CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PAOLO MENGOZZI
présentées le 19 septembre 2013 (1)
Affaires jointes C‑231/11 P, C‑232/11 P et C‑233/11 P
Commission européenne
contre
Siemens AG Österreich e.a. (C‑231/11 P)
Siemens Transmission & Distribution Ltd (C‑232/11 P)
Siemens Transmission & Distribution SA et
Nuova Magrini Galileo SpA (C‑233/11 P)
contre
Commission européenne
«Pourvoi – Concurrence – Ententes – Marché des projets relatifs à des appareillages de commutation à isolation gazeuse – Responsabilité solidaire pour le paiement de l’amende – Domaines de compétence de la Commission et des tribunaux nationaux – Notion d’entreprise – Principes de la responsabilité personnelle et de l’individualité des peines et des sanctions – Compétence de pleine juridiction du Tribunal – Règle ‘ne ultra petita’ – Principe du contradictoire – Principes de proportionnalité et de l’égalité de traitement»
1. Les trois pourvois faisant l’objet des présentes affaires jointes visent tous à obtenir l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal du 3 mars 2011, Siemens Österreich e.a./Commission (2) (ci‑après l’«arrêt attaqué»). Par cet arrêt, le Tribunal a annulé partiellement et ensuite réformé la décision C(2006) 6762 final de la Commission (3) (ci‑après la «décision litigieuse»), par laquelle cette institution avait constaté l’existence d’une entente anticoncurrentielle dans le secteur des appareillages de commutation à isolation gazeuse («gas insulated switch gear», ci‑après les «GIS») (4) et infligé une série d’amendes aux entreprises qui avaient participé à l’entente.
2. Le premier pourvoi, formé par la Commission européenne dans l’affaire C‑231/11 P, soulève une importante question de droit dont la solution est, d’une part, susceptible d’avoir une incidence sur l’équilibre institutionnel entre les organes de l’Union et ceux des États membres, parce qu’elle concerne les domaines de compétence respectifs de la Commission et des tribunaux nationaux et peut, d’autre part, avoir un impact considérable sur l’application pratique par la Commission des règles de concurrence de l’Union. En particulier, par son pourvoi, la Commission conteste l’arrêt du Tribunal dans la mesure où, lorsque cette institution sanctionne plusieurs personnes solidairement pour la violation des règles de concurrence, il lui reconnaît la compétence et lui impose l’obligation de déterminer les relations internes entre les codébiteurs de l’amende qu’elle a infligée (c’est‑à‑dire ce que l’on appelle les rapports de solidarité interne (5)) et de déterminer, par conséquent, pour chaque personne sanctionnée solidairement la quote-part de l’amende qu’elle sera tenue de supporter (6).
3. Le deuxième pourvoi (affaire C‑232/11 P) et le troisième (C‑233/11 P) sont, en revanche, formés par trois sociétés sanctionnées pour leur participation à l’entente relative aux GIS et visent, en substance, à contester les amendes que le Tribunal leur a infligées dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction.
I – Faits
A – Les requérantes
4. Les requérantes au deuxième et au troisième pourvoi en cause sont trois sociétés dont la participation à l’entente n’est pas contestée et qui, durant la période où celle‑ci a fonctionné, c’est‑à‑dire entre 1988 et 2004, ont fait l’objet de diverses modifications sociales complexes qu’il convient de résumer brièvement.
5. En particulier, la requérante dans l’affaire C‑232/11 P, Siemens Transmission & Distribution Ltd (antérieurement Reyrolle Ltd et ensuite VA Tech Reyrolle Ltd, ci‑après «Reyrolle») a été, entre 1988 et 1998, une filiale du groupe Rolls‑Royce. Le 20 septembre 1998, elle a été acquise par VA Technologie AG (ci‑après «VA Technologie»), qui, à son tour, l’a apportée, le 13 mars 2001 – par l’intermédiaire d’une filiale à 100 %, VA Tech Transmission & Distribution GmbH & Co. KEG (ci‑après «KEG») –, dans le cadre d’une opération visant à créer une nouvelle société, VA Tech Schneider High Voltage GmbH (ci‑après «VAS»). VAS était initialement contrôlée à 60 % par VA Technologie et à 40 % par Schneider Electric SA (ci‑après «Schneider») (7).
6. Les deux requérantes dans l’affaire C‑233/11 P, Siemens Transmission & Distribution SA (ci‑après «SEHV») et Nuova Magrini Galileo SpA (ci‑après «Magrini»), étaient, jusqu’en mars 2001, deux filiales à 100 % de Schneider. À cette date, dans le cadre de la création de VAS, Schneider a apporté les deux sociétés en question (8).
7. En octobre 2004, VA Technologie a acquis de Schneider, par l’intermédiaire de KEG, la totalité du capital social de VAS (9). Enfin, en 2005, Siemens AG a acquis, par l’intermédiaire d’une de ses filiales, Siemens AG Österreich (ci‑après «Siemens Österreich»), le contrôle exclusif du groupe dont VA Technologie était la société mère (groupe qui comprenait VAS, Reyrolle, SEHV, Magrini et KEG, désignées ci‑après conjointement comme étant le «groupe VA Tech»). À la suite de cette acquisition, VA Technologie et, ensuite, VAS ont été fusionnées dans Siemens Österreich (10).
B – La procédure administrative et la décision litigieuse
8. Il ressort des points 4 à 11 de l’arrêt attaqué que, à la suite d’une demande d’immunité d’amendes présentée en mars 2004 (11), dans laquelle était signalée l’existence de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des GIS, la Commission a entamé une enquête au cours de laquelle elle a mené des inspections notamment dans les locaux des sociétés appartenant au groupe VA Tech, dont les requérantes dans les présentes affaires faisaient partie, et, ensuite, elle a notifié une communication des griefs à 20 sociétés, dont les requérantes.
9. Le 24 janvier 2007, la Commission a adopté la décision litigieuse. Dans cette décision, elle a constaté que, dans le cadre de l’entente relative aux GIS, les entreprises participantes avaient convenu, entre autres, de la répartition des marchés à l’échelle mondiale (12), de la fixation des prix et de l’échange d’informations sensibles. La Commission a aussi constaté que l’entente avait eu une durée comprise entre le 15 avril 1988 et le 11 mai 2004, mais que la participation des sociétés du groupe VA Tech à l’entente avait été interrompue entre décembre 2000 et avril 2002 (13). À la suite de ces constatations, la Commission a infligé diverses amendes aux entreprises ayant participé à l’entente.
10. En particulier, à l’article 1er, sous m), q) et r), de la décision litigieuse, la Commission a constaté que Reyrolle, SEHV et Magrini avaient participé à l’infraction du 15 avril 1988 au 13 décembre 2000 et du 1er avril 2002 au 11 mai 2004. À l’article 1er, sous p) et t), de la décision litigieuse, la Commission a constaté que Siemens Österreich et KEG avaient participé à l’infraction du 20 septembre 1998 au 13 décembre 2000 et du 1er avril 2002 au 11 mai 2004. À l’article 1er, sous n), de la décision litigieuse, la Commission a constaté que Schneider avait participé à l’infraction du 15 avril 1988 au 13 décembre 2000.
11. À l’article 2 de la décision litigieuse, la Commission a infligé les amendes suivantes pour les infractions susvisées:
«[…]
j) [Schneider]: 3 600 000 euros;
k) [Schneider]: solidairement avec [SEHV] et [Magrini]: 4 500 000 euros;
l) [Reyrolle]: 22 050 000 euros, dont
i) solidairement avec [SEHV] et [Magrini]: 17 500 000 euros, et
ii) solidairement avec [Siemens Österreich] et [KEG]: 12 6000 000 euros.»
C – La procédure juridictionnelle de première instance
12. Saisi par des recours introduits par les sociétés qui avaient fait partie du groupe VA Tech contre la décision litigieuse, le Tribunal a, comme on le verra plus en détail ci‑après, tout d’abord, annulé cette décision dans les parties où elle concerne les amendes infligées aux requérantes (14) et, ensuite, il l’a réformée dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, en fixant aussi, pour les diverses amendes, la quote-part que chaque société devait supporter dans les rapports internes entre codébiteurs solidaires (15).
13. Les points 2 et 3 du dispositif de l’arrêt attaqué ont, par conséquent, la teneur suivante:
«2) L’article 2, sous j), k) et l), de la décision [litigieuse] est annulé.
3) Pour les infractions constatées à l’article 1er, sous m), p), q), r) et t), de la décision [litigieuse], les amendes suivantes sont infligées:
– [SEHV] et [Magrini], solidairement avec [Schneider]: 8 100 000 euros;
– [Reyrolle], solidairement avec [Siemens Österreich], [KEG], [SEHV] et [Magrini]: 10 350 000 euros;
– [Reyrolle], solidairement avec [Siemens Österreich] et [KEG]: 2 250 000 euros;
– [Reyrolle]: 9 450 000 euros.»
II – Procédure devant la Cour
14. Par un acte du 13 mai 2011, la Commission a formé un pourvoi dans l’affaire C‑231/11 P, en demandant l’annulation partielle de l’arrêt attaqué. Par des actes séparés du 17 mai 2011, Reyrolle, d’une part, et SEHV et Magrini, d’autre part, ont aussi formé un pourvoi, respectivement dans les affaires C‑232/11 P et C‑233/11 P, en demandant l’annulation partielle de l’arrêt attaqué.
15. Par une ordonnance du 1er juillet 2011, le président de la Cour a ordonné la jonction des trois affaires aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.
16. Le 2 mai 2013, a eu lieu l’audience devant la Cour.
III – Sur le pourvoi formé par la Commission dans l’affaire C‑231/11 P
17. À l’appui de son pourvoi, la Commission avance sept moyens, qui visent tous à contester l’arrêt attaqué, même si c’est à des points de vue différents, dans la mesure où le Tribunal y a affirmé qu’il appartient exclusivement à la Commission de déterminer les rapports internes entre codébiteurs de l’amende infligée solidairement à différentes personnes pour violation des règles de concurrence, ainsi que dans la mesure où, tirant les conséquences concrètes de cette affirmation de principe, le Tribunal a déterminé les quotes-parts respectives de l’amende à charge des différentes sociétés condamnées solidairement au paiement de celle‑ci.
18. Avant d’analyser dans le détail les divers moyens de pourvoi avancés par la Commission, il y a lieu de rappeler brièvement les points essentiels du raisonnement suivi par le Tribunal dans les parties de l’arrêt qui font l’objet du pourvoi, ainsi que, ensuite, d’aborder certaines questions de nature préliminaire concernant l’objet et la portée du pourvoi, questions dont la solution est susceptible d’avoir une incidence sur sa recevabilité et son efficacité.
A – L’arrêt attaqué
19. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal expose, dans un premier temps, aux points 137 à 167, les raisons qui l’amènent à annuler la décision litigieuse dans la partie concernant les amendes infligées aux requérantes. Plus spécifiquement, après avoir examiné et approuvé l’analyse effectuée par la Commission pour déterminer les différentes sociétés auxquelles pouvait être imputé le comportement des entreprises ayant participé à l’entente (16), le Tribunal aborde la question du calcul du montant des amendes à infliger à ces sociétés (17). Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal part, aux points 150 et 151, d’une série de principes qu’il déduit de la jurisprudence, pour exposer ensuite, aux points 153 à 159, toute une série de considérations relatives à la solidarité dans les rapports internes entre codébiteurs. C’est précisément contre ces considérations que le pourvoi de la Commission est explicitement dirigé.
20. En particulier, le Tribunal affirme qu’il découle du principe de l’individualité des peines et des sanctions que chaque société doit pouvoir déduire de la décision qui lui impose une amende à payer solidairement avec une ou plusieurs autres sociétés la quote-part qu’elle devra supporter dans sa relation avec ses codébiteurs solidaires, une fois la Commission désintéressée. À cette fin, la Commission doit préciser les périodes pendant lesquelles les sociétés concernées sont (co)responsables des comportements infractionnels des entreprises ayant participé à l’entente et, le cas échéant, le degré de responsabilité desdites sociétés pour ces comportements. Le Tribunal considère, en outre, que la notion de «solidarité pour le paiement des amendes» est une notion autonome du droit de l’Union qu’il faut interpréter en se référant aux objectifs du droit de la concurrence (18).
21. Dans ce contexte, selon le Tribunal, la décision par laquelle la Commission impose à plusieurs sociétés de payer solidairement une amende produit nécessairement tous les effets qui s’attachent, de droit, au régime juridique du paiement des amendes en droit de la concurrence, et ce tant dans les rapports (externes) entre le créancier et les codébiteurs solidaires que dans les rapports (internes) des codébiteurs solidaires. Il appartient donc exclusivement à la Commission, dans le cadre de l’exercice de sa compétence pour infliger des amendes, en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 1/2003 (19), de déterminer la quote-part respective des différentes sociétés dans l’amende à laquelle elles ont été condamnées solidairement, dans la mesure où elles faisaient partie d’une même entreprise, et cette tâche ne saurait être laissée aux tribunaux nationaux (20).
22. En l’absence d’une indication, dans la décision de la Commission, selon laquelle certaines sociétés seraient plus responsables que d’autres de la participation de l’entreprise dont elles font ou ont fait partie à l’infraction constatée pendant une période donnée, il y a lieu de considérer, selon le Tribunal, qu’elles ont une responsabilité égale et, partant, une quote-part égale dans les montants qui leur sont imposés solidairement (21).
23. Après avoir ainsi décrit dans ses grandes lignes le régime juridique de l’obligation solidaire en matière d’amendes infligées pour violation des règles de concurrence de l’Union, le Tribunal désigne, en relation avec le cas de l’espèce, aux points 161 à 165 de l’arrêt attaqué, trois aspects sous lesquels la manière dont la Commission a déterminé le montant des amendes est illégale (22). Considérant que la Commission a, par conséquent, violé le principe de l’individualité des peines, le Tribunal annule partiellement l’article 2 de la décision litigieuse, comme indiqué au point 2 du dispositif de l’arrêt, reproduit au point 13 ci‑dessus.
