Language of document : ECLI:EU:C:1999:276

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN MISCHO

présentées le 3 juin 1999 (1)

Affaire C-329/97

Sezgin Ergat

contre

Stadt Ulm

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne)]

«Accord d'association CEE-Turquie — Libre circulation des travailleurs — Article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 du conseil d'association — Membre de la famille d'un travailleur — Prorogation du permis de séjour — Notion de résidence régulière — Demande de renouvellement d'un permis de séjour temporaire déposée après l'expiration de sa validité»

1.
    Le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne) nous interroge, par la voie préjudicielle, sur la question de savoir si un ressortissant turc, qui a demandé la prolongation de son permis de séjour 26 jours après l'expiration de la validité de ce dernier, remplit toujours les conditions de l'article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 du conseil d'association CEE-Turquie, du 19 septembre 1980 (non publiée, ci-après la «décision n° 1/80»), lorsque les autorités nationales ont refusé la prolongation dudit permis.

2.
    Cette disposition est libellée comme suit:

«Les membres de la famille d'un travailleur turc appartenant au marché régulier de l'emploi d'un État membre, qui ont été autorisés à le rejoindre:

—    ont le droit de répondre — sous réserve de la priorité à assurer aux travailleurs des États membres de la Communauté — à toute offre d'emploi lorsqu'ils y résident régulièrement depuis trois ans au moins;

—    y bénéficient du libre accès à toute activité salariée de leur choix lorsqu'ils y résident régulièrement depuis cinq ans au moins.»

Les antécédents du litige au principal

3.
    En octobre 1975, M. Ergat, ressortissant turc né en 1967, a rejoint ses parents en Allemagne, où ceux-ci exerçaient chacun une activité salariée. Sa mère y a encore la qualité de travailleur, tandis que son père est au chômage depuis 1994.

4.
    En 1986, M. Ergat a épousé en Turquie une ressortissante turque, qui vit dans ce pays avec l'enfant né de ce mariage.

5.
    Depuis 1983, l'intéressé a été titulaire de permis de travail à durée déterminée et il a été employé, avec certaines interruptions, auprès de différents employeurs. Le 19 décembre 1989, il a obtenu un permis de travail pour une durée illimitée.

6.
    Lors de son entrée sur le territoire allemand, M. Ergat ne devait pas, en vertu du droit applicable à cette époque, disposer d'un permis de séjour. A la suite d'une demande du 29 avril 1983, il s'est vu délivrer un permis de séjour expirant le 1er avril 1984. Ce permis a d'abord été prorogé jusqu'au 1er avril 1985 et ensuite, sur la base d'une demande datée du 9 avril 1985, jusqu'au 1er avril 1987. A la suite d'une nouvelle demande de M. Ergat en date du 15 avril 1987, son permis de séjour a été prorogé jusqu'au 1er avril 1989, puis, à la suite d'une demande du 20 avril 1989, jusqu'au 28 juin 1991.

7.
    Par un formulaire signé le 10 juin 1991, mais déposé au service des étrangers compétent seulement le 24 juillet suivant, M. Ergat a sollicité une nouvelle prorogation de son permis de séjour.

8.
    Le 22 janvier 1992, ce service a rejeté la demande de M. Ergat, au motif que celle-ci avait été déposée 26 jours après l'expiration de la validité du dernier titre de séjour de l'intéressé. En outre, il a exigé le départ de M. Ergat et a menacé de l'expulser, parce que la loi allemande sur le séjour des étrangers s'opposait à la prorogation de son titre de séjour.

9.
    A l'encontre de cette décision, M. Ergat a introduit, le 17 mars 1992, un recours administratif, qui a été rejeté le 4 mai 1992 par le Regierungspräsidium Tübingen.

10.
    M. Ergat était retourné en Turquie au mois d'août 1992, pour ne rentrer qu'à l'automne 1993 en Allemagne. Selon ses dires, il y exerce de nouveau un emploi depuis le mois de juin 1994.

11.
    Le requérant a introduit un recours juridictionnel contre les décisions des 22 janvier et 4 mai 1992. Par jugement du 11 avril 1994, le Verwaltungsgericht Sigmaringen a annulé les décisions entreprises et enjoint à la Stadt Ulm de prolonger le permis de séjour de M. Ergat pour une durée illimitée. Ce jugement a été, sur appel de la Stadt Ulm, infirmé par le Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, par un arrêt du 7 décembre 1995.

12.
    Par la suite, M. Ergat a introduit un recours en «Revision» devant le Bundesverwaltungsgericht, en faisant valoir qu'il pouvait prétendre à la prolongation de son permis de séjour sur le fondement, notamment, de l'article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80. Le fait que, faute d'avoir toujours présenté en temps utile sa demande de renouvellement, il n'a pas en permanence séjourné légalement en Allemagne serait sans importance du fait que les prorogations sollicitées lui auraient été accordées. Il aurait gardé sa résidence en Allemagne et y serait resté régulièrement.

