Language of document : ECLI:EU:T:2012:47

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

2 février 2012(*)

« Concurrence – Ententes – Marché du caoutchouc chloroprène – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE – Fixation des prix – Répartition du marché – Imputabilité du comportement infractionnel – Entreprise commune – Lignes directrices pour le calcul des amendes – Circonstances atténuantes – Coopération »

Dans l’affaire T‑77/08,

The Dow Chemical Company, établie à Midland, Michigan (États-Unis), représentée par Mes D. Schroeder et T. Graf, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. X. Lewis et V. Bottka, puis par MM. Bottka et V. Di Bucci, et enfin par MM. Bottka, P. Van Nuffel et L. Malferrari, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation de la décision C (2007) 5910 final de la Commission, du 5 décembre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/38629 – Caoutchouc chloroprène), telle que modifiée par la décision C (2008) 2974 final de la Commission, du 23 juin 2008, dans la mesure où elle concerne la requérante, et, à titre subsidiaire, une demande de réduction du montant de l’amende infligée à la requérante par cette décision,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. A. Dittrich, président, Mme I. Wiszniewska-Białecka (rapporteur) et M. M. Prek, juges,

greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 février 2011,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

 Requérante et produit concerné

1        La requérante, The Dow Chemical Company (ci-après « Dow »), a introduit le présent recours contre la décision C (2007) 5910 final de la Commission, du 5 décembre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/38629 – Caoutchouc chloroprène) (ci-après la « décision du 5 décembre 2007 »), telle que modifiée par la décision C (2008) 2974 final de la Commission, du 23 juin 2008 (ci-après la décision modificative du 23 juin 2008 »). La décision du 5 décembre 2007 modifiée par la décision modificative du 23 juin 2008 est ci-après dénommée la « décision attaquée ».

2        Le 1er avril 1996, Dow a acquis 50 % des parts de DuPont Dow Elastomers LLC (ci-après « DDE »), une entreprise commune détenue à parts égales avec EI du Pont de Nemours and Company (ci-après « EI DuPont ») et qui était active sur le marché du caoutchouc chloroprène (ci-après le « CR »). Dow a détenu une participation dans DDE jusqu’au 30 juin 2005, date à laquelle DDE a cessé d’être une entreprise commune pour devenir DuPont Performance Elastomers LLC (ci-après « DPE LLC »), une filiale à 100 % de EI DuPont. Le bureau régional de DDE pour l’Europe, DuPont Dow Elastomers SA, est devenu DuPont Performance Elastomers SA (ci-après « DPE SA »), une filiale à 100 % de DPE LLC (voir considérants 28 à 40 de la décision attaquée).

3        Le CR est un caoutchouc synthétique qui se compose d’un polymère de fabrication artificielle faisant office d’élastomère. Le CR est utilisé principalement dans la fabrication de pièces techniques en caoutchouc, tels que des câbles, des tuyaux ou des courroies de transmission, dans celle d’adhésifs destinés notamment aux industries de la chaussure et du meuble, tels que des semelles, des talons et des tissus enduits, et dans celle de latex pour les équipements de plongée, les modifications bitumeuses et la semelle intérieure des chaussures (voir considérants 7 à 11 de la décision attaquée).

4        Les autres destinataires de la décision attaquée sont : Bayer AG , Denki Kagaku Kogyo KK, Denka Chemicals GmbH, ENI SpA, Polimeri Europa SpA, Tosoh Corp., Tosoh Europe BV, EI DuPont, DPE SA et DPE LLC.

 Procédure devant la Commission

5        Le 18 décembre 2002, Bayer a informé la Commission des Communautés européennes [confidentiel] (1) et a exprimé son souhait de coopérer avec la Commission dans les conditions prévues dans la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la « communication sur la coopération de 2002 »). Par décision du 27 janvier 2003, la Commission a accordé à Bayer l’immunité conditionnelle d’amendes (voir considérant 60 de la décision attaquée).

6        À la suite de la communication d’informations par Bayer, la Commission a procédé à des vérifications inopinées dans les installations de Dow Deutschland Inc., le 27 mars 2003, et dans les bâtiments de Denka Chemicals, le 9 juillet 2003 (voir considérants 61 et 62 de la décision attaquée).

7        Le 15 juillet et le 21 novembre 2003, Tosoh Corp., Tosoh Europe et DDE ont respectivement introduit une demande de clémence conformément à la communication sur la coopération de 2002.

8        En mars 2005, la Commission a envoyé ses premières demandes de renseignements aux entreprises destinataires de la décision attaquée, au titre de l’article 18 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1).

9        Par lettres du 7 mars 2007, la Commission a informé Tosoh Corp., Tosoh Europe et DDE de sa conclusion provisoire selon laquelle les éléments de preuve qu’elles lui avaient communiqués présentaient une valeur ajoutée significative au sens du paragraphe 22 de la communication sur la coopération de 2002 et, partant, de son intention de réduire le montant de l’amende qui leur serait infligée dans une des fourchettes visées au paragraphe 23, sous b), premier alinéa, de ladite communication, à savoir une réduction de 30 à 50 % pour Tosoh Corp. et Tosoh Europe et une réduction de 20 à 30 % pour DDE (voir considérants 63 à 66 de la décision attaquée).

10      Le 13 mars 2007, la Commission a engagé la procédure et a adopté une communication des griefs concernant une infraction à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (ci-après l’« accord EEE »), adressée à douze entreprises, dont la requérante. Tous les destinataires de la communication des griefs ont soumis des observations par écrit en réponse aux griefs soulevés par la Commission et ont exercé leur droit à être entendus lors d’une audition, qui s’est tenue le 21 juin 2007 (voir considérants 68 à 72 de la décision attaquée).

 Décision attaquée

11      Dans la décision modificative du 23 juin 2008, adressée uniquement à EI DuPont, à DPE LLC, à DPE SA et à Dow, la Commission a notamment expliqué qu’elle avait commis une erreur factuelle dans la décision du 5 décembre 2007.

12      Il ressort de la décision du 5 décembre 2007 que, entre 1993 et 2002, plusieurs producteurs de CR ont participé à une infraction unique et continue à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE, étendue à l’ensemble du territoire de l’Espace économique européen (EEE), consistant en des accords et des pratiques concertées en ce qui concerne l’attribution et la stabilisation des marchés, des parts de marché et des quotas de vente pour le CR, à coordonner et à faire appliquer plusieurs augmentations de prix, à convenir de prix minimaux, à répartir la clientèle et à échanger des informations sensibles sur le plan de la concurrence (voir considérants 2 à 3 et 81 à 122 de la décision attaquée). Ces producteurs se réunissaient de façon régulière, plusieurs fois par an, dans des réunions multilatérales, trilatérales ou bilatérales (voir considérants 94 à 116 de la décision attaquée).

13      Aux termes des articles 1er à 3 de la décision du 5 décembre 2007 :

« Article premier

Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE] et, à partir du 1er janvier 1994, l’article 53 de l’accord EEE en participant, durant les périodes indiquées, à un accord unique et continu et à des pratiques concertées dans le secteur du [CR] :

a)      Bayer […] : du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 ;

b)      [EI DuPont] : du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 ; [DPE] SA, [DPE] LLC et [Dow] : du 1er avril 1996 au 13 mai 2002 ;

c)      Denki Kagaku Kogyo […]  et Denka Chemicals […] : du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 ;

d)      ENI […] et Polimeri Europa […] : du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 ;

e)      Tosoh Corp[.] et Tosoh Europe […] : du 13 mai 1993 au 13 mai 2002.

Article 2

Les amendes suivantes sont infligées pour l’infraction visée à l’article 1er :

a)      Bayer AG : 0 [euros] ;

b)      [EI DuPont] : 59 250 000 [euros] [dont] ; solidairement avec

i)      [DPE] SA : 44 250 000 [euros]  et

ii)      [DPE] LLC : 44 250 000 [euros] et

iii)      [Dow] : 48 675 000 [euros] ;

c)      Denki Kagaku Kogyo […]  et Denka Chemicals […] ;
solidairement : 47 000 000 [euros] ;

d)      ENI […]  et Polimeri Europa […] ;
solidairement : 132 160 000 [euros] ;

e)      Tosoh Corp[.] et Tosoh Europe […], 
solidairement :          4 800 000 [euros] 

[…]

Article 3

Les entreprises précitées mettent immédiatement fin aux infractions visées à l’article 1er, dans la mesure où elles ne l’ont pas déjà fait.

Elles s’abstiennent de répéter tout acte ou comportement décrit à l’article 1er, ainsi que tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire. »

14      Pour fixer le montant de base des amendes, la Commission s’est fondée sur ses lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 »). Elle a pris en compte une proportion de la valeur des ventes de CR réalisées par chaque entreprise au sein de l’EEE durant l’année calendaire 2001, dernière année complète de participation à l’infraction, multipliée par le nombre d’années d’infraction (voir considérants 521 et 523 de la décision attaquée).

15      En vue de déterminer la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte, la Commission a considéré que les accords horizontaux de partage de marché et de fixation de prix comptaient, par leur nature même, parmi les restrictions de concurrence les plus graves (voir considérant 525 de la décision attaquée). À cet égard, la Commission a également estimé que la part de marché combinée des entreprises participant à l’infraction s’élevait à 100 % au sein de l’EEE, que l’étendue géographique de l’infraction était mondiale et que l’infraction avait été mise en œuvre systématiquement (voir considérant 526 de la décision attaquée).

16      La Commission a décidé que la proportion de la valeur des ventes de chaque entreprise impliquée, dont il devait être tenu compte pour établir le montant de base de l’amende à infliger, était de 21 % (voir considérant 535 de la décision attaquée).

17      En raison de la participation à l’infraction pendant une durée de neuf ans pour EI DuPont, Bayer, Denki Kagaku Kogyo et Denka Chemicals (ci-après, prises ensemble, « Denka »), ENI et Polimeri Europa (ci-après, prises ensemble, « EniChem ») et Tosoh Corp. et Tosoh Europe (ci-après, prises ensemble, « Tosoh »), et pendant une durée de six ans et un mois pour DPE LLC, DPE SA et Dow, la Commission a, en application du paragraphe 24 des lignes directrices de 2006, multiplié par neuf les montants de départ des amendes déterminés en fonction de la valeur des ventes d’EI DuPont, de Bayer, de Denka, d’EniChem et de Tosoh et par six et demi les montants de départ des amendes déterminés en fonction de la valeur des ventes de DPE LLC, de DPE SA et de Dow (voir considérant 536 de la décision attaquée).

18      Afin de dissuader les entreprises de participer à un accord relatif à un partage du marché ou à des accords horizontaux de fixation de prix tels que ceux en cause en l’espèce et en prenant en compte en particulier les éléments mentionnés au point 14 ci-dessus, la Commission a, en application du paragraphe 25 des lignes directrices de 2006, inclus dans le montant de base des amendes un montant additionnel de 20 % de la valeur des ventes (voir considérant 537 de la décision attaquée).

19      Par ailleurs, la Commission a considéré qu’EI DuPont et Dow, en tant que sociétés mères de l’entreprise commune DDE, devaient être tenues pour solidairement responsables du comportement de cette entreprise commune pendant la période allant du 1er avril 1996 au 13 mai 2002 (voir considérants 420 à 440 de la décision attaquée). En outre, étant donné que, après qu’il a été mis fin à l’infraction, DPE LLC et DPE SA ont repris les activités de DDE sur le marché du CR, elle a considéré que, en tant que successeurs de DDE, DPE LLC et DPE SA devaient également être tenues pour solidairement responsables du comportement de DDE entre le 1er avril 1996 et le 13 mai 2002 (voir considérants 441 et 442 de la décision attaquée).

20      Au vu de ces éléments, le montant de base de l’amende à infliger à EI DuPont a été fixé à 79 millions d’euros, dont 59 millions à payer solidairement avec DPE LLC, DPE SA et Dow (voir considérant 539 de la décision attaquée).

21      S’agissant des ajustements des montants de base des amendes, au titre des circonstances aggravantes, aucune majoration n’a été appliquée à l’amende à infliger à la requérante, dans la mesure où aucune circonstance aggravante n’a été retenue à son égard.

22      La Commission a ensuite appliqué à l’amende de certains destinataires de la décision attaquée une majoration spécifique afin de garantir un effet suffisamment dissuasif aux amendes, en tenant compte du niveau du chiffre d’affaires de ces entreprises au‑delà des biens et des services auxquels l’infraction se réfère. Le montant de base de l’amende à infliger à la requérante a été multiplié par 1,1 et le montant de base de l’amende à infliger à EniChem a été multiplié par 1,4 (voir considérants 583 à 586 de la décision attaquée).

23      Partant, le montant de base de l’amende à infliger à EI DuPont a été fixé à 79 millions d’euros, dont 59 millions à payer solidairement avec DPE LLC et DPE SA et 64,9 millions à payer solidairement avec la requérante (voir considérant 587 de la décision attaquée).

24      S’agissant de l’application de la communication sur la coopération de 2002, la Commission a accordé une réduction du montant de base de l’amende de 100 % à Bayer, de 50 % à Tosoh et de 25 % à EI DuPont, DPE LLC, DPE SA et Dow (voir considérants 591 à 638 de la décision attaquée).

25      Le montant de l’amende infligée à EI DuPont a ainsi été fixé à 59,25 millions d’euros dont 44,25 millions solidairement avec DPE LLC et DPE SA et 48,675 millions solidairement avec la requérante (voir considérant 655 de la décision attaquée).

26      Après avoir mis les entreprises concernées en mesure de communiquer leurs observations, la Commission a adopté la décision modificative du 23 juin 2008 (voir point 1 ci‑dessus). En vertu de cette décision, la requérante est seule responsable du paiement d’une amende de 4,425 millions d’euros, le montant de l’amende au paiement de laquelle EI DuPont et la requérante sont tenues pour solidairement responsables étant ramené à 44,25 millions d’euros. Il est également indiqué dans cette décision que la Commission s’est rendu compte qu’elle avait commis une erreur factuelle dans le calcul du montant de l’amende à payer par EI DuPont, dans la mesure où ce montant était le résultat de l’application du coefficient multiplicateur de dissuasion de 10 % à la seule amende de la requérante.

27      La décision modificative du 23 juin 2008 comprend notamment la disposition suivante :

« Article premier

Dans l’article 2 de la [décision du 5 décembre 2007], le premier paragraphe est modifié comme suit :

1)      le texte sous b) est remplacé par le texte suivant :

b)      [EI DuPont] : 59 250 000 [euros] ; solidairement avec

i)            [DPE] SA  pour 44 250 000 [euros] et
ii)            [DPE] LLC  pour 44 250 000 [euros] et
iii)            [Dow]                          pour 44 250 000 [euros] ;

2)      le point suivant f) est ajouté :

f)      [Dow] : 4 425 000 [euros]. »

 Procédure et conclusions des parties

28      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 février 2008, la requérante a introduit le présent recours.

29      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, a invité la Commission à produire certains documents et lui a posé par écrit des questions. La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti.

30      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 10 février 2011.

31      Dans la requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision du 5 décembre 2007 dans la mesure où elle la concerne ;

–        à titre subsidiaire, réduire l’amende qui lui est infligée;

–        condamner la Commission aux dépens.

32      Dans la réplique, la requérante demande à pouvoir modifier son premier chef de conclusions en ce sens qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée, dans la mesure où ladite décision la concerne.

33      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

34      Dans la duplique, la Commission déclare ne pas s’opposer à la modification, par la requérante, de son premier chef de conclusions de façon qu’il vise la décision attaquée.

