Language of document : ECLI:EU:C:2013:671

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

17 octobre 2013 (*)

«Pourvoi — Droit d’accès aux documents des institutions — Règlement (CE) no 1049/2001 — Article 4, paragraphe 3, premier alinéa — Protection du processus décisionnel des institutions — Note du secrétariat général du Conseil sur les propositions présentées dans le cadre de la procédure législative de révision du même règlement no 1049/2001 — Accès partiel — Refus d’accès aux données relatives à l’identité des États membres auteurs des propositions»

Dans l’affaire C‑280/11 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 31 mai 2011,

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. B. Driessen et Mme C. Fekete, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenu par:

République tchèque, représentée par MM. M. Smolek et D. Hadroušek, en qualité d’agents,

Royaume d’Espagne, représenté par Mme S. Centeno Huerta, en qualité d’agent,

République française, représentée par M. G. de Bergues et Mme N. Rouam, en qualité d’agents,

parties intervenantes au pourvoi,

les autres parties à la procédure étant:

Access Info Europe, établie à Madrid (Espagne), représentée par Mes O. Brouwer et J. Blockx, advocaten,

partie demanderesse en première instance,

soutenue par:

Parlement européen, représenté par M. A. Caiola et Mme M. Dean, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante au pourvoi,

République hellénique, représentée par Mme E.-M. Mamouna et M. K. Boskovits, en qualité d’agents,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano (rapporteur), président de chambre, M. K. Lenaerts, vice-président de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, MM. A. Borg Barthet, E. Levits et Mme M. Berger, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 février 2013,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 mai 2013,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, le Conseil de l’Union européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 22 mars 2011, Access Info Europe/Conseil (T‑233/09, Rec. p. II‑1073, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé la décision du Conseil du 26 février 2009 (ci-après la «décision litigieuse») refusant à Access Info Europe (ci-après «Access Info») l’accès à certaines informations contenues dans une note du 26 novembre 2008 adressée par le secrétariat général du Conseil au groupe de travail sur l’information, institué au sein du Conseil, concernant la proposition d’un nouveau règlement relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (ci-après le «document demandé»).

 Le cadre juridique

2        Le considérant 6 du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), est rédigé dans les termes suivants:

«Un accès plus large aux documents devrait être autorisé dans le cas où les institutions agissent en qualité de législateur, y compris sur pouvoirs délégués, tout en veillant à préserver l’efficacité du processus décisionnel des institutions. Dans toute la mesure du possible, ces documents devraient être directement accessibles.»

3        L’article 1er de ce règlement dispose:

«Le présent règlement vise à:

a)      définir les principes, les conditions et les limites, fondées sur des raisons d’intérêt publique ou privé, du droit d’accès aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission [...] de manière à garantir un accès aussi large que possible aux documents.

[...]»

4        L’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, dudit règlement prévoit:

«L’accès à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore pris de décision est refusé dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.»

 Les antécédents du litige

5        Par courriel du 3 décembre 2008, Access Info a demandé au Conseil d’avoir accès au document demandé. Ce dernier rassemblait les propositions d’amendements ou de nouvelles rédactions communiquées par plusieurs États membres lors de la réunion du 25 novembre 2008 du groupe de travail sur l’information, visé au point 1 du présent arrêt.

6        Le Conseil, par la décision litigieuse, a accordé un accès partiel au document demandé. En particulier, cette institution a communiqué à Access Info une version de ce document qui ne permettait pas d’identifier les États membres qui étaient les auteurs desdites propositions.

7        Le Conseil a justifié son refus de divulguer les identités des États membres en cause sur le fondement de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, au motif que la divulgation de ces identités aurait porté gravement atteinte à son processus décisionnel, sans qu’une telle divulgation eût été exigée par un intérêt public supérieur. En effet, compte tenu du caractère préliminaire des discussions en cours à l’époque, la divulgation des identités des États membres concernés aurait réduit la marge de manœuvre des délégations au cours des négociations qui caractérisent la procédure législative au sein du Conseil et aurait ainsi porté atteinte à la capacité de celui-ci de parvenir à un accord.

8        Le 26 novembre 2008, c’est-à-dire le jour même de l’établissement du document demandé, une version intégrale de celui-ci a été rendue accessible au public sur le site Internet de l’organisation Statewatch, sans que cette divulgation ait été autorisée (ci-après la «divulgation non autorisée»).

 L’arrêt attaqué

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 juin 2009, Access Info a introduit contre la décision litigieuse, un recours en annulation qui a été accueilli par l’arrêt attaqué.

10      Le Tribunal a exposé, à titre préliminaire, les principes fondamentaux en matière d’accès aux documents. En particulier, il a, aux points 55 à 58 de cet arrêt, rappelé que le droit d’accès aux documents des institutions se rattache au caractère démocratique de ces dernières et que l’article 1er du règlement no 1049/2001 vise à garantir un droit d’accès qui soit le plus large possible, de sorte que les exceptions à la divulgation doivent être interprétées et appliquées strictement. Ces principes acquerraient une pertinence toute particulière lorsque le Conseil agit, comme en l’espèce, en sa qualité de législateur.

11      Ensuite, aux points 59 et 60 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a précisé que la seule circonstance qu’un document concerne un intérêt protégé par une exception à la divulgation ne saurait suffire à l’application de cette dernière, une telle application n’étant justifiée que si l’accès à ce document est susceptible de porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé. Pareil risque ne pourrait, en outre, pas être de nature purement hypothétique et devrait être raisonnablement prévisible. Il incomberait à l’institution concernée de mettre en balance l’intérêt spécifique devant être protégé par la non-divulgation d’une partie du document demandé — en l’espèce l’identité des États membres auteurs des propositions — et l’intérêt général à ce que ce document soit rendu accessible dans son intégralité.

