Language of document : ECLI:EU:C:2003:200

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PHILIPPE LÉGER

présentées le 3 avril 2003(1)

Affaire C-422/01

Försäkringsaktiebolaget Skandia (publ) et Ola Ramstedt

contre

Riksskatteverket

[demande de décision préjudicielle formée par le Regeringsrätten (Suède)]

«Article 49 CE - Assurance complémentaire de retraite - Différence de traitement fiscal entre les assurances souscrites auprès d'assureurs établis sur le territoire national et celles souscrites auprès d'assureurs établis dans un autre État membre»

Le cadre juridique national

La loi suédoise portant sur les règles relatives au régime fiscal des contrats d’assurance (2) distingue les assurances vieillesse des assurances de capitaux en leur appliquant un régime fiscal différent.

Elle énumère les diverses conditions qu’une assurance doit remplir pour pouvoir être considérée comme une assurance vieillesse (3). L’assurance doit, entre autres, être souscrite auprès d’un assureur établi en Suède.

À défaut de remplir ces conditions, l’assurance est considérée comme une assurance de capitaux. Il en est ainsi de la souscription d’une assurance auprès d’un assureur étranger, même si elle remplit toutes les autres conditions applicables à une assurance vieillesse. Une telle assurance est considérée, au regard de la loi suédoise, comme une assurance de capitaux et se voit appliquer les règles en matière d’impôts directs y afférentes.

La loi suédoise prévoit des dispositions particulières en ce qui concerne les assurances complémentaires de retraite qui sont des assurances vieillesse liées à un emploi. En effet, les retraites complémentaires peuvent être garanties soit par la souscription et le paiement par l’employeur d’une assurance vieillesse, soit par transfert à une fondation de retraite, soit par la constitution d’une réserve spéciale figurant au bilan de l’employeur (4).

Le litige au principal concerne une retraite complémentaire garantie par la souscription par l’employeur d’une assurance vieillesse. Ce dernier s’engage, en qualité de preneur d’assurance, à payer la totalité des cotisations, le salarié étant l’assuré (5). Les sommes dues en exécution d’un contrat d’assurance complémentaire de retraite sont versées directement par l’assureur établi en Suède à l’assuré, le salarié retraité, en tant que retraite complémentaire. Dans le cas d’une assurance souscrite auprès d’un assureur établi dans un autre État membre, les sommes sont normalement versées par l’assureur à l’employeur, qui les reverse au salarié retraité.

Le régime fiscal applicable aux retraites complémentaires garanties par une assurance souscrite auprès d’un assureur suédois prévoit que les cotisations payées par l’employeur au titre de l’assurance sont immédiatement déductibles de son résultat imposable. La retraite qui est versée ultérieurement est entièrement imposable dans le chef du bénéficiaire assuré, donc du salarié retraité, comme impôt sur le revenu.

En revanche, le régime fiscal applicable aux retraites complémentaires garanties par une assurance souscrite auprès d’un assureur établi dans un autre État membre est différent de celui que nous venons de présenter. Tout d’abord, une assurance souscrite auprès d’un tel assureur en vue de garantir une retraite complémentaire est dénommée assurance de capitaux (6). Quant aux conséquences sur le plan fiscal, les cotisations payées par l’employeur ne sont pas déductibles de son résultat imposable. Les sommes dues en exécution du contrat sont versées par l’assureur étranger à l’employeur suédois, qui les reverse au salarié bénéficiaire de la retraite (7). Ce n’est qu’une fois l’assurance complémentaire versée au salarié que l’employeur peut opérer une déduction, limitée au montant effectivement versé au salarié retraité, et ce à chaque versement. La déductibilité de la charge que représente les engagements de retraite pour l’employeur est ainsi reportée contrairement au cas où la même assurance est souscrite auprès d’un assureur établi en Suède (8). La retraite qui est versée ultérieurement est entièrement imposable dans le chef du bénéficiaire assuré, donc du salarié retraité, comme impôt sur le revenu.

