Language of document : ECLI:EU:T:2012:48

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

2 février 2012(*)

« Concurrence – Ententes – Marché du caoutchouc chloroprène – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE – Fixation des prix – Répartition du marché – Preuve de la participation à l’entente − Preuve de la distanciation de l’entente − Durée de l’infraction – Droits de la défense – Accès au dossier − Lignes directrices pour le calcul des amendes − Non‑rétroactivité – Confiance légitime – Principe de proportionnalité – Circonstances atténuantes »

Dans l’affaire T‑83/08,

Denki Kagaku Kogyo Kabushiki Kaisha, établie à Tokyo (Japon),

Denka Chemicals GmbH, établie à Düsseldorf (Allemagne),

représentées initialement par Mes G. van Gerven, T. Franchoo et D. Fessenko, puis par Mes Franchoo, B. Bär-Bouyssière et A. de Beaugrenier, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. S. Noë et V. Bottka, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation de la décision C (2007) 5910 final de la Commission, du 5 décembre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/38629 – Caoutchouc chloroprène), dans la mesure où elle concerne les requérantes, et, à titre subsidiaire, une demande de réduction du montant de l’amende infligée solidairement aux requérantes par cette décision,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. A. Dittrich, président, Mme I. Wiszniewska-Białecka (rapporteur) et M. M. Prek, juges,

greffier : M. N. Rosner, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 février 2011,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

 Requérantes et produit concerné

1        Le présent recours a été introduit par deux destinataires de la décision C (2007) 5910 final de la Commission, du 5 décembre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/38629 – Caoutchouc chloroprène) (ci-après la « décision attaquée »), à savoir Denki Kagaku Kogyo Kabushiki Kaisha, une société cotée en Bourse ayant son siège à Tokyo (Japon), et sa filiale détenue à 100 %, Denka Chemicals GmbH, ayant son siège à Düsseldorf (Allemagne).

2        Denki Kagaku Kogyo est entrée sur le marché du caoutchouc chloroprène (ci-après le « CR ») en 1962 et a fondé Denka Chemicals en 1990, en tant que filiale chargée notamment de la distribution du CR en Europe.

3        Le CR est un caoutchouc synthétique qui se compose d’un polymère de fabrication artificielle faisant office d’élastomère. Le CR est utilisé principalement dans la fabrication de pièces techniques en caoutchouc, tels que des câbles, des tuyaux ou des courroies de transmission, dans celle d’adhésifs destinés notamment aux industries de la chaussure et du meuble, tels que des semelles, des talons et des tissus enduits, et dans celle de latex pour les équipements de plongée, les modifications bitumeuses et la semelle intérieure des chaussures (voir considérants 7 à 11 de la décision attaquée).

4        Les autres destinataires de la décision attaquée sont : Bayer AG, EI du Pont de Nemours and Company (ci-après « EI DuPont »), DuPont Performance Elastomers LLC, DuPont Performance Elastomers SA, The Dow Chemical Company (ci-après « Dow »), ENI SpA, Polimeri Europa SpA, Tosoh Corp. et Tosoh Europe BV.

 Procédure devant la Commission

5        Le 18 décembre 2002, Bayer a informé la Commission des Communautés européennes [confidentiel] (1) et a exprimé son souhait de coopérer avec la Commission dans les conditions prévues dans la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la « communication sur la coopération de 2002 »). Par décision du 27 janvier 2003, la Commission a accordé à Bayer l’immunité conditionnelle d’amendes (voir considérant 60 de la décision attaquée).

6        À la suite de la communication d’informations par Bayer, la Commission a procédé à des vérifications inopinées dans les installations de Dow Deutschland Inc., le 27 mars 2003, et dans les bâtiments de Denka Chemicals, le 9 juillet 2003 (voir considérants 61 et 62 de la décision attaquée).

7        Le 15 juillet 2003, Tosoh Corp. et Tosoh Europe, et le 21 novembre 2003, DuPont Dow Elastomers LLC (ci-après « DDE »), une entreprise commune détenue à parts égales par EI DuPont et Dow, ont respectivement introduit une demande de clémence conformément à la communication sur la coopération de 2002.

8        En mars 2005, la Commission a envoyé ses premières demandes de renseignements aux entreprises destinataires de la décision attaquée, au titre de l’article 18 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1).

9        À la réception de la première demande de renseignements, [confidentiel] et Polimeri Europa ont introduit, [confidentiel], des demandes de clémence. [confidentiel] a soumis d’« autres » déclarations dans le cadre de cette demande en [confidentiel] et en [confidentiel] (voir considérants 63 à 66 de la décision attaquée).

10      Par lettres du 7 mars 2007, la Commission a informé Tosoh Corp., Tosoh Europe et DDE de sa conclusion provisoire selon laquelle les éléments de preuve qu’elles lui avaient communiqués présentaient une valeur ajoutée significative au sens du paragraphe 22 de la communication sur la coopération de 2002 et, partant, de son intention de réduire le montant de l’amende qui leur serait infligée dans une des fourchettes visées au paragraphe 23, sous b), premier alinéa, de ladite communication, à savoir une réduction de 30 à 50 % pour Tosoh Corp. et Tosoh Europe et une réduction de 20 à 30 % pour DDE (voir considérants 63 à 66 de la décision attaquée). Par lettres du même jour, [confidentiel] et Polimeri Europa ont été informées que leurs demandes ne répondaient pas aux conditions visées au paragraphe 8, sous a) et b), de la communication sur la coopération de 2002 et que, en application des paragraphes 15 et 17 de celle-ci, elles n’obtiendraient pas d’immunité conditionnelle d’amendes (voir considérant 67 de la décision attaquée).

11      Le 13 mars 2007, la Commission a engagé la procédure administrative et a adopté une communication des griefs concernant une infraction à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (ci-après l’« accord EEE »), adressée à douze entreprises, dont Denki Kagaku Kogyo et Denka Chemicals. Tous les destinataires de la communication des griefs ont soumis des observations par écrit en réponse aux griefs soulevés par la Commission et ont exercé leur droit d’être entendu lors d’une audition qui s’est tenue le 21 juin 2007 (voir considérants 68 à 72 de la décision attaquée).

 Décision attaquée

12      Le 5 décembre 2007, la Commission a adopté la décision attaquée. Cette décision a été notifiée à Denki Kagaku Kogyo et à Denka Chemicals le 10 décembre 2007. Un résumé de la décision attaquée, telle que modifiée par la décision C (2008) 2974 final de la Commission du 23 juin 2008, adressée uniquement à EI DuPont, à DuPont Performance Elastomers LLC, à DuPont Performance Elastomers SA et à Dow, a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 3 octobre 2008 (JO C 251, p. 11).

13      Il ressort de la décision attaquée que, entre 1993 et 2002, plusieurs producteurs de CR ont participé à une infraction unique et continue à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE, étendue à l’ensemble du territoire de l’Espace économique européen (EEE), consistant en des accords et des pratiques concertées relatifs à l’attribution et à la stabilisation des marchés, des parts de marché et des quotas de vente pour le CR, à coordonner et faire appliquer plusieurs augmentations de prix, à convenir de prix minimaux, à répartir la clientèle et à échanger des informations sensibles sur le plan de la concurrence (voir considérants 2, 3 et 81 à 122 de la décision attaquée). Ces producteurs se réunissaient de façon régulière, plusieurs fois par an, dans des réunions multilatérales, trilatérales ou bilatérales (voir considérants 94 à 116 de la décision attaquée).

14      Aux termes des articles 1er à 3 de la décision attaquée, telle que modifiée :

« Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE] et, à partir du 1er janvier 1994, l’article 53 de l’accord EEE en participant, durant les périodes indiquées, à un accord unique et continu et à des pratiques concertées dans le secteur du [CR] :

a)      Bayer […] : du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 ;

b)      [EI DuPont] : du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 ; DuPont Performance Elastomers SA, DuPont Performance Elastomers LLC et [Dow] : du 1er avril 1996 au 13 mai 2002 ;

c)      Denki Kagaku Kogyo […] et Denka Chemicals […] : du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 ;

d)      ENI […] et Polimeri Europa […] : du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 ;

e)      Tosoh Corp[.] et Tosoh Europe […] : du 13 mai 1993 au 13 mai 2002.

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées pour l’infraction visée à l’article 1er :

a)      Bayer […] : 0 [euro] ;

b)      [EI DuPont] : 59 250 000 [euros] [dont] ; solidairement avec

i) DuPont Performance Elastomers SA : 44 250 000 [euros] et
ii) DuPont Performance Elastomers LLC : 44 250 000 [euros] et
iii) [Dow] : 44 250 000 [euros] ;

c)      Denki Kagaku Kogyo […] et Denka Chemicals […] , solidairement : 47 000 000 [euros] ;

d)      ENI […] et Polimeri Europa [...] ;
solidairement : 132 160 000 [euros] ;

e)      Tosoh Corp[.] et Tosoh Europe […],
solidairement : 4 800 000 [euros] ;

f)      [Dow] 4 425 000 [euros].

[…]

Article 3

Les entreprises précitées mettent immédiatement fin aux infractions visées à l’article 1er, dans la mesure où elles ne l’ont pas déjà fait.

Elles s’abstiennent de répéter tout acte ou comportement décrit à l’article 1er, ainsi que tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire. »

15      Pour fixer le montant de base des amendes, la Commission s’est fondée sur ses lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 »). Elle a pris en compte une proportion de la valeur des ventes de CR réalisées par chaque entreprise au sein de l’EEE durant l’année calendaire 2001, dernière année complète de participation à l’infraction, multipliée par le nombre d’années d’infraction (voir considérants 521 et 523 de la décision attaquée).

16      En vue de déterminer la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte, la Commission a considéré que les accords horizontaux de partage de marché et de fixation de prix comptaient, par leur nature même, parmi les restrictions de concurrence les plus graves (voir considérant 525 de la décision attaquée). À cet égard, la Commission a également estimé que la part de marché combinée des entreprises participant à l’infraction s’élevait à 100 % au sein de l’EEE, que l’étendue géographique de l’infraction était mondiale et que l’infraction avait été mise en œuvre systématiquement (voir considérant 526 de la décision attaquée).

17      La Commission a décidé que la proportion de la valeur des ventes de chaque entreprise impliquée dont il devait être tenu compte pour établir le montant de base de l’amende à infliger était de 21 % (voir considérant 535 de la décision attaquée).

18      En raison de la participation à l’infraction pendant une durée de neuf ans pour EI DuPont, Bayer, ainsi que pour Denki Kagaku Kogyo et Denka Chemicals (ci-après, prises ensemble, « Denka » ou les « requérantes »), ENI et Polimeri Europa (ci-après, prises ensemble, « EniChem ») et Tosoh Corp. et Tosoh Europe (ci-après, prises ensemble, « Tosoh »), et pendant une durée de six ans et un mois pour DuPont Performance Elastomers SA et DuPont Performance Elastomers LLC (ci-après, prises ensemble « DPE ») et Dow, la Commission a, en application du paragraphe 24 des lignes directrices de 2006, multiplié par 9 les montants de départ des amendes déterminés en fonction de la valeur des ventes d’EI DuPont, de Bayer, de Denka, d’EniChem et de Tosoh et par 6,5 les montants de départ des amendes déterminés en fonction de la valeur des ventes de DPE et de Dow (voir considérant 536 de la décision attaquée).

19      Afin de dissuader les entreprises de participer à un accord relatif à un partage du marché ou à des accords horizontaux de fixation de prix tels que ceux en cause en l’espèce et en prenant en compte en particulier les éléments mentionnés au point 15 ci-dessus, la Commission a, en application du paragraphe 25 des lignes directrices de 2006, inclus dans le montant de base des amendes un montant additionnel de 20 % de la valeur des ventes (voir considérant 537 de la décision attaquée).

20      Au vu de ces éléments, le montant de base de l’amende à infliger aux requérantes a été fixé à 47 millions d’euros (voir considérant 539 de la décision attaquée).

21      S’agissant des ajustements des montants de base des amendes, d’une part, au titre des circonstances aggravantes, aucune majoration n’a été appliquée à l’amende à infliger aux requérantes, dans la mesure où aucune circonstance aggravante n’a été retenue à leur égard. En revanche, le montant de base de l’amende à infliger à EniChem a été majoré de 60 % et le montant de base de l’amende à infliger à Bayer a été majoré de 50 % au motif que ces entreprises s’étaient rendues coupables de récidive (voir considérants 540 à 542 de la décision attaquée). D’autre part, au titre des circonstances atténuantes visées au paragraphe 29 des lignes directrices de 2006, aucune réduction des montants de base des amendes n’a été accordée, la Commission ayant rejeté toutes les demandes de réduction qui avaient été présentées à ce titre (voir considérants 543 à 582 de la décision attaquée).

22      La Commission a ensuite appliqué à l’amende de certains destinataires de la décision attaquée une majoration spécifique afin de garantir un effet suffisamment dissuasif aux amendes, en tenant compte du niveau du chiffre d’affaires de ces entreprises au-delà des biens et des services auxquels l’infraction se réfère. Aucune majoration spécifique n’a été appliquée au montant de base de l’amende à infliger aux requérantes. En revanche, le montant de base de l’amende à infliger à EniChem a été multiplié par 1,4 et le montant de base de l’amende à infliger à Dow a été multiplié par 1,1 (voir considérants 583 à 586 de la décision attaquée).

23      Partant, le montant de base de l’amende à infliger aux requérantes n’a pas été ajusté et est resté identique (voir considérant 587 de la décision attaquée).

24      S’agissant de l’application de la communication sur la coopération de 2002, la Commission a accordé une réduction du montant de base de l’amende de 100 % à Bayer, de 50 % à Tosoh et de 25 % à EI DuPont, DPE et Dow (voir considérants 591 à 638 de la décision attaquée). La Commission a rejeté les demandes introduites au titre de cette communication par [confidentiel] et Polimeri Europa (voir considérants 639 à 654 de la décision attaquée).

25      Le montant de l’amende infligée aux requérantes a ainsi été fixé à 47 millions d’euros, à payer solidairement (voir considérant 655 de la décision attaquée).

 Procédure

26      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 février 2008, les requérantes ont introduit le présent recours.

27      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

28      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 16 février 2011.

29      Par ordonnance du 30 mars 2011, le Tribunal a ordonné une mesure d’instruction en vertu de laquelle il a demandé à la Commission de produire certains documents. Il a également demandé à la Commission de spécifier, parmi les documents qu’elle devait produire, les documents qui jouissaient d’une protection particulière dans le cadre du programme de clémence.

30      La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti. Les requérantes ont donc pu consulter les documents qui jouissaient de la protection particulière dans le cadre du programme de clémence au greffe du Tribunal.

31      Le 16 mai 2011, les requérantes ont déposé des observations sur les documents produits par la Commission.

32      La procédure orale a été clôturée le 12 juillet 2011.

 Conclusions des parties

33      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les articles 1er, 2 et 3 de la décision attaquée, dans la mesure où ils les concernent ;

–        à titre subsidiaire, réduire substantiellement le montant de l’amende qui leur est infligée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

34      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans son intégralité ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

35      À l’appui de leur recours, les requérantes invoquent six moyens. Deux moyens soulevés à titre principal visent à l’annulation de la décision attaquée et sont tirés i) d’erreurs manifestes d’appréciation des faits en ce qui concerne la participation des requérantes à une infraction à l’article 81 CE et ii) de la violation des droits de la défense, de l’obligation de motivation et du principe de bonne administration. Quatre moyens, soulevés à titre subsidiaire, visent à la réduction du montant de l’amende et sont tirés iii) de la violation des principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité du fait de l’application des lignes directrices de 2006, iv) d’erreurs manifestes d’appréciation des faits et de la violation du principe de proportionnalité s’agissant du calcul de la valeur des ventes, v) de la détermination erronée de la durée de la participation des requérantes à l’entente et vi) d’erreurs manifestes d’appréciation des faits, d’un défaut de motivation et de la violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement en ce qui concerne les circonstances atténuantes.

 Sur les moyens invoqués à titre principal, tendant à l’annulation de la décision attaquée

 Sur le premier moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation des faits en ce qui concerne la participation des requérantes à une violation de l’article 81 CE

–       Rappel du libellé de la décision attaquée

36      Aux considérants 338 et 339 de la décision attaquée, la Commission a indiqué, s’agissant du niveau de preuve requis, ce qui suit :

« (338) […] [L]’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une quelconque autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de la concurrence.

(339) […] Si des preuves suffisamment précises et cohérentes doivent être produites pour prouver irréfutablement que l’infraction présumée a bien eu lieu, il n’est pas nécessaire que chaque élément de preuve produit par la Commission satisfasse à ces critères en rapport avec chaque aspect de l’infraction. Au lieu de cela, il suffit que les preuves sur lesquelles l’institution se fonde, examinées dans leur ensemble, répondent à cette exigence. »

37      Au considérant 340 de la décision attaquée, s’agissant tout d’abord de la participation aux accords et aux pratiques concertées par les requérantes, la Commission a relevé les éléments suivants :

« Les arguments de Denka selon lesquels elle n’a pas pris part à des arrangements anticoncurrentiels […] devraient être évalués à la lumière des [considérants] 338 et 339 [de la décision attaquée]. [D]enka admet sa présence à un grand nombre de contacts et de réunions bilatérales et multilatérales avec les concurrents (voir les [considérants] 142, 150, 155, 156, 161, 164, 175, 178, 187, 189, 208, 211, 222, 240, 261, 265, 269, 280, 281, 287, 292, 296, 302, 305 [de la décision attaquée]). Les preuves directes qui ont pu être recueillies concernant certaines réunions […] ainsi que les déclarations explicatives des demandeurs d’immunité et de clémence identifient clairement en l’espèce le champ d’application anticoncurrentiel et la nature de ces réunions. Les preuves directes se composent de documents rédigés au moment où les divers contacts entre les concurrents ont eu lieu (c’est-à-dire des documents rédigés in tempore non suspecto). Les affirmations de Denka contredisent, par ailleurs, les déclarations de Bayer, Tosoh, DDE et [confidentiel] qui, en [s’accusant elles-mêmes], ont admis l’historique de la collusion dans l’industrie du CR et la collusion qui a fortement impliqué Denka. »

38      Ensuite, s’agissant de l’affirmation des requérantes selon laquelle elles ont été contraintes par les producteurs européens de CR de participer à certaines réunions, la Commission a relevé, au considérant 341 de la décision attaquée, qu’« il n’exist[ait] aucune preuve étayant cette [affirmation] » et que, « [m]ême s’il était possible de prouver la contrainte, ce[la] ne changerait rien à la qualification juridique des contacts que Denka a admis avoir eus et des autres contacts établis autrement par la Commission [d]’accords collusoires et [de] pratiques concertées ». Elle y indiquait en outre que « [l]a contrainte p[ouvai]t être considérée tout au plus comme une circonstance atténuante pour l’entreprise qui a subi ces menaces » et « ne change[ait] toutefois rien au fait que Denka ait participé activement à des pratiques anticoncurrentielles ».

39      En outre, s’agissant des allégations des requérantes selon lesquelles il n’existait pas d’objectif commun avec les autres producteurs de CR et donc pas d’accord entre elles et leurs concurrents, la Commission a relevé, aux considérants 342 à 344 de la décision attaquée, ce qui suit :

« (342)[…] [L]’accord [en cause] s’inscrivait dans le cadre d’un système d’entente mondiale visant à établir un équilibre entre les producteurs de CR dans le monde entier. L’intérêt de Denka sur le marché européen et le comportement dans l’entente ne peuvent être examinés indépendamment de ses intérêts dans d’autres régions du monde qui sont également couvertes par les arrangements. Les participants ont restreint leurs activités en Asie et ont soutenu des augmentations de prix communes dans d’autres régions du monde, ce qui a clairement profité aussi à Denka. […]

(343) […] [M]ême si Denka avait pris part aux réunions et aux rencontres avec ses concurrents en poursuivant un objectif différent par rapport à ceux-ci, cet argument n’aurait pas eu d’incidence sur la qualification de sa participation en tant qu’accord collusoire ou pratique concertée dans la mesure où Denka n’en a pas clairement et ouvertement informé ses concurrents. […]

(344) L’affirmation de Denka qu’elle ne pouvait prendre ouvertement ses distances envers les accords et coopérer avec la Commission étant donné qu’elle craignait des représailles sous la forme d’une action antidumping n’est ni convaincante ni pertinente. Premièrement, et dans un réel esprit de coopération, la Commission aurait été la mieux placée pour traiter une telle affirmation, étant donné qu’elle aurait été compétente pour traiter à la fois l’infraction liée à l’entente et la plainte antidumping prétendument abusive. Deuxièmement, Denka aurait pu conserver des éléments probants afin de prouver qu’elle voulait en réalité prendre ses distances, mais ne l’a pas fait par crainte de représailles. Or, même après y avoir été formellement requise par la Commission lors de l’audition orale, Denka n’a pas été en mesure de présenter à celle-ci de tels éléments probants. Troisièmement, même si Denka n’a participé que par crainte de mesures de représailles, ceci ne changerait pas la qualification légale de sa participation en tant qu’accords anticoncurrentiels. »

40      Enfin, la Commission a relevé, s’agissant de l’existence d’une pratique concertée entre concurrents, au considérant 345 de la décision attaquée, ce qui suit :

« L’argument de Denka [selon lequel] la Commission n’a pas établi de pratique concertée entre les concurrents, étant donné que les contacts entre eux n’ont jamais eu pour objet ou effet d’influencer le marché, contredit les déclarations faites par Bayer, Tosoh, DDE et [confidentiel], qui ont admis que les accords avaient pour but d’attribuer des parts de marché et de stabiliser les prix. L’argument de Denka est en outre contradictoire avec le comportement sur le marché des membres de l’entente qui ont appliqué la plupart des stratégies de marché et de prix convenues […]. Même si Denka n’a pas respecté les accords et a agi de manière indépendante sur le marché, quod non, elle savait que sa simple présence aux réunions avait un effet direct sur le comportement de ses concurrents, qui étaient convaincus, du moins dans une certaine mesure, que Denka participait et appliquait les accords. L’argument de Denka selon lequel les contacts n’ont pas eu d’effets sur le marché ne peut pas être accepté. »

41      La Commission a ainsi constaté, au considérant 347 de la décision attaquée, que « même si Denka contest[ait] certains événements couvrant la période de sa participation à des accords anticoncurrentiels et même si elle fourni[ssai]t des interprétations alternatives de certains éléments probants, elle n’[étai]t pas parvenue à affaiblir l’opinion que s’[était] forgée la Commission sur la base de l’ensemble des preuves et indices réunis estimant que Denka a[vait] été impliquée dans des accords et/ou des pratiques concertées avec ses concurrents pendant toute la durée de vie de l’entente ».