12      En appliquant ces principes, le Tribunal a, aux points 68 à 80 de l’arrêt attaqué, examiné la principale des raisons alléguées par le Conseil pour justifier le caractère partiel de la divulgation du document demandé, à savoir la prétendue réduction de la marge de manœuvre des délégations au sein du Conseil résultant de la circonstance que la divulgation de l’identité des États membres responsables des propositions donnerait lieu à une pression de l’opinion publique sur ces États d’une ampleur telle qu’il ne serait plus possible pour une délégation de ceux-ci de présenter une proposition allant dans le sens d’une restriction à la transparence.

13      En premier lieu, aux points 69 à 74 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, tout d’abord, considéré que c’est précisément le principe de légitimité démocratique qui impose aux auteurs des propositions contenues dans le document demandé de répondre de leurs actes à l’égard du public, cela d’autant plus lorsque ce document relève de la procédure législative. Ensuite, le Tribunal a estimé que la divulgation des identités des auteurs d’une proposition n’empêcherait pas aux délégations de s’en écarter par la suite. En effet, une proposition serait faite pour être discutée, qu’elle soit anonyme ou non, et n’aurait pas vocation à rester inchangée à la suite d’une discussion lorsque l’identité de son auteur est connue. L’opinion publique serait parfaitement en mesure de comprendre cette caractéristique des propositions dans le processus législatif. En outre, selon le Tribunal, il ne saurait être présumé que l’opinion publique dans son ensemble est opposée à la limitation du principe de transparence. Enfin, le Tribunal a considéré que même la divulgation non autorisée n’a pas eu de conséquences préjudiciables pour le processus décisionnel du Conseil.

14      En deuxième lieu, le Tribunal a, aux points 75 et 76 de l’arrêt attaqué, rejeté l’argument du Conseil selon lequel il y aurait lieu de prendre en considération le caractère préliminaire des discussions pour apprécier le risque d’atteinte au processus décisionnel lié à la diminution de la marge de manœuvre des États membres. Selon le Tribunal, le caractère préliminaire des discussions ne permet pas de justifier, en tant que tel, l’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, cette disposition n’opérant aucune distinction en fonction de l’état d’avancement des discussions.

15      En troisième lieu, le Tribunal a, aux points 77 et 78 dudit arrêt, rejeté l’argument selon lequel il y aurait lieu de prendre en considération le caractère particulièrement sensible des propositions faites, en l’espèce, par les délégations des États membres. Le Tribunal a relevé à cet égard que les propositions d’amendements en cause s’insèrent dans le déroulement normal du processus législatif. Par conséquent, elles ne seraient pas particulièrement sensibles, au sens où un intérêt fondamental de l’Union ou des États membres serait mis en cause en cas de divulgation de l’identité des auteurs des propositions, d’autant plus que ce ne serait pas le contenu des propositions faites par les États membres qui était en jeu en l’espèce, mais seulement l’identification des délégations qui en étaient l’auteur. De plus, le Tribunal a considéré qu’il est de la nature même du débat démocratique qu’une proposition de modification d’un projet de règlement fasse l’objet de commentaires tant positifs que négatifs de la part du public et des medias.

16      En quatrième lieu, le Tribunal a, au point 79 de l’arrêt attaqué, rejeté l’argument selon lequel la longueur inhabituelle de la procédure pour l’approbation du nouveau règlement en matière d’accès aux documents serait due aux difficultés que la divulgation non autorisée aurait créées pour les négociations. En réalité, selon le Tribunal, d’autres raisons de nature politique et juridique permettraient d’expliquer la durée du processus législatif.

17      Finalement, le Tribunal a, aux points 82 et 83 de l’arrêt attaqué, rejeté l’argument du Conseil visant à démontrer que c’était en raison de la divulgation non autorisée que les rapports des réunions de ses groupes de travail auraient souffert d’une moindre exhaustivité, notamment en ce qui concerne l’identification des délégations. À cet égard, le Tribunal a relevé que ce changement pouvait aussi s’expliquer par l’introduction du recours à l’encontre de la décision litigieuse par Access Info. En tout état de cause, l’absence de lien de causalité entre la divulgation au public de l’identité des délégations et l’atteinte grave au processus décisionnel serait confirmée par un document postérieur à la divulgation non autorisée, qui ne se limiterait pas à indiquer de façon anonyme des propositions de modification du texte législatif, mais qui préciserait l’identité des délégations, du moins dans la version originale de ce document.

18      C’est notamment sur le fondement des considérations qui précèdent que le Tribunal a accueilli le recours et a annulé la décision litigieuse.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

19      Par ordonnance du 17 octobre 2011, d’une part, la République tchèque et le Royaume d’Espagne ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil et, d’autre part, le Parlement européen a été autorisé à intervenir au soutien des conclusions d’Access Info. Par ordonnance du 2 février 2012, la République française a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

20      Le Conseil, la République tchèque, la République hellénique, le Royaume d’Espagne et la République française demandent à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué;

–        de se prononcer à titre définitif sur les questions faisant l’objet du pourvoi, et

–        de condamner Access Info aux dépens des deux instances.

21      Access Info et le Parlement demandent à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner le Conseil aux dépens.