13.
    Selon le Bundesverwaltungsgericht, aucune disposition du droit allemand ne permet de proroger le titre de séjour de M. Ergat. Cette juridiction se demande cependant si ce dernier ne pourrait pas fonder un droit de séjour sur la décision n° 1/80.

14.
    Dans ce contexte, le Bundesverwaltungsgericht estime que le refus de prorogation du permis de séjour de M. Ergat ne saurait, malgré six actes délictueux commis par celui-ci, être justifié au titre de l'article 14, paragraphe 1, de la décision n° 1/80, qui prévoit que les dispositions de la section portant sur les questions relatives à l'emploi et à la libre circulation des travailleurs «sont appliquées sous réserve des limitations justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité et de santé publiques». Comme pour les ressortissants des États membres, l'ordre public

ne pourrait être invoqué qu'en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société. Or, en l'occurrence, les infractions commises par M. Ergat n'auraient pas été particulièrement graves et auraient toutes été réprimées par des amendes qui, dans la très grande majorité des cas, auraient, par ailleurs, été d'un montant réduit.

15.
    De l'avis du Bundesverwaltungsgericht, M. Ergat ne peut tirer aucun droit de l'article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1/80 qui dispose:

«Sous réserve des dispositions de l'article 7 relatif au libre accès à l'emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l'emploi d'un État membre:

—    a droit, dans cet État membre, après un an d'emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s'il dispose d'un emploi;

—    a le droit, dans cet État membre, après trois ans d'emploi régulier et sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, de répondre dans la même profession auprès d'un employeur de son choix à une autre offre, faite à des conditions normales, enregistrée auprès des services de l'emploi de cet État membre;

—    bénéficie, dans cet État membre, après quatre ans d'emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix.»

16.
    En effet, selon la juridiction de renvoi, M. Ergat ne remplit pas les conditions prévues par cette disposition. Ainsi, à la date de la demande litigieuse, M. Ergat n'aurait pas occupé un emploi régulier auprès du même employeur depuis au moins un an et, s'agissant de l'emploi exercé après l'expiration de son dernier permis de séjour, l'intéressé ne se serait pas trouvé dans une situation stable et non précaire sur le marché du travail, puisque cette activité n'aurait pas été couverte par un titre de séjour valable.

17.
    Le Bundesverwaltungsgericht se demande, cependant, si M. Ergat ne peut pas, en l'occurrence, se fonder sur l'article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 pour obtenir la prolongation de son permis de séjour en Allemagne.

18.
    Le fait que, au moment de l'expiration du dernier permis de séjour, le requérant était majeur ne s'opposerait pas à l'application de l'article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80, étant donné que cette décision ne prévoit pas de limite d'âge pour la possession de la qualité de membre de la famille d'un travailleur turc.

19.
    Il résulterait, par ailleurs, de l'arrêt Kadiman (2) que cette disposition a un effet direct.

20.
    En l'espèce, il importerait de décider si M. Ergat remplit la condition de résidence régulière dans l'État membre d'accueil énoncée à l'article 7, premier alinéa. Cette condition s'apprécierait selon le droit national qui, en Allemagne, exigerait une autorisation de séjour. Or, le permis de séjour délivré à M. Ergat aurait expiré le 28 juin 1991 et n'aurait plus été renouvelé.

21.
    Il serait vrai qu'il ressortirait de l'arrêt susmentionné que les droits résultant de l'article 7, premier alinéa, sont reconnus aux intéressés, indépendamment de la délivrance par les autorités de l'État membre d'accueil d'un document administratif spécifique, tel un permis de séjour.

22.
    La juridiction de renvoi estime que cette conclusion signifie que, si le droit national exige un permis de séjour, l'article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 peut en être le fondement juridique matériel. Elle ne signifierait pas, en revanche, que l'intéressé n'aurait pas besoin d'une autorisation de séjour ou que celle-ci ne devrait être que déclaratoire. Si, comme en l'espèce, la résidence régulière est la condition pour que naisse un droit tiré de l'article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80, elle ne pourrait pas être fondée sur une situation juridique qui ne fait que découler de l'existence du droit.

23.
    C'est manifestement sur cette considération que se fonderait la Cour de justice des Communautés européennes. Elle aurait jugé (3), en effet, que, pour les besoins de l'article 7, premier alinéa, il faut tenir compte de la période pendant laquelle la personne concernée n'était pas en possession d'un titre de séjour valable, lorsque les autorités compétentes de l'État membre d'accueil n'ont pas mis en cause, pour ce motif, la régularité de la résidence de l'intéressé sur le territoire national, mais lui ont, au contraire, délivré un nouveau permis de séjour. Cela ne remettrait toutefois pas en cause, de l'avis du Bundesverwaltungsgericht, l'exigence fondamentale d'une autorisation de séjour. En outre, le renouvellement accordé sans rétroactivité d'une autorisation, qui avait déjà expiré au moment du dépôt de la demande de prorogation, n'aurait plus d'effet sur le caractère irrégulier du séjour précédent non couvert par une autorisation. Enfin, contrairement à la pratique suivie dans l'affaire Kadiman, les autorités compétentes auraient, en l'espèce, refusé d'accorder à M. Ergat une nouvelle prolongation de son permis de séjour.

