Language of document : ECLI:EU:C:2012:529


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Niilo Jääskinen

présentées le 6 septembre 2012 (1)

Affaire C‑557/10

Commission européenne

contre

République portugaise

«Recours en manquement – Directive 91/440/CEE – Développement de chemins de fer communautaires – Article 5, paragraphe 3 – Indépendance de gestion – Décisions concernant le personnel, les actifs et les achats propres – Article 7, paragraphe 3 – Octroi du financement au gestionnaire de l’infrastructure – Directive 2001/14/CE – Répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire – Tarification de l’infrastructure ferroviaire – Article 6, paragraphe 1 – Équilibre des comptes du gestionnaire de l’infrastructure»





I –    Introduction

1.        Par le présent recours en manquement, la Commission européenne demande à la Cour de constater que la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5, paragraphe 3, et 7, paragraphe 3, de la directive 91/440/CEE (2), telle que modifiée par la directive 2001/12/CE (3) (ci-après la «directive 91/440»), et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/14/CE (4), telle que modifiée par la directive 2007/58/CE (5) (ci-après la «directive 2001/14»), concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire, la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité. La République portugaise conclut au rejet du recours de la Commission.

2.        La présente affaire s’inscrit dans une série de recours en manquement (6), introduits par la Commission en 2010 et en 2011, portant sur l’application par les États membres des directives 91/440 et 2001/14, en particulier en ce qui concerne l’accès équitable et non discriminatoire des entreprises ferroviaires à l’infrastructure, à savoir au réseau ferroviaire. Ces recours sont inédits, car ils offrent à la Cour la première possibilité de s’exprimer sur la libéralisation des chemins de fer dans l’Union européenne et notamment d’interpréter ce qu’il est convenu d’appeler le «premier paquet ferroviaire».

II – Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

3.        L’article 5, paragraphe 3, de la directive 91/440 prévoit:

«Dans le cadre des lignes directrices de politique générale arrêtées par l’État et compte tenu des plans ou contrats nationaux, éventuellement pluriannuels, y compris les plans d’investissement et de financement, les entreprises ferroviaires sont en particulier libres:

[…]

–       de prendre les décisions concernant le personnel, les actifs et les achats propres;

[…]»

4.        L’article 7, paragraphe 3, de la même directive dispose:

«Les États membres peuvent, en outre, octroyer au gestionnaire de l’infrastructure, dans le respect des articles 73, 87 et 88 du traité, un financement suffisant en rapport avec les tâches, la dimension et les besoins financiers, notamment pour couvrir des investissements nouveaux.»

5.        Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/14:

«Les États membres définissent les conditions appropriées, comprenant, le cas échéant, des paiements ex ante, pour que les comptes du gestionnaire de l’infrastructure, dans des conditions normales d’activité et par rapport à une période raisonnable, présentent au moins un équilibre entre, d’une part, les recettes tirées des redevances d’utilisation de l’infrastructure, les excédents dégagés d’autres activités commerciales et le financement par l’État et, d’autre part, les dépenses d’infrastructure.

Sans préjudice d’un objectif éventuel, à long terme, de couverture par l’utilisateur des coûts d’infrastructure pour tous les modes de transport sur la base d’une concurrence intermodale équitable et non discriminatoire, lorsque le transport ferroviaire est en mesure de concurrencer d’autres modes, un État membre peut exiger, à l’intérieur du cadre de tarification défini aux articles 7 et 8, du gestionnaire de l’infrastructure qu’il équilibre ses comptes sans apport financier de l’État.»

B –    Le droit portugais

6.        Le décret‑loi 137‑A/2009, du 12 juin 2009 (7), a porté adoption du régime juridique applicable à l’entreprise publique CP Comboios de Portugal EPE (ci‑après la «CP») et de ses statuts. Ce décret‑loi régit la nature juridique et l’objet social du CP et fixe, dans son annexe I, les statuts qui régissent ladite entreprise.

7.        L’article 2 dudit décret‑loi est ainsi rédigé:

«Nature juridique

[CP] est une entreprise du secteur public concurrentiel dotée de la personnalité juridique, d’une autonomie administrative et financière et d’un patrimoine propre soumise à la tutelle et à la supervision des membres du gouvernement responsables des finances et du transport.»