 Sur le pourvoi

22      À l’appui de son pourvoi, le Conseil soulève, en substance, trois moyens.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

23      Par son premier moyen, le Conseil, soutenu sur ce point par le Royaume d’Espagne, fait valoir que le Tribunal a méconnu l’équilibre prôné tant par le droit primaire — l’article 207, paragraphe 3, CE et l’article 255 CE, applicables ratione temporis — que par le droit dérivé — le considérant 6 et l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 — entre, d’une part, le droit d’accès élargi pour les documents ayant trait à l’activité législative des institutions et, d’autre part, la nécessité de préserver l’efficacité du processus décisionnel. En particulier, le Tribunal, notamment au point 69 de l’arrêt attaqué, aurait interprété ledit article 4, paragraphe 3, premier alinéa, en attribuant une considération indue et excessive à la transparence du processus décisionnel, sans aucunement tenir compte des exigences liées à l’efficacité de celui-ci.

24      Plus spécifiquement, le Conseil, soutenu à cet égard par la République tchèque, la République hellénique et le Royaume d’Espagne, fait valoir que son processus législatif est très fluide et requiert une grande flexibilité de la part des États membres pour que ceux-ci puissent modifier une position initiale, en maximisant ainsi les possibilités de parvenir à un accord. Afin de garantir un «espace de négociation» et de préserver ainsi l’efficacité de ce processus législatif, il serait nécessaire de garantir auxdits États une marge de manœuvre maximale dans les discussions, et ce dès les premiers stades de la procédure. Or, une telle marge de manœuvre serait réduite si l’identité des délégations était divulguée trop tôt au cours de la procédure, dans la mesure où cela aurait pour effet d’entraîner des pressions de la part de l’opinion publique qui priveraient les délégations elles-mêmes de la souplesse nécessaire pour assurer l’efficacité du processus décisionnel du Conseil.

25      La République tchèque et le Royaume d’Espagne ajoutent à cet égard que, en l’espèce, la divulgation de l’identité des délégations n’était pas nécessaire pour atteindre l’objectif du règlement no 1049/2001. En effet, l’accès intégral au contenu du document demandé serait suffisant pour garantir la tenue d’un débat démocratique sur les questions que ce document concerne. L’unique conséquence d’une divulgation, en outre, de l’identité des délégations aurait été de permettre d’exercer des pressions non pas sur le Conseil, mais sur les États membres.

26      Access Info rétorque que, aux termes de son premier moyen, le Conseil ne critique que trois points de l’arrêt attaqué, à savoir, d’une part, les points 57 et 58 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal ne s’était borné qu’à rappeler la jurisprudence pertinente, et, d’autre part, le point 69 de cet arrêt aux termes duquel, selon Access Info, soutenu à cet égard par le Parlement, le Tribunal procède précisément à une mise en balance entre les exigences de la transparence et celle de la protection du processus décisionnel, en concluant que la divulgation des identités des États membres concernés n’était, en l’espèce, pas de nature à porter atteinte au processus décisionnel du Conseil.

 Appréciation de la Cour

27      Afin de statuer sur le présent moyen, il y a lieu de rappeler que, conformément à son considérant 1, le règlement no 1049/2001 s’inscrit dans la volonté exprimée à l’article 1er, deuxième alinéa, TUE de marquer une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens. Ainsi que le rappelle le considérant 2 de ce règlement, le droit d’accès du public aux documents des institutions se rattache au caractère démocratique de ces dernières (arrêts du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, Rec. p. I‑4723, point 34; du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, Rec. p. I‑8533, point 68, ainsi que du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, Rec. p. I‑6237, point 72).

28      À cette fin, le règlement no 1049/2001 vise, comme l’indiquent son considérant 4 et son article 1er, à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible (arrêts précités Suède et Turco/Conseil, point 33; Suède e.a./API et Commission, point 69, ainsi que Suède/MyTravel et Commission, point 73).

29      Certes, ce droit n’en est pas moins soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé. Plus spécifiquement, et en conformité avec son considérant 11, ledit règlement prévoit, à son article 4, un régime d’exceptions autorisant les institutions à refuser l’accès à un document dans le cas où la divulgation de ce dernier porterait atteinte à l’un des intérêts protégés par cet article (voir arrêts du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, Rec. p. I‑1233, point 62; Suède e.a./API et Commission, précité, points 70 et 71, ainsi que Suède/MyTravel et Commission, précité, point 74).

30      Néanmoins, dès lors que de telles exceptions dérogent au principe de l’accès le plus large possible du public aux documents, elles doivent être interprétées et appliquées strictement (arrêts précités Sison/Conseil, point 63; Suède et Turco/Conseil, point 36; Suède e.a./API et Commission, point 73, ainsi que Suède/MyTravel et Commission, point 75).

31      Ainsi, d’une part, lorsque l’institution concernée décide de refuser l’accès à un document dont la communication lui a été demandée, il lui incombe, en principe, de fournir des explications quant aux questions de savoir de quelle manière l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à l’article 4 du règlement no 1049/2001 que cette institution invoque. En outre, le risque d’une telle atteinte doit être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique (arrêt Suède/MyTravel et Commission, précité, point 76 et jurisprudence citée).

32      D’autre part, lorsqu’une institution applique l’une des exceptions prévue à l’article 4 du règlement no 1049/2001, il lui incombe de mettre en balance l’intérêt spécifique devant être protégé par la non-divulgation du document concerné et, notamment, l’intérêt général à ce que ce document soit rendu accessible, eu égard aux avantages découlant, ainsi que le relève le considérant 2 du règlement no 1049/2001, d’une transparence accrue, à savoir une meilleure participation des citoyens au processus décisionnel ainsi qu’une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique (arrêt Suède et Turco/Conseil, précité, point 45).

