Language of document : ECLI:EU:C:2012:375

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Yves Bot

présentées le 21 juin 2012 (1)

Affaire C‑89/11 P

E.ON Energie AG

contre

Commission européenne

«Pourvoi – Concurrence – Décision de la Commission infligeant une amende pour bris de scellé – Article 23, paragraphe 1, sous e), du règlement (CE) no 1/2003 – Principes régissant la charge de la preuve – Appréciation de la gravité de l’infraction et détermination du montant de l’amende – Proportionnalité de l’amende – Pouvoir de pleine juridiction»





1.        La présente affaire a pour objet le pourvoi formé par E.ON Energie AG (2) à l’encontre de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 15 décembre 2010, E.ON Energie/Commission (3). Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a confirmé la légalité de la décision C (2008) 377 final de la Commission, du 30 janvier 2008 (4), par laquelle celle-ci a infligé à E.ON Energie, sur le fondement de l’article 23, paragraphe 1, sous e), du règlement (CE) no 1/2003 (5), une amende de 38 millions d’euros pour bris de scellé.

2.        En effet, en application de cette disposition, la Commission européenne peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et aux associations d’entreprises des amendes jusqu’à concurrence de 1 % du chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent lorsque, de propos délibéré ou par négligence, des scellés apposés en application de l’article 20, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1/2003 par les agents ou les autres personnes les accompagnant mandatés de la Commission ont été brisés. Il s’agit de la première décision d’application de ladite disposition (6).

3.        Le présent pourvoi, et en particulier le sixième moyen de celui-ci, soulève une question de principe concernant la nature et l’étendue du contrôle juridictionnel que le Tribunal doit opérer dans le cadre de l’appréciation du montant de l’amende infligée par la Commission en raison d’une violation des règles de la concurrence. En revanche, les autres moyens ne soulèvent, à notre avis, aucune difficulté juridique dans la mesure où la requérante a essentiellement remis en cause, dans ses écrits comme lors de l’audience, les appréciations de nature factuelle auxquelles le Tribunal s’est livré, ce qui ne relève pas de la compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi.

I –    L’historique de l’affaire

4.        Les antécédents du litige, la procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué peuvent être ainsi résumés (7).

5.        Par décision du 24 mai 2006, la Commission a, conformément à l’article 20 du règlement no 1/2003, ordonné une inspection dans les locaux de la requérante, situés à Munich (Allemagne), en vue de vérifier le bien-fondé de soupçons quant à sa participation à des accords anticoncurrentiels.

6.        L’inspection, effectuée par quatre représentants de la Commission et six représentants du Bundeskartellamt (autorité de concurrence) a commencé dans l’après-midi du 29 mai 2006. Celle-ci n’ayant pas pu être achevée le jour même, les documents sélectionnés en vue d’un examen plus détaillé ont été entreposés dans le local G.505 dont la porte a été fermée à clé et sur laquelle un scellé officiel a été apposé. Un procès-verbal d’apposition de scellé a été établi et a été signé par des représentants de la Commission, du Bundeskartellamt et de la requérante.

7.        Le matin du 30 mai 2006 vers 8 h 45, l’équipe d’inspection a constaté que l’état du scellé litigieux, qui adhérait encore à la porte du local G.505, avait changé. Lorsqu’un tel scellé en plastique est brisé, la colle blanche, au moyen de laquelle le scellé est fixé au support, reste sur celui-ci sous la forme d’inscriptions «VOID» réparties sur toute la surface de l’autocollant. Le scellé enlevé devient transparent dans ces zones, de sorte que les inscriptions «VOID» sont visibles sur le scellé également.

8.        Le responsable de l’équipe d’inspection a ouvert la porte du local G.505, vers 9 h 15, puis un procès-verbal de bris de scellé a été établi et signé par un représentant de la Commission et du Bundeskartellamt. Ce procès-verbal indiquait, notamment, que la totalité du scellé était déplacée d’environ 2 mm en hauteur et en largeur, si bien que des traces de colle étaient visibles en bas et à droite du scellé et que les inscriptions «VOID» étaient clairement visibles sur toute la surface du scellé, qui se trouvait pourtant toujours à cheval sur l’encadrement de la porte et n’avait pas été déchiré. Dans l’après-midi, des photographies du scellé litigieux ont été prises avec un téléphone portable.

9.        La requérante, qui a refusé de signer ce procès-verbal, a déclaré que l’état des documents entreposés dans le local n’était pas modifié.

10.      Dans sa communication des griefs adressée à la requérante le 2 octobre 2006, la Commission a conclu que le scellé litigieux avait été brisé et que, en raison du pouvoir d’organisation de la requérante dans le bâtiment, il convenait d’imputer à cette dernière la responsabilité de ce bris de scellé. La requérante a présenté ses observations, joignant à celles-ci plusieurs expertises relatives à la réaction du scellé litigieux face à certaines contraintes.

11.      À l’issue de cette procédure, la Commission a adopté la décision litigieuse par laquelle elle estime que E.ON Energie a brisé un scellé et a, à tout le moins par négligence, enfreint l’article 23, paragraphe 1, sous e), du règlement no 1/2003 et lui inflige une amende d’un montant de 38 millions d’euros.

12.      Par un recours introduit le 15 avril 2008 devant le Tribunal, E.ON Energie a demandé l’annulation de la décision litigieuse en invoquant neuf moyens. En substance, E.ON Energie reprochait à la Commission d’avoir méconnu les principes régissant la charge de la preuve en ce qui concerne le bris du scellé litigieux et d’avoir apposé celui-ci d’une façon irrégulière. Elle lui reprochait également de ne pas avoir tenu compte des «scénarios alternatifs» susceptibles d’expliquer l’état de ce scellé, lié, notamment, au dépassement de son délai maximal de conservation, à l’emploi par la femme de ménage du produit d’entretien Synto, à l’humidité de l’air et aux vibrations subies par la porte. E.ON Energie a, par ailleurs, soutenu que la Commission avait violé le principe de la présomption d’innocence ainsi que l’article 23, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 en ce qu’aucune faute n’aurait été établie. Enfin, en ce qui concerne le montant de l’amende, elle faisait valoir que la décision litigieuse était contraire à l’obligation de motivation fixée à l’article 253 CE et au principe de proportionnalité.

13.      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours introduit par E.ON Energie.

II – Les conclusions des parties

14.      Au soutien de son pourvoi, E.ON Energie demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision litigieuse, à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il la condamne aux dépens de l’instance, de faire droit aux conclusions formulées en première instance et d’annuler la décision litigieuse en tant qu’elle la condamne au paiement d’une amende et, à titre encore subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal. Elle demande, en outre, à ce que la Commission soit condamnée aux dépens.

15.      La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de E.ON Energie aux dépens.

III – L’examen du pourvoi

16.      À l’appui de son pourvoi, E.ON Energie avance six moyens.

17.      Les deux premiers moyens sont dirigés à l’encontre de l’analyse du Tribunal relative aux règles gouvernant la charge et l’administration de la preuve. Les troisième à cinquième moyens visent, en revanche, les appréciations du Tribunal quant au caractère régulier de l’apposition du scellé litigieux et quant à l’état de celui-ci. Le sixième moyen est, quant à lui, dirigé à l’encontre de l’appréciation du Tribunal relative à la gravité de l’infraction et à la proportionnalité du montant de l’amende infligée à la requérante.

A –    Sur le premier moyen, tiré d’une violation des principes régissant la charge de la preuve, du principe de la présomption d’innocence et du principe in dubio pro reo

1.      L’arrêt attaqué

18.      En première instance, le Tribunal a examiné les arguments de la requérante relatifs à une méconnaissance de la charge de la preuve aux points 48 à 64 de l’arrêt attaqué.