24. Dans un second temps, aux points 236 à 264 de l’arrêt attaqué, le Tribunal, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, réforme la décision litigieuse. À cet égard, il suffit, dans ce contexte, de noter que, en plus de fixer le montant des amendes que les requérantes en première instance doivent payer solidairement à la Commission, le Tribunal, aux points 245, 247, 261 et 263, a déterminé concrètement la quote‑part de l’amende que chaque société doit supporter dans les rapports internes entre codébiteurs solidaires. Le Tribunal a fondé expressément ce calcul sur les considérations qu’il a exposées aux points 158 et 159 de l’arrêt attaqué (résumées au point 22 ci‑dessus), en décidant que, en l’absence, dans la décision litigieuse, d’indications relatives au degré de responsabilité de chaque société, l’amende doit être supportée en parts égales par les sociétés condamnées solidairement au paiement.
B – Sur l’objet du pourvoi
25. Dans son recours, la Commission affirme explicitement que le pourvoi formé par elle est dirigé exclusivement contre les points 153 à 159 de l’arrêt attaqué (résumés aux points 20 à 22 ci‑dessus), ainsi que contre la détermination de la quote‑part de l’amende que chaque société doit supporter dans les rapports internes entre codébiteurs solidaires, telle qu’effectuée par le Tribunal aux points 245, 247, 262 et 263 de l’arrêt attaqué sur la base des considérations contenues auxdits points 153 à 159 du même arrêt. La teneur des conclusions de la Commission confirme, du reste, que l’objet du pourvoi est limité à ces deux aspects de l’arrêt attaqué (23).
26. Cependant, force est de constater que, comme la Commission l’admet, du reste, elle‑même, ni les considérations relatives au régime de la solidarité interne exposées aux points 153 à 159 de l’arrêt attaqué ni les conséquences que, aux points 245, 247, 262 et 263 de l’arrêt attaqué, le Tribunal tire de ces considérations pour recalculer les amendes dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction ne sont formellement reflétées dans le dispositif de l’arrêt attaqué. Comme il ressort, en effet, du point 13 ci‑dessus, le dispositif de l’arrêt attaqué ne contient aucune référence explicite à la fixation de la quote‑part de l’amende que chaque société condamnée solidairement au paiement de l’amende doit supporter.
27. En outre, à mon avis, les considérations exposées par le Tribunal aux points 153 à 159 de l’arrêt attaqué ne peuvent pas non plus fonder directement, à mon avis, l’annulation partielle de la décision litigieuse prononcée au point 2 du dispositif. En effet, les trois éléments, identifiés par le Tribunal aux points 161 à 165 de l’arrêt attaqué, qui l’ont conduit à constater l’illégalité de la décision litigieuse (24) et qui ne sont pas contestés par la Commission devant la Cour, concernent la violation du principe de l’individualité des peines en relation avec des questions concernant l’aspect externe de la solidarité des sociétés condamnées, à savoir leur responsabilité pour le paiement de l’amende à la Commission, plutôt que des questions concernant les relations internes entre elles en tant que codébitrices solidaires de l’amende (25). Bien que, comme on le verra mieux ci‑après dans le détail, elles constituent certainement le fondement de la détermination concrète des quotes‑parts effectuée par le Tribunal aux points 245, 247, 262 et 263 de l’arrêt attaqué, les considérations exposées aux points 153 à 159 de celui‑ci paraissent constituer une sorte d’obiter dictum dans l’analyse qui conduit le Tribunal à l’annulation partielle de la décision litigieuse prononcée au point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué. Je ne partage, par conséquent, pas l’affirmation de la Commission selon laquelle ces considérations constitueraient des motifs essentiels justifiant cette annulation partielle et cela indépendamment du fait que, au point 160 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a reproché à la Commission de ne pas avoir tenu compte des «principes énoncés ci-dessus».
28. À la lumière de ces considérations, il y a lieu de conclure que, même dans le cas où la Cour, faisant droit intégralement au pourvoi formé par la Commission, devrait annuler les points de l’arrêt contre lesquels ledit pourvoi est dirigé, le dispositif de l’arrêt n’en serait, en tout cas, pas formellement modifié. Une situation de ce genre soulève une série de questions qui méritent une analyse plus approfondie.
1. Sur la nécessité de l’existence dans le chef de la Commission d’un intérêt à agir en relation avec le pourvoi
29. En premier lieu, dans le cas où un requérant ne peut, par son pourvoi, obtenir effectivement l’annulation du dispositif de l’arrêt attaqué, se pose la question de son intérêt à agir en relation avec le pourvoi lui‑même. À cet égard, je ne peux me dispenser de noter que la jurisprudence est tout sauf univoque sur la question de la nécessité ou non pour une institution ou, plus généralement, pour un requérant privilégié tel que la Commission, de prouver l’existence d’un intérêt à agir dans le cadre d’un pourvoi formé devant la Cour contre un arrêt du Tribunal.
30. En effet, il ressort clairement d’une première orientation jurisprudentielle, dont on peut faire remonter l’origine à l’arrêt Commission/Anic Partecipazioni (26), que, qu’elles aient été ou non parties au litige en première instance, «les institutions de la Communauté ne doivent […] faire preuve d’aucun intérêt pour pouvoir former un pourvoi contre un arrêt du Tribunal» (27). Cette affirmation de principe, qui est fondée sur la disposition de l’article 56, troisième alinéa, du statut de la Cour (28), a été réitérée explicitement dans des arrêts ultérieurs de la Cour (29), dont l’un a été rendu en grande chambre (30).
31. Malgré cela, dans divers autres arrêts, la Cour, saisie d’un pourvoi dirigé contre un arrêt du Tribunal, a vérifié s’il était satisfait à la condition exigeant l’existence d’un intérêt à agir dans le chef de requérants privilégiés et, notamment, de la Commission, en arrivant même à déclarer certains pourvois partiellement irrecevables pour défaut d’intérêt à agir de cette institution (31).
32. Or, parmi les deux orientations jurisprudentielles susmentionnées, je penche pour la première. En effet, d’une part, les arrêts relevant de cette orientation me paraissent, contrairement à ceux relevant de l’autre orientation, avoir constitué un choix précis de la Cour, choix qui a ensuite été confirmé par un arrêt rendu par la grande chambre. D’autre part, j’estime que, par analogie avec ce qui est prévu en matière de recours en annulation, lequel, selon une jurisprudence constante, peut être introduit par les requérants privilégiés sans qu’ils doivent démontrer un intérêt à agir (32), le traitement de faveur appliqué à ces requérants en matière de pourvoi dirigé contre un arrêt du Tribunal peut trouver sa ratio dans la situation particulière qu’ils occupent à l’intérieur de l’ordre juridique de l’Union, qui peut justifier que le droit de former un pourvoi leur soit reconnu sans qu’ils doivent démontrer un intérêt à agir (33).
33. Cette ratio est, du reste, reflétée dans les dispositions des deuxième et troisième alinéas de l’article 56 du statut de la Cour de justice, qui prévoient pour les institutions de l’Union et pour les États membres une dérogation aux conditions auxquelles est soumise l’introduction d’un pourvoi afin de faciliter celle‑ci. Cela ne signifie, cependant, pas que, comme on le verra, du reste, aussi dans la section suivante, ces requérants disposent d’une possibilité illimitée d’attaquer les arrêts du Tribunal devant la Cour (34).
2. Sur les effets d’une décision accueillant éventuellement le pourvoi sur le dispositif de l’arrêt attaqué
34. En deuxième lieu, et indépendamment de la question de l’intérêt à agir, dans une situation telle que celle décrite au point 28 ci‑dessus, il convient de se demander dans quelle mesure il est possible, même en qualité de requérant privilégié, de former un pourvoi qui vise à obtenir l’annulation de parties de la motivation d’un arrêt sans que l’annulation ait formellement un impact sur le dispositif de ce dernier. En effet, d’une part, selon la jurisprudence, un pourvoi dirigé contre des points des motifs qui sont sans incidence sur le dispositif de l’arrêt attaqué doit être rejeté comme inopérant (35). C’est, du reste, précisément pour empêcher l’introduction de pourvois ayant pour objet exclusif de contester la motivation de l’arrêt du Tribunal qu’a été adopté l’article 169 du nouveau règlement de procédure de la Cour (36). D’autre part, la possibilité de demander à la Cour une substitution de motifs est soumise par la jurisprudence à des limites très strictes (37).
35. Cependant, j’estime que, en l’espèce, on ne peut pas considérer que le pourvoi soit dirigé contre des points des motifs qui sont sans incidence sur le dispositif de l’arrêt attaqué. En effet, bien que, comme je l’ai observé au point 25 ci‑dessus, le pourvoi de la Commission soit dirigé exclusivement contre des considérations de droit contenues dans les motifs de l’arrêt ainsi que contre les conséquences que le Tribunal tire de ces considérations pour le cas concret – considérations et conséquences qui ne sont pas reflétées explicitement dans le dispositif de l’arrêt attaqué, de telle sorte que, si le pourvoi était accueilli, cela n’entraînerait pas nécessairement une modification formelle de ce dispositif –, je considère, cependant, que tant ces considérations que les conséquences qui en découlent, même si elles ne sont pas formulées explicitement dans son dispositif, font partie intégrante de la solution de droit énoncée dans l’arrêt attaqué (38) et constituent, par conséquent, un élément nécessaire à la lecture et à l’interprétation de cet arrêt, et en particulier de son dispositif.
36. En effet, lorsque le dispositif de l’arrêt indique, en son point 3, que les différentes sociétés sont condamnées «solidairement» au paiement des amendes – telles que recalculées par le Tribunal –, il ne peut être lu séparément de ce que le Tribunal a décidé aux points 245, 247, 262 et 263 de l’arrêt attaqué, où le Tribunal a déterminé la part que chaque société débitrice solidaire de l’amende doit supporter dans les rapports internes avec les autres codébiteurs solidaires. En effet, en l’espèce, même si le dispositif ne contient pas de références explicites à la répartition interne de l’amende entre codébiteurs solidaires, la responsabilité solidaire des sociétés déclarée par le Tribunal ne peut se comprendre qu’à la lumière de ce qu’il a affirmé aux points précités de l’arrêt attaqué, qui, du reste, trouvent explicitement et nécessairement leur fondement dans les considérations de droit exposées par le Tribunal aux points 153 à 159 de l’arrêt attaqué et sont, par conséquent, indissociables de ces dernières.
37. Sur ce point, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence que le dispositif d’un arrêt doit être lu à la lumière des motifs qui ont amené à celui-ci et qui en constituent le soutien nécessaire dans la mesure où ils sont indispensables pour déterminer le sens exact de ce qui a été jugé dans le dispositif (39).
38. Par ailleurs, toujours selon la jurisprudence, les motifs de l’arrêt attaqué, qui constituent le fondement nécessaire de son dispositif et en sont, par conséquent, indissociables, acquièrent l’autorité de la chose jugée (40) et la Commission est tenue de la respecter parce qu’ils sont indispensables pour déterminer le sens exact du dispositif de l’arrêt (41). Par conséquent, comme la Commission le fait valoir, les parties de l’arrêt attaqué qui font l’objet du pourvoi et qui concernent la compétence permettant de déterminer les rapports internes entre codébiteurs solidaires de l’amende sont susceptibles de passer en force de chose jugée et de lier la Commission lorsque, à l’avenir, elle appliquera dans la pratique le régime de sanctions en matière de concurrence.
39. En conclusion, à la lumière des considérations qui précèdent, j’estime que le recours de la Commission est recevable, mais inopérant (42) dans la partie où il vise à obtenir l’annulation du point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué. En effet, comme je l’ai fait observer au point 27 ci‑dessus, les considérations contenues dans les points 153 à 159 de l’arrêt attaqué contre lesquelles le pourvoi est explicitement dirigé ne fondent pas l’annulation de l’article 2 de la décision litigieuse de telle sorte que, même dans le cas où la Cour devrait, en accueillant le recours de la Commission, annuler ces points de l’arrêt, cela n’aurait aucun impact sur le point 2 de son dispositif.
40. Je considère, en revanche, que le recours de la Commission est recevable et opérant dans la partie où il vise à obtenir l’annulation du point 3 du dispositif de l’arrêt attaqué. En effet, comme il ressort des considérations exposées aux points 35 à 38 ci‑dessus, dans l’éventualité où la Cour accueillerait cette demande et annulerait, en conséquence, la détermination des quotes‑parts de l’amende effectuée par le Tribunal dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, cela aurait une incidence sur l’interprétation du sens exact de ce que le Tribunal a déclaré au point 3 du dispositif de l’arrêt attaqué. Dans ce contexte, il convient de déclarer recevable et aussi opérante la demande de la Commission, formulée à titre subsidiaire, visant à obtenir l’annulation de l’arrêt attaqué dans la mesure où, aux points 153 à 159, il affirme qu’il appartient à cette institution de déterminer les quotes‑parts des codébiteurs solidaires du paiement d’une amende, parce que cette affirmation constitue le fondement nécessaire et indissociable de la détermination de ces quotes‑parts au point 3 du dispositif de l’arrêt dont l’annulation est demandée.
41. Il en découle que l’analyse du pourvoi de la Commission sera, dans la suite, limitée à ces deux aspects, à savoir la détermination des quotes‑parts de l’amende effectuée par le Tribunal dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction et les considérations de droit exposées aux points 153 à 159 de l’arrêt attaqué, dans la mesure où elles constituent le fondement nécessaire et indissociable de cette détermination.