33      Par ailleurs, la Cour a également jugé que ces considérations sont, à l’évidence, d’une pertinence toute particulière lorsque le Conseil agit en sa qualité de législateur, ainsi qu’il résulte du considérant 6 du règlement no 1049/2001, selon lequel un accès plus large aux documents doit être autorisé précisément dans un tel cas. La transparence à cet égard contribue à renforcer la démocratie en permettant aux citoyens de contrôler l’ensemble des informations qui ont constitué le fondement d’un acte législatif. En effet, la possibilité, pour les citoyens, de connaître les fondements des actions législatives est une condition de l’exercice effectif, par ces derniers, de leurs droits démocratiques (arrêt Suède et Turco/Conseil, précité, point 46).

34      C’est sur le fondement de ces principes qu’il y a lieu d’examiner le premier moyen, par lequel le Conseil fait en substance valoir que le Tribunal n’aurait aucunement tenu compte des exigences liées à la protection de son processus décisionnel.

35      Or, force est de constater que le Tribunal a, au point 69 de l’arrêt attaqué, précisément rappelé, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 30 du présent arrêt, que l’accès du public à l’intégralité du contenu des documents du Conseil constitue le principe et que ce principe est assorti d’exceptions qui doivent être interprétées et appliquées strictement.

36      Contrairement à ce qu’allègue le Conseil, le Tribunal a tenu compte des exigences liées à l’efficacité du processus décisionnel. En effet, il s’est, aux points 69 à 83 de l’arrêt attaqué, livré à un examen approfondi des arguments mis en avant par le Conseil afin de justifier l’application en l’espèce de l’exception concernant la protection du processus décisionnel de l’institution concernée.

37      Ainsi, loin de méconnaître l’équilibre entre le principe de transparence et la préservation de l’efficacité du processus décisionnel du Conseil, le Tribunal a, conformément aux principes rappelés aux points 31 à 33 du présent arrêt, examiné, quant au fond, l’ensemble des arguments avancés par le Conseil afin de justifier l’application, en l’espèce, de l’exception visée à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001.

38      Ce n’est qu’après avoir examiné ces arguments et considéré qu’aucun d’entre eux ne permettait d’établir que la divulgation des informations relatives à l’identité des États membres en question aurait donné lieu à un risque concret d’atteinte grave à l’intérêt protégé par l’exception en cause que le Tribunal a, au point 84 de l’arrêt attaqué, conclu que le Conseil avait violé l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 en s’opposant, aux termes de la décision litigieuse, à la divulgation de ces informations.

39      Au demeurant, dans la mesure où la censure du Conseil pourrait être comprise comme visant à remettre en question l’appréciation que le Tribunal a effectué desdits arguments, force est de constater que le Conseil, à l’appui du présent moyen, n’invoque aucun élément visant à réfuter la conclusion du Tribunal selon laquelle les arguments du Conseil en première instance n’étaient pas suffisamment étayés pour établir que la divulgation des informations concernant l’identité des États membres en question aurait donné lieu à un risque concret d’atteinte grave au processus décisionnel du Conseil.

40      S’agissant, enfin, de l’argument de la République tchèque et du Royaume d’Espagne selon lequel la divulgation de l’identité des délégations n’était pas nécessaire pour atteindre l’objectif du règlement no 1049/2001, il suffit de relever que, ainsi qu’il a été rappelé au point 28 du présent arrêt, l’article 1er du règlement no 1049/2001 tend à conférer au public un droit d’accès aux documents qui soit le plus large possible. C’est à la lumière de ce principe que le Tribunal a, à bon droit, précisé, au point 69 de l’arrêt attaqué, que le règlement no 1049/2001 vise à garantir l’accès du public à l’intégralité du contenu des documents du Conseil, y compris en l’espèce à l’identité des auteurs des différentes propositions, l’accès intégral auxdits documents ne pouvant être limité que sur la base des exceptions à ce droit contenues dans ce règlement, qui doivent, pour leur part, être fondées sur un risque concret d’atteinte aux intérêts qu’elles protègent. Dès lors que le Tribunal a exclu, en l’espèce, l’existence d’un tel risque, un accès partiel au document demandé ne saurait être considéré comme étant suffisant pour atteindre l’objectif poursuivi par ledit règlement.

41      Dans ces conditions, le premier moyen de pourvoi doit être écarté comme non fondé.

 Sur le troisième moyen

 Argumentation des parties

42      Par son troisième moyen, qu’il convient d’examiner en deuxième lieu et qui se compose de trois branches, le Conseil reproche au Tribunal plusieurs erreurs de droit qui l’ont conduit à conclure que cette institution n’avait pas établi à «suffisance de droit et de fait» le risque de préjudice grave à son processus décisionnel.

43      Par la première branche de son troisième moyen, le Conseil, soutenu par la République hellénique et par le Royaume d’Espagne, reproche au Tribunal d’avoir, aux points 73 et 74 de l’arrêt attaqué, exigé la preuve d’une atteinte réelle à l’intérêt protégé par l’exception en question. Or, selon le Conseil, aux fins de l’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, le seul risque de préjudice suffit à justifier le recours à cette exception, de sorte que l’institution qui reçoit une demande d’accès aux documents doit se limiter à établir la probabilité qu’une atteinte au processus décisionnel de cette institution découle de la divulgation de ce document.

