Language of document : ECLI:EU:C:2008:447

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

25 juillet 2008 (*)

«Directive 96/62/CE – Évaluation et gestion de la qualité de l’air ambiant – Fixation des valeurs limites – Droit d’un tiers lésé dans sa santé à l’établissement d’un plan d’action»

Dans l’affaire C‑237/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne), par décision du 29 mars 2007, parvenue à la Cour le 14 mai 2007, dans la procédure

Dieter Janecek

contre

Freistaat Bayern,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. L. Bay Larsen, K. Schiemann, J. Makarczyk et J.‑C. Bonichot (rapporteur), juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M. B. Fülop, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 juin 2008,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Janecek, par Me R. Klinger, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. Wissels et M. M. De Grave, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. F. Erlbacher ainsi que par Mmes A. Alcover San Pedro et D. Recchia, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 96/62/CE du Conseil, du 27 septembre 1996, concernant l’évaluation et la gestion de la qualité de l’air ambiant (JO L 296, p. 55), telle que modifiée par le règlement (CE) n° 1882/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 29 septembre 2003 (JO L 284, p. 1, ci-après la «directive 96/62»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Janecek au Freistaat Bayern au sujet d’une demande tendant à ce qu’il soit ordonné à ce dernier d’établir un plan d’action pour la qualité de l’air dans le secteur de la Landshuter Allee, à Munich, où l’intéressé réside, ce plan devant comporter les mesures à prendre à court terme afin d’assurer le respect de la limite autorisée par la législation communautaire en ce qui concerne les émissions de particules fines PM10 dans l’air ambiant.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        Aux termes du douzième considérant de la directive 96/62:

«[...] il est nécessaire, en vue de protéger l’environnement dans son ensemble et la santé humaine, que les États membres prennent des mesures en cas de dépassement des valeurs limites de façon à assurer le respect de ces valeurs dans les délais fixés».

4        L’annexe I de la directive 96/62 contient une liste des polluants atmosphériques à prendre en considération dans le cadre de l’évaluation et de la gestion de la qualité de l’air ambiant. Le point 3 de cette liste mentionne les «[p]articules fines, telles que les suies (y compris PM10)».

5        L’article 7 de la directive 96/62, intitulé «Amélioration de la qualité de l’air ambiant - Exigences générales», dispose:

«1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer le respect des valeurs limites.

[…]

3.      Les États membres établissent des plans d’action indiquant les mesures à prendre à court terme en cas de risque de dépassement des valeurs limites et/ou des seuils d’alerte, afin de réduire le risque de dépassement et d’en limiter la durée. [...]»

6        L’article 8 de cette directive, intitulé «Mesures applicables dans les zones où les niveaux dépassent la valeur limite», énonce:

«1.      Les États membres établissent la liste des zones et des agglomérations où les niveaux d’un ou de plusieurs polluants dépassent la valeur limite augmentée de la marge de dépassement.

Lorsqu’il n’a pas été fixé de marge de dépassement pour un polluant déterminé, les zones et les agglomérations où le niveau de ce polluant dépasse la valeur limite sont assimilées aux zones et agglomérations visées au premier alinéa et les paragraphes 3, 4 et 5 s’y appliquent.

2.      Les États membres établissent la liste des zones et des agglomérations où les niveaux d’un ou de plusieurs polluants sont compris entre la valeur limite et la valeur limite augmentée de la marge de dépassement.

3.      Dans les zones et les agglomérations visées au paragraphe 1, les États membres prennent des mesures pour assurer l’élaboration ou la mise en œuvre d’un plan ou programme permettant d’atteindre la valeur limite dans le délai fixé.

Ledit plan ou programme, auquel la population doit avoir accès, contient au moins les informations énumérées à l’annexe IV.

4.      Dans les zones et les agglomérations visées au paragraphe 1, où le niveau de plus d’un polluant est supérieur aux valeurs limites, les États membres fournissent un plan intégré englobant tous les polluants en cause.

[…]»

7        L’article 5, paragraphe 1, de la directive 1999/30/CE du Conseil, du 22 avril 1999, relative à la fixation de valeurs limites pour l’anhydride sulfureux, le dioxyde d’azote et les oxydes d’azote, les particules et le plomb dans l’air ambiant (JO L 163, p. 41), dispose:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les concentrations de PM10 dans l’air ambiant, évaluées conformément à l’article 7, ne dépassent pas les valeurs limites indiquées au point I de l’annexe III, à partir des dates y spécifiées.