Le régime fiscal applicable à l’assurance complémentaire de retraite est ainsi différent, selon que l’assureur est établi en Suède ou dans un autre État membre.

Enfin, il convient de signaler que le royaume de Suède a conclu des conventions en vue d’éviter la double imposition avec tous les États membres, à l’exception de la République portugaise. Ces conventions, conclues selon le modèle de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), contiennent une clause prévoyant que l’imposition des pensions de retraite se fait dans l’État de résidence même si les cotisations ont été versées dans un autre État (9).

Les faits et la procédure au principal

Ola Ramstedt est un ressortissant suédois, domicilié en Suède et employé par l’entreprise suédoise Skandia. Cette dernière s’est engagée envers M. Ramstedt à souscrire au profit de celui-ci une assurance complémentaire de retraite. Ladite assurance serait souscrite auprès de l’entreprise danoise Skandia Link Livforsikring A/S, de l’entreprise allemande Skandia Lebensversicherung AG ou de l’entreprise anglaise Skandia Life Assurance Ltd.

M. Ramstedt et Skandia ont introduit une demande de décision préalable auprès du Skatterättsnämnden (commission de droit fiscal) afin de se faire préciser les conséquences fiscales de la souscription d’une assurance complémentaire de retraite auprès d’assureurs étrangers. Concrètement, la demande portait sur les conséquences fiscales relatives aux impôts directs pour Skandia (droit à déduction) et pour M. Ramstedt (imposition des sommes perçues).

Par décision du 1er février 2000, le Skatterättsnämnden a fait savoir que Skandia ne pourrait pas bénéficier d’un droit à déduction pour les cotisations versées, mais qu’un droit à déduction de la pension de retraite naissait lors du versement de celle-ci comme pour une pension directe. Par ailleurs, M. Ramstedt serait imposable sur les sommes qui lui seraient versées en exécution du contrat. La décision soulignait qu’il y avait une différence de traitement entre les assureurs établis en Suède et ceux établis dans un autre État membre, mais qu’elle n’était pas discriminatoire en vertu de l’arrêt Bachmann (10).

M. Ramstedt et Skandia ont introduit un recours contre cette décision préalable devant le Regeringsrätten.

Dans son ordonnance de renvoi, le Regeringsrätten constate que, en vertu de la décision litigieuse, le droit de Skandia de déduire les charges de pension de retraite est différé par rapport au paiement des cotisations, en ce que cette déduction ne porte pas sur les cotisations versées, mais sur les sommes effectivement acquittées à titre de pension de retraite.

La juridiction de renvoi affirme que cette différence de régime fiscal applicable est moins favorable dans certains cas pour l’employeur Skandia lorsque l’assurance est souscrite auprès d’un assureur établi dans un État membre autre que la Suède. Elle évoque deux hypothèses.

Si le paiement des sommes dues en exécution du contrat d’assurance, et donc la déduction, n’intervient que longtemps après le paiement des cotisations, alors que le montant des sommes versées n’est pas légèrement supérieur à celui des cotisations payées, la souscription d’une assurance complémentaire de retraite à l’étranger peut avoir des conséquences plus défavorables, quant aux impôts directs, que la souscription d’une telle assurance auprès d’un assureur établi en Suède. Si le paiement des sommes dues en exécution du contrat d’assurance et la déduction des cotisations interviennent peu de temps après la souscription et que le montant des sommes versées est sensiblement supérieur à celui des cotisations payées, l’effet peut être inverse (11).

La juridiction de renvoi note, cependant, que les conséquences en matière d’impôts directs pour M. Ramstedt, indépendamment du choix de son employeur d’un assureur établi en Suède ou dans un autre État membre, sont neutres. En effet, dans les deux cas, l’employé est imposé sur les sommes qu’il perçoit comme revenu.