–       Arguments des parties

42      Les requérantes font valoir que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit qu’elles avaient participé à l’entente sur le marché du CR. Les requérantes admettent avoir « assisté » à « un petit nombre de réunions », soit par courtoisie, soit du fait de la contrainte exercée par les producteurs européens de CR, mais elles font valoir que cette seule circonstance ne saurait prouver la participation à l’entente, dès lors qu’elles n’auraient pas partagé d’objectif commun avec les participants à l’entente. Partant, les requérantes n’auraient pas participé à un accord contraire à l’article 81 CE. Les contacts avec les concurrents n’ayant eu ni pour objet ni pour effet d’influer sur la conduite des requérantes sur le marché, la Commission n’aurait pas non plus démontré qu’elles avaient adopté un comportement anticoncurrentiel.

43      Tout d’abord, l’existence d’un objectif commun serait un élément essentiel exigé par la jurisprudence relative à l’application de l’article 81 CE. L’absence d’objectif commun en l’espèce résulterait de la stratégie et de la conduite commerciale des requérantes, contraires aux objectifs de l’entente, et du fait que les requérantes ont été contraintes d’assister aux réunions.

44      Ainsi, d’une part, l’entente aurait comme principal objet la répartition du marché européen entre les producteurs européens, consistant, dans un premier temps, en un contrôle de la part de marché des producteurs japonais de CR dont, en particulier, les requérantes, et, dans un second temps, en une expulsion des producteurs japonais du marché européen (stratégie dite de « régionalisation »). Cet objet serait tout à fait contraire à la stratégie commerciale des requérantes, consistant pour l’essentiel en la maximalisation de leurs ventes en Europe.

45      D’autre part, les requérantes auraient effectivement été présentes à un nombre limité de réunions de l’entente, mais uniquement parce qu’elles y avaient été contraintes par les producteurs européens de CR. Les requérantes indiquent également qu’il ne leur était pas possible de se distancier publiquement de l’entente. Dans ces conditions, elles ne sauraient être tenues pour responsables d’une violation de l’article 81 CE. La contrainte aurait pris la forme de menaces de plaintes antidumping proférées par les producteurs européens de CR à l’encontre des producteurs japonais de CR. En acceptant les déclarations de Bayer selon lesquelles [confidentiel], alors que ces déclarations auraient servi les propres intérêts de son auteur, la Commission aurait écarté à tort les affirmations des requérantes [confidentiel] à cet égard. En outre, en prétendant que les requérantes n’avaient pas fourni de preuves directes des menaces, la Commission aurait ignoré les exemples de menaces produits par les requérantes à la suite d’une demande formulée par elle lors de l’audition. De plus, la Commission n’aurait jamais utilisé ses pouvoirs d’enquête pour interroger les autres producteurs sur le point spécifique des menaces de plaintes antidumping. En tout état de cause, les allégations des requérantes seraient corroborées de manière indirecte, à savoir par i) les déclarations de Bayer ; ii) les plaintes formulées par les producteurs européens de CR concernant le comportement sur le marché des producteurs japonais de CR ; iii) l’objet de l’entente qui aurait été de limiter les activités des producteurs japonais de CR sur le marché européen ; iv) les mesures antidumping déjà adoptées à l’encontre des requérantes ; et v) l’absence d’intérêt positif pour les requérantes à participer à des réunions au cours desquelles elles auraient fait l’objet de plaintes et de menaces. L’argument de la Commission selon lequel les requérantes auraient pu dénoncer la contrainte aux autorités compétentes révélerait une compréhension incorrecte de la part de la Commission des mesures antidumping, qui sont un outil protectionniste dont disposent les producteurs européens pour protéger leur marché et qui en l’espèce auraient probablement abouti à l’imposition de droits antidumping à l’encontre des requérantes. Ainsi, la contrainte exercée sur les requérantes modifierait la qualification légale des faits.

46      Dès lors, en considérant qu’il existait un intérêt commun entre les requérantes et leurs concurrents sur un plan mondial, la Commission aurait commis des erreurs manifestes d’appréciation des faits.

47      Ensuite, il découlerait également de la jurisprudence que, afin d’établir l’existence d’un accord, il incombe à la Commission de démontrer une concordance de volontés. En effet, du fait de l’existence de la contrainte, la seule participation des requérantes à certaines réunions ne suffirait pas. Les requérantes relèvent toutefois qu’elles ne contestent pas la nature anticoncurrentielle de « certaines » réunions. Cependant, la conduite commerciale des requérantes démontrerait leur opposition ferme et constante à l’accord de partage de marché et la Commission n’aurait pas apporté de preuve documentaire montrant que les requérantes avaient conclu des accords anticoncurrentiels avec les participants à l’entente. Par ailleurs, selon la jurisprudence, un défaut d’exécution serait un indice d’absence d’accord.

48      Les requérantes soulignent, par souci d’exhaustivité, qu’elles n’ont pas participé à des pratiques concertées, dès lors que les contacts avec leurs concurrents lors des réunions n’avaient pas pour objet ou pour effet d’influer sur leur comportement sur le marché. D’une part, les requérantes n’auraient jamais partagé l’objectif des producteurs européens de CR de geler les parts de marché dans l’EEE et d’exclure les producteurs japonais du marché européen. D’autre part, les contacts n’auraient pas eu d’effet sur le comportement des requérantes. Même s’il existait une présomption selon laquelle le comportement des requérantes était influencé par leur présence aux réunions, leur conduite commerciale indépendante réfuterait cette présomption. La présence des requérantes aux réunions n’aurait pas non plus eu d’effet direct sur le comportement de leurs concurrents, qui n’auraient jamais eu confiance dans les producteurs japonais. Les requérantes contestent avoir tenu compte des informations qui « ont pu être échangées » lors de ces réunions.

49      Enfin, les requérantes présentent en réplique des déclarations des membres de leur personnel, aux termes desquelles ces membres n’auraient jamais marqué leur accord sur un partage de marché ou sur une fixation des prix et n’auraient jamais tenu compte des informations « éventuellement échangées » lors des réunions.

50      La Commission conteste les arguments des requérantes.

–       Appréciation du Tribunal

51      Selon une jurisprudence constante, aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, il suffit, pour qu’un accord relève de son champ d’application, qu’il ait pour objet de restreindre, d’empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence, indépendamment de ses effets concrets. En conséquence, dans le cas d’accords se manifestant lors de réunions d’entreprises concurrentes, d’une part, une infraction à cette disposition est constituée lorsque ces réunions ont un tel objet et visent, ainsi, à organiser artificiellement le fonctionnement du marché et, d’autre part, la responsabilité d’une entreprise déterminée pour la participation à l’infraction est valablement retenue lorsqu’elle a participé à ces réunions en ayant connaissance de leur objet, même si elle n’a pas, ensuite, mis en œuvre l’une ou l’autre des mesures convenues lors de celles-ci (arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, points 508 et 509).

52      Lorsque des accords de nature anticoncurrentielle se manifestent lors de réunions d’entreprises concurrentes, il suffit que la Commission démontre que l’entreprise concernée a participé à des réunions au cours desquelles des accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus pour prouver la participation de ladite entreprise à l’entente. Lorsque la participation à de telles réunions a été établie, il incombe à cette entreprise d’avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle avait indiqué à ses concurrents qu’elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur. La raison qui sous-tend cette règle est que, ayant participé à ladite réunion sans se distancier publiquement de son contenu, l’entreprise a donné à penser aux autres participants qu’elle souscrivait à son résultat et qu’elle s’y conformerait (voir arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, Rec. p. I‑729, points 47 et 48, et la jurisprudence citée).

53      À cet égard, il convient de rappeler que la notion de distanciation publique en tant qu’élément d’exonération de la responsabilité doit être interprétée de manière restrictive. Afin de se dissocier effectivement des discussions anticoncurrentielles, il incombe à l’entreprise concernée d’indiquer à ses concurrents qu’elle ne souhaite en aucun cas être considérée comme membre de l’entente et participer à des réunions anticoncurrentielles. En tout état de cause, le silence observé par un opérateur dans une réunion au cours de laquelle une discussion anticoncurrentielle illicite a lieu ne peut être assimilé à l’expression d’une désapprobation ferme et claire. En effet, l’approbation tacite d’une initiative illicite, sans se distancier publiquement de son contenu ou la dénoncer aux entités administratives, a pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et compromet sa découverte (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 5 décembre 2006, Westfalen Gassen Nederland/Commission, T‑303/02, Rec. p. I‑4567, points 103 et 124).

54      S’agissant de l’appréciation des éléments de preuve, il est usuel que les activités que des accords et pratiques anticoncurrentiels comportent se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement et que la documentation y afférente soit réduite au minimum. Il s’ensuit que, même si la Commission découvre des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu’il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions. Dès lors, dans la plupart des cas, l’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de concurrence (voir arrêt Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, point 52 supra, point 51, et arrêt de la Cour du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08 P, Rec. p. I‑5361, point 22, et la jurisprudence citée).

55      Or, en l’espèce, les requérantes ne contestent pas les conclusions figurant dans la décision attaquée selon lesquelles, pendant la période allant de 1993 à 2002, elles étaient présentes à au moins 36 réunions multilatérales, trilatérales ou bilatérales avec leurs concurrents : le 12 et/ou le 13 mai 1993 à Florence (Italie), le 11 avril 1994 à Zurich (Suisse), entre le 20 et le 22 avril 1994 à Singapour (Singapour), le 28 juin 1994 à Düsseldorf, le 15 et/ou le 16 septembre 1994 à Zurich, le 2 décembre 1994 à Zurich, entre le 8 et le 10 décembre 1994 à Tokyo, le 8 février 1995 à Düsseldorf, le 3 mai 1995 à Amsterdam (Pays-Bas), le 8 ou le 9 mai 1995 à Londres (Royaume-Uni), le 29 août 1995 à Milan (Italie), le 23 janvier 1996 à Milan, entre le 8 et le 10 février 1996 à Tokyo, entre le 5 et le 8 mai 1996 à Bath (Royaume-Uni), le 18 juillet 1997 à Londres, le 7 novembre 1997 à Singapour, le 2 décembre 1997 à Düsseldorf, le 4 février 1998 à Londres, le 22 avril 1998 à Düsseldorf, le 5 mai 1998 à Singapour, le 20 mai 1998 à Düsseldorf, le 10 juin 1998 à Milan, entre le 18 et le 23 juillet 1998 à Tokyo, le 14 septembre 1998 à Londres, entre le 2 et le 5 mars 1999 à Tokyo, le 9 mai 1999 à Taipei (Taïwan), le 3 ou le 4 août 1999 à Tokyo, le 2 novembre 1999 à Düsseldorf, le 16 juin 2000 à Tokyo, le 7 novembre 2000 à Düsseldorf, le 5 décembre 2000 à Tokyo, en mai 2001 à Düsseldorf, entre le 25 novembre et le 1er décembre 2001 à Tokyo, le 18 avril 2002 à Tokyo, le 25 avril 2002 à Düsseldorf et le 13 mai 2002 à Naples (Italie).

56      De plus, les requérantes admettent explicitement avoir été présentes à deux réunions multilatérales, le 11 avril 1994 à Zurich et le 14 septembre 1998 à Londres, au cours desquelles des discussions anticoncurrentielles ont eu lieu. Plus généralement, les requérantes contestent avoir assisté à des réunions qui puissent être considérées comme anticoncurrentielles avant le 11 avril 1994 et après le 14 septembre 1998. S’agissant des 21 réunions s’étant tenues pendant la période comprise entre ces dates, les requérantes ne contestent ni le caractère anticoncurrentiel, ni leur présence à 20 de ces réunions. En revanche, elles considèrent que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit leur participation à une réunion anticoncurrentielle organisée le 5 ou le 6 novembre 1996 à Singapour.

57      Par ailleurs, il y a lieu de relever que, durant la procédure administrative, les requérantes ont contesté, pour l’ensemble des réunions, que leurs concurrents y aient discuté de questions anticoncurrentielles en leur présence. Toutefois, dans le cadre du présent moyen, elles ne contestent plus la nature anticoncurrentielle de « certaines » réunions ni qu’elles ont « assisté » à « un nombre limité » de réunions de l’entente. Or, du point de vue du droit de la concurrence de l’Union européenne, la distinction opérée par les requérantes entre, d’une part, avoir « assisté » (c’est-à-dire avoir simplement été présent) à une réunion et, d’autre part, avoir « participé » à une réunion est purement artificielle, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 51 et 52 ci-dessus.

58      Enfin, en se bornant à affirmer ne pas avoir partagé d’objectif commun avec les participants à l’entente, elles ne contestent pas les conclusions figurant dans la décision attaquée, selon lesquelles, entre 1993 et 2002, les autres producteurs de CR membres de l’entente et destinataires de la décision attaquée se réunissaient de façon régulière, plusieurs fois par an, dans des réunions bilatérales ou multilatérales − auxquelles les requérantes étaient également présentes (voir points 55 et 56 ci-dessus) − afin de s’entendre sur l’attribution et la stabilisation des marchés, des parts de marché et des quotas de vente pour le CR, de coordonner et faire appliquer plusieurs augmentations de prix, de convenir de prix minimaux, de répartir la clientèle et d’échanger des informations sensibles sur le plan de la concurrence.

59      Force est donc de constater que les requérantes ont participé à des réunions anticoncurrentielles avec des entreprises concurrentes également productrices de CR, en ayant connaissance de leur objectif commun, qui était d’organiser artificiellement le fonctionnement du marché du CR.

60      Il ressort de ce qui précède que la Commission a établi à suffisance de droit que les requérantes avaient participé à une infraction à l’article 81 CE. Cette constatation ne saurait être remise en cause par les arguments avancés par les requérantes.

61      S’agissant de l’argument selon lequel les requérantes auraient été contraintes de participer aux réunions, que, dès lors, il leur aurait été impossible de se distancier publiquement de l’entente et que leur participation à certaines réunions ne suffirait donc pas à établir l’existence d’un accord, il y a lieu de constater qu’elles n’ont pas indiqué à leurs concurrents qu’elles participaient aux réunions dans une optique différente de la leur et qu’elles ne se sont pas distanciées publiquement des discussions anticoncurrentielles au sens de la jurisprudence. En effet, le silence observé par les requérantes dans les réunions au cours desquelles une discussion anticoncurrentielle illicite a eu lieu ne peut être assimilé à l’expression d’une désapprobation ferme et claire. Au contraire, l’approbation tacite de ces réunions illicites a eu pour effet d’encourager la continuation de l’infraction tout en compromettant sa découverte. Les requérantes n’ont pas établi qu’elles auraient été contraintes de participer à ces réunions.

62      En tout état de cause, l’argument tiré de l’existence d’une contrainte est inopérant. Les requérantes auraient pu dénoncer les pressions et les menaces de procédures antidumping dont elles faisaient l’objet aux autorités compétentes et introduire auprès de la Commission une plainte en application de l’article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), et de l’article 7 du règlement n° 1/2003, plutôt que de participer à l’entente. En effet, l’existence de telles pressions ou menaces ne change rien à la réalité et à la gravité d’une infraction commise par une entreprise (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, points 369 et 370).

63      L’argument tiré du fait d’avoir participé à des réunions par simple « courtoisie » est, pour les mêmes motifs, inopérant.

64      Par ailleurs, l’affirmation des requérantes, figurant dans leur cinquième moyen, selon laquelle elles se seraient ouvertement écartées d’au moins un aspect de l’entente, à savoir la stratégie de régionalisation, ne saurait infirmer cette conclusion. À cet égard, la Commission souligne à juste titre que les requérantes n’établissent pas que le critère requis par la jurisprudence citée aux points 52 et 53 ci-dessus pour dégager un participant à l’entente de sa responsabilité, à savoir une dissociation complète et ouverte par rapport à l’entente dans son ensemble, est rempli en l’espèce, comme cela a déjà été constaté au point 61 ci-dessus.

65      S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel il serait exigé de la Commission qu’elle établisse que tous les participants à l’entente y ont pris part en poursuivant le même objectif du fait d’intérêts commerciaux communs et, donc, qu’elle établisse l’existence d’une concordance de volontés entre tous les participants, au-delà de la preuve de leur participation à des réunions anticoncurrentielles, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante (voir points 52 à 54 ci-dessus), la responsabilité d’une entreprise déterminée pour la participation à une infraction est valablement retenue lorsqu’elle a participé à des réunions anticoncurrentielles d’entreprises concurrentes en ayant connaissance de leur objet, même si elle n’a pas, ensuite, mis en œuvre l’une ou l’autre des mesures convenues lors de celles-ci. Lorsque la participation à de telles réunions a été établie, il incombe à cette entreprise d’avancer des indices de nature à établir qu’elle s’est distanciée publiquement de son contenu. L’argumentation des requérantes revient dès lors à exiger que le Tribunal pose des exigences plus strictes quant au niveau de preuve exigé de la part de la Commission et est contraire à la jurisprudence constante de la Cour. Partant, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si les requérantes partageaient un objectif commun avec les autres participants à l’entente autre que l’organisation artificielle du fonctionnement du marché du CR ou encore s’il existait une manifestation d’une concordance de volontés entre les requérantes et les autres participants durant chacune des réunions de l’entente.

66      Par ailleurs, la jurisprudence citée sur ce point par les requérantes (arrêt du Tribunal du 26 octobre 2000, Bayer/Commission, T‑41/96, Rec. p. II‑3383) est dépourvue de pertinence. En effet, l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt soulevait la question du niveau de preuve exigé de la part de la Commission pour établir l’existence d’un accord au sens de l’article 81 CE entre un fabricant et des grossistes de produits pharmaceutiques visant à empêcher les importations parallèles, à savoir la preuve de l’existence d’une concordance de volontés entre le fabricant et les grossistes. En l’espèce, il s’agit de la preuve, non pas de l’existence d’une entente, mais de la participation à celle-ci, et de la preuve de la distanciation publique d’un participant lors des réunions anticoncurrentielles d’entreprises concurrentes.

67      Il convient en outre de rappeler que, dans la décision attaquée, la Commission a conclu non seulement à l’existence d’un accord, mais également à l’existence de pratiques concertées contraires à l’article 81 CE. Or, la notion de pratique concertée au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE vise une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (voir arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, Rec. p. II‑1333, point 179, et la jurisprudence citée). Selon une jurisprudence constante, pour établir une pratique concertée, et bien que cette notion suppose l’existence de contacts caractérisés par la réciprocité, cette condition est satisfaite lorsque la divulgation, par un concurrent à un autre, de ses intentions ou de son comportement futur sur le marché a été sollicitée ou, à tout le moins, acceptée par le second. Il n’est pas nécessaire de démontrer que le concurrent en question s’est formellement engagé, à l’égard d’un ou de plusieurs autres concurrents, à adopter tel ou tel comportement ou que les concurrents ont fixé en commun leur comportement futur sur le marché. Il suffit que, à travers sa déclaration d’intention, le concurrent ait éliminé ou, à tout le moins, substantiellement réduit l’incertitude quant au comportement à attendre de sa part sur le marché (voir, en ce sens, arrêt BPB/Commission, précité, points 153 et 182, et la jurisprudence citée).

68      Il s’ensuit que, dans ces circonstances, l’argument des requérantes selon lequel la Commission serait tenue d’établir une concordance de volontés entre les participants à des réunions portant spécifiquement sur la fixation de prix et la répartition du marché doit être rejeté.

69      Enfin, s’agissant des déclarations des membres du personnel des requérantes présentées en annexe à la réplique, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 48, paragraphe l, du règlement de procédure du Tribunal, les parties peuvent faire des offres de preuve à l’appui de leur argumentation dans la réplique et la duplique, mais elles doivent alors motiver le retard apporté à la présentation de celles-ci. Cependant, cette disposition concerne les offres de preuve nouvelles et doit être lue à la lumière de l’article 66, paragraphe 2, dudit règlement, qui prévoit expressément que la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve restent réservées (arrêt de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 72, et arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, Commission/Trends, T‑448/04, non publié au Recueil, point 52).

70      En l’espèce, les déclarations des six membres du personnel des requérantes, qui sont nommés dans la décision attaquée, ont été faites après le dépôt de la requête et ont été jointes à la réplique afin d’appuyer l’affirmation des requérantes selon laquelle elles n’ont pas partagé l’objectif commun des producteurs européens de CR de conclure une entente portant sur le marché européen du CR. Les requérantes n’ont pas fait valoir de motif pour lequel ces preuves n’auraient pas pu être présentées avec la requête. Il ressort en outre de l’affirmation des requérantes, selon laquelle lesdites déclarations sont présentées pour « étayer davantage encore » leurs arguments, qu’elles ne visent pas à répondre en détail à l’argumentation développée par la Commission dans le mémoire en défense et que cette preuve ne se rattache pas à une preuve qui avait déjà été produite par les requérantes au stade de la requête. Il s’ensuit que les documents joints par les requérantes à l’annexe 37 de leur réplique doivent être écartés du dossier en raison de leur présentation tardive.

71      Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des droits de la défense, de l’obligation de motivation et du principe de bonne administration

–       Rappel du libellé de la décision attaquée

72      Aux considérants 399 et 400 de la décision attaquée, la Commission a constaté ce qui suit :

« (399)Dans sa réponse à la communication des griefs, Denka affirme également que les producteurs européens [de CR] l’ont obligée à participer aux réunions entre concurrents […]. Denka affirme que ces producteurs européens (dont Bayer, DuPont/DDE et Eni[C]hem) ont menacé de déposer une plainte antidumping en Europe contre les producteurs japonais. Denka affirme, en outre, que les menaces ont empêché Denka de dénoncer l’entente à la Commission en raison de l’impact potentiel des représailles des producteurs européens. Denka affirme que Bayer aussi admet la coercition lorsqu’elle déclare que si quelqu’un ne mettait pas les accords en œuvre, des menaces étaient formulées en vue d’attaquer les principaux clients du producteur respectif […]. Dans la réponse et dans les éléments additionnels qu’elle a soumis en réponse à une question posée par la Commission lors de l’audition orale, Denka a identifié plusieurs réunions au cours desquelles de telles menaces étaient sensées avoir été brandies […].