19.      Rappelant la jurisprudence pertinente, le Tribunal a relevé que le juge ne saurait conclure que la Commission a établi l’existence d’une infraction à suffisance de droit si un doute subsiste sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende, et ce conformément au principe de la présomption d’innocence, consacré à l’article 6, paragraphe 2, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (8). Il a rejeté le grief, soulevé par E.ON Energie, fondé sur une prétendue analogie avec la jurisprudence relative aux pratiques concertées, selon laquelle il suffit qu’une entreprise avance une argumentation qui donne un éclairage différent aux faits établis par la Commission pour conclure à l’existence d’une infraction, en observant que celle-ci n’est pas d’application dès lors que la Commission s’appuie sur des éléments de preuve directs. Au point 56 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, dès lors, expliqué que, «lorsque la Commission se fonde sur des éléments de preuve qui sont en principe suffisants pour démontrer l’existence de l’infraction […], il appartient à l’entreprise concernée d’établir à suffisance de droit, d’une part, l’existence de la circonstance qu’elle invoque et, d’autre part, que cette circonstance met en cause la valeur probante [(9)] des éléments de preuve sur lesquels se fonde la Commission».

20.      Ainsi, dans la présente affaire, le Tribunal a rejeté l’argument de E.ON Energie, selon lequel la Commission devait établir, au-delà de tout doute raisonnable, que la modification de l’état du scellé litigieux, constatée le 30 mai 2006, était imputable à E.ON Energie. Ayant constaté que, contrairement à ce que prétendait la Commission, le moyen soulevé par la requérante n’était pas abstrait, il a observé, toutefois, que la Commission n’avait pas méconnu les principes régissant la charge de la preuve. En effet, d’une part, le point 44 des motifs de la décision litigieuse indique expressément qu’«il revient à la Commission de présenter les faits nécessaires pour prouver le bris de scellés allégué». D’autre part, le Tribunal a relevé que la Commission avait fondé sa constatation d’un bris de scellé, aux points 75 et 76 des motifs de la décision litigieuse, sur l’état du scellé litigieux le matin du 30 mai 2006, lequel, selon elle, présentait les inscriptions «VOID» sur la totalité de sa surface ainsi que des résidus de colle sur sa face arrière, ainsi qu’il ressort notamment des déclarations des inspecteurs de la Commission et du Bundeskartellamt et des constatations figurant dans le procès-verbal de bris de scellé. Enfin, le Tribunal a rejeté les arguments de E.ON Energie fondés sur des explications alternatives concernant l’état du scellé litigieux, considérant que la prétendue vétusté de celui-ci et l’absence de photographies attestant de son état avant l’ouverture de la porte n’auraient pas alourdi la charge de la preuve incombant à la Commission.

2.      Les arguments des parties

21.      Par son premier moyen, E.ON Energie soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit dans le cadre de la répartition de la charge de la preuve et, de ce fait, a violé le principe de la présomption d’innocence et la maxime juridique du droit de l’Union in dubio pro reo.

22.      En effet, ayant reconnu, au point 48 de l’arrêt attaqué, qu’il appartient à la Commission d’apporter la preuve des infractions qu’elle constate, le Tribunal aurait renversé la charge de la preuve, au point 55 de celui-ci, en jugeant que, dans la mesure où la Commission apporte des preuves directes d’une circonstance, il appartient ensuite aux entreprises concernées de démontrer l’insuffisance de ces éléments. Selon E.ON Energie, le Tribunal aurait, notamment, méconnu les règles de droit applicables en constatant que les preuves sur lesquelles s’est fondée la Commission étaient suffisantes pour démontrer l’existence de l’infraction. Ces preuves, à savoir le procès-verbal de bris de scellé, les déclarations des inspecteurs et de la société de fabrication du scellé litigieux, la photographie dudit scellé et l’expertise, ne constitueraient que des preuves indirectes, ne provenant, en outre, que de la seule partie défenderesse. En ce qui concerne le bris de scellé, E.ON Energie soutient que l’appréciation du Tribunal est erronée dans la mesure où il n’aurait pas tenu compte du dépassement de la durée de conservation dudit scellé. En outre, la requérante reproche au Tribunal d’avoir appliqué par analogie l’arrêt du 8 juillet 1999, Montecatini/Commission (10), puisque le bris d’un scellé constituerait non pas, contrairement à une preuve documentaire, une preuve directe et suffisante, mais un élément équivoque.

23.      E.ON Energie soutient, par ailleurs, que le Tribunal a commis une erreur de droit en méconnaissant le fait que l’incertitude relative au bon fonctionnement du scellé litigieux était imputable à la Commission. D’une part, celle-ci aurait utilisé un scellé dont la durée de conservation était expirée et, d’autre part, elle n’aurait pas sécurisé les preuves avant l’ouverture de la porte du local. Elle ajoute, dans sa réplique, que, de ce fait, le scellé a été mal apposé, car son apposition correcte impliquerait le respect des consignes données par le fabricant dans la fiche technique du produit. Selon la requérante, l’impossibilité d’apporter des preuves qui résultent du comportement de la Commission ne devrait pas lui porter préjudice. Cette circonstance renverserait donc la charge de la preuve, de sorte que le Tribunal aurait dû exiger que la Commission prouve que le scellé a été apposé correctement et a fonctionné normalement, au lieu d’exiger de la part de E.ON Energie la preuve du contraire. E.ON Energie souligne que le présent moyen est recevable, car la répartition de la charge de la preuve est une question de droit.

24.      La Commission conclut au rejet de ce premier moyen dans la mesure où il relèverait de l’appréciation des faits à laquelle le Tribunal a procédé. À titre subsidiaire, elle conteste les arguments avancés par la requérante.

3.      Notre appréciation

25.      Comme la Commission, nous pensons que le premier moyen est irrecevable compte tenu de la nature et de la portée du contrôle juridictionnel de la Cour dans le cadre du pourvoi.

26.      En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que, en vertu des articles 256, paragraphe 1, TFUE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi doit être limité aux questions de droit et peut être fondé sur des moyens tirés de l’incompétence du Tribunal, d’irrégularités de procédure devant le Tribunal ou de la violation du droit de l’Union par ce dernier. En principe, le Tribunal est donc seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Dans ce contexte, la Cour peut uniquement exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique desdits faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal.

27.      Ainsi, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit ainsi que les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. L’appréciation des faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (11).

28.      Or, nous constatons que, au-delà des règles de droit dont la requérante invoque la prétendue violation, celle-ci concentre ses critiques sur la manière dont le Tribunal a apprécié les preuves qui lui ont été soumises. E.ON Energie reproche ainsi au Tribunal d’avoir jugé les éléments de preuve apportés par la Commission suffisants aux fins de la constitution de l’infraction et de ne pas avoir tenu compte, dans ce cadre, du dépassement de la durée de conservation du scellé litigieux. E.ON Energie livre ainsi sa propre appréciation des éléments de preuve présentés au Tribunal et ne soulève, par ailleurs, aucun argument de nature à démontrer que le Tribunal les aurait dénaturés.

29.      En outre, la requérante ne démontre pas, à notre sens, que le Tribunal aurait, dans le cadre de son appréciation, violé les principes généraux du droit ainsi que les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve. Aux points 48 à 56 de l’arrêt attaqué, celui-ci a, à bon droit et de manière particulièrement exhaustive, indiqué les règles de droit et la jurisprudence pertinente en cette matière avant de rappeler la portée du principe de la présomption d’innocence dans le cadre des procédures de mise en œuvre des règles de concurrence. C’est à la lumière de ces règles procédurales et jurisprudentielles que le Tribunal a pu, à bon droit, examiner et rejeter les arguments de la requérante.

30.      Au vu de ces éléments, nous proposons, par conséquent, à la Cour de rejeter le premier moyen comme étant irrecevable.

B –    Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation dans l’application des principes régissant la charge de la preuve

1.      Les arguments des parties

31.      Dans le cadre de son deuxième moyen, E.ON Energie soutient que l’appréciation du Tribunal relative aux principes régissant la charge de la preuve, que nous venons d’exposer, est entachée d’une contradiction de motifs ainsi que d’une insuffisance de motivation.

32.      En effet, au point 56 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait exigé que les éléments invoqués par la requérante «met[tent] en cause la valeur probante des éléments de preuve sur lesquels se fonde la Commission». Or, dans le cadre de son appréciation des éléments invoqués par la requérante pour expliquer l’état du scellé litigieux, le Tribunal aurait exigé de celle-ci, au point 202 de l’arrêt attaqué, qu’elle prouve un «lien de causalité» entre la circonstance invoquée, en l’occurrence le dépassement de la durée maximale de conservation, et l’apparition des inscriptions «VOID». Par conséquent, le Tribunal aurait méconnu le principe qu’il a lui-même fixé au point 56 dudit arrêt.