C – Sur le fond du pourvoi
1. Sur le premier moyen de pourvoi, tiré d’une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 23 du règlement nº 1/2003, en ce qui concerne les domaines de compétence respectifs de la Commission et des tribunaux nationaux
42. La Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 23 du règlement nº 1/2003, parce que, en décidant, dans l’arrêt attaqué, qu’elle doit déterminer les quotes‑parts respectives des codébiteurs solidaires du paiement d’une amende infligée pour violation des règles de concurrence de l’Union, il lui aurait conféré des compétences et imposé des obligations qui iraient au‑delà de ce qui est nécessaire à la poursuite des infractions à ces règles, en causant ainsi un préjudice aux ordres juridiques des États membres. Selon la Commission, la détermination des relations internes entre codébiteurs, y compris d’éventuels droits de récupération existant entre eux, relèverait du champ d’application du droit des États membres et la solution des litiges en la matière serait, par conséquent, de la compétence des tribunaux nationaux.
43. Le premier moyen de pourvoi soulève des questions concernant la répartition des compétences entre organes de l’Union, spécifiquement la Commission, et des États membres, spécifiquement les tribunaux nationaux, ainsi que des questions concernant le champ d’application respectif du droit de l’Union et du droit des États membres.
44. Sur ce point, il est utile de rappeler que, comme je l’ai déjà fait observer aux points 21 et 22 ci‑dessus, le Tribunal a, sur la base des considérations exposées aux points 153 à 156 de l’arrêt attaqué, affirmé, au point 157 de celui‑ci, qu’il appartient exclusivement à la Commission, dans l’exercice de sa compétence pour infliger des amendes, en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003, de déterminer les quotes-parts respectives des différentes sociétés dans l’amende à laquelle elles ont été condamnées solidairement, dans la mesure où elles faisaient partie d’une même entreprise, et que cette tâche ne saurait être laissée aux tribunaux nationaux. Cependant, il résulte des points 158 et 159 de l’arrêt attaqué que, en l’absence d’une indication, dans la décision de la Commission, selon laquelle certaines sociétés seraient plus responsables que d’autres, il y a lieu de considérer qu’elles ont une responsabilité égale et, partant, une quote-part égale dans les montants qui leur sont imposés solidairement.
45. À la lumière de cela, je dois faire observer, à titre préliminaire, que, bien que la Commission affirme à diverses reprises dans son pourvoi que le Tribunal lui aurait imposé une «obligation» de déterminer les relations de solidarité interne entre codébiteurs solidaires de l’amende (43), les termes de l’arrêt du Tribunal ne sont, en réalité, pas totalement clairs en ce qui concerne l’imposition ou non d’une véritable obligation à cet égard. En effet, bien que les termes utilisés au point 153 (44) paraissent présupposer l’existence d’une telle obligation, l’utilisation des termes «il appartient à la Commission» (45) au point 157 laisse subsister des doutes sur l’intention du Tribunal d’imposer une véritable obligation à cette institution, d’autant plus que, en tout cas, dans le système élaboré par le Tribunal, le non‑exercice de cette compétence ne semble pas entraîner l’annulation de la décision, mais plutôt l’application automatique de la règle selon laquelle la responsabilité (et donc la quote‑part de l’amende) est considérée comme partagée en parts égales entre les codébiteurs.
46. Cela étant, il est indubitable que le système conçu par le Tribunal reconnaît à la Commission une compétence exclusive pour effectuer cette détermination, ce qui exclut, par conséquent, la compétence des tribunaux nationaux. En outre, dans ce système, cette compétence est susceptible, en principe, d’être exercée dans tous les cas où la Commission condamne solidairement plusieurs personnes au paiement d’une amende pour violation des règles de concurrence, le non‑exercice de cette compétence entraînant en fait l’application de la règle de la répartition en parts égales de la responsabilité et de l’amende.
47. C’est à la lumière de ces considérations préliminaires qu’il faut analyser le premier moyen de pourvoi.
a) Sur la compétence de la Commission
48. Il convient, avant tout, de rappeler que, en vertu du principe d’attribution, l’Union agit exclusivement dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs établis par ceux‑ci (article 5, paragraphe 2, première phrase, TUE). Toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres (articles 4, paragraphe 1, et 5, paragraphe 2, seconde phrase). En particulier, aux termes de l’article 3, paragraphe 1, sous b), TFUE, l’Union dispose d’une compétence exclusive pour établir les règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur.
49. L’exercice des compétences de l’Union se fonde sur le principe de proportionnalité, selon lequel le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités. Les institutions de l’Union sont tenues d’appliquer ce principe (article 5, paragraphe 4, TUE). En outre, chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités (article 13, paragraphe 2, première phrase, TUE).
50. Le fondement normatif du pouvoir attribué à la Commission de sanctionner les infractions aux règles de concurrence de l’Union se trouve dans l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003, qui a été adopté sur la base de l’article 103 TFUE (ancien article 83 CE). On déduit du paragraphe 2, sous a), de ce dernier article que la compétence attribuée à l’Union pour infliger des amendes vise à assurer le respect des interdictions contenues dans les règles de concurrence du traité FUE. La Cour a, en outre, précisé que cette disposition a, notamment, pour objectif d’assurer l’effectivité du contrôle des ententes et des abus de position dominante (46).
51. Le pouvoir d’infliger des amendes aux entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, commettent une infraction aux dispositions des articles 101 TFUE et 102 TFUE est un pouvoir propre de la Commission (47). Il constitue un des moyens attribués à celle-ci en vue de lui permettre d’accomplir la mission de surveillance que lui confère le droit de l’Union (48), ainsi que de remplir son rôle d’institution responsable de la mise en œuvre et de l’orientation de la politique de l’Union en matière de concurrence (49).
52. En particulier, la faculté pour la Commission de condamner solidairement au paiement de l’amende les personnes qui, dans le cadre de l’unité économique que constitue l’entreprise, ont participé directement ou indirectement à l’infraction n’est expressément prévue par aucune règle de l’Union en matière de concurrence. Cette faculté a été, cependant, reconnue à la Commission par la jurisprudence dans la mesure où le mécanisme de la solidarité constitue un instrument juridique supplémentaire résultant de la nécessité de garantir l’efficacité de son action visant à garantir l’effectivité de la mise en œuvre des règles de concurrence de l’Union, ainsi que de la répression de leur violation (50). En effet, en élargissant le nombre des personnes desquelles la Commission peut exiger le paiement de l’intégralité de l’amende, le mécanisme de la solidarité favorise l’exécution effective de la sanction en réduisant les risques d’insolvabilité et d’opérations frauduleuses visant à éluder son paiement, en contribuant, par conséquent, comme, du reste, le Tribunal l’a relevé au point 151 de l’arrêt attaqué, à l’objectif de dissuasion visant à assurer le respect par les entreprises des règles de concurrence de l’Union (51).
53. Le pouvoir de sanctionner plusieurs personnes appartenant à la même entreprise pour la violation des règles de concurrence de l’Union, en imposant un lien (externe) de solidarité entre elles, rentre donc, à mon avis, sans aucun doute, dans le cadre du pouvoir de sanction de la Commission tel que visé à l’article 103, paragraphe 2, sous a), TFUE et concrétisé par l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003, ce qui, du reste, n’est pas contesté en l’espèce.
54. En ce qui concerne spécifiquement la détermination de ce que l’on appelle les relations de solidarité interne, je fais observer que ne ressort ni du texte ni de la ratio de l’article 103, paragraphe 2, sous a), TFUE et de l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003 aucun élément qui empêcherait la Commission, dans l’exercice de son pouvoir d’infliger des amendes aux entreprises pour des infractions aux règles de concurrence, de déterminer la quote‑part que chaque codébiteur condamné solidairement au paiement de l’amende doit supporter, dans la mesure où elle l’estime nécessaire, dans un cas spécifique, pour garantir la réalisation de l’objectif visé par l’exercice du pouvoir de sanction, à savoir garantir le respect des interdictions contenues dans les règles de concurrence de l’Union. Par conséquent, dans les limites de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, on ne peut, à mon avis, refuser, dans l’abstrait, à la Commission la compétence pour déterminer, dans le cadre de son pouvoir de sanction, la répartition interne de l’amende entre codébiteurs solidaires (52).
55. Dans certains cas même, la détermination des quotes‑parts des codébiteurs condamnés solidairement au paiement de l’amende s’avère, à mon avis, nécessaire en relation avec des exigences relatives au respect de principes tels que le principe de la sécurité juridique ou de l’individualité des peines, comme dans le cas – analysé de manière plus détaillée dans le cadre du troisième moyen de pourvoi (53) – où, au moment où la décision est adoptée, l’entité économique qui a commis l’infraction n’existe plus sous la forme où elle existait quand l’infraction a été commise et où la Commission entend, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, sanctionner solidairement pour cette infraction des personnes morales qui ne sont plus liées par des liens économiques, organisationnels et juridiques qui soient de nature à justifier l’appartenance à la même entreprise au sens du droit de la concurrence.
56. Cela étant, j’estime, cependant, que l’on ne peut considérer qu’il appartient à la Commission de déterminer, de manière systématique, les rapports internes entre codébiteurs solidaires de l’amende et, encore moins, qu’elle y est obligée. Normalement et sauf cas spécifiques, une telle détermination n’a pas, en effet, une ratio analogue à celle, mentionnée au point 52 ci‑dessus, qui justifie l’imposition de liens de solidarité externe. En effet, une fois l’amende payée par une des personnes qui constituent l’entreprise et qui ont été condamnées solidairement, et, donc, une fois garanti le recouvrement concret de la sanction prévue pour la violation des règles de concurrence de l’Union, les objectifs consistant à garantir l’effectivité de l’application de ces règles et à dissuader les violations futures qui sont ceux du pouvoir de sanction conféré à la Commission sont normalement atteints, de telle sorte que la détermination des relations de solidarité interne entre codébiteurs de l’amende ne semble pas être généralement nécessaire à la réalisation de ces objectifs.
57. Sur ce point, il convient aussi de rappeler que, comme la jurisprudence l’a constamment indiqué, le droit de la concurrence de l’Union vise les activités des entreprises (54), qui sont les destinataires des règles de concurrence de l’Union. Ces règles ne régissent donc, en principe, pas les rapports entre les entités qui constituent l’entreprise.
58. En outre, du point de vue pratique, il convient d’observer que l’imposition à la Commission d’une obligation générale de déterminer, dans chaque cas, la part de responsabilité des personnes morales faisant partie de l’unité économique qui a commis l’infraction et condamnées solidairement au paiement de l’amende risquerait de ralentir considérablement les enquêtes de la Commission, ce qui pourrait compromettre l’effectivité de la mise en œuvre des règles de concurrence de l’Union (55) que, au contraire, comme nous l’avons indiqué au point 52 ci‑dessus, l’instrument juridique de la solidarité vise précisément à assurer.
59. En conclusion, j’estime que l’on ne peut nier, dans l’abstrait, que, dans l’exercice de son pouvoir d’infliger des sanctions, la Commission puisse déterminer la répartition interne de l’amende entre codébiteurs solidaires (c’est‑à‑dire les relations dites «de solidarité interne»). Cependant, dans la mesure où l’action de la Commission dans l’exercice de ce pouvoir qui lui est conféré par les traités est limitée, en vertu du principe de proportionnalité précité, à ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objectif visé par ce pouvoir, la Commission pourra déterminer les relations de solidarité interne entre codébiteurs solidaires de l’amende exclusivement dans la mesure où cela est nécessaire pour réaliser cet objectif, c’est‑à‑dire pour assurer le respect des interdictions contenues dans les règles de concurrence de l’Union. Il lui appartiendra d’apprécier, selon les cas, la nécessité d’effectuer cette détermination, sauf dans les cas, tels que celui que j’ai mentionné au point 55 ci‑dessus et que j’examine de manière plus détaillée aux points 83 et suivants ci‑après, où cet exercice est nécessaire.
60. Il résulte de ce qui précède que, à mon avis, d’une part, on ne peut se rallier à la thèse de la Commission visant à nier, dans l’absolu, qu’une compétence de ce genre lui soit conférée et, d’autre part, on ne peut pas non plus considérer que, comme il ressort de la lecture des points 153 à 159 de l’arrêt attaqué, il appartienne, d’une manière généralisée, à la Commission de déterminer les quotes‑parts des codébiteurs condamnés au paiement de l’amende.
b) Sur la compétence des tribunaux nationaux
61. En ce qui concerne, en revanche, le domaine de compétence des tribunaux nationaux, il convient d’observer qu’ils peuvent intervenir à des titres divers dans l’application des règles de concurrence de l’Union (56), en fonction des prérogatives qui leur sont attribuées par les législations nationales respectives. Ils peuvent, en effet, être appelés à appliquer ces règles dans le cadre de litiges entre particuliers ou intervenir en qualité d’autorités chargées de l’application de ces règles dans l’intérêt public ou aussi comme juges saisis de recours contre des décisions administratives.
62. Cependant, la fonction spécifiquement propre aux tribunaux nationaux dans l’application des règles de concurrence de l’Union consiste dans la protection des droits subjectifs garantis par ces règles dans le cadre de litiges entre particuliers (57). Les tribunaux nationaux jouent, sous cet aspect, un rôle complémentaire et différent de celui consistant à appliquer les règles communautaires de concurrence dans des procédures administratives, dans l’intérêt public (58).
63. Or, j’observe, à titre préliminaire, que tant l’approche adoptée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué (59) que celle adoptée par la Commission dans son pourvoi partent de l’idée qu’il existe une compétence exclusive pour déterminer les quotes‑parts de chaque codébiteur solidaire de l’amende, compétence qui, selon le Tribunal, appartient à la Commission et qui, selon cette dernière, appartient aux tribunaux nationaux. Je ne vois, cependant, aucune raison pour laquelle il serait strictement nécessaire d’adopter une approche visant à attribuer à un organe une compétence exclusive qui exclue la compétence de l’autre. Sur ce point, j’observe, au contraire, que le système d’application des règles de concurrence se fonde – encore davantage à la suite de la modernisation de l’application de ces règles par le biais du règlement nº 1/2003 – sur un système de compétences concurrentes et parallèles de la Commission et des autorités nationales des États membres (y compris les juridictions nationales) (60).