Ladite juridiction souligne, dans son ordonnance de renvoi, l’éventualité de conséquences moins favorables du fait de l’application du régime fiscal en matière d’assurance de capitaux plutôt que celui en matière d’assurance complémentaire de retraite. Ce constat l’amène à s’interroger sur l’obligation découlant de l’IL pour un assureur d’être établi en Suède pour pouvoir bénéficier du régime fiscal d’assurance vieillesse au regard des libertés fondamentales garanties par le traité CE.

La question préjudicielle

Le Regeringsrätten a donc décidé de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les règles communautaires relatives à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux, notamment l’article 49 CE, lu ensemble avec l’article 12 CE, doivent-elles être interprétées [en ce] sens qu’elles interdisent la mise en .uvre de règles fiscales nationales ayant pour effet qu’une assurance, souscrite auprès d’un assureur établi en Angleterre, en Allemagne ou au Danemark et remplissant toutes les conditions d’une assurance complémentaire de retraite suédoise — à l’exception de celle d’être souscrite auprès d’un assureur établi en Suède — soit traitée comme une assurance de capitaux, avec des effets en matière d’impôts directs qui, en fonction des circonstances de l’espèce, peuvent être moins favorables que ceux attachés à une assurance complémentaire de retraite?»

Analyse

Par sa question, le juge de renvoi interroge la Cour sur le point de savoir si les règles du traité sur la libre circulation des personnes et des capitaux, sur la libre prestation des services ainsi que sur la non-discrimination s’opposent à une législation nationale, comme celle en l’espèce, qui prévoit un régime fiscal moins favorable pour une assurance complémentaire de retraite souscrite auprès d’un assureur établi dans un État membre autre que la Suède, par rapport à une même assurance souscrite auprès d’un assureur établi en Suède.

Nous estimons, comme la Commission des Communautés européennes, que la question préjudicielle peut être limitée (12) à l’interprétation de l’article 49 CE.

Selon une jurisprudence bien établie, la conclusion d’une assurance vieillesse, en vue de la perception ultérieure de pensions de retraite, relève des dispositions sur la libre prestation des services au sens des articles 49 CE et suivants (13). De mme, selon une jurisprudence constante, l’article 12 CE n’a vocation à s’appliquer que dans des situations régies par le droit communautaire pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination (14). En l’espèce, l’article 49 CE fait référence à ce principe de non-discrimination précisément dans le cadre de la libre prestation des services.

En conséquence, nous examinerons si l’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’une législation nationale, comme celle en l’espèce, qui prévoit des règles fiscales moins favorables lorsqu’une assurance complémentaire de retraite est souscrite auprès d’un assureur établi dans un autre État membre, que lorsqu’elle est souscrite auprès d’un assureur établi dans l’État membre concerné.

La restriction à la libre prestation des services

Selon une jurisprudence constante de la Cour, «si, en l’état actuel du droit communautaire, la matière des impôts directs ne relève pas en tant que telle du domaine de la compétence de la Communauté, il n’en reste pas moins que les États membres doivent exercer leurs compétences retenues dans le respect du droit communautaire» (15). Il s’ensuit que les États membres, dans l’exercice de leur compétence retenue, ne doivent pas contrevenir aux libertés fondamentales garanties par le traité, telles que la libre prestation des services (16).

Or, selon la Cour, «[d]ans l’optique d’un marché unique, et pour permettre de réaliser les objectifs de celui-ci, l’article 59 du traité s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que celle purement interne à un État membre» (17).

1.
    Il y a lieu de relever ensuite que, en vertu d’une jurisprudence constante, une discrimination consiste dans l’application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l’application de la même règle à des situations différentes (18). Or, la législation en cause dans le litige au principal prévoit l’application de règles fiscales différentes pour une même situation, à savoir la souscription d’une assurance complémentaire de retraite identique, selon qu’elle est souscrite auprès d’une compagnie d’assurance établie ou non en Suède.

