Language of document : ECLI:EU:T:2011:705

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

30 novembre 2011(*)

« Aides d’État – Accords de réaménagement de dettes – Décision déclarant les aides incompatibles avec le marché commun – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑238/09,

Sniace, SA, établie à Madrid (Espagne), représentée par Mes  F. J. Moncholí Fernández et S. Rating, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. C. Urraca Caviedes, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2009/612/CE de la Commission, du 10 mars 2009, concernant la mesure C 5/2000 (ex NN 118/97) mise en œuvre par l’Espagne en faveur de l’entreprise Sniace, SA, Torrelavega, Cantabrie, et modifiant la décision 1999/395/CE (JO L 210, p. 4),

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

composé de M. L. Truchot (rapporteur), président, Mme M. E. Martins Ribeiro et M. H. Kanninen, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 décembre 2010,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Sniace, SA, est une entreprise espagnole du secteur de la chimie textile. Elle a été déclarée en état de cessation de paiement en mars 1993.

2        À la suite de la déclaration de l’état de cessation de paiement de la requérante, le Fondo de Garantía Salarial (fonds de garantie salariale, ci-après le « Fogasa »), organisme placé sous la tutelle du ministère du Travail et de la Sécurité sociale espagnol, a versé aux employés de celle-ci leur rémunération et leurs indemnités salariales.

3        Afin de rembourser les sommes avancées par le Fogasa au titre du paiement des rémunérations et des indemnités salariales de ses employés, la requérante a conclu avec ce dernier deux accords (ci-après les « accords de remboursement ») : le premier (ci‑après l’« accord Fogasa I »), le 5 novembre 1993, et, le second (ci‑après l’« accord Fogasa II »), le 31 octobre 1995.

4        Le 18 mars 1999, les échéanciers pour le remboursement des sommes dues par la requérante au Fogasa prévus dans les accords de remboursement ont été renégociés.

5        Le 8 mars 1996, la requérante a conclu avec la Tesorería General de la Seguridad Social (trésorerie générale de la sécurité sociale, ci-après la « TGSS ») un accord de rééchelonnement de ses dettes relatives à des cotisations de sécurité sociale, qui a été modifié le 7 mai 1996, puis le 30 septembre 1997 (ci‑après l’« accord de rééchelonnement »).

6        Par ailleurs, en 1987 et en 1991, la requérante s’était vu accorder par le Banco Español de Crédito, SA (Banesto), une banque privée, des lignes de crédit hypothécaire.

7        À la suite d’une plainte en date du 17 avril 1997 déposée par Lenzing AG, la Commission des Communautés européennes a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen des aides d’État prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité CE à l’égard des éléments d’aide d’État prétendument contenus dans les accords de remboursement et l’accord de rééchelonnement.

8        Au terme de cette procédure formelle d’examen des aides d’État, la Commission a adopté la décision 1999/395/CE, du 28 octobre 1998, concernant l’aide d’État accordée par l’Espagne à Sniace, SA, située à Torrelavega, Cantabrie (JO 1999, L 149, p. 40).

9        Dans la décision 1999/395, la Commission a considéré comme illégales et incompatibles avec le marché commun les aides octroyées par le Fogasa et la TGSS à la requérante, au motif que les accords de remboursement, tels que modifiés, et l’accord de rééchelonnement ne correspondaient pas aux conditions du marché, dans la mesure où les taux d’intérêt appliqués en vertu desdits accords étaient inférieurs aux taux du marché.

10      À l’issue du réexamen de la décision 1999/395 effectué à la suite de l’annulation par l’arrêt de la Cour du 29 avril 1999, Espagne/Commission (C‑342/96, Rec. p. I‑2459, ci-après l’« arrêt Tubacex »), de la décision 97/21/CECA, CE de la Commission, du 30 juillet 1996, concernant une aide d’État accordée à la Compañía Española de Tubos por Extrusión, SA, située à Llodio (Álava) (JO 1997, L 8, p. 14), la Commission a adopté la décision 2001/43/CE, du 20 septembre 2000, portant modification de la décision 1999/395 (JO 2001, L 11, p. 46).