(400) La Commission n’a pu établir à suffisance de droit l’exercice d’une coercition par Bayer, DuPont/DDE ou Eni[C]hem. Dans le dossier complet, il n’existe aucune preuve directe d’une telle coercition (documents rédigés in tempore non suspecto) et les seules preuves indirectes disponibles avant que la communication des griefs ne soit émise étaient les déclarations faites par Tosoh […]. Ces déclarations étaient faites dans un but intéressé (elles n’avaient rien de déclarations à charge qui ont une valeur probante supérieure) ; elles n’ont pas pu être suffisamment corroborées. La confirmation par Denka qu’il y avait des menaces de la part des producteurs européens [de CR] n’a été donnée qu’en réponse aux faits de l’affaire tels qu’ils ont été énoncés dans la communication des griefs. Ils ne peuvent donc être considérés comme une source indépendante de corroboration et n’ont, comme tels, aucune valeur probante. Même après en avoir été spécifiquement requise par la Commission au cours de l’audition orale, Denka n’a pas été en mesure de fournir une preuve directe des prétendues menaces régulières. Dans cette mesure […] il est difficile de croire que Denka ait eu une réelle intention de coopérer avec la Commission […]. L’affirmation de Denka [selon laquelle] même Bayer admet la coercition n’est pas cohérente avec les faits, étant donné que Bayer n’indique pas que des menaces ont été formulées à l’encontre des producteurs japonais, mais que de telles menaces ont été brandies à l’égard de toute personne qui n’adhérait pas aux accords […]. En outre, Bayer ne prétend pas que les menaces ont été brandies dans le but d’obliger une personne à adhérer aux arrangements collusoires, mais plutôt qu’elles servaient […] à surveiller et garantir la mise en œuvre correcte des accords. »

73      S’agissant de la satisfaction par Bayer des conditions formulées dans la communication sur la coopération de 2002, la Commission a conclu aux considérants 599 et 601 de la décision attaquée que « Bayer ne lui avait pas fourni de manière rapide et spontanée toutes les preuves disponibles se rapportant à l’infraction suspectée » et que, « [d]ans un chapitre distinct de la communication des griefs qui a été adressé uniquement à Bayer, [elle avait] donc exprimé des doutes sur le respect des obligations de coopération que Bayer avaient acceptées en application du p[aragraphe] 11[, sous] a)[,] de la communication sur la [coopération de 2002] ». Bayer a, par ailleurs, « obtenu la possibilité de formuler des observations sur les allégations de la Commission lors de l’audition ».

74      Toutefois, la Commission a souligné, au considérant 614 de la décision attaquée, qu’« il [était] incontestable que c’est la contribution de Bayer qui a[vait] déclenché l’enquête de la Commission en l’espèce ». En outre, la Commission a estimé, au même considérant, ne pouvoir « établir que le fait que Bayer se soit abstenu de remettre les quatre documents en cause était dû à une réticence de sa part à coopérer véritablement », étant donné que, « [a]u contraire, en tant que candidat à l’immunité, Bayer n’aurait eu aucun avantage à retenir des informations portant sur une certaine réunion de l’entente alors qu’elle avait révélé la durée totale de l’entente ».

75      La Commission a conclu, au considérant 617 de la décision attaquée, qu’« il serait disproportionné de retirer l’immunité à Bayer » et qu’elle devait « donc se voir attribuer l’immunité de toutes amendes qui lui auraient autrement été infligées ».

–       Arguments des parties

76      Les requérantes font valoir, tout d’abord, que la Commission a violé leurs droits de la défense en refusant de leur donner accès à la version non confidentielle de la transcription des déclarations faites par Bayer à huis clos. Elles n’auraient pas pu pleinement examiner les arguments et le raisonnement invoqués par la Commission à l’appui du rejet de l’argument central de leur défense, à savoir la contrainte exercée par les producteurs européens de CR. La décision attaquée indiquerait que Bayer a expliqué la manière dont les menaces étaient proférées, mais cette affirmation ne serait pas étayée par une déclaration précise faisant partie du dossier administratif de la Commission. Selon les requérantes, il est « fort probable » que Bayer ait tenté de réfuter les allégations des requérantes lors d’une audition à huis clos, sans qu’elles aient été autorisées à participer à cette audition. La Commission aurait également refusé l’accès des requérantes à la version non confidentielle de la transcription des déclarations faites par Bayer au motif qu’aucune déclaration n’avait été faite concernant les requérantes ou pouvant affecter leur position, ce qui constituerait une violation de leurs droits de la défense. Les requérantes font valoir qu’il n’appartient pas à la seule Commission d’apprécier si les déclarations de Bayer pouvaient constituer des preuves à décharge.

77      Les requérantes proposent à cet égard au Tribunal de demander à la Commission, par la voie d’une mesure d’organisation de la procédure, de fournir une version non confidentielle de la transcription des déclarations faites par Bayer à huis clos afin qu’elles puissent l’examiner ou, à titre subsidiaire, afin de permettre au Tribunal de vérifier les affirmations de la Commission.

78      Ensuite, la Commission aurait violé l’obligation de motivation résultant de l’article 253 CE en ne faisant pas clairement référence, dans la décision attaquée, aux déclarations faites par Bayer et en n’exposant pas les raisons pour lesquelles elle écartait les allégations des requérantes concernant la contrainte. Les requérantes et le Tribunal seraient ainsi dans l’impossibilité de comprendre la décision attaquée s’agissant du rejet par la Commission des arguments des requérantes concernant la contrainte. De plus, la Commission n’aurait pas répondu au, ni tenu compte du, courrier des requérantes du 28 juin 2007, qui lui aurait pourtant été adressé à sa demande expresse. Il s’ensuit, selon les requérantes, que la Commission a violé son obligation de motivation résultant de l’article 253 CE.

79      Enfin, la Commission aurait violé le principe de bonne administration en ne produisant pas une version non confidentielle du résumé des questions discutées lors de l’audition à huis clos et en ne permettant pas aux requérantes d’examiner elles-mêmes si les déclarations de Bayer présentaient un intérêt pour leur défense par le biais d’un tel résumé non confidentiel.

80      Chacun de ces trois griefs suffirait à entraîner l’annulation de la décision attaquée dans son intégralité.

81      La Commission conteste les arguments des requérantes.

–       Appréciation du Tribunal

82      Selon la jurisprudence, le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou à des astreintes, constitue un principe fondamental du droit de l’Union qui doit être observé, même s’il s’agit d’une procédure à caractère administratif (arrêts de la Cour du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission, C‑308/04 P, Rec. p. I‑5977, point 94, et du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, Rec. p. I‑8681, point 270). Il exige que les entreprises concernées soient mises en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, des griefs et des circonstances allégués par la Commission (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 11, et arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Avebe/Commission, T‑314/01, Rec. p. II‑3085, point 49).

83      Corollaire du principe du respect des droits de la défense, le droit d’accès au dossier implique que la Commission donne à l’entreprise concernée la possibilité de procéder à un examen de la totalité des documents figurant au dossier d’instruction qui sont susceptibles d’être pertinents pour sa défense. Ceux-ci comprennent tant les pièces à charge que celles à décharge, sous réserve des secrets d’affaires d’autres entreprises, des documents internes de la Commission et d’autres informations confidentielles (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 68, et arrêt du Tribunal du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, T‑410/03, Rec. p. II‑881, point 145).

84      S’agissant des éléments à charge, l’entreprise concernée doit démontrer que le résultat auquel la Commission est parvenue dans sa décision aurait été différent si un document non communiqué sur lequel la Commission s’est fondée pour incriminer cette entreprise devait être écarté comme moyen de preuve à charge. S’agissant des éléments à décharge, l’entreprise concernée doit établir que leur non-divulgation a pu influer, au détriment de celle-ci, sur le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission. Il suffit que l’entreprise démontre qu’elle aurait pu utiliser lesdits documents à décharge pour sa défense, en ce sens que, si elle avait pu s’en prévaloir lors de la procédure administrative, elle aurait pu invoquer des éléments qui ne concordaient pas avec les déductions opérées à ce stade par la Commission et aurait donc pu influer, de quelque manière que ce soit, sur les appréciations portées par cette dernière dans la décision éventuelle, au moins en ce qui concerne la gravité et la durée du comportement qui lui était reproché, et, partant, le niveau de l’amende. La possibilité qu’un document non divulgué ait pu avoir une influence sur le déroulement de la procédure et le contenu de la décision de la Commission ne peut être établie qu’après un examen provisoire de certains moyens de preuve faisant apparaître que les documents non divulgués ont pu avoir – au regard de ces moyens de preuve – une importance qui n’aurait pas dû être négligée (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 83 supra, points 73 à 76, et arrêt Hoechst/Commission, point 83 supra, point 146).

85      En l’espèce, premièrement, s’agissant du grief des requérantes selon lequel, en leur refusant accès à la version non confidentielle de la transcription des déclarations faites par Bayer lors d’une audition à huis clos, lesquelles auraient porté sur la contrainte qui aurait été exercée par les producteurs européens, la Commission a violé leurs droits de la défense, d’une part, il ressort du dossier que c’est en soulignant que l’audition à huis clos se rapportait uniquement à des questions pertinentes pour Bayer que la Commission a refusé de dévoiler le contenu de celle-ci, cherchant ainsi à protéger l’intérêt légitime des entreprises − Bayer en l’occurrence – à ce que leurs secrets d’affaires et autres informations confidentielles ne soient pas divulgués.

86      D’autre part, après avoir constaté qu’elle n’avait pas pu établir que Bayer avait exercé une contrainte sur les entreprises japonaises afin de les inciter à adhérer aux accords collusoires, la Commission a examiné, aux considérants 594 à 617 de la décision attaquée, la coopération de Bayer conformément au paragraphe 11, sous a), de la communication sur la coopération de 2002, aux termes duquel, « [pour ouvrir droit à une immunité d’amendes], l’entreprise doit apporter à la Commission une coopération totale, permanente et rapide tout au long de la procédure administrative et lui fournir tout élément de preuve qui viendrait en sa possession ou dont elle dispose au sujet de l’infraction suspectée » et « doit notamment se tenir à sa disposition pour répondre rapidement à toute demande qui pourrait contribuer à établir les faits en cause ». Il ressort également de la décision attaquée que, dans un chapitre distinct de la communication des griefs qui a été adressé uniquement à Bayer, la Commission a exprimé des doutes sur le respect des obligations de coopération que Bayer avaient acceptées en application du paragraphe 11, sous a), de la communication sur la coopération de 2002 et que Bayer a obtenu la possibilité de formuler des observations sur les allégations de la Commission lors d’une audition. La Commission avait alors conclu, en renvoyant à la possibilité pour Bayer de formuler, lors de l’audition, des observations sur les allégations de la Commission, que la condition relative à la coopération était satisfaite en l’espèce.

87      Or, l’exercice éventuel d’une contrainte par Bayer sur les autres participants concerne la satisfaction de la condition établie au paragraphe 11, sous c), de la communication sur la coopération de 2002, en vertu duquel il est exigé, pour ouvrir droit à une immunité d’amendes, que l’entreprise se soit abstenue de prendre des mesures pour contraindre d’autres entreprises à participer à l’infraction. Il ne traite pas des obligations de coopération avec la Commission prévues au paragraphe 11, sous a), de cette communication. Par ailleurs, il ressort de la décision attaquée que la Commission, lorsqu’elle a conclu qu’elle « n’a[vait] pas pu établir que Bayer exerçait une pression sur les entreprises japonaises afin de les inciter à adhérer aux accords collusoires, malgré les allégations de Tosoh et de[s requérantes] » (voir considérant 594 de la décision attaquée), n’éprouvait pas de doutes quant au fait que Bayer ait satisfait à ses obligations de coopération prévues au paragraphe 11, sous c), de ladite communication.

88      Force est donc de constater que, contrairement à l’affirmation des requérantes, il n’existe aucune indication selon laquelle la question d’une contrainte éventuelle exercée sur les requérantes aurait été évoquée lors de l’audition à huis clos de Bayer, cette audition ayant eu trait aux doutes que la Commission éprouvait quant au fait que Bayer satisfaisait aux obligations de coopération prévues au paragraphe 11, sous a), de la communication sur la coopération de 2002 et auxquelles Bayer s’était engagée.

89      Partant, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de mesure d’organisation de la procédure proposée au Tribunal, visant à obtenir une version non confidentielle de la transcription des déclarations formulées lors de l’audition (ou du dossier de l’audition).

90      Il ressort de ce qui précède que le grief tiré de la violation des droits de la défense des requérantes repose sur une prémisse erronée et, dès lors, doit être rejeté.

91      Deuxièmement, quant au grief tiré d’une violation de l’obligation de motivation, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, si, dans la motivation des décisions qu’elle est amenée à prendre pour assurer l’application des règles de concurrence, la Commission n’est pas obligée de discuter tous les points de fait et de droit ainsi que les considérations qui l’ont amenée à prendre une telle décision, il n’en reste pas moins qu’elle est tenue, en vertu de l’article 253 CE, de mentionner, à tout le moins, les faits et les considérations revêtant une importance essentielle dans l’économie de sa décision, permettant ainsi au juge de l’Union et aux parties intéressées de connaître les conditions dans lesquelles elle a fait application du traité (voir arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, point 95, et la jurisprudence citée).

92      En l’espèce, il ressort de l’analyse effectuée aux points 85 à 89 ci-dessus que la Commission a dûment motivé sa décision. Par ailleurs, contrairement à l’affirmation des requérantes, la Commission a exposé son appréciation de leurs arguments concernant la question de la contrainte aux considérants 399 et 400 de la décision attaquée.

93      Il s’ensuit que le grief tiré de la violation de l’obligation de motivation doit être rejeté.

94      Troisièmement, quant au grief tiré de la violation du principe de bonne administration, les requérantes réitèrent en réalité le même argument que celui déjà invoqué et analysé aux points 85 à 89 ci‑dessus. Or, les requérantes ne sauraient, en tout état de cause, prétendre à l’annulation de la décision attaquée du fait du refus de la Commission, en violation du principe de bonne administration, de leur donner accès à une version non confidentielle d’une transcription des déclarations faites par Bayer lors de l’audition à huis clos, les droits de la défense n’ayant pas été violés.

95      Partant, le grief tiré de la violation du principe de bonne administration doit être rejeté.

96      Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur les moyens invoqués à titre subsidiaire, tendant à la réduction du montant de l’amende

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation des principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité du fait de l’application des lignes directrices de 2006

–       Rappel du libellé de la décision attaquée

97      Aux considérants 519 et 520 de la décision attaquée, la Commission a constaté ce qui suit :

« (519)Aux termes de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction à l’article 81 [CE] et/ou à l’article 53 de l’accord EEE. Au titre de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil […], qui s’appliquait à des parties de l’infraction, l’amende infligée ne peut excéder dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction. Cette même limitation résulte de l’article 23, paragraphe 2, du [règlement] n° 1/2003.

(520) Pour déterminer le montant des amendes à infliger, en application de l’article 23, paragraphe 2, [sous] a), du [règlement] n° 1/2003, la Commission doit prendre en considération à la fois la gravité et la durée de l’infraction. Pour déterminer le montant des amendes à infliger, la Commission s’appuiera sur les principes arrêtés dans les lignes directrices [de 2006] pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2[, sous] a), du [règlement] n° 1/2003 […] »

–       Arguments des parties

98      Les requérantes font valoir que, en appliquant les lignes directrices de 2006 au lieu des lignes directrices de 1998 pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices de 1998 »), la Commission a violé les principes de sécurité juridique et de non‑rétroactivité. Elles invitent le Tribunal à recalculer et à réduire en conséquence le montant de l’amende qui leur a été infligée.

99      S’agissant de la violation du principe de sécurité juridique, les requérantes rappellent que, selon une jurisprudence constante, la Commission ne pouvait se départir des lignes directrices de 1998 sous peine de se voir sanctionnée au titre d’une violation des principes généraux du droit. Les requérantes soulignent que les lignes directrices de 1998 ont entraîné une autolimitation du pouvoir d’appréciation de la Commission et ont fait naître chez elles une confiance légitime quant à la détermination du montant des amendes. La Commission n’aurait pas été en droit d’appliquer des lignes directrices modifiées en cours de procédure. En l’espèce, la Commission aurait pourtant calculé le montant de l’amende infligée aux requérantes sur la base de nouvelles lignes directrices pour le calcul des amendes adoptées après l’ouverture de la procédure à leur égard. Par ailleurs, la jurisprudence relative à l’introduction et à l’application des lignes directrices de 1998 serait dépourvue de pertinence, les circonstances de fait étant différentes. En effet, avant l’introduction des lignes directrices de 1998, la Commission n’aurait pas encore limité sa marge d’appréciation et rien n’aurait justifié une confiance légitime quant à la détermination du montant des amendes, alors qu’en adoptant les lignes directrices de 1998 la Commission aurait limité son pouvoir d’appréciation et aurait fait naître une confiance légitime.

100    S’agissant de la violation du principe de non‑rétroactivité, les requérantes soutiennent que le montant de l’amende calculée sur la base des lignes directrices de 1998, en vigueur au moment où la procédure administrative a été lancée, aurait été de 38 millions d’euros tout au plus, et non de 47 millions d’euros. À l’appui de ce calcul, les requérantes invoquent la décision 2006/902/CE de la Commission, du 21 décembre 2005, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE à l’encontre de Flexsys NV, Bayer, Crompton Manufacturing Company Inc. (ex-Uniroyal Chemical Company Inc.), Crompton Europe Ltd, Chemtura Corp. (ex-Crompton Corp.), General Química SA, Repsol Química SA et Repsol YPF SA (Affaire COMP/F/C.38.443 – Produits chimiques pour le traitement du caoutchouc) (JO 2006, L 353, p. 50). Les requérantes font valoir, à cet égard, que les lignes directrices de 2006 constituent une approche radicalement différente de la politique générale de la concurrence en matière d’amendes qui n’était pas raisonnablement prévisible à l’époque où les infractions ont été commises. Par ailleurs, les lignes directrices de 1998 ne prévoiraient pas de révision périodique. Renvoyant à l’article 7, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la « CEDH »), les requérantes soutiennent que l’application des lignes directrices de 2006 est soumise au principe de non-rétroactivité. Ainsi, en ne respectant pas la confiance légitime des requérantes quant à la méthode de calcul du montant des amendes, la Commission aurait également violé le principe de non‑rétroactivité.

101    En réponse à l’argument de la Commission relatif au fait qu’elles n’auraient pas formulé d’observations sur ce point dans leur réponse à la communication des griefs, les requérantes font valoir en réplique qu’elles ne pouvaient soulever les griefs relatifs aux principes de sécurité juridique et de non‑rétroactivité « qu’à partir du moment où serait connu le résultat de l’application des lignes directrices de 2006 ». À cet égard, elles invoquent le principe de la lex mitior, qui permettrait à la Commission d’appliquer un régime plus favorable, mais s’opposerait à l’application d’un régime moins favorable.

102    La Commission conteste les arguments des requérantes.

–       Appréciation du Tribunal

103    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que les amendes que la Commission a infligées en l’espèce sont régies par l’article 23 du règlement n° 1/2003, qui correspond à l’article 15 du règlement n° 17, lequel était en vigueur au moment où l’infraction a été commise. Pour déterminer le montant de l’amende, la Commission a appliqué les lignes directrices de 2006. Ces lignes directrices ont été publiées avant l’envoi de la communication des griefs aux requérantes le 13 mars 2007.

104    En application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003, la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions de l’article 81 CE ou de l’article 82 CE.

105    Pour chaque entreprise et association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende ne peut excéder les limites indiquées à l’article 23, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 1/2003, à savoir 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.

106    Aux termes de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, pour déterminer le montant de l’amende à infliger aux entreprises coupables d’infractions aux règles de concurrence, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.

107    Il ressort d’une jurisprudence constante que, dans les limites prévues par le règlement n° 1/2003, la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’exercice de son pouvoir d’imposer de telles amendes (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 62 supra, point 172, et arrêt Erste Group Bank e.a./Commission, point 82 supra, point 123). Ce pouvoir est toutefois limité ; en effet, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu’il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est imposées (voir, en ce sens, arrêt Lafarge/Commission, point 54 supra, point 95, et arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Carbone‑Lorraine/Commission, T‑73/04, Rec. p. II‑2661, point 192, et la jurisprudence citée). Elle ne peut s’en écarter dans un cas particulier sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 62 supra, point 209).

108    Ainsi, les lignes directrices pour le calcul des amendes, si elles ne constituent pas le fondement juridique de la décision par laquelle la Commission constate une infraction et impose une amende, déterminent, de manière générale et abstraite, la méthodologie que la Commission s’est imposée aux fins de la fixation du montant des amendes infligées par cette décision et assurent, par conséquent, la sécurité juridique des entreprises (voir, s’agissant des lignes directrices de 1998, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 62 supra, point 213).

109    Ainsi que la Cour l’a constaté dans son arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 62 supra (point 225), la principale innovation des lignes directrices de 1998 consistait à prendre comme point de départ du calcul un montant de base, déterminé à partir de fourchettes prévues à cet égard par ces lignes directrices, les fourchettes reflétant les différents degrés de gravité des infractions, mais n’ayant, comme telles, pas de rapport avec le chiffre d’affaires pertinent. Cette méthode reposait ainsi essentiellement sur une tarification, quoique relative et souple, des amendes.

110    Pour le calcul des amendes infligées aux entreprises ayant participé à une entente, un traitement différencié entre les entreprises concernées est inhérent à l’exercice des pouvoirs qui appartiennent à la Commission en la matière et, dans le cadre de sa marge d’appréciation, la Commission est appelée à individualiser la sanction en fonction des comportements et des caractéristiques propres à ces entreprises, afin de garantir, dans chaque cas d’espèce, la pleine efficacité des règles de concurrence de l’Union. Ainsi, afin de déterminer le montant de base des amendes, la Commission peut prendre en considération le poids spécifique de chacune des entreprises impliquées par rapport aux autres et, partant, l’incidence réelle de son comportement illicite sur la concurrence (arrêt de la Cour du 12 novembre 2009, SGL Carbon/Commission, C‑564/08 P, non publié au Recueil, points 43 et 47).