Les marges de dépassement indiquées au point I de l’annexe III sont applicables conformément à l’article 8 de la directive 96/62/CE.»

8        L’annexe III, phase 1, point 1, de la directive 1999/30 présente, dans un tableau, les valeurs limites pour les particules fines PM10.

 La réglementation nationale

9        La directive 96/62 a été transposée en droit allemand par la loi sur la protection contre les effets nocifs sur l’environnement de la pollution de l’air, des bruits, des vibrations et autres types de nuisances (Gesetz zum Schutz vor schädlichen Umwelteinwirkungen durch Luftverunreinigungen, Geräusche, Erschütterungen und ähnliche Vorgänge), dans sa version publiée le 26 septembre 2002 (BGBl I, p. 3830), telle que modifiée par la loi du 25 juin 2005 (BGBl I, p. 1865, ci-après la «loi fédérale relative à la lutte contre les pollutions»).

10      L’article 45 de la loi fédérale relative à la lutte contre les pollutions, intitulé «Amélioration de la qualité de l’air», dispose:

«(1)      Les autorités compétentes sont tenues de prendre les mesures nécessaires pour assurer le respect des valeurs des émissions fixées à l’article 48 bis, notamment par l’intermédiaire des plans prévus à l’article 47.

[…]»

11      L’article 47 de cette loi, intitulé «Plans pour la qualité de l’air, plans d’action, législation régionale», énonce:

«(1)      En cas de dépassement des valeurs limites, augmentées des marges de dépassement légales et définies dans un règlement en vertu de l’article 48 bis, paragraphe 1, les autorités compétentes sont tenues d’établir un plan pour la qualité de l’air, indiquant les mesures nécessaires pour réduire durablement les polluants atmosphériques et conforme aux exigences du règlement.

(2)      En cas de risque de dépassement des valeurs limites ou des seuils d’alerte des émissions définis dans un règlement en vertu de l’article 48 bis, paragraphe 1, l’autorité compétente doit établir un plan d’action fixant les mesures à prendre à court terme, lesquelles doivent être de nature à réduire le risque de dépassement et à en limiter la durée. Les plans d’action peuvent s’inscrire dans le cadre d’un plan pour la qualité de l’air, en vertu du paragraphe 1.

[…]»

12      Les valeurs limites d’émission mentionnées à l’article 47 de la loi fédérale relative à la lutte contre les pollutions sont fixées dans le 22e règlement d’application de ladite loi qui dispose, à son article 4, paragraphe 1:

«Pour les PM10, la valeur limite d’émission moyenne sur 24 heures, eu égard à la protection de la santé humaine, s’élève à 50 µg/m³, 35 dépassements étant autorisés au cours de l’année civile […]»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      M. Janecek demeure en bordure de la Landshuter Allee, sur la ceinture moyenne de Munich, à environ 900 m au nord d’une station de mesure de la qualité de l’air.

14      Les mesures effectuées dans cette station ont démontré que, au cours des années 2005 et 2006, la valeur limite fixée pour les émissions de particules fines PM10 a été dépassée beaucoup plus de 35 fois, alors que ce nombre de dépassements constitue le maximum autorisé par la loi fédérale relative à la lutte contre les pollutions.

15      Il n’est pas contesté qu’il existe en ce qui concerne le territoire de la ville de Munich un plan d’action pour la qualité de l’air qui a été déclaré obligatoire le 28 décembre 2004.

16      Toutefois, le requérant au principal a introduit devant le Verwaltungsgericht München un recours visant à ce qu’il soit ordonné au Freistaat Bayern d’établir un plan d’action pour la qualité de l’air dans le secteur de la Landshuter Allee, afin que soient déterminées les mesures à prendre à court terme afin d’assurer le respect du nombre maximal autorisé de 35 dépassements par an de la valeur limite fixée pour les émissions de particules fines PM10. Cette juridiction a rejeté le recours comme non fondé.