24.
    Dans ces conditions, il ne serait pas clair que l'article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 présuppose que le membre de la famille d'un travailleur turc doive encore avoir sa résidence régulière dans l'État membre d'accueil au moment déterminant pour l'appréciation de la demande de prolongation de son permis de

séjour venu à expiration, ou que cette disposition permette de n'attacher aucune importance à la régularité de la résidence, justifiée par une autorisation de séjour, lorsque l'intéressé possédait encore, quelques semaines auparavant, un titre de séjour valable.

25.
    Dès lors, le Bundesverwaltungsgericht a décidé de nous saisir, en application de l'article 234 CE (ex-article 177), de la question suivante:

«Un ressortissant turc qui, en tant que membre de la famille d'un travailleur turc appartenant au marché régulier de l'emploi, est entré en Allemagne sans devoirdisposer d'un permis de séjour, selon le droit national des étrangers en vigueur lors de son entrée, et qui a été ensuite en possession de permis de séjour, avec des interruptions, qui a demandé la prolongation de son dernier permis de séjour 26 jours cependant après l'expiration de sa validité, remplit-il les conditions de l'article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 du conseil d'association CEE-Turquie relative au développement de l'association qui prévoit que ce ressortissant doit y résider 'régulièrement depuis trois ans au moins‘ (premier tiret) ou y résider 'régulièrement depuis cinq ans au moins‘ (deuxième tiret) lorsque les autorités nationales ont refusé la prolongation?»

Les observations présentées devant la Cour

26.
    Le gouvernement allemand, estimant que les conditions d'application de l'article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 ne sont pas remplies en l'espèce, propose de répondre par la négative à la question de la juridiction de renvoi.

27.
    Cette disposition régirait l'accès au marché du travail des membres de la famille d'un travailleur turc auxquels, selon le droit national, un permis de séjour a été octroyé en vue d'établir et de préserver la communauté de vie familiale avec ledit travailleur turc. De plus, la résidence régulière sur le territoire de l'État d'accueil constituerait une condition préalable pour pouvoir bénéficier de cette disposition et ce seraient les dispositions du droit national qui déterminent quand une résidence est régulière. Or, en l'occurrence, M. Ergat n'aurait plus résidé de manière régulière en Allemagne, puisque son permis de séjour était périmé depuis 26 jours.

28.
    En outre, il résulterait, a contrario, du point 54 de l'arrêt Kadiman, précité, évoqué également par le Bundesverwaltungsgericht, que la Cour estime que la condition de la régularité de la résidence n'est pas remplie lorsque, comme en l'espèce, les autorités compétentes ont refusé de prolonger le permis de séjour de l'intéressé et, en tout état de cause, cette jurisprudence ne pourrait avoir pour conséquence que de régulariser les absences antérieures de résidence régulière de M. Ergat.

29.
    Indépendamment de la question de savoir si un tel effet rétroactif est licite, il ne serait pas suffisant que l'intéressé ait eu, à un certain moment dans le passé, sa résidence régulière dans l'État membre d'accueil, mais il serait, au contraire, décisif que, à la date du dépôt de la demande, le ressortissant turc ait encore une autorisation de séjour et, dès lors, une résidence régulière dans l'État membre d'accueil.

30.
    De l'avis du gouvernement allemand, toute autre interprétation aurait pour résultat que l'article 7, premier alinéa, octroierait aux membres de la famille d'un travailleur turc, après l'expiration de trois ans ou de cinq ans, un droit de séjour indépendant des exigences nationales en matière de titre de séjour.

31.
    Or, une telle conséquence serait contraire aux termes de la disposition en cause, qui prévoit une résidence régulière pendant une période d'«au moins» trois ans ou cinq ans, ainsi qu'à son objectif qui, en vue de favoriser l'intégration des membres de la famille d'un travailleur turc dans l'État membre d'accueil par la création de conditions propices au regroupement familial, lie les droits reconnus à ces personnes à la situation du travailleur turc lui-même; en revanche, un ressortissant turc ne pourrait bénéficier de droits autonomes que s'il remplit les conditions de l'article 6 de la décision n° 1/80, lequel présupposerait également que les exigences du droit national en matière de permis de séjour et de travail aient été respectées.

32.
    De l'avis de la Commission, la question préjudicielle soulève deux problèmes juridiques distincts.

33.
    En premier lieu, il faudrait décider si l'article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 doit être compris en ce sens que, au moment où le membre de la famille d'un travailleur turc invoque cette disposition pour se prévaloir des droits qu'elle lui confère, il faut qu'il y ait encore une résidence régulière et il ne suffit pas que cette résidence ait existé auparavant pendant trois ans ou cinq ans. La Commission estime qu'il y a lieu de répondre par l'affirmative à la question ainsi posée, compte tenu non seulement du libellé de la disposition en cause, qui utilise le présent («résident»), mais également de son esprit et de sa finalité.