111    Selon le paragraphe 3 des lignes directrices de 2006 :

« En vue d’assurer la transparence et le caractère objectif de ses décisions, la Commission a publié, le 14 janvier 1998, des lignes directrices pour le calcul des amendes. Après plus de huit années d’application, la Commission a acquis une expérience suffisante pour développer et affiner sa politique en matière d’amende. »

112    Ainsi, au paragraphe 4 des lignes directrices de 2006, il est indiqué ce qui suit :

« Le pouvoir de la Commission d’imposer des amendes […] constitue un des moyens attribués à la Commission en vue de lui permettre d’accomplir la mission de surveillance que lui confère le traité. Cette mission ne comprend pas seulement la tâche d’instruire et de réprimer des infractions individuelles, mais comporte également le devoir de poursuivre une politique générale visant à appliquer en matière de concurrence les principes fixés par le traité et à orienter en ce sens le comportement des entreprises […]. À cette fin, la Commission doit veiller au caractère dissuasif de son action […]. Par conséquent, lorsque la Commission constate une infraction aux dispositions des articles 81 [CE] ou 82 [CE], l’imposition d’une amende à ceux qui ont méconnu les règles de droit peut être nécessaire. Il y a lieu de fixer les amendes à un niveau suffisamment dissuasif, non seulement en vue de sanctionner les entreprises en cause (effet dissuasif spécifique), mais aussi en vue de dissuader d’autres entreprises de s’engager dans des comportements contraires aux articles 81 [CE] et 82 [CE] ou de continuer de tels comportements (effet dissuasif général). »

113    Par ailleurs, en vertu de leur paragraphe 38, les lignes directrices de 2006 s’appliquent à toutes les affaires pour lesquelles une communication des griefs a été notifiée après leur date de publication au Journal Officiel, à savoir le 1er septembre 2006, indépendamment du point de savoir si l’amende est imposée en application de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 ou de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

114    La principale innovation des lignes directrices de 2006, ainsi qu’il ressort de leurs paragraphes 5 à 7, consiste à prendre comme point de départ du calcul de l’amende un montant de base, déterminé en fonction de la valeur des ventes des biens ou des services en relation avec l’infraction et du nombre d’années pendant lequel l’entreprise a participé à l’infraction et en y incluant un montant spécifique en vue de dissuader les entreprises de s’engager dans des comportements illicites. Partant, contrairement à ce que les requérantes affirment, les lignes directrices de 2006 s’appuient sur des critères qui ont déjà été pris en compte dans les lignes directrices de 1998.

115    S’agissant des arguments selon lesquels la Commission a violé le principe de sécurité juridique du fait d’avoir appliqué les lignes directrices de 2006, il importe de constater que, selon la jurisprudence, dans les limites du plafond fixé par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, qui correspond à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, l’application efficace des règles de concurrence exige que la Commission puisse à tout moment élever le niveau des amendes si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique de concurrence. Il en découle que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient acquérir une confiance légitime ni dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement ni dans une méthode de calcul de ces dernières, mais, au contraire, que lesdites entreprises doivent tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d’élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé, soit en procédant à un relèvement du niveau du montant des amendes en prononçant des amendes dans des décisions individuelles, soit par l’application, à des cas d’espèce, de règles de conduite ayant une portée générale telles que des lignes directrices (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 62 supra, points 227 à 230).

116    Partant, l’argument des requérantes selon lequel les lignes directrices de 1998 auraient entraîné une autolimitation du pouvoir d’appréciation de la Commission et auraient fait naître chez elles une confiance légitime quant à la détermination du montant des amendes sur la base desdites lignes directrices, doit être écarté. En effet, même en l’absence d’une disposition explicite relative à une révision périodique des lignes directrices de 1998, les requérantes auraient dû, au vu de la jurisprudence existante, tenir compte de la possibilité que, après que l’infraction eut été commise, la Commission décide d’adopter et d’appliquer de nouvelles lignes directrices pour le calcul des amendes.

117    Il doit en être conclu que les lignes directrices de 2006 et, en particulier, la nouvelle méthode de calcul des amendes qu’elles comportent, à supposer qu’elle ait eu un effet aggravant quant au niveau des amendes infligées, tout en restant, ainsi qu’il ressort des paragraphes 32 et 33 de ces lignes directrices, dans le cadre légal défini par le règlement n° 1/2003, étaient raisonnablement prévisibles pour des entreprises telles que les requérantes à l’époque où l’infraction concernée a été commise.

118    Par ailleurs, quand bien même un opérateur avisé pourrait ne pas connaître à l’avance, avec précision, le niveau des amendes que la Commission infligera dans chaque espèce, compte tenu de ce que les objectifs de répression et de dissuasion justifient d’éviter que les entreprises soient en mesure d’évaluer les bénéfices qu’elles retireraient de leur participation à une infraction, cet opérateur peut, en s’entourant au besoin d’un conseil juridique, prévoir de manière suffisamment précise la méthode et l’ordre de grandeur des amendes qu’il encourt pour un comportement donné (arrêt du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T‑279/02, Rec. p. II‑897, point 83, confirmé par arrêt de la Cour du 22 mai 2008, Evonik Degussa/Commission et Conseil, C‑266/06 P, non publié au Recueil, point 55). En effet, ainsi qu’il a été constaté au point 114 ci-dessus, les lignes directrices de 2006 s’appuient sur des critères qui ont déjà été pris en compte dans les lignes directrices de 1998.

119    Partant, en appliquant, dans la décision attaquée, les lignes directrices de 2006 pour calculer l’amende à infliger aux requérantes pour une infraction commise avant leur adoption, la Commission n’a pas violé le principe de sécurité juridique.

120    S’agissant des arguments des requérantes selon lesquels la Commission a violé le principe de non‑rétroactivité des dispositions pénales du fait d’avoir appliqué les lignes directrices de 2006, il y a lieu de rappeler que le principe de non‑rétroactivité des dispositions pénales est un principe commun à tous les ordres juridiques des États membres et fait partie intégrante des principes généraux de droit dont le juge de l’Union assure le respect. En particulier, l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH, qui consacre notamment le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), peut s’opposer à l’application rétroactive d’une nouvelle interprétation d’une norme établissant une infraction. Tel est notamment le cas lorsqu’il s’agit d’une interprétation jurisprudentielle dont le résultat n’était pas raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause (voir arrêt de la Cour du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, Rec. p. I‑1331, points 87 à 89, et la jurisprudence citée).

121    Il convient toutefois de préciser que la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires. Ainsi, la prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques que leurs actes comportent (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 62 supra, point 219).

122    En outre, selon la jurisprudence, même s’il ressort de l’article 23, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003 que les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit de la concurrence n’ont pas un caractère pénal, il n’en reste pas moins que la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit de l’Union, et notamment celui de non‑rétroactivité dans toute procédure administrative susceptible d’aboutir à des sanctions en application des règles de concurrence du traité (voir arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 62 supra, point 202, et arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, points 40 et 41, et la jurisprudence citée).

123    L’adoption de lignes directrices susceptibles de modifier la politique générale de concurrence de la Commission en matière d’amendes peut ainsi, en principe, relever du champ d’application du principe de non‑rétroactivité. Afin de contrôler le respect de ce principe, il y a lieu de vérifier si la modification que constitue la nouvelle méthode de calcul des amendes que comportent les lignes directrices de 2006 était raisonnablement prévisible à l’époque où les infractions concernées ont été commises (voir, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 62 supra, points 209 à 212 et 215 à 233).

124    Or, en l’espèce, il a été constaté au point 117 ci-dessus que tel était bien le cas. Partant, en appliquant, dans la décision attaquée, les lignes directrices de 2006 pour calculer l’amende à infliger aux requérantes pour une infraction commise avant leur adoption, la Commission n’a pas violé le principe de non-rétroactivité.

125    S’agissant, enfin, des arguments des requérantes présentés dans le mémoire en réplique concernant le principe de la lex mitior, il y a lieu de les rejeter sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur leur recevabilité.

126    En effet, il résulte de ce qui précède que le principe de non-rétroactivité ne s’oppose pas à l’application de lignes directrices ayant, par hypothèse, un effet aggravant quant au niveau des amendes infligées pour des infractions commises avant leur adoption, à condition que la politique qu’elles mettent en œuvre soit raisonnablement prévisible à l’époque où les infractions concernées ont été commises. Partant, le droit, même conditionnel, de la Commission d’appliquer rétroactivement au détriment des intéressés des règles de conduite visant à produire des effets externes, telles que les lignes directrices, exclut toute obligation pour cette institution d’appliquer la lex mitior (voir arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, BASF et UCB/Commission, T‑101/05 et T‑111/05, Rec. p. II‑4949, points 233 et 234, et la jurisprudence citée).

127    Il ressort de ce qui précède que le troisième moyen doit être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation des faits et de la violation du principe de proportionnalité lors du calcul de la valeur des ventes

–       Rappel du libellé de la décision attaquée

128    Aux considérants 521 et 522 de la décision attaquée, la Commission a indiqué ce qui suit :

« (521) Pour déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission détermine le montant de base de l’amende à infliger en prenant la valeur des ventes de marchandises et de services réalisées par chaque entreprise, en relation directe ou indirecte avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE. En l’espèce, les ventes de [CR] réalisées par chaque entreprise au sein de l’EEE durant l’année complète qui s’est clôturée le 31 décembre 2001 (dernière année complète de participation à l’infraction) seront prises en considération […].

(522) Concernant l’affirmation [des requérantes] [selon laquelle] le montant de base de l’amende à infliger ne devrait pas être calculé sur la base des parts de marché en 2001, étant donné que [les requérantes ont] constamment augmenté [leur] part de marché, la pratique constante de la Commission consistant à utiliser la dernière année complète de participation à l’entente comme année pertinente pour déterminer le montant de base de l’amende a été acceptée par les tribunaux communautaires […]. En l’espèce, rien n’indique que les parts de marché détenues en 2001 n’étaient pas représentatives de l’époque où l’infraction a eu lieu. La revendication [des requérantes] à cet égard doit donc être rejetée. […] »

–       Arguments des parties

129    Les requérantes soutiennent, pour le cas où le Tribunal estimerait que la Commission a appliqué à bon droit les lignes directrices de 2006, que cette dernière, en utilisant l’année 2001 comme année de référence pour déterminer la valeur des ventes aux fins du calcul de l’amende, a commis une erreur manifeste d’appréciation des faits et a violé le principe de proportionnalité.

130    Selon les requérantes, dans la mesure où les parts de marché de 1993 ont fait l’objet d’un accord exprès entre les participants à l’entente, ce sont ces parts de marché qui refléteraient le poids de chaque entreprise sur le marché et leur capacité effective à porter atteinte à la concurrence. Dès lors, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que les parts de marché détenues en 2001 étaient représentatives de l’époque où l’infraction a eu lieu. Les lignes directrices de 2006 n’auraient pas obligé la Commission à retenir l’année 2001 comme année de référence. En outre, contrairement aux objectifs déclarés de l’entente, les requérantes auraient continuellement augmenté leurs parts de marché entre 1993 et 2002. Leur part de marché en 2001 n’était donc pas représentative de leur contribution alléguée à l’entente pendant toute la durée de celle-ci. Les requérantes soulèvent que, en tout état de cause, même si l’on considère qu’elles ont participé à l’infraction, le dernier exercice complet de leur participation aurait été 1997. Contrairement à la thèse soutenue par la Commission, l’importance relative des entreprises dans le secteur n’étant qu’un instrument pour apprécier le rôle de l’entreprise dans l’infraction, l’amende infligée devrait correspondre au poids relatif de chaque entreprise dans l’infraction.

131    Les requérantes soutiennent en outre que, en prenant en compte l’année 2001 comme année de référence, la Commission a infligé une double peine aux requérantes, en violation du principe de proportionnalité. En effet, la Commission aurait sanctionné les requérantes, d’une part, du fait qu’elles n’ont pas appliqué les accords, et, d’autre part, en dépit du fait qu’elles n’ont pas appliqué les accords. Dès lors, elles auraient été sanctionnées plus sévèrement que des entreprises qui ont appliqué les accords. À cet égard, les requérantes font valoir que, en stabilisant leur part de marché au niveau de 1993 selon les termes de l’entente, l’amende qui leur aurait été infligée aurait été de 33,02 millions d’euros et non de 47 millions d’euros. Par ailleurs, en délaissant le marché EEE selon les termes de la stratégie de régionalisation, l’amende aurait même été égale à zéro. Dès lors, en respectant le principe d’égalité, la Commission aurait dû retenir l’exercice 1993 comme année de référence pour le calcul du montant de l’amende pour tous les destinataires de la décision attaquée.

132    En conséquence, l’amende infligée aux requérantes devrait être réduite.

133    La Commission conteste les arguments des requérantes.

–       Appréciation du Tribunal

134    Selon la jurisprudence, la prise en compte du chiffre d’affaires réalisé par chacune des entreprises au cours de l’année de référence, à savoir la dernière année complète de la période d’infraction retenue, permet d’apprécier la taille et la puissance économique de chaque entreprise ainsi que l’ampleur de l’infraction commise par chacune d’entre elles, ces éléments étant pertinents pour apprécier la gravité de l’infraction commise par chaque entreprise (voir arrêt du Tribunal du 30 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, T‑175/05, non publié au Recueil, point 143, et la jurisprudence citée).

135    Ainsi, au paragraphe 13 des lignes directrices de 2006, il est indiqué ce qui suit :

« En vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission utilisera la valeur des ventes de biens ou [de] services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte […] avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné à l’intérieur du territoire de l’EEE. La Commission utilisera normalement les ventes de l’entreprise durant la dernière année complète de sa participation à l’infraction (ci-après ‘la valeur des ventes’). »

136    En l’espèce, il est constant que la Commission a retenu le 13 mai 2002 comme date de fin de l’infraction pour toutes les entreprises destinataires de la décision attaquée. Dès lors, en utilisant, pour le calcul des amendes, les ventes de CR réalisées par chaque entreprise au sein de l’EEE durant l’année calendaire 2001, la Commission a pris en compte la dernière année complète de participation à l’infraction et s’est ainsi conformée aux règles qu’elle s’est imposées dans les lignes directrices de 2006. Partant, elle n’a pas dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation.

137    À cet égard, il y a lieu de considérer que, d’une part, la Commission a justement relevé que la valeur des ventes au cours de la dernière année complète de participation à l’infraction permettait d’apprécier l’entente globalement, tout en évitant une éventuelle discrimination entre les participants. D’autre part, les requérantes ne démontrent pas que le chiffre d’affaires qu’elles ont réalisé au cours de la dernière année civile complète de l’infraction ne constitue pas une indication de leur véritable taille, de leur puissance économique ou de l’ampleur de l’infraction qu’elles ont commise.

138    L’argument des requérantes selon lequel les parts de marché qu’elles détenaient en 1993 seraient plus représentatives de leur capacité effective à porter atteinte à la concurrence, dans la mesure où la Commission elle-même considère que leurs parts de marché ont fait l’objet d’un accord exprès entre les participants à l’entente, ne peut être retenu. Les requérantes affirment elles-mêmes avoir continuellement augmenté leurs parts de marché entre 1993 et 2002, ce qui illustre leur puissance croissante sur le marché du CR au cours de l’infraction, puissance qui est justement l’élément que le critère de la valeur des ventes doit refléter. De plus, ainsi que l’a relevé la Commission, l’entente a porté non seulement sur la répartition du marché mais également sur la fixation des prix. Partant, même à supposer que, en augmentant leur part de marché tout au long de l’entente, les requérantes n’aient pas respecté l’aspect de l’entente portant sur le partage de marché, il ne peut être considéré qu’elles n’ont pas profité des effets anticoncurrentiels de l’entente et, dès lors, qu’elles ne l’ont pas mise en œuvre. Le fait que les parts de marché de 1993 aient fait l’objet d’un accord exprès entre les participants à l’entente ne permet donc pas de considérer que la Commission aurait dû, dans le cas spécifique des requérantes, écarter les lignes directrices de 2006 en se fondant sur le chiffre d’affaires réalisé au cours d’une période différente de celle de la dernière année complète de participation à l’infraction.

139    Par conséquent, en retenant la valeur des ventes de CR réalisées par les requérantes au sein de l’EEE au cours de l’année 2001, la Commission a correctement pris en compte l’ampleur de l’infraction commise par les requérantes. Il s’ensuit que l’argument selon lequel la Commission, en prenant en compte l’année 2001 comme année de référence, aurait infligé une double peine aux requérantes, en violation du principe de proportionnalité, n’est pas fondé. Par ailleurs, dans la mesure où cet argument revient, en substance, à soutenir que la Commission aurait dû prendre en compte cette prétendue absence de mise en œuvre (partielle) en tant que circonstance atténuante, il relève du sixième moyen et sera analysé ci-après.

140    Il résulte de ce qui précède que le quatrième moyen doit être rejeté.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la détermination erronée de la durée de la participation des requérantes à l’entente

–       Rappel du libellé de la décision attaquée

141    S’agissant de la date de début de l’entente, la Commission a indiqué, au considérant 495 de la décision attaquée, ce qui suit :

« […] s’il existe de fortes indications que des arrangements collusoires entre les producteurs de [CR] avaient déjà lieu dans les années 1980 […] et au début des années 1990 […], la date exacte à laquelle l’infraction a débuté ne peut plus être établie avec certitude. Dès lors, l’évaluation de la Commission au regard des règles de concurrence et l’application de toute amende est limitée à la période du 13 mai 1993, qui correspond à la date de la première réunion collusoire [confirmée] par Bayer et Tosoh et étayée par des preuves indirectes soumises par DDE et [confidentiel] […] »

142    Au considérant 498 de la décision attaquée, la Commission a fait part des précisions suivantes :

« L’affirmation [des requérantes] [selon laquelle] la réunion de Florence, en date du 13 mai 1993, n’avait pas d’objet anticoncurrentiel ne peut être acceptée. Non seulement Tosoh déclare que le thème de la réunion était l’attribution de parts de marché, mais […] Bayer et […][confidentiel] se souviennent, indépendamment l’un de l’autre (sans avoir été présents à la réunion), que c’est au cours de la réunion de Florence, en mars 1993, que le plan de parts de marché a été convenu […], ce qui est indirectement confirmé par […] Bayer. La réservation par [EI] DuPont de la salle de réunion nécessaire à la tenue de la réunion parallèle peut déjà être repérée dans les frais de voyage […]. Par conséquent, trois concurrents ont corroboré, indépendamment l’un de l’autre, que la réunion de Florence de mai 1993 avait un contexte anticoncurrentiel. [Les requérantes ne sont] pas parvenue[s] à affaiblir la conviction de la Commission acquise sur la base de toutes les preuves et de tous les indices pris ensemble. »

143    S’agissant de la date de la fin de l’entente, la Commission a relevé, au considérant 502 de la décision attaquée, les éléments ci-après :

« Même si de solides éléments laissent percevoir que les arrangements collusoires entre les producteurs de [CR] se sont poursuivis jusqu’à la fin de 2002 […] et ont produit des effets, y compris jusqu’en avril 2003 […], la date exacte à laquelle l’infraction a cessé ne peut plus être établie avec certitude. Dès lors, l’évaluation en vertu des règles de concurrence et l’application des amendes sera limitée en l’espèce à la date du 13 mai 2002, à savoir la date à laquelle s’est tenue la réunion de [l’Institut international des producteurs de caoutchouc synthétique (ci-après l’’IISRP’)] à Naples. »

144    Aux considérants 503 et 505 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que « [l]a date de fin choisie par [elle était fondée] sur un document rédigé in tempore non suspecto, qui constitu[ait] une preuve directe » du fait que « les arrangements de parts de marché entre les concurrents existaient toujours à la date du 13 mai 2002 ».

145    S’agissant spécifiquement de la période postérieure au mois de septembre 1998, la Commission a indiqué, au considérant 506 de la décision attaquée, ce qui suit :

« Il n’est que normal que les preuves des arrangements collusoires dans le dossier […] sont moins complètes que pour la période précédant cette date. Bayer et Tosoh ont confirmé […] qu’en raison du programme de conformité antitrust de Bayer, les concurrents sont devenus plus prudents. Les rencontres sont devenues principalement bilatérales et un nombre croissant d’arrangements ont été passés par téléphone. Dans un tel contexte, il ne fait aucun doute, si on rassemble l’ensemble des preuves et indices disponibles dans le dossier, que les accords se sont poursuivis de manière ininterrompue jusqu’en mai 2002 au minimum. Cette conclusion est renforcée par les déclarations de Bayer, Tosoh et DDE qui rapportent que des contacts illicites ont même eu lieu bien après cette date. »

146    Ensuite, la Commission a relevé, aux considérants 509 et 510 de la décision attaquée, les éléments suivants :

« (509)Les affirmations [des requérantes] selon lesquelles les concurrents n’ont tenu, après septembre 1998, que des visites de courtoisie et qu’il n’existait aucune preuve d’un comportement anticoncurrentiel après cette date doivent également être rejetées.

(510) […] Bayer, Tosoh, [confidentiel] et DDE confirment que la forme de[s] contacts concurrentiels a changé après 1998, mais ils affirment tous que les contacts n’ont pas cessé et que les arrangements sont restés en vigueur. Bayer et DDE affirment que le point principal de discussion de ces réunions était devenu les prix […] »

147    Enfin, la Commission a exposé, au considérant 511 de la décision attaquée, les considérations suivantes :

« […] De nombreuses preuves montrent […] l’implication de Denka dans les accords collusoires […] Les réunions bilatérales et trilatérales traitaient régulièrement de sujets tels que la régionalisation, les politiques de prix, les augmentations de prix et les accords de parts de marché, ce qui peut se voir non seulement dans les déclarations de Bayer, DDE, Tosoh et [confidentiel], mais aussi dans des documents rédigés in tempore non suspecto […]. Les preuves avancées […] montrent que les accords anticoncurrentiels ont été en place, sans [interruption], au minimum jusqu’en mai 2002 et que [les requérantes ont] fréquemment été impliquée[s] dans ces rencontres illicites. »

148    Au considérant 514 de la décision attaquée, la Commission a constaté que, « même si [confidentiel], Polimeri et [les requérantes] contest[ai]ent certains événements qui se sont déroulés au cours de la dernière période de cartel et même si elles fourniss[ai]ent des interprétations alternatives pour certains éléments de preuve, elles n[‘étaient] pas parvenues à affaiblir la conviction que s’[était] forgée la Commission sur la base de l’ensemble des preuves et indices réunis, montrant qu’Eni[C]hem et [les requérantes] étaient également impliquées dans les accords ou les pratiques concertées avec leurs concurrents, du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 ».

–       Arguments des parties

149    Les requérantes font valoir que la décision attaquée ne contient pas d’éléments de preuve suffisamment précis et cohérents à l’appui des allégations de la Commission permettant d’écarter tout doute quant à l’existence de l’infraction. Plus précisément, il n’y aurait aucune preuve convaincante directe contre les requérantes. Se fondant sur les déclarations faites dans le cadre de demandes de clémence, la Commission se contenterait de déduire la participation des requérantes à l’infraction de leur seule présence à un nombre réduit de réunions. S’agissant des réunions pour lesquelles la preuve de la présence des requérantes n’aurait pas été rapportée, la Commission présumerait simplement leur présence. Les déclarations susmentionnées, dans la mesure où elles seraient « vagues, incohérentes voire contradictoires, provoquées par la Commission et/ou servant les propres intérêts du déclarant, et […] par conséquent dépourvues de fiabilité », ne sauraient être retenues comme preuves à charge contre les requérantes. Par ailleurs, contrairement à la thèse soutenue par la Commission, de telles déclarations ne pourraient présenter une valeur probante que si elles sont corroborées par d’autres éléments de preuve. Les doutes en résultant devraient bénéficier aux requérantes.