33.      La Commission soutient que le deuxième moyen est irrecevable en tant qu’il viserait l’appréciation des preuves à laquelle le Tribunal a procédé. En tout état de cause, elle estime que ce moyen doit être rejeté.

2.      Notre appréciation

34.      Contrairement à ce que soutient la Commission, nous estimons que le deuxième moyen est recevable.

35.      En effet, au point 56 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a établi une règle de droit relative à la charge de la preuve, allant au-delà des principes jusqu’à présent fixés par ses arrêts Mannesmannröhren-Werke/Commission (12) ainsi que JFE Engineering e.a./Commission (13), auxquels le Tribunal fait référence. Par conséquent, cela relève non pas d’une simple appréciation factuelle, mais d’une appréciation en droit. Ainsi, compte tenu des compétences qui lui sont conférées par l’article 256 TFUE, la Cour est, en principe, compétente pour apprécier la légalité du raisonnement du Tribunal.

36.      Dans le cadre de ce moyen, la requérante dénonce une contradiction entre le principe fixé au point 56 de l’arrêt attaqué et la manière dont celui-ci a été mis en œuvre au point 202 de cet arrêt. À notre sens, une telle contradiction n’existe pas.

37.      En effet, lorsque le Tribunal fixe le principe selon lequel la circonstance avancée par la requérante doit mettre en cause la valeur probante des éléments de preuve sur lesquels repose l’analyse de la Commission, cela suppose, à l’évidence, un lien de causalité entre l’un et l’autre. Référons-nous à la circonstance invoquée par E.ON Energie, tirée du dépassement de la durée de conservation du scellé litigieux. Cette circonstance ne peut remettre en cause la valeur probante des inscriptions «VOID» figurant sur ce scellé que s’il est démontré et il existe un lien de cause à effet entre l’éventuelle péremption dudit scellé et l’apparition desdites inscriptions.

38.      Par conséquent, nous invitons la Cour à rejeter le deuxième moyen comme étant non fondé.

C –    Sur le troisième moyen, tiré de la dénaturation des éléments de preuve, de la violation des principes de l’état de droit et du droit à une bonne administration ainsi que du caractère illogique et erroné de la motivation en ce qui concerne l’appréciation de la régularité de l’apposition du scellé litigieux

39.      Le troisième moyen que soulève E.ON Energie vise l’appréciation du Tribunal relative à la régularité de l’apposition du scellé litigieux figurant aux points 102 à 115 de l’arrêt attaqué.

1.      L’arrêt attaqué

40.      Aux points 102 à 114 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné si les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est fondée permettaient de conclure à la régularité de l’apposition du scellé litigieux. Premièrement, il a estimé que le procès-verbal d’apposition de scellé démontrait à suffisance la régularité de ladite apposition, remarquant, à cet égard, qu’aucune observation n’avait été formulée par la requérante en ce qui concerne une prétendue irrégularité. Deuxièmement, retraçant le contenu des déclarations formulées par les six inspecteurs de la Commission et du Bundeskartellamt présents lors de l’apposition du scellé litigieux, le Tribunal a constaté que ces dernières confirmaient la régularité de cette apposition. Troisièmement, il a relevé que les déclarations formulées par les quatre autres inspecteurs ayant participé aux inspections ne mettaient pas en cause la valeur probante des éléments de preuve.

41.      C’est au vu de ces éléments que le Tribunal a, au point 115 de l’arrêt attaqué, jugé que les éléments de preuve mentionnés dans la décision litigieuse permettaient de constater que le scellé litigieux avait été apposé de façon régulière, que celui-ci adhérait donc à la porte du local et qu’il était intact, en ce sens qu’il ne faisait pas apparaître les inscriptions «VOID».

2.      Les arguments des parties

42.      Le troisième moyen, à travers lequel la requérante invoque, de manière désordonnée, des erreurs de droit diverses et variées, peut se décomposer en trois griefs.

43.      Premièrement, la requérante soutient que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve qui lui ont été soumis.

44.      D’une part, il aurait, à tort, apprécié la régularité de l’apposition du scellé litigieux au regard de sa seule intégrité externe, celui-ci ayant constaté, au point 115 de l’arrêt attaqué, qu’il était intact, en ce sens qu’il ne faisait pas apparaître les inscriptions «VOID» au moment où l’équipe d’inspection a quitté les locaux de la requérante. Le Tribunal aurait ainsi ignoré de tenir compte de l’intégrité interne de ce scellé qui ne pouvait pas apparaître de manière évidente à l’extérieur, pendant le court laps de temps qui sépare son application du moment où l’équipe d’inspection a quitté les locaux. En négligeant un tel élément, le Tribunal aurait, par conséquent, méconnu les principes de l’état de droit ainsi que le droit à une bonne administration consacré à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (14), puisqu’il n’était pas en mesure d’apprécier à l’œil nu le caractère régulier de l’action de la Commission.

45.      D’autre part, au point 104 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait dénaturé le procès-verbal d’apposition du scellé litigieux en lui attribuant une teneur déclarative et une valeur probante qu’il n’aurait manifestement pas, ce procès-verbal ne fournissant aucune indication concernant le caractère irréprochable de l’apposition de ce scellé. Ce faisant, le Tribunal aurait violé les «lois de la logique».

46.      Deuxièmement, la requérante reproche au Tribunal d’avoir fondé son analyse sur les déclarations des inspecteurs de la Commission et du Bundeskartellamt relatives à l’apposition dudit scellé. Celles-ci seraient dénuées de pertinence dans la mesure où ces derniers seraient dans l’incapacité d’évaluer l’intégrité interne du scellé litigieux.

47.      Troisièmement, la requérante estime que l’arrêt attaqué est entaché d’une motivation erronée. En effet, au point 105 de celui-ci, le Tribunal aurait indiqué qu’elle «connaissait parfaitement l’importance [des signes ‘VOID’]» alors qu’elle n’avait ni la possibilité ni l’occasion de connaître la sensibilité particulière du film de scellé litigieux ni, de ce fait, celles de vérifier les propriétés concrètes de celui-ci.

48.      La Commission conteste ces arguments et estime que, par le troisième moyen, E.ON Energie cherche, en réalité, à remettre en cause les constatations de fait effectuées par le Tribunal, de sorte que ce moyen serait irrecevable.

3.      Notre appréciation

49.      En ce qui concerne le premier grief tiré d’une dénaturation des éléments de preuve, il convient, au préalable, de rappeler que, lorsqu’un requérant allègue que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve qui lui ont été soumis, la Cour, qui n’est, en principe, pas compétente pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui des faits, peut procéder à un contrôle juridictionnel. Dans cette hypothèse, ce requérant doit alors indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par le Tribunal et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation. En outre, il faut rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, une telle dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves ainsi que de recourir à de nouveaux éléments de preuve (15).

50.      Pour apprécier la recevabilité et le bien-fondé de ce grief, nous opérerons une distinction selon que la requérante vise l’appréciation du Tribunal relative à l’intégrité du scellé litigieux ou celle concernant la valeur du procès-verbal d’apposition de ce scellé.

51.      Dans le premier cas, les allégations de E.ON Energie ne relèvent pas, à notre sens, d’une dénaturation des éléments de preuve. En reprochant au Tribunal de ne pas avoir tenu compte des altérations internes dont le scellé litigieux aurait pu faire l’objet, la requérante met en avant, comme le relève la Commission, sa propre définition de la notion d’inaltération d’un scellé, au regard de laquelle elle entend mesurer les constatations du Tribunal concernant les preuves. Elle remet ainsi en cause l’appréciation que le Tribunal a effectuée quant au caractère intact du scellé litigieux sur la base des éléments de preuve qui lui ont été soumis, et en particulier au regard du fait que les inscriptions «VOID» ne figuraient pas sur ledit scellé au moment où celui-ci a été apposé et où les inspecteurs ont quitté les locaux de la requérante.

52.      Or, nous pensons que cela relève d’une appréciation factuelle qui n’est pas recevable dans le cadre d’un pourvoi pour les mêmes raisons que celles que nous avons exposées aux points 26 et 27 des présentes conclusions.