44      Access Info ainsi que le Parlement soutiennent, pour leur part, que le Tribunal, loin d’exiger du Conseil qu’il fournisse la preuve d’une atteinte réelle au processus décisionnel, ne s’est borné qu’à examiner, auxdits points 73 et 74, l’argument soulevé par le Conseil lui-même selon lequel le processus décisionnel de cette institution aurait subi une atteinte réelle et concrète en raison de la divulgation non autorisée.

45      Par la deuxième branche de son troisième moyen, le Conseil, suivi à cet égard par la République hellénique, considère que le Tribunal, au point 76 de l’arrêt attaqué, n’a pas dûment tenu compte de l’importance de l’état d’avancement des discussions pour apprécier le risque d’atteinte grave au processus décisionnel représenté par la divulgation de l’identité des délégations. Selon le Conseil, le fait de reconnaître au public un droit de regard sur l’intégralité des travaux préparatoires tout au long du processus décisionnel dissuaderait les délégations d’exprimer leurs points de vue au stade initial de la procédure. En effet, compte tenu des spécificités liées au fonctionnement du Conseil, ces opinions, surtout lorsque celles-ci sont relatives à des dossiers techniques, auraient souvent un caractère exploratoire et ne refléteraient pas nécessairement la position précise et définitive de l’État membre dont émanent ces délégations, de sorte que ces opinions seraient susceptibles d’évoluer au cours de la procédure. Reconnaître un droit de regard à partir de ce stade préliminaire de la procédure aurait comme conséquence que les délégations n’exprimeraient leur point de vue qu’après avoir obtenu, de la part de leurs gouvernements nationaux respectifs, une position de négociation, ce qui serait de nature à rendre le processus législatif plus rigide.

46      En réponse à ces arguments, Access Info fait valoir, tout d’abord, que le Conseil n’a pas précisé en quoi consisteraient les prétendues spécificités de son processus décisionnel. Ensuite, ce ne serait qu’au stade du pourvoi que le Conseil a soulevé l’argument relatif à une prétendue atteinte à la possibilité, pour les délégations des États membres, de modifier leur point de vue au cours de la procédure. En tout état de cause, comme le Tribunal l’aurait jugé au point 76 de l’arrêt attaqué, l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 ne mentionnerait pas le stade des négociations en tant que critère à prendre en compte pour justifier l’application de l’exception au droit d’accès. Certes, cet élément pourrait être considéré aux fins de l’évaluation d’un risque d’atteinte à l’intérêt protégé par cette disposition. Toutefois, l’identification des délégations qui présentent des propositions à un stade initial des discussions ne serait pas de nature à empêcher que ces délégations puissent par la suite changer leur position. Enfin, Access Info relève que c’est précisément au moment où la procédure est initiée que la transparence doit être élargie au maximum. En effet, à un stade où les discussions ont déjà eu lieu et où les positions de compromis ont été trouvées, la transparence et le débat public ne seraient plus d’aucune utilité.

47      Par la troisième branche de son troisième moyen, le Conseil soutient, en substance, que, contrairement aux exigences posées par le point 69 de l’arrêt Suède et Turco/Conseil, précité, le Tribunal n’a pas dûment tenu compte, aux points 72 et 79 à 83 de l’arrêt attaqué, du caractère sensible du document demandé pour apprécier le risque d’atteinte grave au processus décisionnel généré par la divulgation intégrale de ce document. Selon le Conseil, le caractère sensible dudit document découlerait, en l’espèce, du fait que les propositions en question concernaient les exceptions au principe de transparence que le nouveau règlement sur l’accès aux documents devrait prévoir. La sensibilité de ces questions serait par ailleurs confirmée, d’une part, par le fait que les juridictions de l’Union se seraient récemment prononcées sur l’interprétation de ces exceptions et, d’autre part, par le débat et les pressions de l’opinion publique que ces questions suscitent.

48      À l’appui de cette branche, le Conseil invoque plusieurs arguments. Tout d’abord, il soutient que l’arrêt Suède et Turco/Conseil, précité, permet à l’institution de se prévaloir de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001 lorsque l’acte demandé a un caractère particulièrement sensible. Or, le Tribunal aurait interprété cette disposition, au point 78 de l’arrêt attaqué, comme n’étant applicable que lorsqu’un intérêt fondamental de l’Union ou des États membres est mis en cause. Une telle interprétation ne serait justifiée ni par le libellé de ladite disposition ou d’autres parties du règlement ni par ledit arrêt Suède et Turco/Conseil lui-même. Au demeurant, cette interprétation, combinée au niveau élevé de preuve requis par le Tribunal pour établir ce préjudice, rendrait presque impossible d’invoquer le bénéfice de ladite disposition.

49      Ensuite, afin de souligner encore le caractère sensible des questions en cause, le Conseil reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur en considérant, au point 79 de l’arrêt attaqué, que la longueur inhabituelle de la procédure législative concernée était due à des raisons juridiques et politiques liées à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, aux élections du Parlement et au renouvellement de la Commission. Le Conseil, en faisant référence à certains changements intervenus dans les modalités de rédaction de documents émanant de ses groupes de travail à partir du deuxième semestre de l’année 2008 — c’est-à-dire après la divulgation non autorisée — affirme que, en réalité, ce retard est dû au moins en partie à la diminution de l’exhaustivité et au manque de franchise dans le cadre des discussions qui ont fait suite à la divulgation non autorisée, ce qui a entraîné une perte d’efficacité du processus décisionnel au sein de l’institution.