8.        L’article 1er des statuts de la CP sous l’intitulé «Dénomination et siège» dispose:

«1.       [CP] est une entreprise du secteur public concurrentiel dotée de la personnalité juridique, d’une autonomie administrative et financière et d’un patrimoine propre qui dispose d’une capacité juridique couvrant l’ensemble des droits et obligations nécessaires ou appropriés à la poursuite de son objet.»

9.        L’objet de la CP est défini à l’article 2 des statuts. Aux termes de cette disposition:

«1.       [CP] a pour objet principal la prestation de services de transport ferroviaire de passagers et de marchandises sur les voies ferrées, tronçons de voies et branches qui composent ou composeront le réseau ferré national.

[…]

3.       À titre auxiliaire, [CP] peut aussi exercer les activités suivantes […]

4.       Dans l’exercice de l’objet social défini au point précédent, [CP] peut:

a)       constituer des sociétés et acquérir des parts de capital conformément à la loi;

[…]»

10.      En vertu de l’article 9 desdits statuts, la CP possède les compétences suivantes:

«1.       Le conseil d’administration exerce la plénitude des pouvoirs de gestion et d’administration conformément à la loi et aux statuts.

2.       Il échoit en particulier au conseil d’administration:

[…]

l)       de délibérer sur la constitution de sociétés et l’acquisition ou la cession de parts de capital, conformément à la loi;

[…]»

11.      L’article 21 fait partie du chapitre IV, intitulé «Tutelle». Cet article prévoit, sous l’intitulé «Orientations de gestion», ce qui suit:

«1.       Le gouvernement définit, conformément à la loi, les objectifs généraux que doit poursuivre [CP] en veillant à leur compatibilité avec les politiques globales et sectorielles définies par la législation.

2.       Le gouvernement suit l’évolution de la situation de l’entreprise afin d’assurer un niveau adéquat de satisfaction des besoins collectifs, de sauvegarder son équilibre économique et financier et de garantir la mise en œuvre des politiques appropriées de modernisation du transport ferroviaire.»

12.      Le décret‑loi no 300/2007, du 23 août 2007 (8), a modifié le régime régissant le secteur concurrentiel d’État et les entreprises publiques au Portugal. Il prévoit notamment:

«Article 10

1.       Les droits d’actionnaire de l’État sont exercés par la direction générale du trésor et des finances sous la direction du ministre des Finances, lequel peut donner délégation, dans le respect des lignes directrices prévues à l’article suivant, et après concertation préalable, par arrêté conjoint avec les ministres responsables du secteur.

[…]

3.       Les droits visés aux alinéas qui précèdent peuvent être exercés indirectement, par l’intermédiaire de sociétés à capitaux exclusivement publics.»

13.      L’article 37 du même décret‑loi concerne la constitution de sociétés et l’acquisition ou cession de parts de capital. Cet article est ainsi rédigé:

«1.       […] les prises de participation de l’État ou d’autres organismes d’État et des entreprises publiques à l’occasion de la constitution de sociétés et de l’acquisition ou de la cession de parts de capital doivent être autorisées par le ministre des Finances et le ministre responsable du secteur […].

[…]»

14.      Le décret‑loi no 270/2003, du 28 octobre 2003 (9), définit les conditions de la prestation de services de transport par voie ferrée et de gestion de l’infrastructure ferroviaire. Ce décret‑loi régit en particulier l’équilibre des comptes du gestionnaire de l’infrastructure conformément aux dispositions de son article 63. Selon cet article:

«1.       Les comptes du gestionnaire de l’infrastructure doivent assurer l’équilibre entre:

a)       les recettes tirées des redevances d’utilisation de l’infrastructure, les excédents dégagés d’autres activités commerciales, et le financement par l’État, le cas échéant sous forme de paiements ex ante, d’une part, et

b)       les coûts du service public de gestion et de maintenance de l’infrastructure, d’autre part.

