Language of document : ECLI:EU:C:2012:604

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

4 octobre 2012 (*)

«Transports aériens – Règlement (CE) no 261/2004 – Indemnisation des passagers en cas de refus d’embarquement – Notion de ‘refus d’embarquement’ – Exclusion de la qualification de ‘refus d’embarquement’ – Annulation d’un vol causée par une grève dans l’aéroport de départ – Réorganisation des vols postérieurs au vol annulé – Droit à une indemnisation des passagers de ces vols»

Dans l’affaire C‑22/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Korkein oikeus (Finlande), par décision du 13 janvier 2011, parvenue à la Cour le 17 janvier 2011, dans la procédure

Finnair Oyj

contre

Timy Lassooy,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, MM. J. Malenovský, E. Juhász, T. von Danwitz et D. Šváby (rapporteur), juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er mars 2012,

considérant les observations présentées:

–        pour Finnair Oyj, par Me T. Väätäinen, asianajaja,

–        pour M. Lassooy, par Mme M. Wilska, kuluttaja-asiamies, et Mme P. Hannula ainsi que par M. J. Suurla, lakimiehet,

–        pour le gouvernement finlandais, par Mme H. Leppo, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et M. Perrot, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. Aiello, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par M. M. Szpunar, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. I. Koskinen et K. Simonsson, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 avril 2012,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2, sous j), 4 et 5 du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO L 46, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la compagnie aérienne Finnair Oyj (ci-après «Finnair») à M. Lassooy à la suite du refus de cette dernière de l’indemniser pour avoir refusé son embarquement sur un vol reliant Barcelone (Espagne) à Helsinki (Finlande), le 30 juillet 2006.

 Le cadre juridique

 Le règlement (CEE) no 295/91

3        Le règlement (CEE) no 295/91 du Conseil, du 4 février 1991, établissant des règles communes relatives à un système de compensation pour refus d’embarquement dans les transports aériens réguliers (JO L 36, p. 5), qui était en vigueur jusqu’au 16 février 2005, disposait à son article 1er:

«Le présent règlement établit les règles minimales communes applicables aux passagers refusés à l’embarquement d’un vol régulier surréservé pour lequel ils disposent d’un billet en cours de validité et ayant fait l’objet d’une confirmation de réservation, au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre et soumis aux dispositions du traité [CE], quels que soient l’État dans lequel est établi le transporteur aérien, la nationalité du passager et le lieu de destination.»

 Le règlement no 261/2004

4        Les considérants 1, 3, 4, 9, 10, 14 et 15 du règlement no 261/2004 énoncent:

«(1)      L’action de la Communauté dans le domaine des transports aériens devrait notamment viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers. Il convient en outre de tenir pleinement compte des exigences de protection des consommateurs en général.

[…]

(3)      Bien que le [règlement no 295/91] ait mis en place une protection de base pour les passagers, le nombre de passagers refusés à l’embarquement contre leur volonté reste trop élevé, ainsi que le nombre de passagers concernés par des annulations sans avertissement préalable et des retards importants.

(4)      La Communauté devrait, par conséquent, relever les normes de protection fixées par ledit règlement, à la fois pour renforcer les droits des passagers et pour faire en sorte que les transporteurs aériens puissent exercer leurs activités dans des conditions équivalentes sur un marché libéralisé.

[…]

(9)      Il convient de réduire le nombre de passagers refusés à l’embarquement contre leur volonté en exigeant des transporteurs aériens qu’ils fassent appel à des volontaires acceptant de renoncer à leur réservation en contrepartie de certains avantages, au lieu de refuser des passagers à l’embarquement, et en assurant l’indemnisation complète des passagers finalement refusés à l’embarquement.

(10)      Les passagers refusés à l’embarquement contre leur volonté devraient avoir la possibilité d’annuler leur vol et de se faire rembourser leur billet ou de le poursuivre dans des conditions satisfaisantes, et devraient bénéficier d’une prise en charge adéquate durant l’attente d’un vol ultérieur.

[…]

(14)      Tout comme dans le cadre de la convention de Montréal, les obligations des transporteurs aériens effectifs devraient être limitées ou leur responsabilité exonérée dans les cas où un événement est dû à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. De telles circonstances peuvent se produire, en particulier, en cas d’instabilité politique, de conditions météorologiques incompatibles avec la réalisation du vol concerné, de risques liés à la sécurité, de défaillances imprévues pouvant affecter la sécurité du vol, ainsi que de grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur aérien effectif.

