Language of document : ECLI:EU:C:2017:133

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 16 février 2017 (1)

Affaire C‑228/16 P

Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI)

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Aide d’État – Refus d’accorder une injonction ordonnant la suspension de la sentence d’un tribunal arbitral relative au tarif de l’électricité qu’Alouminion SA devrait payer à DEI – Refus de donner suite à la plainte de DEI relative à la prétendue aide d’État accordée à Alouminion SA – Tarifs d’électricité réduits »





I.      Introduction

1.        Par son pourvoi, Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI) demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 9 février 2016, DEI/Commission (T‑639/14, non publiée, EU:T:2016:77, ci-après l’« ordonnance attaquée »), par laquelle celui-ci a jugé qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur son recours tendant à l’annulation de la lettre de la Commission européenne COMP/E3/ΟΝ/AB/ark *2014/61460, du 12 juin 2014 (ci-après la « lettre litigieuse »), rejetant les plaintes de DEI en matière d’aides d’État.

2.        Par ses moyens de pourvoi, DEI soutient que, en jugeant qu’il n’y avait plus à statuer sur son recours, le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit, a violé son droit d’être entendue et a commis une erreur manifeste d’appréciation, une dénaturation des faits ainsi que de ses arguments. Ces moyens ne soulèvent aucune question de droit nouvelle, à l’exception du deuxième moyen selon lequel le Tribunal aurait violé les principes de bonne administration, de sécurité juridique et de protection juridictionnelle effective.

3.        Par conséquent, conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions seront ciblées sur le deuxième moyen du pourvoi qui soulève des questions d’interprétation des principes énoncés au point 70 de l’arrêt du 16 décembre 2010, /CommissionTechniki Athinaïki (C‑362/09 P, EU:C:2010:783), où la Cour a jugé que, « [e]u égard aux exigences de bonne administration et de sécurité juridique ainsi qu’au principe d’une protection juridictionnelle effective, il doit être considéré, d’une part, que la Commission ne peut procéder au retrait d’une décision de classement d’une plainte concernant une prétendue aide illégale que pour réparer une illégalité affectant ladite décision et, d’autre part, qu’elle ne peut, à la suite d’un tel retrait, reprendre la procédure à un stade antérieur au point précis auquel l’illégalité constatée est intervenue ».

II.    Les antécédents du litige

4.        DEI est une société grecque dont l’actionnaire majoritaire est l’État grec. Son activité principale est la production d’électricité. Parmi ses clients figure, notamment, Alouminion SA. À la suite d’un différend entre ces deux entreprises au sujet du tarif de l’électricité, l’autorité grecque de régulation de l’énergie (ci-après la « RAE ») a fixé un tarif provisoire. Dans une plainte adressée à la Commission le 15 juin 2012 (ci-après la « plainte de 2012 »), DEI a soutenu que ce tarif l’obligerait à fournir de l’électricité à Alouminion à un prix inférieur au prix du marché et que, de ce fait, la RAE aurait octroyé à cette société une aide d’État illégale.

5.        Le 31 octobre 2013, un tribunal arbitral instauré par DEI et Alouminion a fixé, avec effet rétroactif, le tarif de l’électricité fournie par DEI à un niveau encore inférieur à celui qui avait été fixé provisoirement par la RAE.

6.        Le 23 décembre 2013, DEI a déposé une deuxième plainte auprès de la Commission (ci-après la « plainte de 2013 ») en soutenant que la sentence arbitrale était constitutive d’une aide d’État.

7.        Le 6 mai 2014, la Commission a communiqué à DEI son appréciation préliminaire selon laquelle il n’y avait pas lieu de poursuivre l’examen de la plainte de 2013, dans la mesure où la sentence arbitrale ne constituait pas une aide d’État. Par lettre du 6 juin 2014 et en réponse à la Commission, DEI lui a fait parvenir des observations complémentaires.

8.        Par la lettre litigieuse, la Commission a informé DEI que les informations contenues dans sa lettre du 6 juin 2014 ne remettaient pas en cause l’appréciation préliminaire contenue dans sa lettre du 6 mai 2014. Selon elle, la sentence arbitrale ne constituait pas une mesure imputable à l’État puisque ce dernier ne pouvait dicter la décision du tribunal arbitral (2), ni ne procurait un avantage sélectif à Alouminion. Par conséquent, « les services de la DG “Concurrence” ont conclu que [les informations contenues dans la lettre du 6 juin 2014] n’étai[ent] pas suffisante[s] pour justifier une nouvelle instruction de [la] plainte ».