 En droit

35      À titre liminaire, il convient de rappeler que, lorsqu’une décision est, en cours de procédure, remplacée par une décision ayant le même objet, celle-ci doit être considérée comme un élément nouveau permettant au requérant d’adapter ses conclusions et moyens. Il serait, en effet, contraire à une bonne administration de la justice et à une exigence d’économie de procédure d’obliger le requérant à introduire un nouveau recours (voir arrêt du Tribunal du 11 juin 2009, Othman/Conseil et Commission, T‑318/01, Rec. p. II‑1627, et la jurisprudence citée). Il doit en aller de même lorsque, en cours d’instance, l’institution qui a adopté l’acte faisant l’objet du recours apporte à cet acte des modifications visant à le remplacer partiellement sans modifier son objet.

36      En l’espèce, il y a donc lieu de faire droit à la demande de la requérante et de lui permettre de reformuler ses conclusions, moyens et arguments à la lumière des modifications apportées par la Commission à la décision du 5 décembre 2007. Dès lors, il y a lieu de considérer que le présent recours tend à l’annulation de la décision attaquée, dans la mesure où elle concerne la requérante, et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende infligée à la requérante par la décision du 5 décembre 2007, telle qu’elle a été fixée par la décision modificative du 23 juin 2008.

37      À l’appui de son recours, la requérante invoque deux moyens. Le premier est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation des faits et d’erreurs de droit que la Commission a commises en concluant qu’elle avait participé à l’infraction commise par DDE (entreprise commune de la requérante et EI DuPont) ou en la tenant pour responsable de cette infraction. Le second, soulevé à titre subsidiaire, est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation des faits et d’erreurs de droit que la Commission a commises dans la détermination du montant de l’amende qui lui a été infligée.

 Sur le premier moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation des faits et d’erreurs de droit que la Commission a commises en concluant que la requérante avait participé à l’infraction commise par DDE ou en la tenant pour responsable de cette infraction

 Rappel du libellé de la décision attaquée

38      Au considérant 31 de la décision attaquée, la Commission a constaté que DDE avait été créée sur la base d’un acte constitutif, signé le 16 janvier 1996, et d’un accord instituant une société à responsabilité limitée (ci-après l’« accord LLC ») conclu entre Dow, EI DuPont, Wenben Inc. et DuPont Elastomers Inc. Ces deux dernières sociétés étaient les sociétés mères de DDE et des filiales à 100 %, respectivement, de Dow et de EI DuPont et détenaient chacune en vertu de l’accord LLC, 50 % des actions de DDE.

39      Aux considérants 420 et 421 de la décision attaquée, la Commission a estimé que, en tant que sociétés mères de DDE, EI DuPont et Dow devaient être tenues pour solidairement responsables du comportement de DDE pendant la période allant du 1er avril 1996 au 13 mai 2002, dès lors que « des facteurs objectifs démontr[aie]nt que DDE n’a[vait] pas joui d’une position autonome, mais […] que Dow et [EI] DuPont [avaient] exercé, sur un même pied d’égalité, une influence [déterminante] sur la conduite et les politiques commerciales de l’entreprise commune ».

40      Tout d’abord, au considérant 422 de la décision attaquée, la Commission a relevé que « les responsabilités du ‘comité des membres’ et la composition de celui-ci par des cadres supérieurs exécutifs provenant des sociétés mères et chargés de les représenter montrent que le pouvoir d’influencer le comportement de marché général de DDE se trouv[ait] entre les mains des sociétés mères ». Aux considérants 423 à 425 de la décision attaquée, la Commission a motivé cette considération comme suit :

« (423)Les sociétés mères ont institué un ‘comité des membres’ chargé de superviser les affaires de DDE et d’approuver certaines questions se rapportant à la direction stratégique de cette entreprise. De façon notoire, le comité des membres disposait de pouvoirs pour arrêter la politique globale et la vision de DDE, approuver les plans d’affaires et les plans stratégiques ainsi que les plans opérationnels annuels de DDE, élire et nommer les membres du conseil d’administration de DDE, déterminer la politique bancaire de DDE et approuver toutes les dépenses d’investissement et tous les emprunts réalisés par DDE à partir de certains niveaux (sections 7.4. et 9.1 de l’accord LLC). Le comité des membres disposait également des pouvoirs de modifier le champ d’application des affaires, de liquider DDE ou de la dissoudre autrement ou d’approuver sa fusion ou [sa] consolidation (section 6.1. de l’accord LLC). Ces tâches étaient expressément réservées à l’autorité exclusive du comité des membres. Les sociétés mères disposaient également en général d’un droit de délégation au comité des membres de tout pouvoir et toute autorité nécessaires à la gestion de l’entreprise.

(424)       [EI] DuPont et Dow avaient chacune le droit de nommer un nombre égal de membres représentants au comité des membres. Les décisions du comité des membres étaient prises à l’unanimité, chaque actionnaire disposant d’un droit de veto absolu. En conséquence, aucun des actionnaires n’avait individuellement le pouvoir d’exercer une influence [déterminante] sur DDE […]

(425)       Les représentants du comité des membres n’étaient pas des salariés de DDE, mais bien des salariés d[’EI] DuPont et de Dow respectivement. Les représentants tant de Dow que d[’EI] DuPont étaient issus du niveau des cadres supérieurs exécutifs […] L’inexistence d’un ‘conseil d’administration avec des représentants extérieurs’ indépendant est l’un des facteurs employés par la Cour de justice dans son raisonnement dans [l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925] pour rejeter la demande de recours autonome adressée par la filiale […] »

41      Ensuite, la Commission a indiqué, aux considérants 426 et 427 de la décision attaquée, que le comité des membres « avait le droit de désigner les dirigeants de DDE, [qui étaient] responsables de la gestion quotidienne des affaires sous réserve de la conduite générale et du contrôle exercés par le comité des membres (section 9.1. de l’accord LLC) », que « [l]es personnes élues aux postes de haute direction chez DDE étaient issues d’un niveau de haute direction des sociétés mères respectives, Dow et [EI] DuPont » et que « [l]e fait de faire confiance à des personnes ayant des positions consécutives au sein des sociétés mères et de l’entreprise commune est un mécanisme classique qui permet de s’assurer de l’afflux d’informations et d’une cohérence entre les membres du groupe (dans [la présente] affaire entre l’entreprise commune et la société mère) et garantit la prévisibilité de la gestion et des aspects politiques ».

42      Enfin, la Commission a relevé, au considérant 428 de la décision attaquée, que, « en tant que participant à l’entente jusqu’au transfert de sa branche d’activité CR à DDE, [EI] DuPont n’ignorait certainement pas l’existence de l’entente et [devait] avoir eu connaissance de la participation de DDE à celle-ci », que « Dow était vraisemblablement également au courant de l’existence de l’entente » et qu’« [i]l s’agi[ssait] d’un facteur additionnel qui démontr[ait] qu[’EI] DuPont et Dow [avaient] exercé une influence [déterminante] sur le comportement de DDE ».

43      La Commission a constaté, au considérant 432 de la décision attaquée, que le pouvoir de direction conjoint d’EI DuPont et de Dow sur la conduite et la politique commerciales de DDE et le fait que ces sociétés mères avaient exercé ce pouvoir sur un pied d’égalité avaient été démontrés sur la base de l’accord LLC et que, partant, la constatation de la responsabilité des deux sociétés mères était conforme à l’arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Avebe/Commission (T‑314/01, Rec. p. II‑3085, ci‑après l’« arrêt Avebe »). Elle a ajouté, au considérant 434 de la décision attaquée, que, « [d]ans le cas d’une entreprise commune, il [était] possible de découvrir que l’entreprise commune et les sociétés mères [formaient] ensemble une unité économique pour les besoins de l’application de l’article 81 CE si l’entreprise commune n’a pas décidé de manière autonome de sa conduite sur le marché ».

44      Sur la base de ce qui précède, la Commission a estimé, au considérant 442 de la décision attaquée, que « Dow, [EI] DuPont, DPE [LLC] et DPE SA [devaient] être tenues [pour] solidairement responsables de la conduite de DDE entre le 1er avril 1996 et le 13 mai 2002 ».

 Arguments des parties

–       Sur la première branche, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation des faits et d’une erreur de droit ainsi que d’une violation des droits de la défense en ce qui concerne la connaissance par la requérante de l’existence de l’entente

45      La requérante soutient que l’hypothèse de la Commission selon laquelle elle aurait connu l’existence de l’entente est l’un des trois éléments sur lesquels celle-ci a fondé sa conclusion selon laquelle DDE ne jouissait pas d’une position autonome sur le marché et selon laquelle la requérante et EI DuPont avaient exercé une influence déterminante sur DDE. Cette hypothèse serait elle-même fondée sur la supposition selon laquelle le comité des membres, en discutant de la fermeture de l’usine de production de DDE en Irlande du Nord, se serait référé à l’entente. Or, cela n’aurait pas été le cas. Elle affirme n’avoir aucunement été au courant de l’existence de l’entente avant 2003. En outre, elle fait valoir que la Commission n’a pas expliqué dans la décision attaquée les raisons pour lesquelles il aurait dû être fait référence à l’entente lorsque le comité des membres a discuté de la fermeture de l’usine et n’a pas apporté d’élément démontrant qu’elle aurait été informée de l’infraction. À cet égard, les caractéristiques économiques de l’entente ou la stratégie de régionalisation seraient sans pertinence.

46      La requérante estime qu’une telle erreur manifeste d’appréciation devrait entraîner l’annulation de la décision attaquée, dans la mesure où la supposition selon laquelle elle aurait été informée de l’infraction serait une des rares raisons données par la Commission pour lui imputer la responsabilité de l’entente.

47      Selon la requérante, le procès-verbal de la réunion du comité des membres du 16 janvier 1998 montrerait en fait que la fermeture était fondée sur des motifs économiques tout à fait raisonnables et que ce sont ces justifications indépendantes qui ont été avancées pour justifier la fermeture de l’usine auprès de ses représentants au sein du comité des membres. Aucun élément n’aurait incité la direction de DDE à révéler à cette occasion leurs activités collusoires.

48      La requérante fait observer qu’une enquête a été menée auprès de DDE au cours de la procédure administrative par un consultant indépendant, dont la déposition a été jointe à la réponse à la communication des griefs. Dans le cadre de ladite enquête, il n’aurait été découvert aucun fait susceptible d’indiquer ou de laisser penser que les membres du comité des membres auraient eu connaissance d’une activité illicite. Elle invite également le Tribunal à permettre à ce consultant de témoigner oralement du fait qu’elle n’avait pas connaissance de l’infraction commise par DDE. La crédibilité de cette enquête interne et de cette déclaration ne serait pas entachée, en ce qui concerne la requérante, par le fait qu’EI DuPont et DDE ont fourni par la suite des preuves de l’existence de l’entente pour une période antérieure à la création de DDE. Elle affirme n’avoir commencé à être indirectement impliquée dans l’activité CR qu’à partir de la création de DDE et que c’est EI DuPont qui a apporté cette activité à l’entreprise commune. Par ailleurs, la crédibilité de l’enquête en cause ne serait pas entachée, comme le prétendrait la Commission, par le fait que l’enquête avait également porté sur les sociétés mères et avait été supervisée par celles-ci.

49      De plus, la requérante soutient que, en se référant aux considérants 428 et 438 de la décision attaquée, à des éléments concernant sa connaissance de l’existence de l’entente qui ne figuraient pas dans la communication des griefs, la Commission a violé son droit à être entendue, la privant ainsi de la possibilité d’expliquer quel avait été l’objet des discussions au sein du comité des membres et de fournir le procès-verbal de la réunion en cause.

50      La requérante fait enfin observer que le fait qu’elle n’était pas au courant des activités illégales de DDE est un élément important qui différencie la présente affaire de celle qui a donné lieu à l’arrêt Avebe, point 43 supra, et de celle qui a donné lieu à la décision C (2006) 6762 final de la Commission, du 24 janvier 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/F/38.899 ‑ Appareillage de commutation à isolation gazeuse) (ci-après la « décision Appareillages de commutation à isolation gazeuse »).

51      La Commission conteste les arguments de la requérante. En particulier, elle fait valoir qu’elle a fondé sa conclusion selon laquelle la requérante et EI DuPont devaient être considérées comme solidairement responsables de l’infraction commise par DDE sur des éléments objectifs démontrant que les sociétés mères exerçaient, sur un pied d’égalité, une influence déterminante sur la conduite et les politiques commerciales de DDE et que, pour constater cette influence, elle s’est fondée sur le degré d’autonomie de DDE. La connaissance par les sociétés mères de l’existence de l’entente ne serait qu’un élément additionnel. La constatation de la responsabilité des sociétés mères resterait valable même si ces sociétés mères ignoraient l’existence de l’entente.

52      Par ailleurs, la Commission soutient que, dans la décision attaquée, elle a constaté qu’il n’était pas plausible que le comité des membres ait débattu de la fermeture de l’usine, laquelle constitue la concrétisation de la stratégie de régionalisation qui constituait un élément essentiel de l’entente, sans faire référence à l’entente.

–       Sur la seconde branche, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation des faits et d’une erreur de droit en ce qui concerne l’imputation de l’infraction à la requérante du fait de son implication dans le comité des membres

53      La requérante fait valoir, en substance, que, hormis sa prétendue connaissance de l’existence de l’entente, la Commission ne s’appuie que sur deux éléments pour lui imputer l’infraction commise par DDE. D’une part, la requérante soutient que la Commission a considéré que, au vu des responsabilités et de la composition du comité des membres, DDE ne jouissait pas d’une position autonome sur le marché, mais qu’elle et EI DuPont avaient exercé, sur un pied d’égalité, une influence déterminante sur la conduite et les politiques commerciales de DDE (voir considérants 421 et 422 de la décision attaquée). D’autre part, la requérante affirme que la Commission a pris en compte le droit du comité des membres de désigner les dirigeants de DDE, qui étaient responsables de la gestion quotidienne des affaires, et le fait que les personnes élues aux postes de haute direction chez DDE étaient issues de la haute direction de chacune des sociétés mères (voir considérant 426 de la décision attaquée). Cependant, la Commission indiquerait elle-même dans la décision attaquée qu’aucune des sociétés mères n’avait individuellement le pouvoir d’exercer une influence déterminante sur DDE (voir considérant 424 de la décision attaquée) et que les responsabilités du comité des membres se limitaient à la supervision des affaires et à l’approbation de certaines questions se rapportant à la direction stratégique (voir considérant 423 de la décision attaquée). Partant, la requérante estime que la Commission ne disposait d’aucun fondement de principe pour lui adresser la décision attaquée en la tenant pour solidairement responsable avec DDE ou EI DuPont au seul motif qu’elle était impliquée dans le comité des membres.

54      Les éléments indiqués par la Commission relèveraient exclusivement des fonctions de contrôle. Or, pour justifier la sanction en cause, il aurait fallu davantage que de telles fonctions de contrôle, comme une implication dans les opérations journalières de DDE dans des domaines pertinents pour l’entente. La requérante fait également valoir que la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’elle n’a détenu qu’un contrôle négatif sur DDE et n’a pas expliqué dans quelle mesure un tel contrôle serait suffisant pour lui imputer la responsabilité du comportement de DDE. Le contrôle d’une entreprise commune par ses sociétés mères serait une pratique normale et ne ferait pas obstacle à l’autonomie de l’entreprise commune, comme le démontrerait notamment la pratique de la Commission relative au contrôle des concentrations. Le fondement de l’imputation d’une responsabilité résulterait d’un objectif d’application uniforme de la notion d’entreprise tant aux fins de l’application sur le fond des règles du droit communautaire en matière de concurrence qu’aux fins de l’application des règles relatives aux amendes. Cela impliquerait que, dès lors que la nature autonome d’une entité est reconnue en droit communautaire, cette autonomie doit aussi être reconnue de manière cohérente. Il s’ensuit, selon la requérante, que la Commission ne saurait imputer la responsabilité aux sociétés mères d’une infraction à l’article 81 CE commise par une entreprise commune de plein exercice lorsque les sociétés mères exercent leurs fonctions de contrôle sans être impliquées dans les opérations journalières de cette entreprise commune, car cette dernière serait, dans un tel cas, autonome.

