Language of document : ECLI:EU:T:2011:554

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

30 septembre 2011 (*)

« Référé – Rejet d’une demande de défense de l’immunité d’un membre du Parlement européen – Demande de sursis à exécution – Irrecevabilité»

Dans l’affaire T‑347/11 R,

Bruno Gollnisch, demeurant à Limonest (France), représenté par Me G. Dubois, avocat,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. R. Passos, D. Moore et Mme K. Zejdová, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision du Parlement européen du 10 mai 2011 de ne pas défendre l’immunité et les privilèges du requérant,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

1        Aux termes du chapitre III du protocole (nº 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 266, ci-après le « protocole ») :

« Membres du Parlement européen

Article 8

Les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions.

Article 9

Pendant la durée des sessions du Parlement européen, les membres de celui-ci bénéficient :

a)      sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays,

b)      sur le territoire de tout autre État membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire.

L’immunité les couvre également lorsqu’ils se rendent au lieu de réunion du Parlement européen ou en reviennent.

L’immunité ne peut être invoquée dans le cas de flagrant délit et ne peut non plus mettre obstacle au droit du Parlement européen de lever l’immunité d’un de ses membres. »

2        L’article 6, intitulé « Levée de l’immunité », du règlement intérieur du Parlement européen est rédigé comme suit :

« 1.      Dans l’exercice de ses pouvoirs relatifs aux privilèges et aux immunités, le Parlement vise avant tout à conserver son intégrité en tant qu’assemblée législative démocratique et à assurer l’indépendance des députés dans l’accomplissement de leurs tâches.

2.      Toute demande adressée au Président par une autorité compétente d’un État membre en vue de lever l’immunité d’un député est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente.

3.      Toute demande adressée au Président par un député […] en vue de défendre l’immunité et les privilèges est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente.

[…] »

3        L’article 7, intitulé « Procédures relatives à l’immunité », du règlement intérieur du Parlement européen dispose :

« 1.      La commission compétente examine sans délai […] les demandes […] de défense de l’immunité et des privilèges.

2.      La commission présente une proposition de décision motivée qui recommande l’adoption ou le rejet de la demande […] de défense de l’immunité et des privilèges.

3.      La commission peut demander à l’autorité intéressée de lui fournir toutes informations et précisions qu’elle estime nécessaires pour déterminer s’il convient […] de défendre l’immunité. Les députés concernés se voient offrir la possibilité de s’expliquer ; ils peuvent présenter autant de documents et d’éléments d’appréciation écrits qu’ils jugent pertinents […]

[…]

8.      Le rapport de la commission est inscrit d’office en tête de l’ordre du jour de la première séance suivant son dépôt […]

Après examen par le Parlement, il est procédé à un vote séparé sur chacune des propositions contenues dans le rapport […]

9.      Le Président communique immédiatement la décision du Parlement au député concerné et à l’autorité compétente de l’État membre intéressé […] »

 Antécédents du litige et procédure

4        Le requérant, M. Bruno Gollnisch, est député au Parlement européen.

5        Par lettre du 10 juin 2010, le requérant s’est adressé au président du Parlement pour demander la défense de son immunité parlementaire en raison d’une enquête judiciaire ouverte contre lui, en janvier 2009, au tribunal de grande instance de Lyon (France), à la suite d’une plainte déposée par la ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme. Cette plainte dénonçait une infraction présumée d’incitation à la haine raciale du fait de la publication, en octobre 2008, d’un communiqué de presse du groupe du Front national à la Région Rhône-Alpes, groupe dont le requérant était président.

6        Dans le cadre de ladite enquête judiciaire, un juge d’instruction avait essayé, en vain, de convoquer le requérant afin de l’entendre au sujet des allégations formulées dans la plainte en question. Le requérant s’étant refusé à donner suite tant à un mandat de comparution qu’à un mandat d’amener, en invoquant son immunité en tant que député européen, les autorités judiciaires françaises ont, en novembre 2010, transmis au président du Parlement une demande de levée de l’immunité du requérant, aux fins de poursuivre l’enquête judiciaire.

7        La demande du requérant visant à obtenir la défense de son immunité parlementaire ainsi que celle visant à en obtenir la levée ayant été renvoyées à la commission des affaires juridiques du Parlement, cette dernière a émis, en avril 2011, deux propositions de décision du Parlement qui recommandent, d’une part, de ne pas défendre l’immunité du requérant et, d’autre part, de faire droit à la demande de levée de l’immunité. En conséquence, lors de sa séance plénière du 10 mai 2011, le Parlement a adopté la décision de ne pas défendre l’immunité et les privilèges du requérant (ci-après la « décision attaquée »). À cette même date, il a adopté la décision portant levée de l’immunité du requérant.

