Language of document : ECLI:EU:C:2003:49

Conclusions

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. F. G. JACOBS
présentées le 23 janvier 2003 (1)



Affaire C-106/01



The Queen

on the Application of Novartis Pharmaceuticals UK Ltd

contre

The Licensing Authority established by the Medicines Act 1968 (représentée par the Medicines Control Agency)


[demande de décision préjudicielle formée par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni)]







1.       Dans la présente affaire, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni) pose à la Cour six questions préjudicielles concernant les conditions qui doivent être remplies en droit communautaire pour que l’autorité compétente d’un État membre puisse autoriser la commercialisation d’un médicament dans cet État membre.

2.       En particulier, la procédure soulève trois questions relatives à l’article 4 de la directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (2) (ci-après la «directive»), dans sa version modifiée par la directive 87/21/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986  (3) . Elle permet à la Cour de réexaminer l’interprétation de cet article qu’elle a développée dans l’arrêt Generics (UK) e.a.  (4) . La première question concerne les circonstances dans lesquelles une autorité nationale compétente, examinant une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament conformément au point 8, sous a), iii), du troisième alinéa  (5)  de l’article 4 de la directive [ci-après le «point 8, sous a), iii)»], peut utiliser des données qui lui ont été fournies par un demandeur différent pour un autre produit autorisé au cours de la période de six ou dix ans prévue dans cette disposition. La deuxième question consiste à savoir si, pour obtenir l’autorisation d’un nouveau produit en vertu de la réserve figurant au dernier alinéa du point 8, sous a), («la réserve») en combinaison avec le point 8, sous a), i), de l’article 4, troisième alinéa [ci-après le «point 8, sous a), i)»], ou le point 8, sous a), iii), il est nécessaire de démontrer la similarité essentielle du nouveau produit par rapport au produit de référence indiqué conformément à ces dernières dispositions. La troisième question porte sur les circonstances dans lesquelles un produit peut être considéré comme «essentiellement similaire» à un autre aux fins de l’application du point 8, sous a), i) et iii).

Le cadre juridique

3.       Eu égard à la nécessité manifeste de réglementer la commercialisation des médicaments dans l’intérêt de la santé publique et pour réduire les obstacles à la libre circulation de ces produits dans la Communauté qui résultaient des divergences entre les systèmes nationaux de contrôle, les institutions communautaires ont adopté de nombreux instruments d’harmonisation des contrôles de la commercialisation des médicaments.

4.       La principale méthode de vérification de la conformité d’un médicament avec les exigences associées à la protection de la santé publique est l’autorisation de mise sur le marché (AMM), dont il existe deux types: les autorisations communautaires  (6) et les autorisations nationales.

5.       La présente procédure concerne exclusivement les règles communautaires relatives aux autorisations nationales qui, à l’époque des faits  (7) , figuraient pour l’essentiel au chapitre II de la directive dans sa rédaction modifiée, en particulier, par la directive 87/21. L’article 3 de la directive dispose que, en l’absence d’autorisation communautaire, un médicament ne peut être commercialisé dans un État membre qu’après avoir fait l’objet d’une autorisation délivrée par l’autorité compétente de cet État membre.

6.       L’article 4 définit en détail la procédure, les documents et les informations nécessaires pour obtenir une AMM de l’autorité compétente d’un État membre. De fait, il ouvre plusieurs voies procédurales possibles pour l’obtention d’une AMM nationale. Dans le cadre de la procédure complète, la demande d’AMM doit, en vertu du point 8 du troisième alinéa de cet article (ci-après le «point 8»), être accompagnée du résultat des essais:

«─
physico-chimiques, biologiques ou microbiologiques,

pharmacologiques et toxicologiques,

cliniques.»

7.       Le point 8, sous a), de l’article 4, troisième alinéa [ci-après le «point 8, sous a)»] prévoit une autre procédure, abrégée, dans le cadre de laquelle, dans certaines circonstances, le demandeur d’une AMM peut être exempté de l’obligation de fournir les résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques normalement exigés par le point 8 et peut invoquer en lieu et place de ceux-ci des données présentées à l’appui d’un autre produit «de référence» qui a déjà été autorisé. Cela n’a pas d’incidence sur l’obligation de fournir tous les renseignements relatifs à la nature physico-chimique du produit. Pour pouvoir se prévaloir de la «procédure abrégée», le demandeur doit démontrer:

«i)
soit que la spécialité pharmaceutique est essentiellement similaire à un produit autorisé dans le pays concerné par la demande et que la personne responsable de la mise sur le marché de la spécialité originale a consenti qu’il soit fait recours en vue de l’examen de la présente demande à la documentation pharmacologique, toxicologique ou clinique figurant au dossier de la spécialité originale;

[...]

iii)
soit que la spécialité pharmaceutique est essentiellement similaire à un produit autorisé, selon les dispositions communautaires en vigueur, depuis au moins six ans dans la Communauté et commercialisé dans l’État membre concerné par la demande; [...] un État membre peut [...] étendre cette période à dix ans, par une décision unique couvrant tous les produits mis sur le marché de son territoire, s’il estime que les besoins de la santé publique l’exigent [...]»