55      Au soutien de la présente branche, la requérante avance sept arguments. Premièrement, elle fait valoir que la position de la Commission est en contradiction avec la décision 2006/902/CE de la Commission, du 21 décembre 2005, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE à l’encontre de Flexsys NV, Bayer, Crompton Manufacturing Company Inc. (ex-Uniroyal Chemical Company Inc.), Crompton Europe Ltd, Chemtura Corp. (ex-Crompton Corp.), General Química SA, Repsol Química SA et Repsol YPF SA (Affaire COMP/F/C.38.443 – Produits chimiques pour le traitement du caoutchouc) (JO 2006, L 353, p. 50, ci-après la « décision Produits chimiques pour le traitement du caoutchouc »), dans laquelle il a été reconnu qu’une entreprise commune de plein exercice détenue à parts égales pouvait être présumée autonome par rapport à ses sociétés mères et, dès lors, la responsabilité des sociétés mères a été exclue. À cet égard, elle fait observer que, en l’espèce, DDE a été constituée en tant qu’« entreprise commune concentrative », dont la Commission a approuvé la création en 1996, détenue à parts égales par elle-même et par EI DuPont et que DDE exerçait ses activités en tant qu’entité économique autonome sur le marché. Le fait qu’EI DuPont et la requérante exerçaient un contrôle conjoint négatif sur DDE impliquerait uniquement un droit de veto vis-à-vis de la stratégie commerciale de l’entreprise commune, et non le pouvoir d’exercer une influence déterminante sur sa gestion courante. Cela ne changerait donc rien au fait que DDE était une entité économique autonome qui, en tant qu’entreprise commune de plein exercice, est par définition plus éloignée de ses sociétés mères que ne l’est une filiale ou une entreprise commune autre que de plein exercice.

56      Il n’existerait ainsi aucun fondement légitime à l’affirmation de la Commission, figurant au considérant 434 de la décision attaquée, selon laquelle une entreprise commune de plein exercice est par sa nature même semblable à une filiale normale dotée d’une personnalité juridique distincte.

57      L’affaire qui a donné lieu à la décision Appareillages de commutation à isolation gazeuse (voir point 50 ci‑dessus) ne serait pas non plus comparable à la présente affaire, dans la mesure où, dans la première affaire, les entreprises communes avaient été créées par les sociétés mères pour poursuivre leur implication dans l’entente. La requérante fait également observer que, dans son arrêt du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission (T‑112/05, Rec. p. II‑5049, ci-après l’« arrêt du Tribunal Akzo Nobel », points 57 et 58), le Tribunal a déclaré que c’est le fait que la société mère et sa filiale constituent une organisation unitaire, ou une seule entreprise au sens du droit de la concurrence, qui habilite la Commission à adresser une décision imposant des amendes à la société mère. Cela ne serait pas le cas en l’espèce. Le Tribunal n’aurait pas établi de distinction entre la politique commerciale et la stratégie et il ne serait fait aucune référence dans l’arrêt du Tribunal Akzo Nobel aux activités qui se limitent à une fonction de contrôle.

58      Deuxièmement, la requérante estime que la Commission a invoqué à tort l’arrêt Avebe, point 43 supra, les circonstances de ladite affaire n’étant pas comparables à celles de l’espèce. Selon elle, contrairement à l’entreprise commune en cause dans cette affaire, DDE disposait d’une personnalité juridique distincte de celle de ses sociétés mères, ne dépendait pas de ses sociétés mères pour conclure des accords avec des tiers, disposait de ses propres locaux, n’occupait pas ceux de l’une de ses sociétés mères et avait une direction indépendante de celle de ses sociétés mères. De plus, elle soutient que, contrairement aux sociétés mères concernées dans l’affaire en cause, EI DuPont et elle-même n’étaient pas solidairement responsables sans limitation des engagements de l’entreprise commune. Il s’ensuit, selon elle, que la Commission ne pouvait pas raisonnablement invoquer ledit arrêt comme fondement de la responsabilité qui lui a été imputée en l’espèce. Au vu notamment des faits très spécifiques de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Commission soutiendrait à tort que le Tribunal a exprimé un principe général selon lequel tout pouvoir de direction peut suffire à démontrer qu’une influence déterminante a effectivement été exercée et ainsi servir à établir la responsabilité de la société mère.

59      Troisièmement, la requérante affirme qu’aucun des membres de son personnel ayant ensuite occupé une position au sein de DDE n’a travaillé dans la branche d’activité relative au CR, puisqu’elle n’a jamais été « impliquée » dans cette branche d’activité, et qu’aucun ne serait revenu travailler en son sein lors de la dissolution de DDE. En outre, contrairement à ce qu’insinuerait la Commission, les membres de son personnel ayant occupé une position dans DDE n’auraient pas été issus d’un niveau de direction particulièrement élevé en son sein. En tout état de cause, à la suite de la création de DDE, ces personnes n’auraient plus fait partie de son personnel et n’auraient pas été tenues, ni même n’auraient eu le droit, de lui faire rapport. L’affirmation de la Commission, figurant au considérant 427 de la décision attaquée, selon laquelle « [l]e fait de faire confiance à des personnes ayant des positions consécutives au sein des sociétés mères et de l’entreprise commune est un mécanisme classique qui permet de s’assurer de l’afflux d’informations et d’une cohérence entre les membres du groupe (dans cette affaire entre l’entreprise commune et la société mère) et garantit la prévisibilité de la gestion et des aspects politiques », n’aurait, en l’espèce, au vu des éléments susmentionnés, aucune base factuelle, logique ou légale.

60      Tout en admettant avoir eu des représentants au comité des membres, la requérante souligne que le comité des membres n’avait que des fonctions de contrôle et n’était pas impliqué dans la gestion courante de DDE ou dans le comportement général de celle-ci sur le marché. Or, le simple exercice de fonctions de contrôle du type de celles en cause en l’espèce ne pourrait pas être qualifié de pouvoir de direction au sens de la jurisprudence. La requérante estime que, en vertu de la jurisprudence, la Commission devait démontrer non seulement qu’elle avait le pouvoir de donner à DDE des instructions quant à ce comportement, mais également qu’elle a exercé un tel pouvoir. Selon elle, il incombe à la Commission de démontrer, sur la base d’un ensemble d’éléments factuels, une implication de la requérante dans la gestion journalière de DDE, ce que celle-ci n’aurait pas fait.

61      Par ailleurs, ce serait la « CR Global Business Team », constituée d’anciens membres du personnel d’EI DuPont ayant déjà été actifs dans le domaine du CR et dans la fixation des prix de ce produit, qui aurait été responsable de l’activité CR et chargée de la gestion courante et du comportement général sur le marché de DDE s’agissant de cette partie de l’activité.

62      Enfin, la référence, figurant au considérant 425 de la décision attaquée, à l’inexistence d’un conseil d’administration avec des représentants extérieurs indépendants et à l’arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission (C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925), serait trompeuse. L’inexistence d’un tel conseil d’administration serait pertinente dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt précité dans le cadre de laquelle elle pouvait être invoquée pour renverser la présomption évoquée dans cet arrêt. Or, en l’espèce, cette présomption ne serait pas applicable.

63      Ainsi, la position de la Commission n’aurait « aucune limite raisonnable » et, à la suivre, n’importe quel partenaire ou actionnaire minoritaire d’une entreprise commune qui exercerait des fonctions de contrôle pourrait être tenu pour responsable des activités d’entente de l’entreprise commune, sans que la Commission ait à donner des explications.

64      Quatrièmement, la requérante soutient, en renvoyant à l’article 6, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, relatif à la présomption d’innocence, laquelle est, selon la jurisprudence, un principe fondamental du droit de l’Union européenne, applicable aux procédures portant sur des violations des règles de concurrence, que ce n’est pas à elle qu’il incombe de renverser les suppositions, figurant notamment au considérant 439 de la décision attaquée, selon lesquelles elle aurait exercé une influence déterminante sur le comportement de DDE ou aurait été informée de l’existence de l’infraction. Elle estime que c’est à la Commission qu’il appartenait de prouver qu’elle a agi d’une façon telle qu’elle s’est rendue responsable du comportement de DDE. Or, la Commission ne l’aurait pas fait.

65      Cinquièmement, la requérante fait valoir qu’elle ne formait pas une entité économique unique avec DDE. Le concept d’entité économique unique ne s’appliquerait pas dans le cas des entreprises communes. Il ne serait pas possible, d’une part, de constater que l’entreprise commune et ses sociétés mères, ou l’entreprise commune et l’une ou l’autre des sociétés mères, forment ensemble une unité économique, et de tenir pour ce motif les sociétés mères pour responsables du comportement de l’entreprise commune, et, d’autre part, d’appliquer en même temps l’article 81 CE aux accords conclus entre cette entreprise commune et ses sociétés mères (ou l’une d’entre elles). Ainsi, soit serait en cause une entité économique unique, au sein de laquelle l’article 81, paragraphe 1, CE ne serait pas applicable, mais pour laquelle la responsabilité de l’infraction pourrait être partagée, soit il n’existerait pas d’entité économique unique, auquel cas l’article 81, paragraphe 1, CE pourrait s’appliquer entre la société mère et l’entreprise commune, mais alors la société mère ne pourrait pas être tenue pour responsable des infractions commises par l’entreprise commune. L’inapplicabilité de l’article 81 CE aux relations en cause serait donc une condition préalable et nécessaire à l’imputation de la responsabilité, ainsi qu’il ressortirait de la jurisprudence.

66      L’approche suivie par la Commission en l’espèce serait en complète contradiction avec sa pratique décisionnelle antérieure, où celle-ci aurait systématiquement appliqué l’article 81 CE à des situations impliquant des entreprises communes et donc à des situations où, selon celle-ci, il ne pourrait y avoir d’entité économique unique formée par les sociétés mères et l’entreprise commune. Or, c’est uniquement lorsque une société ne jouit pas d’une autonomie réelle dans la détermination de sa ligne d’action sur le marché, mais applique les instructions qui lui sont données par une autre société, laquelle exerce donc une influence déterminante sur elle, que cette autre société peut être tenue pour responsable de ses agissements. Ce principe s’appliquerait dans tous les cas dans lesquels les sociétés impliquées ont une personnalité juridique propre. Partant, il n’aurait pas été d’application dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Avebe, point 43 supra, où l’entreprise commune n’avait pas de personnalité juridique distincte de ses sociétés mères et où il aurait donc été nécessaire d’identifier une personne physique ou morale responsable de cette entreprise commune afin que cette personne réponde de son comportement.

67      Sixièmement, la requérante soutient que, en concluant qu’elle avait exercé une influence déterminante sur DDE alors qu’elle n’était pas impliquée dans l’entente, n’en avait pas connaissance, ne disposait que d’un droit de contrôle en commun négatif et n’exerçait ce droit de contrôle que par le comité des membres, la Commission a donné à la notion d’exercice d’une influence déterminante une interprétation exagérément étendue. Elle fait valoir qu’une telle interprétation ne sert aucun objectif utile tel que la sanction ou la dissuasion, dès lors qu’elle n’a rien fait de répréhensible dans le cadre de sa participation à la création de DDE et de sa structure de gouvernance, et a seulement des effets négatifs sur la concurrence, en pouvant par exemple dissuader les opérateurs de créer des entreprises communes concentratives de plein exercice.

68      Septièmement, la requérante estime ne pas pouvoir être tenue pour responsable dans la mesure où elle n’a pas participé au comportement illégal et n’a pas exercé d’influence déterminante à cet égard. Elle fait valoir qu’il convient de tenir compte du droit des États-Unis, conformément au principe de courtoisie (négative) contenu dans l’article 4 de l’accord entre le gouvernement des États-Unis d’Amérique et la Commission des Communautés européennes concernant l’application de leurs règles de concurrence (JO 1995, L 95, p. 47), puisque la Commission tente d’infliger une amende à une société établie aux États-Unis pour le comportement d’une autre société, également établie aux États-Unis. En vertu du droit des États-Unis, une société mère ne pourrait être tenue pour responsable des actes répréhensibles commis par une filiale que si elle a elle-même commis des actes répréhensibles ou que la séparation entre la société mère et la filiale n’est qu’un trompe‑l’œil, ce qui autoriserait alors les juridictions à « percer le voile social ». Il en irait d’ailleurs de même en droit de l’Union, cette position américaine étant conforme au principe du caractère personnel de la responsabilité, posé pour la Cour dans son arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125). Dans le cas d’espèce, ces conditions ne seraient pas remplies. En outre, selon la requérante, les décisions de gouvernance prises par elle et par EI DuPont relèvent dans une large mesure du droit américain. Or, la Commission n’identifierait aucun comportement de sa part qui aurait eu un effet dans l’Union et ne saurait appliquer des normes de bonne gouvernance d’entreprise plus strictes, incompatibles avec celles du droit des sociétés qui s’appliquent aux États-Unis.

69      La Commission conteste l’ensemble des arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

70      Par le premier moyen, la requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur en lui imputant l’infraction commise par DDE, l’entreprise commune qu’elle a fondée avec EI DuPont, et invoque à cet égard des arguments qui sont divisés en deux branches.

71      En premier lieu, la requérante soutient que, en se fondant sur l’hypothèse selon laquelle elle connaissait l’existence de l’entente pour lui imputer l’infraction commise par DDE, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation des faits et une erreur de droit. En second lieu, elle prétend que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation des faits et une erreur de droit en la tenant pour responsable de l’infraction commise par DDE du fait de sa participation au comité des membres.

72      Considérant que le motif essentiel de l’imputation par la Commission à la requérante de l’infraction commise par DDE repose sur l’implication de cette dernière dans le comité des membres et que la connaissance de l’infraction par les sociétés mères a été invoquée par la Commission à titre additionnel (voir notamment le rappel du libellé de la décision attaquée figurant aux points 40 et 42 ci‑dessus), il convient d’examiner, dans un premier temps, la seconde branche du présent moyen, puis, dans un second temps, la première branche.

–       Sur la seconde branche, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation des faits et d’une erreur de droit en ce qui concerne l’imputation de l’infraction à la requérante du fait de son implication dans le comité des membres

73      Selon une jurisprudence constante, la notion d’entreprise, placée dans un contexte de droit de la concurrence, doit être comprise comme désignant une unité économique du point de vue de l’objet de l’accord en cause même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêts de la Cour du 12 juillet 1984, Hydrotherm Gerätebau, 170/83, Rec. p. 2999, point 11, et du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237, ci‑après l’« arrêt de la Cour Akzo Nobel », point 55). Aux fins de l’application des règles de la concurrence, la séparation formelle entre deux sociétés, résultant de leurs personnalités juridiques distinctes, n’est pas déterminante, ce qui s’impose étant l’unité ou non de leur comportement sur le marché. Il peut donc s’avérer nécessaire de déterminer si deux sociétés ayant des personnalités juridiques distinctes forment ou relèvent d’une seule et même entreprise ou entité économique qui déploie un comportement unique sur le marché (voir arrêt du Tribunal du 15 septembre 2005, DaimlerChrysler/Commission, T‑325/01, Rec. p. II‑3319, point 85, et la jurisprudence citée). Le Tribunal a ainsi considéré que l’article 81, paragraphe 1, CE s’adresse à des entités économiques consistant chacune en une organisation unitaire d’éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique déterminé, organisation pouvant concourir à la commission d’une infraction visée par cette disposition (arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T‑11/89, Rec. p. II‑757, point 311 ; voir également arrêt du Tribunal Akzo Nobel, point 57 supra, point 57, et la jurisprudence citée).