64. Dans cette perspective, j’estime que, dans la mesure où, dans une affaire pendante devant un juge national, sont soulevées des questions concernant les relations de solidarité interne pour le paiement d’une amende infligée pour violation des règles de concurrence, qui impliquent la nécessité de protéger des droits subjectifs du codébiteur, le juge national peut être considéré comme compétent pour résoudre ces questions à condition que la Commission n’ait pas déjà exercé sa compétence sur ce point.
65. Il faut, par ailleurs, préciser maintenant si – et à quel titre – le codébiteur solidaire qui a payé la totalité de l’amende à la Commission dispose, à l’égard des autres codébiteurs, d’un droit subjectif au remboursement de leur quote‑part de l’amende que, au cas où la question de la solidarité interne n’a pas été abordée par la Commission, il peut faire valoir devant un juge national.
66. À cet égard, je fais tout d’abord observer que je suis d’accord avec le Tribunal quand, au point 155 de l’arrêt attaqué, il affirme que «la notion de ‘solidarité pour le paiement des amendes’ est une notion autonome [du droit de l’Union] qu’il faut interpréter en se référant aux objectifs et au système du droit de la concurrence dont elle participe». Il résulte, du reste, clairement des considérations que j’ai exposées aux points 52 à 59 ci‑dessus que la notion de solidarité doit être interprétée à la lumière des objectifs et de ce système (61).
67. Indépendamment de cela, il faut, cependant, observer que la décision de la Commission qui condamne plusieurs personnes conjointement et solidairement au paiement d’une amende produit sans doute certains effets juridiques susceptibles de créer des relations de débit/crédit entre ces personnes. En effet, la décision de la Commission crée une obligation conjointe et solidaire de toutes ces personnes au paiement de l’amende. Le paiement par une de ces personnes de la totalité du montant de l’amende à laquelle elle a été condamnée conjointement avec d’autres personnes, paiement qui libère tous les autres codébiteurs à l’égard de la Commission, fait, en conséquence, naître un droit au remboursement au bénéfice du codébiteur qui a payé. La naissance de ce droit me semble être la conséquence logique du paiement par une seule personne d’une dette dont elle doit s’acquitter conjointement et solidairement avec d’autres personnes qui ont été condamnées pour le même comportement illicite unitaire adopté en violation d’une réglementation de l’Union (spécifiquement celle de la concurrence).
68. Cependant, ce droit au remboursement ne peut, à mon avis, être défini comme un droit conféré aux particuliers par le droit de l’Union, dont, selon la jurisprudence de la Cour, les juges doivent garantir la protection juridictionnelle (62). Je ne vois, en effet, aucun élément qui m’incite à considérer que les règles de l’Union en matière de concurrence confèrent directement au codébiteur solidaire un droit au remboursement de leurs quotes‑parts par les autres codébiteurs de l’amende qu’il a payée dans son intégralité. Il me semble s’agir plutôt, en revanche, d’un simple droit de créance résultant de l’exécution d’une obligation, laquelle, découlant ainsi d’un acte de l’Union, incombe conjointement à plusieurs personnes. L’existence et l’exercice de ce droit de créance ne sont donc, à mon avis, pas régis par le droit de l’Union, mais relèvent du droit national.
69. Il appartiendra donc au juge national saisi d’une action récursoire en vertu des règles de son droit national de déterminer les conditions de l’existence éventuelle du droit au remboursement au bénéfice du codébiteur solidaire qui a payé l’intégralité de l’amende, ainsi que d’appliquer les règles tant de fond que de procédure nécessaires à l’exercice d’un tel droit. Dans l’exercice de cette compétence, le juge national pourra, sans aucun doute, utiliser, si nécessaire, les instruments de coopération avec la Commission mis à sa disposition par le règlement nº 1/2003.
70. Le juge national pourra évidemment déterminer le droit du codébiteur au remboursement et donc les relations internes entre codébiteurs solidaires de l’amende, seulement dans la mesure où cette détermination n’a pas déjà été effectuée par la Commission dans l’exercice de ses compétences selon le critère indiqué au point 59 ci‑dessus. Dans ce dernier cas, le rôle du juge national se limitera à être celui du juge de l’exécution.
c) Conclusion sur le premier moyen de pourvoi
71. En conclusion, en ce qui concerne la présente affaire, il résulte de tout ce qui précède que, à mon avis, dans la mesure où le Tribunal a jugé, au point 157 de l’arrêt attaqué, qu’il appartient exclusivement à la Commission, dans l’exercice de sa compétence pour infliger des amendes, de déterminer, pour les différentes sociétés, les quotes‑parts respectives de l’amende à laquelle elles ont été condamnées solidairement et que cette tâche ne peut être laissée aux tribunaux nationaux, il a commis une erreur de droit. Les conséquences concrètes de cette erreur seront examinées ultérieurement aux points 125 et suivants ci‑après.
2. Sur les troisième et septième moyens de pourvoi, tirés, respectivement, des erreurs de droit dans l’interprétation des principes de l’individualité des peines et des sanctions et de la responsabilité des entreprises pour la violation des règles de concurrence de l’Union, ayant entraîné une atteinte au pouvoir de la Commission de déterminer les sujets de droit auxquels imputer la responsabilité de l’infraction
72. Une fois analysées les questions relatives à la compétence, lesquelles ont logiquement un caractère préliminaire par rapport aux autres questions, j’estime opportun d’examiner maintenant le troisième moyen de pourvoi avancé par la Commission, ainsi que, conjointement, le septième, qui me paraît constituer un complément du troisième. Ces moyens de pourvoi soulèvent, en effet, certaines questions de principe fondamentales qu’il faut, à mon avis, examiner préalablement, avant d’aborder les autres moyens.
73. Par son troisième moyen de pourvoi, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant qu’il découle du principe de l’individualité des peines et des sanctions que chaque destinataire d’une décision qui le condamne à payer solidairement une amende pour violation des règles de concurrence doit pouvoir déduire de cette décision la quote‑part qu’il devra supporter dans les rapports internes avec les codébiteurs solidaires une fois que le paiement a été effectué à la Commission. La détermination de la responsabilité personnelle de chaque société qui est à la base de la détermination des quotes‑parts de chaque codébiteur solidaire, imposée par le Tribunal à la Commission, serait, selon cette institution, incompatible avec la notion d’entreprise en tant que destinataire des interdictions énoncées aux articles 101 TFUE et 102 TFUE et en tant que responsable des infractions aux interdictions qui y sont prévues. Par le septième moyen de pourvoi, la Commission fait valoir que l’obligation qui lui est imposée par le Tribunal porte aussi indûment atteinte à son pouvoir de déterminer les sujets de droit auxquels imputer la responsabilité de l’infraction, à l’intérieur de l’entreprise.
74. Il faut, tout d’abord, rappeler que le principe de l’individualité des peines et des sanctions, sur lequel, ainsi qu’il résulte du point 20 ci‑dessus, le Tribunal a, au point 153 de l’arrêt attaqué, fondé l’obligation pour la Commission de déterminer la quote‑part de chaque société codébitrice du paiement de l’amende, est un corollaire du principe de la responsabilité individuelle et constitue, avec ce dernier, une garantie fondamentale du droit pénal qui limite l’exercice du ius puniendi des pouvoirs publics (63). Ces principes trouvent application en droit de la concurrence, en référence aussi aux personnes morales (64), en raison de la nature «para‑pénale» des sanctions qui peuvent être infligées par la Commission pour punir des comportements anticoncurrentiels (65).
75. En particulier, en vertu du principe de la responsabilité personnelle, qui est, à son tour, un corollaire du principe de la faute (66), chacun est responsable uniquement de ses propres actes (67). En vertu du principe de l’individualité des peines et des sanctions, plus spécifiquement, une personne peut être sanctionnée exclusivement pour des faits qui lui sont imputés individuellement (68). En vertu de ce principe, donc, seul l’auteur de l’infraction peut se voir infliger une sanction pour celle-ci (69) et, par conséquent, cette sanction ne peut être infligée à une personne autre que le coupable (70).
76. En outre, comme je l’ai déjà fait observer au point 57 ci‑dessus, le droit de la concurrence de l’Union vise les activités des entreprises. Selon une jurisprudence constante, la notion d’entreprise englobe toute entité exerçant une activité économique, indépendamment de son statut juridique et de ses modalités de financement (71). À cet égard, la Cour a aussi précisé que la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique – du point de vue de l’accord en cause – même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (72).
77. Toujours selon une jurisprudence constante, si elle viole les règles de la concurrence, cette entité économique est tenue, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de l’infraction (73). Il en résulte que le principe de la responsabilité personnelle s’applique en premier lieu à l’entreprise, qui, étant destinataire des règles de concurrence de l’Union, si elle commet, de propos délibéré ou par négligence, une infraction à ces règles, doit en répondre individuellement, en tant qu’entité économique unitaire, même si elle n’a pas de personnalité juridique propre (74).
78. Cependant, si l’entreprise qui a commis l’infraction aux règles de concurrence est constituée de différentes personnes morales, il se pose la question de la personne ou des personnes qui peuvent être appelées à répondre concrètement de cette infraction, par le biais d’une amende qui lui est ou leur est infligée. En effet, bien que les règles de concurrence de l’Union s’adressent aux entreprises et leur soient immédiatement applicables, indépendamment de leur organisation et de leur forme juridique, il résulte, cependant, de la nécessaire effectivité de la mise en œuvre de ces règles que la décision de la Commission visant à en réprimer et à en sanctionner la violation doit être adressée à des personnes concrètes à l’égard desquelles il soit possible d’agir à des fins d’exécution pour obtenir le paiement de l’amende correspondante (75).
79. C’est précisément cette dualité entre la notion d’entreprise en tant qu’unité économique destinataire des règles de concurrence, d’une part, et les personnes morales qui, étant condamnées à payer l’amende, répondent concrètement de l’infraction, d’autre part, qui crée une certaine incertitude quant au champ d’application concret des principes précités, qui, malgré la jurisprudence de la Cour citée au point 77 ci‑dessus, sont souvent appliqués non en relation à l’entreprise en tant que telle, mais en relation à chacune des personnes morales qui la constituent (76).
80. Sur ce point, j’estime, cependant, que l’on peut considérer que, dans le cas d’une entreprise constituée de différentes personnes morales, les personnes qui ont participé à l’entente, ainsi que la personne qui exerce une influence déterminante sur celles‑ci, peuvent être considérées conjointement comme des personnes morales composant une entreprise unitaire au sens du droit de la concurrence qui peuvent être tenues pour responsables des actes de celle‑ci (77). Par conséquent, si la Commission établit que l’entreprise a, de propos délibéré ou par négligence, commis une infraction aux règles de concurrence de l’Union, elle peut constater la responsabilité personnelle conjointe de toutes les personnes morales qui composent l’unité économique (78) et qui, en adoptant un comportement unitaire, ont participé directement ou indirectement (79) à la commission de l’infraction.
81. C’est précisément pour cette raison que la Cour a considéré qu’il était conforme au principe de la responsabilité personnelle – ainsi qu’à l’objectif de l’application effective des règles de concurrence – d’appeler les personnes morales qui ont participé à l’infraction à répondre de celle‑ci et, avec elles, la personne qui a exercé sur elles une influence déterminante, et cela précisément parce que ces personnes font partie d’une même unité économique et, donc, forment une seule entreprise au sens de la jurisprudence citée au point 76 ci‑dessus (80). Toujours en raison de leur commune appartenance à l’entreprise, et toujours afin de garantir l’effectivité de l’exécution de la sanction, la Cour a reconnu à la Commission le pouvoir discrétionnaire de décider si elle sanctionne seulement la filiale qui a participé à l’infraction, ou seulement la société mère du groupe qui l’a contrôlée durant la période où elle a participé à l’infraction (81), ou les deux solidairement (82).
82. Il résulte des considérations qui précèdent, ainsi que de la ratio du mécanisme de la solidarité telle que décrite au point 52 ci‑dessus, que la faculté, reconnue par la jurisprudence à la Commission, de condamner plusieurs personnes solidairement au paiement d’une amende pour une infraction aux règles de concurrence de l’Union découle de la notion même d’entreprise et se justifie seulement dans la mesure où les personnes en question font – ou ont fait – partie de l’entité économique unitaire appelée à répondre de cette infraction. En d’autres termes, pour que la Commission puisse condamner solidairement au paiement d’une amende infligée pour violation des règles de concurrence de l’Union, il faut que les personnes condamnées solidairement appartiennent à l’unité économique même qui a commis l’infraction et est, par conséquent, appelée à en répondre individuellement (83). Ces personnes morales composant une entreprise unitaire au sens du droit de la concurrence pourront donc être considérées comme individuellement et éventuellement solidairement responsables des actes de celle‑ci (84).
83. Cependant, que se passe‑t‑il si une ou plusieurs des personnes morales qui ont participé à l’infraction aux règles de concurrence parce qu’elles faisaient partie d’une unité économique cessent d’en faire partie, par exemple – comme en l’espèce en ce qui concerne SEHV et Magrini – à la suite d’une cession intervenue durant la période où l’entente a fonctionné, de telle sorte que, au moment de l’adoption de la décision de la Commission, elles ne font plus partie de l’unité économique qui a commis l’infraction? La Commission peut‑elle encore condamner ces personnes morales pour cette infraction solidairement avec les personnes avec lesquelles elles faisaient partie de l’entité économique unitaire?