(15)      Il devrait être considéré qu’il y a circonstance extraordinaire lorsqu’une décision relative à la gestion du trafic aérien concernant un avion précis pour une journée précise génère un retard important, un retard jusqu’au lendemain ou l’annulation d’un ou de plusieurs vols de cet avion, bien que toutes les mesures raisonnables aient été prises par le transporteur aérien afin d’éviter ces retards ou annulations.»

5        L’article 2 du règlement no 261/2004, intitulé «Définitions», dispose:

«Aux fins du présent règlement, on entend par:

[…]

j)      ‘refus d’embarquement’, le refus de transporter des passagers sur un vol, bien qu’ils se soient présentés à l’embarquement dans les conditions fixées à l’article 3, paragraphe 2, sauf s’il est raisonnablement justifié de refuser l’embarquement, notamment pour des raisons de santé, de sûreté ou de sécurité, ou de documents de voyages inadéquats;

[...]»

6        L’article 3 dudit règlement, intitulé «Champ d’application», prévoit à son paragraphe 2:

«Le paragraphe 1 s’applique à condition que les passagers:

a)      disposent d’une réservation confirmée pour le vol concerné et se présentent, sauf en cas d’annulation visée à l’article 5, à l’enregistrement:

–        comme spécifié et à l’heure indiquée à l’avance et par écrit (y compris par voie électronique) par le transporteur aérien, l’organisateur de voyages ou un agent de voyages autorisé,

ou, en l’absence d’indication d’heure,

–        au plus tard quarante-cinq minutes avant l’heure de départ publiée, ou

[…]»

7        L’article 4 du même règlement, intitulé «Refus d’embarquement», est libellé comme suit:

«1.      Lorsqu’un transporteur aérien effectif prévoit raisonnablement de refuser l’embarquement sur un vol, il fait d’abord appel aux volontaires acceptant de renoncer à leur réservation en échange de certaines prestations, suivant des modalités à convenir entre les passagers concernés et le transporteur aérien effectif. Les volontaires bénéficient, en plus des prestations mentionnées au présent paragraphe, d’une assistance conformément à l’article 8.

2.      Lorsque le nombre de volontaires n’est pas suffisant pour permettre l’embarquement des autres passagers disposant d’une réservation, le transporteur aérien effectif peut refuser l’embarquement de passagers contre leur volonté.

3.      S’il refuse des passagers à l’embarquement contre leur volonté, le transporteur aérien effectif indemnise immédiatement ces derniers conformément à l’article 7, et leur offre une assistance conformément aux articles 8 et 9.»

8        L’article 5 du règlement no 261/2004, intitulé «Annulations», prévoit à son paragraphe 3:

«Un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.»

9        L’article 7 du règlement no 261/2004, intitulé «Droit à indemnisation», énonce à son paragraphe 1:

«Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à:

[…]

b)      400 euros pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 kilomètres;

[…]»

10      Les articles 8 et 9 dudit règlement, lus en combinaison avec l’article 4 de celui-ci, prévoient un droit au remboursement ou au réacheminement des passagers ainsi qu’un droit à une prise en charge de ceux dont l’embarquement a été refusé.

11      L’article 13 du même règlement, intitulé «Droit à la réparation des dommages», dispose:

«Lorsqu’un transporteur aérien effectif verse une indemnité ou s’acquitte d’autres obligations lui incombant en vertu du présent règlement, aucune disposition de ce dernier ne peut être interprétée comme limitant son droit à demander réparation à toute personne, y compris des tiers, conformément au droit national applicable. En particulier, le présent règlement ne limite aucunement le droit du transporteur aérien effectif de demander réparation à un organisateur de voyages ou une autre personne avec laquelle le transporteur aérien effectif a conclu un contrat. De même, aucune disposition du présent règlement ne peut être interprétée comme limitant le droit d’un organisateur de voyages ou d’un tiers, autre que le passager avec lequel un transporteur aérien effectif a conclu un contrat, de demander réparation au transporteur aérien effectif conformément aux lois pertinentes applicables.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

12      À la suite d’une grève du personnel de l’aéroport de Barcelone le 28 juillet 2006, le vol régulier de 11 h 40 opéré par Finnair entre Barcelone et Helsinki a dû être annulé. Afin que les passagers de ce vol ne subissent pas un temps d’attente excessivement long, Finnair a décidé de réorganiser les vols postérieurs à celui-ci.