150    Ainsi, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en fixant les dates du début et de la fin de la participation des requérantes à l’entente respectivement au 13 mai 1993 et au 13 mai 2002 et en affirmant qu’elles ont participé à l’entente entre mai 1996 et juillet 1997. Tout en admettant avoir « assisté » à un « certain nombre » de réunions entre avril 1994 et septembre 1998, lors desquelles il se peut que d’autres participants aient échangé des informations commerciales, sans, toutefois, avoir « participé » à une réunion dont l’objet aurait été anticoncurrentiel, les requérantes affirment n’avoir assisté à aucune réunion qui puisse être considérée comme anticoncurrentielle ni avant le 11 avril 1994 ni après le 14 septembre 1998.

151    Premièrement, s’agissant de la date du début de leur participation à l’entente, les requérantes affirment que la réunion du 11 avril 1994 à Zurich est la première réunion à laquelle elles ont assisté et au cours de laquelle leurs concurrents ont eu des discussions anticoncurrentielles. En l’absence de preuves suffisantes de leur participation, les requérantes ne pourraient être tenues pour responsables pour des activités infractionnelles éventuelles antérieures à cette date. La Commission aurait présenté pour chacune des cinq réunions alléguées antérieures à cette date une seule déclaration non corroborée par d’autres éléments de preuve, ce qui serait insuffisant pour prouver la participation des requérantes.

152    Ainsi, à propos de la réunion du 12 et/ou du 13 mai 1993 à Florence, les requérantes indiquent que la preuve de la participation des requérantes aux discussions anticoncurrentielles est tirée d’une seule déclaration, contredite par d’autres éléments du dossier et contestée par les requérantes. Les requérantes admettent avoir assisté à une réunion officielle de l’IISRP ces jours-là et avoir été menacées en marge de la réunion, mais ajoutent qu’il est possible qu’il y ait eu des rencontres anticoncurrentielles en marge de cette réunion officielle, auxquelles elles n’ont pas participé. En outre, l’allégation de la Commission selon laquelle les producteurs se seraient entendus sur des parts de marché cibles, basées sur les données de 1993, ne serait pas plausible, dès lors que ces données n’étaient pas encore disponibles.

153    À propos de la réunion du 13 juillet 1993 à Zurich, les requérantes font valoir que la preuve de l’existence de cette réunion est tirée des déclarations générales d’une entreprise ayant introduit une demande de clémence, mais elles ne seraient pas corroborées par d’autres éléments de preuve et seraient contredites par deux entreprises. Les requérantes contestent y avoir assisté.

154    À propos de la réunion du 11 novembre 1993 à Francfort, les requérantes soutiennent que la preuve de l’existence de cette réunion et de leur participation à celle-ci est tirée d’une seule déclaration, contenant des éléments contradictoires s’agissant de leur participation et dont la teneur est contestée par trois entreprises, dont elles-mêmes.

155    À propos de la réunion du 18 novembre 1993 à Düsseldorf, les requérantes avancent que les affirmations de la Commission ne sont pas étayées par un ensemble cohérent de preuves. L’existence de la réunion serait mentionnée par une seule entreprise, qui n’aurait pas pu identifier le représentant des requérantes qui y aurait participé.

156    À propos de la réunion bilatérale du 8 ou du 9 février 1994 à Tokyo, les requérantes prétendent que la preuve de l’existence de cette réunion et de la participation des requérantes aux discussions anticoncurrentielles est tirée de la seule déclaration de l’autre participant supposé à cette réunion, qu’elles contestent. Cette déclaration serait dépourvue de valeur probante. Il ne serait toutefois pas exclu qu’une réunion de courtoisie ait eu lieu à un autre moment.

157    Deuxièmement, s’agissant de la date de la fin de leur participation à l’entente, les requérantes affirment que la réunion du 14 septembre 1998 à Londres est la dernière réunion à laquelle elles ont assisté et au cours de laquelle des discussions anticoncurrentielles ont eu lieu. Contrairement aux présomptions avancées par la Commission, après cette date, les requérantes n’auraient pas été impliquées dans des réunions ayant un objet anticoncurrentiel. Les requérantes admettent avoir eu des contacts bilatéraux avec leurs concurrents après cette réunion, mais il se serait agi de réunions de courtoisie dépourvues de tout objet anticoncurrentiel. Le caractère prétendument anticoncurrentiel des rencontres bilatérales ne saurait être fondé sur les déclarations d’une seule des parties, sans preuve corroborante, si lesdites déclarations sont contestées par les requérantes. Quand bien même les producteurs européens de CR auraient continué à se partager le marché de l’EEE, il n’y aurait pas de preuve de la participation des requérantes à un tel partage. Les requérantes soutiennent à cet égard qu’elles ont ouvertement écarté la stratégie de régionalisation qui leur avait été suggérée par une autre entreprise dès 1998.

158    Ainsi, à propos de la réunion entre le 2 et le 5 mars 1999 à Tokyo, les requérantes soutiennent que la preuve de leur participation à une discussion anticoncurrentielle est tirée d’une interprétation erronée de la déclaration d’un seul participant. Il se serait seulement agi d’une visite de courtoisie. Bien que la stratégie de régionalisation ait été évoquée lors de cette réunion, les requérantes affirment qu’elles se sont ouvertement opposées à cette idée. La Commission ne disposerait pas de preuve établissant l’objet ou la nature de la réunion.

159    À propos de la réunion du 9 mai 1999 à Taipei, les requérantes indiquent que la preuve de leur participation à une réunion lors de la conférence de l’IISRP est tirée d’une seule déclaration, contredite par d’autres éléments du dossier et contestée par les requérantes.

160    À propos de la réunion du 3 ou du 4 août 1999 à Tokyo, la preuve de la participation des requérantes aux discussions anticoncurrentielles est, selon ces dernières, tirée d’une seule déclaration, non corroborée par les notes mentionnées dans la décision attaquée ou par d’autres éléments de preuve. Bien que la stratégie de régionalisation ait encore été discutée lors de cette réunion, les requérantes affirment qu’elles ont continué à manifester leur opposition à cette idée.

161    À propos de la réunion du 2 novembre 1999 à Düsseldorf, la preuve de la participation des requérantes à une discussion anticoncurrentielle serait tirée d’une interprétation erronée d’une seule déclaration, contestée par les requérantes. La facture invoquée par la Commission serait sans pertinence.

162    À propos de la réunion du 16 juin 2000 à Tokyo, les requérantes soutiennent que leur participation à une discussion anticoncurrentielle n’est pas prouvée. Elles affirment qu’elles étaient présentes à une réunion avec deux autres entreprises, mais qu’il n’y a pas eu de discussions illicites. Leur représentant ayant dû quitter la réunion avant la fin de celle-ci, il serait possible qu’il y ait eu une discussion sur les prix durant son absence. En outre, les notes mentionnées dans la décision attaquée et sur lesquelles la Commission se fonde seraient dépourvues de fiabilité et le courrier électronique auquel il est fait référence dans la décision attaquée ne mentionnerait pas de collusion. Enfin, la description des événements par un seul participant serait insuffisante pour étayer les allégations de la Commission.

163    À propos de la réunion du 7 novembre 2000 à Düsseldorf, les requérantes font valoir que la Commission n’en a pas prouvé le caractère illicite. Comme le confirmerait la déclaration de l’autre participant à cette réunion, les questions abordées auraient été de nature générale. Les requérantes contestent avoir voulu discuter des prix. L’allégation relative aux discussions sur la stratégie de régionalisation reposerait quant à elle sur une simple supposition.

164    À propos de la réunion du 5 décembre 2000 à Tokyo, les requérantes affirment que la preuve de leur participation à une discussion anticoncurrentielle est tirée d’une interprétation erronée des déclarations, qu’elles contestent. En outre, la Commission aurait modifié la description des faits qui avait été effectuée dans la communication des griefs, dans laquelle elle aurait confirmé l’affirmation des requérantes selon laquelle elles ne sont arrivées que pour un dîner de courtoisie et après que la discussion des parts de marché a eu lieu. En modifiant la description factuelle dans la décision attaquée sans leur avoir donné l’occasion de se défendre, la Commission aurait violé les droits de la défense des requérantes. Les requérantes ajoutent que, quand bien même une entreprise aurait de nouveau mentionné la stratégie de régionalisation, cela démontrerait uniquement l’opposition des requérantes à cet égard.

165    À propos de la réunion de mai 2001 à Düsseldorf, les requérantes prétendent que la preuve de leur participation à une discussion anticoncurrentielle est tirée d’une seule note préparatoire interne des requérantes, non corroborée par d’autres éléments de preuve et non confirmée par l’autre participant à la réunion. Elles soulèvent en outre que la note, élaborée par un des employés des requérantes, ne refléterait pas le contenu effectif des discussions qui auraient prétendument eu lieu.

166    À propos de la réunion de fin novembre ou de début décembre 2001 à Tokyo, les requérantes avancent que la preuve de leur participation à une discussion anticoncurrentielle est tirée d’une seule déclaration, non corroborée par d’autres éléments de preuve et qu’elles contestent. Il se serait simplement agi d’un dîner et d’une visite de courtoisie.

167    À propos de la réunion du 18 avril 2002 à Tokyo, les requérantes font valoir que la preuve de leur participation à une discussion anticoncurrentielle est tirée d’une seule déclaration, non corroborée par d’autres éléments de preuve et qu’elles contestent.

168    À propos de la réunion du 25 avril 2002 à Düsseldorf, les requérantes prétendent que la preuve de leur participation à une discussion anticoncurrentielle est tirée d’une seule déclaration, incohérente et imprécise, non corroborée par d’autres éléments de preuve et qu’elles contestent.

169    Enfin, à propos de la réunion du 13 mai 2002 à Naples, les requérantes affirment de ne pas avoir assisté à des réunions prétendument anticoncurrentielles en marge de la réunion officielle de l’IISRP. N’ayant fourni aucune preuve et n’ayant fait aucune observation dans la décision attaquée à cet égard, la Commission ne saurait imputer aux requérantes leur participation à de telles discussions en fixant au 13 mai 2002 la date finale de leur participation à l’entente.

170    Troisièmement, s’agissant de la participation des requérantes à l’entente entre mai 1996 et juillet 1997, hormis la référence générale et non étayée – et qui devrait dès lors être écartée – à des contacts qui auraient eu lieu au cours du second semestre de l’année 1996, la Commission ne ferait référence qu’à la participation des requérantes à une seule réunion. La Commission n’aurait donc pas prouvé à suffisance de droit qu’une infraction a été commise au cours de cette période. En revanche, le dossier de la Commission contiendrait de nombreuses preuves du fait que l’entente a cessé de fonctionner à cause de l’absence de mise en œuvre de l’entente par les requérantes. En tout état de cause, les requérantes affirment n’avoir participé à aucune réunion anticoncurrentielle pendant cette période et avoir élaboré leur politique commerciale de manière indépendante. Il en découlerait, s’agissant de la période antérieure à mai 1996, que le délai dans lequel la Commission était en droit d’infliger une amende aux requérantes était dépassé, le délai de prescription de cinq ans ayant expiré. L’amende devrait donc être réduite en conséquence.

171    S’agissant tout particulièrement des contacts qui auraient eu lieu au cours du second semestre de l’année 1996, la preuve de la participation des requérantes à des discussions anticoncurrentielles en août, septembre et décembre 1996 serait tirée d’allégations d’ordre général qui ne seraient étayées par aucun élément de preuve précis dans la décision attaquée. À propos de la réunion du 5 ou du 6 novembre 1996 à Singapour, les requérantes font valoir dans leur requête que la preuve de leur participation à une discussion anticoncurrentielle est tirée d’une seule déclaration, imprécise, non corroborée par d’autres éléments de preuve et qu’elles contestent. Les requérantes soulignent que, même selon la décision attaquée, la discussion aurait uniquement porté sur des questions générales et juridiques, sauf peut-être pendant la réunion bilatérale la veille au soir à laquelle elles n’auraient pas participé. Par ailleurs, dans les observations sur les documents produits par la Commission en réponse à la mesure d’instruction ordonnée par le Tribunal, les requérantes affirment que ces documents n’établissent pas de façon convaincante leur présence aux réunions du 5 ou du 6 novembre 1996 à Singapour.

172    La Commission conteste les arguments des requérantes.

–       Appréciation du Tribunal

173    À titre liminaire, il importe de rappeler, d’une part, que la Commission doit rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (arrêts de la Cour Baustahlgewebe/Commission, point 69 supra, point 58, et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 86). Il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction (arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, Coats Holdings et Coats/Commission, T‑36/05, Rec. p. II‑110, point 71).

174    D’autre part, dans le cadre d’un recours en annulation, il n’appartient au juge de l’Union que de contrôler la légalité de l’acte attaqué. Ainsi, le rôle du juge saisi d’un recours en annulation dirigé contre une décision de la Commission constatant l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et infligeant des amendes aux destinataires consiste à apprécier si les preuves et autres éléments invoqués par la Commission dans sa décision sont suffisants pour établir l’existence de l’infraction reprochée (voir arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, points 174 et 175, et la jurisprudence citée).

175    Dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende, le juge ne saurait conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question. En effet, il est nécessaire de tenir compte du principe de la présomption d’innocence, tel qu’il résulte notamment de l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH, lequel fait partie des droits fondamentaux qui, selon la jurisprudence de la Cour, sont protégés dans l’ordre juridique de l’Union. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes. Ainsi, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction (voir arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 174 supra, points 177 et 178, et la jurisprudence citée).

176    Cela étant, chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre aux critères de précision et de concordance par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par cette dernière, apprécié globalement, réponde aux exigences figurant au point 173 ci‑dessus (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 174 supra, point 180, confirmé par la Cour dans son arrêt Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, point 52 supra, points 41 à 45).

177    Dans la plupart des cas, l’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de concurrence (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 83 supra, point 57).

178    Il incombe à la partie ou à l’autorité qui allègue une violation des règles de concurrence d’en apporter la preuve et il appartient à l’entreprise ou à l’association d’entreprises soulevant un moyen de défense contre une constatation d’infraction à ces règles d’apporter la preuve que les conditions d’application de la règle dont est déduit ce moyen de défense sont remplies, de sorte que ladite autorité devra alors recourir à d’autres éléments de preuve. Même si la charge de la preuve incombe selon ces principes soit à la Commission, soit à l’entreprise ou à l’association concernée, les éléments factuels qu’une partie invoque peuvent être de nature à obliger l’autre partie à fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure qu’il a été satisfait aux règles en matière de charge de la preuve (voir arrêt Lafarge/Commission, point 54 supra, points 29 et 30, et la jurisprudence citée).

179    Aucune disposition ni aucun principe général du droit de l’Union n’interdit à la Commission de se prévaloir à l’encontre d’une entreprise des déclarations d’autres entreprises incriminées. Si tel n’était pas le cas, la charge de la preuve de comportements contraires aux articles 81 CE et 82 CE, qui incombe à la Commission, serait insoutenable et incompatible avec la mission de surveillance de la bonne application de ces dispositions qui lui est attribuée par le traité CE. Toutefois, la déclaration d’une entreprise inculpée pour avoir participé à une entente, dont l’exactitude est contestée par plusieurs entreprises inculpées, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante des faits en cause sans être étayée par d’autres éléments de preuve. Tel est d’autant plus le cas s’agissant d’une déclaration tendant à atténuer la responsabilité de l’entreprise au nom de laquelle elle est faite, en mettant en exergue la responsabilité d’une autre entreprise (voir arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 285, et la jurisprudence citée).

180    Par ailleurs, une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu. Cette interprétation ne saurait être contestée au motif qu’un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer en eux-mêmes et pris isolément une violation de ladite disposition. Lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble. En effet, il serait artificiel de subdiviser en plusieurs comportements distincts un accord anticoncurrentiel caractérisé par une série d’efforts poursuivant une seule finalité économique. Ainsi, dans le cadre d’un accord global s’étendant sur plusieurs années, un décalage de quelques mois entre les manifestations de l’entente importe peu (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 83 supra, points 258 à 260).

181    Enfin, il découle du texte même de l’article 81, paragraphe 1, CE que les accords entre entreprises sont interdits, indépendamment de tout effet, lorsqu’ils ont un objet anticoncurrentiel (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 173 supra, point 123).

182    En l’espèce, ainsi qu’il résulte de l’analyse du premier moyen, la participation des requérantes à l’entente a été prouvée à suffisance de droit par la Commission. Dans le cadre du présent moyen, il n’y a donc lieu d’examiner que si la Commission n’a pas commis d’erreur en déterminant la durée de la participation des requérantes à l’entente, qualifiée par la Commission d’ infraction unique et continue.

183    Premièrement, s’agissant de la date du début de la participation des requérantes à l’entente, fixée comme étant la réunion du 12 ou du 13 mai 1993 à Florence, il ressort du dossier que les requérantes ont confirmé leur présence à la réunion officielle de l’IISRP du 11 au 14 mai 1993 ainsi qu’à une réunion ayant eu lieu en marge de cette réunion officielle, organisée par EI DuPont, durant laquelle elles ont été menacées d’une éventuelle procédure antidumping. De plus, les requérantes ne contestent pas la partie de la déclaration de Tosoh selon laquelle Bayer et EI DuPont ont demandé aux producteurs japonais « de quitter l’Europe de l’Ouest ou, tout au moins, de réduire leur part de marché dans cette région » et de « transférer une partie du marché asiatique aux fournisseurs non japonais » (voir considérant 138 de la décision attaquée). Les requérantes se bornent en effet à contester la déclaration de Tosoh dans la mesure où cette dernière confirme que chacune des entreprises a révélé ses chiffres de vente dans six à sept régions du monde aux autres producteurs pour la première fois, en affirmant qu’elles « n’ont pas révélé de chiffres au cours de la réunion parallèle » et que, dès lors, elles « n’ont pas échangé des informations » (voir considérant 142 de la décision attaquée)

184    Dans ces conditions, c’est à juste titre que la Commission a conclu que les requérantes ne sauraient prétendre ne pas avoir participé le 12 ou le 13 mai 1993 à Florence à une réunion anticoncurrentielle visant à geler les parts de marché des concurrents sur le marché du CR et à attribuer certains marchés géographiques. À cet égard, il convient de rappeler que le silence observé par un opérateur dans une réunion au cours de laquelle une discussion portant sur le gel et l’attribution des parts de marché a lieu ne peut être assimilé à l’expression d’une désapprobation ferme et claire, ainsi qu’il a été souligné au point 53 ci-dessus. En effet, selon la jurisprudence citée au même point, l’approbation tacite d’une initiative illicite, sans se distancier publiquement de son contenu ou la dénoncer aux entités administratives, a pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et compromet sa découverte. En outre, lorsque des accords de nature anticoncurrentielle se manifestent lors de réunions d’entreprises concurrentes, ainsi qu’il a été rappelé au point 65 ci-dessus, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si les requérantes en cause partageaient un objectif commun avec les autres participants à l’entente ou encore s’il existait une concordance de volontés entre ces requérantes et les autres participants au sens où les requérantes l’entendent.

185    Certes, ainsi qu’il a été relevé au considérant 139 de la décision attaquée, selon un des trois représentants de Bayer présents à la réunion officielle de l’IISRP, il n’y aurait eu « aucun accord passé lors de la réunion de l’IISRP », la réunion de coup d’envoi pour les accords sur le CR étant la réunion du 11 novembre 1993. Cependant, cet élément ne saurait remettre en cause la conclusion de la Commission selon laquelle lors de la réunion en cause des questions anticoncurrentielles ont été abordées. En effet, un autre représentant de Bayer, n’ayant pas participé à la réunion mais ayant eu des contacts postérieurs avec des concurrents, a bien identifié la réunion de mai 1993 à Florence comme le début de l’entente en déclarant que, « pour autant qu’il ait bien compris, un plan de part de marché cible a été élaboré à Florence » (voir considérant 140 de la décision attaquée). En outre, EI DuPont, qui a organisé la réunion anticoncurrentielle en marge de la réunion officielle de l’IISRP (voir point 183 ci-dessus), n’a pas contesté que l’entente ait débuté lors de la réunion du 12 ou du 13 mai 1993 à Florence. Enfin, il découle de la déclaration d’une des sociétés du groupe Eni, citée au considérant 150 de la décision attaquée, que, pendant une réunion qui a eu lieu à Tokyo entre le 6 et le 9 février 1994, l’un de ses employés a été informé pour la première fois par les requérantes ou par Tosoh « de l’existence de l’accord sur la part de marché qui avait été passé entre les participants de l’entente à Florence en mai 1993 ».

186    Contrairement à la thèse soutenue par les requérantes, il n’est pas plausible que les participants n’aient pas eu une idée précise de leurs parts de marché à ce moment-là, par exemple à la lumière des parts de marché des années antérieures ou des ventes déjà réalisés en 1993. Il ressort d’ailleurs également des annexes jointes à la requête que, dans une deuxième déclaration, le représentant de Bayer qui n’était pas présent à la réunion en cause a complété sa première déclaration en précisant qu’il supposait que les participants se sont entendus sur les parts de marché définitives lors de la réunion ayant eu lieu en avril 1994 à Zürich lorsque les chiffres de 1993 ont été connus. Ainsi, il y a lieu de constater que, même si les parts de marché des participants à l’entente n’ont été établies de manière définitive qu’en avril 1994, l’accord de principe dont l’objet était l’attribution de parts de marché spécifiques à chacun des concurrents a été conclu dès mai 1993 à Florence. La Commission était donc fondée à considérer que l’entente a été conçue sur cette base dans un premier temps et qu’elle n’a été mise en œuvre que dans un second temps, lorsque les chiffres de 1993 ont été connus.