84. J’estime, tout d’abord, que, dans un cas de ce genre, en application de ce qui a été affirmé au point 80 ci‑dessus, les personnes morales qui composaient l’unité économique conservent leur responsabilité individuelle conjointe pour les actes commis par l’entité économique dont elles faisaient partie durant la période où celle‑ci a existé (85). En outre, étant donné que c’est le caractère unitaire du comportement de l’entité économique sur le marché qui justifie l’imputation solidaire de l’intégralité du comportement illicite à chacune des personnes morales qui en font (ou en ont fait) partie quand ce comportement a été adopté, celles‑ci demeurent, responsables, d’un point de vue externe, à l’égard de la Commission, du paiement de l’intégralité de l’amende (86).
85. Cependant, si, au moment de l’adoption de la décision de la Commission, l’unité économique n’existe plus sous la forme qui était la sienne lorsque l’infraction a été commise, en cas de condamnation solidaire au paiement de l’amende, le principe de l’individualité des peines implique, à mon avis, une exigence de sécurité juridique quant à la détermination de la sanction pour les personnes qui ne constituent plus une unité économique. Ces personnes, tout en restant, d’un point de vue externe, responsables, à l’égard de la Commission, du paiement de l’intégralité de l’amende pour l’infraction commise par l’entreprise, doivent, étant donné qu’elles ne font plus partie d’une entité économique unitaire au moment de l’adoption de la décision, pouvoir connaître la quote‑part qu’elles devront supporter, d’un point de vue interne, dans les rapports avec leurs codébiteurs solidaires avec lesquels elles n’ont plus de lien économique, organisationnel et juridique qui suffise à justifier qu’elles soient incluses avec eux dans une unité économique (87).
86. Il résulte de ce qui précède que, dans le cas où, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire susvisé de décider qui parmi les personnes responsables elle va sanctionner pour les comportements dont l’entreprise est responsable, la Commission entend établir une responsabilité solidaire entre les personnes qui constituaient une unité économique au moment où l’infraction a été commise, mais qui, au moment où la décision est adoptée, ne font plus partie de la même unité économique, cette institution ne peut se soustraire à l’obligation de déterminer la quote‑part de l’amende que la personne qui n’a plus de liens justifiant son inclusion dans l’unité économique devra payer dans les rapports internes avec les autres codébiteurs. À cet égard, il convient de faire observer que le fait de sanctionner solidairement ces personnes est une simple faculté laissée à l’appréciation discrétionnaire de la Commission (88).
87. Dans cette perspective, j’estime que, si la Commission choisit de suivre cette voie, elle devra procéder à une analyse au cas par cas pour déterminer le degré de responsabilité coupable de cette personne dans le cadre du comportement unitaire de l’entreprise. À cet égard, la Commission elle‑même mentionne une série de circonstances qui, tout en ayant été rejetées par la jurisprudence pour l’analyse visant à déterminer l’existence d’une influence déterminante d’une société mère sur sa filiale, peuvent cependant être prises en considération pour déterminer la responsabilité coupable respective de la société mère et de sa filiale. La Commission mentionne spécifiquement le fait que la société mère n’a pas participé directement à l’infraction, le fait qu’elle n’a pas d’intérêts dans le secteur où opère l’entente, le fait qu’elle n’a pas eu connaissance de l’infraction ou le fait que, bien qu’elles aient reçu l’instruction de s’en distancier, les filiales ont néanmoins participé au comportement concerné (89). J’estime ensuite que, de manière analogue, du reste, à ce qui se passe pour la détermination des amendes, il faut reconnaître à la Commission une certaine marge d’appréciation, en fonction des caractéristiques de chaque cas d’espèce, pour apprécier la pertinence et l’importance de ces facteurs, qui ne peuvent, à mon avis, faire l’objet d’une liste limitative et contraignante.
88. La nécessité d’une analyse au cas par cas, qui découle directement de l’application des principes de la responsabilité personnelle et de l’individualité des peines, me paraît exclure la possibilité de prévoir une règle telle que celle énoncée par le Tribunal aux points 158 et 159 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, faute d’indications concernant le degré de responsabilité des diverses personnes morales pour la participation de l’entreprise, on devrait considérer qu’elles sont responsables dans la même mesure. Cette règle, qui semble avoir été empruntée au régime juridique de l’obligation solidaire de droit civil prévu dans l’ordre juridique de certains États membres (90), non seulement n’est pas, à mon avis, compatible avec les principes susmentionnés de la responsabilité personnelle et de l’individualité des peines (91), parce qu’elle prévoit une sorte de présomption d’égale responsabilité des codébiteurs solidaires de l’amende pour la participation à un comportement unitaire de l’entreprise, qui n’est pas nécessairement la même pour toutes les personnes en cause, mais est aussi dépourvue de base juridique, ou au moins d’un fondement de principe adéquat. Pour fonder une telle règle, il ne suffit, en effet, pas à mon avis de faire de manière générale référence au régime juridique de l’obligation de droit civil sans fournir aucune autre explication concernant les autres raisons pour lesquelles un principe déduit de ce régime serait applicable en matière de concurrence, alors que, comme le Tribunal le fait lui‑même observer, la nature de l’obligation de paiement incombant aux sociétés auxquelles la Commission a infligé les amendes à payer solidairement en raison d’une infraction au droit de la concurrence est différente de celle des codébiteurs de droit privé.
89. Sur ce point, je dois aussi admettre que j’ai une certaine difficulté à reconnaître la pertinence de la référence, figurant au point 158 de l’arrêt attaqué, aux points 100 et 101 de l’arrêt Aristrain/Commission (92). En effet, dans cet arrêt, la Cour n’a, en aucune manière, confirmé le principe énoncé par le Tribunal dans ce point de l’arrêt attaqué, mais elle a plutôt reproché à ce dernier de ne pas avoir sanctionné le défaut de motivation de la décision de la Commission, qui avait infligé une amende à une société en lui imputant le comportement d’une autre société qui lui était liée, sans, toutefois, que l’existence d’une unité économique entre elles ait été démontrée (93). Dans ce cas, il n’y avait donc pas non plus condamnation solidaire de plusieurs personnes.
90. En revanche, il me semble que les exigences de sécurité juridique quant à la détermination de la sanction, telles que visées au point 85 ci‑dessus, sont beaucoup plus limitées dans le cas où, au moment de l’adoption de la décision de la Commission, les personnes sanctionnées solidairement continuent d’appartenir à la même unité économique, c’est‑à‑dire à la même entreprise, qui a commis l’infraction. En effet, bien qu’il ne puisse être absolument exclu que surviennent des litiges entre personnes appartenant à la même entité économique unitaire condamnées solidairement quant à la quote‑part de l’amende que chacune d’entre elles doit payer, ces questions sont susceptibles de rentrer généralement dans une optique intragroupe. Tant que l’unité économique n’est pas rompue, c’est, avant tout, l’entreprise en tant que telle qui est responsable individuellement pour la commission de l’infraction et la faculté reconnue à la Commission de condamner solidairement au paiement de l’amende n’est pas soumise à des exigences de sécurité juridique analogues à celles qui existent en cas de rupture de l’unité économique. Du reste, comme je l’ai déjà fait observer aux points 57 et 76 ci‑dessus, les règles de concurrence de l’Union ne régissent pas, en principe, les rapports entre les entités qui constituent l’entreprise.
91. À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant qu’il découle du principe de l’individualité des peines et des sanctions que chaque destinataire d’une décision qui le condamne solidairement au paiement d’une amende pour violation des règles de concurrence doit toujours pouvoir déduire de cette décision la quote‑part qu’il devra supporter dans les rapports internes avec les codébiteurs solidaires, une fois que le paiement a été effectué à la Commission, et en fixant ensuite concrètement, sur la base de cette considération et sur le fondement de la règle de la répartition en parts égales, la quote‑part de l’amende pour chaque société individuelle en cause (94). Cependant, il résulte aussi des considérations qui précèdent que, en cas de condamnation solidaire de personnes qui, au moment de l’adoption de la décision n’appartiennent plus à l’unité économique qui a commis l’infraction, il est nécessaire de déterminer leurs quotes‑parts de l’amende. Les conséquences concrètes de cette erreur seront examinées aux points 125 et suivants ci‑après.
3. Sur le deuxième moyen de pourvoi, tiré du fait que le Tribunal aurait excédé les pouvoirs qui lui sont conférés par sa compétence de pleine juridiction
92. La Commission fait valoir que, en interprétant l’article 23 du règlement nº 1/2003 en ce sens qu’il inclut aussi le pouvoir, ou même l’obligation, de régler les questions relatives aux rapports internes entre codébiteurs solidaires de l’amende et en ayant déterminé concrètement sur cette base les quotes‑parts des différentes sociétés requérantes, le Tribunal aurait outrepassé les pouvoirs que lui confère sa compétence de pleine juridiction. Par le présent moyen, la Commission conteste, en substance, que la détermination des quotes‑parts que chaque codébiteur solidaire de l’amende doit supporter dans ses relations internes avec les autres codébiteurs rentre dans le cadre de la compétence de pleine juridiction conférée aux juridictions de l’Union par les articles 261 TFUE et 31 du règlement nº 1/2003.
93. Sur ce point, il convient, avant tout, de rappeler que, selon une jurisprudence désormais constante, la compétence de pleine juridiction autorise le Tribunal, au‑delà du simple contrôle de légalité, qui permet seulement de rejeter le recours en annulation ou d’annuler l’acte attaqué, à réformer ce dernier, c’est‑à‑dire à substituer son appréciation à celle de la Commission, même en l’absence d’annulation, en tenant compte de toutes les circonstances de fait, afin de supprimer, de réduire ou de majorer le montant de l’amende infligée (95). La compétence de pleine juridiction a pour fonction de conférer aux entreprises une garantie supplémentaire consistant en un contrôle d’intensité maximale par un tribunal indépendant et impartial sur le montant de l’amende qui leur est infligée (96).
94. Il résulte donc de la jurisprudence que, quand il exerce sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal dispose d’un plein pouvoir qui doit concerner tous les aspects relatifs à la détermination de l’amende. J’estime, cependant, que, dans la mesure où, dans l’exercice de ce pouvoir, le Tribunal est habilité à «substituer son appréciation à celle de la Commission» (97), il peut le faire exclusivement dans les limites des compétences conférées à cette institution par les traités. En d’autres termes, en réformant la sanction, le Tribunal ne peut exercer des compétences qui outrepassent celles attribuées à la Commission.
95. Or, dans le cadre de l’analyse du premier moyen de pourvoi (98), j’ai fait observer que la Commission dispose de la compétence de déterminer la répartition interne de l’amende entre codébiteurs solidaires seulement dans la mesure où cela est nécessaire pour garantir le respect des interdictions énoncées par les règles de concurrence de l’Union et que, dans certains cas spécifiques, comme dans celui où elle entend sanctionner des sociétés qui ont appartenu à la même unité économique au moment où l’infraction a été commise, mais qui n’en font plus partie au moment où la décision est adoptée, elle est tenue d’effectuer une telle détermination. C’est, par conséquent, seulement dans ces limites que, à mon avis, le Tribunal peut exercer sa compétence de pleine juridiction quant à la détermination des relations internes entre codébiteurs solidaires.
96. Concrètement, dans les présentes affaires, il convient, à mon avis, de distinguer le cas des sociétés qui avaient initialement fait partie du groupe Schneider et qui, ultérieurement, en 2001, ont été acquises par le groupe VA Tech (c’est‑à‑dire SEHV et Magrini), pour la période antérieure à leur acquisition, de celui des autres sociétés appartenant au groupe VA Tech (99).
97. En effet, au moment de l’adoption de la décision litigieuse, les sociétés SEHV et Magrini ne faisaient plus partie de l’entreprise mère de Schneider que la Commission voulait sanctionner pour l’infraction commise durant la période comprise entre avril 1998 et décembre 2000. Il résulte des considérations exposées dans le cadre de l’analyse des premier et troisième moyens de pourvoi que, dans ces circonstances, si la Commission voulait condamner ces sociétés solidairement avec l’ancienne société mère (à savoir Schneider), elle devait spécifier la quote‑part de l’amende que chacune de ces sociétés aurait dû supporter dans les relations internes entre codébiteurs solidaires n’appartenant plus à la même entreprise.
98. Lorsqu’il a réformé l’amende dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal a condamné solidairement Schneider, SEHV et Magrini à une amende totale de 8,1 millions d’euros en déterminant les quotes‑parts respectives à supporter dans les relations internes. La Commission étant, à la lumière des considérations exposées au point précédent, tenue, dans un cas de ce type, de déterminer les quotes‑parts, on ne peut, à mon avis, considérer que, en déterminant les relations internes entre ces codébiteurs solidaires, le Tribunal a excédé sa compétence de pleine juridiction (100). Par ailleurs, conformément à ce que j’ai fait observer aux points 87 et 88 ci‑dessus, j’estime que, en appliquant la règle de la répartition de l’amende en parts égales qu’il avait énoncée aux points 158 et 159 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, cependant, commis une erreur dans la détermination de ces quotes‑parts.
99. En ce qui concerne, en revanche, les sociétés appartenant au groupe VA Tech, aucun élément n’amène à conclure que la détermination des quotes‑parts respectives de l’amende pour ces sociétés est liée à la nécessité de garantir le respect des interdictions énoncées par les règles de concurrence de l’Union. Le Tribunal n’a, du reste, fourni aucune indication à ce sujet. Dans ces circonstances, j’estime, par conséquent, que, en déterminant les quotes‑parts respectives que ces sociétés devront supporter dans les relations internes, le Tribunal a excédé les limites de sa compétence de pleine juridiction.