11      Dans la décision 2001/43, la Commission a considéré que les interventions en faveur de la requérante ne constituaient pas des aides d’État à la lumière de l’arrêt Tubacex, point 10 supra.

12      La Commission a estimé que, en réaménageant les dettes de la requérante et en leur appliquant le taux d’intérêt légal, le Fogasa et la TGSS avaient cherché à mettre de leur côté toutes les chances de recouvrer l’ensemble de leurs créances sans avoir à subir de pertes financières et que ces deux organismes publics s’étaient donc comportés comme l’aurait fait un créancier privé hypothétique se trouvant dans la même situation qu’eux vis-à-vis de la requérante.

13      Sur recours de Lenzing, le Tribunal a annulé la décision 2001/43, par arrêt du 21 octobre 2004, Lenzing/Commission (T‑36/99, Rec. p. II‑3597), confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing (C‑525/04 P, Rec. p. I‑9947).

14      Après avoir procédé, en exécution de cet arrêt, à un nouvel examen des accords de réaménagement de dettes liant la requérante au Fogasa et à la TGSS, la Commission, par la décision 2009/612/CE, du 10 mars 2009, concernant la mesure C 5/2000 (ex NN 118/97) mise en œuvre par l’Espagne en faveur de l’entreprise Sniace, SA, Torrelavega, Cantabrie, et modifiant la décision 1999/395 (JO L 210, p. 4, ci-après la « décision attaquée »), a constaté que ces accords comportaient des éléments d’aide d’État incompatibles avec le marché commun, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

 Procédure

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 juin 2009, la requérante a formé contre cette décision le présent recours en annulation.

16      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 24 juin 2009, la requérante a introduit une demande de sursis à l’exécution de la décision attaquée.

17      Par ordonnance de référé du 13 juillet 2009, le président du Tribunal a rejeté cette demande et réservé les dépens de la procédure de référé.

18      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la huitième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

19      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

20      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal au cours de l’audience du 17 décembre 2010.

21      Au cours de cette audience, la requérante a déclaré ne pas avoir invoqué dans la requête de moyen pris d’un détournement de pouvoir, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

 Conclusions des parties

22      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

23      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

24      Dans ses écritures, la requérante invoque deux moyens d’annulation au soutien du présent recours. Elle soulève, dans la requête, un moyen tiré de l’« insuffisance manifeste de motivation » de la décision attaquée et, dans la réplique, un moyen pris de l’absence d’avantage économique résultant des mesures adoptées par le Fogasa et la TGSS.

 Sur le moyen tiré de l’« insuffisance manifeste de motivation » de la décision attaquée

25      La requérante soutient que la décision attaquée est entachée d’une « insuffisance manifeste de motivation » quant à la mise en oeuvre du critère du comportement du créancier privé agissant dans le but de recouvrer ses créances.

 Observations sur la portée du moyen

26      Il convient de relever que la requérante qualifie ce moyen, au point 1 de la réplique, de « moyen unique […] tiré de l’insuffisance manifeste de motivation en violation de l’article 253 CE ».

27      Par ailleurs, alors que la Commission a fait observer, dans le mémoire en défense, que, par certains arguments, la requérante conteste en réalité le bien-fondé de la décision attaquée et que les dits arguments sont donc sans rapport avec un moyen pris d’une violation de l’obligation de motivation et, partant, inopérants et dénués de pertinence dans le cadre d’un tel moyen, la requérante confirme de manière expresse en intitulant la partie III de la réplique « La réponse faite au moyen unique invoqué dans la requête », qu’elle développe un moyen unique tiré de l’« insuffisance manifeste de motivation » de la décision attaquée.

28      Enfin, dans la réplique, la requérante indique avoir mis en évidence dans la requête une série de lacunes et de défauts dans la motivation de la décision attaquée », ajoutant ce qui suit :

« Étant donné […] que, […] l’objectif du mémoire en réplique n’est pas de répéter les moyens et arguments présentés par la partie requérante, nous faisons valoir que le défaut de motivation de la décision de la Commission est suffisamment établi dans la requête. »

29      La requérante a toutefois soutenu au cours de l’audience que la requête contient, outre le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation, un moyen susceptible d’être qualifié de « fausse application du critère du créancier privé », qu’elle a alors entendu développer « un peu plus dans le détail » en tant que moyen autonome.