50      Enfin, le blocage du dossier législatif en question serait également dû au moins partiellement au fait que les États membres, précisément à cause de la divulgation non autorisée, ont éprouvé de grandes difficultés à s’écarter de leurs positions initiales de négociation. En particulier, les délégations de ces États qui voulaient proposer des modifications pouvant être perçues par l’opinion publique comme restreignant le droit d’accès du publique ont été réticentes à le faire. Le Conseil fait valoir que c’est à tort que le Tribunal n’a pas reconnu de tels effets négatifs sur le processus décisionnel du Conseil produits par la divulgation non autorisée. D’une part, le Tribunal aurait commis une erreur en considérant infondé un tel argument, au point 72 de l’arrêt attaqué, compte tenu de ce que l’une des propositions en question, postérieure à la divulgation non autorisée, restreignait le droit d’accès du public, alors que cette proposition, contrairement à ce que le Tribunal aurait retenu, n’avait pas été présentée par la délégation d’un État membre, mais par la Commission elle-même. D’autre part, le Tribunal, aux points 82 et 83 de l’arrêt attaqué, aurait à tort rejeté les éléments fournis par le Conseil pour expliquer la moindre exhaustivité des rapports du dossier en cause et concernant l’identification nominative des délégations dans les groupes de travail. Alors que le Tribunal a expliqué ce fait par l’introduction du recours devant lui, selon le Conseil, étant donné le caractère sensible des questions en cause, ce changement est précisément dû à la divulgation non autorisée. Le Conseil illustre cette diminution du niveau de détail en mentionnant un rapport datant du mois de juillet 2009 du groupe de travail en cause, dans lequel l’identité des délégations n’était plus mentionnée, faisant désormais usage d’expressions telles que «un certain nombre de délégations» et «d’autres délégations».

51      Access Info rétorque, tout d’abord, que le Tribunal s’est référé à une situation où un «intérêt fondamental de l’Union ou des États membres» est mis en cause seulement pour donner l’exemple d’une situation dans laquelle une question pourrait être considérée comme étant «particulièrement sensible», sans exiger que seules de telles situations puissent être considérées comme sensibles. Ensuite, contrairement au document en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Suède et Turco/Conseil, précité, le document demandé contiendrait non pas des avis juridiques, mais simplement des propositions de modifications d’un projet de législation. Access Info ajoute, enfin, que le Conseil n’a pas motivé son refus de façon circonstanciée, alors que ledit arrêt Suède et Turco/Conseil l’exige.

52      Access Info considère que, pour le surplus, la troisième branche du troisième moyen du Conseil doit être jugée irrecevable en ce qu’elle remet en cause l’appréciation du Tribunal quant au caractère sensible du document demandé et en ce qui concerne les raisons qui auraient justifié une longueur inhabituelle de la procédure législative en cause. En tout état de cause, Access Info, soutenue en substance par le Parlement, considère, premièrement, que le Conseil fonde le caractère sensible des questions faisant l’objet du document demandé sur la circonstance que ces questions suscitent un débat public et qu’elles font l’objet d’une jurisprudence des juridictions de l’Union. Or, selon Access Info, le Conseil n’a pas étayé ses affirmations à cet égard. En outre, une grande partie des procédures législatives concernerait des questions pouvant donner lieu à des pressions de groupement d’intérêts ou à des débats dans les médias. Toutefois, cela serait précisément ce qu’impliquent la transparence et la démocratie et ne démontrerait pas le caractère sensible d’une question justifiant le traitement confidentiel d’un document tel que celui demandé. Par ailleurs, si les questions examinées étaient à ce point sensibles, ce ne sont non seulement les identités des États membres, mais également le contenu des propositions qui n’auraient pas dû être divulgués. Deuxièmement, Access Info conteste l’argument du Conseil selon lequel le retard inhabituel dans le processus législatif en cause aurait été causé par la divulgation non autorisée. En réalité le retard pourrait aussi bien être justifié par l’absence d’un accord politique entre le Conseil et le Parlement concernant la révision du règlement. Troisièmement, Access Info conteste le fait que la divulgation non autorisée a entraîné des changements dans le détail des rapports du groupe de travail.

 Appréciation de la Cour

53      S’agissant de la première branche du troisième moyen du Conseil, force est de constater que celle-ci procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

54      En effet, le Tribunal a, au point 59 de cet arrêt, à bon droit précisé que l’application des exceptions au droit d’accès se justifie en présence d’un risque d’atteinte à l’un des intérêts protégés, un tel risque devant être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique.

55      Afin de vérifier si, en l’occurrence, un tel risque existait, le Tribunal a, tout d’abord, constaté, aux points 70 à 72 de l’arrêt attaqué, que le Conseil n’avait pas démontré la prémisse sur laquelle il a fondé ses arguments, à savoir le fait que la divulgation de l’identité des délégations aurait pour conséquence que la pression exercée par le public serait telle qu’il ne serait plus possible pour celles-ci de présenter une proposition allant dans le sens d’une restriction de la transparence. En l’absence d’une telle démonstration, le Tribunal a, à bon droit, considéré que la divulgation de l’identité des délégations qui souhaitaient formuler de telles propositions n’était pas susceptible de porter atteinte au processus décisionnel du Conseil.

56      Le Tribunal a, par la suite, examiné aux points 73 et 74 de l’arrêt attaqué, l’argument — résumé au point 50 dudit arrêt, lequel n’est pas critiqué par le Conseil — selon lequel la divulgation non autorisée «a eu un impact négatif sur la sincérité et l’exhaustivité des discussions au sein du groupe de travail du Conseil, empêchant les délégations d’envisager des solutions ou des modifications différentes en vue de parvenir à une convergence de vues sur les questions les plus controversées».