100. Il convient, enfin, d’examiner encore une question concernant l’exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction en l’espèce. La Commission souligne, en effet, que, tout en ayant réformé l’amende, le Tribunal a, en fin de compte, laissé inchangé le montant total de l’amende infligée aux deux entreprises sanctionnées (l’entreprise constituée par les sociétés du groupe VA Tech (101) et l’entreprise constituée par Schneider, SEHV et Magrini, avant la cession de celles‑ci (102)). Le Tribunal a donc procédé, en substance, seulement à une «répartition interne» différente de l’amende entre les sociétés codébitrices solidaires (103). Dans ces conditions, on peut se demander si cela rentre dans le cadre de la compétence conférée au juge de l’Union par l’article 31 du règlement nº 1/2003, qui permet à celui‑ci de «supprimer, réduire ou majorer» le montant de l’amende infligée.
101. J’estime que l’on doit donner une réponse positive à cette question. En effet, la compétence de pleine juridiction permet au Tribunal de «modifier» le montant de l’amende infligée (104). Or, bien qu’il soit vrai que, aux termes de l’article 23, paragraphe 2, du règlement nº 1/2003, les amendes pour violation des règles de concurrence sont infligées aux entreprises, en tant que destinataires des règles de concurrence, il est aussi vrai que, comme je l’ai fait observer au point 78 ci‑dessus, si l’entreprise est constituée de personnes morales différentes, c’est à celles‑ci que la sanction est infligée. Par conséquent, si le Tribunal annule l’amende après avoir constaté des erreurs commises par la Commission, le pouvoir de contrôle qui lui appartient, qui, comme nous l’avons vu, est un plein pouvoir et concerne tous les aspects de la détermination de la sanction, lui permet, à mon avis, de procéder à une nouvelle détermination de l’amende qui, tout en maintenant inchangé le montant de celle‑ci fixé par la Commission pour l’entreprise, en modifie le montant pour les personnes morales qui sont concrètement tenues de la payer.
102. En outre, en ce qui concerne spécifiquement le cas d’espèce, force est aussi de constater que le Tribunal a modifié, en le majorant, le montant de l’amende due par deux sociétés qui n’appartiennent plus à l’entreprise qui avait commis l’infraction. En effet, en rendant SEHV et Magrini solidairement responsables à l’égard de la Commission pour le paiement d’un montant de 8,1 millions d’euros, au lieu de 4,5 millions d’euros, le Tribunal a modifié, en le majorant, le montant de l’amende due par ces sociétés.
103. À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime que le deuxième moyen doit aussi être accueilli dans la mesure où, d’une part, en ce qui concerne les sociétés du groupe VA Tech, le Tribunal a excédé sa compétence de pleine juridiction et où, d’autre part, en ce qui concerne Schneider, SEHV et Magrini avant leur cession en 2001, il a commis une erreur dans l’exercice de cette compétence. Les conséquences concrètes de cette proposition seront examinées ultérieurement aux points 125 et suivants ci‑après.
4. Sur le quatrième moyen de pourvoi, tiré de la violation du principe «ne ultra petita»
104. Par son quatrième moyen de pourvoi, la Commission fait valoir que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait violé le principe «ne ultra petita». Ce serait, en effet, de sa propre initiative et sans que les requérantes l’aient demandé que le Tribunal, d’une part, a constaté, au point 157 de l’arrêt attaqué, qu’il appartient à la Commission de déterminer les quotes‑parts de chaque codébiteur solidaire de l’amende et, d’autre part, a déterminé concrètement les quotes‑parts des requérantes aux points 245, 247, 262 et 263 de l’arrêt attaqué dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction.
105. Sur ce point, il est incontestable que le juge de l’Union appelé à statuer sur un recours en annulation est lié par le principe «ne ultra petita», en vertu duquel l’annulation qu’il prononce ne saurait excéder celle sollicitée par le requérant (105).
106. Cependant, comme je l’ai fait observer au point 41 ci‑dessus, l’analyse du pourvoi est limitée à la détermination des quotes‑parts de l’amende effectuée par le Tribunal dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction et aux considérations de droit exposées aux points 153 à 159 de l’arrêt attaqué, juste dans la mesure où elles constituent le fondement nécessaire et indissociable de cette détermination.
107. Or, comme j’ai déjà aussi eu l’occasion de le soutenir récemment, j’estime que la règle «ne ultra petita» et la limitation des pouvoirs du juge, qui en résulte, aux questions qui lui sont soumises par les parties jouent un rôle très limité dans le cadre de l’exercice de la compétence de pleine juridiction du juge de l’Union, au sens de l’article 261 TFUE (106). En effet, une fois que les parties ont demandé une nouvelle évaluation du montant de l’amende, le Tribunal doit s’estimer autorisé, dans les limites de ses compétences, à procéder à une analyse complète «au fond» concernant le montant de l’amende qui va au‑delà des limites intrinsèques au contrôle de légalité (107).
108. En l’espèce, indépendamment du fait que la détermination de la quote‑part peut, selon moi, être considérée comme englobée dans une demande de modification de l’amende, il convient, en tout cas, de faire observer que, devant le Tribunal, toutes les requérantes ont contesté le montant de l’amende qui leur a été infligée en demandant la réduction de celle‑ci pour des motifs liés à l’imposition par la Commission d’un lien de solidarité, ce qui implique donc, d’une manière plus ou moins explicite (108), la question des rapports internes entre personnes visées par ce lien.
109. Il en résulte, à mon avis, que, en l’espèce, le principe «ne ultra petita» ne pouvait empêcher le Tribunal de formuler une considération d’ordre juridique comme celle figurant au point 157 de l’arrêt attaqué et d’en tirer ensuite les conséquences dans le cadre du nouveau calcul du montant de l’amende dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction. Cela n’enlève rien au fait que j’estime que cette considération d’ordre juridique ainsi que ce calcul sont entachés d’erreurs de droit et que le Tribunal a excédé partiellement les limites de sa compétence de pleine juridiction (109).
110. Il résulte de ce qui précède que le quatrième moyen de pourvoi doit, à mon avis, être rejeté.
5. Sur le cinquième moyen de pourvoi, tiré d’une violation du principe du contradictoire
111. Selon la Commission, le Tribunal aurait violé le principe du contradictoire en ne lui ayant pas donné l’occasion de s’exprimer sur l’interprétation qu’il souhaitait donner de l’article 23 du règlement nº 1/2003, en ce sens qu’il lui imposait l’obligation de déterminer les relations internes entre codébiteurs solidaires. Le Tribunal aurait ainsi imposé à la Commission des obligations totalement nouvelles sans qu’elle ait eu la possibilité de prendre suffisamment position à ce sujet.
112. Il convient, avant tout, de rappeler que, selon la jurisprudence, le principe du contradictoire, qui fait partie des droits de la défense et au respect duquel les organes juridictionnels de l’Union sont appelés à veiller, implique, en règle générale, le droit pour les parties à un procès de prendre connaissance des preuves et des observations présentées devant le juge et de les discuter (110). Pour satisfaire aux exigences liées au droit à un procès équitable, il importe que les parties puissent débattre contradictoirement tant des éléments de fait que des éléments de droit qui sont décisifs pour l’issue de la procédure (111). Par conséquent, ledit principe implique, en règle générale, le droit des parties de prendre connaissance des moyens de droit, même relevés d’office par le juge, sur lesquels celui-ci entend fonder sa décision, et de les discuter (112).
113. Le principe du contradictoire doit être respecté même lorsque le Tribunal exerce sa compétence de pleine juridiction (113).
114. Le principe du contradictoire doit bénéficier à toute partie à un procès dont est saisi le juge communautaire, quelle que soit sa qualité juridique. Les institutions de l’Union peuvent aussi, par conséquent, s’en prévaloir lorsqu’elles sont parties à un tel procès (114).
115. En l’espèce, il résulte du point 30 de l’arrêt attaqué que, lors de l’audience devant le Tribunal, SEHV et Magrini ont produit un arrêt du tribunal de commerce de Grenoble concernant une action engagée à leur encontre par Schneider pour obtenir le remboursement de la partie de l’amende intégralement payée par elle, dont ces sociétés étaient solidairement responsables (115). À la suite de la production de cet arrêt, le Tribunal a permis à la Commission, à sa demande, de présenter des observations à ce sujet. Dans ces observations, présentées le 26 mars 2010, la Commission, après avoir exposé les raisons pour lesquelles elle estimait que cet arrêt n’était pas pertinent pour la solution des litiges soumis au Tribunal par les requérantes, a exposé toute une série de considérations concernant la responsabilité solidaire en général, qui incluaient certaines observations relatives à la détermination des relations internes entre codébiteurs solidaires de l’amende. En particulier, dans ce contexte déjà, la Commission a affirmé qu’elle était incompétente pour déterminer les relations internes entre codébiteurs et a exposé certaines considérations relatives à la compétence des tribunaux nationaux. La Commission affirme elle‑même, dans le cadre de la première branche du sixième moyen de pourvoi, qu’elle a avancé, dans ces observations, toute une série d’arguments démontrant qu’il ne lui appartenait pas de déterminer les rapports juridiques entre codébiteurs solidaires de l’amende.
116. Dans ces circonstances, il y a lieu de relever que la Commission a eu l’occasion de prendre position sur les questions concernant la détermination des rapports de solidarité interne entre codébiteurs de l’amende (116). Or, il est vrai que le Tribunal ne lui a pas demandé explicitement de prendre position sur l’interprétation qu’il entendait donner à l’article 23 du règlement nº 1/2003, en ce sens qu’il l’habilitait à déterminer les relations internes entre codébiteurs. Cependant, cette interprétation constitue, à mon avis, une appréciation juridique pertinente du Tribunal qui n’implique pas une violation du principe du contradictoire (117), particulièrement dans un contexte où, comme en l’espèce, la Commission a eu l’occasion de prendre explicitement position sur les questions concernées, relatives à la détermination des relations internes entre codébiteurs solidaires (118).
117. À la lumière de ce qui précède, j’estime que le cinquième moyen de pourvoi avancé par la Commission doit être rejeté.
6. Sur le sixième moyen de pourvoi, tiré de la violation de l’obligation de motivation
118. Par le sixième moyen de pourvoi, qui se subdivise en deux branches, la Commission fait valoir que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas respecté l’obligation de motivation qui lui incombe. En premier lieu, le Tribunal n’aurait pas suffisamment examiné les arguments que la Commission a développés dans ses observations précitées du 26 mars 2010 à l’encontre de la détermination des rapports internes entre codébiteurs solidaires. En deuxième lieu, le Tribunal n’aurait pas indiqué explicitement les motifs sur lesquels reposent ses conclusions, en se limitant à exposer des considérations tellement générales qu’il serait impossible de comprendre comment elles peuvent fonder ces conclusions.
119. Sur ce point, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation pour le Tribunal de motiver ses décisions ne peut être interprétée en ce sens qu’il est tenu de répondre dans le détail à chaque argument invoqué par une partie (119). On doit plutôt considérer qu’il suffit que la motivation d’un arrêt, qui, sur certains points, peut même être implicite, fasse apparaître clairement et sans équivoque le raisonnement suivi par le Tribunal, de manière à permettre aux intéressés de connaître les motifs de la décision adoptée par lui et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel (120).
120. Or, en ce qui concerne la première branche du présent moyen, il résulte de la jurisprudence que le Tribunal n’était pas tenu de répondre de manière explicite et détaillée à tous les arguments avancés par la Commission dans ses observations du 26 mars 2010. On déduit, du reste, du raisonnement contenu aux points 153 à 159 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a rejeté l’approche proposée par la Commission, que, comme il résulte de la phrase finale du point 157, il a cependant, prise en considération dans son analyse.
121. En ce qui concerne la seconde branche du présent moyen, j’ai fait observer au point 45 ci‑dessus que les termes utilisés par le Tribunal ne font pas apparaître de manière tout à fait claire s’il a voulu ou non imposer à la Commission une véritable obligation de déterminer les quotes‑parts des codébiteurs solidaires de l’amende. Au point 153, il a, en effet, affirmé que la Commission «doit […] le cas échéant» procéder à cette détermination, sans préciser dans quel cas cela est nécessaire, alors que, au point 157, il affirmé qu’il «appartient» à la Commission de le faire (121). L’utilisation de ces termes me semble créer une certaine ambiguïté dans les décisions du Tribunal et quant à la portée des obligations qu’il a voulu imposer à la Commission.
122. En outre, il résulte du point 88 ci‑dessus que je n’ai pas considéré comme suffisante la référence générale faite par le Tribunal, au point 155 de l’arrêt attaqué, au régime juridique de l’obligation de droit civil pour fonder la règle de la répartition en parts égales de la responsabilité, et par conséquent de l’amende, entre codébiteurs solidaires, en l’absence, dans la décision, d’indications relatives au degré de responsabilité spécifique de chaque société condamnée solidairement. Le Tribunal aurait, à mon avis, dû expliquer les raisons pour lesquelles des principes déduits de ce régime seraient applicables en matière de concurrence, alors que, comme lui‑même l’a fait observer, la nature de l’obligation de paiement incombant aux sociétés auxquelles la Commission a infligé les amendes à payer solidairement en raison d’une infraction au droit de la concurrence est différente de celle des codébiteurs de droit privé.
123. Cependant, bien que, comme je l’ai fait observer dans le cadre des premier, deuxième et troisième moyens de pourvoi, le raisonnement suivi par le Tribunal soit, à mon avis, entaché d’erreurs de droit et malgré les contradictions ou lacunes de la motivation susmentionnées, il me semble, en général, suffisamment clair pour permettre aux intéressés, y compris la Commission, de connaître les motifs de la décision adoptée et à la Cour d’exercer le contrôle juridictionnel susvisé. Cela me semble, du reste, confirmé par le fait que la Commission a été en mesure d’attaquer l’arrêt devant la Cour au moyen d’une longue requête en pourvoi.