187    Enfin, il ressort des déclarations de deux participants à l’entente que « des contacts de connivence entre producteurs de CR existaient depuis le début des années 1980 » (voir considérant 123 de la décision attaquée). Ainsi, selon la déclaration de la première entreprise, « [p]lusieurs réunions se sont tenues jusqu’en 1985 [au cours desquelles] les producteurs européens et américains [de CR] ont demandé à Tosoh et [aux requérantes] de renoncer à toute baisse de leurs prix et toute augmentation de leur volume de vente respectif en Europe de l’Ouest pour se concentrer à la place sur les ventes à l’Europe de l’Est » (voir considérant 124 de la décision attaquée). Selon cette même déclaration, même avant 1981, « il existait une pratique établie entre les fournisseurs de CR en Europe ([EI] DuPont, Bayer, Distugil et Denka) selon laquelle la part des ventes totales de CR de Denka en Europe ne devait pas dépasser un certain pourcentage. À la suite de l’entrée sur le marché de Tosoh [en 1981], Bayer et [EI] DuPont ont souhaité s’entretenir avec les représentants [des requérantes] et de Tosoh dans le but de limiter à 12 % la part de marché des fournisseurs de CR japonais en Europe. À cette époque, il n’existait aucune entente sur la façon dont les 12 % devaient être répartis entre [les requérantes] et Tosoh, et les producteurs japonais n’osaient pas remettre la demande en question lors des réunions » (voir considérant 126 de la décision attaquée). Selon la déclaration de la seconde entreprise, « les violations systématiques des règles de concurrence remontent déjà à 1987 » (voir considérant 129 de la décision attaquée). Ainsi, « trois réunions multilatérales [se sont tenues] entre 1989 et la mi-1991 […] à Düsseldorf et Paris entre Bayer […], [EI DuPont], Distugil et probablement [les requérantes] […] pour échanger des informations sur les prix dans certains pays [permettant] de vérifier si les prix que les clients avaient déclarés étaient vrais ou non. Les concurrents convenaient ensuite d’un ‘prix cible’ spécifique, ainsi que d’une date à laquelle une augmentation de prix devait être annoncée et d’une date à laquelle elle devait être appliquée » (voir considérant 129 de la décision attaquée).

188    Certes, les événements indiqués au point précédent, non contestés par les requérantes, se sont déroulés en dehors de la période d’infraction reprochée aux requérantes. Toutefois, il convient de relever que ce sont des éléments faisant partie du faisceau d’indices invoqué à juste titre par la Commission afin de prouver le caractère anticoncurrentiel de la réunion du 12 ou du 13 mai 1993 à Florence. Il semble en effet manifeste, au vu de ces éléments, que cette réunion ne constituait pas le tout premier contact anticoncurrentiel entre les participants à l’entente en cause, y compris pour les requérantes.

189    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la Commission a établi à suffisance de droit que la participation des requérantes à l’entente en cause a débuté lors de la réunion du 12 ou du 13 mai 1993 à Florence. Les arguments des requérantes selon lesquels elles n’ont pas participé à des réunions anticoncurrentielles organisées entre la réunion du 12 ou du 13 mai 1993 et la réunion du 11 avril 1994 sont ainsi dépourvus de pertinence pour établir la date du début de leur participation à l’entente, dans la mesure où elles n’allèguent pas, même à titre subsidiaire, que les réunions s’étant déroulées entre ces deux dates − période pendant laquelle elles contestent avoir participé à l’entente − ne feraient pas partie de l’infraction qui leur est reprochée. Il serait en outre artificiel de subdiviser en plusieurs comportements distincts un accord anticoncurrentiel caractérisé par une série d’efforts poursuivant une seule finalité économique (voir point 180 ci-dessus).

190    Deuxièmement, s’agissant de la date de la fin de la participation des requérantes à l’entente, il y a lieu de constater que les requérantes ne contestent pas la pertinence des éléments de preuves documentaires contemporaines invoqués aux considérants 304 et 503 de la décision attaquée, à savoir les notes préparatoires rédigées pour un participant à la réunion officielle de l’IISRP du 13 mai 2002 à Naples, selon lesquelles « une augmentation de prix concertée pour le CR en Europe occidentale ne doit avoir aucune incidence sur les parts de marché mentionnées dans le ‘moratoire’ », ce moratoire étant une des caractéristiques principales de l’entente. La Commission a observé, au même considérant 503 de la décision attaquée, que « la référence manuscrite aux ‘parts de marché du moratoire 2001’ indique que des parts de marché cibles spécifiques pour 2002 avaient été établies dans le cadre du moratoire en se basant sur les parts de marché de 2001 » et que « [l]es notes […] montrent, en outre, qu[e leur auteur] a réfléchi aux éventuels effets d’une augmentation de prix en Europe occidentale sur les parts de marché ainsi spécifiées et a tiré la conclusion que tant l’augmentation de prix que le moratoire ne seraient pas forcément néfastes l’un pour l’autre ». Au considérant 505 de la décision attaquée, la Commission a constaté que ces « notes manuscrites […] indiquent, par ailleurs, que DDE, mais aussi Eni[C]hem, avaient déjà donné sur place leur accord pour la prochaine augmentation de prix collusoire ».

191    Il convient également de citer la description du document en cause figurant au considérant 304 de la décision attaquée :

« En préparation de la réunion de l’IISRP, [le représentant de Bayer qui n’a pas participé à la réunion de Naples] a rédigé des notes manuscrites pour briefer [le représentant de Bayer participant à la réunion] sur différents sujets qu’il voulait qu’il aborde avec les concurrents durant la conférence de l’IISRP. [Le représentant de Bayer qui n’a pas participé à la réunion de Naples] explique les notes comme suit : ‘Augmentation de prix WE? Eni, DPDE o.k. / Jap? Moratoire MA 2001’ signifie qu’Eni[C]hem et DDE allaient soutenir une augmentation de prix, mais que, du côté des concurrents japonais, ceci n’était pas certain. La note ‘Moratoire sur les parts de marché 2001’ indique qu’une augmentation de prix ne doit pas mener à une modification des parts de marché stipulées dans le moratoire […]. La note ‘[M. K.]/EPDM’ concerne, entre autres, le produit EPDM. [Le représentant de Bayer qui n’a pas participé à la réunion de Naples] voulait que [le représentant de Bayer participant à la réunion] discute avec [M. K.] (DDE) de quelques points relatifs à l’EPDM. Bayer explique cependant qu’un lien existait avec le CR, car Bayer avait l’intention de prendre des parts de marché en CR à DDE en Amérique du Nord si DDE ne cessait de se comporter de façon agressive avec l’EPDM en Europe de l’Ouest. »

192    Ainsi qu’il a été relevé par la Commission, ce document, préparé en vue de la réunion du 13 mai 2002 à Naples et mentionnant de manière explicite les producteurs japonais (expression qui renvoie nécessairement aux requérantes et à Tosoh, les deux seuls producteurs japonais de CR actifs sur le marché européen, constitue une preuve directe et contemporaine du fait que l’accord attribuant des parts de marché spécifiques à chacun des concurrents était encore en vigueur lorsque cette réunion a eu lieu et qu’au moins trois participants avaient déjà marqué leur accord pour la prochaine augmentation collusoire de prix. Il ressort également de ce document, non contesté par les requérantes, que, selon Bayer, ces dernières faisaient toujours partie de l’entente. Elles contribuaient ainsi à encourager la continuation de l’infraction et à compromettre sa découverte. En effet, si les requérantes s’étaient distanciées publiquement de l’entente, elles n’auraient pas été mentionnées explicitement dans ce document préparatoire de la réunion en cause.

193    Par ailleurs, selon la décision attaquée, les requérantes ont encore participé à deux réunions après celle de Naples du 13 mai 2002 : le 6 septembre 2002 à Düsseldorf avec des représentants de Bayer et le 12 novembre 2002, également à Düsseldorf, avec un représentant de DDE. Il ressort également de la décision attaquée que ce dernier avait déjà rencontré un représentant de Bayer le jour précédent et que, ensuite, après la réunion avec les requérantes, ce même représentant de DDE a rencontré des représentants de Tosoh, qui, à leur tour, ont visité des représentants d’EniChem le 12 ou le 13 novembre à Milan. Enfin, des réunions ont eu lieu le 19 novembre 2002 et le 26 novembre 2002 à Milan entre DDE et EniChem et le 25 novembre 2002 à Leverkusen (Allemagne) entre DDE et Bayer. Selon la déclaration de DDE, une augmentation de prix, discutée pendant cette dernière réunion, a ensuite été annoncée en Europe pour le 1er avril 2003 par tous les concurrents, sans toutefois avoir été appliquée (voir considérants 307 et 309 de la décision attaquée). Certes, ces réunions se sont déroulées en dehors de la période d’infraction reprochée aux requérantes, mais elles font également partie du faisceau d’indices invoqué à bon droit par la Commission afin de prouver la date de la cessation de l’entente.

194    Il s’ensuit que c’est à bon droit que la Commission a retenu la date de la réunion du 13 mai 2002 à Naples comme la date de la fin de l’entente et de la participation des requérantes à l’infraction sur la base du fait que le « moratoire » concernant l’attribution des marchés était resté en vigueur jusqu’à cette date pour tous les participants à l’entente.

195    En tout état de cause, il y a lieu d’observer que la Commission a démontré à suffisance de droit la participation des requérantes à une réunion anticoncurrentielle le 25 avril 2002 à Düsseldorf. En effet, il ressort des mémoires des parties que le représentant de Bayer qui a rédigé le document visé ci-dessus aux points 191 et 192 a rencontré un représentant des requérantes à l’hôtel Nikko de Düsseldorf le 25 avril 2002, à savoir trois semaines avant la réunion du 13 mai 2002 à Naples. La preuve de l’existence de cette réunion du 25 avril 2002 à l’hôtel Nikko à Düsseldorf entre Bayer et les requérantes est tirée d’une déclaration de Bayer et de la confirmation par les requérantes, dans leur réponse à la communication des griefs, de leur participation, étayée par des documents de voyage des requérantes. Ainsi que la Commission l’indique dans son mémoire en défense, étant donné que les requérantes admettent avoir assisté à cette réunion, l’incohérence dans la déclaration de Bayer quant au lieu réel de la réunion, à savoir un hôtel ou les locaux des requérantes, est dénuée de pertinence. Par ailleurs, les requérantes se bornent à affirmer qu’il ne s’agissait que d’une « visite de courtoisie » et qu’aucune information sensible n’a été échangée. Toutefois, la déclaration de Bayer est claire quant au contenu essentiel de la réunion, à savoir les activités agressives des requérantes dans le marché du CR. Dans ces conditions, les affirmations des requérantes sont dépourvues de crédibilité. Dès lors, elles ne sauraient valablement prétendre qu’il s’agissait d’une visite de courtoisie. Au contraire, la Commission a considéré à bon droit qu’elles ont participé à une réunion de l’entente le 25 avril 2002.

196    Ainsi, même si la participation des requérantes à la réunion du 13 mai 2002 à Naples n’était pas établie, la Commission a, en tout état de cause, constaté à bon droit que les requérantes ont participé à une infraction à l’article 81 CE pour une période de près de neuf ans. Les arguments des requérantes selon lesquelles elles n’ont pas participé à des réunions anticoncurrentielles entre mars 1999 et mai 2002 sont ainsi dépourvus de pertinence pour établir la date de la fin de leur participation à l’entente, pour les mêmes motifs que ceux déjà exposés au point 189 ci-dessus.

197    Troisièmement, s’agissant de la participation des requérantes à l’entente entre mai 1996 et juillet 1997, il y a lieu de relever que les requérantes admettent avoir participé à une réunion anticoncurrentielle en mai 1996 (voir considérant 190 de la décision attaquée), qu’elles n’établissent pas, ni même n’allèguent, s’être distanciées de l’entente au cours de cette réunion ou ensuite et qu’elles admettent également avoir à nouveau assisté à une réunion multilatérale en juillet 1997 à Londres (voir considérant 208 de la décision attaquée). S’agissant de cette dernière réunion, les requérantes se sont bornées, pendant la procédure administrative, à nier leur participation aux discussions anticoncurrentielles et n’ont présenté aucune autre explication possible de leur présence à cette réunion, qualifiée de réunion anticoncurrentielle par tous les autres participants. Les arguments des requérantes selon lesquels la Commission n’aurait pas prouvé leur participation à l’entente au cours de la période entre ces deux réunions de mai 1996 et de juillet 1997 sont inopérants. En effet, il suffit de constater, comme l’indique la Commission, d’une part, que les requérantes ne se sont pas distanciées de l’entente de la manière exigée par la jurisprudence citée aux points 52 et 53 ci-dessus et, d’autre part, qu’il serait artificiel de subdiviser en plusieurs comportements distincts un accord anticoncurrentiel caractérisé par une série d’efforts poursuivant une seule finalité économique (voir la jurisprudence citée au point 180 ci-dessus).

198    Par ailleurs, il y a lieu d’observer qu’il ressort des documents produits par la Commission en réponse à la mesure d’instruction ordonnée par le Tribunal qu’une réunion anticoncurrentielle a eu lieu le 5 ou le 6 novembre 1996 à Singapour et que la participation des requérantes à cette réunion doit être considérée comme établie. En effet, Tosoh et Bayer ont déclaré qu’un représentant des requérantes y était présent. Certes, il y a lieu de constater que les déclarations de DDE et d’EniChem s’écartent des déclarations de Tosoh et Bayer, dans la mesure où DDE considère que Tosoh et les requérantes ont été représentées à cette réunion par la même personne et où EniChem ne confirme pas expressément la présence des requérantes. Toutefois, si les déclarations de DDE et d’EniChem ne concordent pas sur tous les points avec les déclarations de Tosoh et de Bayer, elles ne peuvent pas pour autant être considérées comme contredisant ces dernières. En ce qui concerne la nature de la réunion à Singapour, il y a lieu de relever que quatre participants à l’entente l’ont identifiée comme étant une réunion anticoncurrentielle.

199    De même, l’argument des requérantes selon lequel elles se seraient ouvertement écartées d’au moins un aspect de l’entente, à savoir la stratégie de régionalisation, ne peut prospérer. Outre le fait que cet argument ne peut avoir d’incidence sur la durée de l’infraction qui leur est reprochée, il convient aussi de rappeler que, ainsi qu’il a été souligné au point 64 ci-dessus, les requérantes n’ont pas établi leur dissociation complète et ouverte par rapport à l’entente dans son ensemble. Elles n’établissent pas, ni même n’allèguent, s’être distanciées de l’entente dans son ensemble au cours de la période comprise entre mai 1993 et mai 2002. Or, conformément à la jurisprudence citée ci-dessus au point 180, lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun − ce que les requérantes ne contestent pas −, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble. En outre, les arguments des requérantes tendant à établir que leur participation aux réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, dès lors qu’elles auraient été contraintes de participer aux réunions ou qu’elles n’auraient pas partagé d’objectif commun avec les autres participants, ont déjà été rejetés dans le cadre du premier moyen (voir l’analyse aux points 58 à 66 ci-dessus).

200    Par ailleurs, s’agissant de la question de la participation des requérantes à l’entente au cours de l’ensemble de la période infractionnelle retenue par la Commission (mai 1993 à mai 2002), il convient de rappeler que les requérantes contestent avoir « assisté » à des réunions anticoncurrentielles avant le 11 avril 1994 et après le 14 septembre 1998 (voir notamment point 150 ci-dessus). Bien que ces arguments ne soient pas pertinents pour établir la durée de leur participation à l’entente (voir points 189 et 195 ci-dessus), leur pertinence éventuelle pour reconnaître aux requérantes le bénéfice de circonstances atténuantes qu’elles revendiquent sera examinée dans le cadre du sixième moyen. Le bien-fondé de leurs arguments pour chacune de ces périodes est donc analysé ci-après.

201    D’une part, s’agissant de la période allant du 13 mai 1993 au 11 avril 1994, il ressort du dossier que, si la participation des requérantes à la réunion anticoncurrentielle du 8 ou du 9 février 1994 doit être considérée comme établie, il y a en revanche lieu de constater que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit leur participation aux réunions du 13 juillet 1993, du 11 novembre 1993 et du 18 novembre 1993.

202    Ainsi, à propos de la réunion multilatérale du 13 juillet 1993 à Zurich, la preuve de l’existence de cette réunion est tirée d’une déclaration d’un autre participant corroborée par les documents relatifs aux frais de voyage. S’agissant de l’identification des participants à cette réunion, et bien que trois entreprises n’aient pas contesté leur participation à cette réunion, deux entreprises, dont les requérantes, l’ont contestée. En l’absence d’éléments de preuve s’agissant de la participation des requérantes à cette réunion autre que la seule déclaration, il y a lieu de conclure, conformément à la jurisprudence citée au point 179 ci-dessus, que la Commission n’a pas démontré cette participation à suffisance de droit.

203    À propos de la réunion multilatérale du 11 novembre 1993 à Francfort, la preuve de l’existence de cette réunion et de la participation des requérantes est tirée de la seule déclaration d’une entreprise, contestée par plusieurs entreprises, dont les requérantes. La réunion impliquait, selon la Commission, cinq participants. Toutefois, la Commission admet que cette réunion est uniquement mentionnée par une seule entreprise. Or, selon la jurisprudence, la contestation du contenu de la déclaration de cette entreprise par les requérantes suffit à ce qu’il soit exigé que d’autres éléments de preuve viennent l’étayer. Partant, il y a lieu de constater que, la déclaration n’étant pas corroborée par d’autres éléments de preuve, la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit la participation des requérantes à cette réunion.

204    À propos de la réunion multilatérale du 18 novembre 1993 à Düsseldorf, la preuve de l’existence de cette réunion est tirée d’une déclaration orale, reposant elle-même sur des preuves documentaires prenant la forme d’une inscription à l’agenda du représentant de cette entreprise participant à la réunion. Les requérantes ont contesté leur participation à cette réunion. En l’absence d’éléments de preuve s’agissant de la participation des requérantes à cette réunion, autre qu’une seule déclaration, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas démontré cette participation à suffisance de droit.

205    À propos de la réunion bilatérale du 8 ou du 9 février 1994 à Tokyo, la preuve de l’existence de cette réunion et de sa nature anticoncurrentielle est tirée d’une déclaration orale de l’autre participant à cette réunion, Eni. À cet égard, il y a tout d’abord lieu d’écarter, conformément à la jurisprudence citée au point 176 ci-dessus, l’argument des requérantes selon lequel la déclaration d’Eni ne saurait être considérée comme probante. Ensuite, bien que l’existence de cette réunion n’ait pas été contestée pendant la procédure administrative, les requérantes la contestent dans leurs écritures devant le Tribunal, tout en ajoutant qu’il n’est pas exclu qu’une réunion de courtoisie ait eu lieu « à un autre moment ». Il y a donc lieu de déterminer si la déclaration d’Eni est corroborée par d’autres éléments de preuve. Dans ce contexte, il est important de relever que le 7 février 1994, c’est-à-dire un ou deux jours avant la réunion contestée, Eni a rencontré Tosoh à Tokyo. Cette réunion a été attestée par des déclarations de Tosoh et d’Eni ainsi que par des preuves documentaires. Il convient également de citer la description de cette réunion figurant au considérant 150 de la décision attaquée : « Ces réunions avaient pour but de présenter [M. C.] aux producteurs japonais. L’agenda de [M. T.], qui a organisé la réunion du 7 février mais n’y a pas participé personnellement, indique à la date du 7 février ‘[Pansuke] au JPN après-midi avec dîner à 20h30 au bureau de Mercuri à 21h00’ […]. […] [‘Pansuke’] était le nom de code utilisé par [M. T.] pour désigner [M. P.] d’Eni[C]hem (anciennement Rhône-Poulenc/Distugil). [Une société du groupe Eni] explique que les discussions portaient sur les tendances actuelles des affaires du CR, mais pas sur les prix, et qu’il est probable qu’au cours de ces réunions Denka ou Tosoh aient informé [M. C.] (Eni[C]hem) pour la première fois de l’existence de l’accord sur la part de marché qui avait été passé entre les participants de l’entente à Florence en mai 1993 […] » Il ressort aussi de la décision attaquée que la réunion du 7 février 1994 a été qualifiée de réunion anticoncurrentielle tant par Eni que par Tosoh (voir, s’agissant d’Eni, le considérant 493 de la décision attaquée : « Dans sa réponse à la communication des griefs, [confidentiel] conteste avoir été impliquée dans de quelconques accords collusoires avant février 1994. » La réunion bilatérale du 7 février 1994 constitue donc le début de l’entente selon Eni, aux termes de ses propres déclarations ; voir, s’agissant de Tosoh, le considérant 494 de la décision attaquée qui indique que : Tosoh n’a pas contesté la durée de l’entente établie par la Commission). La Commission a donc mis en évidence, sur la base des déclarations concordantes d’Eni et de Tosoh, l’existence de deux contacts bilatéraux consécutifs, d’une part entre Eni et Tosoh et d’autre part entre Eni et les requérantes, ainsi qu’il a été détaillé ci-dessus. Il résulte de ce qui précède que la déclaration d’Eni s’agissant de la réunion avec les requérantes est corroborée par les déclarations d’Eni et de Tosoh s’agissant de leur réunion antérieure d’un ou deux jours. Partant, les requérantes ne sauraient valablement prétendre que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit leur participation à une réunion anticoncurrentielle le 8 ou le 9 février 1994 à Tokyo.

206    D’autre part, s’agissant de la période allant du 14 septembre 1998 au 13 mai 2002, il ressort du dossier que, si la participation des requérantes aux réunions anticoncurrentielles entre le 2 et le 5 mars 1999, du 3 ou du 4 août 1999, du 2 novembre 1999, du 16 juin 2000, du 7 novembre 2000, du 5 décembre 2000, de mai 2001, de fin novembre ou de début décembre 2001 et du 18 avril 2002 doit être considérée comme établie, il y a en revanche lieu de constater que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit leur participation à la réunion du 9 mai 1999.

207    Ainsi, à propos de la réunion trilatérale entre le 2 et le 5 mars 1999 dans un hôtel à Tokyo, l’existence de cette réunion et la participation des requérantes à celle-ci sont confirmées par tous les participants, dont les requérantes. Ainsi qu’il a été souligné par la Commission, le simple fait que les requérantes auraient indiqué lors de cette réunion que la régionalisation ne constituerait pas une « solution acceptable » pour elles – une affirmation qui n’est par ailleurs nullement étayée – ne permet pas de qualifier cette réunion avec Tosoh et DDE d’une réunion de courtoisie, comme le prétendent les requérantes. Au contraire, le sujet anticoncurrentiel des discussions qui ont eu lieu au cours de cette réunion, à savoir la régionalisation, est confirmé et corroboré par les requérantes elles‑mêmes, lorsqu’elles indiquent avoir abordé le sujet de la régionalisation. Il y a également lieu de constater que, quand bien même ladite affirmation serait prouvée, quod non, les requérantes n’ont pas indiqué à leurs concurrents qu’elles participaient aux réunions dans une optique différente de la leur au sens de la jurisprudence, c’est-à-dire que leur participation à la réunion en cause était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel. Ayant participé à cette réunion sans se distancier publiquement de l’entente même, les requérantes ont donné à penser aux autres participants qu’elles souscrivaient à son résultat et qu’elles s’y conformeraient. Partant, les requérantes ne sauraient prétendre que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit leur participation à une réunion anticoncurrentielle entre le 2 et le 5 mars 1999 à Tokyo.