17      Le Verwaltungsgerichtshof, saisi en appel, a pris une position différente en jugeant que les riverains concernés peuvent exiger des autorités compétentes l’établissement d’un plan d’action, mais qu’ils ne peuvent prétendre à ce que celui-ci comporte les mesures propres à garantir le respect à court terme des valeurs limites d’émission de particules fines PM10. Selon cette juridiction, les autorités nationales sont seulement tenues de s’assurer que cet objectif est poursuivi au moyen d’un tel plan, dans la mesure de ce qui est possible et proportionné à cet objectif. Il a, en conséquence, ordonné au Freistaat Bayern d’établir un plan d’action respectant ces prescriptions.

18      M. Janecek et le Freistaat Bayern ont formé des pourvois contre l’arrêt du Verwaltungsgerichtshof devant le Bundesverwaltungsgericht. Selon cette dernière juridiction, le requérant au principal ne peut invoquer aucun droit à l’établissement d’un plan d’action en vertu de l’article 47, paragraphe 2, de la loi fédérale relative à la lutte contre les pollutions. Ladite juridiction estime, en outre, que ni l’esprit ni la lettre de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 96/62 ne confèrent un droit subjectif à l’établissement d’un tel plan.

19      La juridiction de renvoi expose que, si le défaut d’adoption, même illicite, d’un plan d’action ne porte pas, en droit national, atteinte aux droits du requérant au principal, ce dernier n’est pas dépourvu de moyens pour faire respecter la réglementation. En effet, la protection contre les effets néfastes des particules fines PM10 devrait être assurée par des mesures indépendantes d’un tel plan, dont les personnes concernées sont en droit d’exiger la mise en œuvre par les autorités compétentes. Ainsi, une protection effective serait assurée, dans des conditions équivalentes à celles qui résulteraient de l’établissement d’un plan d’action.

20      Le Bundesverwaltungsgericht reconnaît toutefois qu’une partie de la doctrine tire des dispositions communautaires en question des conclusions différentes, selon lesquelles les tiers concernés auraient un droit à l’établissement de plans d’action, ce qui paraîtrait confirmé par l’arrêt du 30 mai 1991, Commission/Allemagne (C‑59/89, Rec. p. I‑2607).

21      Dans ces conditions, le Bundesverwaltungsgericht a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 7, paragraphe 3, de la directive 96/62[...] doit‑il être interprété en ce sens qu’un droit subjectif à l’établissement d’un plan d’action est conféré au tiers lésé dans sa santé même s’il est en mesure, indépendamment d’un plan d’action, de faire valoir son droit à la défense contre les effets néfastes pour la santé du dépassement de la valeur limite d’émission des particules fines PM10 en réclamant en justice l’intervention des autorités?

2)      Si la première question appelle une réponse affirmative, un tiers concerné par des pollutions, néfastes pour la santé, par les particules fines PM10 a-t-il un droit à l’établissement d’un tel plan d’action indiquant les mesures à prendre à court terme afin d’assurer le strict respect de la valeur limite d’émission des particules fines PM10?

3)      Si la deuxième question appelle une réponse négative, dans quelle proportion les mesures prévues par un plan d’action doivent‑elles réduire le risque de dépassement et en limiter la durée? Le plan d’action peut-il, dans le cadre d’une approche progressive, être limité à des mesures qui ne garantissent certes pas le respect de la valeur limite, mais qui concourent néanmoins à l’amélioration de la qualité de l’air à court terme?»

 Sur les questions préjudicielles

 Observations soumises à la Cour

22      Le requérant au principal fait valoir que, dans tous les cas où le non–respect par les autorités nationales des prescriptions d’une directive visant à protéger la santé publique pourrait mettre en danger la santé des personnes, celles-ci doivent pouvoir se prévaloir des règles impératives qu’elle contient [voir, s’agissant de la directive 80/779/CEE du Conseil, du 15 juillet 1980, concernant des valeurs limites et des valeurs guides de qualité atmosphérique pour l’anhydride sulfureux et les particules en suspension (JO L 229, p. 30), arrêt du 30 mai 1991, Commission/Allemagne, C‑361/88, Rec. p. I‑2567, point 16, et, en ce qui concerne les directives 75/440/CEE du Conseil, du 16 juin 1975, concernant la qualité requise des eaux superficielles destinées à la production d’eau alimentaire dans les États membres (JO L 194, p. 26), et 79/869/CEE du Conseil, du 9 octobre 1979, relative aux méthodes de mesure et à la fréquence des échantillonnages et de l’analyse des eaux superficielles destinées à la production d’eau alimentaire dans les États membres (JO L 271, p. 44), arrêt du 17 octobre 1991, Commission/Allemagne, C-58/89, Rec. p. I-4983, point 14].