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 juillet 2011, le requérant a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée et à la condamnation du Parlement au versement, d’une part, d’une somme de 8 000 euros en réparation du préjudice moral supposément subi et, d’autre part, d’une somme de 4 000 euros au titre des dépens. À l’appui de son recours, il invoque, en substance, une méconnaissance de l’article 9 du protocole, une atteinte à l’indépendance des députés et une violation de ses droits de la défense.

9        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit la présente demande en référé, dans laquelle il conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal de surseoir à l’exécution de la décision attaquée.

10      Dans ses observations écrites, déposées au greffe du Tribunal le 26 juillet 2011, le Parlement conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

11      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions, organes et organismes de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un tel acte ou prescrire des mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

12      En outre, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

13      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

14      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

15      En l’occurrence, il convient d’examiner d’emblée la recevabilité de la demande en référé en ce qu’elle vise à obtenir le sursis à l’exécution de la décision attaquée.

16      À cet égard, force est de constater que le Parlement se limite, dans la décision attaquée, à énoncer qu’il ne défendra pas l’immunité et les privilèges du requérant. Il s’agit donc d’une décision de refus, qui présente, comme telle, un caractère purement négatif.

17      Or, selon une jurisprudence constante, en principe, une demande de sursis à l’exécution d’une décision négative ne se conçoit pas, l’octroi d’un tel sursis ne pouvant avoir pour effet de modifier la situation du requérant [ordonnances du président de la deuxième chambre de la Cour du 31 juillet 1989, S/Commission, C‑206/89 R, Rec. p. 2841, point 14, et du président de la Cour du 30 avril 1997, Moccia Irme/Commission, C‑89/97 P(R), Rec. p. I‑2327, point 45 ; ordonnance du président du Tribunal du 16 janvier 2004, Arizona Chemical e.a./Commission, T‑369/03 R, Rec. p. II‑205, point 62], alors que le requérant doit justifier d’un intérêt à l’obtention du sursis sollicité, un tel intérêt supposant que ledit sursis soit susceptible, par lui-même, d’avoir des conséquences juridiques ou de procurer, par son résultat, un bénéfice direct au requérant (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 57 ; du 12 mai 2006, Gollnisch/Parlement, T‑42/06 R, non publiée au Recueil, point 28, et arrêt du Tribunal du 28 septembre 2004, MCI/Commission, T‑310/00, Rec. p. II‑3253, point 44, et la jurisprudence citée).

18      En l’espèce, le sursis à l’exécution de la décision attaquée, refusant de défendre l’immunité du requérant, ne serait d’aucune utilité pratique pour celui-ci, dans la mesure où ce sursis ne pourrait tenir lieu de décision positive faisant droit à sa demande visant à obtenir une telle défense et n’aurait pas non plus pour effet direct d’obliger le Parlement à défendre son immunité (voir, en ce sens, ordonnance Gollnisch/Parlement, précitée, point 31).

19      Enfin, pour autant qu’il faille interpréter la demande en référé en ce sens que le requérant vise à obtenir du juge des référés qu’il enjoigne au Parlement d’accorder la défense de son immunité, une telle mesure constituerait une méconnaissance du système de répartition des compétences établi à l’article 266 TFUE, en vertu duquel le Parlement est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt ayant annulé la décision attaquée (voir, en ce sens, ordonnance Arizona Chemical e.a./Commission, précitée, point 67). En effet, le juge de l’Union ne peut se substituer au Parlement pour prendre, dans ce contexte, des décisions en lieu et place de celui-ci (voir, par analogie, ordonnance de la Cour du 5 octobre 1969, Allemagne/Commission, 50/69 R, Rec. p. 449, 451).

20      Il s’ensuit que le requérant n’a pas démontré qu’il ait intérêt à obtenir le sursis à l’exécution de la décision attaquée.

21      À titre surabondant, il convient d’ajouter que le requérant n’a pas établi que l’octroi du sursis à exécution serait urgent en ce sens qu’il serait nécessaire pour éviter un préjudice grave et irréparable à ses intérêts, ainsi qu’il a été jugé dans l’ordonnance du président du Tribunal du 30 septembre 2011, Gollnisch/Parlement (T‑346/11 R, non publiée au Recueil, points 16 à 27), ayant pour objet une demande en référé essentiellement identique à la présente demande.

22      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 30 septembre 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


*Langue de procédure : le français