53.      Dans la mesure où les griefs de la requérante tirés de la violation des principes de l’état de droit et du droit à une bonne administration découlent de la prétendue altération de l’intégrité du scellé litigieux, il y a également lieu de les rejeter. En tout état de cause, force est de constater que la requérante ne présente aucun argument juridique susceptible de soutenir spécifiquement ces griefs.

54.      Dans le second cas, la requérante reproche au Tribunal d’avoir dénaturé le procès-verbal d’apposition du scellé litigieux en lui accordant une force probante, alors même que celui-ci ne fournissait aucune indication concernant le caractère irréprochable de l’apposition de ce scellé.

55.      Compte tenu des compétences qui lui sont conférées, le contrôle effectué par la Cour pour apprécier cet argument doit se limiter à vérifier si le Tribunal n’a pas manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable du procès-verbal en fondant son appréciation de la régularité de l’apposition du scellé litigieux sur ledit document.

56.      En l’occurrence, il est, à notre sens, évident que le procès-verbal constatant l’apposition régulière du scellé litigieux dressé et signé par les représentants de la Commission, du Bundeskartellamt et de la requérante faisait foi, et ce jusqu’à preuve contraire. Or, en l’espèce, l’argumentation développée par la requérante au soutien de son troisième moyen ne met en évidence aucune inexactitude matérielle dans la lecture que le Tribunal a faite dudit procès-verbal et ne mentionne, par ailleurs, aucun élément de nature à démontrer que celui-ci serait entaché par des constatations inexactes ou des déclarations mensongères.

57.      Par conséquent, la requérante ne peut soutenir que le Tribunal a dénaturé le procès-verbal d’apposition du scellé litigieux et cet argument doit, par conséquent, être rejeté comme étant non fondé. Nous proposons également de rejeter l’argument de la requérante tiré d’une violation des «lois de la logique» découlant de la prétendue dénaturation dudit procès-verbal.

58.      Par son deuxième grief, la requérante reproche au Tribunal d’avoir interprété d’une manière erronée les déclarations des inspecteurs de la Commission et du Bundeskartellamt relatives à l’apposition du scellé litigieux. En réalité, la requérante se contente de critiquer la pertinence de ces déclarations au vu des compétences desdits inspecteurs, ces derniers n’étant, selon elle, pas en mesure d’évaluer le fonctionnement interne dudit scellé. Or, il ressort d’une jurisprudence constante que le Tribunal est seul à pouvoir apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis, dès lors que les preuves qu’il a retenues à l’appui des faits ont été obtenues régulièrement et que les principes généraux du droit ainsi que les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés (16). Dans ce cas, la Cour peut uniquement exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique desdits faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal (17).

59.      Or, la requérante ne développe, à cet égard, aucune argumentation de nature à remettre en cause l’appréciation juridique que le Tribunal en a tiré quant à l’apposition régulière du scellé litigieux.

60.      Par conséquent, nous sommes d’avis que le deuxième grief doit être rejeté comme étant irrecevable.

61.      Par son troisième grief, E.ON Energie soutient que le Tribunal a commis une erreur «de motivation» en jugeant, au point 105 de l’arrêt attaqué, qu’elle «connaissait parfaitement l’importance [des signes ‘VOID’]» alors qu’elle n’avait ni la possibilité ni l’occasion de connaître la sensibilité particulière du film du scellé litigieux ni, de ce fait, celles de vérifier les propriétés concrètes de celui-ci.

62.      Ce grief est, à notre avis, inopérant. En effet, il est dirigé à l’encontre d’un motif surabondant et la critique que la requérante dirige à l’encontre de cette affirmation du Tribunal ne saurait donc entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué (18).

63.      En tout état de cause, les arguments présentés par la requérante sont, à notre sens, dépourvus de toute pertinence. D’une part, la requérante ne démontre pas en quoi le Tribunal aurait effectivement commis une erreur de droit dans le cadre de son appréciation, voire même entaché celle-ci d’une contradiction de motifs. D’autre part, il convient de lire cette affirmation du Tribunal à la lumière du contexte dans lequel elle s’inscrit. Au point 105 de l’arrêt attaqué, le Tribunal évoquait expressément l’hypothèse selon laquelle la requérante aurait constaté l’apparition des signes «VOID» sur le scellé litigieux. Dans ce cas, précise-t-il, «il est permis de considérer qu’elle aurait immédiatement formulé des observations à cet égard, étant donné qu’elle connaissait parfaitement l’importance de tels signes». Le propos visait ainsi très concrètement la question de l’apparition de ces signes sur le scellé litigieux et la réaction de la requérante y afférente et il n’était donc nullement question de savoir si celle-ci connaissait les propriétés physiques dudit scellé ou sa sensibilité aux influences extérieures.

64.      Dans ces conditions, nous proposons à la Cour de rejeter le troisième grief comme étant non fondé.

65.      Au vu de l’ensemble de ces éléments, nous proposons à la Cour de rejeter le troisième moyen comme étant pour partie irrecevable et pour partie non fondé.

D –    Sur le quatrième moyen, tiré du caractère illogique de la motivation en ce qui concerne l’appréciation de l’argument relatif au dépassement de la durée maximale de conservation du scellé litigieux

66.      Au soutien de son quatrième moyen, la requérante reproche, en substance, au Tribunal d’avoir rejeté l’argument selon lequel le dépassement de la durée maximale de conservation du scellé litigieux pouvait être à l’origine de l’apparition des inscriptions «VOID» sur ce scellé.

1.      L’arrêt attaqué

67.      Aux points 199 à 234 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a vérifié si la requérante établissait l’existence de circonstances susceptibles d’affecter la valeur probante des éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est fondée pour conclure au bris du scellé. En particulier, aux points 202 et 203 de cet arrêt, le Tribunal a examiné l’argument selon lequel la fiabilité du film de sécurité du scellé litigieux aurait été affectée par la péremption de ce scellé. Or, il a jugé que la requérante n’apportait pas la preuve d’un lien de causalité entre le dépassement de la durée maximale de conservation et l’apparition des inscriptions «VOID» sur ledit scellé. Au soutien de cette affirmation, le Tribunal a constaté que ces inscriptions n’étaient apparues que sur le scellé litigieux alors même que d’autres scellés provenant du même lot avaient été utilisés sur les autres portes et ne présentaient pas une telle particularité. Il a, par conséquent, rejeté l’argument de la requérante.

2.      Les arguments des parties

68.      E.ON Energie remet en cause, en substance, l’affirmation contenue au point 203 de l’arrêt attaqué selon laquelle le prétendu dépassement de la durée maximale de conservation du scellé litigieux ne serait pas à l’origine des inscriptions «VOID» figurant sur ce scellé.

69.      Selon la requérante, cette appréciation serait entachée d’un défaut de motivation en tant qu’elle viole les «lois de la logique». En effet, le Tribunal ne pouvait pas exclure une telle circonstance au motif que seul le scellé litigieux portait les inscriptions «VOID» alors que les scellés utilisés sur les autres portes et provenant du même lot ne portaient aucune de ces mentions. Ce serait précisément le propre des productions en série qu’un vice particulier n’aboutisse à des défaillances que dans des produits isolés. En outre, il serait constant, en l’espèce, que les autres appositions de scellés ne concernaient pas des portes composées de panneaux insonorisants et d’un encadrement en aluminium éloxydé.

70.      La Commission estime que ce moyen n’est pas recevable dans la mesure où E.ON Energie critique une constatation factuelle du Tribunal qu’elle ne saurait, par conséquent, remettre en cause dans le cadre d’un pourvoi.

3.      Notre appréciation

71.      Nous estimons que le quatrième moyen n’est pas recevable au regard des principes que nous avons exposés aux points 26 et 27 des présentes conclusions.

72.      En effet, à travers ce moyen fondé sur un défaut de motivation, la requérante critique, en réalité, une constatation du Tribunal tirée des éléments de fait qui lui ont été soumis. Cette constatation, figurant au point 203 de l’arrêt attaqué, relève d’une appréciation de fait qui n’est pas susceptible d’être discutée dans le cadre d’un pourvoi dans la mesure où la requérante ne fait valoir aucune dénaturation des éléments de fait sur lesquels le Tribunal s’est fondé.