23      Estimant que la directive 96/62 vise à protéger la santé humaine, le requérant au principal soutient que l’article 7, paragraphe 3, de cette directive constitue une règle impérative qui exige l’établissement d’un plan d’action dès lors qu’il existe ne serait-ce qu’un simple risque de dépassement d’une valeur limite. L’obligation d’établir un tel plan dans cette hypothèse, dont la réalité n’est pas contestée dans le litige au principal, constituerait par conséquent une règle dont il pourrait se prévaloir, sur le fondement de la jurisprudence citée au point précédent du présent arrêt.

24      En ce qui concerne le contenu du plan d’action, le requérant au principal soutient qu’il doit prévoir toutes les mesures appropriées pour que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible. Cela ressortirait notamment de l’économie de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 96/62, qui indique clairement que les plans d’action doivent être établis dès lors qu’il existe un simple risque de dépassement de ces valeurs, et de l’article 8, paragraphe 3, de cette directive, selon lequel, quand les valeurs limites sont déjà dépassées, les États membres doivent prendre des mesures pour élaborer ou mettre en œuvre un plan ou un programme permettant d’atteindre la valeur limite dans le délai fixé.

25      Le gouvernement néerlandais soutient que l’article 7, paragraphe 3, de la directive 96/62 ne confère pas aux tiers un droit subjectif à l’établissement d’un plan d’action. Les États membres disposeraient d’un large pouvoir d’appréciation aussi bien pour l’adoption des plans d’action que pour en déterminer le contenu.

26      Il ressortirait de la même disposition que le législateur communautaire a voulu laisser aux États membres le pouvoir de mettre en place un plan d’action et de prendre les mesures accessoires qu’ils jugent nécessaires et proportionnées pour atteindre le résultat envisagé.

27      Par suite, l’article 7, paragraphe 3, de la directive 96/62 n’imposerait aux États membres aucune obligation de résultat. Le large pouvoir d’appréciation dont ils disposeraient leur permettrait de mettre en balance différents intérêts et d’adopter des mesures concrètes tenant compte aussi bien du respect des valeurs limites que d’autres intérêts et obligations, comme la libre circulation à l’intérieur de l’Union européenne.

28      Ainsi, les États membres seraient uniquement tenus de mettre en place des plans d’action énonçant les mesures qui doivent être prises à court terme pour réduire le risque de dépassement desdites valeurs ou en limiter la durée.

29      Le gouvernement autrichien rappelle que la Cour a jugé que les dispositions du droit communautaire qui fixent des valeurs limites dans un but de protection de la santé humaine confèrent également aux intéressés un droit au respect de ces valeurs qu’ils peuvent exercer en justice (arrêt du 30 mai 1991, Commission/Allemagne, C‑59/89, précité).

30      Ce gouvernement estime, toutefois, que, si l’article 7, paragraphe 3, de la directive 96/62 peut produire un effet direct, il n’en résulte pas que cette disposition crée, au profit des particuliers, un droit subjectif à l’établissement de plans d’action, dès lors que, selon lui, elle vise seulement à l’adoption de mesures susceptibles de contribuer à assurer le respect des valeurs limites dans le cadre des programmes nationaux.

31      La Commission fait valoir qu’il ressort du libellé de la directive 96/62, notamment des dispositions combinées des articles 7, paragraphe 3, et 2, point 5, ainsi que du douzième considérant de celle-ci, que la fixation des valeurs limites pour les particules fines PM10 vise la protection de la santé humaine. Or, la Cour aurait établi à propos de dispositions analogues que, dans toutes les hypothèses où le dépassement des valeurs limites pourrait mettre en danger la santé des personnes, celles-ci pouvaient se prévaloir de ces règles afin de faire valoir leurs droits (arrêts précités du 30 mai 1991 Commission/Allemagne, C-361/88, point 16, et Commission/Allemagne, C‑59/89, point 19, ainsi que du 17 octobre 1991, Commission/Allemagne, point 14).