La Commission distingue les conséquences de la législation suédoise quant à la situation fiscale de Skandia et celle concernant M. Ramstedt. Selon elle, M. Ramstedt est imposé sur les prestations qui lui sont versées de la même manière, que l’assurance soit souscrite auprès d’un assureur établi en Suède ou dans un autre État membre. En revanche, en ce qui concerne Skandia, les cotisations versées ne sont pas déductibles au moment de leur versement. La déduction n’est possible que lorsque les prestations correspondantes sont versées à M. Ramstedt sous forme de pension et non pour les cotisations versées. Alors que, si Skandia souscrivait l’assurance complémentaire de retraite pour M. Ramstedt auprès d’un assureur établi en Suède, elle pourrait déduire les cotisations dès leur versement.

Comme la Commission, nous pensons qu’une législation telle que celle en cause dans le litige au principal comporte un ensemble d’éléments susceptibles de dissuader, voire d’empêcher, l’employeur de souscrire une assurance complémentaire de retraite auprès d’un assureur non établi en Suède (19).

Nos développements porteront uniquement sur l’analyse de l’article 49 CE au regard du régime fiscal applicable, conformément à la législation suédoise, à l’employeur Skandia.

Le régime fiscal applicable à l’employeur qui souscrit une assurance complémentaire de retraite auprès d’un assureur établi dans un État membre autre que la Suède est moins favorable que celui applicable lorsque l’assureur est établi en Suède. Afin d’échapper à cette fiscalité moins favorable, l’employeur ne peut que souscrire la même assurance auprès d’un assureur établi en Suède. Par là même, nous voyons que la législation suédoise aboutit à imposer une condition d’établissement sur son territoire pour la fourniture d’une assurance vieillesse.

Une telle exigence représente une discrimination indirecte contraire à la libre prestation des services, ce que tous les intervenants à l’affaire reconnaissent directement ou indirectement. De ce fait, la question fondamentale en l’espèce est celle d’une éventuelle justification de cette discrimination.

Les justifications avancées

Le gouvernement suédois et le Riksskatteverket (administration des contributions) envisagent quatre motifs justificatifs face à l’exigence d’établissement en Suède prévue par la législation en cause. Les justifications avancées, pour affirmer que ladite législation n’est pas contraire au droit communautaire, sont la cohérence fiscale, l’efficacité des contrôles fiscaux, la protection de l’intégrité de l’assiette fiscale et la neutralité concurrentielle (20).

À notre avis, aucune de ces justifications n’est fondée.

La cohérence fiscale

Les gouvernements suédois et danois ainsi que le Riksskatteverket se fondent sur l’argument de la cohérence du système fiscal pour justifier la législation nationale en cause. Selon eux, la solution de la Cour dans l’affaire Bachmann, précitée, est transposable en l’espèce même si la situation factuelle n’est pas complètement identique.

Dans l’affaire Bachmann, précitée, la Cour a été confrontée à la législation fiscale belge qui prévoyait que les primes d’assurance vie ne pouvaient pas être déduites du revenu imposable lorsqu’elles étaient versées à l’étranger. La Cour a considéré qu’un tel régime était compatible avec le droit communautaire parce qu’il existait un lien direct entre la déductibilité des cotisations et l’imposition des pensions. En effet, dans le système belge, la perte de recettes due à la déduction des cotisations d’assurance était compensée par l’imposition des pensions, des annuités et des rentes en capital versées par les assureurs. À l’inverse, ces montants étaient exonérés lorsque les cotisations n’étaient pas déductibles.

Dans le système national en cause dans l’affaire Bachmann, précitée, le désavantage fiscal était compensé par un avantage fiscal ultérieur.