E –    Sur le cinquième moyen, tiré d’irrégularités dans l’administration de la preuve, d’une violation du principe in dubio pro reo et de contradictions en ce qui concerne l’appréciation de l’état du scellé litigieux

73.      Par son cinquième moyen, la requérante critique l’appréciation du Tribunal relative à l’état du scellé litigieux le jour suivant l’inspection.

1.      L’arrêt attaqué

74.      Aux points 134 à 146 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné si les éléments de preuve invoqués par la Commission dans la décision litigieuse permettaient de conclure à la constatation d’un bris de scellé. Il a conclu que tel était le cas au vu de l’état du scellé litigieux le matin du 30 mai 2006, tel que décrit dans le procès-verbal de bris de scellé et des déclarations des inspecteurs présents sur place. Puis, aux points 147 à 156 dudit arrêt, le Tribunal a examiné si les circonstances invoquées par la requérante, à savoir le fait que les inscriptions «VOID» n’auraient été que très faiblement visibles et le fait que la Commission se serait fondée à tort sur les photographies du scellé litigieux, étaient de nature à mettre en cause la valeur probante de ces éléments de preuve.

2.      Les arguments des parties

75.      La requérante remet en cause l’appréciation du Tribunal figurant au point 146 de l’arrêt attaqué selon laquelle les éléments de preuve sur lesquels la Commission s’est fondée permettraient de conclure que le scellé litigieux a été enlevé de la porte du local G.505 pendant la nuit du 29 au 30 mai 2006 et que cette porte avait donc pu être ouverte dans cet intervalle, compte tenu, notamment, des inscriptions «VOID» sur la totalité de la surface du scellé litigieux. En particulier, elle reproche au Tribunal de ne pas avoir jugé pertinent l’argument selon lequel, ces inscriptions sur l’encadrement de la porte n’étant pas effacées et étant intactes, cela impliquerait une «fausse réaction positive».

76.      À cet égard, le Tribunal contredirait ses propres constatations. D’une part, au point 137 de l’arrêt attaqué, il aurait constaté qu’il était impossible d’apposer le scellé litigieux au même endroit que celui où il était collé précédemment. D’autre part, au point 149 de cet arrêt, il aurait, ensuite, relevé que l’apparition des inscriptions «VOID» indique que le scellé litigieux a été brisé et l’autocollant déplacé. En outre, le Tribunal contredirait l’exposé de la Commission selon lequel chaque repositionnement du scellé doit entraîner un endommagement des lettres, de sorte que le caractère intact des signes «VOID» prouverait qu’un repositionnement du scellé après son détachement peut être exclu. En outre, la requérante soutient que ces signes peuvent apparaître sur l’encadrement de la porte, en l’absence de détachement du scellé, uniquement à la suite d’une «fausse réaction positive». Par conséquent, en application du principe in dubio pro reo, il pourrait en être de même en ce qui concerne la partie du scellé adhérant au panneau de la porte.

77.      Enfin, la requérante reproche au Tribunal de ne pas avoir procédé à des actes d’instruction en ce qui concerne l’état des inscriptions «VOID» sur l’encadrement de la porte.

78.      La Commission conteste ces arguments et estime, notamment, que E.ON Energie cherche de nouveau à contester des constatations factuelles, de sorte que le cinquième moyen serait irrecevable.

3.      Notre appréciation

79.      Comme la Commission, nous sommes d’avis que le cinquième moyen n’est pas recevable.

80.      D’une part, il ressort très clairement des écritures de la requérante, et en particulier des multiples références auxquelles elle procède à sa requête et au mémoire en défense de la Commission déposés en première instance, que celle-ci tend, en réalité, à obtenir un simple réexamen des arguments qu’elle a présentés devant le Tribunal et une nouvelle appréciation des faits.

81.      Or, la Cour juge qu’un pourvoi n’est pas recevable si le requérant se limite à répéter ou à reproduire textuellement les moyens et les arguments qu’il a déjà présentés devant le Tribunal et s’il n’explique pas et n’identifie pas l’erreur de droit dont serait entaché l’arrêt de celui-ci. Dans ce cas, la Cour considère que le pourvoi constitue en réalité une demande permettant au requérant d’obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (19). En revanche, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être de nouveau discutés au cours de la procédure de pourvoi. En effet, selon la Cour, si un requérant ne pouvait pas fonder son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, cette procédure serait privée d’une partie de son sens (20).

82.      En l’espèce, si la requérante identifie, dans l’intitulé de son cinquième moyen, une violation du principe in dubio pro reo, nous constatons qu’elle n’explique pas cette erreur de droit dont serait entachée l’appréciation du Tribunal et ne conteste pas non plus l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal.

83.      D’autre part, en ce qui concerne les actes d’instruction supplémentaires que le Tribunal aurait dû ordonner, il ressort d’une jurisprudence constante que ce dernier est seul juge de la nécessité éventuelle de compléter les éléments d’information dont il dispose dans les affaires dont il est saisi. Le caractère probant ou non de ces éléments relève de son appréciation souveraine des faits. Selon la Cour, cette appréciation échappe donc à son contrôle lorsqu’elle statue dans le cadre d’un pourvoi, à moins que les parties ne fassent valoir une dénaturation des éléments de preuve présentés au Tribunal ou que l’inexactitude matérielle des constatations de celui‑ci ressorte des documents versés au dossier (21).

84.      Or, aucune indication fournie dans le cadre du pourvoi ne nous permet de penser que tel est le cas dans la présente affaire, la conclusion que tire le Tribunal au point 146 de l’arrêt attaqué étant, nous le signalons, à suffisance fondée sur l’appréciation des différents éléments de preuve qui lui ont été soumis par la Commission, figurant aux points 136 à 145 dudit arrêt. Dans ces circonstances, nous pensons que cet argument n’est pas recevable et, en tout état de cause, celui-ci ne nous paraît pas fondé.

85.      Nous proposons, par conséquent, à la Cour de rejeter le cinquième moyen du pourvoi comme étant irrecevable.

F –    Sur le sixième moyen, tiré d’erreurs de droit et, en particulier, de la violation du principe de proportionnalité, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction et du montant de l’amende

86.      Par son sixième moyen, la requérante remet, en substance, en cause la portée du contrôle juridictionnel que le Tribunal a exercé dans le cadre de son appréciation de la gravité de l’infraction et de la détermination du montant de l’amende infligée au titre de l’article 23, paragraphe 1, sous e), du règlement no 1/2003.

1.      L’arrêt attaqué

87.      Aux points 276 à 283 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné si la Commission a, à suffisance, motivé la décision litigieuse en ce qui concerne les critères sur la base desquels elle s’est fondée pour déterminer le montant de l’amende infligée à la requérante.

88.      D’une part, il a relevé que le raisonnement de la Commission apparaissait d’une façon claire et non équivoque dans la décision litigieuse. Celle-ci indiquait que le montant de l’amende était notamment fonction de la gravité de l’infraction et des circonstances particulières de l’affaire. Elle précisait, en outre, qu’un bris de scellé représentait une infraction grave et que l’amende devait garantir un effet dissuasif. La Commission ajoutait qu’il existait, en l’occurrence, des indices d’infractions aux règles de la concurrence que l’inspection devait donc lui permettre de vérifier et que des documents non inventoriés se trouvaient dans le local placé sous scellé. Elle précisait qu’elle avait tenu compte, pour calculer le montant de l’amende, du fait qu’il s’agissait du premier cas d’application de l’article 23, paragraphe 1, sous e), du règlement no 1/2003 et du fait que la requérante était informée des amendes importantes en cas de bris de scellé, compte tenu de son importance sur le marché et des experts juridiques dont elle était entourée. Enfin, la Commission aurait expressément rejeté les arguments de la requérante invoqués au titre des circonstances atténuantes.

89.      D’autre part, le Tribunal a relevé que, s’agissant de l’article 23, paragraphe 1, sous e), du règlement no 1/2003, la Commission n’avait pas adopté de lignes directrices énonçant la méthode de calcul qui s’imposerait à elle dans le cadre de la fixation des amendes.