34.
    S'il est vrai que, lorsqu'une autorisation de séjour est demandée en temps utile et de manière régulière et que toutes les conditions de l'article 7, premier alinéa, sont réunies, cette disposition fait naître un droit à la délivrance d'un permis de séjour, que l'État membre d'accueil ne saurait refuser au ressortissant turc, cet État pourrait, en revanche, légitimement exiger qu'un membre de la famille d'un travailleur turc se présente de manière régulière aux autorités nationales compétentes en déclarant une résidence fixe et qu'il conserve une résidence régulière pendant toute la durée de son séjour sur le territoire de l'État concerné. A ce titre, celui-ci serait en droit de prescrire l'obtention d'un titre de séjour dans les formes et selon les règles définies par sa réglementation. Même si cette autorisation n'a qu'un caractère déclaratoire, l'intéressé devrait justifier d'une

résidence régulière et conserver celle-ci, sous peine de ne plus répondre aux conditions de l'article 7, premier alinéa. Cette interprétation stricte de la disposition en cause se justifierait par l'intérêt légitime des États membres à s'assurer que les étrangers présents sur leur territoire se conforment à la réglementation nationale pertinente et, en particulier, continuent à y résider de manière régulière.

35.
    Or, en l'espèce au principal, M. Ergat aurait lui-même rompu la chaîne des droits conférés par l'article 7, premier alinéa, en ne demandant pas en temps utile, sans excuse valable, la prolongation de son permis de séjour en Allemagne, de sorte que, par son comportement négligent, il aurait, en principe, perdu le droit de séjour dont il disposait en Allemagne jusqu'au 28 juin 1991.

36.
    En second lieu, toutefois, il importerait de déterminer si, au vu du dépassement minime de moins d'un mois du séjour autorisé jusqu'à la nouvelle demande, et compte tenu du fait que M. Ergat aurait pu prétendre à une prolongation de son titre de séjour s'il avait présenté sa demande en temps utile, le refus opposé en l'occurrence par les autorités allemandes est conforme au principe de proportionnalité. En effet, le manquement du requérant au principal semblerait sans gravité, alors que sa conséquence juridique, à savoir l'expulsion de l'État membre d'accueil, serait considérable.

37.
    Selon la Commission, l'application du principe de proportionnalité suppose que toutes les circonstances pertinentes de l'affaire soient prises en compte de manière appropriée.

38.
    Elle conclut que, compte tenu du caractère minime du retard en cause dans la présente affaire, et eu égard au fait que d'autres demandes tardives n'ont pas amené les autorités compétentes à refuser la prolongation du titre de séjour sollicitée par M. Ergat, l'absence de résidence régulière, au sens de l'article 7, premier alinéa, invoquée actuellement par ces mêmes autorités n'est pas suffisante pour motiver le refus d'un nouveau permis de séjour. Dans un cas de cette nature, les impératifs de l'ordre public ne l'emporteraient pas sur les intérêts du ressortissant turc concerné, pour autant que ce dernier n'ait pas été dûment averti dans le passé des conséquences pouvant résulter du dépôt tardif des demandes de renouvellement de son autorisation de séjour.

39.
    Selon le gouvernement français, il résulte de l'arrêt Kadiman, précité, que les États membres sont restés compétents pour déterminer les conditions d'entrée, de séjour et d'accès au marché de l'emploi des ressortissants turcs sur leur territoire, sous réserve de respecter l'esprit et la finalité de la décision n° 1/80.

40.
    Toutefois, s'agissant de la limitation de la durée de validité du titre de séjour du membre de la famille du travailleur turc dans l'État membre d'accueil, la Cour y aurait également jugé que les droits conférés par l'article 7, premier alinéa, aux membres de la famille du travailleur turc sont reconnus par cette disposition à leurs

bénéficiaires, indépendamment de la délivrance par les autorités de l'État membre d'accueil d'un document administratif spécifique, tel un permis de séjour.

41.
    Le gouvernement français considère que l'interprétation de ce dernier point est déterminante pour la solution de la présente affaire, qui porterait sur le point de savoir si la circonstance que le permis de séjour de M. Ergat était venu à expiration au moment où il a introduit une demande de prolongation de celui-ci lui fait perdre le bénéfice des droits conférés par l'article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80.

42.
    En l'espèce, les autorités allemandes interpréteraient de manière restrictive, les conditions du séjour en Allemagne et considéreraient que l'expiration du permis de séjour de M. Ergat le met en situation irrégulière au regard de la législation nationale applicable aux étrangers, de sorte que l'intéressé ne serait plus en mesure de se prévaloir de l'article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80.

43.
    Or, estime le gouvernement français, le pouvoir d'appréciation dont bénéficient les États membres en la matière ne saurait remettre en cause l'effet utile de la décision n° 1/80 et il conviendrait de tenir compte de la situation de M. Ergat qui a été autorisé à entrer en Allemagne au titre du regroupement familial, y a résidé régulièrement pendant seize ans et a bénéficié depuis 1989 d'un permis de travail d'une durée illimitée. Dans ces conditions, l'application restrictive faite par les autorités allemandes paraîtrait aller au-delà du but recherché par l'accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, signé à Ankara le 12 septembre 1963.