III. Le recours en annulation contre la lettre litigieuse devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

9.        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 août 2014, DEI a demandé l’annulation de la décision de la Commission contenue dans la lettre litigieuse.

10.      Par courrier du 7 octobre 2014, adressé au greffe du Tribunal, DEI et la Commission ont sollicité, ensemble, une suspension de la procédure pendante devant le Tribunal pour une période de six mois, soit jusqu’au 7 avril 2015, afin que la Commission puisse réexaminer les questions soulevées dans la requête. Il a été fait droit à cette demande par ordonnance du président de la quatrième chambre du Tribunal du 24 octobre 2014.

11.      Le 25 mars 2015, la Commission a adopté la décision C (2015) 1942 final relative à l’aide d’État alléguée SA.38101 (2015/NN) (ex 2013/CP) octroyée à Alouminion SA sous la forme de tarifs d’électricité inférieurs aux coûts, à la suite d’une sentence arbitrale (ci-après la « décision formelle »). Au point 12 de sa décision, la Commission a précisé que, « [d]ans la plainte dans la présente affaire, [DEI] fait également référence à [la plainte de 2012]. Dans cette plainte, il est allégué que la décision n° 346/2012 de [la RAE], qui a fixé un tarif provisoire de l’électricité fournie à Alouminion jusqu’à ce que le différend entre ces deux parties portant sur ledit tarif soit résolu, a obligé DEI à fournir de l’électricité à Alouminion en deçà du prix du marché et, par conséquent, à octroyer une aide d’État à Alouminion. Cependant, dès lors que la sentence arbitrale a intégralement et rétroactivement remplacé le tarif provisoire fixé par [la RAE], la Commission considère que la plainte [de 2012] est devenue sans objet ».

12.      Par lettres des 27 avril 2015 et 19 juin 2015 adressées au greffe du Tribunal, la Commission a demandé au Tribunal de constater que, à la suite de la décision formelle, le recours dirigé contre la lettre litigieuse était devenu sans objet et qu’il n’y avait plus lieu de statuer à ce sujet. DEI a soumis au Tribunal ses observations sur cette demande par courrier du 3 juillet 2015.

13.      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 juin 2015, DEI a demandé l’annulation de la décision du 25 mars 2015 [affaire DEI/Commission (T‑352/15), pendante devant le Tribunal].

14.      Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a constaté qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le recours en annulation contre la lettre litigieuse, dès lors que la décision formelle l’avait abrogée et formellement remplacée, de telle sorte que cette dernière n’appartenait plus à l’ordonnancement juridique de l’Union.

15.      Selon le Tribunal, les arguments de DEI ne permettaient pas de remettre en cause cette conclusion.

16.      Premièrement, il a jugé qu’il ne lui incombait pas, dans cette ordonnance, de statuer sur la légalité de la décision formelle qui jouit de la présomption de légalité des actes des institutions, aussi longtemps que celle-ci n’a pas été retirée ou annulée ou déclarée invalide. Ainsi, il a écarté l’argument selon lequel cette décision serait illégale, le recours dans l’affaire T‑639/14 conservant son objet.

17.      Deuxièmement, le Tribunal a réfuté l’allégation de DEI selon laquelle elle conserverait un intérêt à agir contre la lettre litigieuse afin d’empêcher que l’illégalité soulevée et concernant l’imputabilité de la sentence arbitrale à l’État grec se reproduise à l’avenir. Selon le Tribunal, cette prétendue illégalité ne figure pas dans la lettre litigieuse et, en tout état de cause, la question de savoir si DEI a prouvé ou non l’existence d’une violation des règles en matière d’aides d’État fait l’objet du recours contre la décision formelle.

18.      Enfin, troisièmement, le Tribunal a constaté qu’il n’y avait pas non plus lieu de statuer sur le recours en ce qu’il concerne la plainte de 2012 puisque, par sa décision du 25 mars 2015, la Commission a implicitement rejeté cette plainte de 2012.

IV.    La procédure devant la Cour

19.      Par son pourvoi, DEI demande à la Cour :

–        d’annuler l’ordonnance attaquée ;

–        d’ordonner le renvoi de l’affaire au Tribunal, afin que celui-ci se prononce sur ses conclusions dans le cadre du pourvoi, par lesquelles elle demande l’annulation de la lettre litigieuse, et

–        de condamner la Commission à la totalité des dépens exposés tant en première instance que dans le cadre du pourvoi.