124. Il résulte de tout cela que le sixième moyen de pourvoi doit, à mon avis, être rejeté.
D – Conclusion
125. À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué dans la partie où le Tribunal a déclaré qu’il appartient exclusivement à la Commission, dans l’exercice de sa compétence pour infliger des amendes, de déterminer pour les diverses sociétés les quotes‑parts respectives de l’amende à laquelle elles ont été condamnées solidairement et que cette tâche ne peut être laissée aux tribunaux nationaux, et dans la partie où, se fondant sur ce principe, ainsi que sur la règle de la division en parts égales de la responsabilité, en l’absence d’indications sur ce point dans la décision, le Tribunal a, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, déterminé les quotes‑parts de chacune des sociétés requérantes en première instance.
126. Cependant, il résulte des points 55, 85 et 86 ci‑dessus que, si elle veut établir une responsabilité solidaire entre des personnes qui constituaient une unité économique au moment où l’infraction a été commise, mais qui, au moment où la décision est adoptée, ne font plus partie de la même unité économique, la Commission est tenue de fixer la quote‑part de l’amende que la personne qui n’a plus de liens justifiant son inclusion dans l’unité économique devra payer dans les rapports internes avec les autres codébiteurs.
127. Or, force est de constater, d’une part, que, au moment de l’adoption de la décision litigieuse, Schneider, SEHV et Magrini ne faisaient plus partie de la même unité économique et, d’autre part, que la Commission les a condamnées solidairement au paiement de l’amende sans fixer la quote‑part de l’amende à charge de SEHV et de Magrini. Cependant, les conséquences à tirer de cette constatation dépendent de l’issue du pourvoi formé par ces deux sociétés et seront, par conséquent, examinées après l’analyse de ce pourvoi, c’est‑à‑dire aux points 169 et suivants.
IV – Sur le pourvoi formé par Reyrolle dans l’affaire C‑232/11 P
128. À l’appui de son pourvoi, Reyrolle avance deux moyens.
A – Sur le premier moyen de pourvoi, tiré de la violation du principe de l’individualité des peines et des sanctions
129. Par son premier moyen de pourvoi, Reyrolle fait valoir que le Tribunal, en modifiant l’amende en vertu de sa compétence de pleine juridiction, a violé le principe de l’individualité des peines et des sanctions. Selon Reyrolle, il n’aurait pas dû calculer un seul montant de départ en prenant en considération le chiffre d’affaires et la part de marché de l’entreprise mère de VA Tech, mais il aurait dû déterminer un montant de départ distinct pour Reyrolle pour la période où elle était une filiale de Rolls‑Royce, à savoir la période comprise entre le 15 avril 1988 et le 20 septembre 1998 (122). Le montant de départ pour la période antérieure à l’entrée de Reyrolle dans le groupe VA Technologie aurait dû être déterminé sur la base de la part de marché de l’entreprise Rolls‑Royce/Reyrolle et du seul chiffre d’affaires de Reyrolle. De cette manière, l’amende totale infligée à Reyrolle aurait dû s’élever au maximum à 2,05 millions d’euros.
130. Le moyen avancé par Reyrolle part de la prémisse selon laquelle, durant sa participation à l’entente, laquelle a duré du 15 avril 1988 au 13 décembre 2000 et du 1er avril 2002 au 11 mai 2004 (123), elle a fait partie de deux entreprises différentes, à savoir, initialement, de l’entreprise mère de Rolls‑Royce durant la période comprise entre le 15 avril 1988 et le 20 septembre 1998, date de son acquisition par VA Technologie, et, ultérieurement, de l’entreprise mère de cette dernière société pour la période restante. Cela justifierait, selon ses dires, la détermination de deux montants de départ distincts pour les deux périodes et pour les deux entreprises en question.
131. Cette prémisse n’est, cependant, pas confirmée par l’arrêt attaqué.
132. Sur ce point, il convient d’observer que le Tribunal a considéré que, jusqu’au 20 septembre 1998, Reyrolle avait participé à l’infraction de manière autonome et que, ensuite, elle avait poursuivi son activité illicite en tant que filiale du groupe VA Tech (124).
133. En effet, puisque pour Rolls‑Royce, société mère du groupe auquel Reyrolle appartenait jusqu’au 20 septembre 1998, l’infraction était prescrite (125), ni la décision litigieuse ni l’arrêt attaqué n’ont constaté l’existence entre Reyrolle et Rolls‑Royce d’une unité économique que justifierait l’appartenance de la première à une entreprise dont la seconde est la société mère. Sur ce point, il convient, du reste, de relever aussi que Rolls‑Royce n’est destinataire ni de la décision litigieuse ni d’une quelconque sanction, parce que aucune infraction n’a été constatée à sa charge.
134. Dans ces circonstances, il ressort de l’arrêt attaqué que l’infraction sanctionnée d’abord par la Commission et ensuite par le Tribunal a été commise par une seule entreprise, qui initialement, avant le 20 septembre 1998, était constituée exclusivement de Reyrolle et s’est ensuite élargie, à la suite de l’acquisition de celle‑ci par le groupe VA Tech, en incluant ainsi l’unité économique chapeautant VA Technologie, à laquelle SEHV et Magrini se sont ultérieurement ajoutées, à la suite de leur apport à VAS (126).
135. Dans ces circonstances, le Tribunal a, par conséquent, pu déterminer à bon droit un seul montant de départ pour l’entreprise dont VA Technologie était la société faîtière sur la base de son chiffre d’affaires de 2003, dernière année complète de l’infraction (127), en répartissant ensuite la responsabilité de l’infraction entre les diverses sociétés pour les périodes au cours desquelles elles ont participé à l’entente. En agissant ainsi, il n’a pas violé le principe de l’individualité des peines.
136. Les considérations qui précèdent m’amènent à conclure que le premier moyen de pourvoi avancé par Reyrolle doit être rejeté.
B – Sur le second moyen, tiré de la violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité
137. Reyrolle soutient que, en déterminant l’amende qu’il lui a infligée dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal a violé les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité. En premier lieu, elle aurait fait l’objet d’une discrimination par rapport à l’approche suivie pour les sociétés appartenant au groupe Schneider (Schneider, SEHV et Magrini), pour lesquelles le Tribunal a déterminé des montants de départ différents pour chaque période où elles ont appartenu à une entreprise différente (128). Cette différence de traitement aurait eu pour conséquence l’application d’une amende disproportionnée à Reyrolle. En second lieu, Reyrolle aurait aussi fait l’objet d’une discrimination en référence à la méthode de calcul utilisée pour certaines entreprises japonaises, pour lesquelles la Commission aurait fixé des montants de départ distincts pour la période précédant l’intégration de leur activité dans le secteur des GIS dans une entreprise commune.
138. La Commission estime que le second moyen de pourvoi est irrecevable parce qu’il s’agit d’un moyen nouveau avancé seulement au stade du pourvoi. Elle fait observer que, pour déterminer l’amende dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal a utilisé la même méthode de calcul que la Commission. La détermination de l’amende par le Tribunal ne pourrait donc être en soi à l’origine de la prétendue discrimination, laquelle, éventuellement, découlerait directement de la décision litigieuse. La prétendue discrimination n’aurait, cependant, pas été invoquée par Reyrolle en première instance et constituerait par conséquent un moyen nouveau.
139. Sur ce point, il est vrai qu’il ressort d’une jurisprudence constante que, dans le cadre du pourvoi, la compétence de la Cour se limite, en principe, à l’examen de l’appréciation par le Tribunal des moyens débattus devant lui (129). Il est également vrai que Reyrolle n’a pas fait valoir en première instance les prétendues discriminations auxquelles elle se réfère dans le présent moyen de pourvoi. Cependant, il résulte aussi de la jurisprudence qu’un requérant est recevable à former un pourvoi en faisant valoir, devant la Cour, des moyens nés de l’arrêt attaqué lui-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé (130).
140. Or, force est de constater que, dans le présent moyen, Reyrolle fait valoir que le Tribunal lui a appliqué un traitement discriminatoire dans l’arrêt attaqué quand il a déterminé l’amende dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction. Par conséquent, bien que, pour recalculer les amendes, le Tribunal ait utilisé la méthode de calcul utilisée par la Commission qu’il n’avait pas remise en question, la prétendue discrimination dont Reyrolle se plaint découle directement de ce nouveau calcul de l’amende effectué par le Tribunal et, par conséquent, de l’arrêt attaqué. Dans ce contexte, j’estime que le présent moyen peut être considéré comme recevable.
141. Quant au fond du présent moyen, il résulte de la jurisprudence que l’exercice d’une compétence de pleine juridiction ne peut entraîner, lors de la détermination du montant des amendes, une discrimination entre les entreprises qui ont participé à un accord contraire à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (131). En outre, le principe de l’égalité de traitement est violé lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (132).
142. Or, en ce qui concerne la situation de Reyrolle et celle des sociétés appartenant au groupe Schneider, force est de constater qu’elles ne sont pas comparables. En effet, à la différence de Reyrolle, qui, comme je l’ai fait observer aux points 134 à 136, a participé à l’infraction en faisant partie d’une entreprise unique – ce qui a justifié que le Tribunal détermine l’amende en partant d’un montant de départ unique pour l’entreprise VA Technologie sur la base du chiffre d’affaires de celle‑ci –, SEHV et Magrini ont participé à l’entente en faisant partie de deux entreprises différentes. Dans un premier temps, elles y ont participé en tant que parties de l’entreprise mère de Schneider et, ensuite, après que VA Technologie en a pris le contrôle, elles y ont participé en tant que sociétés faisant partie de l’entreprise dont cette dernière était la société mère. J’estime que, les situations en question étant différentes, Reyrolle ne peut faire valoir une violation du principe de l’égalité de traitement.
143. Dans le même sens, j’estime que la situation de Reyrolle et celle des producteurs japonais ne sont pas comparables. En effet, il résulte de la décision litigieuse que tant Fuji et Hitachi, d’une part, que Mitsubishi Electric et Toshiba, d’autre part, ont initialement participé à l’infraction à titre indépendant et, ensuite, le 1er octobre 2002, ont intégré leurs activités GIS respectives dans deux entreprises communes, respectivement Japan AE Power Systems Corporation et TM T&D Corporation (133). Après la création des entreprises communes, elles ont cependant continué à exister, à la différence de Reyrolle, en tant qu’entreprises autonomes et indépendantes. Or, force est de constater que cette situation est manifestement différente de celle de Reyrolle, qui, comme nous l’avons décrit au point 134 ci‑dessus, a été intégrée à l’entreprise VA Technologie. Ces situations différentes justifient un traitement différencié.
144. Quant à la prétendue violation du principe de proportionnalité, il convient, avant tout, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées à des entreprises à la suite de la violation, par ces dernières, du droit de l’Union. Par conséquent, c’est seulement dans les limites où la Cour estimerait que le niveau de la sanction est non seulement inadéquat, mais aussi excessif au point d’être disproportionné, qu’il faudrait constater une erreur de droit commise par le Tribunal à cause du caractère inadéquat du montant de l’amende (134). En l’espèce, force est, cependant, de constater que Reyrolle a fondé sa critique concernant le caractère disproportionné de l’amende seulement sur les prétendues discriminations mentionnées aux points précédents, qui, cependant, comme nous l’avons vu, n’existent pas à mon avis.
145. À la lumière de tout ce qui précède, j’estime que le second moyen de pourvoi doit être rejeté et que, par conséquent, le pourvoi formé par Reyrolle doit être rejeté dans son intégralité.
V – Sur le pourvoi formé par SEHV et par Magrini dans l’affaire C‑233/11 P
146. Dans leur pourvoi, SEHV et Magrini avancent trois moyens, le premier tiré de la violation du principe «ne ultra petita», le deuxième tiré de la violation du principe de l’autorité de la chose jugée et le troisième tiré de la violation du principe du contradictoire.
147. À titre préliminaire, il convient, cependant, d’examiner l’exception d’irrecevabilité du pourvoi dans son intégralité soulevée par la Commission. Cette institution soutient, en effet, que le pourvoi serait irrecevable parce que les conclusions présentées par SEHV et Magrini devant la Cour seraient exactement le contraire de celles formulées en première instance.
148. Or, en première instance, SEHV et Magrini avaient demandé au Tribunal d’«annuler l’article 2 de la décision [litigieuse] dans la mesure où il concerne les requérantes», formulation qui visait tant le point k) que le point l) de cet article, qui concernent ces deux sociétés.
149. Devant la Cour, en revanche, ces sociétés ont demandé à celle‑ci, d’une part, d’annuler l’arrêt attaqué dans la mesure où il a annulé l’article 2, sous j) et k), de la décision litigieuse et, d’autre part, de confirmer l’article 2, sous j) et k), de cette décision et de déclarer, en ce qui concerne l’article 2, sous k), de cette décision, que chaque codébiteur solidaire doit supporter un tiers de la sanction de 4,5 millions d’euros.
150. Sur ce point, il convient de rappeler que les conclusions du pourvoi doivent tendre à ce qu’il soit fait droit, en tout ou en partie, aux conclusions présentées en première instance, à l’exclusion de toute conclusion nouvelle (135), de telle sorte qu’un chef de conclusions par lequel on demande l’exact contraire de ce qui a été demandé en première instance ne peut, de toute évidence, être considéré comme recevable. J’estime, pour cette raison, qu’est irrecevable la demande des requérantes visant à obtenir la confirmation de l’article 2, sous k), dont elles avaient demandé l’annulation en première instance. Quant au point j) de cet article 2, elle concerne une personne différente de SEHV et Magrini, à savoir Schneider, de telle sorte que la demande formulée par ces sociétés visant à obtenir la confirmation de cette partie du dispositif de la décision ne peut, elle non plus, être considérée comme recevable. Le recours est, à mon avis, recevable pour le reste.