13      Ainsi, les passagers dudit vol ont été acheminés à Helsinki par le vol du lendemain à la même heure, le 29 juillet 2006, ainsi que par un autre vol du même jour, partant à 21 h 40, affrété spécialement à cet effet. Cette réorganisation a eu pour conséquence qu’une partie des passagers qui avaient acheté leur billet pour le vol du 29 juillet 2006 de 11 h 40 ont dû attendre le 30 juillet 2006 pour rejoindre Helsinki par le vol régulier de 11 h 40 ou par un vol de 21 h 40, spécialement affrété pour la circonstance. De même, certains passagers, comme M. Lassooy, qui avaient acheté leur billet pour le vol du 30 juillet 2006 de 11 h 40 et qui s’étaient régulièrement présentés à l’embarquement, ont rallié Helsinki par le vol spécial du même jour partant à 21 h 40.

14      Considérant que Finnair lui a refusé sans raison valable l’embarquement, au sens de l’article 4 du règlement no 261/2004, M. Lassooy a introduit un recours devant le Helsingin käräjäoikeus (tribunal de première instance de Helsinki) visant à obtenir que Finnair soit condamnée à lui verser l’indemnité prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ce règlement. Par jugement du 19 décembre 2008, cette juridiction a rejeté sa demande d’indemnisation en estimant que ledit règlement ne visait que l’indemnisation des refus d’embarquement liés à des situations de surréservation pour raisons économiques. Ladite juridiction a considéré que cet article 4 n’était pas applicable au cas d’espèce dans la mesure où la compagnie aérienne avait procédé à une réorganisation de ses vols à la suite d’une grève intervenue à l’aéroport de Barcelone, cette grève étant constitutive d’une circonstance extraordinaire à l’égard de laquelle Finnair avait pris toutes les mesures pouvant être exigées d’elle.

15      Par un arrêt du 31 août 2009, le Helsingin hovioikeus (cour d’appel de Helsinki) a annulé le jugement du Helsingin käräjäoikeus et condamné Finnair à verser à M. Lassooy la somme de 400 euros. À cet effet, la juridiction saisie en appel a considéré que le règlement no 261/2004 s’applique non seulement aux cas de surréservation, mais également à certains cas de refus d’embarquement pour des motifs opérationnels, et exclut ainsi que le transporteur aérien puisse être exonéré de son obligation d’indemnisation pour des raisons liées à une grève.

16      Dans le cadre du pourvoi formé par Finnair devant le Korkein oikeus (Cour suprême), cette juridiction fait état de ses doutes concernant la portée de l’obligation d’indemnisation des passagers ayant fait l’objet d’un «refus d’embarquement», tel que visé à l’article 4 du règlement no 261/2004, les raisons susceptibles de justifier un «refus d’embarquement» au sens de l’article 2, sous j), de ce règlement, ainsi que la possibilité pour un transporteur aérien de se prévaloir des circonstances extraordinaires visées à l’article 5, paragraphe 3, du même règlement, s’agissant de vols postérieurs à celui qui a été annulé en raison de telles circonstances.

17      C’est dans ce contexte que le Korkein oikeus a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Convient-il d’interpréter le [règlement no 261/2004], et en particulier son article 4, en ce sens que son application est limitée aux refus d’embarquement résultant de situations de surréservation créées par un transporteur aérien pour des raisons économiques ou le règlement trouve-t-il aussi à s’appliquer aux refus d’embarquement pour d’autres motifs, tels que des motifs opérationnels?

2)      Convient-il d’interpréter la disposition de l’article 2, point j), du [règlement no 261/2004] en ce sens que les motifs admissibles qui y sont visés se limitent aux seuls facteurs en rapport avec les passagers ou le refus d’embarquement peut-il être justifié par d’autres motifs? Si le règlement est à interpréter en ce sens que le refus d’embarquement peut être valablement justifié par d’autres motifs que ceux en rapport avec les passagers, convient-il de comprendre que ce refus peut être justifié aussi par une réorganisation des vols survenue à la suite de circonstances extraordinaires au sens des considérants 14 et 15 du règlement?