208    À propos de la réunion trilatérale du 9 mai 1999 à Taipei, la preuve de l’existence de cette réunion et de la participation des requérantes est tirée de la déclaration d’une seule entreprise, contestée par les requérantes et non corroborée par d’autres éléments de preuve. Considérant que la déclaration d’une entreprise inculpée pour avoir participé à une entente, dont l’exactitude est contestée par plusieurs entreprises inculpées, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante des faits en cause sans être étayée par d’autres éléments de preuve (voir point 179 ci-dessus), la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit la participation des requérantes à cette réunion.

209    À propos de la réunion trilatérale du 3 ou du 4 août 1999 à Tokyo, la preuve de l’existence de cette réunion et de la participation des requérantes est tirée des déclarations de deux participants à cette réunion. Les requérantes ont admis leur participation à cette réunion. S’agissant de l’objet anticoncurrentiel de la réunion, contesté par les requérantes, il convient d’observer qu’aux considérants 263 et 264 de la décision attaquée la Commission présente les notes prises durant cette réunion par un représentant de Tosoh ainsi que des explications de ces notes par Tosoh. Ces notes, contemporaines à l’infraction, ainsi que les explications fournies confirment le caractère anticoncurrentiel de la réunion. Les notes en question contiennent, notamment, la mention « DK » à côté des chiffres et des instructions relatives aux augmentations de prix. Le fait que les notes ne soient pas datées n’enlève rien à leur force probante, considérant que, au vu des déclarations exactes de Tosoh détaillant le déroulement de cette réunion, leur origine, leur date probable et leur contenu peuvent être déterminés avec une certitude suffisante.

210    Par ailleurs, les affirmations des requérants qui figurent au considérant 265 de la décision attaquée corroborent la conclusion de la Commission concernant la nature anticoncurrentielle de la réunion. En effet, les requérantes « confirment que DDE voulait promouvoir l’idée de la régionalisation mais [elles] déclarent ne pas avoir été d’accord avec cette stratégie ». Étant donné que le concept de régionalisation constituait un des éléments de l’entente, le fait d’avoir discuté de cette question pendant la réunion confirme que celle-ci avait une nature anticoncurrentielle.

211    Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sauraient valablement prétendre que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit leur participation à une réunion anticoncurrentielle le 3 ou le 4 août 1999 à Tokyo.

212    À propos de la réunion bilatérale du 2 novembre 1999 à l’hôtel Nikko de Düsseldorf, la preuve de l’existence de cette réunion et de la participation des requérantes est tirée de la déclaration de Bayer. Pendant la procédure administrative, les requérantes ont fait valoir qu’il s’agissait d’une réunion de courtoisie. Dans leurs écritures devant le Tribunal, elles soutiennent qu’« il est possible que [leurs représentants] aient également déjeuné avec le représentant de Bayer […] profitant de l’occasion de la présence en Europe d’un représentant de Denka pour rendre une visite de courtoisie ». Il s’ensuit que la déclaration de Bayer est corroborée par les déclarations des requérantes et, partant, constitue une preuve suffisante de l’existence de cette réunion. S’agissant de l’objet de la réunion, il ressort de la décision attaquée que le représentant de Bayer, n’ayant plus de souvenir précis de ce qui a été discuté au cours de cette réunion spécifique, a déclaré que « normalement c’était [le représentant des requérantes] qui prenait contact avec lui […] et organisait une réunion, et que normalement les concurrents, au cours de ces réunions bilatérales, discutaient de sujets tels que la régionalisation » (voir considérant 269 de la décision attaquée). Les requérantes, se bornant à nier toute activité anticoncurrentielle, n’ont présenté aucune autre explication possible de leur présence à cette réunion, qualifiée de réunion anticoncurrentielle par l’autre participant. Il résulte de ce qui précède que la Commission a démontré à suffisance de droit leur présence à une réunion anticoncurrentielle le 2 novembre 1999, sans que les requérantes aient avancé d’indices de nature à établir que leur participation à ladite réunion était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elles avaient indiqué à leur concurrent qu’elles participaient à la réunion dans une optique différente de la sienne.

213    À propos de la réunion trilatérale du 16 juin 2000 à Tokyo, la preuve de l’existence de cette réunion et de la participation des requérantes est tirée des déclarations de deux entreprises, corroborées par des preuves écrites contemporaines, témoignant du caractère anticoncurrentiel de la réunion. L’affirmation des requérantes selon laquelle leur représentant a dû quitter la réunion avant la fin de celle-ci n’est nullement étayée et, quand bien même elle serait exacte, ne permet pas de considérer qu’elles n’ont pas participé à une réunion de l’entente. L’affirmation selon laquelle les notes contemporaines d’un participant à la réunion ne seraient pas fiables doit également être écartée, dans la mesure où elle n’est pas davantage étayée. Par ailleurs, c’est à tort que les requérantes soutiennent que le courrier électronique auquel il est fait référence au considérant 279 de la décision attaquée ne constitue pas un élément de preuve de la collusion entre les concurrents. Au contraire, par ce courrier électronique, envoyé deux jours après la réunion en cause, le participant de DDE à ladite réunion a voulu informer un de ses collègues de DDE d’un certain nombre de changements chez Tosoh et d’une promotion chez les requérantes, un des participants à la réunion, représentant les requérantes, ayant été nommé directeur général, tout en ajoutant que ce dernier « prévoit de maintenir les contacts actuels ». Il s’ensuit qu’il ne saurait être prétendu que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit la participation des requérantes à une réunion anticoncurrentielle le 16 juin 2000 à Tokyo.

214    À propos de la réunion bilatérale du 7 novembre 2000 à l’hôtel Nikko à Düsseldorf, la preuve de l’existence de cette réunion entre deux représentants de Bayer et trois représentants des requérantes est tirée de la déclaration de Bayer, confirmée par les requérantes. Les requérantes, se bornant à nier toute activité anticoncurrentielle, n’ont présenté aucune autre explication possible de leur présence à cette réunion, qualifiée de réunion de l’entente par Bayer, si ce n’est l’affirmation dans leur réponse à la communication des griefs selon laquelle « il ne s’agissait que d’une visite de courtoisie visant à limiter les risques de dépôt de plaintes antidumping ». Dans ces circonstances, la Commission a démontré à suffisance de droit leur présence à une réunion anticoncurrentielle, sans que les requérantes aient avancé d’indice de nature à établir que leur participation à ladite réunion était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elles avaient indiqué à leur concurrent qu’elles participaient dans une optique différente de la sienne. Partant, elles ne sauraient prétendre que la Commission n’a pas démontré leur participation à une réunion de l’entente le 7 novembre 2000.

215    À propos de la réunion du 5 décembre 2000 dans un restaurant au Grand Hôtel de Tokyo, la preuve de l’existence de cette réunion entre deux représentants de DDE, deux représentants de Tosoh et un représentant des requérantes est tirée des déclarations de deux entreprises et de la confirmation des requérantes. Il est également constant que la stratégie de régionalisation a été discutée lors de cette réunion. L’affirmation des requérantes selon laquelle leur représentant n’aurait pas assisté à une réunion préalable au bureau de Tosoh, quand bien même elle serait exacte, ne permet donc pas de considérer qu’elles n’ont pas participé à une réunion de l’entente au Grand Hôtel et est, partant, inopérante. En outre, ainsi que la Commission le fait valoir, les requérantes ont été en mesure de se défendre contre l’allégation de la Commission formulée dans la communication des griefs et selon laquelle elles auraient participé à une réunion trilatérale anticoncurrentielle à cette date. En effet, dans leur réponse à la communication des griefs, les requérantes affirment avoir participé à un dîner avec DDE/DuPont et Tosoh durant lequel les trois concurrents ont discuté du sujet de la régionalisation, tout en contestant avoir participé à une réunion préalable. Par ailleurs, l’affirmation selon laquelle la Commission a modifié la description des faits dans la décision attaquée, en donnant l’impression que les requérantes auraient déjà participé à une réunion anticoncurrentielle préalable au bureau de Tosoh, manque en fait, ainsi qu’il résulte d’une lecture de la décision attaquée. En tout état de cause, la réunion de l’entente identifiée par la Commission est bien celle ayant eu lieu au Grand Hôtel et non pas celle ayant eu lieu au bureau de Tosoh. Il s’ensuit que l’argument selon lequel la Commission a violé les droits de la défense des requérantes doit être rejeté comme non fondé. Par ailleurs, les requérantes se bornant à insister sur le caractère « courtois » de leur présence, elles n’ont présenté aucune explication crédible de leur présence à cette réunion, qualifiée de réunion de l’entente par DDE et Tosoh. Enfin, contrairement à ce que suggèrent les requérantes, le dossier ne contient aucun élément de preuve concret et objectif établissant leur distanciation réelle et publique du contenu de cette réunion anticoncurrentielle. Dans ces circonstances, elles ne sauraient prétendre que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit leur participation à une réunion anticoncurrentielle le 5 décembre 2000 à Tokyo.

216    À propos de la réunion de mai 2001 à Düsseldorf entre les requérantes et Bayer, les requérantes en admettent l’existence et confirment que la note préparatoire citée au considérant 285 de la décision attaquée s’y rapporte. Cette note dactylographiée contemporaine, trouvée par la Commission et jointe en annexe à la requête, constitue un élément de preuve clair, concret et univoque de l’existence d’un comportement anticoncurrentiel de la part des requérantes, le contenu ne pouvant s’expliquer autrement que par une volonté de restreindre la concurrence. Ainsi, les requérantes étaient désireuses de « vous soutenir pour améliorer le niveau des prix sur ce marché. D’autre part, vous devez nous soutenir sur le marché asiatique ». La confirmation par les requérantes du fait d’avoir assisté à cette réunion bilatérale et du fait que la note dactylographiée interne a été préparée spécifiquement pour cette réunion constitue, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, une preuve suffisante de leur participation à une réunion anticoncurrentielle. Ainsi que la Commission l’a relevé, dans la mesure où les requérantes n’ont même pas avancé une thèse différente concernant les sujets abordés lors de la réunion, la note montre que les requérantes allaient discuter avec un concurrent de détails sensibles sur le plan concurrentiel, concernant les réactions de la clientèle face à une augmentation de prix, les contrats avec les clients et les prix appliqués/quantités vendues pour une série de clients en Allemagne, en France, en Italie et en Espagne, les futures augmentations de prix et des plans sur deux à trois ans.

217    En outre, les commentaires manuscrits portés sur le document dactylographié montrent que cette note a été utilisée juste avant, durant ou juste après la réunion en cause. Ainsi, au début de la note préparatoire, son auteur a ajouté « Thank you for taking time out of schedule. I’m plesure to be here » (sic). Au point 4 de la note, s’agissant des réactions de la clientèle face à une augmentation de prix, des contrats avec les clients et des prix appliqués/quantités vendues pour des clients en Allemagne, en France, en Italie et en Espagne, figurent des notes manuscrites ajoutant des quantités (par exemple « 100-250 mt » après l’expression « CF Gomma(Citroen) »), des pourcentages (par exemple « 30 % difference »), des commentaires (par exemple « they also lost » après les informations concernant Sacred) ou encore des informations concernant les concurrents (par exemple la mention de DDE). Figurent aussi, notamment, des notes manuscrites concernant Bayer (par exemple « Bayer → 90 % ») et des réponses aux questions posées dans la note (par exemple la question « How many % is increasing price. » a été soulignée, la réponse manuscrite est « 10 % » et elle a été entourée). Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, ces notes manuscrites ne sont pas « manifestement des observations préparatoires » mais ne peuvent être que des notes prises sur la base d’une discussion concrète avec le représentant de Bayer portant sur les sujets énumérés dans le document dactylographié préparatoire, comme l’observe la Commission au considérant 287 de la décision attaquée. Les requérantes, se bornant à qualifier la réunion d’« événement social » et à affirmer que la note ne reflète pas le contenu de la réunion, n’ont donc présenté aucune explication crédible s’agissant de cette note ou de l’objet de cette réunion. Dans ces circonstances, la Commission a considéré à juste titre qu’elles ont participé à une réunion de l’entente en mai 2001.

218    À propos de la réunion trilatérale de fin novembre ou de début décembre 2001, la preuve de l’existence de cette réunion dans un restaurant à Tokyo entre Tosoh, DDE et les requérantes est tirée d’une déclaration de Tosoh, corroborée par les documents de voyage de DDE et par la confirmation de leur présence par les requérantes. S’agissant du caractère anticoncurrentiel de la réunion, les requérantes, se bornant à qualifier la réunion d’« événement social » (voir considérant 292 de la décision attaquée) ou encore de « visite de courtoisie » – et soulevant, par ailleurs, que, « pour toute l’année 2001, la Commission peut uniquement faire valoir un seul dîner », – ne présentent toutefois aucune autre explication plausible de leur présence à cette réunion, qualifiée de réunion anticoncurrentielle par Tosoh. En outre, la réunion doit être envisagée dans le contexte de l’époque, caractérisé par un ensemble de manifestations anticoncurrentielles attestant une volonté commune de restreindre la concurrence dans le marché du CR, notamment, une réunion anticoncurrentielle entre les requérantes et Bayer, organisée en mai 2001 (voir points 216 et 217 ci‑dessus), et deux réunions anticoncurrentielles bilatérales entre les requérantes et, respectivement, DDE et Bayer, organisées en avril 2002 (voir, respectivement, points 219 à 221 ci‑dessous et point 195 ci‑dessus). Si la déclaration d’une seule entreprise quant à l’objet anticoncurrentiel d’une réunion dont l’existence est incontestée n’est pas, en tant que telle, corroborée par d’autres éléments de preuves spécifiques et univoques de sorte que ladite réunion pourrait éventuellement s’expliquer autrement que par une volonté de restreindre la concurrence, cette circonstance ne saurait toutefois exclure que cette déclaration puisse constituer une preuve suffisante du caractère anticoncurrentiel de la réunion, lorsqu’elle s’inscrit dans un ensemble d’autres preuves qui fournissent des indices probants de l’existence de comportements anticoncurrentiels contemporains et similaires. Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sauraient valablement prétendre qu’elles ont participé à un événement social ou qu’il s’agissait d’une visite de courtoisie. Au contraire, la Commission a considéré à juste titre qu’elles ont participé à une réunion de l’entente fin novembre ou début décembre 2001.

219    À propos de la réunion bilatérale du 18 avril 2002 à Tokyo, la preuve de l’existence de cette réunion dans un hôtel entre DDE et les requérantes est tirée d’une déclaration de DDE et de la confirmation des requérantes, étayée par des documents de voyage des deux participants représentant les requérantes ainsi que par une inscription sur un agenda. Selon DDE, la réunion était organisée à la demande des requérantes et portait principalement sur des questions de prix, sur la dynamique de l’industrie et notamment sur l’intérêt des requérantes pour une augmentation des prix dans la région Asie Pacifique. En outre, la discussion aurait concerné l’entreprise commune avec Showa Denko. La déclaration de DDE est en partie corroborée par les requérantes, qui prétendent qu’« aucune discussion [anticoncurrentielle] n’a eu lieu et que la discussion se concentrait sur la dissolution de l’entreprise commune entre DDE et Showa Denko ».

220    S’agissant de l’affirmation des requérantes selon laquelle aucune discussion contraire aux règles de concurrence n’a eu lieu pendant la réunion du 18 avril 2002 à Tokyo, il y a lieu de tenir compte, d’une part, des affirmations de tous les autres participants de l’entente selon lesquelles à partir de septembre 1998 les concurrents se réunissaient principalement en réunions bilatérales (voir considérants 242 et 243 de la décision attaquée) et, d’autre part, du fait qu’une semaine après cette réunion à Tokyo avec DDE, c’est‑à‑dire le 25 avril 2002, les requérantes ont rencontré les représentants de Bayer à Düsseldorf (voir point 195 ci-dessus). Or, tant DDE que Bayer ont affirmé que les réunions qu’elles ont eues avec Denka en avril 2002 avaient un caractère anticoncurrentiel. Au vu de ces déclarations concordantes de deux concurrents, l’affirmation de Denka selon laquelle la réunion avec DDE en avril 2002 serait une simple réunion de courtoisie est dépourvue de crédibilité.

221    Dans ces circonstances, il y a lieu de constater que c’est à juste titre que la Commission a considéré que la réunion des requérantes avec DDE qui a eu lieu le 18 avril 2002 à Tokyo était une réunion anticoncurrentielle.

222    Il résulte de ce qui précède que les requérantes sont fondées à reprocher à la Commission de ne pas avoir démontré à suffisance de droit leur participation aux réunions du 13 juillet 1993, du 11 novembre 1993, du 18 novembre 1993 et du 9 mai 1999. Toutefois, cela n’est pas de nature à remettre en cause la légalité de la décision attaquée, l’absence de participation à ces réunions ne permettant pas de considérer que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit la participation continue des requérantes à l’entente en cause et la durée de cette participation.

223    En effet, conformément à la jurisprudence citée au point 180 ci-dessus, il serait artificiel de subdiviser en plusieurs comportements distincts la participation des requérantes à une entente caractérisée par une série d’efforts poursuivant une seule finalité anticoncurrentielle. Considérant que la participation des requérantes à l’entente est prouvée par une série de participations aux réunions de l’entente s’étendant sur plusieurs années − pour mémoire : i) il est établi que la participation des requérantes à l’entente a débuté le 12 ou le 13 mai 1993 et a pris fin le 13 mai 2002, ii) elles admettent explicitement avoir été présentes aux réunions de l’entente du 11 avril 1994 et du 14 septembre 1998 (voir points 56, 151 et 157 ci-dessus), iii) s’agissant de la période comprise entre ces deux dernières dates, elles admettent avoir assisté à encore 20 réunions anticoncurrentielles s’étant tenues pendant cette période, iv) la distinction qu’elles tentent d’établir entre le fait d’avoir « assisté » à une réunion et le fait d’avoir « participé » à une réunion est purement artificielle (voir points 57 et 150 ci-dessus) et, v) s’agissant de la période comprise entre le 14 septembre 1998 et le 13 mai 2002, seule la preuve de la participation des requérantes à la réunion du 9 mai 1999 est considérée comme n’ayant pas été rapportée par la Commission − et considérant que les requérantes ne contestent pas que ces réunions poursuivaient une seule et même finalité économique, et constituaient dès lors une seule et même entente anticoncurrentielle, le fait que la Commission n’ait pas démontré à suffisance de droit leur participation à quelques réunions au cours de l’entente n’a pas d’incidence sur la durée de leur participation à l’infraction en tant que telle ou sur leur participation à celle-ci, notamment lorsque, comme en l’espèce, elles ne se sont pas distanciées de l’entente dans la manière exigée par la jurisprudence et lorsqu’il n’existe pas d’indices qui tendent à établir qu’elles se sont retirées de l’entente ou ont interrompu leur participation à l’infraction pendant une certaine période. À cet égard, il peut également être rappelé que si la période séparant deux manifestations d’un comportement infractionnel est un critère pertinent afin d’établir le caractère continu d’une infraction, il n’en demeure pas moins que la question de savoir si ladite période est ou non suffisamment longue pour constituer une interruption de l’infraction ne saurait être examinée dans l’abstrait. Au contraire, il convient de l’apprécier dans le contexte du fonctionnement de l’entente en question (arrêt du Tribunal du 19 mai 2010, IMI e.a./Commission, T‑18/05, Rec. p. II‑1769, point 89).

224    Il s’ensuit que, en l’espèce, le décalage d’un peu moins de neuf mois existant entre la participation des requérantes à la réunion de l’entente du 12 ou du 13 mai 1993 à Florence et leur participation à la réunion de l’entente du 8 ou du 9 février 1994 à Tokyo (voire un décalage de onze mois entre la réunion du 12 ou du 13 mai 1993 à Florence et la réunion du 11 avril 1994 à Zurich) est sans incidence. En effet, l’entente en cause s’étendait sur plusieurs années et, dès lors, un décalage de neuf mois entre les différentes manifestations de cette entente, pendant lequel les requérantes ne se sont pas distanciées de celle-ci, importe peu (voir point 180 ci-dessus).

225    Il résulte des éléments qui précèdent que la Commission a établi à suffisance de droit la participation des requérantes à une infraction unique et continue entre le 13 mai 1993 et le 13 mai 2002.

226    Partant, le cinquième moyen doit être rejeté.

 Sur le sixième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation des faits, d’un défaut de motivation et de la violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement en ce qui concerne les circonstances atténuantes

–       Rappel du libellé de la décision attaquée

227    S’agissant de l’absence de participation des requérantes à l’infraction, la Commission a relevé, au considérant 561 de la décision attaquée, les éléments suivants :

« […] rien ne justifie l’application d’une réduction de l’amende en raison de la non-participation pendant toute la durée de l’infraction, car cet élément sera pris en compte dans la détermination de la durée de l’infraction commise. En outre, il a été démontré […] que [les requérantes] ont été parties prenantes dans tous les aspects importants de l’entente, en particulier le partage du marché, la régionalisation de la clientèle et les accords d’augmentation des prix […] »

228    S’agissant de l’absence de mise en œuvre, la Commission a indiqué, au considérant 573 de la décision attaquée, qu’elle « n’[était] tenue de reconnaître l’existence d’une circonstance atténuante du fait de l’absence de mise en œuvre d’une entente que si l’entreprise qui invoqu[ait] cette circonstance p[ouvai]t démontrer qu’elle s’[était] clairement et considérablement opposée à la mise en œuvre de cette entente, au point d’en avoir perturbé le fonctionnement même, et qu’elle n’a[vait] pas adhéré à l’accord en apparence et, de ce fait, incité d’autres entreprises à mettre en œuvre l’entente en cause ». En outre, « [l]a conclusion incontestée de la Commission à ce sujet est […] que les arrangements étaient mis en œuvre » (voir considérant 574 de la décision attaquée). Enfin, au considérant 575 de la décision attaquée, la Commission a considéré que les requérantes « n’[avaie]nt [pas] démontré qu’elles s[‘étaient] clairement et considérablement opposées à la mise en œuvre de cette entente, au point d’avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci, et qu’elles n’[avaie]nt pas adhéré à l’accord en apparence et, de ce fait, n’[avaie]nt pas incité d’autres entreprises à mettre en œuvre l’entente en cause ». Étant donné qu’elles ne s’étaient pas clairement distanciées des résultats de réunions de lutte contre la concurrence auxquelles elles avaient assisté, la Commission a estimé, au même considérant, qu’elles « conserv[ai]ent leur pleine responsabilité du fait de leur participation à l’entente ».