A – Sur les premier et deuxième moyens, tirés de la violation du principe «ne ultra petita» et de la violation du principe de l’autorité de la chose jugée
151. Dans le cadre de leurs premier et deuxième moyens, qui doivent, à mon avis, être analysés conjointement, SEHV et Magrini font valoir que leur recours devant le Tribunal était dirigé exclusivement contre l’amende de 4,5 millions d’euros qu’elles devaient payer solidairement avec Schneider. En annulant l’article 2, sous j), de la décision litigieuse, qui inflige l’amende à Schneider, et en recalculant l’amende infligée à SEHV et à Magrini, le Tribunal aurait, par conséquent, statué ultra petita.
152. En outre, Schneider n’ayant pas attaqué la décision litigieuse pour ce qui la concerne, elle aurait acquis force de chose jugée quant à la détermination de l’amende d’un montant de 3,6 millions d’euros. En allant au‑delà de ce qui était demandé par SEHV et par Magrini, le Tribunal aurait, par conséquent, violé aussi le principe de l’autorité de la chose jugée acquise par la décision de la Commission à l’égard de Schneider.
153. La Commission soutient que le Tribunal n’aurait pas violé le principe «ne ultra petita», parce qu’il n’aurait pas statué sur la responsabilité de Schneider, pour laquelle, en effet, le montant total de l’amende serait resté inchangé (8,1 millions d’euros, soit la somme de 3,6 millions d’euros et de 4,5 millions d’euros). L’arrêt attaqué aurait modifié seulement les aspects de la solidarité interne entre codébiteurs, laquelle aurait fait partie de l’objet de l’affaire en première instance, tel que déterminé par SEHV et par Magrini elles‑mêmes. Dans ce contexte, la Commission nie aussi que le Tribunal ait violé le principe de la chose jugée.
154. Sur ce point, j’ai déjà rappelé au point 105 ci‑dessus que le juge de l’Union appelé à statuer sur un recours en annulation est lié par le principe «ne ultra petita», en vertu duquel l’annulation qu’il prononce ne saurait excéder celle sollicitée par le requérant (136).
155. Par conséquent, si un destinataire d’une décision décide d’introduire un recours en annulation, le juge de l’Union n’est saisi que des éléments de la décision le concernant. En revanche, ceux concernant d’autres destinataires, qui n’ont pas été attaqués, n’entrent pas dans l’objet du litige que le juge de l’Union est appelé à trancher (137). En outre, une décision qui n’a pas été attaquée par le destinataire dans les délais prévus à l’article 263 TFUE devient définitive à son égard (138).
156. En l’espèce, il convient, avant tout, d’observer qu’il résulte du point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué que le Tribunal a, entre autres, annulé l’article 2, sous j), de la décision litigieuse, aux termes duquel Schneider est condamnée à elle seule à une amende d’un montant de 3,6 millions d’euros, ainsi que l’article 2, sous k), dans son intégralité, aux termes duquel Schneider, SEHV et Magrini sont considérées comme responsables pour un montant de 4,5 millions d’euros.
157. Cependant, comme je l’ai fait observer au point 148 ci‑dessus, en première instance, SEHV et Magrini ont demandé au Tribunal d’annuler l’article 2 de la décision litigieuse dans la mesure où il les concernait. En outre, il n’est pas contesté que Schneider n’a introduit aucun recours devant les juges de l’Union au sujet de la décision litigieuse, de telle sorte qu’elle est devenue définitive à son égard.
158. Or, force est de constater que, dans la mesure où la sanction infligée à l’article 2, sous j), de la décision litigieuse concernait exclusivement Schneider, SEHV et Magrini ne pouvaient pas en demander l’annulation et, par conséquent, en l’absence de pourvoi formé par Schneider, elle ne pouvait faire l’objet du litige devant le Tribunal. Dans ces conditions, le Tribunal ne pouvait, à mon avis, annuler l’article 2, sous j), de la décision litigieuse sans statuer ultra petita. Un raisonnement analogue vaut pour l’article 2, sous k), de la décision litigieuse, dans la partie où il concerne Schneider et non SEHV et Magrini.
159. La circonstance, mise en évidence par la Commission, que, à la suite de cette annulation, le Tribunal, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, a modifié l’amende infligée aux sociétés de l’entreprise Schneider sans modifier le montant total de l’amende infligée à celle‑ci n’enlève rien au fait que le Tribunal ne pouvait annuler l’article 2, sous j), de la décision litigieuse, ainsi que l’article 2, sous k), dans la partie où il concernait Schneider, parce qu’ils ne pouvaient faire partie de l’objet du litige. En effet, la modification de l’amende, qui constitue, dans l’arrêt attaqué, une opération postérieure à l’annulation, n’est pas en mesure de remédier à un vice de celui‑ci tel que la violation du principe «ne ultra petita».
160. À la lumière des considérations qui précèdent, j’estime que les premier et deuxième moyens doivent être accueillis.
B – Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe du contradictoire
161. SEHV et Magrini font, enfin, valoir que le Tribunal aurait violé le principe du contradictoire. Durant toute la procédure devant le Tribunal, elles n’auraient jamais eu la possibilité de prendre position sur les constatations de ce dernier relatives à la nouvelle répartition de l’amende de 3,6 millions d’euros que Schneider devait supporter à elle seule et dont l’annulation a eu pour conséquence une augmentation du montant de l’amende à leur charge.
162. J’ai déjà rappelé, aux points 112 à 114 ci‑dessus, les principes jurisprudentiels relatifs au principe du contradictoire.
163. En l’espèce, il convient, avant tout, de dissiper les doutes suscités par la Commission sur la possibilité pour SEHV et pour Magrini de se prévaloir, en l’espèce, du droit au contradictoire. Ces doutes se fondent sur le fait que le Tribunal aurait, en réalité, réduit le montant total de l’amende dont SEHV et Magrini ont été tenues pour responsables, montant qui serait passé de 22,05 millions d’euros à 18,45 millions d’euros.
164. Il est, cependant, clair que le montant total auquel la Commission se réfère est la somme de deux amendes distinctes infligées aux deux sociétés en question à des titres différents, à savoir, d’une part, celle qui leur a été infligée en tant que parties de l’entreprise chapeautant Schneider et, d’autre part, celle qui leur a été infligée en tant que parties de l’entreprise VA Technologie pour la période postérieure à leur intégration dans le groupe chapeautant l’entreprise VA Technologie. Or, si le Tribunal a effectivement réduit le montant de cette seconde amende pour SEHV et pour Magrini (139), il a, en revanche, augmenté la première pour les deux sociétés en cause, qui, à la suite de la modification de la sanction par le Tribunal, se sont trouvées coresponsables avec Schneider non pas pour un montant de 4,5 millions d’euros, comme prévu dans la décision, mais pour un montant de 8,1 millions d’euros. Dans ces conditions, les requérantes peuvent sans doute, à mon avis, faire valoir une violation du droit au contradictoire pour ce qui concerne cette amende.
165. Quant au fond du moyen, il ressort du dossier que, durant la procédure devant le Tribunal, il a été débattu de la question qui constitue le préalable à l’annulation de l’article 2, sous j), de la décision litigieuse, à savoir celle relative à l’application d’une amende à charge exclusivement de Schneider étant donné que ne lui est imputée aucune infraction spécifique autre que sa participation à l’entente à travers ses filiales SEHV et Magrini.
166. En particulier, il ressort du dossier que, avant l’audience, le Tribunal a posé une série de questions aux parties, dont l’une en particulier, adressée à la Commission, contenait une demande directe, visant à connaître les raisons pour lesquelles SEHV et Magrini n’auraient pas dû être débitrices solidaires, conjointement avec Schneider, de la totalité de l’amende infligée à celle‑ci (140). Dans sa réponse, la Commission avait expliqué que l’application d’une amende de 3,6 millions d’euros seulement à Schneider se justifiait par la nécessité d’éviter d’imposer deux fois un montant de départ à SEHV et à Magrini, qui étaient déjà responsables du montant de départ infligé à l’entreprise VA Technologie. Le Tribunal a ensuite rejeté explicitement ce raisonnement aux points 249 et suivants de l’arrêt attaqué.
167. Or, force est de constater que SEHV et Magrini auraient bien pu prendre position sur cette question à l’audience pour faire connaître utilement leur point de vue (141).
168. À la lumière de ces considérations, le troisième moyen tiré de la violation du principe du contradictoire doit, à mon avis, être rejeté.
C – Conclusions sur le pourvoi formé par SEHV et par Magrini dans l’affaire C‑233/11 P
169. Il résulte de ce qui précède que, à mon avis, l’arrêt attaqué doit être annulé dans la mesure où le Tribunal, statuant ultra petita, a annulé l’article 2, sous j), de la décision litigieuse, ainsi que l’article 2, sous k), de celle‑ci dans son intégralité, y compris en ce qui concerne Schneider. En l’absence de recours introduit par Schneider, ces parties de la décision litigieuse sont devenues définitives à son égard.
170. Par conséquent, la modification de l’amende pour les sociétés de l’entreprise Schneider – à savoir Schneider, SEHV et Magrini – pour la période comprise entre le 15 avril 1988 et le 13 décembre 2000, effectuée par le Tribunal aux points 246 et 247 de l’arrêt attaqué, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, et reprise au point 3, premier tiret, du dispositif de ce même arrêt, doit aussi être annulée, parce que l’annulation décidée au point 2 de l’arrêt attaqué, mentionnée au point précédent, constitue un préalable essentiel à la modification de l’amende telle qu’elle a été effectuée en l’espèce par le Tribunal.
171. En vertu de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour annule la décision du Tribunal, elle peut statuer définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé ou renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.
172. En l’espèce, j’estime que, le litige étant en état d’être jugé, la Cour peut statuer définitivement sur celui‑ci.
173. Comme je l’ai fait observer au point 148 ci‑dessus, en première instance, SEHV et Magrini ont demandé au Tribunal d’«annuler l’article 2 de la décision [litigieuse] dans la mesure où il concerne les requérantes». En particulier, dans leur recours, elles ont explicitement fait valoir que la responsabilité solidaire établie à l’article 2, sous k), de la décision litigieuse était incompréhensible.
174. Or, comme il résulte des points 126 et 127 ci‑dessus, au moment de l’adoption de la décision litigieuse, Schneider, SEHV et Magrini ne faisaient plus partie de la même entité économique unitaire de Schneider. Dans ces conditions, si elle veut établir une responsabilité solidaire entre des personnes qui constituaient une unité économique au moment où l’infraction a été commise, mais qui, au moment où la décision est adoptée, n’en font plus partie, la Commission est tenue de fixer la quote‑part de l’amende que la personne qui n’a pas plus de liens justifiant son inclusion dans l’unité économique devra payer dans les rapports internes avec les autres codébiteurs.
175. Cependant, force est de constater que, en l’espèce, la Commission, tout en condamnant Schneider solidairement avec Magrini et SEHV, n’a pas fixé ces quotes‑parts. Dans ces conditions, il y a lieu d’accueillir le recours de Magrini et de SEHV et d’annuler l’article 2, sous k), de la décision litigieuse.
VI – Sur les dépens
176. Si la Cour fait siennes mes appréciations concernant les trois pourvois joints, je lui propose de statuer comme suit sur les dépens, conformément aux articles 137, 138 et 184 du règlement de procédure. Dans l’affaire C‑231/11 P, puisque le pourvoi de la Commission ne doit être accueilli que partiellement, j’estime qu’il est opportun de prévoir que chacune des parties supporte ses propres dépens. Dans l’affaire C‑232/11 P, Reyrolle ayant succombé, elle doit, à mon avis, être condamnée aux dépens de la procédure. Dans l’affaire C‑233/11 P, la Commission ayant succombé, elle doit être condamnée aux dépens de la procédure.
VII – Conclusion
177. À la lumière des considérations exposées ci‑dessus, je propose à la Cour de statuer comme suit.
178. Dans l’affaire C‑231/11 P:
1) L’arrêt du Tribunal du 3 mars 2011, Siemens Österreich e.a./Commission (T‑122/07 à T‑124/07), est annulé dans la partie où, se fondant sur le principe selon lequel il appartient exclusivement à la Commission européenne, dans l’exercice de sa compétence pour infliger des amendes, de déterminer, pour les différentes sociétés, les quotes‑parts respectives de l’amende à laquelle elles ont été condamnées solidairement, cette tâche ne pouvant être laissée aux tribunaux nationaux, ainsi que sur la règle de la division en parts égales de la responsabilité en l’absence d’indications sur ce point dans la décision, le Tribunal a déterminé les quotes‑parts de chacune des sociétés requérantes en première instance.
2) Le pourvoi est rejeté pour le surplus.
3) La Commission, Siemens Transmission & Distribution Ltd, Siemens Transmission & Distribution SA et Nuova Magrini Galileo SpA supporteront chacune leurs propres dépens.
179. Dans l’affaire C‑232/11 P:
1) Le pourvoi formé par Siemens Transmission & Distribution Ltd est rejeté.
2) Siemens Transmission & Distribution Ltd est condamnée aux dépens.
180. Dans l’affaire C‑233/11 P:
1) Le point 2 du dispositif de l’arrêt du Tribunal du 3 mars 2011, Siemens Österreich e.a./Commission (T‑122/07 à T‑124/07), dans la partie où il annule l’article 2, sous j) et k), de la décision C (2006) 6762 final de la Commission, du 24 janvier 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38.899 – Appareillages de commutation à isolation gazeuse), ainsi que le point 3, premier tiret, du dispositif de ce même arrêt sont annulés.
2) L’article 2, sous k), de la décision C(2006) 6762 final est annulé dans la partie où il concerne Siemens Transmission & Distribution SA et Nuova Magrini Galileo SpA.
3) La Commission européenne est condamnée aux dépens.