3)      Convient-il d’interpréter le [règlement no 261/2004] en ce sens que le transporteur aérien peut s’exonérer de sa responsabilité en vertu de l’article 5, paragraphe 3, non seulement pour le vol qu’il a annulé lors des circonstances extraordinaires, mais aussi à l’égard des passagers des vols ultérieurs, lorsqu’il tente de répartir les inconvénients causés par les circonstances extraordinaires auxquelles il se trouve confronté – telles que les grèves – entre les membres d’un groupe de passagers plus important que celui constitué par les passagers du vol annulé en réorganisant les vols ultérieurs, de manière à ce qu’aucun passager ne subisse un retard démesuré. En d’autres termes, le transporteur aérien peut-il se prévaloir des circonstances extraordinaires aussi à l’encontre du passager d’un vol ultérieur dont le voyage n’a pas été affecté directement par ces circonstances? À cet égard, y a‑t‑il une différence sensible selon que le statut du passager et le droit à obtenir une indemnité sont appréciés au regard de l’article 4 du règlement, relatif au refus d’embarquement, ou de son article 5, qui a trait à l’annulation d’un vol?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

18      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de «refus d’embarquement», au sens des articles 2, sous j), et 4 du règlement no 261/2004, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement les refus à l’embarquement dus à des situations de surréservation ou bien si elle s’applique également à des refus à l’embarquement pour d’autres motifs, tels que des motifs opérationnels.

19      Il convient de constater que le libellé de l’article 2, sous j), du règlement no 261/2004, qui définit la notion de «refus d’embarquement», ne lie pas un tel refus à une situation de «surréservation» du vol concerné créée par le transporteur aérien en cause pour des raisons économiques.

20      S’agissant du contexte de ladite disposition et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie, il ressort non seulement des considérants 3, 4, 9 et 10 du règlement no 261/2004, mais également des travaux préparatoires relatifs à celui-ci, et en particulier de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles communes en matière d’indemnisation des passagers aériens et d’assistance en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, présentée par la Commission des Communautés européennes le 21 décembre 2001 [COM(2001) 784 final], que le législateur de l’Union a entendu, par l’adoption de ce règlement, réduire le nombre de passagers refusés à l’embarquement contre leur volonté, qui était alors trop élevé, en comblant les lacunes du règlement no 295/91, lequel se limitait à établir, en application de son article 1er, des règles minimales communes applicables aux passagers refusés à l’embarquement d’un vol régulier surréservé.

21      C’est dans ce contexte que ledit législateur a, par l’article 2, sous j), du règlement no 261/2004, supprimé de la définition du «refus d’embarquement» toute référence à la cause pour laquelle un transporteur refuse de transporter un passager.

22      Ce faisant, le législateur de l’Union a étendu la portée de ladite définition au-delà du seul cas de refus à l’embarquement pour cause de surréservation visé auparavant à l’article 1er du règlement no 295/91 et lui a conféré un sens large visant l’ensemble des hypothèses dans lesquelles un transporteur aérien refuse de transporter un passager.

23      Cette interprétation est corroborée par la constatation selon laquelle la limitation de la portée de la notion de «refus d’embarquement» aux seuls cas de surréservation aurait, en pratique, pour effet de diminuer sensiblement la protection accordée aux passagers en vertu du règlement no 261/2004 et serait, partant, contraire à l’objectif de celui‑ci, visé à son considérant 1, qui est de garantir un niveau élevé de protection des passagers, ce qui justifie une interprétation large des droits reconnus à ceux-ci (voir, en ce sens, arrêts du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C‑344/04, Rec. p. I‑403, point 69, ainsi que du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann, C‑549/07, Rec. p. I‑11061, point 18).

24      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 37 de ses conclusions, admettre que seuls les cas de surréservation sont compris dans la notion de «refus d’embarquement» aurait pour conséquence d’exclure de toute protection les passagers qui, tel le requérant au principal, se trouvent dans une situation qui, à l’instar de celle de la surréservation pour des raisons économiques, ne leur est pas imputable, en les privant de la possibilité de se prévaloir de l’article 4 du règlement no 261/2004, article qui, à son paragraphe 3, renvoie aux dispositions de ce règlement relatives aux droits à indemnisation, au remboursement ou au réacheminement ainsi qu’à une prise en charge, tels que prévus aux articles 7 à 9 du même règlement.