32      Les principes dégagés dans ces arrêts s’appliqueraient aux plans d’action prévus par la directive 96/62. L’autorité compétente serait donc tenue d’établir de tels plans lorsque les conditions fixées par cette directive sont remplies. Il en résulterait qu’un tiers concerné par le dépassement de valeurs limites pourrait faire valoir son droit à ce qu’un plan d’action, nécessaire pour atteindre l’objectif relatif à ces valeurs limites fixé par ladite directive, soit établi.

33      S’agissant du contenu des plans d’action, la Commission fonde sa réponse sur les termes de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 96/62, selon lesquels ces plans d’action doivent prévoir des mesures «à prendre à court terme [...] afin de réduire le risque de dépassement et d’en limiter la durée». Elle estime que l’autorité compétente dispose d’une marge d’appréciation pour prendre les mesures qui lui paraissent les plus appropriées, sous la condition que ces dernières soient conçues dans le cadre de ce qui est effectivement possible et juridiquement proportionné, de manière à permettre un retour à des niveaux se situant en dessous des valeurs limites prescrites dans les plus brefs délais.

 Réponse de la Cour

 En ce qui concerne l’établissement des plans d’action

34      Par sa première question, le Bundesverwaltungsgericht demande si un particulier peut exiger des autorités nationales compétentes l’établissement d’un plan d’action dans le cas, visé à l’article 7, paragraphe 3, de la directive 96/62, d’un risque de dépassement des valeurs limites ou des seuils d’alerte.

35      Cette disposition impose aux États membres une obligation claire d’établir des plans d’action tant en cas de risque de dépassement des valeurs limites qu’en cas de risque de dépassement des seuils d’alerte. Cette interprétation, qui découle de la simple lecture de l’article 7, paragraphe 3, de la directive 96/62, est d’ailleurs confirmée au douzième considérant de celle-ci. Ce qui est énoncé au sujet des valeurs limites vaut a fortiori en ce qui concerne les seuils d’alerte pour lesquels, d’ailleurs, l’article 2 de cette même directive, qui définit les différents termes employés dans cette dernière, prévoit que les États membres «prennent immédiatement des mesures conformément à la présente directive».

36      En outre, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, des particuliers peuvent invoquer à l’encontre des autorités publiques des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d’une directive (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 1979, Ratti, 148/78, Rec. p. 1629, point 20). Il appartient aux autorités et aux juridictions nationales compétentes d’interpréter, dans toute la mesure du possible, les dispositions du droit national dans un sens qui soit compatible avec les objectifs de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 1990, Marleasing, C‑106/89, Rec. p. I‑4135, point 8). Dans le cas où une telle interprétation ne pourrait être donnée, il leur appartient d’écarter les règles du droit national incompatibles avec ladite directive.

37      Ainsi que l’a rappelé la Cour à de nombreuses reprises, il serait incompatible avec le caractère contraignant que l’article 249 CE reconnaît à la directive d’exclure, en principe, que l’obligation qu’elle impose puisse être invoquée par les personnes concernées. Cette considération vaut tout particulièrement pour une directive dont l’objectif est de maîtriser ainsi que de réduire la pollution atmosphérique et qui vise, dès lors, à protéger la santé publique.

38      Ainsi, la Cour a jugé que, dans tous les cas où le défaut d’observation des mesures exigées par les directives relatives à la qualité de l’air et à celle de l’eau alimentaire, et qui visent à protéger la santé publique, pourrait mettre en danger la santé des personnes, celles-ci doivent pouvoir se prévaloir des règles impératives qu’elles contiennent (voir arrêts précités du 30 mai 1991, Commission/Allemagne, C-361/88, et Commission/Allemagne, C‑59/89, ainsi que du 17 octobre 1991, Commission/Allemagne).

39      Il résulte de ce qui précède que les personnes physiques ou morales directement concernées par un risque de dépassement de valeurs limites ou de seuils d’alerte doivent pouvoir obtenir des autorités compétentes, le cas échéant en saisissant les juridictions compétentes, qu’un plan d’action soit établi dès lors qu’un tel risque existe.

40      La circonstance que ces personnes disposent d’autres moyens d’action, notamment du pouvoir d’exiger des autorités compétentes l’édiction de mesures concrètes pour réduire la pollution, ainsi que, comme l’indique la juridiction de renvoi, le droit allemand le prévoit, est sans incidence à cet égard.