20.      La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner DEI aux dépens.

V.      Sur le deuxième moyen du pourvoi, tiré d’une violation des principes de bonne administration, de sécurité juridique et de protection juridictionnelle effective

A.      Argumentation des parties

21.      DEI soutient que, par l’adoption de la décision formelle, la Commission aurait procédé au retrait de la lettre litigieuse en méconnaissance des exigences qui découlent de l’arrêt du 16 décembre 2010, /CommissionTechniki Athinaïki (C‑362/09 P, EU:C:2010:783). Il découlerait des points 70 et 71 de cet arrêt que le retrait d’un acte serait permis afin de réparer une illégalité à condition que l’acte de retrait ou de remplacement indique la nature de l’illégalité dont était entaché l’acte retiré. Puisque tel ne serait pas le cas de la décision formelle, le Tribunal aurait, aux points 39 à 41 de l’ordonnance attaquée, méconnu cette exigence et violé, de ce fait, les principes de bonne administration, de sécurité juridique et de protection juridictionnelle effective.

22.      La Commission estime que les points 38 à 51 de l’ordonnance attaquée ne contiennent que des motifs subsidiaires. Par conséquent, le deuxième moyen dirigé contre l’un de ces motifs serait manifestement inopérant.

23.      En tout état de cause, ces arguments devraient être rejetés comme non fondés puisque la décision formelle serait pleinement conforme aux exigences qui découlent du point 70 de l’arrêt du 16 décembre 2010, /CommissionTechniki Athinaïki (C‑362/09 P, EU:C:2010:783).

24.      En effet, la Commission aurait retiré avec effet rétroactif la lettre litigieuse puisque celle-ci était entachée d’un vice de forme. En matière d’aides d’État, la Commission serait tenue d’adopter une décision formelle au titre de l’article 4 du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO 1999, L 83, p. 1) (3), lorsqu’elle constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée ne constitue pas une aide d’État.

25.      En outre, après le retrait de la lettre litigieuse, la Commission n’aurait pas repris la procédure à un stade antérieur à celui auquel l’illégalité était intervenue. Puisque l’objectif de cette lettre aurait été la clôture de la phase préliminaire d’examen, la Commission aurait, à bon droit, adopté la décision formelle à cette même fin sur le fondement de l’article 4 du règlement n° 659/1999. Il en irait autrement si la Commission avait simplement retiré la lettre litigieuse sans clôturer la phase préliminaire d’examen.

26.      Enfin, en ce qui concerne le principe de protection juridictionnelle effective, celui‑ci ne serait pas violé puisque, dans le cadre de l’affaire T‑352/15, DEI aura la possibilité de contester la décision formelle et de faire valoir que la Commission aurait dû donner une autre suite aux plaintes de 2012 et de 2013.

B.      Appréciation

27.      À mon avis, les points 39 à 41 de l’ordonnance attaquée visés par le pourvoi de DEI ne contiennent pas de motifs surabondants puisque, si DEI avait raison, quant à l’interprétation à donner au point 70 de l’arrêt du 16 décembre 2010, /CommissionTechniki Athinaïki (C‑362/09 P, EU:C:2010:783), le Tribunal n’aurait pas pu juger qu’il n’y avait pas lieu à statuer. En ce sens, le deuxième moyen de DEI ne peut être rejeté comme inopérant.

28.      Toutefois, j’estime que celui-ci est non fondé et doit être rejeté pour les raisons suivantes.

1.      Observations liminaires

29.      Le droit des institutions de l’Union européenne de retirer leurs actes met en jeu, d’une part, les principes de légalité et de protection de la confiance légitime et, d’autre part, le caractère favorable ou non de l’acte en cause pour celui ou celle qu’il concerne (4).

30.      Selon une jurisprudence constante de la Cour (5), un acte d’une institution de l’Union conférant des droits subjectifs ne peut en principe être retiré, s’il s’agit d’un acte légal, puisque, le droit subjectif étant acquis, la nécessité de sauvegarder la confiance dans la stabilité de la situation ainsi créée l’emporte sur l’intérêt de l’institution qui voudrait revenir sur sa décision. Cette jurisprudence ne précise pas les conditions exceptionnelles auxquelles pareil acte légal pourrait être retiré.