2.       Sans préjudice de l’éventuel objectif à long terme de couverture progressive par l’utilisateur des coûts d’infrastructure, pour tous les modes de transport sur la base d’une concurrence intermodale équitable et non discriminatoire, le gestionnaire de l’infrastructure est tenu d’atteindre l’équilibre visé au paragraphe 1 sans le concours de financements d’État, dans le respect de la structure de tarification prévue dans le présent chapitre, si le transport ferroviaire est en mesure d’affronter la concurrence d’autres modes de transport, notamment lorsqu’il existe un niveau équivalent d’internalisation des coûts environnementaux dans les autres modes de transport.

3.       Aux fins de l’équilibre visé au paragraphe 1 et en vue d’évaluer l’éventuel besoin de compensations à verser par l’État au service public de gestion d’infrastructure, il convient d’adopter une méthode d’imputation démontrant, de manière transparente, que sont uniquement pris en compte les coûts induits par l’activité de gestion, de maintenance, de conservation et de mise à disposition de l’infrastructure.

[…]

7.       Aux fins du paragraphe 1, sous b), du présent article, les coûts financiers et extraordinaires ne sont pas considérés comme des coûts du service public de gestion de l’infrastructure.

8.       Les coûts extraordinaires découlant de calamités naturelles doivent être compensés par l’État.»

15.      Enfin, le décret‑loi no 104/97, du 29 avril 1997 (10), porte création de la Rede Ferroviária Nacional, REFER EP (réseau ferroviaire national ci‑après la «REFER»). Les statuts de la REFER sont publiés à l’annexe I dudit décret‑loi. L’article 12 détermine, selon son intitulé, l’objet et champ d’application desdits statuts, comme suit:

«[…]

2.       Le gouvernement accompagne l’évolution future de l’entreprise afin de veiller au maintien de son équilibre économique et financier et au service des dettes contractées en vue de la construction, de l’installation et de la rénovation de l’infrastructure ferroviaire, selon des modalités ne portant pas préjudice à la poursuite de politiques de modernisation ferroviaire appropriées.»

III – La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

16.      Dans sa lettre de mise en demeure du 26 janvier 2008, la Commission a attiré l’attention des autorités portugaises sur le fait qu’elle éprouvait des doutes au sujet de la compatibilité avec le droit de l’Union de la législation nationale transposant le premier paquet ferroviaire. Les autorités portugaises ont répondu à la lettre de mise en demeure en présentant des informations et des arguments relatifs au respect des directives 91/440 et 2001/14 par la législation portugaise.

17.      Par lettre du 9 octobre 2009, la Commission a adressé aux autorités portugaises un avis motivé dans lequel elle considérait que, en ce qui concerne la transposition du premier paquet ferroviaire, la République portugaise avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5, paragraphe 3, et 7, paragraphe 3, de la directive 91/440, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/14.

18.      Par lettre du 14 décembre 2009, les autorités portugaises ont répondu à l’avis motivé et ont fourni divers éclaircissements. Par lettre du 24 juin 2010, les autorités portugaises ont informé la Commission de la promulgation d’une législation nationale prenant en compte les critiques formulées dans l’avis motivé de la Commission relatives à la compatibilité du régime portugais d’amélioration de la performance avec le droit de l’Union et notamment avec l’article 11 de la directive 2001/14.

19.      N’étant pas satisfaite de la réponse des autorités portugaises, la Commission a décidé d’introduire le présent recours parvenu à la Cour le 29 novembre 2010.

IV – Analyse du recours en manquement

A –    Sur la demande de sursis à statuer

20.      Le gouvernement portugais a avancé, à titre principal, des arguments tendant à contester le manquement allégué et demandé, à titre subsidiaire, à la Cour de surseoir à statuer jusqu’au 31 décembre 2011, date à laquelle devraient entrer en vigueur les mesures législatives et contractuelles qui, selon ce dernier, renforceraient l’indépendance de gestion de l’entreprise ferroviaire par rapport à l’État et modifieraient le régime de tarification de l’infrastructure ferroviaire.

21.      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un manquement doit être apprécié en fonction de la situation de l’État membre tel qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé (11). Les arguments avancés par le gouvernement portugais doivent ainsi être examinés par rapport au moment du terme du délai fixé dans l’avis motivé et les arguments portant sur le développement ultérieur de la législation nationale doivent être écartés.