90.      C’est au vu de ces éléments qu’il a conclu que la Commission n’était pas, contrairement à ce que soutenait la requérante, tenue de chiffrer, en valeur absolue ou en pourcentage, le montant de base de l’amende et les éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes et a jugé, au point 284 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse était motivée conformément aux exigences visées à l’article 296 TFUE.

91.      Aux points 285 à 296 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, ensuite, examiné les arguments de la requérante relatifs à la proportionnalité de l’amende.

92.      Aux points 286 et 287 de cet arrêt, le Tribunal a rappelé la jurisprudence pertinente relative à la portée du principe de proportionnalité dans le cadre de la détermination du montant de l’amende.

93.      Premièrement, le Tribunal a rejeté l’argument de la requérante concernant les circonstances aggravantes que la Commission aurait retenues à son égard. Il a, en effet, estimé que la Commission n’avait retenu aucune circonstance aggravante à son égard, celle-ci ayant, à juste titre, exposé les raisons pour lesquelles l’infraction en cause était particulièrement grave. La première tiendrait à la finalité des scellés et la seconde à la nécessité d’assurer un effet suffisamment dissuasif à l’amende.

94.      Deuxièmement, le Tribunal a rejeté l’argument de la requérante relatif aux circonstances atténuantes dont la Commission aurait dû tenir compte au titre du calcul du montant de l’amende.

95.      En particulier, au point 289 de l’arrêt attaqué, il a jugé que le bris d’un scellé par négligence n’était pas constitutif d’une circonstance atténuante pour deux raisons. D’une part, la Commission aurait admis qu’il s’agissait «au minimum» d’un bris de scellé par négligence et, d’autre part, conformément à l’article 23, paragraphe 1, sous e), du règlement no 1/2003, l’infraction constituée par le bris de scellé pourrait être commise de propos délibéré ou par négligence.

96.      Puis, au point 291 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé sans pertinence le fait qu’il n’aurait pas été possible de constater que des documents avaient été emportés du local mis sous scellé, rappelant que l’objectif de la pose d’un scellé est précisément d’éviter toute manipulation des documents placés dans le local en l’absence des équipes d’inspection de la Commission. À cet égard, le Tribunal a relevé que les documents entreposés dans le local n’avaient pas été inventoriés, notamment en raison de leur grand nombre, et que l’équipe d’inspection avait donc été dans l’impossibilité de vérifier si des documents entreposés étaient manquants.

97.      Troisièmement, le Tribunal a relevé que la Commission a tenu compte du fait qu’il s’agissait de la première décision d’application de l’article 23, paragraphe 1, sous e), du règlement no 1/2003 alors même que la requérante disposait d’experts juridiques, qu’elle avait été informée des conséquences d’un bris de scellé, que la modification de ce règlement datait de plus de trois ans et que d’autres scellés avaient déjà été apposés dans les locaux du groupe auquel elle appartient.

98.      Enfin, le Tribunal a relevé ce qui suit au point 294 de l’arrêt attaqué:

«Quatrièmement, contrairement à ce que soutient la requérante, une amende d’un montant de 38 millions d’euros ne saurait être considérée comme disproportionnée par rapport à l’infraction, eu égard à la nature particulièrement grave d’un bris de scellé, à la taille de la requérante et à la nécessité d’assurer un effet suffisamment dissuasif à l’amende, afin qu’il ne puisse être avantageux pour une entreprise de briser un scellé apposé par la Commission dans le cadre d’inspections.»

2.      Les arguments des parties

99.      Par son sixième moyen, E.ON Energie estime que le Tribunal a commis une erreur de droit et a, notamment, violé le principe de proportionnalité, en ne tenant pas compte dans son appréciation de la gravité de l’infraction et du montant de l’amende du fait que la Commission n’a apporté aucun élément de nature à démontrer que la porte du local aurait effectivement été ouverte ou que des documents auraient été dérobés. Or, il s’agissait, selon elle, d’éléments déterminants dans la mesure où l’objectif d’une apposition de scellé, tel qu’énoncé au point 291 de l’arrêt attaqué, est d’empêcher toute manipulation des documents placés dans le local mis sous scellé. Elle ajoute que, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal aurait dû réduire le montant de l’amende en conséquence.

100. Par ailleurs, le Tribunal aurait négligé de tenir compte, au titre des circonstances atténuantes, du fait que la Commission a utilisé un scellé dont la durée de conservation était expirée. Ce faisant, la Commission serait coresponsable de la situation relativement floue dans laquelle se trouvent les parties et aurait induit la requérante en erreur en ce qui concerne les mesures de sécurité à adopter. La requérante invoque à cet égard, par analogie, l’arrêt Suiker Unie e.a./Commission (22) où la Cour a jugé, en substance, qu’une infraction ne saurait être prise en considération aux fins de la fixation du montant de l’amende étant donné que l’on ne saurait exclure que le texte d’une communication de la Commission a pu faire croire qu’une telle pratique était toutefois acceptée comme étant compatible avec le droit de l’Union (23).

101. Enfin, E.ON Energie soutient que le Tribunal a méconnu les règles relatives à l’administration de la preuve en refusant d’ordonner une mesure d’instruction concernant l’ouverture de la porte du local G.505.

102. La Commission conteste ces arguments et invite la Cour à rejeter le sixième moyen.

3.      Notre appréciation

103. Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le respect de l’article 6 de la CEDH ne s’oppose pas à ce que la Commission ait pour tâche de poursuivre, d’instruire et de réprimer les infractions au droit de la concurrence pour autant que la décision rendue puisse faire l’objet d’un contrôle ultérieur d’un organe judiciaire disposant d’une compétence de pleine juridiction (24).

104. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, cette compétence doit inclure le «pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise, rendue par l’organe inférieur» (25). En d’autres termes, le juge doit pouvoir examiner toutes les questions de fait et de droit portant sur le litige dont il est saisi et ne doit pas se limiter au contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation.

105. Premièrement, il doit donc pouvoir vérifier si, par rapport aux circonstances particulières de l’affaire, l’autorité administrative a fait un usage approprié de ses pouvoirs.

106. Deuxièmement, le juge doit pouvoir examiner le bien-fondé et la proportionnalité des choix de cette autorité et vérifier ses évaluations d’ordre technique.

107. Troisièmement, le contrôle relatif à la sanction implique, selon la Cour européenne des droits de l’homme, que le juge vérifie et analyse d’une façon détaillée l’adéquation de la sanction par rapport à l’infraction commise, en tenant compte des paramètres pertinents, y compris la proportionnalité de la sanction même et, le cas échéant, remplace cette dernière (26).

108. La rigueur du contrôle juridictionnel effectué par le Tribunal est donc une condition essentielle pour que la procédure actuelle, caractérisée, d’une part, par la nature pénale de la procédure et des amendes visées à l’article 23 du règlement no 1/2003 (27) et, d’autre part, par une concentration des pouvoirs dans le chef de la Commission, soit compatible avec les exigences des articles 6 de la CEDH et 47 de la Charte.

109. Conformément à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement no 1/2003 (28), le Tribunal dispose d’une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les amendes fixées par la Commission.

110. Cette compétence, telle que la Cour l’a définie dans l’arrêt Groupe Danone/Commission (29), lui permet, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, de substituer son appréciation à celle de la Commission. Par conséquent, lorsque la question du montant de l’amende est soumise à son appréciation, le Tribunal peut, compte tenu de toutes les circonstances de fait, réformer l’acte litigieux, même en l’absence d’annulation, en modifiant notamment le montant de l’amende infligée. Il peut la supprimer, réduire ou augmenter son montant (30), tout en sachant qu’il n’est pas lié par les calculs de la Commission ni par les méthodes figurant dans des textes de «soft law», tels que les lignes directrices (31). Le Tribunal doit donc effectuer sa propre appréciation et peut, par conséquent, appliquer un autre mode de calcul, même s’il est moins favorable pour l’entreprise concernée. Ainsi, dans ledit arrêt, la Cour a jugé que le Tribunal avait parfaitement exercé sa compétence en modifiant les modalités d’application du coefficient fixé par les lignes directrices dans un contexte où la question de la légitimité de l’application d’un tel coefficient n’avait pas été soulevée en première instance.