31.      En revanche, une institution qui constate qu’un de ses actes conférant des droits subjectifs est entaché d’une illégalité peut le retirer dans un délai raisonnable, avec effet rétroactif, mais dans le respect des limites imposées par le principe de protection de la confiance légitime du bénéficiaire de l’acte qui a pu se fier à la légalité de celui-ci (6).

32.      Toutefois, comme la Cour l’a déjà jugé, ces principes ne s’appliquent pas aux actes faisant grief (7). Les institutions peuvent, en effet, retirer pareils actes avec effet rétroactif, et cela indépendamment de la question de savoir si l’acte en cause est légal ou illégal. En effet, comme le retrait d’un acte lui faisant grief est favorable à l’intéressé, ce retrait ne peut être contraire au principe de protection de la confiance légitime (8).

33.      À mon avis, cela vaut également pour le retrait partiel d’un acte faisant grief. En effet, même si un grief persiste, le retrait partiel de l’acte est favorable à l’intéressé, puisqu’il diminue l’étendue du différend ou du ou des griefs.

2.      L’arrêt du 16 décembre 2010, /CommissionTechniki Athinaïki (C‑362/09 P, EU:C:2010:783)

34.      L’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernait, comme la présente affaire, les aides d’État, à savoir une plainte d’Athinaïki Techniki AE portant sur une prétendue aide d’État accordée par l’État grec au consortium de Hyatt Regency dans le cadre du marché public « Casino Mont Parnès ». Dans le cadre de cette affaire, la Commission avait initialement décidé de classer la plainte d’Athinaïki Techniki mais, à la suite de l’arrêt du 17 juillet 2008, /CommissionTechniki Athinaïki (C‑521/06 P, EU:C:2008:422) (9), elle avait retiré sa décision de classement et avait procédé à la réouverture du dossier en invitant de nouveau Athinaïki Techniki à soumettre des éléments indiquant l’octroi d’une aide d’État illégale.

35.      Par conséquent, elle avait repris à son début la procédure d’examen préliminaire de la plainte d’Athinaïki Techniki au lieu de la reprendre au moment auquel l’illégalité constatée par l’arrêt du 17 juillet 2008, /CommissionTechniki Athinaïki (C‑521/06 P, EU:C:2008:422), était intervenue, à savoir au moment où la Commission devait décider soit de constater l’inexistence de l’aide, soit de ne pas soulever d’objections, soit d’ouvrir la procédure formelle d’examen, conformément aux dispositions de l’article 4, paragraphes 2 à 4, et de l’article 20, paragraphe 2, dernier alinéa, du règlement n° 659/1999.

36.      Or, comme l’a relevé l’avocat général Bot au point 101 de ses conclusions dans l’affaire /CommissionTechniki Athinaïki (C‑362/09 P, EU:C:2010:492), en invitant de nouveau Athinaïki Techniki à soumettre des éléments indiquant l’octroi d’une aide illégale, la Commission l’obligeait à « “tourne[r] en rond”. Admettre […] qu’un tel retrait est légal pourrait avoir pour effet de permettre à la Commission de demeurer dans un état d’inaction contraire à ses obligations dans le domaine des aides d’État, [puisqu’il] suffirait à cette institution de classer la plainte déposée par une partie intéressée, puis, après l’introduction d’un recours de cette partie, de rouvrir la phase d’examen préliminaire et de répéter ces opérations autant de fois que nécessaire pour échapper à tout contrôle juridictionnel de son action ».

37.      La Cour a expressément approuvé cette analyse de l’avocat général Bot en jugeant, au point 68 de son arrêt du 16 décembre 2010, /CommissionTechniki Athinaïki (C‑362/09 P, EU:C:2010:783), que, « [s]si la Commission était en droit de retirer un acte tel que l’acte attaqué dans les conditions de l’espèce, elle pourrait perpétuer un état d’inaction pendant la phase préliminaire d’examen d’une façon contraire aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 13, paragraphe 1, et 20, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999 et échapper à tout contrôle juridictionnel. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général Bot au point 101 de ses conclusions, il suffirait à cette institution de classer la plainte déposée par une partie intéressée, puis, après l’introduction d’un recours de cette partie, de retirer la décision de classement, de rouvrir la phase d’examen préliminaire et de répéter ces opérations autant de fois que nécessaire pour échapper à tout contrôle juridictionnel de son action ».