74      Lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction. Toutefois, l’infraction au droit de la concurrence de l’Union doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes. Il résulte d’une jurisprudence constante que le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. En effet, il en est ainsi parce que, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise au sens de l’article 81 CE, ce qui permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (voir, en ce sens, arrêt de la Cour Akzo Nobel, point 73 supra, points 56 à 59, et la jurisprudence citée).

75      Afin de pouvoir imputer le comportement d’une filiale à la société mère, la Commission ne saurait se contenter de constater que la société mère est en mesure d’exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, mais doit également vérifier si cette influence a effectivement été exercée (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, point 50).

76      À cet égard, il incombe, en principe, à la Commission de démontrer une telle influence déterminante sur la base d’un ensemble d’éléments factuels, dont, en particulier, l’éventuel pouvoir de direction de l’une de ces entreprises vis-à-vis de l’autre (voir, en ce sens, arrêt Avebe, point 43 supra, point 136, et la jurisprudence citée).

77      L’avocat général Mme Kokott a observé aux points 89 à 93 des conclusions sous l’arrêt de la Cour Akzo Nobel, point 73 supra (Rec. p. I‑8241), auxquelles la Cour renvoie explicitement au point 73 de cet arrêt, que, même si l’examen de l’autonomie de la filiale était effectué au regard de sa politique commerciale stricto sensu, il n’était pas indispensable que l’influence déterminante de la société mère découle d’instructions concrètes, de directives ou d’un droit de regard sur la formation des prix, la fabrication, la distribution ou d’autres points essentiels du comportement sur le marché. De telles instructions sont simplement un indice particulièrement évident de l’existence d’une influence déterminante de la société mère sur la politique commerciale de sa filiale. Leur absence n’impose nullement de conclure à une autonomie de la filiale. Une société mère peut exercer une influence déterminante sur ses filiales même sans faire usage d’un droit de regard et sans donner ni instructions ni directives sur certains aspects de la politique commerciale. Une politique commerciale uniforme au sein d’un groupe peut également résulter indirectement de l’ensemble des liens économiques et juridiques entre la société mère et ses filiales. À titre d’exemple, l’influence de la société mère sur ses filiales en ce qui concerne la stratégie d’entreprise, la politique d’entreprise, les projets d’exploitation, les investissements, les capacités, les ressources financières, les ressources humaines et les affaires juridiques peut avoir indirectement des effets sur le comportement des filiales et de l’ensemble du groupe sur le marché. Le point déterminant est finalement de savoir si la société mère exerce une influence suffisante pour orienter le comportement de la filiale dans une mesure telle que les deux doivent être considérées comme une unité sur le plan économique.

78      C’est à la lumière de ces éléments que le bien‑fondé de la seconde branche du présent moyen doit être analysé.

79      À titre liminaire, il y a lieu de relever que la requérante ne conteste pas le fait que DDE a participé à une entente en violation de l’article 81 CE entre le 1er avril 1996 et le 13 mai 2002. En revanche, elle est d’avis que la Commission ne pouvait valablement lui imputer, en tant que société mère, l’infraction commise par DDE, parce qu’elle n’a pas exercé une influence déterminante sur le comportement de DDE.

80      À cet égard, il y a lieu de rappeler tout d’abord que DDE était une entreprise commune détenue à parts égales par Dow et EI DuPont qui avait été créée sur la base de l’accord LLC.

81      En outre, il convient de relever que, dans l’accord LLC, EI DuPont et Dow avaient institué un comité des membres, chargé de superviser l’activité de DDE et d’approuver certaines questions se rapportant à la direction stratégique de celle-ci. Chacune des sociétés mères avait le droit de nommer un nombre égal de représentants au comité des membres, qui n’étaient pas des salariés de DDE, mais des salariés d’EI DuPont et de Dow. Ce comité des membres disposait des pouvoirs, notamment, de nommer les membres du conseil d’administration et les dirigeants de DDE, qui étaient responsables de la gestion quotidienne des affaires sous réserve de la conduite générale et du contrôle exercés par EI DuPont et Dow par le biais du comité des membres, de révoquer les membres du conseil d’administration et les dirigeants de DDE à tout moment avec ou sans motif, d’arrêter la politique globale et la vision de DDE, d’approuver les plans d’affaires et les plans stratégiques ainsi que les plans opérationnels annuels de DDE, de déterminer la politique bancaire de DDE et d’approuver toutes les dépenses d’investissement et tous les emprunts réalisés par DDE à partir de certains niveaux. Les décisions du comité des membres étaient prises à l’unanimité, chaque société mère disposant d’un droit de veto absolu. Ces éléments ne sont pas contestés par la requérante. Or, la détention à parité du capital social de DDE et des droits de vote qui lui étaient attachés, comme cela est décrit ci‑dessus, permettait à chacune des sociétés mères de DDE de bloquer les décisions commerciales stratégiques de l’entreprise commune. Afin d’éviter qu’une telle situation de blocage ne se présente au moment de l’adoption des décisions commerciales stratégiques de leur entreprise commune, EI DuPont et Dow étaient donc tenues de coopérer de manière permanente.

82      Par ailleurs, il ressort de l’accord LLC que les sociétés mères de DDE étaient présentes sur le marché du CR uniquement par l’intermédiaire de leur entreprise commune. En vertu dudit accord, DDE représentait les intérêts commerciaux de Dow et d’EI DuPont dans le cadre de son « objet commercial », défini comme la recherche, la mise au point, la fabrication, la distribution, la commercialisation et la vente d’élastomères, y compris le CR, à l’échelle mondiale. Cet accord prévoyait également le transfert par Dow à DDE de certaines technologies et d’autres actifs ainsi que le transfert par EI DuPont à DDE de l’ensemble de ses activités relatives aux élastomères, y compris le CR ainsi que des documents commerciaux annexes. Ainsi, DDE a fabriqué et vendu du CR sous le nom commercial Néoprène, qui appartenait à EI DuPont. En outre, l’accord en cause excluait spécifiquement toute concurrence entre les sociétés mères de DDE en ce qui concerne le produit dans le cadre de l’« objet commercial » de cette dernière. Les profits ou pertes nets de DDE étaient répartis proportionnellement et à parts égales entre les sociétés mères. Ces éléments ne sont pas contestés par la requérante.

83      Enfin, la concentration opérée par EI DuPont et Dow par la création de DDE a été notifiée à la Commission qui l’a approuvée par décision du 21 février 1996 (Affaire IV/M.663 – DuPont/Dow). En approuvant cette concentration, la Commission a formellement constaté l’acquisition par les sociétés mères sur DDE du contrôle en commun au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises [version rectifiée JO 1990, L 257, p. 13, modifié par le règlement (CE) n° 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1)] [devenu l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1), en vigueur au moment de la création de DDE].

84      Il ressort de l’article 3, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 (devenu l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 139/2004) que la notion de contrôle doit être comprise comme la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise, découlant de droits, de contrats ou de tout autre moyen. La notion de contrôle en commun a été précisée par la Commission dans sa communication consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement n° 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2009, C 43, p. 10), adoptée sur la base de la jurisprudence du Tribunal (arrêt du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, Rec. p. II‑319, points 42, 52 et 67). Selon les points 62 et 63 de cette communication :

« [I]l y a contrôle en commun lorsque deux ou plusieurs entreprises ou personnes ont la possibilité d’exercer une influence déterminante sur une autre entreprise. Par influence déterminante, [il convient d’entendre] habituellement le pouvoir de bloquer les décisions qui déterminent la stratégie commerciale d’une entreprise. Contrairement au contrôle exclusif qui accorde à un actionnaire donné le pouvoir de déterminer les décisions stratégiques d’une entreprise, le contrôle en commun se caractérise par la naissance possible d’une situation de blocage liée au fait que deux ou plusieurs sociétés mères ont le pouvoir de rejeter les décisions stratégiques proposées. Ces actionnaires doivent donc nécessairement s’entendre sur la politique commerciale de l’entreprise commune et sont appelés à collaborer. À l’instar du contrôle exclusif, la prise de contrôle en commun peut être établie sur la base de circonstances de droit ou de fait. Il y a contrôle en commun lorsque les actionnaires (sociétés mères) doivent s’entendre sur les grandes décisions concernant l’entreprise contrôlée (l’entreprise commune). »

85      Afin de démontrer l’exercice effectif d’une influence déterminante par les sociétés mères de DDE sur le comportement de cette dernière sur le marché du CR, la Commission s’est appuyée, tout d’abord, sur le fait que le comité des membres a, en exerçant les compétences qui lui étaient réservées par l’accord LLC, nommé pour des postes à responsabilité au sein de l’entreprise commune des personnes issues d’un niveau de haute direction des sociétés mères. Ces nominations ont été effectuées pendant toute l’existence de l’entreprise commune. S’agissant de la requérante, il découle des considérants 37 et 426 de la décision attaquée que M. P., qui était le directeur du marketing dans une des sociétés du groupe Dow, est devenu vice-président de la branche des élastomères éthylènes entre 1996 et 1999 et, ensuite, vice-président de la banche commerciale entre 1999 et 2000 et que M. R., qui était le directeur général de la région « France‑Benelux » de Dow, a été nommé président de la région européenne de DDE en 1996. De même, il découle des considérants 30, 37 et 426 de la décision attaquée que M. D., qui était le directeur général de la division mondiale des élastomères d’EI DuPont entre 1980 et 1995, a été nommé le premier président‑directeur général de DDE, de 1996 à 1998. M. K., qui était le directeur du marché européen pour le CR au sein d’EI DuPont, est devenu vice-président de DDE pour la même région et, en février 1999, a été nommé président‑directeur général de DDE. Par ailleurs, M. F. qui était, notamment, le directeur régional européen pour les élastomères chlorés au sein d’EI DuPont entre 1992 et 1996, a été nommé vice‑président de DDE à partir de 1996. Or, comme cela découle des considérants 132, 137, 139, 143, 145, 146, 151, 158, 163, 168, 169, 173, 177, 188, 189, 192, 194, 195, 197, 199, 205, 206, 210, 215, 224, 225, 233, 234, 255, 256, 258, 260, 262, 263, 281, 288, 289, 291 et 303 de la décision attaquée, sans que cela soit contesté par la requérante, ces personnes ont été systématiquement impliquées dans la participation et l’organisation des réunions anticoncurrentielles.

86      Ensuite, au considérant 438 de la décision attaquée, la Commission a pris en considération le fait, qui n’a pas été contesté par la requérante, que le comité des membres avait donné son accord pour la fermeture d’une usine de production de CR de DDE située à Maydown (Royaume-Uni). Or, une telle décision n’a pas pu être prise par l’entreprise commune sans que les sociétés mères, agissant par l’intermédiaire du comité des membres, aient donné leur accord. Cette décision constitue donc également un indice de ce que les sociétés mères ont exercé une influence déterminante sur le comportement de l’entreprise commune sur le marché du CR.

87      En outre, la Commission a pris en considération l’ensemble des clauses de l’accord LLC, présentées au point 81 ci‑dessus, qui réservaient au comité des membres et, partant, aux sociétés mères d’importantes compétences relatives à la gestion de l’entreprise commune (voir considérants 422 à 426 et 432 de la décision attaquée). Or, étant donné que, en l’espèce, DDE a fonctionné pendant plusieurs années et que les sociétés mères n’ont pas contesté le fait que l’accord LLC avait été mis en œuvre conformément à ses clauses, la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant que le comité des membres avait effectivement exercé, selon les modalités prévues par l’accord LLC, les compétences qui lui avaient été réservées par cet accord et que, dès lors, les sociétés mères avaient exercé leur pouvoir de direction sur DDE.

88      Enfin, il y a lieu de relever que, aux considérants 437 et 438 de la décision attaquée, la Commission fait référence à une enquête interne réalisée en 2003 au sein de l’entreprise commune. Il ressort de ces considérants, sans que la requérante le conteste, que cette enquête a été ordonnée par les sociétés mères afin d’examiner la question d’une éventuelle participation de l’entreprise commune dans le cartel. Le fait pour les sociétés mères de s’être engagées dans l’exécution de cette enquête confirme qu’elles croyaient avoir les moyens d’exiger de leur entreprise commune qu’elle se comporte conformément aux règles de concurrence. Il faut en tirer la conclusion que les sociétés mères avaient effectivement le pouvoir d’imposer à leur entreprise commune d’adopter un comportement spécifique sur le marché.

89      Il découle de ce qui précède que, eu égard à l’ensemble des liens économiques, juridiques et organisationnels unissant Dow et DDE, la Commission n’a pas commis d’erreur en constatant que Dow, en tant qu’une des sociétés mères de DDE, avait exercé une influence déterminante sur le comportement de celle‑ci sur le marché du CR. Partant, la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant que Dow et DDE faisaient partie d’une même entreprise au sens de l’article 81 CE et en tenant Dow pour solidairement responsable du comportement de DDE pendant la période allant du 1er avril 1996 au 13 mai 2002.

90      Une telle conclusion ne saurait être remise en cause pas les arguments avancés par la requérante.

91      En premier lieu, l’argument de la requérante, tiré des conclusions de la Commission relatives à l’autonomie de l’entreprise commune de plein exercice figurant dans la décision Produits chimiques pour le traitement du caoutchouc, selon lequel une entreprise commune de plein exercice est nécessairement une entreprise distincte de ses sociétés mères (voir point 55 ci‑dessus) doit être écarté. En effet, s’il incombe à la Commission de développer son raisonnement d’une manière explicite lorsqu’une décision va sensiblement plus loin que sa pratique décisionnelle antérieure, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une pratique décisionnelle antérieure pouvant être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions de l’Union (voir arrêt du Tribunal du 7 mai 2009, NVV e.a./Commission, T‑151/05, Rec. p. II‑1219, point 136, et la jurisprudence citée). En outre, un requérant ne saurait invoquer une telle confiance pour contester des constatations ou des appréciations effectuées dans une procédure donnée sur la base de constatations ou d’appréciations effectuées dans le cadre d’une seule affaire antérieure (arrêt du Tribunal du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, Rec. p. II‑5575, point 119). Par ailleurs, il ne saurait être déduit de l’obligation de motivation explicite imposée par la jurisprudence que la Commission doive, au-delà du fait de motiver sa décision par référence au dossier de l’affaire en cause, exposer spécifiquement les raisons pour lesquelles elle est arrivée à une conclusion différente de celle retenue dans une affaire précédente portant sur des situations similaires ou identiques ou ayant les mêmes acteurs économiques (arrêt General Electric/Commission, précité, point 513). Ainsi, en l’espèce, la requérante ne saurait utilement invoquer, en substance, une violation du principe de protection de la confiance légitime du fait que la Commission, dans une décision antérieure, a constaté qu’une entreprise commune de plein exercice peut être présumée autonome par rapport à ses sociétés mères, lorsque, aux considérants 420 à 440 de la décision attaquée, elle a motivé sa décision de manière explicite par référence au dossier de l’affaire en cause, à la jurisprudence de l’Union (dont, notamment, l’arrêt Avebe, point 43 supra) et à sa propre pratique décisionnelle (décision Appareillages de commutation à isolation gazeuse, point 50 ci‑dessus).

92      Le caractère « négatif » du contrôle en commun ne permet pas d’écarter une influence déterminante sur DDE. En effet, même si les sociétés mères ne peuvent pas imposer des décisions à l’entreprise commune, elles peuvent empêcher cette dernière de prendre certaines décisions et exercer de ce fait une influence déterminante sur sa stratégie commerciale. Or, ainsi qu’il a été relevé aux points 80 à 84 ci‑dessus, eu égard au contrôle en commun que la requérante et EI DuPont détenaient sur DDE et à la composition, aux compétences ainsi qu’au mode de fonctionnement du comité des membres, lesdites sociétés mères disposaient d’un pouvoir de rejeter les décisions stratégiques intéressant leur entreprise commune. Elles devaient donc nécessairement s’entendre sur la politique commerciale de l’entreprise commune. Le caractère « négatif » du contrôle que la requérante détenait sur DDE ne l’empêchait donc pas d’exercer sur DDE une influence déterminante suffisante pour que la Commission puisse lui imputer le comportement infractionnel de cette entreprise commune.