30      À cet égard, la Commission a objecté que l’erreur manifeste d’appréciation que la requérante lui reproche ainsi d’avoir commise dans l’application du critère du créancier privé agissant dans le but de recouvrer ses créances n’a été invoquée ni dans la requête ni dans la réplique. En particulier, aucun élément de la requête ne permettrait d’identifier un moyen fondé sur la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE.

31      Il convient de constater que, dans la requête, la requérante a invoqué un moyen pris d’une violation de l’obligation de motivation et que, dans la réplique, en réponse à l’objection de la Commission relative à la partie dudit moyen qui serait sans rapport avec la motivation de la décision attaquée, la requérante a confirmé que, à l’appui de son recours, elle invoquait un moyen unique tiré de l’« insuffisance manifeste de motivation » de la décision attaquée.

32      La requérante ayant ainsi expressément, et en connaissance de cause, fondé la requête sur le « moyen unique pris de l’insuffisance manifeste de motivation » de la décision attaquée, le grief pris de la fausse application du critère du créancier privé invoqué en tant que moyen autonome au cours de l’audience doit être qualifié de moyen nouveau au sens de l’article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal.

33      Or, selon l’article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins qu’ils ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure ou, selon la jurisprudence, qu’ils constituent l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et présentent un lien étroit avec celui-ci (ordonnance de la Cour du 13 novembre 2001, Dürbeck/Commission, C‑430/00 P, Rec. p. II‑8547, point 17, et arrêt du Tribunal du 19 mai 2010, Boliden e.a./Commission, T‑19/05, non encore publié au Recueil, point 90).

34      En l’espèce, il n’est ni établi ni même allégué que le moyen pris de la fausse application du critère du créancier privé serait fondé sur des éléments de droit et, de fait, qui se sont révélés pendant la procédure.

35      Par ailleurs, ce moyen ne saurait être considéré comme l’ampliation du moyen tiré de l’« insuffisance manifeste de motivation » de la décision attaquée, en raison même de la distinction qu’il y a lieu d’opérer entre ces deux moyens.

36      En conséquence, il convient de limiter l’examen du présent moyen à la seule question de savoir si la décision attaquée est entachée d’une « insuffisance manifeste de motivation ».

 Sur l’insuffisance de motivation de la décision attaquée

37      Selon une jurisprudence constante, la portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté. La motivation doit faire apparaître de manière claire et non équivoque le raisonnement de l’institution auteur de l’acte, de façon à permettre, d’une part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle de légalité et, d’autre part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de pouvoir défendre leurs droits et de vérifier si la décision est bien fondée. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi au regard de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63, et arrêt du Tribunal du 3 mars 2010, Freistaat Sachsen e.a./Commission, T‑102/07 et T‑120/07, non encore publié au Recueil, point 180).

38      En particulier, la Commission n’est pas tenue de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par les intéressés. Il lui suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (arrêt de la Cour du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, Rec. p. I‑4777, point 96, et arrêt Freistaat Sachsen e.a./Commission, point 37 supra, point 180).

39      C’est à la lumière de ces principes qu’il y a lieu d’examiner les différents griefs de la requérante qui sont relatifs à l’insuffisance de motivation de la décision attaquée.

40      Par son premier grief, la requérante reproche à la Commission d’avoir comparé la situation de Banesto avec celle du Fogasa en procédant à une généralisation par voie d’extrapolation du comportement de Banesto à celui de tout créancier privé, sans motiver juridiquement ce qui amène celle-ci à ériger directement et sans arguments juridiques solides la situation d’un créancier unique, Banesto, en modèle du créancier privé agissant dans le but de recouvrer ses créances.

41      Il y a lieu de constater que ce premier grief repose sur une prémisse erronée. En effet, il ressort des considérants de la décision attaquée que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission ne s’est pas fondée uniquement sur le comportement de Banesto pour apprécier le comportement du Fogasa dans le cadre de son appréciation du critère du comportement du créancier privé agissant dans le but de recouvrer ses créances.

