Language of document : ECLI:EU:C:2012:214

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

19 avril 2012 (*)

«Manquement d’État – Articles 39 CE à 42 CE – Libre circulation des personnes – Règlement (CEE) n° 1408/71 – Sécurité sociale des travailleurs migrants – Refus de versement de certaines prestations – Travailleurs employés sur des plateformes pétrolières aux Pays-Bas – Recevabilité du recours»

Dans l’affaire C‑141/10,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 16 mars 2010,

Commission européenne, représentée par MM. V. Kreuschitz et M. van Beek, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

soutenue par:

République portugaise, représentée par M. L. Inez Fernandes et Mme E. Silveira, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme C. M. Wissels, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (huitième chambre),

composée de Mme A. Prechal, président de chambre, M. K. Schiemann (rapporteur) et Mme C. Toader, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en refusant d’octroyer certaines prestations de sécurité sociale à des ressortissants d’autres États membres de l’Union européenne qui sont employés sur des plateformes pétrolières aux Pays-Bas, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 13, paragraphe 2, sous a), et 3, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1992/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006 (JO L 392, p. 1, ci-après le «règlement n° 1408/71»), ainsi que des articles 39 CE à 42 CE.

 Le cadre juridique

 Le droit international

2        La convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982, entrée en vigueur le 16 novembre 1994, ratifiée par le Royaume des Pays-Bas le 28 juin 1996 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 98/392/CE du Conseil, du 23 mars 1998 (JO L 179, p. 1), dispose, à son article 77, intitulé «Droits de l’État côtier sur le plateau continental»:

«1.      L’État côtier exerce des droits souverains sur le plateau continental aux fins de son exploration et de l’exploitation de ses ressources naturelles.

2.      Les droits visés au paragraphe 1 sont exclusifs en ce sens que si l’État côtier n’explore pas le plateau continental ou n’en exploite pas les ressources naturelles, nul ne peut entreprendre de telles activités sans son consentement exprès.

3.      Les droits de l’État côtier sur le plateau continental sont indépendants de l’occupation effective ou fictive, aussi bien que de toute proclamation expresse.

[...]»

 La réglementation de l’Union

3        Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71, intitulé «Égalité de traitement»:

«1.      Les personnes auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions particulières contenues dans le présent règlement.»

4        L’article 13 du règlement n° 1408/71, intitulé «Règles générales», prévoit:

«1.      Sous réserve des articles 14 quater et 14 septies, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre.

2.      Sous réserve des articles 14 à 17:

a)      la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre État membre;

[...]»

 La réglementation nationale

5        L’article 1er de la loi relative au travail minier en mer du Nord (Wet arbeid mijnbouw Noordzee, ci-après la «WAMN») dispose:

«1.      Aux fins de la présente loi, on entend par:

[...]

Travailleur:

–        une personne qui travaille dans le cadre d’un contrat de travail sur ou au départ d’une installation minière sur le plateau continental;

–        une personne, autre qu’une personne visée sous 1), qui a été engagée par contrat de travail pour effectuer un travail, pendant une période d’au moins 30 jours, sur ou au départ d’un navire qui se trouve dans les eaux territoriales ou au-dessus du plateau continental.

2.      Par règlement d’administration publique, peuvent également être considérés comme des travailleurs les personnes autres que celles visées sous 1) qui, dans le cadre d’un contrat de travail, effectuent un travail dans les limites des eaux territoriales ou sur le plateau continental.

[...]»

6        Aux termes de l’article 3 de la WAMN:

«1.      Le présent article s’applique aux travailleurs qui ne sont pas assurés conformément à la loi sur l’assurance-maladie [Ziektewet], auxquels ne s’applique aucun régime équivalent d’un État membre de l’Union européenne et dont le contrat de travail est régi par le droit néerlandais des contrats de travail ou, du moins, par ses dispositions juridiques contraignantes.

2.      Le travailleur qui est empêché d’effectuer le travail prévu pour cause de maladie a le droit, en vertu de l’article 629, paragraphe 1, du livre 7 du code civil, de percevoir une rémunération pendant une période de 104 semaines, même si son contrat de travail prend fin durant cette période.

3.      Il ne peut être dérogé aux dispositions du présent article au détriment du travailleur.»

7        L’article 4 de la WAMN énonce:

«1.      Le présent article s’applique aux travailleurs auxquels ne s’applique pas la loi sur l’assurance soins de santé [Zorgverzekeringswet] pour ce qui est des soins de santé ou tout autre régime équivalent d’un État membre de l’Union européenne et dont le contrat de travail est régi par le droit néerlandais des contrats de travail ou, du moins, par ses dispositions juridiques contraignantes.

2.      L’employeur est tenu de veiller à ce qu’un travailleur soit suffisamment assuré contre le risque de frais liés à

a.      ses soins de santé et traitements médicaux durant tout le contrat de travail et

b.      la poursuite des soins de santé et traitements médicaux durant une période maximale de 52 semaines à compter de la fin du contrat de travail.

[...]»

 Les faits et la procédure précontentieuse

8        Le Parlement européen a demandé à plusieurs reprises au Royaume des Pays-Bas des explications concernant la situation des ressortissants portugais qui sont employés sur une plateforme pétrolière se situant sur le plateau continental néerlandais et qui résident au Portugal, mais qui ne bénéficient pas des mêmes conditions que les travailleurs néerlandais en matière de travail et de sécurité sociale. C’est dans ce contexte que la Commission a, le 23 mars 2007, adressé au Royaume des Pays-Bas une lettre de mise en demeure.