B –    Sur le premier grief, tiré de la violation de l’article 5, paragraphe 3, de la directive 91/440

1.      Argumentation des parties

22.      La Commission fait valoir que la législation portugaise qui soumet la CP à la tutelle et à la supervision des membres du gouvernement serait contraire à l’article 5, paragraphe 3, de la directive 91/440.

23.      La Commission se fonde en particulier sur le fait que, en vertu de la législation nationale, l’État portugais imposerait la subordination de toute décision individuelle d’acquisition ou de cession de participations au capital de sociétés par la CP à une approbation du gouvernement.

24.      L’exigence d’une autorisation préalable du gouvernement pour pratiquer certains types d’actes ne permettrait pas de considérer les entreprises ferroviaire comme indépendantes, ou comme jouissant d’un statut autonome par rapport à l’État. Par conséquent, ils ne pourraient gérer librement leurs propres activités conformément aux exigences du droit de l’Union.

25.      En effet, il ressortirait clairement dudit article que l’État ne doit pas exercer d’influence sur les décisions individuelles de cession ou d’acquisition d’actifs. Bien que ce même article dispose que de telles décisions doivent être prises dans le cadre des lignes directrices de politique générale arrêtées par l’État, ces lignes directrices ne peuvent que définir les critères à prendre en compte dans les décisions.

26.      La Commission estime également que l’intervention du gouvernement dans la gestion de la CP irait au‑delà du simple exercice des droits d’actionnaire en raison du fait que l’État actionnaire interviendrait par le contrôle exercé par les ministres des Finances et des Transports, sur le fondement d’un corps distinct de règles applicables à la totalité du secteur public.

27.      Le gouvernement portugais conteste les conclusions de la Commission en soutenant que l’exigence d’une autorisation ministérielle en vue de l’acquisition ou de l’aliénation de parts de capital s’applique à tous les types d’entreprises publiques. Une telle exigence serait liée au rôle de l’État en tant que détenteur de capital. Le gouvernement portugais ajoute que la délibération concernant l’achat ou la vente de parts sociales se déroulent au sein des organes de la société de sorte que l’autonomie de gestion de l’entreprise ferroviaire serait assurée conformément aux exigences de l’article 5, paragraphe 3, de la directive 91/440.

2.      Examen du premier grief

28.      J’observe d’emblée que les directives 91/440 et 2001/14, qui font partie du premier paquet ferroviaire, n’imposent pas la privatisation des chemins de fer. Au contraire, l’article 3 de la directive 91/440 définit «l’entreprise ferroviaire» comme «toute entreprise à statut privé ou public». Par conséquent, l’opérateur historique du secteur ferroviaire peut rester public. Toutefois, la section II de la directive 91/440, intitulée «Indépendance de gestion», prévoit à l’article 4, paragraphe 1, que «les entreprises ferroviaires sont dotées d’un statut d’indépendance selon lequel elles disposent notamment d’un patrimoine, d’un budget et d’une compatibilité séparés de ceux des États».

29.      J’observe également que la République portugaise a supprimé, en vertu d’une proposition de loi non encore adoptée à l’expiration du délai imparti par l’avis motivé, la condition de l’autorisation préalable. Néanmoins, compte tenu de la date qu’il convient de retenir aux fins de l’appréciation du manquement allégué, ladite modification législative demeure sans incidence sur l’appréciation à opérer.

30.      La Commission reproche, en substance, à la République portugaise son système subordonnant à une autorisation préalable du ministre des Transports tout achat ou cession d’actions par l’opérateur historique, celui‑ci ayant conservé un statut entièrement public, ainsi qu’il ressort de l’article 37, paragraphe 1, du décret‑loi no 300/2007. Or, en raison de cette autorisation préalable requise des entreprises ferroviaires aux fins de procéder à certains actes, ces dernières ne peuvent être considérées ni comme indépendantes ni comme autonomes par rapport à l’État, de sorte qu’elles ne sont pas libres de gérer leurs propres activités.