44.
    Il appartiendrait, par conséquent, au juge national d'apprécier si les autorités allemandes ont, en l'espèce, fait usage de leur compétence en matière d'entrée et de séjour des ressortissants turcs sur leur territoire sans porter atteinte à l'effet utile de la décision n° 1/80.

Appréciation

45.
    Le Bundesverwaltungsgericht se demande, en substance, si l'enfant d'un travailleur migrant turc perd les droits qu'il a pu acquérir au titre de l'article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 lorsqu'il a cessé, pendant quelque temps, d'être en possession d'un permis de séjour valide.

46.
    La juridiction nationale estime que l'arrêt Kadiman, précité, «ne répond pas à la question de savoir si la réglementation en cause présuppose que le membre de la famille doive encore avoir sa résidence régulière au moment déterminant pour l'appréciation de la demande de prolongation de son permis de séjour qui est venu à expiration ou si le droit de l'association ne tient pas compte de la régularité de la résidence lorsque l'étranger possédait encore quelques semaines auparavant une autorisation de séjour».

47.
    Essayons, d'abord, de restituer la question posée dans le contexte général des droits du travailleur migrant turc et de sa famille. Dans l'arrêt Sevince (4), vous avez constaté que les dispositions de l'article 6, paragraphe 1, troisième tiret, de la décision n° 1/80 «se bornent à régler la situation du travailleur turc sur le plan de l'emploi, sans se référer à sa situation au regard du droit de séjour».

48.
    Dans le même arrêt, vous avez rappelé la clause de stand-still de l'article 13 de la décision n° 1/80, selon laquelle «les États membres de la Communauté et la Turquie ne peuvent introduire de nouvelles restrictions à l'accès à l'emploi des travailleurs et des membres de leur famille qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l'emploi» (5).

49.
    La régularité du séjour et la régularité de l'emploi ne sauraient donc être confondues.

50.
    L'article 7, quant à lui, règle la situation des membres de la famille sur le plan de l'emploi, mais en établissant un lien explicite entre le droit à l'emploi et la régularité du séjour. En effet, il accorde à ceux des membres de la famille des travailleurs qui «résident régulièrement depuis (6) cinq ans au moins» dans l'État membre d'accueil le «libre accès à toute activité salariée de leur choix».

51.
    Le Bundesverwaltungsgericht estime que l'on peut déduire de l'utilisation du présent dans cette disposition, ainsi que du mot «depuis», que le séjour du membre de la famille doit continuer à être régulier, même à l'expiration de la période de cinq ans.

52.
    Cette interprétation est confirmée par le récent arrêt Akman (7), qui comporte, en son point 50, le passage suivant:

«l'article 7 prévoit le droit de libre accès à l'emploi des ressortissants turcs séjournant légalement dans l'État membre d'accueil, soit au profit des membres de la famille en général, après une certaine période de résidence régulière (8) au titre du regroupement familial avec un travailleur turc (premier alinéa), soit au profit des enfants d'un tel travailleur, sans considération de la période de leur résidence, mais à la suite de l'accomplissement d'une formation dans l'État où l'un des parents a exercé un emploi pendant un certain temps (second alinéa).»

53.
    On est donc en droit de considérer que, au-delà de la période de référence de cinq ans, la résidence du membre de la famille doit continuer à être «régulière».

54.
    Il aurait, d'ailleurs, été incompréhensible que l'enfant d'un travailleur qui a résidé «régulièrement» dans l'État membre d'accueil depuis cinq ans au moins puisse ensuite y résider «irrégulièrement» pour la simple raison qu'il a entre-temps acquis le droit de libre accès à toute activité salariée de son choix.

55.
    Il est vrai que, dans l'arrêt Bozkurt (9), vous avez déclaré que les dispositions de l'article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1/80, «conférant au travailleur turc le droit, après une certaine période d'emploi régulier ... d'accéder librement à toute activité salariée de son choix, impliquent nécessairement, sous peine de priver de tout effet le droit d'accéder au marché de l'emploi et d'exercer un emploi, l'existence d'un droit de séjour dans le chef de l'intéressé».

56.
    En isolant cette phrase de son contexte, on pourrait être tenté de soutenir que le fait d'avoir acquis, à un moment donné, le droit d'accéder librement à toute activité salariée implique automatiquement un droit de séjour illimité.

57.
    Mais ce n'est pas du tout ce qui résulte de la suite de cet arrêt, où l'on peut lire ce qui suit:

«l'article 6 de la décision n° 1/80 couvre la situation de travailleurs turcs actifs ou en incapacité provisoire de travail. En revanche, il ne vise pas la situation d'un ressortissant turc ayant définitivement quitté le marché du travail d'un État membre parce que, par exemple, il a atteint l'âge de la retraite ou, comme en l'espèce, il est atteint d'une incapacité totale et permanente de travail (10).