93      Le fait que DDE était une entreprise commune de plein exercice au sens du règlement n° 4064/89, censée accomplir de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome, ne saurait davantage infirmer la conclusion selon laquelle la requérante et EI DuPont avaient la possibilité d’exercer une influence déterminante sur DDE dans le marché du CR. Certes, une entreprise commune de plein exercice au sens du règlement n° 4064/89 est censée accomplir de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome et est, partant, du point de vue fonctionnel, économiquement autonome. Toutefois, ainsi que l’a précisé la Commission au point 93 de sa communication consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement n° 139/2004 (voir point 84 ci‑dessus), cette autonomie ne signifie nullement que l’entreprise commune jouit d’une autonomie en ce qui concerne l’adoption de ses décisions stratégiques (et qu’elle ne serait donc pas sous l’influence déterminante exercée par ses sociétés mères quand il s’agit d’appliquer l’article 81 CE).

94      En deuxième lieu, contrairement à la thèse soutenue par la requérante, il n’y a pas lieu de distinguer le cas d’espèce de celui de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Avebe, point 43 supra, dans laquelle l’entreprise commune n’avait pas de personnalité juridique distincte de celle de ses sociétés mères. En effet, c’est au motif que l’entreprise commune, d’une part, et ses sociétés mères, d’autre part, formaient une seule entreprise au sens du droit de la concurrence de l’Union, dans le cadre de laquelle le comportement infractionnel de la filiale est imputable à ses sociétés mères qui en sont responsables du fait du contrôle effectif qu’elles exercent sur sa politique commerciale, que le Tribunal a considéré que la responsabilité du comportement infractionnel de la filiale pouvait être imputée à ses sociétés mères (arrêt Avebe, point 43 supra, point 141). Ainsi, le motif de l’absence de personnalité juridique de la filiale n’était pas concluant. En outre, il ressort de la jurisprudence citée au point 73 ci-dessus que le fait que DDE avait une personnalité juridique distincte ne suffit pas à écarter la possibilité d’imputer son comportement à une de ses sociétés mères. Ainsi, c’est le fait qu’une filiale et sa société mère constituent une seule unité économique, et donc une seule entreprise au sens du droit de la concurrence de l’Union, qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère d’un groupe de sociétés.

95      En ce qui concerne les autres circonstances spécifiques de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Avebe, point 43 supra, auxquelles la requérante fait référence (voir point 58 ci‑dessus), elles ne sauraient remettre en cause le principe selon lequel le comportement infractionnel d’une entreprise commune peut être imputé à ses sociétés mères dès lors que lesdites sociétés mères exercent, en commun, une influence déterminante sur la stratégie commerciale de leur filiale commune, comme en l’espèce. En effet, l’argumentation de la requérante relative à la personnalité juridique distincte de DDE, tirée du fait que DDE n’a pas dépendu d’elle et d’EI DuPont pour conclure des accords avec des tiers, du fait que DDE a disposé de ses propres locaux, du fait que sa direction a été indépendante d’elle et d’EI DuPont et que ces dernières ne se seraient jamais engagées conjointement et sans restriction dans DDE, ne remet pas en cause le fait qu’elle avait la possibilité d’exercer et a exercé, en commun avec EI DuPont, une influence déterminante sur le comportement de DDE sur le marché, comme il a été relevé aux points 80 à 89 ci‑dessus.

96      En troisième lieu, les arguments de la requérante tirés du fait qu’elle n’a jamais été « impliquée » dans la branche d’activité relative au CR et que les membres de son personnel ayant ensuite occupé une position au sein de DDE n’étaient pas revenus chez elle lors de la dissolution de DDE et n’avaient pas été tenus, ni même n’auraient eu le droit, de lui faire rapport visent, en substance, à faire valoir qu’elle n’avait pas connaissance de l’entente. La question relative à la connaissance de l’entente par la société mère sera examinée dans le cadre de la première branche du présent moyen.

97      En quatrième lieu, s’agissant de l’argument de la requérante tiré d’une violation de la présomption d’innocence, il y a lieu de rappeler que la présomption d’innocence implique que toute personne accusée est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Ladite présomption s’oppose ainsi à tout constat formel et même à toute allusion ayant pour objet la responsabilité d’une personne accusée d’une infraction donnée dans une décision mettant fin à l’action, sans que cette personne ait pu bénéficier de toutes les garanties inhérentes à l’exercice des droits de la défense dans le cadre d’une procédure suivant son cours normal et aboutissant à une décision sur le bien-fondé de la contestation (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2009, Elf Aquitaine/Commission, T‑174/05, non publié au Recueil, point 196).

98      En l’espèce, force est de constater que la Commission a démontré sur la base d’un ensemble d’éléments factuels que la requérante avait la possibilité d’exercer, en commun, une influence déterminante sur la stratégie commerciale de DDE et a effectivement exercé une telle influence et en a conclu que la requérante, EI DuPont et DDE formaient une seule unité économique du point de vue de l’objet de l’accord en cause, permettant ainsi l’imputation solidaire d’une violation du droit de la concurrence. De plus, au cours de la procédure devant la Commission, et donc avant tout constat formel de la responsabilité de la requérante, cette dernière a pu présenter des arguments afin de démontrer que DDE avait déterminé son comportement sur le marché de façon autonome et que, partant, elle ne formait pas avec EI DuPont et DDE une seule entreprise au sens de l’article 81 CE. Dans ces conditions, l’argument de la requérante tiré d’une violation de la présomption d’innocence ne saurait prospérer.

99      En cinquième lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel il n’est pas possible d’appliquer le concept d’entité économique unique aux entreprises communes, ce qui est par ailleurs confirmé par la pratique de la Commission qui a appliqué, dans le passé, l’article 81 CE aux accords entre les sociétés mères et les entreprises communes, il convient de rappeler que, dans l’arrêt Avebe, point 43 supra (point 141), le Tribunal a considéré que, eu égard à l’existence d’un contrôle conjoint exercé par les sociétés mères, l’entreprise commune, d’une part, et ses sociétés mères, d’autre part, formaient une unité économique du point de vue de l’objet de l’accord en cause, dans le cadre de laquelle le comportement infractionnel de la filiale est imputable à ses sociétés mères, qui en sont responsables du fait du contrôle conjoint que les sociétés mères exercent sur la politique commerciale de la filiale. De plus, comme il a été constaté aux points 94 et 95 ci‑dessus, il n’y a pas lieu de distinguer le cas d’espèce de celui de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Avebe, point 43 supra. Quant à l’argumentation selon laquelle l’approche suivie par la Commission est en contradiction avec sa pratique décisionnelle antérieure, il suffit de rappeler que la requérante ne saurait invoquer une confiance légitime dans le maintien d’une pratique décisionnelle antérieure pouvant être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions de l’Union, lorsque la Commission a motivé sa décision de manière explicite par référence au dossier de l’affaire qui en fait l’objet (voir point 91 ci‑dessus). Par conséquent, l’argument que la requérante tire de la pratique décisionnelle antérieure de la Commission, relative à l’applicabilité de l’article 81 CE aux relations entre une filiale et ses sociétés mères, doit également être rejeté.

100    En sixième lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission a donné une interprétation exagérément étendue à la notion d’exercice d’une influence déterminante, il y a lieu d’observer que, au regard de la jurisprudence existante de la Cour et du Tribunal invoquée aux points 73 à 77 ci-dessus, les éléments relevés par la Commission dans la décision attaquée sont suffisants afin de démontrer, d’une part, que les sociétés mères de DDE avaient la possibilité d’exercer une influence déterminante sur le comportement de leur entreprise commune et que l’exercice de cette influence déterminante a été démontré à suffisance de droit.

101    Par ailleurs, il y a lieu de considérer que le pouvoir de contrôle détenu par la société mère entraîne la responsabilité de s’assurer que sa filiale se conforme aux règles de la concurrence. L’entreprise ayant la possibilité d’exercer une influence déterminante sur la stratégie commerciale de sa filiale peut donc être présumée, jusqu’à preuve du contraire, avoir la possibilité d’instaurer une politique visant au respect du droit de la concurrence et prendre toutes les mesures nécessaires et utiles afin de contrôler la gestion commerciale de la filiale. La simple carence de l’actionnaire ayant le contrôle à cet égard ne saurait en tout état de cause être acceptée comme motif pour décliner sa responsabilité. Dès lors, étant donné que les gains éventuels résultant d’activités illégales bénéficient aux actionnaires, il ne paraît pas inéquitable de faire porter à ceux qui disposent du pouvoir de contrôle la responsabilité des activités commerciales illégales de leurs filiales.

102    En septième lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission, en la tenant pour responsable de l’infraction commise par DDE, ne saurait appliquer des normes de bonne gouvernance plus strictes et incompatibles avec celles du droit des sociétés qui s’appliquent aux États-Unis, il convient de relever tout d’abord que, lorsque la Commission sanctionne le comportement illicite d’une entreprise, même ayant son origine dans une entente à caractère international, elle vise à sauvegarder la libre concurrence à l’intérieur du marché commun qui constituait, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE, un objectif fondamental de la Communauté. Du fait de la spécificité du bien juridique protégé dans l’Union, les appréciations portées par la Commission, en vertu de ses compétences en la matière, peuvent diverger considérablement de celles effectuées par des autorités compétentes d’États tiers. Par ailleurs, il n’existe pas de principe ni de convention de droit international public en vertu desquels la Commission pourrait se voir obligée, lors de l’imputation d’un comportement infractionnel en application du droit de la concurrence de l’Union, de tenir compte des appréciations portées par les autorités compétentes d’un État tiers en matière de droit de la concurrence. Ensuite, il importe d’ajouter que l’accord conclu entre le gouvernement des États-Unis d’Amérique et la Commission des Communautés européennes concernant l’application de leurs règles de concurrence du 23 septembre 1991, invoqué par la requérante à cet égard, se limite à promouvoir la coopération et la coordination et à diminuer la possibilité ou l’impact des différences qui existeraient entre les parties concernant l’application de leurs règles de concurrence et ne vise pas l’imputation du comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère (voir, en ce sens et par analogie, arrêt de la Cour du 29 juin 2006, Showa Denko/Commission, C‑289/04 P, Rec. p. I‑5859, points 55, 58 et 59). Enfin, à supposer même qu’un tel accord puisse être invoqué à l’encontre de la légalité de la décision attaquée, il apparaît clairement à la lecture de l’article 4 dudit accord que celui-ci se borne à indiquer la ligne de conduite que les parties se demandent de suivre dans le cadre de l’application de leurs règles de concurrence respectives. De telles demandes réciproques ne peuvent, en tout état de cause, s’entendre comme impliquant une obligation pour la Commission de parvenir à un résultat spécifique. Il s’ensuit que, en tout hypothèse, comme le relève la Commission, l’argument de la requérante selon lequel la décision attaquée méconnaîtrait les termes de l’article 4 de cet accord n’est nullement étayé et doit donc être rejeté.

103    Quant à l’argument de la requérante selon lequel la Commission n’a identifié aucun comportement de sa part qui a eu un effet dans l’Union, il suffit de constater qu’un tel argument repose sur la prémisse erronée selon laquelle DDE a été une entreprise distincte et autonome de la requérante, ainsi qu’il a été relevé aux points 80 à 89 ci‑dessus. Par ailleurs, la requérante ne conteste pas les constatations de la Commission figurant aux considérants 59 et 374 à 379 de la décision attaquée concernant l’effet sensible de l’entente en cause sur le commerce entre les États membres de l’Union et entre les parties contractantes à l’accord EEE. Il s’ensuit que cet argument doit être rejeté.

104    Il résulte de tout ce qui précède que la seconde branche du premier moyen doit être rejetée comme non fondée.

–       Sur la première branche, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation des faits et d’une erreur de droit ainsi que d’une violation des droits de la défense en ce qui concerne la connaissance par la requérante de l’existence de l’entente

105    Au considérant 428 de la décision attaquée, la Commission a relevé que la requérante « était vraisemblablement également au courant de l’existence de l’entente » et que la connaissance de l’existence de l’entente était « un facteur additionnel qui démontre que [la requérante et EI DuPont] ont exercé une influence [déterminante] sur le comportement de DDE ». Force est donc de constater que la connaissance par la requérante de l’infraction commise par DDE n’a été considérée que comme un facteur supplémentaire par la Commission et ne constituait pas un élément essentiel retenu par la Commission à l’encontre de la requérante.

106    Il y a lieu d’observer que, selon la jurisprudence, il n’est pas exigé pour imputer à une société mère les actes commis par sa filiale de prouver que ladite société mère a été directement impliquée dans, ou a eu connaissance, des comportements incriminés. Ce n’est pas une relation d’instigation relative à l’infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu’elles constituent une entreprise au sens de l’article 81 CE qui habilite la Commission à adresser la décision imposant des amendes à la société mère (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 30 avril 2009, Itochu/Commission, T‑12/03, Rec. p. II‑883, point 58). Dès lors, le fait que Dow n’a pas eu connaissance de l’infraction commise par DDE, à le supposer établi, ne saurait suffire pour infirmer la conclusion, formulée au point 89 ci-dessus, selon laquelle le comportement de DDE sur le marché du CR est imputable notamment à la requérante, laquelle, en tant qu’une des sociétés mères de celle-ci, a exercé une influence déterminante sur ce comportement.

107    En outre, il y a lieu de rappeler la jurisprudence citée au point 77 ci-dessus, selon laquelle est dépourvue de pertinence la question de savoir si la société mère s’est mêlée de la gestion quotidienne de sa filiale ou si les activités anticoncurrentielles de la filiale s’expliquaient par des instructions de la société mère ou étaient connues de cette dernière. Une société mère peut exercer une influence déterminante sur ses filiales même sans faire usage d’un droit de regard et sans donner ni instructions ni directives sur certains aspects de la politique commerciale. Le point déterminant est de savoir si la société mère exerce une influence suffisante pour orienter le comportement de la filiale dans une mesure telle que les deux doivent être considérées comme formant partie d’une même unité sur le plan économique.

108    Or, il découle de l’analyse de la seconde branche du premier moyen que la requérante, en tant qu’une des sociétés mères de DDE, a exercé sur DDE une influence déterminante suffisante pour pouvoir orienter le comportement celle‑ci dans une mesure telle que les deux ont pu être considérées comme des éléments d’une même unité sur le plan économique. Il en ressort également que c’est à bon droit que la Commission a imputé notamment à la requérante l’infraction commise par DDE pendant la période du 1er avril 1996 au 13 mai 2002. Dès lors, les arguments de la requérante selon lesquels la décision attaquée doit être annulée parce que la Commission a tenu compte de sa connaissance de l’entente doivent être rejetés comme inopérants.

109    S’agissant des arguments présentés par la requérante dans le cadre de la présente branche et relatifs, en substance, à une violation des droits de la défense et selon lesquels la Commission a violé « son droit d’être entendue » en se référant, aux considérants 428 et 438 de la décision attaquée, à des éléments concernant la connaissance de l’existence de l’entente par la requérante qui ne figuraient pas dans la communication des griefs, ils ne sont pas fondés.