38.      C’est donc pour éviter ce type de situation que l’on pourrait qualifier d’abus de procédure de la part de la Commission, que la Cour a jugé, au point 70 de cet arrêt, que, « eu égard aux exigences de bonne administration et de sécurité juridique ainsi qu’au principe d’une protection juridictionnelle effective, il doit être considéré, d’une part, que la Commission ne peut procéder au retrait d’une décision de classement d’une plainte concernant une prétendue aide illégale que pour réparer une illégalité affectant ladite décision et, d’autre part, qu’elle ne peut, à la suite d’un tel retrait, reprendre la procédure à un stade antérieur au point précis auquel l’illégalité constatée est intervenue ».

39.      Sur ce fondement, elle a jugé, au point 74 de cet arrêt, que la Commission n’était pas en droit de retirer l’acte attaqué et que le Tribunal ne pouvait juger qu’il n’y avait pas lieu de statuer.

40.      Au point 70 dudit arrêt, qui est au centre des débats dans le deuxième moyen, la Cour a donc imposé en parataxe deux conditions cumulatives qui doivent être remplies afin que le retrait d’une décision de classement d’une plainte soit légal.

3.      Application à la présente affaire

a)      À titre principal

41.      Il doit être admis que l’application de la règle classique en matière de retrait d’actes selon laquelle un acte faisant grief peut être purement et simplement retiré doit être exclue en matière d’aides d’État à propos des décisions de la Commission qui, à la fin de la procédure d’examen préliminaire d’une plainte, constatent l’inexistence de l’aide ou ne soulèvent pas d’objections. En effet, l’article 4 du règlement n° 659/1999 impose à la Commission de prendre une décision à la fin de cette procédure.

42.      Cela dit, il ne ressort pas de l’arrêt du 16 décembre 2010, /CommissionTechniki Athinaïki (C‑362/09 P, EU:C:2010:783), que la Cour ait voulu imposer une règle nouvelle en matière de retrait d’actes pour la seule hypothèse des décisions de classement des plaintes en matière d’aides d’État. Dès lors, une lecture littérale du point 70 de cet arrêt qui voudrait que la première condition qu’il impose, à savoir que le retrait d’une décision ne peut intervenir « que pour réparer une illégalité affectant ladite décision » (10), impliquerait qu’un retrait est impossible pour tout autre motif.

43.      Cette lecture qui empêcherait tout retrait d’un acte légal faisant grief me paraît trop rigide, compte tenu de la raison qui a amené la Cour à trancher l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 décembre 2010, /CommissionTechniki Athinaïki (C‑362/09 P, EU:C:2010:783), comme elle l’a fait au point 70 de celui-ci.

44.      En effet, comme je l’ai exposé aux points 36 et 37 des présentes conclusions, en retirant sa décision de classement de la plainte d’Athinaïki Techniki et en invitant cette dernière à soumettre de nouveau des observations, la Commission, d’une part, prolongeait un état d’inaction par rapport à son obligation découlant de l’article 4 du règlement n° 659/1999 de prendre une décision, c’est-à-dire soit de constater l’inexistence de l’aide, soit de ne pas soulever d’objections, soit d’ouvrir la procédure formelle d’examen. D’autre part, elle imposait à Athinaïki Techniki de « tourner en rond », puisque la procédure d’examen préliminaire recommençait à zéro.

45.      En jugeant, au point 70 dudit arrêt, que « la Commission ne peut procéder au retrait d’une décision de classement d’une plainte concernant une prétendue aide illégale que pour réparer une illégalité affectant ladite décision », la Cour ciblait cet état d’inaction dans lequel se plaçait la Commission, alors que l’article 4 du règlement n° 659/1999 l’obligeait à prendre une décision. Cela ressort clairement des points 64 et 68 dudit arrêt où la Cour se réfère expressément au risque de « perpétuer un état d’inaction » ainsi que du point 101 des conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire /CommissionTechniki Athinaïki (C‑362/09 P, EU:C:2010:492).

46.      À mon avis, sur la base d’une interprétation téléologique et raisonnable du point 70 dudit arrêt et des observations liminaires faites ci-dessus aux points 29 à 33 des présentes conclusions, une décision légale de classement d’une plainte prise sur la base de l’article 4 du règlement n° 659/1999 pourrait être retirée pour autant que ce retrait ne conduit pas à un état d’inaction de la Commission, ce qui ne serait pas le cas lorsque pareille décision est remplacée par une autre décision de classement d’une plainte ou une décision de ne pas soulever d’objections ou encore une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen.