57      Or, auxdits points 73 et 74, le Tribunal s’est limité à répondre à ce moyen et a conclu que, contrairement aux allégations du Conseil, ladite divulgation n’était pas, en l’espèce, de nature à porter atteinte au processus décisionnel de cette institution.

58      Dans ces conditions, la première branche du troisième moyen doit être écartée comme non fondée.

59      En ce qui concerne la deuxième branche du présent moyen, selon laquelle le Tribunal n’aurait pas tenu compte de l’importance de l’état d’avancement des discussions pour apprécier le risque d’atteinte grave au processus décisionnel du Conseil que représente la divulgation intégrale des positions des délégations, il y a lieu de relever que cette branche procède également d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

60      En effet, le Tribunal, au point 76 de cet arrêt, a précisé que le caractère préliminaire des discussions ne permettait pas de justifier, en tant que tel, l’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001. Ainsi, le Tribunal ayant exclu le fait que les autres arguments du Conseil étaient en mesure d’établir un risque d’atteinte à son processus décisionnel, il a, à bon droit, considéré que la seule circonstance que la demande de divulgation était intervenue à un stade très précoce du processus législatif n’était pas suffisante pour permettre l’application de ladite exception.

61      Par conséquent, la deuxième branche n’est pas fondée.

62      S’agissant, enfin, de la troisième branche du troisième moyen présenté par le Conseil, il convient de relever, en premier lieu, que lorsque le Tribunal a, au point 78 de l’arrêt attaqué, considéré que les questions qui faisaient l’objet du document demandé n’étaient pas particulièrement sensibles, il ne s’est pas référé à l’arrêt Suède et Turco/Conseil, précité, et cela à bon droit, étant donné que le point 69 de ce dernier arrêt, sur lequel cette branche se fonde, ne concerne que des documents spécifiques, à savoir les avis juridiques. En l’occurrence, non seulement le document demandé a été établi dans le cadre d’une procédure législative, mais il n’appartient à aucune catégorie de documents pour laquelle le règlement no 1049/2001 reconnaît un intérêt digne d’être spécifiquement protégé, telle que celle des avis juridiques.

63      En tout état de cause, même à supposer que le Tribunal avait à tort considéré que le critère en application duquel peut être établi le caractère particulièrement sensible d’un document est celui du risque que la divulgation de ce document mette en cause un intérêt fondamental de l’Union ou des États membres, force est de constater que, au point 77 de l’arrêt attaqué, ce n’est pas sur la base de ce critère que le Tribunal a exclu, en l’espèce, le caractère particulièrement sensible du document demandé. À cette fin, en effet, il a considéré que les différentes propositions d’amendement ou de nouvelle rédaction formulées par les quatre délégations des États membres qui figurent dans le document demandé s’inséraient dans le jeu normal du processus législatif, ce qui implique qu’elles ne pouvaient être considérées comme étant sensibles non pas au regard du seul critère ayant trait à la mise en cause d’un intérêt fondamental de l’Union ou des États membres, mais au regard d’aucun critère quelconque.

64      Par conséquent, c’est à tort que le Conseil reproche au Tribunal d’avoir méconnu le caractère particulièrement sensible du document demandé.

65      En second lieu, s’agissant des autres arguments invoqués par le Conseil à l’appui de la troisième branche de son troisième moyen, il y a lieu de rappeler la jurisprudence constante de la Cour en vertu de laquelle il résulte de l’article 256 TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal. La Cour n’est donc pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (voir, notamment, arrêt du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑510/06 P, Rec. p. I‑1843, point 105, ainsi que ordonnance du 10 novembre 2011, Agapiou Joséphidès/Commision et EACEA, C‑626/10 P, point 107).

66      Or, par son argument selon lequel ce serait à tort que le Tribunal a imputé la longueur inhabituelle de la procédure concernée à des raisons de nature juridique et politique liées notamment à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, aux élections du Parlement et au renouvellement de la Commission, le Conseil, sans invoquer une dénaturation des éléments de preuve, vise à remettre en cause l’appréciation du Tribunal selon laquelle la longueur inhabituelle de la procédure législative était due non pas aux difficultés qu’entraînerait la divulgation des informations relatives à l’identité des auteurs des propositions, mais à de telles raisons de nature juridique et politique, comme le soutient par ailleurs le Conseil lui-même, ainsi qu’il ressort du point 46 de l’arrêt attaqué.

67      De même, en ce qui concerne les prétendues conséquences de la divulgation non autorisée sur le processus décisionnel du Conseil, cette institution ne cherche qu’à contester, sans invoquer clairement une dénaturation des éléments de preuve, d’une part, l’appréciation que le Tribunal a, au point 72 de l’arrêt attaqué, effectuée d’un élément de preuve — soit la version publique d’un document contenant des propositions écrites formulées par des délégations relatives à la procédure législative en cause, à savoir le document no 9716/09 du 11 mai 2009 — en déduisant que cette divulgation, contrairement à ce que soutenait le Conseil en première instance, n’avait pas imposé aux délégations d’éviter de soumettre des propositions allant dans un sens restrictif de la transparence. D’autre part, le Conseil remet en cause l’appréciation que le Tribunal a, aux points 82 et 83 de l’arrêt attaqué, effectuée d’un autre élément de preuve — à savoir le document 10859/1/09 REV 1 — duquel le Tribunal a déduit que la pratique du Conseil postérieure à la divulgation non autorisée s’est modifiée, dans la mesure où les données d’identification des États membres ayant formulé des observations et des suggestions au sujet de la proposition de la Commission étaient désormais omises, une telle modification pouvant être expliquée par le fait que Access Info a introduit un recours en vue de contester la légalité de la décision litigieuse.