25      En conséquence, le refus d’embarquer opposé par un transporteur aérien à un passager s’étant présenté à l’embarquement dans les conditions fixées à l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 261/2004 et trouvant sa cause dans la réorganisation des vols affrétés par ce transporteur doit être qualifié de «refus d’embarquement» au sens de l’article 2, sous j), de ce règlement.

26      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question que la notion de «refus d’embarquement», au sens des articles 2, sous j), et 4 du règlement no 261/2004, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise non seulement les refus d’embarquement dus à des situations de surréservation, mais également les refus d’embarquement pour d’autres motifs, tels que des motifs opérationnels.

 Sur les deuxième et troisième questions

27      Par ses deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la survenance de «circonstances extraordinaires», conduisant un transporteur aérien à réorganiser des vols postérieurement à la survenance de celles-ci, est de nature à justifier le «refus d’embarquement» d’un passager sur l’un de ces vols ultérieurs et à exonérer ce transporteur de son obligation d’indemnisation, au titre de l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, envers le passager auquel il refuse l’embarquement sur l’un de ces vols affrétés postérieurement auxdites circonstances.

28      En premier lieu, la juridiction de renvoi cherche à savoir si la qualification de «refus d’embarquement», au sens de l’article 2, sous j), du règlement no 261/2004, ne peut être écartée que pour des motifs liés aux passagers en tant que tels ou si des motifs étrangers à ceux-ci et, en particulier, relatifs à la réorganisation de ses vols par un transporteur à la suite de «circonstances extraordinaires» l’ayant affecté peuvent également faire obstacle à une telle qualification.

29      À cet égard, il y a lieu de rappeler que cet article 2, sous j), exclut la qualification de «refus d’embarquement» pour deux séries de motifs. La première tient au non-respect par le passager s’étant présenté à l’embarquement des conditions fixées à l’article 3, paragraphe 2, de ce règlement. La seconde est liée à des cas où ce refus est raisonnablement justifié «notamment pour des raisons de santé, de sûreté ou de sécurité, ou de documents de voyages inadéquats».

30      La première série de motifs ne concerne pas l’affaire au principal. S’agissant de la seconde série de motifs, il convient de relever qu’aucune des raisons explicitement mentionnées audit article 2, sous j), n’est pertinente au principal. Or, en recourant à l’adverbe «notamment», le législateur de l’Union a entendu fournir une liste non exhaustive des hypothèses dans lesquelles un refus d’embarquement peut être raisonnablement justifié.

31      Pour autant, il ne saurait être déduit d’une telle formulation que doivent être considérés comme raisonnablement justifiés des refus d’embarquement pour un motif opérationnel tel que celui en cause au principal.

32      En effet, la situation en cause au principal est comparable à un refus d’embarquement en raison d’une surréservation «initiale», étant donné que le transporteur aérien avait réattribué la place du requérant, afin de transporter d’autres passagers, et qu’il a donc fait lui-même le choix entre plusieurs passagers à transporter.

33      Certes, cette réattribution a été effectuée afin d’éviter que les passagers concernés par des vols annulés pour des circonstances extraordinaires ne subissent un temps d’attente excessivement long. Toutefois, ledit motif n’est pas comparable à ceux explicitement mentionnés à l’article 2, sous j), du règlement no 261/2004, ce motif n’étant aucunement imputable au passager auquel l’embarquement est refusé.

34      Il ne saurait être admis qu’un transporteur aérien puisse, en se prévalant de l’intérêt d’autres passagers à être transportés dans un délai raisonnable, élargir sensiblement les hypothèses dans lesquelles il serait en droit de refuser de manière justifiée d’embarquer un passager. Cela aurait nécessairement pour conséquence de priver de toute protection un tel passager, ce qui irait à l’encontre de l’objectif du règlement no 261/2004 visant à garantir un niveau élevé de protection des passagers par une interprétation large des droits reconnus à ceux-ci.