110    À cet égard, il y a lieu de rappeler que le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou à des astreintes, constitue un principe fondamental du droit de l’Union qui doit être observé, même s’il s’agit d’une procédure à caractère administratif (arrêts de la Cour du 29 juin 2006, SGL Carbon/Commission, C‑308/04 P, Rec. p. I‑5977, point 94, et du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, Rec. p. I‑8681, point 270). En ce sens, le règlement n° 1/2003 prévoit l’envoi aux parties d’une communication des griefs qui doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure. Une telle communication des griefs constitue la garantie procédurale appliquant le principe fondamental du droit de l’Union qui exige le respect des droits de la défense dans toute procédure. Ce principe exige notamment que la communication des griefs adressée par la Commission à une entreprise à l’encontre de laquelle elle envisage d’infliger une sanction pour violation des règles de concurrence contienne les éléments essentiels retenus à l’encontre de cette entreprise, tels que les faits reprochés, la qualification qui leur est donnée et les éléments de preuve sur lesquels la Commission se fonde, afin que cette entreprise soit en mesure de faire valoir utilement ses arguments dans le cadre de la procédure administrative engagée à son égard (voir arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C‑322/07 P, C‑327/07 P et C‑338/07 P, Rec. p. I‑7191, points 35 et 36, et la jurisprudence citée).

111    En l’espèce, il ressort du considérant 428 de la décision attaquée (voir point 105 ci-dessus), que la connaissance de l’existence de l’entente a été retenue par la Commission en tant que facteur additionnel, complétant son raisonnement développé dans la décision attaquée. Au considérant 438 de la décision attaqué, la Commission a indiqué que, « [q]uant au témoignage produi[t] par [la requérante] et [EI] DuPont dans leur réponse à la communication des griefs et auquel elles se réfèrent pour démontrer que les sociétés mères et le comité des membres n’étaient pas au courant, le témoignage port[ait] sur l’enquête interne qui, en Europe, concernait non seulement DDE, mais aussi les activités d[’EI] DuPont avant 1996 et qu’une partie importante du mandat d’enquête avait pour but d’aider DDE à obtenir un traitement favorable de clémence ».

112    Il ressort donc sans équivoque de la décision attaquée que, ainsi que la Commission l’a relevé, les éléments concernant la connaissance de l’existence de l’entente par la requérante ont été ajoutés à la décision attaquée en réponse à l’argument avancé par la requérante dans sa réponse à la communication des griefs, selon lequel elle n’avait pas connaissance des activités collusoires de DDE. Il s’ensuit que la Commission n’a pas opposé à la requérante, dans la décision attaquée, des éléments concernant sa connaissance de l’existence de l’entente dont celle-ci n’aurait pas été informée et que la requérante a pu faire valoir utilement ses arguments à cet égard dans le cadre de la procédure administrative, notamment en produisant les résultats d’une enquête interne ainsi qu’une déclaration d’un consultant externe. La Commission les a simplement écartés comme non concluants. Dans ces circonstances, la violation alléguée des droits de la défense n’est pas établie.

113    Il s’ensuit que la première branche du présent moyen doit être écartée comme inopérante et, en tout état de cause, comme partiellement non fondée.

114    Par conséquent, le premier moyen, tiré de l’imputation erronée à la requérante de l’infraction commise par DDE, doit être rejeté.

115    Au vu de ce qui précède, il convient également de constater qu’il n’y a pas eu lieu de recourir à l’audition de témoin demandée par la requérante (voir point 48 ci‑dessus). En effet, il appartient au Tribunal d’apprécier l’utilité des mesures d’instruction aux fins de la solution du litige (arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, Commission/Trends, T‑448/04, non publié au Recueil, point 195) et, en l’espèce, au vu de l’analyse effectuée ci-dessus, cette audition semble inutile.

 Sur le second moyen, soulevé à titre subsidiaire et tiré de la détermination erronée du montant de l’amende infligée à la requérante

 Rappel du libellé de la décision attaquée

116    S’agissant, tout d’abord, du coefficient multiplicateur appliqué au montant de départ de l’amende afin de tenir compte de la durée de l’infraction, la Commission a indiqué, au considérant 536 de la décision attaquée, que « l’infraction a[vait] duré neuf ans pour Bayer, [EI] DuPont, Denka, Eni[C]hem et Tosoh et six ans et un mois pour Dow et DPE [LLC et DPE SA] » et que, « [c]onformément au [paragraphe] 24 des lignes directrices [de 2006], le montant [de départ de l’amende déterminé en fonction de la valeur des ventes] devrait être dès lors multiplié par [neuf] pour Bayer, [EI] DuPont, Denka, Eni[C]hem et Tosoh et par [six et demi] pour Dow et DPE [LLC et DPE SA] ».

117    S’agissant, ensuite, de la majoration spécifique appliquée afin de garantir un effet suffisamment dissuasif aux amendes, la Commission a relevé, au considérant 584 de la décision attaquée, que « Eni[C]hem, Dow, [EI] DuPont et Bayer [avaient] un chiffre d’affaires particulièrement élevé au-delà des biens et services auxquels l’infraction se réfère, le chiffre d’affaires de chacun d’eux, en termes absolus, étant nettement plus important que celui de Tosoh et Denka ».

118    Au considérant 586 de la décision attaquée, la Commission a estimé ce qui suit :

« En résumé, afin de fixer le montant des amendes à un niveau qui garantit un effet suffisamment dissuasif, il est approprié d’appliquer un facteur de multiplication aux amendes à infliger. En 2006, l’exercice financier précédant cette décision, les chiffres d’affaires totaux des entreprises auxquelles cette décision s’adresse étaient les suivants: E[ni] : 86 105 millions [euros] ; Dow : 39 124 millions [euros] ; Bayer : 28 956 millions [euros] ; [EI] DuPont : 21 839 millions [euros] ; Tosoh : 5 350 millions [euros] et Denka : 2 254 millions [euros]. Sur cette base, il est adéquat de ne pas appliquer de facteur de multiplication à l’amende infligée à Bayer, [EI] DuPon[t], Tosoh et Denka et de multiplier par 1,4 l’amende à infliger à E[ni] et par 1,1 l’amende à infliger à Dow. »

119    S’agissant, enfin, de l’application de la communication sur la coopération de 2002, la Commission a décidé, au considérant 637 de la décision attaquée, que « [EI] DuPont/DPE [LLC et DPE SA] devrait se voir attribuer une réduction de 25 % de l’amende qui lui aurait autrement été infligée ».

120    Au considérant 635 de la décision attaquée, la Commission a expliqué :

« En fixant dans la plage des 20 à 30 % le pourcentage de réduction de l’amende pour laquelle DDE/DPE [LLC et DPE SA] se qualifie, conformément au [paragraphe] 23 de la communication sur la [coopération de 2002], la Commission tient compte du degré auquel les preuves soumises par DDE/DPE [LLC et DPE SA] représentent une valeur ajoutée, ainsi que du moment auquel DDE/DPE [LLC et DPE SA] a soumis ces preuves. DDE/DPE [LLC et DPE SA] a approché la Commission dix mois après les inspections surprises de la Commission chez Dow et quatre mois après ses inspections chez Denka. La valeur ajoutée de la contribution de DDE/DPE [LLC et DPE SA] est principalement liée aux éléments restant à étayer, y compris après la contribution de Tosoh, en particulier par la soumission d’éléments probants directs concernant la période initiale de l’entente et les autres détails qu’elle a confirmés ou révélés (notamment concernant la portée générale et le fonctionnement de l’entente). Sans la preuve directe fournie par DDE concernant les premières années de l’entente, la Commissions aurait uniquement pu se fier aux déclarations orales de Bayer et de Tosoh, qui étaient en partie contradictoires. Les documents qui lui ont été transmis lui ont permis d’établir aussi sans aucune ambiguïté les deux premières années de l’entente. »

 Arguments des parties

121    La requérante fait valoir que, même si la Commission l’a, à bon droit, tenue pour responsable de l’infraction commise par DDE, elle a commis des erreurs manifestes d’appréciation des faits et des erreurs de droit dans la détermination du montant de l’amende qu’elle lui a infligée. À cet égard, elle subdivise son second moyen en trois branches, relatives à l’application du coefficient multiplicateur en fonction de la durée de l’infraction, à la majoration spécifique appliquée afin de garantir un effet suffisamment dissuasif à l’amende et à la réduction du montant de l’amende en vertu de la communication sur la coopération de 2002.

122    Par ailleurs, s’agissant de la décision modificative du 23 juin 2008, la requérante ajoute que, étant donné qu’elle se voit imputer une responsabilité non pas pour un acte répréhensible qu’elle aurait commis, mais pour un acte commis par DDE, il n’est pas approprié de lui infliger une amende plus élevée, en tant qu’actionnaire, ni de lui imputer, en tant qu’actionnaire, la responsabilité individuelle d’une part quelconque de l’amende.

–       Sur la première branche, relative à l’application du coefficient multiplicateur en fonction de la durée de l’infraction

123    La requérante fait valoir qu’une multiplication du montant de départ de l’amende par un facteur de 6,5 pour prendre en compte la durée de l’infraction dont elle est tenue pour responsable, laquelle a été fixée par la Commission à six ans et un mois (pour la période d’existence de l’entreprise commune du 1er avril 1996 au 13 mai 2002), et qui revient à traiter un seul mois comme s’il s’agissait d’une demi-année, même si cela est conforme au paragraphe 24 des lignes directrices de 2006, constitue une erreur manifeste d’appréciation des faits et viole les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement. Dans la réplique, la requérante souligne qu’elle n’affirme pas que les lignes directrices de 2006 seraient illégales.

124    La multiplication par un facteur de 6,5 violerait les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, puisque les entreprises seraient sanctionnées pour des périodes plus longues, et, en l’espèce, une période considérablement plus longue, que la durée de l’infraction. Or, considérant l’arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, BASF et UCB/Commission (T‑101/05 et T‑111/05, Rec. p. II‑4949, point 219), dont il résulterait que la proportionnalité des amendes est plus affinée lorsqu’elles sont calculées d’une manière qui reflète la durée exacte de la participation d’une entreprise à l’infraction, la Commission aurait dû, en l’espèce, calculer le coefficient multiplicateur en fonction de la durée sur la base de la durée précise de l’infraction.

125    Le principe d’égalité de traitement serait également violé dans la mesure où la Commission n’aurait pas appliqué à Bayer, à EI DuPont, à Denka, à EniChem ou à Tosoh de coefficient multiplicateur supérieur au nombre d’années qu’a duré l’infraction, c’est-à-dire neuf ans « et quelques heures » (du 13 mai 1993 au 13 mai 2002). Contrairement à ces entreprises, qui ont été sanctionnées par l’application d’un coefficient multiplicateur de 9, la requérante aurait été sanctionnée par l’application d’un coefficient multiplicateur excédant de manière significative la durée de son infraction.

126    À cet égard, la requérante fait également valoir que, à supposer que la Commission puisse démontrer sa connaissance de l’existence de l’entente et puisse s’appuyer à cet effet sur la discussion relative à la fermeture de l’usine, et à supposer que cet élément soit pertinent pour lui imputer le comportement de DDE, elle ne pourrait se voir imputer une responsabilité qu’à compter de ce moment. L’infraction aurait donc duré bien moins de six ans, la discussion au comité des membres n’ayant eu lieu qu’en janvier 1998.

127    Lors de l’audience, la requérante a avancé un argument selon lequel le paragraphe 24 des lignes directrices de 2006 serait illégal.

128    La Commission estime que la présente branche doit être rejetée comme non fondée. Selon elle, l’argument tiré d’une éventuelle illégalité du paragraphe 24 des lignes directrices de 2006 contredit les affirmations de la requérante dans la réplique et, en toute hypothèse, doit être rejeté comme tardif.

–       Sur la deuxième branche, relative à la majoration spécifique appliquée afin de garantir un effet suffisamment dissuasif aux amendes

129    La requérante réitère que, dès lors qu’elle n’a rien fait de répréhensible, l’amende qui lui a été infligée ne peut avoir aucun effet dissuasif et a seulement des effets négatifs sur la concurrence. En outre, elle soutient que, en accroissant de 10 % le montant de l’amende qui lui a été infligée, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation des faits et aurait violé le principe d’égalité de traitement. Elle relève que, dans la décision C (2007) 5469 final de la Commission, du 20 novembre 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/38.432 – Bandes vidéo professionnelles) (ci-après la « décision Bandes vidéo professionnelles »), la Commission a infligé à Sony une amende augmentée du même coefficient de 10 % alors que le chiffre d’affaires mondial de cette entreprise serait plus de 40 % plus élevé que le sien.

130    Selon la requérante, le principe d’égalité de traitement s’applique non seulement aux destinataires d’une même décision, mais également entre la décision susmentionnée et la décision attaquée, lesquelles ont été adoptées à deux semaines d’intervalle. De plus, l’argument de la Commission selon lequel le marché en cause dans l’affaire ayant donné lieu à la décision Bandes vidéo professionnelles (voir point 129 ci-dessus) avait des caractéristiques différentes en ce que les bandes vidéo en cause dans ladite affaire ne seraient plus produites ne serait pas pertinent. En tout état de cause, elle prétend se trouver dans la même situation que Sony, étant donné qu’elle ne distribuait plus de CR au moment où la Commission a adopté la décision attaquée. Si cet élément devait jouer un rôle, la décision attaquée la discriminerait par rapport à EniChem, laquelle est toujours active dans le secteur du CR.

131    La Commission estime que la présente branche doit être rejetée comme non fondée.

–       Sur la troisième branche, relative à la réduction du montant de l’amende en vertu de la communication sur la coopération de 2002

132    La requérante soutient que, en ne leur accordant qu’une réduction de 25 % du montant de base de leur amende au titre de la communication sur la coopération de 2002, alors que la fourchette applicable est de 20 à 30 % et que le premier demandeur de clémence, Tosoh, s’est vu accorder la réduction maximale prévue dans la fourchette applicable à sa situation, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation des faits et une erreur de droit. De plus, la Commission n’aurait pas motivé sa décision de façon adéquate à cet égard et, en traitant le premier demandeur de clémence de façon plus favorable, elle aurait violé le principe de non-discrimination.

133    La requérante souligne, en particulier, que la demande de clémence de DDE n’a été déposée que quatre mois après la première déclaration de Tosoh, une différence minime dans le contexte d’une enquête telle que celle en cause. En outre, la succession dans le temps des demandes de clémence serait déjà prise en considération dans les fourchettes de réduction prévues par la communication sur la coopération de 2002.

134    Dès lors que les éléments apportés dans le cadre de la demande de clémence de DDE avaient une réelle valeur ajoutée, comme le démontrerait la décision attaquée à plusieurs reprises, DDE aurait dû bénéficier du montant de réduction maximale possible dans la fourchette prévue par la communication sur la coopération de 2002. La Commission aurait à tout le moins dû expliquer les raisons pour lesquelles DDE, et donc la requérante, ne pouvait en bénéficier. La requérante conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle celle-ci n’est pas tenue de faire une analyse comparative explicite des raisons pour lesquelles, en termes relatifs, une entreprise n’a pas bénéficié d’une réduction aussi élevée qu’une autre. Selon elle, la Commission doit être en mesure de démontrer avoir respecté les principes de non‑discrimination et de proportionnalité.

135    La Commission estime que la présente branche doit être rejetée comme non fondée.

 Appréciation du Tribunal

136    Il convient d’analyser tout d’abord les trois branches du présent moyen, puis l’argumentation de la requérante relative à la décision modificative du 23 juin 2008.

–       Sur la première branche, relative à l’application du coefficient multiplicateur en fonction de la durée de l’infraction

137    Il convient de rappeler que les amendes que la Commission a infligées en l’espèce sont régies par l’article 23 du règlement n° 1/2003, qui correspond à l’article 15 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), lequel était en vigueur au moment où l’infraction a été commise. Pour déterminer le montant de l’amende, la Commission a appliqué les lignes directrices de 2006. Ces lignes directrices ont été publiées avant l’envoi de la communication des griefs à la requérante le 13 mars 2007.