111. Dans ce cadre, le Tribunal est, par conséquent, tenu d’assurer le respect du principe de proportionnalité, qui, nous le rappelons, constitue un principe général du droit de l’Union consacré à présent à l’article 49, paragraphe 3, de la Charte.

112. Conformément à ce que le Tribunal a rappelé aux points 286 et 287 de l’arrêt attaqué, le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes qui sont poursuivis par la réglementation en cause.

113. Dans le cadre des procédures de mise en œuvre des règles de concurrence, cela implique que l’amende ne soit pas démesurée par rapport aux objectifs que poursuit la Commission et que son montant soit proportionné à l’infraction, celle-ci devant être appréciée «dans son ensemble», en tenant compte, notamment, de sa gravité. Or, comme la Cour l’a encore récemment rappelé dans l’arrêt Tomra Systems e.a./Commission, précité, la gravité de l’infraction est établie en fonction de nombreux éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, notant, à cet égard, qu’il n’existe aucune liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (32).

114. L’examen de la proportionnalité de l’amende implique donc de tenir compte de tous les éléments caractérisant l’affaire, tels que le comportement de l’entreprise et le rôle joué par celle-ci dans l’établissement de la pratique anticoncurrentielle, sa taille, la valeur des marchandises concernées ou encore le profit qu’elle a pu tirer de l’infraction commise et de l’objectif de dissuasion recherché et des risques que des infractions de ce type représentent pour les objectifs de l’Union européenne.

115. Il implique, par conséquent, et en particulier dans le cadre d’un contrôle de pleine juridiction, que le Tribunal apprécie le montant de l’amende au-delà des seuls points de droit ou de fait contestés par l’entreprise concernée.

116. Si nous appliquons ces principes à l’appréciation que le Tribunal a effectuée quant à la proportionnalité du montant de l’amende infligée à E.ON Energie, nous sommes enclin à penser que celui-ci n’a pas pleinement exercé sa compétence de pleine juridiction.

117. En effet, nous estimons que le Tribunal ne pouvait pas se contenter d’affirmer, au point 294 de l’arrêt attaqué, que, «contrairement à ce que soutient la requérante, une amende d’un montant de 38 millions d’euros ne saurait être considérée comme disproportionnée par rapport à l’infraction, eu égard à la nature particulièrement grave d’un bris de scellé, à la taille de la requérante et à la nécessité d’assurer un effet suffisamment dissuasif à l’amende».

118. Si ce point doit évidemment être lu à la lumière des points 288 à 293 de cet arrêt, il n’en reste pas moins que le Tribunal ne s’est pas, à notre avis, comporté comme une juridiction d’appel examinant et se réappropriant le dossier ex novo, comme l’exige l’article 6 de la CEDH.

119. Premièrement, nous pensons que le Tribunal n’a pas procédé à une appréciation suffisamment indépendante de celle adoptée par la Commission.

120. En l’occurrence, la question était de savoir si l’amende que celle-ci a fixée à hauteur de 38 millions d’euros constituait la juste sanction du comportement reproché à E.ON Energie. Une amende d’un tel montant permettait-elle de réprimer efficacement le comportement illégal de la requérante, d’une manière qui n’est pas négligeable et qui reste suffisamment dissuasive? Sur ce point, nous avons le sentiment que le Tribunal ne s’est pas forgé sa propre opinion, s’en remettant au seul montant déterminé de façon relativement abstraite par la Commission.

121. D’une part, dans le cadre de son appréciation figurant aux points 288 à 294 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné les seuls points de droit contestés par les parties, à savoir la gravité de l’infraction et la prise en compte de certaines circonstances atténuantes et aggravantes au titre du calcul de l’amende.

122. D’autre part, dans quatre des six points de motifs qui composent son appréciation, celui-ci s’est expressément référé à l’appréciation adoptée par la Commission dans la décision litigieuse. S’il est vrai que la Commission a, à juste titre, exposé les raisons pour lesquelles l’infraction de bris de scellé constituait une infraction particulièrement grave, s’il est également vrai que la Commission était en droit, conformément à une jurisprudence constante, d’assurer un effet suffisamment dissuasif à l’amende et disposait à cette fin d’un pouvoir d’appréciation pour fixer le montant de l’amende, cela ne signifie pas que le juge de l’Union, dans le cadre de son contrôle, devait s’en remettre à la manière dont celle-ci a exercé cette discrétion ni même à la méthodologie qu’elle aurait éventuellement suivie.

123. Deuxièmement, il nous semble difficile d’apprécier la proportionnalité du montant de l’amende infligée à la requérante sans que soient mentionnées et examinées la taille et les ressources globales de E.ON Energie.

124. En effet, au point 294 de l’arrêt attaqué, le Tribunal indique qu’«une amende d’un montant de 38 millions d’euros ne saurait être considérée comme disproportionnée par rapport à l’infraction, eu égard […] à la taille de la requérante». Pour autant, ni la décision litigieuse ni l’arrêt attaqué ne font mention du chiffre d’affaires ou du capital social de E.ON Energie. Seul le point 3 de cet arrêt précise que cette dernière est une filiale à 100 % de E.ON AG (ci-après «E.ON») et le point 282 dudit arrêt indique qu’il s’agissait de l’une des plus grandes entreprises européennes dans le secteur de l’énergie.

125. En l’absence de ces données, il est, certes, possible d’extrapoler le chiffre d’affaires réalisé en 2005 par E.ON Energie sur la base des éléments figurant au point 113 de la décision litigieuse. En effet, la Commission indique que le montant de l’amende de 38 millions d’euros correspond à 0,14 % du chiffre d’affaires de la requérante. Sur cette base, celui-ci s’élèverait donc à 27,142 milliards d’euros (33). Pourtant, si nous nous référons au rapport annuel d’activités de 2005 de la requérante (34), celle-ci aurait généré un chiffre d’affaires de 23,246 milliards d’euros, soit 4 milliards de moins. En outre, lors de l’audience, E.ON Energie a confirmé avoir réalisé au cours de cette année 2005 un chiffre d’affaires annuel de 25 milliards d’euros, soit 2 milliards de moins.

126. À notre sens, nous ne devrions pas avoir de tels doutes quant au chiffre d’affaires réalisé par E.ON Energie, en particulier à ce stade de la procédure et dans le cadre du calcul d’une amende expressément fondée sur le chiffre d’affaires de E.ON Energie. Le Tribunal aurait donc dû éclaircir ce point sans s’en remettre au seul pourcentage, relativement abstrait, visé par la Commission au point 113 de la décision litigieuse. En effet, il est indispensable de connaître et d’examiner les données financières de E.ON Energie pour apprécier le juste montant de l’amende.

127. D’une part, ces données permettent d’apprécier le montant de la sanction qu’encourait effectivement E.ON Energie au titre de l’infraction de bris de scellé, ce qui est un élément à prendre en compte dans le cadre de l’examen de la proportionnalité de l’amende. Il est ainsi intéressant de souligner que, conformément à l’article 23, paragraphe 1, sous e), du règlement no 1/2003, la Commission était en droit d’infliger à la requérante une amende correspondant à 1 % du chiffre d’affaires total réalisé au cours de son exercice social précédent, ce qui, au vu des données sur lesquelles la Commission s’est fondée dans la décision litigieuse, aurait pu représenter une amende de plus de 253 millions d’euros (35). Le caractère proportionné du montant de l’amende pouvait donc être confirmé par la circonstance que celui-ci a été fixé à un niveau nettement inférieur au plafond fixé par le règlement no 1/2003.

128. D’autre part, lesdites données permettent d’apprécier le montant de l’amende que la requérante aurait pu encourir si elle avait été condamnée au titre des pratiques anticoncurrentielles sur lesquelles la Commission enquêtait. En application de l’article 23, paragraphe 2, premier alinéa, sous a), et deuxième alinéa, du règlement no 1/2003, le montant de l’amende infligée était susceptible d’atteindre 10 % du chiffre d’affaires total réalisé par E.ON Energie, soit 2,7 milliards d’euros si nous nous fondons sur les données de la Commission. Cet élément illustre à notre sens l’avantage considérable que pouvait retirer E.ON Energie de briser le scellé apposé par la Commission et de saisir les documents entreposés.