9        Dans cette lettre, la Commission indiquait que, selon elle, la législation néerlandaise en matière de sécurité sociale devrait également être applicable aux ressortissants d’autres États membres de l’Union employés sur des plateformes pétrolières aux Pays-Bas et que le refus des autorités néerlandaises de leur octroyer des prestations de sécurité sociale était contraire au titre II du règlement n° 1408/71 ainsi qu’aux articles 39 CE à 42 CE.

10      N’ayant pas été satisfaite de la réponse du Royaume des Pays-Bas à cette lettre, la Commission a, le 15 avril 2009, adressé un avis motivé à cet État membre.

11      En réponse à cet avis, le Royaume des Pays-Bas a indiqué ne pas partager l’analyse juridique de la Commission, mais a néanmoins exprimé sa volonté de préparer un projet de loi pour mettre fin à la différence de traitement qui se trouve à l’origine de la procédure d’infraction.

12      Le Royaume des Pays-Bas n’ayant pas, selon la Commission, pris toutes les mesures permettant de mettre fin au régime au titre duquel certaines prestations de sécurité sociale ne sont pas octroyées aux ressortissants d’autres États membres employés sur des plateformes pétrolières aux Pays-Bas, celle-ci a introduit le présent recours.

13      Par ordonnance du président de la Cour du 20 septembre 2010, la République portugaise a été autorisée à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

 Sur la recevabilité du recours

14      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, le Royaume des Pays-Bas fait valoir que la Commission n’identifie pas de façon suffisamment claire quelles dispositions nationales légales ou pratiques d’application seraient constitutives d’un manquement. La Commission n’expliquerait pas en quoi des travailleurs employés sur les plateformes de forage et qui ne résident pas aux Pays-Bas sont défavorisés et quels éléments de la législation nationale en matière de sécurité sociale auraient un effet discriminatoire.

15      À cet égard, il convient de relever qu’il résulte de l’article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour et de la jurisprudence relative à cette disposition que toute requête introductive d’instance doit indiquer l’objet du litige ainsi que l’exposé sommaire des moyens, et que cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la Cour d’exercer son contrôle. Il en découle que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours est fondé doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même et que les conclusions de cette dernière doivent être formulées de manière non équivoque afin d’éviter que la Cour ne statue ultra petita ou bien n’omette de statuer sur un grief (voir arrêt du 26 avril 2007, Commission/Finlande, C‑195/04, Rec. p. I‑3351, point 22 et jurisprudence citée).

16      S’agissant des conclusions de la requête de la Commission dans le présent recours, il y a lieu de constater que, selon cette institution, le manquement aux obligations qui incombent au Royaume des Pays-Bas en vertu des articles 13, paragraphe 2, sous a), et 3, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 ainsi que des articles 39 CE à 42 CE réside dans le refus par cet État membre d’octroyer «certaines prestations de sécurité sociale» à des ressortissants d’autres États membres de l’Union qui sont employés sur des plateformes pétrolières aux Pays-Bas.

17      Or, la Commission ne précise pas quelles prestations de sécurité sociale elle vise exactement et elle ne fournit aucun renseignement au sujet du cadre juridique national régissant ces prestations, en se limitant à faire référence aux articles 3 et 4 de la WAMN.

18      En outre, la Commission souligne, tant dans sa requête que dans sa réplique, que lesdits ressortissants n’auront jamais la possibilité d’avoir une couverture sociale complète (y compris pour les pensions, les accidents de travail et l’invalidité) du fait qu’ils ne résident pas sur le territoire néerlandais. De ce fait, elle suggère toutefois que le manquement réside dans le refus par le Royaume des Pays-Bas d’octroyer à ces travailleurs, au-delà de certaines prestations de sécurité sociale, l’ensemble des prestations prévues par le régime néerlandais de sécurité sociale.

19      Il en résulte que l’objet du manquement allégué par la Commission dans le cadre de la présente affaire est formulé d’une façon insuffisamment précise voire équivoque.

20      Par ailleurs, une description suffisamment précise des prestations sociales auxquelles, selon la Commission, les ressortissants d’autres États membres de l’Union qui sont employés sur des plateformes pétrolières aux Pays-Bas doivent avoir droit est d’autant plus indispensable que la constatation d’un manquement aux obligations résultant de l’article 39 CE, invoqué par la Commission dans le cadre du présent recours, implique que la Cour puisse déterminer par rapport à quelle situation exactement le cas d’un tel ressortissant est moins favorable (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 2012, Salemink, C‑347/10, non encore publié au Recueil, point 43). Or, la façon dont la Commission a défini l’objet de son recours ne permet pas une telle analyse.

21      Dans ces conditions, la Cour ne dispose pas d’éléments suffisants pour lui permettre d’appréhender exactement la portée de la violation du droit de l’Union alléguée par la Commission ni dès lors de se prononcer, dans le cadre de la présente affaire, sur l’existence d’une telle violation.

22      Par conséquent, le recours de la Commission doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

23      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Royaume des Pays-Bas ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner aux dépens. La République portugaise, qui est intervenue au soutien du recours de la Commission, supporte, conformément à l’article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête:

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

3)      La République portugaise supporte ses propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.