47.      Telle n’est pas la situation dans la présente affaire.

48.      En effet, dans la présente affaire, par sa lettre litigieuse, la Commission a informé DEI de sa décision de ne pas poursuivre l’examen de la plainte de 2013, puisque la sentence arbitrale, qui avait substitué un nouveau tarif d’électricité à celui faisant l’objet de la plainte de 2012, ne constituait pas une mesure imputable à l’État, ne procurait pas un avantage sélectif à Alouminion et n’était donc pas constitutive d’une aide d’État. Elle ne s’est pas placée dans un état d’inaction tel que DEI aurait été obligée de « tourner en rond » et n’a pas non plus rouvert la phase d’examen préliminaire.

49.      Par conséquent, le retrait de la lettre litigieuse était légal et le non-lieu à statuer prononcé par le Tribunal dans l’ordonnance attaquée me paraît justifié.

b)      À titre subsidiaire

50.      Si la Cour rejette l’interprétation téléologique du point 70 de l’arrêt du 16 décembre 2010, /CommissionTechniki Athinaïki (C‑362/09 P, EU:C:2010:783), et s’en tient à une interprétation littérale, il convient d’examiner si, dans la présente affaire, la Commission a procédé au retrait de la lettre litigieuse « pour réparer une illégalité affectant ladite [lettre] et, d’autre part, qu’elle ne peut, à la suite d’un tel retrait, reprendre la procédure à un stade antérieur au point précis auquel l’illégalité constatée est intervenue », ce qui implique d’analyser la décision formelle.

51.      Par cette décision, la Commission a modifié la lettre litigieuse à deux égards sans toutefois changer ni l’orientation ni le résultat de sa décision.

52.      En premier lieu, la décision formelle a modifié la forme qu’avait revêtue la lettre litigieuse. Cette dernière, contenant la décision que la sentence arbitrale ne constituait pas une aide d’État, avait la forme d’une lettre signée par un fonctionnaire de la Commission alors que la décision formelle était signée par le membre de la Commission responsable en matière d’aides d’État.

53.      En second lieu, sans changer le résultat de sa décision selon laquelle la sentence arbitrale ne constitue pas une aide d’État, la décision formelle a modifié la motivation de la lettre litigieuse en ce que la Commission a abandonné son argumentation selon laquelle la sentence arbitrale n’était pas une mesure imputable à l’État. Dans sa décision formelle, la Commission s’est bornée à examiner, en application du critère de l’investisseur privé, si la sentence arbitrale conférait un avantage à Alouminion.

1)      Modification de la forme de la décision

54.      En ce qui concerne la modification de la forme de la décision de la Commission selon laquelle la sentence arbitrale ne constitue pas une aide d’État, l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999 prévoit que, « [s]i la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée ne constitue pas une aide, elle le fait savoir par voie de décision » (11). Quant aux droits des parties intéressées comme DEI, l’article 20, paragraphe 2, troisième alinéa, de ce règlement prévoit que « [l]a Commission envoie au plaignant une copie de toute décision adoptée dans une affaire concernant le sujet de sa plainte » (12).

55.      Au point 31 de son mémoire en réponse, la Commission admet que la lettre litigieuse était entachée d’une illégalité puisqu’elle ne revêtait pas la forme requise par le règlement n° 659/1999 et que DEI était consciente de ce vice de forme, puisqu’elle l’avait invoqué comme premier moyen d’annulation de la lettre litigieuse devant le Tribunal.

56.      Indépendamment de l’interprétation stricte et littérale ou large et téléologique du point 70 de l’arrêt du 16 décembre 2010, /CommissionTechniki Athinaïki (C‑362/09 P, EU:C:2010:783), le retrait d’un acte illégal faisant grief est certainement possible afin de réparer cette illégalité. L’intéressé ne peut avoir aucune confiance légitime en ce qu’un acte illégal soit maintenu, puisque cela irait à l’encontre du principe de légalité auquel les institutions de l’Union doivent se conformer.

57.      Par ailleurs, il est incontestable que la Commission n’a pas repris la procédure à un stade antérieur à celui auquel le vice de forme est intervenu. Tant la lettre litigieuse que la décision formelle clôturent la phase d’examen préliminaire.