Contrairement aux gouvernements suédois et danois, nous pensons que cette solution n’est pas transposable en l’espèce. Comme le remarquent justement Skandia (21), la Commission et l’Autorité de surveillance AELE, l’espèce se distingue de celle qui a donné lieu à l’arrêt Bachmann, précité. Dans la présente affaire, le système fiscal suédois ne prévoit pas d’avantage fiscal pour compenser le désavantage fiscal subi par l’employeur Skandia, du fait de l’application des règles fiscales suédoises relatives à l’assurance de capitaux qui ne lui permettent pas de déduire les cotisations versées au titre de cette assurance.

En effet, la législation nationale prévoit que Skandia, à la suite de la souscription de l’assurance en cause auprès d’un assureur établi dans un État membre autre que la Suède, doit attendre jusqu’au moment du versement des pensions pour bénéficier du droit à déduction. La législation suédoise ne prévoit aucun avantage fiscal pour contrebalancer ce désavantage subi par Skandia.

En l’absence d’un avantage fiscal qui permette de contrebalancer le désavantage fiscal subi par Skandia, il n’est pas possible, selon nous, de retenir l’argument de la cohérence du système fiscal pour justifier la législation suédoise au regard du droit communautaire.

L’efficacité des contrôles fiscaux

Selon les gouvernements suédois et danois, l’exigence de l’établissement en Suède se justifie par la nécessité d’exercer de manière satisfaisante un contrôle fiscal efficace. L’administration fiscale suédoise doit être en mesure d’obtenir les informations nécessaires à ce type de contrôle. Les instruments communautaires prévus pour assurer un tel contrôle et, notamment, la directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs (22), ne seraient pas suffisants. De même, il ne serait pas possible de garantir un contrôle fiscal efficace en se fondant sur le volontariat (23).

Nous soulignons que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la justification fondée sur l’efficacité des contrôles fiscaux ne peut être retenue contre une discrimination à la libre prestation des services lorsque la directive 77/799 peut être invoquée par un État membre afin d’obtenir, de la part des autorités compétentes d’un autre État membre, toutes les informations susceptibles de lui permettre l’établissement correct de l’impôt sur le revenu (24).

Nous rappelons également que les conventions conclues en vue d’éviter la double imposition prévoient une entraide et une assistance concernant l’échange d’informations entre les autorités fiscales des États parties. Enfin, rien n’empêche les autorités fiscales suédoises d’exiger, en l’espèce, de Skandia, de M. Ramstedt ou de l’assureur lui-même les preuves qu’elles jugent nécessaires pour apprécier s’il y a lieu ou non d’accorder la déduction demandée (25).

Ainsi, à notre avis, il est possible de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux par des moyens moins restrictifs que la législation suédoise en l’espèce. Cette justification n’est pas fondée.

La nécessité de préserver l’assiette fiscale

Selon les gouvernements suédois et danois, la législation suédoise viserait à éviter le risque de disparition de la matière imposable. En effet, comme le constatent ces gouvernements, il s’agit de la situation dans laquelle le royaume de Suède accepterait la déduction des cotisations versées au titre de l’assurance et qu’ensuite l’employé quitterait la Suède pour aller s’installer dans un autre État, évitant ainsi la taxation de ses prestations d’assurance en tant que revenus. La nécessité de préserver l’assiette fiscale a été reconnue, selon lesdits gouvernements, par la Cour dans l’arrêt Safir, précité, comme raison impérieuse d’intérêt général.

À notre avis, il n’est pas possible de lire et d’interpréter l’arrêt Safir, précité, en ce sens.

En effet, l’arrêt Danner, précité, énonce que, «la Cour a jugé, au point 34 de l’arrêt Safir, précité, que, dans le cas d’espèce, la nécessité de combler le vide fiscal qui résulterait de la non-taxation de l’épargne sous forme d’assurances vie en capital investie dans des compagnies établies dans un autre État membre autre que celui où se trouve la résidence de l’épargnant n’était pas de nature à justifier la mesure nationale en cause qui restreignait la libre prestation des services» (26). La Cour a dit que la nécessité de prévenir une réduction des recettes fiscales ne figure pas parmi les raisons énoncées à l’article 46 CE et qu’elle ne peut être considérée comme une raison impérieuse d’intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une inégalité de traitement (27).