68      Par conséquent, ces derniers arguments étant irrecevables, il y a lieu de rejeter le troisième moyen comme partiellement irrecevable et partiellement non fondé.

 Sur le deuxième moyen

 Argumentation des parties

69      Par son deuxième moyen, le Conseil fait en substance valoir que le raisonnement du Tribunal s’oppose à la jurisprudence de la Cour qui autorise les institutions à invoquer des considérations d’ordre général pour refuser la divulgation de certaines catégories de documents. En effet, comme le soutient également la République hellénique, la décision litigieuse indiquerait les considérations générales justifiant les raisons pour lesquelles le document demandé ne pouvait être divulgué ainsi que les raisons pour lesquelles ces considérations étaient effectivement applicables au document demandé. Ainsi, le Conseil n’aurait pas limité son examen à la nature du document, mais il aurait fondé son refus sur des explications détaillées tenant au caractère sensible des questions traitées et au fait que celles-ci intervenaient dans le cadre de discussions préliminaires à la procédure législative proprement dite.

70      Access Info relève, tout d’abord, que, le deuxième moyen ne faisant expressément référence à aucun point précis de l’arrêt attaqué, il est irrecevable et inopérant. En tout état de cause, selon Access Info, soutenue sur ce point par le Parlement, le Conseil n’a précisé, ni dans son pourvoi ni dans la décision litigieuse, sur quelle présomption générale son refus d’accès en l’espèce aurait été fondé. Par ailleurs, contrairement aux exigences de la jurisprudence en la matière, aucune disposition du droit de l’Union ni aucun principe général du droit ne permettraient de fonder une présomption générale de confidentialité pour des documents tels que le document demandé, d’autant plus que ce dernier ressortissait à une procédure de nature législative.

 Appréciation de la Cour

71      Il convient de relever d’emblée que, contrairement à ce qu’allègue Access Info, ce moyen est recevable, étant donné que, s’il est vrai que le Conseil n’identifie pas un point précis de l’arrêt attaqué contenant une erreur de droit, il résulte clairement de l’exposé des arguments au soutien de ce moyen que le Conseil reproche au Tribunal de ne pas avoir considéré qu’il lui était loisible de justifier le refus d’accès au document demandé sur le fondement d’une présomption de confidentialité basée sur des considérations générales.

72      En ce qui concerne le fond, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, si pour justifier le refus d’accès à un document, il ne suffit pas, en principe, que ce document relève d’une activité ou d’un intérêt mentionnés à l’article 4 du règlement no 1049/2001, l’institution concernée devant également expliquer comment l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à cet article, il est toutefois loisible à cette institution de se fonder, à cet égard, sur des présomptions générales s’appliquant à certaines catégories de documents, des considérations d’ordre général similaires étant susceptibles de s’appliquer à des demandes de divulgation portant sur des documents de même nature (arrêts Suède et Turco/Conseil, précité, point 50; du 29 juin 2010, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑139/07 P, Rec. p. I‑5885, point 54, ainsi que du 28 juin 2012, Commission/Agrofert Holding, C‑477/10 P, point 57).

73      Dans un tel cas, il incombe toutefois à l’institution concernée de préciser sur quelles considérations d’ordre général elle fonde la présomption que la divulgation de ces documents porterait atteinte à l’un des intérêts protégés par les exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001, et cela sans être tenue d’effectuer une appréciation concrète du contenu de chacun de ces documents (voir, en ce sens, arrêt Suède e.a./API et Commission, précité, point 76).

74      Or, en l’occurrence, même à supposer que le Conseil ait fait valoir en première instance qu’il lui était loisible de refuser l’accès à un document, tel que le document demandé, sur le fondement d’une présomption fondée sur les considérations résumées au point 43 de l’arrêt attaqué et tenant à la nécessité de préserver la marge de manœuvre des délégations au cours des discussions préliminaires portant sur la proposition législative de la Commission, force est de constater que, d’une part, le Tribunal a, aux points 70 à 79 de l’arrêt attaqué, examiné ces considérations et a, au point 80 de cet arrêt, considéré qu’elles n’étaient pas suffisantes afin d’établir l’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001. D’autre part, c’est en vain que le Conseil, aux termes du troisième moyen à l’appui de son pourvoi, a tenté de remettre en cause cette appréciation, ce moyen n’ayant pas prospéré.

75      Par conséquent, le Conseil ne saurait valablement soutenir qu’il lui était loisible de refuser l’accès au document demandé sur la base d’une présomption fondée sur de telles considérations.

76      Compte tenu de ce qui précède, sont inopérants les arguments visant à démontrer que le Tribunal n’a pas tenu en compte les raisons pour lesquelles le Conseil avait considéré que ces considérations d’ordre général étaient applicables au document demandé en l’espèce.

77      Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être écarté comme étant non fondé.

78      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le pourvoi doit être rejeté.

 Sur les dépens

79      Selon l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’article 140, paragraphe 1, dudit règlement prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

80      Le pourvoi du Conseil étant rejeté, il y a lieu, conformément aux conclusions d’Access Info, de condamner le Conseil à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par Access Info.

81      La République tchèque, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française et le Parlement supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens exposés par Access Info Europe.

3)      La République tchèque, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française et le Parlement européen supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.