58.      Il découle de ce qui précède que, en ce qui concerne la modification de la forme de sa décision selon laquelle la sentence arbitrale ne constitue pas une aide d’État, la décision formelle de la Commission respecte les principes auxquels se réfère la Cour au point 70 de l’arrêt du 16 décembre 2010, /CommissionTechniki Athinaïki (C‑362/09 P, EU:C:2010:783).

2)      Modification de la motivation de la décision

59.      En ce qui concerne la modification de la motivation de sa décision, la Commission n’admet pas que la motivation de la lettre litigieuse était entachée d’illégalité. En ne reprenant pas l’argument de non-imputabilité de la sentence arbitrale à l’État, la Commission a tout simplement décidé d’abandonner cet argument.

60.      Précisément pour la même raison et en s’appuyant sur le point 70 de l’arrêt du 16 décembre 2010, /CommissionTechniki Athinaïki (C‑362/09 P, EU:C:2010:783), DEI soutient que le retrait de la lettre litigieuse est illégal, puisque ce retrait ne serait permis qu’afin de réparer une illégalité et à condition que l’acte de retrait ou de remplacement indique la nature de l’illégalité dont était entaché l’acte retiré.

61.      À mon avis, pour les raisons que j’ai évoquées aux points 40 à 46 des présentes conclusions, les principes énoncés au point 70 de cet arrêt n’empêchaient pas la Commission de retirer la lettre litigieuse et de modifier la motivation du classement de la plainte de DEI de la manière dont elle l’a fait puisque ce retrait n’a pas eu pour effet de perpétuer un état d’inaction de la part de la Commission et d’obliger ainsi DEI à « tourner en rond » (13).

62.      Non seulement la décision formelle clôture la procédure d’examen préliminaire conformément aux dispositions de l’article 20, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement n° 659/1999, mais elle va dans le même sens que la lettre litigieuse et offre à DEI un raisonnement manifestement plus détaillé et plus approfondi que celui contenu dans la lettre litigieuse quant à l’absence d’avantage. La décision formelle respecte ainsi le principe de bonne administration proclamé à l’article 41, paragraphes 1 et 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

63.      De plus, comme le soulève la Commission, DEI a formé un recours contre la décision formelle qui fait l’objet de l’affaire DEI/Commission (T‑352/15), pendante devant le Tribunal. Lors de cette procédure, DEI aura l’occasion de faire valoir que la Commission aurait dû donner une suite différente à ses plaintes. En ce sens, il n’y a aucune violation du principe d’une protection juridictionnelle effective.

64.      Cette appréciation ne saurait être remise en cause par l’argument de DEI selon lequel le retrait de la lettre litigieuse aurait pour effet de la priver de la possibilité de contester l’absence d’imputabilité à l’État de la sentence arbitrale, telle qu’invoquée par la Commission dans cette lettre.

65.      Je relève à cet égard que, en réalité, comme les quatre conditions d’existence d’une aide d’État sont cumulatives (14), la modification de la motivation de la décision de la Commission de ne pas donner suite aux plaintes de DEI ne lui porte nullement préjudice puisque, ce faisant, la Commission a réduit l’étendue du débat de deux critères à un seul critère, à savoir celui de l’existence d’un avantage. En ce sens, le retrait partiel de l’acte faisant grief favorise DEI et ne peut être considéré comme contraire au principe de protection de la confiance légitime.

66.      La réponse pourrait peut-être être différente si, à la suite d’une éventuelle annulation de la décision formelle, la Commission reprenait une nouvelle décision allant dans le même sens que la décision formelle et fondée sur l’absence d’imputabilité de la sentence arbitrale à l’État. Toutefois, cela n’est pas (encore) le cas dans la présente affaire et ne peut être jugé dans le cadre du présent pourvoi.

67.      À titre surabondant, j’ajoute que, de toute façon, les arguments de DEI ne sauraient prospérer même sur le fondement d’une lecture très stricte et littérale du point 70 de l’arrêt du 16 décembre 2010, /CommissionTechniki Athinaïki (C‑362/09 P, EU:C:2010:783). En premier lieu, il y a eu retrait de la lettre litigieuse afin de corriger une illégalité, à savoir le vice de forme. En second lieu, en adoptant la décision formelle à la suite du retrait de la lettre litigieuse, la Commission n’avait pas repris la procédure à un stade antérieur au point précis auquel le vice de forme est intervenu.