129. Enfin, c’est à travers l’examen de la taille et des ressources globales de E.ON Energie que nous pouvons assurer, à travers l’impact recherché sur celle-ci, un effet dissuasif suffisant à l’amende et que nous pouvons garantir que la sanction ne sera pas négligeable au regard, notamment, de la capacité financière de celle-ci (36).

130. Troisièmement, l’appréciation relative à la proportionnalité de l’amende exigeait, à notre avis, de tenir compte du fait qu’il s’agissait d’une infraction commise par négligence. Il est vrai que le Tribunal a, au point 289 de l’arrêt attaqué, rejeté cet élément comme ne constituant pas une circonstance atténuante et n’était, par conséquent, pas tenu de le prendre en compte au titre de son appréciation figurant au point 294 de cet arrêt. Pour autant, nous sommes en désaccord avec son appréciation, puisque les motifs invoqués ne justifient pas sa conclusion. Le fait que la Commission ait admis qu’il s’agissait d’un bris commis «au minimum» par négligence et le fait que, conformément à l’article 23, paragraphe 1, sous e), du règlement no 1/2003, l’infraction constituée par le bris de scellé peut être commise de propos délibéré ou par négligence sont des arguments relatifs à la constitution de l’infraction, qui ne rentrent pas, à notre sens, dans le cadre de la détermination du montant de l’amende. Dans la mesure où la négligence constitue une circonstance atténuante au titre des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en cas de violation de l’article 101 TFUE (37), nous pouvons légitimement nous demander si elle n’est pas, en réalité, pertinente aux fins du calcul de l’amende infligée en cas de bris de scellé.

131. En conséquence et pour l’ensemble de ces raisons, nous estimons que le Tribunal n’a pas exercé son pouvoir de pleine juridiction dans le cadre de l’examen de la proportionnalité de l’amende infligée par la Commission à la requérante.

132. Pour ce motif, nous proposons donc à la Cour de déclarer le sixième moyen fondé et d’annuler l’arrêt attaqué.

133. L’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour prévoit que, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Dans ce cas, elle peut soit statuer elle‑même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

134. En l’espèce, nous considérons que le litige n’est pas en mesure d’être jugé par la Cour puisque l’appréciation de la proportionnalité du montant de l’amende infligée à E.ON Energie imposera certaines vérifications de fait, notamment quant au chiffre d’affaires de celle-ci, et exigera de tenir compte d’un ensemble d’éléments de nature factuelle quant aux circonstances particulières de l’affaire dont nous ne disposons pas.

135. Ces considérations nous incitent à proposer le renvoi de la présente affaire devant le Tribunal pour que celui‑ci statue sur la proportionnalité de l’amende infligée à la requérante et à réserver les dépens.

IV – Conclusion

136. Au regard des considérations qui précèdent, nous proposons donc à la Cour de déclarer:

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 15 décembre 2010, E.ON Energie/Commission (T‑141/08), est annulé en tant que le Tribunal de l’Union européenne n’a pas exercé son pouvoir de pleine juridiction dans le cadre de l’examen de la proportionnalité de l’amende infligée par la Commission européenne à E.ON Energie AG.

2)      L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne afin qu’il statue sur la proportionnalité de ladite amende.

3)      Les dépens sont réservés.


1 – Langue originale: le français.


2 – Ci-après «E.ON Energie».


3 –      T‑141/08, Rec. p. II‑5761, ci-après l’«arrêt attaqué».


4 – Décision concernant la fixation d’une amende fondée sur l’article 23, paragraphe 1, point e), du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil pour bris de scellé – Affaire COMP/B-1/39.326 – E.ON Energie AG. Cette décision a fait l’objet d’une publication sommaire (JO 2008, C 240, p. 6, ci-après la «décision litigieuse»).


5 –      Règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1).


6 – La Commission a adopté, depuis, une nouvelle décision le 24 mai 2011 à l’égard de Suez Environnement Company SA (Affaire COMP/39.796 – Suez Environnement – breach of seal) [C (2011) 3640 final].


7 – Pour un exposé complet des antécédents du litige, nous renvoyons aux points 3 à 31 de l’arrêt attaqué.


8 – Cette convention a été signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»).


9 – Souligné par nos soins.


10 –      C‑235/92 P, Rec. p. I‑4539, points 17 et suiv.


11 – Arrêt du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission (C‑549/10 P, points 25 et 26 ainsi que jurisprudence citée).


12 – Arrêt du 8 juillet 2004 (T‑44/00, Rec. p. II‑2223, points 261 et 262).


13 – Arrêt du 8 juillet 2004 (T–67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, points 342 et 343).


14 – Ci-après la «Charte».


15 –      Voir, notamment, arrêts du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission (C‑167/04 P, Rec. p. I‑8935, point 108 et jurisprudence citée), ainsi que du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil (C‑229/05 P, Rec. p. I‑439, point 37 et jurisprudence citée).


16 – Arrêts JCB Service/Commission, précité (point 107 et jurisprudence citée), ainsi que du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission (C‑328/05 P, Rec. p. I‑3921, point 41 et jurisprudence citée).


17 – Voir, notamment, arrêts précités JCB Service/Commission (point 106 et jurisprudence citée) ainsi que SGL Carbon/Commission (point 41 et jurisprudence citée).


18 – Voir ordonnance du 12 décembre 2006, Autosalone Ispra/Commission (C‑129/06 P, point 17 et jurisprudence citée).


19 – Voir, notamment, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 51 et jurisprudence citée).


20 – Arrêt PKK et KNK/Conseil, précité (point 32 et jurisprudence citée).


21 –      Voir, notamment, ordonnance Autosalone Ispra/Commission, précitée (point 22 et jurisprudence citée).


22 – Arrêt du 16 décembre 1975 (40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663).


23 – Point 556.


24 –      Voir Cour eur. D. H., arrêts Schmautzer c. Autriche du 23 octobre 1995, série A no 328-A, § 36; Valico S.R.L. c. Italie du 10 janvier 2001, Recueil des arrêts et décisions 2006-III, p. 20 et jurisprudence citée, ainsi que A. Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie du 27 septembre 2011, § 58 et 59 et jurisprudence citée.


25 – Voir Cour eur. D. H., arrêts précités Schmautzer c. Autriche (§ 36); Valico S.R.L. c. Italie (p. 21), et A. Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie (§ 59).


26 –      Voir Cour eur. D. H., arrêt A. Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie, précité (§ 64 à 66).


27 – Voir, à ce sujet, points 41 à 45 de nos conclusions dans les affaires jointes ayant donné lieu à l’arrêt du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a. (C‑201/09 P et C‑216/09 P, Rec. p. I‑2239). S’agissant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, voir, en dernier lieu, Cour eur. D. H., arrêt A. Menarini Diagnostics S.R.L. c. Italie, précité, dans lequel cette Cour a, au vu des critères dégagés dans son arrêt Engel et autres c. Pays‑Bas du 8 juin 1976, série A no 22 (§ 82 et 83), jugé qu’une amende de six millions d’euros infligée à une entreprise pour des pratiques anticoncurrentielles a un caractère pénal, de sorte que l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH trouvait à s’appliquer sous son volet pénal (§ 44).


28 – Voir, également, article 3, paragraphe 1, sous c), de la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), telle que modifiée par la décision 93/350/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21).


29 – Arrêt du 8 février 2007 (C‑3/06 P, Rec. p. I‑1331).


30 – Points 61 et 62 ainsi que jurisprudence citée.


31 –      Voir, notamment, arrêt du Tribunal du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission (T‑11/06, Rec. p. II‑6681, point 266 et jurisprudence citée).


32 –      Point 107 et jurisprudence citée.


33 – Quant à E.ON, la société mère, son capital social s’élevait à 126,562 milliards d’euros et son volume de ventes à 56,399 milliards d’euros (voir rapport annuel d’activités de 2005, disponible sur le site Internet de E.ON à l’adresse http://www.eon.com).


34 – Ce rapport est également disponible sur le site Internet de E.ON.


35 –      Ce chiffre a été confirmé par E.ON Energie lors de l’audience.


36 –      Arrêt du 17 juin 2010, Lafarge/Commission (C‑413/08 P, Rec. p. I‑5361, point 104).


37 – Voir point 29 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2).