138    Aux termes de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, pour déterminer le montant de l’amende à infliger aux entreprises coupables d’infractions aux règles de la concurrence, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.

139    Il ressort d’une jurisprudence constante que, dans les limites prévues par le règlement n° 1/2003, la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’exercice de son pouvoir d’imposer de telles amendes (arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 172, et arrêt Erste Group Bank e.a./Commission, point 110 supra, point 123). Ce pouvoir est toutefois limité ; en effet, lorsque la Commission adopte des lignes directrices destinées à préciser, dans le respect du traité, les critères qu’elle compte appliquer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation, il en résulte une autolimitation de ce pouvoir en ce qu’il lui appartient de se conformer aux règles indicatives qu’elle s’est imposées (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08 P, Rec. p. I‑5361, point 95, et arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Carbone‑Lorraine/Commission, T‑73/04, Rec. p. II‑2661, point 192, et la jurisprudence citée). Elle ne peut s’en écarter dans un cas particulier sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 209).

140    En ce qui concerne le coefficient multiplicateur en fonction de la durée de l’infraction, le paragraphe 24 des lignes directrices de 2006 prévoit que, « [a]fin de prendre pleinement en compte la durée de la participation de chaque entreprise à l’infraction, le montant déterminé en fonction de la valeur des ventes […] sera multiplié par le nombre d’années de participation à l’infraction » et que « [l]es périodes de moins d’un semestre seront comptées comme une [demi-année] ; les périodes de plus de six mois, mais de moins d’un an, seront comptées comme une année complète ».

141    Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, la Commission peut adapter à tout moment le niveau des amendes si l’application efficace des règles de la concurrence l’exige (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 109, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, points 236 et 237), une telle altération d’une pratique administrative pouvant alors être considérée comme objectivement justifiée par l’objectif de prévention générale des infractions aux règles de la concurrence. L’augmentation du niveau des amendes ne saurait donc, en soi, être considérée comme illégale au regard du principe de légalité des peines, dès lors qu’elle reste dans le cadre légal défini par l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1/2003, tel qu’interprété par les juridictions de l’Union (arrêts du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T‑279/02, Rec. p. II‑897, point 81, et du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T‑69/04, Rec. p. II‑2567, point 43).

142    La méthode consistant à apprécier la durée d’une infraction par seuils progressifs de six mois chacun, bien qu’elle puisse aboutir à ignorer les différences pouvant exister entre les durées exactes pendant lesquelles les entreprises ont participé à l’infraction, ne saurait être censurée, à condition que la fixation de tels seuils respecte le principe d’égalité de traitement, selon lequel il est interdit de traiter des situations comparables de manière différente et des situations différentes de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié, et le principe de proportionnalité, qui exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché. Cependant, le contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union sur l’exercice du pouvoir d’appréciation dont la Commission dispose en la matière doit se limiter à contrôler que les seuils fixés sont cohérents et objectivement justifiés, sans que le juge substitue d’emblée son appréciation à celle de la Commission (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Itochu/Commission, point 106 supra, points 73 et 74).

143    Or, le fait que le coefficient multiplicateur en fonction de la durée ne soit pas strictement proportionnel à la durée exacte de l’infraction commise par l’entreprise en cause ne saurait être censuré, dans la mesure où il n’est que le résultat de la méthode consistant à apprécier la durée d’une infraction par seuils progressifs de six mois chacun. En effet, même si, en raison de l’application de cette méthode, certaines entreprises se voient appliquer un coefficient multiplicateur calculé par référence à une période plus longue que celle durant laquelle elles ont effectivement participé à l’infraction, la différence de traitement est objectivement justifiée par l’objectif de prévention générale et la poursuite effective des infractions aux règles de la concurrence de l’Union (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Itochu/Commission, point 106 supra, points 76, 77 et 81). En outre, au regard de la durée généralement longue des infractions, en particulier des infractions les plus graves, auxquelles l’article 81 CE est appliqué, la fixation de seuils progressifs de six mois est cohérente, objectivement justifiée et non disproportionnée.

144    Ainsi, s’agissant du choix de la Commission de traiter les périodes de moins de six mois comme une demi-année, et donc de traiter une période d’un mois et treize jours comme s’il s’agissait d’une demi‑année, et les périodes de plus de six mois, mais de moins d’un an, comme une année complète, il y a lieu de constater qu’il ne dépasse pas les limites du pouvoir d’appréciation dont elle dispose en la matière et ne viole pas les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement.

145    Par conséquent, l’argument soulevé par la requérante lors de l’audience visant à faire constater que le paragraphe 24 des lignes directrices de 2006 est contraire aux principes de proportionnalité et d’égalité de traitement doit être rejeté comme non fondé, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur sa recevabilité.

146    En l’espèce, il est constant que DDE a participé à l’entente du 1er avril 1996 au 13 mai 2002, soit pendant une période infractionnelle de six ans, un mois et treize jours. Par conséquent, en fixant la durée de l’infraction commise à six ans et un mois et en multipliant le montant de départ de l’amende par un facteur de 6,5, la Commission s’est conformée aux règles qu’elle s’est imposées dans les lignes directrices de 2006 et, partant, n’a pas dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation.

147    Quant à l’argument que la requérante tire de l’arrêt BASF et UCB/Commission, point 124 supra, il suffit de constater que, dans cette affaire, c’est dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, et après avoir partiellement annulé la décision qui était en cause, que le Tribunal avait procédé à un nouveau calcul du montant de l’amende qui devait être imposée à BASF et qu’il avait choisi d’affiner le montant de l’amende de manière à refléter la durée exacte de la participation de BASF à l’infraction en cause, tout en soulignant que les lignes directrices ne préjugent pas de l’appréciation du montant de l’amende par le juge de l’Union, qui dispose à cet égard, en vertu de l’article 17 du règlement n° 17 (devenu article 31 du règlement n° 1/2003), d’une compétence de pleine juridiction.

148    Ainsi, d’une part, il ne résulte pas de cet arrêt, contrairement à ce que la requérante sous-entend, que la Commission est obligée, afin que le principe de proportionnalité soit respecté, d’assurer que le coefficient multiplicateur appliqué en fonction de la durée de l’infraction reflète la durée exacte de la participation de chaque entreprise à celle-ci. D’autre part, en l’espèce, il ne s’agit pas, à ce stade, pour le Tribunal, en l’absence de toute constatation d’illégalité de la décision attaquée, comme c’était le cas dans l’affaire ayant donné lieu l’arrêt BASF et UCB/Commission, point 124 supra, de recalculer le montant de l’amende infligée à la requérante, mais de contrôler la légalité de l’application, par la Commission, des lignes directrices de 2006 à sa situation. L’argument que la requérante tire de l’arrêt BASF et UCB/Commission, point 124 supra, doit donc être rejeté.

149    S’agissant de l’argument selon lequel, en multipliant le montant de départ de l’amende déterminé en fonction de la valeur des ventes par 9 pour Bayer, EI DuPont, Denka, EniChem et Tosoh pour une infraction ayant duré neuf ans « et quelques heures », et en multipliant ce montant par 6,5 pour la requérante pour une infraction ayant duré sensiblement moins longtemps que six ans et demi, la Commission a violé le principe d’égalité de traitement, il y a lieu de constater que, au considérant 515 de la décision attaquée, la Commission a estimé que l’infraction de la requérante établie du 1er avril 1996 au 13 mai 2002, avait duré six ans et un mois. De la même manière, concernant les autres entreprises, la Commission a estimé que leur infraction établie du 13 mai 1993 au 13 mai 2002 avait duré neuf ans. Il s’ensuit que, dans le calcul de la durée de l’infraction, la Commission a pris en considération uniquement des années et des mois entiers et n’a pas tenu compte des jours. Dès lors, en déterminant la durée de l’infraction, la Commission a appliqué la même méthode de calcul à l’égard de tous les participants et elle n’a pas violé le principe d’égalité de traitement.

150    Par ailleurs, à supposer qu’il soit établi que la participation à l’infraction des autres entreprises ait bien été supérieure à neuf ans, et à supposer même que la Commission ait commis une erreur en faveur de ces entreprises en appliquant au montant de départ de leurs amendes seulement un coefficient multiplicateur de 9, cette circonstance ne saurait constituer un motif valable pour diminuer l’amende infligée à la requérante, nul ne pouvant invoquer une illégalité commise en faveur d’autrui (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 juillet 2005, Scandinavian Airlines System/Commission, T‑241/01, Rec. p. II‑2917, point 170). Cet argument doit donc également être rejeté.

151    Quant à l’argument selon lequel la participation de la requérante à l’infraction n’aurait pu commencer qu’à compter du moment où elle a pris connaissance de cette infraction, il suffit de rappeler, ainsi qu’il résulte de l’analyse du premier moyen, que la responsabilité de la requérante résulte du fait, d’une part, qu’elle avait la possibilité d’exercer une influence déterminante sur la stratégie commerciale de sa filiale et, d’autre part, qu’elle a effectivement exercé cette influence déterminante, et non du fait de sa connaissance éventuelle de l’entente en cause. Il y a dès lors lieu de rejeter cet argument.

152    Au vu de ce qui précède, la première branche du présent moyen doit être rejetée comme non fondée.

–        Sur la deuxième branche, relative à la majoration spécifique appliquée afin de garantir un effet suffisamment dissuasif aux amendes

153    Il convient de relever que le paragraphe 30 des lignes directrices de 2006 prévoit que « [l]a Commission portera une attention particulière au besoin d’assurer que les amendes présentent un effet suffisamment dissuasif; à cette fin, elle peut augmenter l’amende à imposer aux entreprises dont le chiffre d’affaires, au‑delà des biens et services auxquelles l’infraction se réfère, est particulièrement important ».

154    La requérante soulève deux arguments à cet égard, qui ne peuvent être retenus.

155    D’une part, s’agissant de l’argument selon lequel l’amende ne peut avoir aucun effet dissuasif à l’égard de la requérante dès lors qu’elle « n’a rien fait de répréhensible », il suffit de relever qu’une telle argumentation repose sur la prémisse selon laquelle aucune infraction commise par la requérante n’a été constatée. Or, il ressort des considérants 420 à 440 et des articles 1er et 2 de la décision attaquée que la requérante a été personnellement condamnée pour une infraction qu’elle est censée avoir commise elle-même en raison des liens économiques et juridiques étroits qui l’unissaient à DDE et qui lui permettaient de déterminer le comportement de cette dernière sur le marché. En effet, comme il ressort de l’analyse du premier moyen, l’infraction commise par DDE est imputable à la requérante en raison de l’influence déterminante que la requérante a exercé sur le comportement de DDE sur le marché du CR. Partant, cet argument doit être écarté.

156    D’autre part, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel elle est victime d’une violation du principe d’égalité de traitement en raison du fait qu’elle a été traitée différement d’une autre entreprise visée dans une décision antérieure de la Commission et d’une erreur manifeste d’appréciation de la Commission à cet égard, il ne peut davantage prospérer. Certes, le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit au respect duquel la Commission est tenue dans le cadre d’une procédure engagée au titre de l’article 81 CE et il s’oppose à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente et à ce que des situations différentes soient traitées de manière semblable, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Toutefois, dans le cadre du calcul du montant des amendes infligées au titre de l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1/2003, le juge de l’Union a reconnu que, afin d’atteindre l’objectif de dissuasion, un certain traitement différencié entre les entreprises visées par une décision de la Commission est inhérent à l’application de la méthode choisie par les lignes directrices (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, Rec. p. II‑3435, point 238). En outre, il ressort d’une jurisprudence constante que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence et que des décisions concernant d’autres affaires ont un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence de discriminations (arrêt JCB Service/Commission, point 91 supra, point 205). En effet, les enseignements tirés de cette pratique ne peuvent avoir qu’un caractère indicatif dès lors que les données circonstancielles des affaires, telles que les marchés, les produits, les pays, les entreprises et les périodes concernés, ne sont pas identiques (arrêt JCB Service/Commission, point 91 supra, point 201). Il résulte de ce qui précède que la circonstance que la Commission a infligé à Sony une amende augmentée de 10 %, alors que le chiffre d’affaires mondial de cette dernière était plus de 40 % plus élevé que celui de la requérante, n’est pas, en l’espèce, révélatrice d’un traitement discriminatoire à l’égard de la requérante et ne peut pas être invoquée dans le cadre de la présente affaire, contrairement à ce que fait valoir la requérante. Considérant en outre le large pouvoir d’appréciation dont la Commission dispose dans la fixation du montant des amendes (voir point 139 ci-dessus), l’erreur manifeste d’appréciation alléguée n’est pas non plus établie. Il s’ensuit que l’argument doit être rejeté comme non fondé, ainsi que la deuxième branche du présent moyen.

–        Sur la troisième branche, relative à la réduction du montant de l’amende en vertu de la communication sur la coopération de 2002

157    Il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 138 et 139 ci‑dessus, si la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans la fixation des amendes, l’exercice de ce pouvoir est toutefois limité, notamment par les règles de conduite que la Commission s’est imposées, non seulement dans les lignes directrices pour le calcul du montant des amendes, mais également dans la communication sur la coopération de 2002 (voir arrêt Lafarge/Commission, point 139 supra, point 95, et la jurisprudence citée).

158    Dans la communication sur la coopération de 2002, la Commission a défini les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec elle au cours de son enquête sur une entente peuvent être exemptées de l’amende ou bénéficier d’une réduction du montant de l’amende qu’elles auraient autrement dû acquitter.

159    Au paragraphe 8 de la communication sur la coopération de 2002, il est indiqué :

« La Commission exemptera une entreprise de toute amende qu’elle aurait à défaut dû acquitter :

a)      lorsque l’entreprise est la première à fournir des éléments de preuve qui, de l’avis de la Commission, sont de nature à lui permettre d’adopter une décision ordonnant des vérifications en vertu de l’article 14, paragraphe 3, du règlement [n°] 17 […], concernant une entente présumée affectant la Communauté, ou

b)      lorsque l’entreprise est la première à fournir des éléments de preuve qui, de l’avis de la Commission, sont de nature à lui permettre de constater une infraction à l’article 81 […] CE […] en rapport avec une entente présumée affectant la Communauté. »

160    Il est précisé, au paragraphe 20 de la communication sur la coopération de 2002, que « [l]es entreprises qui ne remplissent pas les conditions [d’exemption de l’amende] prévues au titre A [Immunité d’amendes] peuvent toutefois bénéficier d’une réduction de l’amende qui à défaut leur aurait été infligée » et, au paragraphe 21, que, « [a]fin de pouvoir prétendre à une telle réduction, une entreprise doit fournir à la Commission des éléments de preuve de l’infraction présumée qui apportent une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments de preuve déjà en possession de la Commission, et doit mettre fin à sa participation à l’activité illégale présumée au plus tard au moment où elle fournit ces éléments de preuve ».