229    S’agissant du rôle passif et/ou mineur, la Commission a indiqué, au considérant 545 de la décision attaquée, qu’elle « accept[ait] qu’un rôle passif ou ‘suiviste’ joué par une entreprise dans une infraction [puisse], s’il est établi, constituer une circonstance atténuante ». Elle précisait toutefois qu’un « rôle passif implique que l’entreprise adopte un ‘profil bas’, c’est-à-dire qu’elle ne participera pas activement à la création d’accords anticoncurrentiels ». Au considérant 550 de la décision attaquée, la Commission a estimé, quant aux requérantes, que « les preuves figurant au dossier indiqu[ai]ent une participation cohérente, régulière et active à l’infraction » et que la « fréquence de leurs contacts avec les autres producteurs pendant toute la période d’infraction […] et en particulier la participation régulière aux réunions entre tous les concurrents [étaient] incompatibles avec toute notion d’acteur passif ».

230    S’agissant de la coercition, la Commission a indiqué, au considérant 578 de la décision attaquée, ce qui suit :

« […] le dossier de la Commission ne contient pas d’éléments probants suffisants montrant que Bayer, DuPont/DDE ou Eni[C]hem ont exercé une pression sur Tosoh et/ou Denka afin qu’elles adhèrent aux arrangements collusoires. De toute façon, même si la coercition avait été prouvée, cela n’aurait pas constitué une circonstance atténuante à l’égard de ces deux entreprises. Une preuve de coercition peut, dans certaines circonstances, donner lieu à une majoration d’amende sur la base du fait que cela constitue une circonstance aggravante ou à la perte de traitement préférentiel en vertu de la communication sur la [coopération de 2002]. Mais une entreprise qui est soumise à des mesures de coercition imposées par d’autres participants afin de l’obliger à participer à une infraction au droit de la concurrence devrait en informer les autorités publiques […]. À la lumière d’une telle possibilité, qui est conforme au droit, une participation à des activités collusoires illicites ne peut se justifier. La déclaration de Denka selon laquelle elle ne pouvait se distancier publiquement en raison de la menace de représailles et qu’elle ne pouvait approcher les autorités de concurrence, étant donné qu’elle ne disposait pas de connaissances internes suffisantes, n’est ainsi pas crédible. »

–       Arguments des parties

231    Les requérantes font valoir que, en écartant leurs arguments concernant les circonstances atténuantes, selon lesquels, premièrement, elles n’ont pas participé à toutes les pratiques alléguées, deuxièmement, elles n’ont pas mis en œuvre l’entente, troisièmement, elles ont joué un rôle exclusivement passif et, quatrièmement, elles ont été contraintes par les producteur européens, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation des faits et a violé l’article 253 CE et les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement.

232    S’agissant de l’absence de participation à certaines des pratiques alléguées, à savoir des accords et pratiques concertées ayant eu pour objet ou pour effet le partage du marché du CR dans l’EEE, la fixation des prix sur ce marché ou la réduction des capacités, les requérantes font valoir à titre subsidiaire que, tout au plus, elles ont participé de manière sporadique à des échanges d’informations ne pouvant, s’agissant des requérantes, être considérées comme sensibles, dans la mesure où ces informations étaient « soit accessibles au public, soit incorrectes ». Partant, elles pourraient uniquement se voir imputer la responsabilité d’un échange d’informations limité, n’ayant pas d’effet défavorable sur la conduite sur le marché de leurs concurrents, n’ayant aucune incidence sur le comportement entièrement indépendant des requérantes sur le marché et, dès lors, ne justifiant pas le montant de l’amende infligée. Elles n’auraient en tout cas participé ni à l’accord de partage de marché, ni aux accords de fixation de prix, ni aux accords de réduction de capacité. Par ailleurs, la possibilité d’imputer la responsabilité exigerait, selon la jurisprudence, la connaissance des pratiques illicites, ce que la Commission n’aurait pas établi en l’espèce à l’égard des fermetures des usines de production de DDE et de Bayer. Le fait que les lignes directrices de 2006 ne prévoient pas explicitement qu’il soit possible de réduire l’amende pour tenir compte de l’absence de participation à l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction alléguée ne signifierait pas qu’il ne serait pas possible d’appliquer une telle réduction.

233    S’agissant de l’absence de mise en œuvre de l’entente, les requérantes soutiennent tout d’abord que la violation constante et systématique des termes de l’entente ne saurait être considérée simplement comme une tricherie aux dépens des autres membres de l’entente, mais plutôt comme une perturbation de l’entente même. L’absence de mise en œuvre étant établie, le montant de l’amende devrait être réduit en vertu du principe de la responsabilité personnelle. Contrairement aux arguments de la Commission, l’absence de distanciation publique ne serait pas pertinente pour la question de savoir si le défaut de mise en œuvre peut être qualifié de circonstance atténuante. Le défaut de mise en œuvre aurait des conséquences sur l’étendue de la responsabilité et donc sur le niveau de la sanction et non pas sur l’existence de celle-ci. Par ailleurs, si la Commission était autorisée à utiliser l’année 2001 comme année de référence pour calculer le montant de l’amende à infliger aux requérantes, ce montant devrait au moins être réduit pour éviter un traitement disproportionné et discriminatoire. Contrairement à ce que prétend la Commission, les requérantes affirment ne jamais avoir tenu compte des informations qui « ont pu être échangées » entre les autres producteurs de CR. La Commission ne contesterait d’ailleurs pas les nombreux éléments de preuve du comportement indépendant des requérantes figurant dans la requête.

234    S’agissant de leur rôle exclusivement passif, les requérantes font valoir qu’elles ont assisté à moins de 21 des 77 réunions de l’entente qui se sont prétendument tenues entre 1993 et 2002, que la plupart des réunions n’avaient aucun contenu anticoncurrentiel et que, en tout état de cause, elles n’ont pas activement participé à l’entente, ont joué un rôle beaucoup moins actif que d’autres participants à l’entente et ont accru leur part de marché tout au long de celle-ci. Le rôle mineur que les requérantes auraient joué au sein de l’entente devrait justifier une réduction significative d’au moins 20 % du montant de l’amende qui leur a été infligée.

235    S’agissant de la contrainte qui aurait été exercée par les producteurs européens, les requérantes, renvoyant à leur premier moyen, soutiennent à titre subsidiaire que le fait qu’elles ont été contraintes de participer à l’entente constitue une circonstance atténuante justifiant une réduction de l’amende.

236    La Commission conteste les arguments des requérantes.

–       Appréciation du Tribunal

237    Selon la jurisprudence, l’octroi d’une diminution du montant de base de l’amende au titre des circonstances atténuantes est nécessairement lié aux circonstances de l’espèce, qui peuvent amener la Commission à ne pas l’accorder à une entreprise partie à un accord illicite. En effet, la reconnaissance du bénéfice d’une circonstance atténuante, dans des situations dans lesquelles une entreprise est partie à un accord manifestement illégal, dont elle savait ou ne pouvait ignorer qu’il constituait une infraction, ne saurait avoir pour conséquence d’ôter l’effet dissuasif à l’amende infligée et porter atteinte à l’effet utile de l’article 81, paragraphe 1, CE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 juillet 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑511/06 P, Rec. p. I‑5843, points 104 et 105, et la jurisprudence citée).

238    Il y a lieu de rappeler qu’il ressort également de la jurisprudence que les lignes directrices que la Commission adopte énoncent une règle de conduite dont elle ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 62 supra, point 209 ; voir également les arrêts cités au point 107 ci-dessus), lequel s’oppose à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente et à ce que des situations différentes soient traitées de manière semblable, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt de la Cour du 15 octobre 2009, Audiolux e.a., C‑101/08, Rec. p. I‑9823, point 54, et la jurisprudence citée).

239    Le paragraphe 29 des lignes directrices de 2006 indique ce qui suit :

« Le montant de base de l’amende peut être réduit lorsque la Commission constate l’existence de circonstances atténuantes, telles que :

–        lorsque l’entreprise concernée apporte la preuve qu’elle a mis fin à l’infraction dès les premières interventions de la Commission. Ceci ne s’appliquera pas aux accords ou pratiques de nature secrète (en particulier les cartels) ;

–        lorsque l’entreprise concernée apporte la preuve que l’infraction a été commise par négligence ;

–        lorsque l’entreprise concernée apporte la preuve que sa participation à l’infraction est substantiellement réduite et démontre par conséquent que, pendant la période au cours de laquelle elle a adhéré aux accords infractionnels, elle s’est effectivement soustraite à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché ; le seul fait qu’une entreprise a participé à une infraction pour une durée plus courte que les autres ne sera pas considéré comme une circonstance atténuante, puisque cette circonstance est déjà reflétée dans le montant de base ;

–        lorsque l’entreprise concernée coopère effectivement avec la Commission, en dehors du champ d’application de la communication sur la [coopération de 2002] et au-delà de ses obligations juridiques de coopérer ;

–        lorsque le comportement anticoncurrentiel a été autorisé ou encouragé par les autorités publiques ou la réglementation. »

240    Ainsi qu’il ressort du paragraphe 29 des lignes directrices de 2006, la Commission n’a aucune obligation de toujours prendre en compte séparément chacune des circonstances atténuantes énumérées : elle « peut » réduire le montant de base. Si les circonstances énumérées dans la liste figurant au paragraphe 29 des lignes directrices de 2006 sont certainement parmi celles qui peuvent être prises en compte par la Commission dans un cas donné, celle-ci n’est pas obligée d’accorder une réduction supplémentaire à ce titre de manière automatique dès qu’une entreprise avance des éléments de nature à indiquer la présence d’une de ces circonstances, le caractère adéquat d’une éventuelle réduction de l’amende au titre des circonstances atténuantes devant être apprécié d’un point de vue global en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes. En effet, l’adoption des lignes directrices n’a pas privé de pertinence la jurisprudence antérieure selon laquelle la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de prendre ou de ne pas prendre en considération certains éléments lorsqu’elle fixe le montant des amendes qu’elle entend infliger, en fonction des circonstances de l’espèce. Ainsi, en l’absence d’indication de nature impérative dans les lignes directrices en ce qui concerne les circonstances atténuantes qui peuvent être prises en compte, il convient de considérer que la Commission a conservé une certaine marge pour apprécier d’une manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes (voir arrêts du Tribunal du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T‑44/00, Rec. p. II‑2223, points 274 et 275, et du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, Rec. p. II‑5169, points 472 et 473, et la jurisprudence citée).

241    En l’espèce, s’agissant, premièrement, du grief selon lequel la Commission aurait dû prendre en considération la non-participation des requérantes à certaines des pratiques alléguées, il y a lieu de rappeler, ainsi qu’il résulte de l’analyse des premier et cinquième moyens, que la Commission a considéré, à bon droit, que les requérantes ont participé à une infraction unique et continue à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE, étendue à l’ensemble du territoire de l’EEE, consistant en des accords et des pratiques concertées visant à s’entendre sur l’attribution et la stabilisation des marchés, des parts de marché et des quotas de vente pour le CR, à coordonner et faire appliquer plusieurs augmentations de prix, à convenir de prix minimaux, à répartir la clientèle et à échanger des informations sensibles sur le plan de la concurrence. Compte tenu du pouvoir d’appréciation dont la Commission dispose lorsqu’elle fixe le montant des amendes qu’elle entend infliger, la Commission pouvait considérer au vu de l’ensemble de ces éléments que le bénéfice de circonstances atténuantes n’était pas justifié.

242    Quant à l’argument des requérantes selon lequel la Commission aurait dû démontrer leur connaissance des fermetures des usines de production de DDE et de Bayer, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, s’agissant d’une infraction unique et continue, une entreprise ayant participé à une infraction par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée tombant sous le coup de l’article 81, paragraphe 1, CE et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble, peut être également responsable, pour toute la période de sa participation à ladite infraction, des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction. Tel est le cas lorsqu’il est établi que l’entreprise en question connaissait les comportements infractionnels des autres participants ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (voir arrêt BASF et UCB/Commission, point 126 supra, point 160, et la jurisprudence citée).

243    Or, en l’espèce, il ressort de la décision attaquée (voir considérants 335 et 358 à 360) que les fermetures des usines de production de DDE et de Bayer concordaient avec la stratégie de régionalisation convenue entre les concurrents et faisaient donc partie, en tant qu’une pratique concertée, de l’infraction unique et continue. Il ressort également de la décision attaquée (voir considérants 205, 208, 217 et 222) et de l’analyse des premier et cinquième moyens que les requérantes ont participé aux réunions pendant lesquelles DDE et Bayer ont informé leurs concurrents, à un stade précoce, des fermetures de leurs usines. Les requérantes avaient donc connaissance des comportements infractionnels mis en œuvre par Bayer et DDE dans le cadre de l’entente en cause.

244    Il s’ensuit que la Commission n’a pas dépassé les limites du pouvoir d’appréciation dont elle dispose en la matière en ne retenant pas, à titre de circonstance atténuante qui justifierait une réduction de l’amende, le fait, à le supposer établi, que les requérantes n’aient pas participé à tous les éléments constitutifs de l’entente en cause. L’erreur manifeste d’appréciation des faits n’est donc pas établie.

245    Par ailleurs, d’une part, les requérantes n’expliquent pas en quoi, en ne leur reconnaissant pas le bénéfice d’une circonstance atténuante de ce fait, la Commission aurait violé le principe de proportionnalité ou le principe d’égalité de traitement. D’autre part, il ressort du considérant 561 de la décision attaquée que la Commission a motivé sa position à cet égard.

246    Partant, le premier grief doit être rejeté.

247    S’agissant, deuxièmement, du grief selon lequel la Commission aurait dû prendre en considération l’absence de mise en œuvre de l’entente, il résulte de l’analyse du quatrième moyen qu’il ne peut être considéré que les requérantes n’ont pas profité des effets anticoncurrentiels de l’entente et, partant, qu’elles ne l’ont pas mise en œuvre. Même à supposer que, en augmentant leur part de marché tout au long de l’entente, les requérantes n’aient pas respecté l’accord de partage de marché, l’entente portait également sur les prix. Dans ces circonstances, ayant participé à une entente anticoncurrentielle pendant neuf ans, les affirmations des requérantes selon lesquelles elles auraient déployé un comportement indépendant sur le marché ou encore n’auraient jamais tenu compte des informations qui « ont pu être échangées » lors des réunions secrètes de l’entente sont dépourvues de crédibilité.

248    Les requérantes n’ont pas davantage établi qu’elles s’étaient opposées à l’entente au point d’en perturber le bon fonctionnement, standard qui est pourtant imposé par la jurisprudence afin de reconnaître une absence de mise en œuvre de l’entente justifiant une réduction de l’amende au titre des circonstances atténuantes. En effet, selon la jurisprudence, la Commission n’est tenue de reconnaître l’existence d’une circonstance atténuante du fait de l’absence de mise en œuvre d’une entente que si l’entreprise qui invoque cette circonstance peut démontrer qu’elle s’est clairement et de manière considérable opposée à la mise en œuvre de cette entente, au point d’avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci, et qu’elle n’a pas adhéré à l’accord en apparence et, de ce fait, incité d’autres entreprises à mettre en œuvre l’entente en cause. Le fait qu’une entreprise, dont la participation à une concertation avec ses concurrents pour partager les marchés est établie, ne se soit pas comportée sur le marché d’une manière conforme à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l’amende à infliger (voir arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 240 supra, point 277, et la jurisprudence citée).

249    En outre, il résulte de l’analyse du quatrième moyen qu’en retenant la valeur des ventes de l’année 2001 pour calculer le montant de l’amende la Commission a correctement pris en compte l’ampleur de l’infraction commise par les requérantes, appréciée globalement, tout en évitant une éventuelle discrimination entre les participants.

250    Il s’ensuit que la Commission n’a pas dépassé les limites du pouvoir d’appréciation dont elle dispose en la matière en ne retenant pas, à titre de circonstance atténuante qui justifierait une réduction de l’amende, la prétendue absence de mise en œuvre de l’entente par les requérantes. L’erreur manifeste d’appréciation des faits n’est donc pas établie.

251    Par ailleurs, d’une part, les requérantes n’expliquent pas, hormis dans le cadre de leur contestation de la prise en compte de la valeur des ventes de l’année 2001, en quoi, en ne leur reconnaissant pas le bénéfice d’une circonstance atténuante pour leur prétendue absence de mise en œuvre de l’entente, la Commission aurait violé le principe de proportionnalité ou le principe d’égalité de traitement. D’autre part, il ressort des considérants 573 à 575 de la décision attaquée que la Commission a motivé sa position à cet égard.

252    Partant, le deuxième grief doit être rejeté.

253    S’agissant, troisièmement, du grief selon lequel la Commission aurait dû prendre en considération le rôle exclusivement passif des requérantes dans l’entente, il y a lieu de relever, d’une part, que, comme l’indique la Commission dans la duplique, si cette circonstance était expressément citée en tant que circonstance atténuante éventuelle dans les lignes directrices de 1998, elle ne figure plus parmi les circonstances atténuantes pouvant être retenues en application des lignes directrices de 2006. Ainsi, cela manifeste un choix politique délibéré de ne plus « encourager » le comportement passif des participants à une infraction aux règles de concurrence. Or, ce choix relève de la marge d’appréciation de la Commission dans la détermination et la mise en œuvre de la politique de concurrence.

254    D’autre part, la position « exclusivement passive ou suiviste » d’une entreprise dans la réalisation de l’infraction implique, par définition, l’adoption par l’entreprise concernée d’un « profil bas », c’est-à-dire une absence de participation active à l’élaboration du ou des accords anticoncurrentiels (arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T‑220/00, Rec. p. II‑2473, point 167). Il ressort de la jurisprudence que, parmi les éléments de nature à révéler le rôle passif d’une entreprise au sein d’une entente, peuvent être pris en compte le caractère sensiblement plus sporadique de ses participations aux réunions par rapport aux membres ordinaires de l’entente de même que l’existence de déclarations expresses quant au rôle joué par cette entreprise dans l’entente et émanant de représentants d’entreprises tierces ayant participé à l’infraction, en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes du cas d’espèce (voir arrêt Cheil Jedang/Commission, précité, point 168, et la jurisprudence citée).

255    Or, en l’espèce, les requérantes ont participé à un nombre non négligeable de réunions de l’entente, dont le caractère anticoncurrentiel a été établi (voir points 201 à 224 ci-dessus), et ont reconnu avoir fourni certaines informations à leurs concurrents. Quand bien même ces informations auraient été erronées et/ou disponibles par ailleurs, elles n’en ont pas moins donné l’impression à leurs concurrents de prendre part à l’entente et, ainsi, ont contribué à l’encourager. En outre, aucun des participants à l’entente en cause n’a indiqué que les requérantes avaient adopté un « profil bas » au cours de l’infraction. Pour ces raisons, il ne peut être considéré que leur rôle a été exclusivement passif.

256    Il s’ensuit que la Commission n’a pas dépassé les limites du pouvoir d’appréciation dont elle dispose en la matière en ne retenant pas, à titre de circonstance atténuante justifiant une réduction de l’amende, le prétendu rôle exclusivement passif des requérantes. L’erreur manifeste d’appréciation des faits n’est donc pas établie.

257    Par ailleurs, d’une part, les requérantes n’expliquent pas en quoi, en ne leur reconnaissant pas le bénéfice d’une circonstance atténuante de ce fait, la Commission aurait violé le principe de proportionnalité ou le principe d’égalité de traitement. D’autre part, il ressort des considérants 545 et 560 de la décision attaquée que la Commission a motivé sa position à cet égard.

258    Partant, le troisième grief doit être rejeté.

259    S’agissant, quatrièmement, du grief selon lequel la Commission aurait dû prendre en considération la contrainte qui aurait été exercée sur les requérantes par les producteurs européens, il suffit de relever que cette contrainte n’a pas été établie (voir point 61 ci-dessus).

260    Par ailleurs, d’une part, les requérantes n’expliquent pas en quoi, en ne leur reconnaissant pas le bénéfice d’une circonstance atténuante du fait de l’existence d’une contrainte (à la supposer établie), la Commission aurait violé le principe de proportionnalité ou le principe d’égalité de traitement. D’autre part, il ressort du considérant 578 de la décision attaquée que la Commission a motivé sa position à cet égard.

261    Partant, le quatrième grief doit être rejeté.

262    Il s’ensuit que le sixième moyen doit être rejeté.

263    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le premier chef de conclusions des requérantes visant à l’annulation des articles 1er, 2 et 3 de la décision attaquée, dans la mesure où ils concernent les requérantes, doit être rejeté.

264    S’agissant du deuxième chef de conclusions relatif à la réduction de l’amende infligée aux requérantes, certes, la compétence de pleine juridiction conférée, en application de l’article 229 CE, au Tribunal en matière de concurrence par l’article 31 du règlement n° 1/2003 habilite cette juridiction, au-delà du simple contrôle de légalité, qui ne permet que de rejeter le recours en annulation ou d’annuler l’acte attaqué, à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, en tenant compte de toutes les circonstances de fait, afin de modifier le montant de l’amende (voir arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, Rec. p. I‑7415, point 86, et la jurisprudence citée). Toutefois, en l’espèce, le Tribunal considère qu’il n’existe aucune raison pour diminuer le montant de l’amende en application de cette compétence.

265    Au vu de tout ce qui précède, le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

266    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Denki Kagaku Kogyo Kabushiki Kaisha et Denka Chemicals GmbH sont condamnées aux dépens.

Dittrich

Wiszniewska-Białecka

Prek

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 février 2012.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Requérantes et produit concerné

Procédure devant la Commission

Décision attaquée

Procédure

Conclusions des parties

En droit

Sur les moyens invoqués à titre principal, tendant à l’annulation de la décision attaquée

Sur le premier moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation des faits en ce qui concerne la participation des requérantes à une violation de l’article 81 CE

– Rappel du libellé de la décision attaquée

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le deuxième moyen, tiré de la violation des droits de la défense, de l’obligation de motivation et du principe de bonne administration

– Rappel du libellé de la décision attaquée

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur les moyens invoqués à titre subsidiaire, tendant à la réduction du montant de l’amende

Sur le troisième moyen, tiré de la violation des principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité du fait de l’application des lignes directrices de 2006

– Rappel du libellé de la décision attaquée

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le quatrième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation des faits et de la violation du principe de proportionnalité lors du calcul de la valeur des ventes

– Rappel du libellé de la décision attaquée

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le cinquième moyen, tiré de la détermination erronée de la durée de la participation des requérantes à l’entente

– Rappel du libellé de la décision attaquée

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le sixième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation des faits, d’un défaut de motivation et de la violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement en ce qui concerne les circonstances atténuantes

– Rappel du libellé de la décision attaquée

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.



Version publique


1 « Données confidentielles occultées »