En conséquence, à défaut d'une disposition spécifique reconnaissant aux travailleurs turcs le droit de demeurer sur le territoire d'un État membre après y avoir exercé un emploi, le droit de séjour du ressortissant turc tel qu'il est garanti, implicitement mais nécessairement, par l'article 6 de la décision n° 1/80, en tant que corollaire de l'exercice d'un emploi régulier, disparaît si l'intéressé est victime d'une incapacité de travail totale et permanente.

Il convient d'ailleurs de noter que, en ce qui concerne les travailleurs communautaires, les conditions dans lesquelles un tel droit de demeurer peut être exercé étaient subordonnées, conformément à l'article 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE), paragraphe 3, sous d), à l'adoption d'un règlement par la Commission, de sorte qu'il n'est pas possible de transposer sans

plus aux travailleurs turcs le régime applicable au titre de l'article 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE)» (11).

58.
    Il est donc clair que le droit de séjour dont bénéficie l'intéressé n'est ni inconditionnel ni illimité dans le temps.

59.
    Certes, l'arrêt Bozkurt, précité, concerne l'article 6, alors qu'en l'espèce est en cause l'article 7. Mais, étant donné que ces deux dispositions ont le même objet, à savoir réglementer les conditions dans lesquelles un ressortissant turc peut prétendre à un droit au travail dans l'État membre d'accueil, il me semble que ce qui vaut pour l'article 6 vaut, mutatis mutandis, pour l'article 7.

60.
    A mon avis, l'arrêt Kadiman, précité, n'a pas mis en cause les conclusions concernant le droit de séjour auxquelles est parvenue la jurisprudence de la Cour dans le cadre de l'article 6, même si l'on y trouve une formule qui pourrait sembler aller en sens contraire.

61.
    En effet, son point 51 énonce que:

«S'agissant de la limitation de la durée de validité du titre de séjour du membre de la famille du travailleur turc dans l'État membre d'accueil, il convient de relever que, s'il est vrai que les États membres restent compétents pour prévoir les conditions auxquelles ce membre de la famille peut entrer sur leur territoire et y séjourner jusqu'au moment où il a le droit de répondre à toute offre d'emploi (12) ... il n'en reste pas moins que les droits conférés par l'article 7, premier alinéa, aux membres de la famille d'un travailleur turc sont reconnus par cette disposition à leurs bénéficiaires indépendamment de la délivrance par les autorités de l'État membre d'accueil d'un document administratif spécifique, tel un permis de séjour.»

62.
    Dans le passage susmentionné, vous n'avez certainement pas voulu dire que la législation d'un État membre sur le séjour des étrangers cesse de s'appliquer aux membres de la famille d'un travailleur turc une fois que ceux-ci ont obtenu le droit d'accéder à l'emploi salarié de leur choix. Pour autant qu'il aurait pu y avoir une équivoque, celle-ci aurait, en tout état de cause, disparu avec l'arrêt Akman, précité.

63.
    Bien entendu, la législation de l'État membre doit être conforme au droit communautaire, et notamment à la décision n° 1/80, c'est-à-dire ne pas retirer aux membres de la famille des droits qu'ils tirent directement du droit communautaire.

64.
    Mais cette législation peut prévoir, sans être en opposition avec la décision n° 1/80, que, dans certaines circonstances, l'enfant du travailleur turc ne peut plus rester dans l'État membre d'accueil.

65.
    Tel peut être, notamment, le cas lorsque:

—    il se trouve dans une situation de chômage volontaire prolongé (13);

—    il était reparti dans son pays d'origine pendant une longue durée (14);

—    il a fait l'objet d'un décision d'expulsion pour atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique ou à la santé publique au titre de l'article 14 de la décision n° 1/80.

66.
    On doit, en effet, sous peine de bouleverser complètement l'économie de la décision n° 1/80, considérer que, une fois que l'enfant majeur a atteint le stade où il peut accéder librement à tout emploi salarié, il est soumis aux mêmes règles que le travailleur turc qui est venu résider dans un État membre à l'âge adulte.

67.
    Notons, en passant, que l'article 12 de la décision n° 1/80 donne à un État membre le droit de ne pas appliquer automatiquement les dispositions des articles 6 et 7 lorsqu'il subit, ou est menacé de subir, des perturbations graves sur son marché de l'emploi pouvant entraîner des risques graves pour le niveau de vie ou l'emploi dans une région, branche d'activité ou profession. L'État doit, dans ce cas, informer le conseil d'association de cette restriction temporaire. Cette disposition n'a, cependant, pas encore été invoquée.

68.
    Toujours est-il que l'État membre doit avoir le droit de contrôler périodiquement si les travailleurs turcs ou les membres de leur famille ne se trouvent pas dans une des situations visées ci-dessus.

