y a lieu de relever, à l’instar de la Commission, que la circonstance qu’une société mère est une société cotée en bourse rend hautement improbable son désintérêt à l’égard des activités de ses filiales contrôlées à 100 %. Le critère déterminant pour examiner si une entreprise peut être tenue responsable en tant que société mère pour des comportements infractionnels de sa filiale est l’existence d’un contrôle effectif sur sa filiale lui permettant d’influencer le comportement de cette dernière.

55      S’agissant des ressources humaines limitées au niveau du holding, à supposer qu’un tel argument puisse être pertinent, il y a lieu de constater que la requérante n’a présenté aucun élément concret démontrant qu’il lui était impossible d’exercer un contrôle effectif sur sa filiale avec le nombre de personnes effectivement employées au niveau du holding.

56      S’agissant de l’argument tiré du « mauvais accueil » réservé aux conclusions du rapport, du 8 février 1991, rédigé par un consultant externe et présenté par la requérante afin de démontrer l’absence de l’exercice d’un pouvoir effectif sur sa filiale, il y a lieu de relever que le raisonnement sous-jacent à cet argument pourrait être pertinent. Toutefois, il y a lieu de constater que ce rapport ainsi que les débats dont il a fait l’objet lors de la « convention de Courchevel », qui a réuni les cadres des filiales de Legris, ne démontrent pas non plus l’absence d’exercice par la requérante d’un contrôle effectif sur la politique commerciale de ses filiales. Au contraire, le souhait de la requérante de faire établir un tel rapport par un consultant externe et l’existence même de ce rapport tendent plutôt à démontrer l’intérêt que porte celle-ci à la gestion et aux activités de ses filiales.

57      De plus, contrairement à ce que prétend la requérante, la lettre de M. J. (Legris) à M. B. (Comap), en date du 11 janvier 1988, conforte l’existence de l’exercice d’un pouvoir effectif de Legris sur sa filiale, en ce sens que, dans cette lettre, il est fait état non seulement de la mise en œuvre d’une stratégie de groupe, mais aussi de la mise en place de contrôles, certes peu nombreux, mais portant sur des points essentiels de l’activité du groupe, ainsi que de la supervision, par Legris, du recrutement des cadres de direction des filiales, dont Comap. M. J. mentionne également d’autres mesures, destinées à s’assurer de la conformité des choix fondamentaux effectués par les filiales avec les objectifs du groupe.

58      À supposer même que la requérante ne soit intervenue à aucun moment dans le processus d’élaboration des tarifs de sa filiale en matière de raccords tel qu’il est visé dans la décision attaquée, cela ne constitue pas un élément de preuve susceptible de démontrer l’autonomie de cette dernière. En effet, l’imputation du comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère ne nécessite pas de prouver que ladite société mère a été directement impliquée dans les comportements incriminés ou qu’elle en a eu connaissance (arrêt du Tribunal du 30 avril 2009, Itochu/Commission, T‑12/03, Rec. p. II‑883, point 58).

59      Par ailleurs, comme la Commission l’a relevé au considérant 670 de la décision attaquée, il existait des relations croisées dans la gestion des deux sociétés. En outre, il ressort du dossier que, dans des réunions portant sur des questions financières, la stratégie commerciale de Comap a également été abordée.

60      Enfin, les arguments relatifs à la manière dont Comap établissait son budget et ses financements ne permettent pas non plus de conclure que la requérante n’avait pas exercé effectivement de contrôle sur ses filiales.

61      Il s’ensuit que la requérante n’a pas renversé, par des éléments de preuve suffisants, la présomption selon laquelle elle exerçait effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale.

62      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le présent recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

63      En vertu de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Legris Industries SA est condamnée aux dépens.

Martins Ribeiro

Wahl

Dittrich

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 mars 2011.

Signatures


* Langue de procédure : le français.