41      En effet, d’une part, la directive 96/62 ne fait aucune réserve des mesures qui peuvent être prises en vertu d’autres dispositions du droit national; d’autre part, elle met en place un dispositif tout à fait spécifique de planification en vue, ainsi que l’énonce son douzième considérant, de la protection de l’environnement «dans son ensemble» et en tenant compte de l’ensemble des éléments à prendre en considération telles, notamment, les exigences du fonctionnement des installations industrielles ou celles des déplacements.

42      Il y a lieu, dès lors, de répondre à la première question que l’article 7, paragraphe 3, de la directive 96/62 doit être interprété en ce sens que, en cas de risque de dépassement des valeurs limites ou des seuils d’alerte, les particuliers directement concernés doivent pouvoir obtenir des autorités nationales compétentes l’établissement d’un plan d’action, alors même qu’ils disposeraient, en vertu du droit national, d’autres moyens d’action pour obtenir de ces autorités qu’elles prennent des mesures de lutte contre la pollution atmosphérique.

 En ce qui concerne le contenu des plans d’action

43      Par ses deuxième et troisième questions, le Bundesverwaltungsgericht demande si les autorités nationales compétentes ont l’obligation d’édicter des mesures qui, à court terme, permettraient d’atteindre la valeur limite ou si elles peuvent se borner à prendre celles qui permettent de réduire le dépassement ainsi que d’en limiter la durée et qui sont, dès lors, de nature à permettre une amélioration progressive de la situation.

44      Selon l’article 7, paragraphe 3, de la directive 96/62, les plans d’action doivent comporter les mesures «à prendre à court terme en cas de risque de dépassement des valeurs limites et/ou des seuils d’alerte, afin de réduire le risque de dépassement et d’en limiter la durée». Il résulte de ces termes mêmes que les États membres n’ont pas l’obligation de prendre des mesures telles qu’aucun dépassement ne se produise.

45      Il ressort au contraire de l’économie de ladite directive, qui vise une réduction intégrée de la pollution, qu’il appartient aux États membres de prendre des mesures aptes à réduire au minimum le risque de dépassement et sa durée compte tenu de l’ensemble des circonstances du moment et des intérêts en présence.

46      Il y a lieu, de ce point de vue, de relever que, si les États membres disposent ainsi d’un pouvoir d’appréciation, l’article 7, paragraphe 3, de la directive 96/62 comporte des limites à l’exercice de celui-ci, susceptibles d’être invoquées devant les juridictions nationales (voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 1996, Kraaijeveld e.a., C-72/95, Rec. p. I‑5403, point 59) s’agissant de l’adéquation des mesures que doit comporter le plan d’action à l’objectif de réduction du risque de dépassement et de la limitation de sa durée, compte tenu de l’équilibre qu’il convient d’assurer entre cet objectif et les différents intérêts publics et privés en présence.

47      Il y a lieu, dès lors, de répondre aux deuxième et troisième questions que les États membres ont, sous le contrôle du juge national, pour seule obligation de prendre, dans le cadre d’un plan d’action et à court terme, les mesures aptes à réduire au minimum le risque de dépassement des valeurs limites ou des seuils d’alerte et à revenir progressivement à un niveau se situant en dessous de ces valeurs ou de ces seuils, compte tenu des circonstances de fait et de l’ensemble des intérêts en présence.

 Sur les dépens

48      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 7, paragraphe 3, de la directive 96/62/CE du Conseil, du 27 septembre 1996, concernant l’évaluation et la gestion de la qualité de l’air ambiant, telle que modifiée par le règlement (CE) n° 1882/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 29 septembre 2003, doit être interprété en ce sens que, en cas de risque de dépassement des valeurs limites ou des seuils d’alerte, les particuliers directement concernés doivent pouvoir obtenir des autorités nationales compétentes l’établissement d’un plan d’action, alors même qu’ils disposeraient, en vertu du droit national, d’autres moyens d’action pour obtenir de ces autorités qu’elles prennent des mesures de lutte contre la pollution atmosphérique.

2)      Les États membres ont, sous le contrôle du juge national, pour seule obligation de prendre, dans le cadre d’un plan d’action et à court terme, les mesures aptes à réduire au minimum le risque de dépassement des valeurs limites ou des seuils d’alerte et à revenir progressivement à un niveau se situant en dessous de ces valeurs ou de ces seuils, compte tenu des circonstances de fait et de l’ensemble des intérêts en présence.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.