Cette justification ne nous semble donc pas fondée.

La neutralité concurrentielle

La dernière justification avancée par le gouvernement suédois est, selon nous, peu claire et difficilement compréhensible. Ce dernier affirme que la législation nationale exigeant un établissement en Suède est nécessaire pour garantir la neutralité concurrentielle (28). En effet, le gouvernement suédois explique que l’employeur peut déduire de trois manières les charges de pensions de retraite qu’il supporte avant le paiement effectif des pensions dues à l’employé: par la constitution d’une réserve au bilan associée à une assurance crédit, par transfert à une fondation de retraite ou par la souscription d’une assurance vieillesse. La législation suédoise serait nécessaire pour garantir la neutralité concurrentielle, en particulier lorsque la retraite est garantie par la constitution d’une réserve au bilan associée à une assurance crédit ou par transfert à une fondation de retraite.

Nous avons du mal à suivre le raisonnement du gouvernement suédois quant à la justification de sa législation fondée sur la neutralité concurrentielle. Cependant, en tout état de cause, nous pensons, d’une part, que cet argument n’est pas pertinent, car, comme il a été précédemment établi, il s’agit dans le litige au principal d’une assurance complémentaire de retraite garantie par la souscription par l’employeur d’une assurance vieillesse. Donc, nous ne sommes pas dans l’un des deux autres cas de figure, de garantie de l’assurance en cause, avancés par le gouvernement suédois.

D’autre part, à notre avis et comme l’ont souligné la Commission et l’Autorité de surveillance AELE, c’est justement par le respect des règles du traité sur les libertés fondamentales, comme l’article 49 CE, que le respect des règles de concurrence est garanti. Une telle justification ne saurait en aucun cas être retenue.

Conclusion

Nous concluons, par conséquent, à ce que la Cour dise pour droit:

«L’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’une législation nationale, comme celle en l’espèce, qui prévoit des règles fiscales moins favorables lorsqu’une assurance complémentaire de retraite est souscrite auprès d’un assureur établi dans un autre État membre que lorsqu’elle est souscrite auprès d’un assureur établi dans l’État membre concerné.»


1: - Langue originale: le français


2: -     La kommunalskattelagen [loi relative aux impôts communaux (1928:370)], remplacée lors de l’année fiscale 2002 par l'inkomstskattelagen [loi relative à l’impôt sur le revenu (1999:1229), ci-après l'«IL»].


3: -     Chapitre 28 de l’IL.


4: -     Voir observations écrites du gouvernement suédois (point 9) et de Försäkringsaktiebolaget Skandia (publ) (ci-après «Skandia», points 12 et suiv.).


5: -     Chapitre 58, articles 2 à 7 de l’IL. L’assurance complémentaire de retraite relève de ce que le droit communautaire appelle le deuxième pilier. Le premier pilier est constitué par le régime général de pension de retraite. Le deuxième pilier s’ajoute au régime général du premier pilier: il s’agit de la retraite complémentaire. Enfin, le troisième pilier qui s’ajoute aux deux précédents est constitué par la retraite privée (ou assurance individuelle). Voir, sur ces différents points, Livre vert de la Commission du 10 juin 1997 sur les retraites complémentaires dans le marché unique [COM (1997) 283 final] et, plus récemment, communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et Comité économique et social du 19 avril 2001 sur l’élimination des entraves fiscales à la fourniture transfrontalière des retraites professionnelles [COM (2001) 214 final].


6: -     Par souci de clarté, nous parlerons seulement d'assurance complémentaire de retraite en distinguant si elle a été souscrite auprès d'un assureur établi en Suède ou dans un autre État membre. Nous n'utiliserons donc pas la notion d'«assurance de capitaux», mais d'«assurance complémentaire de retraite souscrite auprès d'un assureur établi dans un État membre autre que la Suède».