31.      À cet égard, la disposition pertinente est l’article 5, paragraphe 3, de la directive 91/440 selon lequel les entreprises ferroviaires sont en particulier libres de prendre des décisions concernant le personnel, les actifs et les achats propres. La Commission considère qu’il ressort clairement de ladite disposition que l’État ne doit pas exercer d’influence sur les décisions individuelles de cession ou d’acquisition d’actifs. Je partage cet avis.

32.      Cette interprétation est par ailleurs confortée par la teneur du troisième considérant de la directive 91/440, ainsi que par celle du huitième considérant de la directive 2001/12 modifiant la directive 91/440. Ces considérants consacrent notamment la nécessité de garantir aux entreprises ferroviaires un statut indépendant de l’État et la liberté de gérer leurs propres activités.

33.      S’il est vrai que l’article 5, paragraphe 3, de la directive 91/440 permet aux États membres d’établir les lignes directrices de politique générale, il n’en demeure pas moins, compte tenu de l’objectif de l’indépendance de gestion, que l’État ne doit pas exercer d’influence sur les décisions individuelles de cession ou d’acquisition d’actifs.

34.      J’ajouterai que, en subordonnant toute décision individuelle d’acquisition ou de cession de participations au capital de sociétés à une approbation du gouvernement, la législation portugaise a soumis l’entreprise ferroviaire publique au contrôle externe de nature politique qui ne correspond aucunement aux modalités et moyens d’action et de contrôle disponibles aux actionnaires d’une société d’actions normale. Par conséquent, l’État portugais a conservé un rôle essentiel dans les procédures décisionnelles internes des entreprises ferroviaires qui n’est pas compatible avec la liberté reconnue à l’entreprise ferroviaire de prendre des décisions concernant les actifs (12).

35.      J’en conclus que le premier grief de la Commission doit être accueilli.

C –    Sur le deuxième grief, tiré de la violation des articles 7, paragraphe 3, de la directive 91/440 et 6, paragraphe 1, de la directive 2001/14

1.      Argumentation des parties

36.      La Commission rappelle que les articles 7, paragraphe 3, de la directive 91/440 et 6, paragraphe 1, de la directive 2001/14 imposent aux États membres l’obligation de définir les conditions appropriées pour garantir que les comptes du gestionnaire de l’infrastructure soient en équilibre. Or, elle estime que, au Portugal, les recettes tirées des redevances d’utilisation de l’infrastructure, le financement d’État et les excédents dégagés d’autres activités commerciales ne seraient pas suffisants pour équilibrer les comptes du gestionnaire de l’infrastructure, la REFER.

37.      La Commission affirme que, malgré les dispositions légales du droit portugais qui imposent à l’État portugais l’obligation d’accompagner l’évolution de l’entreprise gestionnaire de l’infrastructure en vue de sauvegarder son équilibre économique et financier ainsi que l’obligation d’accompagner l’évolution de la situation financière du gestionnaire de l’infrastructure, la situation de déséquilibre financier du gestionnaire de l’infrastructure n’a pas évolué favorablement.

38.      Le gouvernement portugais confirme qu’il s’est engagé à établir, par contractualisation pluriannuelle, avec le gestionnaire de l’infrastructure, la REFER, des niveaux de service public en matière de gestion d’infrastructure et à déterminer la compensation financière correspondante. Il serait ainsi possible de parvenir à un équilibre des comptes de l’entreprise qui définirait certains niveaux donnés de qualité opérationnelle et technique, tandis que les pouvoirs publics s’engageraient à attribuer des montants compatibles avec le volume d’investissement nécessaire et la nature du service public.

39.      Le gouvernement portugais relève que la passation des contrats portant sur les services publics avec la CP et la REFER est prévue, en tenant compte, premièrement, de la définition claire des obligations de service public, deuxièmement, de la nécessité de rationaliser/réduire les coûts d’exploitation et, troisièmement, de la convergence nécessaire, graduelle et progressive, du service public en cause et de la compensation financière publique y afférente.

40.      Enfin, le gouvernement portugais soutient avoir lancé une procédure qui conduira à l’adoption de mesures législatives visant à, d’une part, renforcer l’indépendance de gestion de l’entreprise ferroviaire par rapport à l’État et, d’autre part, à promouvoir l’équilibre des comptes du gestionnaire de l’infrastructure en adoptant les mesures appropriées, notamment en modifiant le régime de tarification de l’infrastructure ferroviaire et en fixant par contrat avec la REFER les droits et obligations relatifs à la construction, à l’entretien et au financement de l’infrastructure.