42      Aux considérants 36 et 37 de la décision attaquée, la Commission a défini les critères sur lesquels elle entendait se fonder pour déterminer si le Fogasa s’était comporté comme un créancier privé l’aurait fait. Au nombre de ces paramètres, figure la « situation des créanciers publics par rapport à celle des créanciers privés », ainsi que les chances de recouvrer l’ensemble des sommes dues sans avoir à subir de pertes financières et les perspectives de rentabilité à terme et de viabilité de la requérante.

43      Au considérant 39 de la décision attaquée, la Commission a confirmé qu’elle entendait examiner l’accord Fogasa I et l’accord Fogasa II à la lumière des critères applicables au créancier privé.

44      En premier lieu, la Commission a analysé, aux considérants 42 et suivants de la décision attaquée, l’accord Fogasa I, au moment de sa conclusion, en prenant en compte la « situation du Fogasa par rapport [à celles des] créanciers privés, dont Banesto ».

45      Au considérant 42 de la décision attaquée, la Commission a relevé que le Fogasa avait assorti l’accord Fogasa I d’une hypothèque sur les actifs de la requérante pour garantir au moins une partie de sa créance.

46      Quant à la possibilité de recouvrer l’ensemble des sommes dues par la requérante au Fogasa sans avoir à subir de pertes financières, la Commission a précisé, au considérant 48 de la décision attaquée, que le taux d’intérêt concédé par le Fogasa était le taux légal de 10 % en vigueur au moment de la conclusion de l’accord Fogasa I.

47      La Commission en a déduit, au considérant 49 de la décision attaquée, que le Fogasa avait ainsi appliqué le principe de l’arrêt Tubacex, point 10 supra, selon lequel un créancier ne cherche pas à réaliser un bénéfice extraordinaire sur l’argent qui lui est dû, mais souhaite seulement recouvrer la totalité des sommes avancées par lui sans subir un préjudice financier.

48      Au considérant 49 de la décision attaquée, la Commission a également précisé que, « lorsqu’il accorde un rééchelonnement de sa créance dans le but d’obtenir le remboursement de celle-ci, il exige le paiement supplémentaire d’un intérêt qui a pour objet de compenser la dépréciation que l’argent subira en raison du rééchelonnement ».

49      Par ailleurs, la Commission a conclu, au considérant 77 de la décision attaquée, que la mesure ayant conduit à l’accord Fogasa I pouvait être considérée comme étant conforme au critère du créancier privé.

50      En deuxième lieu, la Commission a analysé la mise en œuvre de l’accord Fogasa I et a constaté, au considérant 56 de la décision attaquée, que la situation du Fogasa n’était pas comparable à celle des créanciers privés, dans la mesure où il n’avait pas cherché à recouvrer sa créance conformément à l’accord Fogasa I.

51      En ce qui concerne la possibilité de recouvrer l’ensemble des sommes dues par la requérante sans subir de pertes financières, la Commission a relevé, au considérant 57 de la décision attaquée, que, au moment de la renégociation de l’accord Fogasa I, le Fogasa n’avait pas exigé le paiement supplémentaire d’un intérêt, puisque le montant total à payer était resté identique, quand bien même l’échéance finale avait été repoussée de deux ans.

52      Quant aux perspectives de rentabilité à terme de la requérante, la Commission a indiqué, au considérant 60 de la décision attaquée, que le Fogasa ne s’était pas comporté comme un créancier privé l’aurait fait, eu égard à la dégradation continue de la situation financière de la requérante, en n’exigeant pas le paiement supplémentaire d’un intérêt lors du rééchelonnement des échéances des dettes consenti en 1999 ou en n’appliquant pas des intérêts moratoires sur les sommes non payées conformément à l’accord Fogasa I.