7: -     L'employeur suédois peut également donner instruction à l'assureur de verser lesdites sommes directement et pour son compte au salarié bénéficiaire (voir observations écrites de Skandia, point 28).


8: -     Comme le souligne Skandia dans ses observations écrites (point 28), dans le cas de jeunes salariés, il peut s'écouler jusqu'à 40 ans avant que l'employeur ne puisse déduire les charges que représentent les engagements de retraite.


9: -     Article 18 du modèle de convention conclue en vue d’éviter la double imposition de l’OCDE, dans Vogel, K., Double Taxation Conventions, Kluwer Law and Taxation Publishers, Deventer-Boston, 1991, p. 855.


10: -     Arrêt du 28 janvier 1992 (C-204/90, Rec. p. I-249).


11: -     Voir ordonnance de renvoi (p. 11).


12: -     Arrêt du 20 mars 1986, Tissier (35/85, Rec. p. 1207, point 9).


13: -     Voir, notamment, arrêts du 5 octobre 1994, Commission/France (C-381/93, Rec. p. I-5145, point 16), et du 28 avril 1998, Safir (C-118/96, Rec. p. I-1897, point 22).


14: -     Voir, entre autres, arrêts du 30 mai 1989, Commission/Grèce (305/87, Rec. p. 1461, point 13), et du 14 juillet 1994, Peralta (C-379/92, Rec. p. I-3453, point 18).


15: -     Voir arrêts du 14 février 1995, Schumacker (C-279/93, Rec. p. I-225, point 21); du 11 août 1995, Wielockx (C-80/94, Rec. p. I-2493, point 16); du 27 juin 1996, Asscher (C-107/94, Rec. p. I-3089, point 36); du 14 septembre 1999, Gschwind (C-391/97, Rec. p. I-5451, point 20), et du 15 janvier 2002, Gottardo (C-55/00, Rec. p. I-413, point 32).


16: -     Voir arrêts Bachmann, précité (point 31), et du 28 janvier 1992, Commission/Belgique (C-300/90, Rec. p. I-305, point 22).


17: -     Voir arrêt du 3 octobre 2002, Danner (C-136/00, non encore publié au Recueil, point 29). Voir, également, arrêts précités Commission/France (point 17), et Safir (point 23).


18: -     Voir arrêt Schumacker, précité (point 30).


19: -     Voir arrêt Safir, précité (point 30).


20: -     Voir observations écrites du gouvernement suédois (p. 8 à 12).


21: -     L'option qui existait dans l'affaire Bachmann, précitée (déductibilité et imposition dans le cas d'une assurance souscrite auprès d'un assureur belge ou non-déductibilité et non-imposition dans le cas d'une assurance souscrite auprès d'un assureur établi en dehors de la Belgique), n'est pas ouverte pour un employeur suédois qui doit souscrire une assurance vie pour garantir une retraite complémentaire (voir observations écrites de Skandia, point 91).


22: -     JO L 336, p. 15.


23: -     Voir observations écrites des gouvernements suédois (points 48 et suiv.) et danois (points 39 et suiv.).


24: -     Voir arrêts précités Bachmann (point 18); Commission/Belgique (point 11); Wielockx (points 24 et 25), et Danner (points 49 et suiv.). Voir également arrêt du 28 octobre 1999, Vestergaard (C-55/98, Rec. p. I-7641, point 26).


25: -     L'employeur suédois, conformément à la loi suédoise, a l'obligation de rendre compte au fisc des sommes payées dans le cadre d'une assurance.


26: -     Point 55.


27: -     Voir arrêt du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN (C-307/97, Rec. p. I-6161, point 51).


28: -     Voir ses observations écrites (points 36 et suiv. ainsi que 57 et 58).