68.      Il découle de ce qui précède que le retrait d’une décision de classement d’une plainte afin de réparer une illégalité sans reprise de la procédure à un stade antérieur au point précis auquel l’illégalité est intervenue ne devient pas illégal, si, dans le nouvel acte, son auteur a modifié la motivation dans un sens favorable à l’intéressé.

VI.    Conclusion

69.      Pour ces raisons et sans préjudice de l’examen des autres moyens du pourvoi, je propose à la Cour de rejeter le deuxième moyen du pourvoi.


1      Langue originale : le français.


2      « […] the State does not seem to have had the possibility to dictate the decision of the arbitration tribunal ».


3      Depuis le mois d’octobre 2015, ce règlement est remplacé par le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2015, L 248, p. 9). Dans les présentes conclusions, je me référerai à la version consolidée du règlement n° 659/1999 qui était applicable à la date de la lettre litigieuse, à savoir le 12 juin 2014.


4      Voir Craig, P., EU Administrative Law, 2e éd., Oxford University Press, 2012, chap. 16.


5      Voir arrêts du 12 juillet 1957, Algera e.a./Assemblée commune (7/56 et 3/57 à 7/57, EU:C:1957:7) ; du 22 mars 1961, Snupat/Haute Autorité (42/59 et 49/59, EU:C:1961:5) ; du 13 juillet 1965, Lemmerz-Werke/Haute Autorité (111/63, EU:C:1965:76), ainsi que du 22 septembre 1983, Verli-Wallace/Commission (159/82, EU:C:1983:242, point 8).


6      Voir arrêts du 9 mars 1978, Herpels/Commission (54/77, EU:C:1978:45, point 38) ; du 3 mars 1982, Alpha Steel/Commission (14/81, EU:C:1982:76, point 10) ; du 26 février 1987, Consorzio Cooperative d’Abruzzo/Commission (15/85, EU:C:1987:111, point 12), ainsi que du 17 avril 1997, de Compte/Parlement (C‑90/95 P, EU:C:1997:198, point 35).


7      Voir arrêt du 16 décembre 2010, Athinaïki Techniki/Commission (C‑362/09 P, EU:C:2010:783, point 60). Voir également, en ce sens, point 80 des conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Athinaïki Techniki/Commission (C‑362/09 P, EU:C:2010:492).


8      Voir Craig, P., op. cit., p. 558.


9      Par cet arrêt, la Cour a constaté que le Tribunal avait commis une erreur de droit en jugeant qu’Athinaïki Techniki avait formé un recours en annulation contre un acte qui ne produisait pas d’effet juridique et, partant, n’était pas susceptible de recours sur la base de l’article 263 TFUE. Par conséquent, elle a annulé l’ordonnance du 27 novembre 2009, Athinaïki Techniki/Commission (T‑94/05 RENV, non publiée, EU:T:2009:471), et lui a renvoyé l’affaire afin qu’il statue sur les conclusions d’Athinaïki Techniki tendant à l’annulation de la première décision de la Commission par laquelle cette dernière avait décidé de classer la plainte d’Athinaïki Techniki.


10      Traduction fidèle de la version en langue grecque dudit arrêt ‑ la langue grecque étant la langue de procédure dans cette affaire – qui indique que la Commission peut retirer pareille décision « uniquement pour réparer un défaut de légalité qui entache la décision en cause » (μόνο για να επανορθώσει έλλειψη νομιμότητας από την οποία πάσχει η εν λόγω απόφαση). C’est moi qui souligne


11      C’est moi qui souligne.


12      C’est moi qui souligne.


13      Voir expression imagée utilisée par l’avocat général Bot au point 101 de ses conclusions dans l’affaire Athinaïki Techniki/Commission (C‑362/09 P, EU:C:2010:492). Voir, également, points 36 et 37 des présentes conclusions.


14      Il ressort d’une jurisprudence constante que, pour qu’une mesure puisse, en qualité d’aide d’État, relever de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, elle doit, premièrement, consister en une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État (condition en cause ici) ; deuxièmement, être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres ; troisièmement, accorder un avantage à son bénéficiaire (condition qui subsiste dans la motivation de la décision formelle) et, quatrièmement, fausser ou menacer de fausser la concurrence, ces conditions étant cumulatives Voir, en ce sens, arrêts du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a. (C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 121 et jurisprudence citée), ainsi que du 16 avril 2015, Trapeza Eurobank Ergasias (C‑690/13, EU:C:2015:235, point 17 et jurisprudence citée).