35      En second lieu, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la possibilité pour un transporteur aérien de s’exonérer de son obligation d’indemnisation pour «refus d’embarquement», prévue aux articles 4, paragraphe 3, et 7 du règlement no 261/2004, au motif que ledit refus trouve son origine dans la réorganisation des vols de ce transporteur à la suite de la survenance de «circonstances extraordinaires».

36      À cet égard, il y a lieu de relever que, contrairement à l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, les articles 2, sous j), et 4 de celui-ci ne prévoient pas que, en cas de «refus d’embarquement» lié à des «circonstances extraordinaires» qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises, un transporteur aérien est exonéré de son obligation d’indemnisation des passagers refusés à l’embarquement contre leur gré (voir, par analogie, arrêt IATA et ELFAA, précité, point 37). Il s’ensuit que le législateur de l’Union n’a pas envisagé que ladite indemnisation puisse être écartée par des motifs liés à la survenance de «circonstances extraordinaires».

37      Par ailleurs, il ressort du considérant 15 du règlement no 261/2004 que les «circonstances extraordinaires» ne peuvent concerner qu’«un avion précis pour une journée précise», ce qui ne saurait être le cas d’un refus à l’embarquement opposé à un passager en raison de la réorganisation de vols faisant suite à de telles circonstances ayant affecté un vol précédent. En effet, la notion de «circonstances extraordinaires» vise à limiter les obligations du transporteur aérien, voire à l’exonérer de celles-ci, lorsque l’évènement en cause n’aurait pas pu être évité même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 53 de ses conclusions, si un tel transporteur est obligé d’annuler un vol prévu le jour d’une grève du personnel d’un aéroport puis prend la décision de réorganiser ses vols ultérieurs, ce transporteur ne saurait, en aucune façon, être considéré comme ayant été contraint par ladite grève de refuser l’embarquement à un passager qui s’est régulièrement présenté à l’embarquement deux jours après l’annulation dudit vol.

38      Dès lors, eu égard à l’exigence d’interprétation stricte des exceptions aux dispositions octroyant des droits aux passagers telle qu’elle ressort de la jurisprudence constante de la Cour (voir, en ce sens, arrêt Wallentin-Hermann, précité, point 17 et jurisprudence citée), il n’y a pas lieu d’admettre que le transporteur aérien puisse s’exonérer de son obligation d’indemnisation en cas de «refus d’embarquement» au motif que ce refus trouve son origine dans la réorganisation des vols de ce transporteur à la suite de «circonstances extraordinaires».

39      Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que les obligations acquittées par les transporteurs aériens en vertu du règlement nº 261/2004 le sont sans préjudice pour ces derniers de demander réparation à toute personne ayant causé le «refus d’embarquement», y compris des tiers, ainsi que le prévoit l’article 13 de ce règlement. Une telle réparation est dès lors susceptible d’atténuer, voire d’effacer, la charge financière supportée par lesdits transporteurs en conséquence de ces obligations (arrêt IATA et ELFAA, précité, point 90).

40      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que les articles 2, sous j), et 4, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doivent être interprétés en ce sens que la survenance de «circonstances extraordinaires» conduisant un transporteur aérien à réorganiser des vols postérieurement à celles-ci n’est pas de nature à justifier un «refus d’embarquement» sur lesdits vols ultérieurs ni à exonérer ce transporteur de son obligation d’indemnisation, au titre de l’article 4, paragraphe 3, du même règlement, envers le passager auquel il refuse l’embarquement sur l’un de ces vols affrétés postérieurement auxdites circonstances.

 Sur les dépens

41      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      La notion de «refus d’embarquement», au sens des articles 2, sous j), et 4 du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise non seulement les refus d’embarquement dus à des situations de surréservation, mais également les refus d’embarquement pour d’autres motifs, tels que des motifs opérationnels.

2)      Les articles 2, sous j), et 4, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doivent être interprétés en ce sens que la survenance de «circonstances extraordinaires» conduisant un transporteur aérien à réorganiser des vols postérieurement à celles-ci n’est pas de nature à justifier un «refus d’embarquement» sur lesdits vols ultérieurs ni à exonérer ce transporteur de son obligation d’indemnisation, au titre de l’article 4, paragraphe 3, du même règlement, envers le passager auquel il refuse l’embarquement sur l’un de ces vols affrétés postérieurement auxdites circonstances.

Signatures


* Langue de procédure: le finnois.