161    S’agissant de la notion de valeur ajoutée, il est expliqué au paragraphe 22 de la communication sur la coopération de 2002 ce qui suit :

« La notion de ‘valeur ajoutée’ vise la mesure dans laquelle les éléments de preuve fournis renforcent, par leur nature même et/ou leur niveau de précision, la capacité de la Commission d’établir les faits en question. Lors de cette appréciation, la Commission estimera généralement que les éléments de preuve écrits datant de la période à laquelle les faits se rapportent ont une valeur qualitative plus élevée que les éléments de preuve établis ultérieurement. De même, les éléments de preuve se rattachant directement aux faits en question seront le plus souvent considérés comme qualitativement plus importants que ceux qui n’ont qu’un lien indirect avec ces derniers. »

162    En outre, après avoir constaté que des éléments de preuve présentent une valeur ajoutée significative au sens du paragraphe 21 de la communication sur la coopération de 2002, la Commission dispose encore d’une marge d’appréciation lorsqu’elle est appelée à déterminer le niveau exact de la réduction du montant de l’amende à accorder à l’entreprise en cause. En effet, le paragraphe 23, sous b), premier alinéa, de la communication sur la coopération de 2002 prévoit des fourchettes pour la réduction du montant de l’amende pour les différentes catégories d’entreprises visées :

« –      [p]remière entreprise à remplir la condition énoncée au [paragraphe] 21 : réduction comprise entre 30 et 50 % ;

–      [d]euxième entreprise à remplir la condition énoncée au [paragraphe] 21 : réduction comprise entre 20 et 30 % ;

–       [a]utres entreprises remplissant la condition énoncée au [paragraphe] 21 : réduction maximale de 20 % ».

163    De plus, selon le paragraphe 23, sous b), deuxième alinéa, de la communication sur la coopération de 2002 :

« Pour définir le niveau de réduction à l’intérieur de ces fourchettes, la Commission prendra en compte la date à laquelle les éléments de preuve remplissant la condition énoncée au [paragraphe] 21 ont été communiqués et le degré de valeur ajoutée qu’ils ont représenté. Elle pourra également prendre en compte l’étendue et la continuité de la coopération dont l’entreprise a fait preuve à partir de la date de sa contribution. »

164    Selon la jurisprudence, la Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation pour ce qui est de la méthode de calcul des amendes et elle peut, à cet égard, tenir compte de multiples éléments, au nombre desquels figure la coopération des entreprises concernées lors de l’enquête conduite par les services de cette institution. Dans ce cadre, la Commission est appelée à effectuer des appréciations factuelles complexes, telles que celles qui portent sur la coopération respective desdites entreprises (arrêt de la Cour du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, C‑328/05 P, Rec. p. I‑3921, point 81). Par ailleurs, la Commission dispose d’une certaine marge d’appréciation dans l’évaluation du point de savoir si la coopération en cause a été « déterminante » pour lui faciliter la tâche de constater l’existence d’une infraction et d’y mettre fin, seul un dépassement manifeste de cette marge d’appréciation étant susceptible d’être censuré (voir arrêt du Tribunal du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, T‑410/03, Rec. p. II‑881, point 555, et la jurisprudence citée). Dès lors, le contrôle exercé par le Tribunal sur l’appréciation par la Commission de la valeur ajoutée des preuves fournies par une entreprise dans le cadre du programme de clémence est restreint.

165    En l’espèce, la requérante fait valoir que DDE aurait dû bénéficier du montant de réduction maximale possible dans la fourchette prévue par la communication sur la coopération de 2002, dès lors que Tosoh, le premier demandeur de clémence, s’est vu accorder la réduction maximale prévue dans la fourchette applicable à sa situation. Selon elle, les éléments apportés par la demande de clémence de DDE avaient une réelle valeur ajoutée et cette demande n’a été présentée que quatre mois après la déclaration de Tosoh.

166    À cet égard, il doit tout d’abord être relevé que la requérante ne conteste pas que la coopération de DDE relève du deuxième tiret du paragraphe 23, sous b), premier alinéa, de la communication sur la coopération de 2002, comme l’a constaté la Commission dans la décision attaquée, et que, à ce titre, elle avait droit à une réduction du montant de l’amende comprise entre 20 et 30 %. La réduction du montant de l’amende de 25 % accordée à la requérante au titre de la coopération de DDE respecte ainsi la fourchette prévue à cet effet par la communication sur la coopération de 2002.

167    De plus, si la Commission ne saurait, dans le cadre de son appréciation de la coopération fournie par les membres d’une entente, méconnaître le principe d’égalité de traitement (arrêt du Tribunal du 6 mai 2009, Wieland-Werke/Commission, T‑116/04, Rec. p. II‑1087, point 124), lequel s’oppose à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente et à ce que des situations différentes soient traitées de manière semblable, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt de la Cour du 15 octobre 2009, Audiolux e.a., C‑101/08, Rec. p. I‑9823, point 54, et la jurisprudence citée), l’appréciation de la valeur ajoutée des éléments contenus dans une demande de clémence s’effectue en fonction des éléments de preuve déjà en la possession de la Commission.

168    Or, d’une part, il ressort sans équivoque des constatations non contestées figurant dans le considérant 635 de la décision attaquée que, même si DDE a satisfait aux conditions prévues par le paragraphe 21 de la communication sur la coopération de 2002 relativement peu de temps après la déclaration du premier demandeur de clémence, il n’en reste pas moins que les éléments de preuve relatifs à l’entente qui ont été fournis par DDE et qui ont donné lieu à la réduction du montant de l’amende n’ont été communiqués à la Commission que dix mois après les inspections effectuées par la Commission chez Dow, quatre mois après les inspections effectuées chez Denka et quatre mois après que Tosoh a introduit sa demande de clémence.

169    D’autre part, dès lors que la coopération de Tosoh a précédé celle de DDE, la Commission disposait déjà de plus d’éléments de preuve au moment où DDE a introduit sa demande de clémence qu’au moment où Tosoh a introduit la sienne. De plus, Tosoh avait apporté plusieurs documents explicites et non ambigus, rédigés in tempore non suspecto, permettant à la Commission d’établir des faits qu’elle n’aurait pu établir autrement et de confirmer diverses situations que les éléments de preuve disponibles ne permettaient pas d’« incriminer » suffisamment (voir considérant 622 de la décision attaquée), alors que la valeur ajoutée de la contribution de DDE était principalement liée aux éléments restant à étayer, en particulier concernant la période initiale de l’entente (voir considérant 635 de la décision attaquée). Par ailleurs, il n’est pas contesté que Tosoh a fourni à la Commission des éléments de preuve significatifs relatifs à l’entente seulement une semaine après les inspections effectuées chez Denka.

170    Il en résulte que la Commission, en prenant en compte, en vertu du paragraphe 23, sous b), deuxième alinéa, de la communication sur la coopération de 2002, la date à laquelle les éléments de preuve ont été communiqués, sans même avoir égard à la qualité et à l’utilité des éléments de preuve communiqués par DDE et, par conséquent, en lui accordant une réduction du montant de l’amende de 25 % au titre de sa coopération aux fins de l’établissement de l’entente, n’a, contrairement à ce qu’affirme la requérante, pas manifestement excédé la marge d’appréciation dont elle dispose à cet égard. En outre, les situations de Tosoh et de DDE n’étant pas comparables, c’est sans violer le principe d’égalité de traitement que la Commission a accordé à Tosoh la réduction maximale prévue dans la fourchette applicable à sa situation [qui relevait du premier tiret du paragraphe 23, sous b), de la communication sur la coopération de 2002] et à DDE une réduction se trouvant au milieu de la fourchette applicable à sa situation [qui relevait du deuxième tiret du paragraphe 23, sous b), de la communication sur la coopération de 2002].

171    Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel la Commission n’aurait pas motivé sa décision de façon adéquate à cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, si, dans la motivation des décisions qu’elle est amenée à prendre pour assurer l’application des règles de concurrence, la Commission n’est pas obligée de discuter tous les éléments de fait et de droit ainsi que les considérations qui l’ont amenée à prendre une telle décision, il n’en reste pas moins qu’elle est tenue, en vertu de l’article 253 CE, de mentionner, à tout le moins, les faits et les considérations revêtant une importance essentielle dans l’économie de sa décision, permettant ainsi au juge de l’Union et aux parties intéressées de connaître les conditions dans lesquelles elle a fait application du traité (voir arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, point 95, et la jurisprudence citée). En l’espèce, il ressort de l’analyse effectuée aux points 165 à 171 ci-dessus que la Commission a dûment motivé sa décision. Partant, l’argument de la requérante pris d’une violation de l’obligation de motivation doit être rejeté.

172    La troisième branche du présent moyen doit donc être rejetée comme non fondée.

–       Sur la décision modificative du 23 juin 2008

173    S’agissant de la décision modificative du 23 juin 2008, la requérante « estime que, puisqu’elle se voit imputer une responsabilité non pas pour un acte répréhensible qu’elle aurait commis, mais pour un acte commis par DDE, il n’est pas approprié de lui infliger une amende plus élevée, en tant qu’actionnaire, ni de lui imputer, en tant qu’actionnaire, la responsabilité individuelle d’une part quelconque de l’amende » (voir point 122 ci‑dessus).

174    Aucun des arguments avancés par la requérante à l’encontre de la décision modificative du 23 juin 2008 ne permet de constater que cette décision est affectée d’une illégalité.

175    À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de la décision modificative du 23 juin 2008 que la Commission s’est rendu compte qu’elle avait commis une erreur en tenant EI DuPont pour solidairement responsable avec la requérante du paiement de 4,425 millions d’euros, dans la mesure où ce montant était le résultat de l’application du coefficient multiplicateur de dissuasion de 10 % à l’amende de la seule requérante. En vertu de la décision modificative du 23 juin 2008, la requérante est devenue seule responsable du paiement d’une amende de 4,425 millions d’euros et le montant de l’amende au paiement duquel EI DuPont et la requérante sont tenues pour solidairement responsables a été ramené de 48,675 millions d’euros à 44,250 millions (voir points 26 et 27 ci-dessus).

176    Il y a également lieu de rappeler que, ainsi qu’il résulte de l’analyse du premier moyen, la requérante, EI DuPont et DDE faisaient partie, du point de vue de l’objet de l’entente en cause, d’une seule unité économique et, partant, formaient une seule et même entreprise au sens de l’article 81 CE, laquelle a déployé un comportement unique sur le marché du CR et a participé à une infraction unique et continue à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE, étendue à l’ensemble du territoire de l’EEE. Il en ressort également que l’infraction commise par DDE a été imputée à la requérante en raison de l’influence déterminante que la requérante a exercée sur le comportement de DDE sur le marché du CR. Dès lors, la requérante a été personnellement condamnée pour une infraction qu’elle est censée avoir commise elle-même en raison des liens économiques et juridiques étroits qui l’unissaient à DDE et qui lui permettaient de déterminer le comportement de cette dernière sur le marché en cause.

177    Or, la conséquence, en vertu du droit de la concurrence de l’Union, de l’existence d’une unité économique, constituée de plusieurs personnes morales, est que l’infraction commise par une filiale peut être imputée à sa société mère dès lors que cette société mère a la possibilité réelle d’exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale et que la Commission démontre que la société mère a effectivement exercé cette influence déterminante. La Commission peut alors considérer la société mère comme solidairement responsable pour le paiement d’une amende infligée à sa filiale (voir, en ce sens, arrêt de la Cour Akzo Nobel, point 73 supra, points 60 et 61 ; voir également, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 139 supra, points 118 à 130, et arrêt du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T‑65/89, Rec. p. II‑389, point 154). Dans les mêmes conditions, la Commission peut également choisir d’infliger une amende solidairement à la société mère et à sa filiale (arrêt de la Cour du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission, 6/73 et 7/73, Rec. p. 223, point 41).

178    Il s’ensuit que l’argument de la requérante selon lequel elle n’a « rien fait de répréhensible » repose sur la prémisse erronée selon laquelle aucune infraction n’aurait été constatée en ce qui la concerne, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, et doit, dès lors, être rejeté.

179    Quant à l’argument de la requérante selon lequel il n’était pas approprié de lui infliger une « amende plus élevée, en tant qu’actionnaire », force est de constater que, contrairement à ce qu’elle suggère, la Commission, par la décision modificative du 23 juin 2008, n’a pas augmenté le montant de l’amende qui lui a été infligée. Elle est certes devenue seule responsable du paiement d’une amende de 4,425 millions d’euros, mais le montant de l’amende au paiement duquel elle est tenue pour solidairement responsable avec EI DuPont a été ramené de 48,675 millions d’euros à 44,250 millions. Le montant maximal que la Commission peut réclamer à la requérante reste donc 48,675 millions d’euros.

180    S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel il n’était pas approprié « [de lui] imputer, en tant qu’actionnaire, la responsabilité individuelle d’une part quelconque de l’amende », il suffit de relever que, au vu de la jurisprudence citée au point 177 ci-dessus, la Commission a pu lui infliger à bon droit une amende pour l’infraction commise par l’entreprise commune dont elle était une des sociétés mères. En outre, quand bien même le choix de la Commission d’infliger une amende à une des sociétés mères, à savoir EI DuPont, et de tenir pour solidairement responsable du paiement d’une partie du montant de ladite amende l’autre des sociétés mères, à savoir la requérante, ne paraît pas le plus approprié au vu de la volonté de la Commission d’appliquer également un coefficient multiplicateur de dissuasion à la seule requérante, la Commission, en rectifiant la décision du 5 décembre 2007, n’a pas manifestement excédé la marge d’appréciation dont elle dispose en matière de fixation des amendes.

181    Enfin, il y a lieu de rappeler que, certes, la compétence de pleine juridiction conférée, en application de l’article 229 CE, au Tribunal en matière de concurrence par l’article 31 du règlement n° 1/2003 habilite cette juridiction, au-delà du simple contrôle de légalité, qui ne permet que de rejeter le recours en annulation ou d’annuler l’acte attaqué, à réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, en tenant compte de toutes les circonstances de fait, afin de modifier le montant de l’amende (voir arrêt de la Cour du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, Rec. p. I‑7415, point 86, et la jurisprudence citée). Toutefois, en l’espèce, le Tribunal considère qu’il n’existe aucune raison pour diminuer le montant de l’amende en application de cette compétence.

182    Il s’ensuit que le second moyen doit être rejeté.

183    Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

184    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      The Dow Chemical Company est condamnée aux dépens.

Dittrich

Wiszniewska-Białecka

Prek

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 février 2012.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Requérante et produit concerné

Procédure devant la Commission

Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur le premier moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation des faits et d’erreurs de droit que la Commission a commises en concluant que la requérante avait participé à l’infraction commise par DDE ou en la tenant pour responsable de cette infraction

Rappel du libellé de la décision attaquée

Arguments des parties

– Sur la première branche, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation des faits et d’une erreur de droit ainsi que d’une violation des droits de la défense en ce qui concerne la connaissance par la requérante de l’existence de l’entente

– Sur la seconde branche, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation des faits et d’une erreur de droit en ce qui concerne l’imputation de l’infraction à la requérante du fait de son implication dans le comité des membres

Appréciation du Tribunal

– Sur la seconde branche, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation des faits et d’une erreur de droit en ce qui concerne l’imputation de l’infraction à la requérante du fait de son implication dans le comité des membres

– Sur la première branche, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation des faits et d’une erreur de droit ainsi que d’une violation des droits de la défense en ce qui concerne la connaissance par la requérante de l’existence de l’entente

Sur le second moyen, soulevé à titre subsidiaire et tiré de la détermination erronée du montant de l’amende infligée à la requérante

Rappel du libellé de la décision attaquée

Arguments des parties

– Sur la première branche, relative à l’application du coefficient multiplicateur en fonction de la durée de l’infraction

– Sur la deuxième branche, relative à la majoration spécifique appliquée afin de garantir un effet suffisamment dissuasif aux amendes

– Sur la troisième branche, relative à la réduction du montant de l’amende en vertu de la communication sur la coopération de 2002

Appréciation du Tribunal

– Sur la première branche, relative à l’application du coefficient multiplicateur en fonction de la durée de l’infraction

– Sur la deuxième branche, relative à la majoration spécifique appliquée afin de garantir un effet suffisamment dissuasif aux amendes

– Sur la troisième branche, relative à la réduction du montant de l’amende en vertu de la communication sur la coopération de 2002

– Sur la décision modificative du 23 juin 2008

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.



Version publique


1 « Données confidentielles occultées »