53      En troisième lieu, la Commission a apprécié la conclusion de l’accord Fogasa II au regard de la « situation des créanciers publics par rapport à celle des créanciers privés » et a conclu, au considérant 67 de la décision attaquée, que le Fogasa « ne [s’était] pas comporté comme un ‘ créancier privé ’ l’aurait fait », en n’exigeant pas le paiement des dettes ayant fait l’objet de l’accord Fogasa I conformément au calendrier arrêté dans ledit accord, en raison des perspectives de rentabilité incertaines de la requérante dues à la dégradation continue de sa situation financière, et en acceptant de conclure un accord portant sur de nouvelles dettes.

54      Il résulte de tout ce qui précède que, en se référant ainsi, dans son raisonnement, au comportement qu’aurait eu, dans les mêmes conditions, un créancier privé, la Commission a appliqué le principe du créancier privé, conformément aux critères préalablement établis aux considérants 36 et 37 de la décision attaquée. Elle ne s’est donc pas fondée uniquement sur le comportement de Banesto pour apprécier le comportement du Fogasa au regard du critère du comportement du créancier privé agissant dans le but de recouvrer ses créances.

55      Dans ces conditions, le premier grief doit être rejeté.

56      Par son deuxième grief, la requérante soutient que la Commission a omis de préciser les termes des accords liant la requérante respectivement au Fogasa et à Banesto. Il s’ensuivrait une absence totale et absolue de motivation en ce que celle-ci a comparé la situation de deux créanciers différents, sans tenir compte des spécificités de chaque accord. Les similitudes entre le comportement du créancier privé agissant dans le but de recouvrer ses créances et celui de Banesto n’auraient pas été suffisamment étudiées ni analysées par la Commission, dont l’argumentation manquerait de rigueur et de motivation.

57      Il y a lieu de constater que la requérante ne précise pas, au soutien de son deuxième grief, en quoi les accords qu’elle invoque dans ce cadre et dont elle connaît chacune des clauses, dès lors qu’elle est partie contractante à ces accords, comporteraient des spécificités dont l’absence de mention dans la décision attaquée affecterait la motivation de celle-ci en ce qui concerne les comparaisons effectuées par la Commission.

58      En tout état de cause, ne ressortent de la décision attaquée ni un défaut de description des termes des accords en cause ni une comparaison insuffisante des comportements du Fogasa et de Banesto.

59      En effet, s’agissant, en premier lieu, de la conclusion de l’accord Fogasa I, il ressort de la décision attaquée que la Commission a comparé les garanties et les taux d’intérêts convenus entre la requérante et le Fogasa, d’une part, et entre la requérante et Banesto, d’autre part.

60      Aux considérants 42 et 43 de la décision attaquée, la Commission a constaté que le Fogasa et Banesto avaient, chacun, assorti leur accord avec la requérante d’une hypothèque sur les actifs de celle-ci et que les taux d’intérêt accordés par les deux créanciers étaient conformes à la législation applicable au moment où les parties sont parvenues à un accord.

61      Au considérant 45 de la décision attaquée, la Commission a également indiqué que Banesto n’avait pas exercé dès l’annonce de l’état de cessation de paiement de la requérante ses droits sur les créances privilégiées dont il disposait en raison de ses hypothèques, et que la requérante ne lui a cédé qu’en 1996 ses actions dans l’entreprise Inquitex, en règlement partiel de ses dettes.

62      Au considérant 46 de la décision attaquée, la Commission a relevé que le Fogasa avait fait preuve d’une prudence avisée au moment de la conclusion de l’accord Fogasa I en obtenant des garanties dès l’annonce de la cessation de paiement de la requérante, contrairement à Banesto.

63      Il se déduit également des considérants 50 à 52 de la décision attaquée que les perspectives de retour de la requérante à meilleure fortune étaient espérées tant par le Fogasa que par les créanciers privés, en ce compris Banesto, qui a renoncé à l’exercice de ses droits hypothécaires, ainsi que cela ressort du considérant 46 de ladite décision,

64      S’agissant, en second lieu, de l’analyse effectuée par la Commission de la mise en œuvre de l’accord Fogasa I, la Commission a relevé aux considérants 54 à 56 de la décision attaquée que le Fogasa avait préféré modifier l’accord Fogasa I, plutôt que de faire droit à ses garanties et à ses hypothèques, alors même que la requérante ne lui avait remboursé que 50 % de sa dette et que Banesto avait accepté en règlement partiel de sa créance une dation en paiement de terrains et la cession des actions détenues par la requérante dans l’entreprise Inquitex.