69.
    Ce contrôle peut être opéré à l'occasion de l'expiration des permis de séjour, car, contrairement à ce qui est le cas «des cartes de séjour» des ressortissants communautaires (15), le droit communautaire n'exige pas que les

permis accordés aux travailleurs turcs et aux membres de leur famille soient renouvelés automatiquement après cinq ans.

70.
    On ne saurait pas davantage contester que c'est au travailleur ou au membre de la famille de celui-ci qu'il appartient de prendre l'initiative de demander la prolongation de son permis de séjour.

71.
    Reste à savoir quelles conséquences peuvent être tirées du fait qu'un travailleur a cessé d'être en possession d'un tel permis de séjour pour ne pas en avoir demandé à temps le renouvellement et si, dans ce cas, les autorités nationales peuvent lui faire perdre le bénéfice des droits acquis au titre de l'article 7, premier alinéa, en refusant de prolonger son permis de séjour.

72.
    A cette question, le gouvernement allemand et la Commission proposent une réponse particulièrement rigoureuse. En effet, ils estiment que, dans une telle situation, les autorités nationales n'ont aucunement l'obligation d'accorder la prolongation sollicitée. Pour ma part, et après mûre réflexion, j'estime que cette conclusion est par trop radicale. Je suis d'avis que la non-possession d'un permis de séjour, lorsqu'elle résulte d'un retard dans la présentation de la demande de renouvellement et lorsque le permis de séjour aurait dû être accordé s'il avait été demandé à temps, ne saurait justifier l'expulsion du travailleur.

73.
    Certes, ce dernier n'est plus, stricto sensu, en situation de «résidence régulière». Mais serait-il pour autant raisonnable de le traiter comme un immigré clandestin? Ne doit-on pas distinguer différents degrés dans l'irrégularité d'une situation?

74.
    Ainsi, lors d'un contrôle, la police peut constater qu'un conducteur n'est pas en possession d'un permis de conduire. Celui-ci mérite certainement une sanction, mais la sanction pourra être différente selon qu'il n'aura jamais eu de permis de conduire ou qu'il en aura été déchu par une décision judiciaire, d'une part, ou qu'il ne sera plus en possession d'un permis de conduire valable, faute de s'être soumis à l'examen médical que la réglementation lui imposait, en raison de son âge, de subir, d'autre part.

75.
    Il me semble que c'est à une distinction de ce type qu'a fait référence la Cour lorsqu'elle a déclaré, dans l'arrêt Kadiman, précité, que les droits des membres de la famille du travailleur turc «sont reconnus à leurs bénéficiaires indépendamment de la délivrance, par les autorités de l'État membre d'accueil, d'un document administratif spécifique, tel qu'un permis de séjour».

76.
    A mon sens, cette affirmation signifie que l'État membre ne doit pas faire dépendre l'expulsion du ressortissant turc du fait qu'il possède ou non un permis de séjour en cours de validité, mais la lier à la réalisation, ou non, d'une des

situations qui font disparaître le fondement même du droit de séjour, énumérées ci-dessus.

77.
    Expulser un travailleur en raison du retard avec lequel il a présenté sa demande reviendrait aussi à mettre ce retard sur le même plan qu'une atteinte à l'ordre public ou à la sécurité publique.

78.
    Enfin, le critère proposé ci-dessus peut également s'appuyer sur un raisonnement par analogie, s'inspirant des directives adoptées par le Conseil en ce qui concerne certaines catégories de ressortissants communautaires.

79.
    Je me réfère ici à la directive 90/364/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour (16), qui concerne les ressortissants des États membres qui ne bénéficient pas de ce droit en vertu d'autres dispositions, à la directive 90/365/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour des travailleurssalariés et non salariés ayant cessé leur activité professionnelle (17), ainsi qu'à la directive 93/96/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative au droit de séjour des étudiants (18).

80.
    Toutes ces directives comportent une disposition stipulant que «le droit de séjour demeure tant que les bénéficiaires de ce droit répondent aux conditions prévues à l'article 1er». L'article 1er prévoit, à chaque fois, que les ressortissants doivent bénéficier de ressources financières d'un niveau suffisant pour qu'ils ne deviennent pas, pendant leur séjour, une charge pour l'assistance sociale de l'État membre d'accueil, et être titulaires d'une assurance maladie couvrant l'ensemble des risques dans l'État membre d'accueil.

81.
    Toutes ces directives prévoient également que le droit de séjour est constaté par la délivrance d'un document dénommé «carte de séjour de ressortissant d'un État membre de la CEE», dont la validité peut être limitée à cinq ans et qui est renouvelable.

82.
    Mais, contrairement à ce qui est le cas pour les travailleurs communautaires qui exercent effectivement un emploi salarié, ces directives ne prescrivent pas que ce type de carte de séjour doive être renouvelable automatiquement.

83.
    Ceci s'explique, certainement, par le fait que les personnes relevant de ces catégories n'ont pas le même «droit de séjour» que les travailleurs actifs, qui le

tirent directement de l'article 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE), mais un droit à caractère exceptionnel, lié à des conditions plus strictes.