2.      Examen du deuxième grief

41.      Sans que cela soit contesté par ledit gouvernement, il ressort clairement des explications fournies par le gouvernement portugais à l’égard du deuxième grief que, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, la République portugaise n’avait pas pris les mesures nécessaires afin de se conformer aux obligations visées aux articles 7, paragraphe 3, de la directive 91/440 et 6, paragraphe 1, de la directive 2001/14 qui imposent aux États membres l’obligation de définir les conditions appropriées pour garantir que les comptes du gestionnaire de l’infrastructure soient en équilibre. Pour cette raison, je considère que la Cour peut constater le manquement sans se livrer à une analyse plus approfondie.

42.      J’en conclus que le deuxième moyen de la Commission doit être accueilli.

V –    Sur les dépens

43.      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

44.      La Commission ayant conclu à la condamnation de la République portugaise aux dépens, il y aura lieu de faire droit à cette demande si le recours en manquement est accueilli dans son intégralité.

VI – Conclusion

45.      À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit:

1)      La République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu

–        de la directive 91/440/CEE du Conseil, du 29 juillet 1991, relative au développement de chemins de fer communautaires, telle que modifiée par la directive 2001/12/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2001, en ce qui concerne l’article 5, paragraphe 3, de ladite directive en subordonnant toute décision individuelle d’acquisition ou de cession de participations au capital de sociétés par l’entreprise ferroviaire publique CP Comboios de Portugal EPE à une approbation du gouvernement, et

–        de la directive 91/440, en ce qui concerne l’article 7, paragraphe 3, et de la directive 2001/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2001, concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire et la tarification de l’infrastructure ferroviaire, telle que modifiée par la directive 2007/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, en ce qui concerne l’article 6, paragraphe 1, en ne prenant pas les mesures nécessaires pour se conformer à l’obligation de définir les conditions appropriées aux fins de garantir que les comptes du gestionnaire de l’infrastructure soient en équilibre.

2)      La République portugaise est condamnée aux dépens.


1 – Langue originale: le français.


2 – Directive du Conseil du 29 juillet 1991 relative au développement de chemins de fer communautaires (JO L 237, p. 25).


3 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2001 (JO L 75, p. 1).


4 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2001 concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire, la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité (JO L 75, p. 29). Le titre de la directive 2001/14 a été modifié par l’article 30 de la directive 2004/49/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, concernant la sécurité des chemins de fer communautaires (JO L 164, p. 44). Elle s’intitule désormais «directive 2001/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2001, concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire et la tarification de l’infrastructure ferroviaire».


5 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 (JO L 315, p. 44).


6 – Il s’agit des affaires pendantes devant la Cour Commission/Hongrie (C‑473/10); Commission/Espagne (C‑483/10); Commission/Pologne (C‑512/10); Commission/Grèce (C‑528/10); Commission/République tchèque (C‑545/10); Commission/Autriche (C‑555/10); Commission/Allemagne (C‑556/10); Commission/France (C‑625/10); Commission/Slovénie (C‑627/10); Commission/Italie (C‑369/11), et Commission/Luxembourg (C‑412/11).


7 – Diário da República I, supplément, no 112, du 12 juin 2009.


8 – Diário da República I, no 162, du 23 avril 2007.


9 – Diário da República I, série A, no 250, du 28 octobre 2003.


10 – Diário da República I, série A, no 99, du 29 avril 1997. Modifié et republié par le décret‑loi no 141/2008, du 22 juin 2008 (Diário da República I, no 140, du 22 juillet 2008).


11 – Voir, notamment, arrêts du 4 juillet 2002, Commission/Grèce (C‑173/01, Rec. p. I‑6129, point 7), et du 13 mars 2003, Commission/Espagne (C‑333/01, Rec. p. I‑2623, point 8).


12 – Voir, par analogie, arrêt du 8 juillet 2010, Commission/Portugal (C‑171/08, Rec. p. I‑6817, en particulier points 60 et suiv.).