65      La Commission en a déduit que Banesto avait cherché à protéger une partie de sa créance, alors que le Fogasa n’avait aucunement cherché à recouvrer sa créance conformément à l’accord Fogasa I.

66      En ce qui concerne, en troisième lieu, la conclusion de l’accord Fogasa II, la Commission a relevé, au considérant 62 de la décision attaquée, que le comportement du Fogasa n’était pas comparable à celui de Banesto, qui avait cherché à protéger une partie de sa créance lors de la conclusion de l’accord de 1996, alors que le Fogasa, qui n’avait reçu qu’un paiement partiel des sommes que la requérante devait rembourser conformément à l’accord Fogasa I, a néanmoins conclu l’accord Fogasa II portant sur de nouvelles dettes.

67      En conséquence, il n’apparaît pas que la Commission ait omis de décrire les termes des accords en cause ou procédé à une comparaison insuffisante des comportements du Fogasa et de Banesto, de sorte que la décision attaquée serait dépourvue de motivation.

68      Il y a donc lieu de rejeter le deuxième grief.

69      Par son troisième grief, dirigé contre la conclusion de la Commission, exposée au considérant 72 de la décision attaquée, selon laquelle la TGSS a cherché à protéger ses créances en évitant de subir des pertes financières, en conformité avec l’arrêt Tubacex, point 10 supra, la requérante soutient que, si la Commission a comparé la situation de la TGSS avec celle des créanciers privés, celle-ci s’est toutefois limitée « à une comparaison succincte du moment de conclusion de l’accord avec la TGSS, sans comparer la situation de l’accord avec celle de Banesto et sans même faire mention de cette dernière ». La requérante s’étonne de l’absence d’argumentation et de motivation de la déclaration de la Commission selon laquelle la TGSS se serait comportée comme l’aurait fait un créancier privé.

70      S’agissant de la possibilité, pour la TGSS, de recouvrer ses créances « sans subir de préjudice financier », la Commission ne parviendrait à aucune conclusion motivée sur la possibilité que l’accord de rééchelonnement cause à cette dernière un préjudice financier. La Commission se bornerait à relever la conformité à la jurisprudence issue de l’arrêt Tubacex, point 10 supra, de l’application du taux d’intérêt légal prévu par la législation espagnole pour conclure que la doctrine du créancier privé a été respectée.

71      Il y a lieu de constater que, au considérant 72 de la décision attaquée, la Commission a conclu que la TGSS avait cherché à protéger ses créances en évitant de subir des pertes financières, et ce en conformité avec l’arrêt Tubacex, point 10 supra.

72      Cette conclusion excluant l’existence d’éléments d’aide d’État, la requérante ne dispose d’aucun intérêt à en alléguer le défaut de motivation.

73      En conséquence, le troisième grief doit être rejeté comme irrecevable.

74      Par son quatrième grief, la requérante reproche à la Commission d’avoir omis toute référence aux implications des accords de réaménagement de dettes pour le marché en cause, à la commercialisation du produit dans les autres États membres ou à la façon dont ces accords menacent de fausser la concurrence entre les producteurs.

75      La menace de distorsion de concurrence évoquée par la Commission serait au demeurant un argument insuffisant pour déterminer si un accord de réaménagement de dettes peut être considéré comme une aide d’État illégale qui fausse la concurrence, dès lors qu’une telle qualification ne saurait découler d’une simple menace.

76      Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la Commission n’est pas tenue de démontrer l’effet réel que des aides incompatibles avec le marché commun ont eu sur la concurrence et sur les échanges entre États membres (arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑298/00 P, Rec. p. I‑4087, point 49, et arrêt du Tribunal du 15 juin 2010, Mediaset/Commission, T‑177/07, non encore publié au Recueil, point 145).