84.
    Pareillement, les ressortissants turcs n'ont pas exactement les mêmes droits que les travailleurs actifs originaires d'un autre État membre. Ils n'ont pas — à titre individuel — le droit de venir travailler dans la Communauté. Il découle des articles 6 et 7 de la décision n° 1/80 que leur entrée dans celle-ci est liée à une autorisation individuelle explicite. Par ailleurs, leur droit de séjour dépend, selon les termes de l'arrêt Bozkurt, précité, de «l'exercice d'un emploi régulier», dont il constitue le corollaire. Il est, dès lors, logique de les traiter de la même façon que les catégories de personnes visées par les trois directives susmentionnées. Cela signifie qu'il n'est possible de leur refuser la prolongation de leur permis de séjour que s'ils ne remplissent plus les conditions de fond qui sont à la base de leur droit de séjour.

85.
    Reste à savoir comment les autorités compétentes doivent traiter un travailleur turc qui, tout en exerçant un emploi régulier, néglige pendant des mois de demander le renouvellement de son permis ou qui, à chaque échéance, présente sa demande avec plusieurs semaines de retard.

86.
    La Commission a fait valoir, à ce propos, que «la possibilité d'infliger au membre de la famille d'un travailleur turc des peines administratives ou des amendes ne constitue souvent pas une sanction suffisante, étant donné que, dans le cas de personnes ne disposant que de faibles revenus, elles sont difficiles à exécuter et représentent même une importante charge administrative».

87.
    Afin de tenir compte de cette considération, dont le bien-fondé ne peut être discuté, on peut se demander s'il ne serait pas compatible avec le droit de l'association que les juridictions nationales prononcent, à l'égard de telles personnes, des peines ayant un caractère plus dissuasif que de simples amendes.

88.
    Dans l'arrêt Pieck (19), vous avez exclu qu'une peine d'emprisonnement puisse être prononcée à l'encontre d'un ressortissant communautaire qui a omis de se munir du titre de séjour spécial prévu à l'article 4 de la directive 68/360.

89.
    Vous avez, cependant, motivé cette constatation par le fait que ce titre de séjour ne peut être assimilé à une autorisation de séjour impliquant un pouvoir d'appréciation des autorités nationales (20).

90.
    Or, l'entrée du travailleur turc sur le territoire de la Communauté présuppose une véritable autorisation de séjour qui, de plus, ne doit pas avoir été obtenue dans des conditions frauduleuses (21).

91.
    Il ne me semble, dès lors, pas exclu que, en cas de non-observation prolongée ou répétée des formalités de séjour, une peine d'emprisonnement puisse être prononcée à l'égard d'un travailleur turc, quitte à ce qu'elle soit, la première fois, assortie d'un sursis.

Conclusion

92.
    Sur la base des considérations exposées ci-dessus, je vous propose de répondre de la manière suivante à la question du Bundesverwaltungsgericht:

«Un ressortissant turc qui, en tant que membre de la famille d'un travailleur turc appartenant au marché régulier de l'emploi, est entré dans le bénéfice des droits que confère l'article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 du conseil d'association CEE-Turquie, du 19 septembre 1980, et qui a demandé la prolongation de son dernier permis de séjour après l'expiration de sa validité, ne perd pas le bénéfice de ces droits, à raison de cette péremption et du refus de renouvellement qui lui a été opposé, pour autant qu'il remplit toujours les conditions de fond dont dépend son droit de séjour.»


1: Langue originale: le français.


2: —     Arrêt du 17 avril 1997 (C-351/95, Rec. p. I-2133).


3: —     Arrêt Kadiman, point 54.


4: —     Arrêt du 20 septembre 1990 (C-192/89, Rec. p. I-3461).


5: —     Souligné par l'auteur.


6: —     Souligné par l'auteur.


7: —     Arrêt du 19 novembre 1998 (C-210/97, Rec. p. I-7519).


8: —     Souligné par l'auteur.


9: —     Arrêt du 6 juin 1995 (C-434/93, Rec. p. I-1475).


10: —     Souligné par l'auteur.


11: —     Voir points 39 à 41 de l'arrêt.


12: —     Souligné par l'auteur.


13: —     Conclusion qui se dégage — a contrario — de l'arrêt du 23 janvier 1997, Tetik (C-171/95, Rec. p. I-329).


14: —     Observation faite par la Commission lors de l'audience et qui me semble pertinente. Signalons que, pour les ressortissants communautaires, ce ne sont que les interruptions de séjour ne dépassant pas six mois consécutifs qui n'affectent pas la validité de leur carte de séjour.


15: —     Voir l'article 6 de la directive 68/360/CEE du Conseil, du 15 octobre 1968, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leur famille à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 13).


16: —     JO L 180, p. 26.


17: —     JO L 180, p. 28.


18: —     JO L 317, p. 59.


19: —     Arrêt du 3 juillet 1980 (157/79, Rec. p. 2171).


20: —     Voir point 13.


21: —     Voir arrêt du 5 juin 1997, Kol (C-285/95, Rec. p. I-3069).