77      Cette jurisprudence est d’ailleurs confortée par le libellé de l’article 87, paragraphe 1, CE (actuellement article 107, paragraphe 1, TFUE) selon lequel sont incompatibles avec le marché commun non seulement les aides qui « faussent » la concurrence, mais également, contrairement à ce que soutient la requérante, celles qui « menacent » de fausser celle-ci (arrêt du Tribunal du 30 janvier 2002, Keller et Keller Meccanica/Commission, T‑35/99, Rec. p. II‑261, point 85).

78      Il s’ensuit que la Commission n’était pas tenue de démontrer les implications des accords de réaménagement de dettes pour le marché en cause.

79      En outre, le considérant 81 de la décision attaquée comporte, contrairement à ce que soutient la requérante, des références à la commercialisation du produit en cause dans les autres États membres de l’Union et à la façon dont les accords de réaménagement de dettes menacent de fausser la concurrence entre les producteurs.

80      En effet, au considérant 81 de la décision attaquée, la Commission a décrit, au soutien de la constatation de l’affectation des échanges entre les États membres et de la menace de distorsions de concurrence induites par l’avantage économique découlant des mesures adoptées par le Fogasa et la TGSS, une série d’éléments factuels, au nombre desquels figurent le nombre limité de producteurs de l’Union, l’importance du chiffre d’affaires de la requérante et des échanges commerciaux entre États membres dans le secteur concerné, la vocation exportatrice de la requérante et la concurrence exercée par d’autres entreprises de l’Union.

81      Il convient en outre de tenir compte du fait que la décision attaquée s’inscrit dans un contexte bien connu de la requérante, puisqu’elle a été adoptée à la suite des décisions 1999/395 et 2001/43 et que cette dernière décision a été annulée par l’arrêt Lenzing/Commission, point 13 supra, confirmé, sur pourvoi, par la Cour (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 30 septembre 2003, Freistaat Sachsen e.a./Commission, C‑57/00 P et C‑61/00 P, Rec. p. I‑9975, point 77, et arrêt du Tribunal du 9 juillet 2008, Alitalia/Commission, T‑301/01, Rec. p. II‑1753, point 69).

82      Ces références à la commercialisation du produit en cause dans les autres États membres et à la façon dont les accords de réaménagement de dette menacent de fausser la concurrence entre les producteurs constituent en l’espèce une motivation suffisante, dès lors qu’elles permettent à la requérante de connaître les justifications de la mesure prise et au Tribunal d’exercer son contrôle de légalité.

83      Il y a donc lieu de rejeter le quatrième grief.

84      Il résulte des développements qui précèdent qu’il y a lieu de rejeter le moyen tiré de l’insuffisance de motivation de la décision attaquée.

 Sur le moyen pris de l’absence d’avantage économique résultant des mesures adoptées par le Fogasa et la TGSS

85      Dans la réplique, la requérante fait valoir que ses dettes ont été rééchelonnées dans le respect du droit et qu’elle a fait face à leur paiement avec les intérêts afférents, de sorte qu’elle ne se trouve en rien exonérée des charges financières qui lui incombaient.

86      Il suffit de constater que, comme la Commission le relève à juste titre au point 16 de la duplique, sans avoir été contredite sur ce point par la requérante au cours de l’audience, le moyen pris de l’absence d’avantage économique résultant des mesures adoptées par le Fogasa et la TGSS n’a pas été invoqué dans la requête.

87      Il s’ensuit que le présent moyen doit être considéré comme un moyen nouveau, dont l’article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure interdit la production, à moins qu’un tel moyen ne se fonde sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure ou constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci.

88      Aucune de ces deux circonstances n’ayant été alléguée en l’espèce, il y a lieu de rejeter comme irrecevable le moyen pris de l’absence d’avantage économique résultant des mesures adoptées par le Fogasa et la TGSS en faveur de la requérante.

89      Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

90      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

91      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Sniace, SA est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par la Commission européenne, en ce compris ceux afférents à la procédure de référé.

Truchot

Martins Ribeiro

Kanninen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 novembre 2011

Signatures


* Langue de procédure : l’espagnol.