8.       Le dernier alinéa du point 8, sous a), apporte la réserve suivante à la procédure abrégée établie par cette disposition:

«Cependant, dans le cas où la spécialité pharmaceutique est destinée à un usage thérapeutique différent ou doit être administrée par des voies différentes ou sous un dosage différent par rapport aux autres médicaments commercialisés, les résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et/ou cliniques appropriés doivent être fournis.»

9.       La réserve a donc pour effet de créer une procédure supplémentaire d’obtention d’une AMM, souvent appelée et désignée ci-après par les termes «procédure abrégée hybride».

10.     Dans le cadre de cette procédure, le demandeur est uniquement tenu de produire les résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques qui sont appropriés eu égard à la différence en ce qui concerne l’usage thérapeutique, la voie d’administration ou le dosage par rapport aux autres médicaments commercialisés. Pour le surplus, le demandeur se fonde sur les données relatives au produit de référence qu’il doit indiquer en vertu du point 8, sous a), i) ou iii).

11.     La procédure abrégée hybride est donc une procédure intermédiaire entre la procédure abrégée et la procédure normale pour ce qui est de la charge de la preuve qui pèse sur le demandeur. Les nouvelles données que le demandeur doit produire dans le cadre de la procédure abrégée hybride sont appelées données complémentaires.

12.     Des lignes directrices relatives à la nature des essais requis pour satisfaire aux exigences des différentes procédures mises en place par l’article 4 de la directive figurent à l’annexe de la directive 75/318/CEE du Conseil, du 20 mai 1975, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les normes et protocoles analytiques, toxico-pharmacologiques et cliniques en matière d’essais de spécialités pharmaceutiques  (8) , dans sa rédaction modifiée par la directive 91/507/CEE de la Commission, du 19 juillet 1991  (9) . L’annexe de la directive 75/318 exige que les renseignements et documents qui doivent être joints à la demande d’autorisation tiennent compte des lignes directrices publiées par la Commission dans «La réglementation des médicaments dans la Communauté européenne», et notamment le volume 2 (appelé «Avis aux demandeurs») et le volume 3 (appelé «Notes explicatives communautaires»).

13.     La version 1993 de l’Avis aux demandeurs (volume 2A, paragraphe 3.3) expliquait la procédure abrégée hybride dans les termes suivants:

«After 6 or 10 years’ knowledge and experience with a medicinal product, it would be inappropriate for ethical and scientific reasons to require a second applicant to repeat all tests, studies and trials, which are already known to the authorities. For a medicinal product which does not fall within the strict requirements of essential similarity, and therefore does not benefit from the exception from providing results of pharmacological and toxicological trials, [the proviso] requires results of appropriate pharmacological and toxicological tests and/or appropriate clinical trials.» (Après six ou dix ans de connaissance et d’expérience d’un médicament, il serait inopportun pour des raisons scientifiques et éthiques d’exiger d’un deuxième demandeur qu’il répète tous les tests, études et essais qui sont déjà connus des autorités. Dans le cas d’un médicament qui ne satisfait pas aux critères stricts de la similarité essentielle et, partant, ne bénéficie pas de la dispense de la fourniture des résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques, [la réserve] exige les résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et/ou cliniques appropriés.)

Ce passage a toutefois été omis dans les éditions ultérieures de l’Avis aux demandeurs.

14.     Les finalités de l’article 4 résultent clairement des préambules de la directive et de la directive 87/21, qui a instauré les procédures abrégées dans leur forme actuelle. Le premier considérant du préambule de la directive indique que l’objectif essentiel de toutes les règles régissant l’autorisation de mise sur le marché de médicaments est la protection de la santé publique. Il ressort des deuxième et quatrième considérants du préambule de la directive 87/21 que le point 8, sous a), iii), vise également à ne pas désavantager les firmes innovatrices et à éviter de répéter des essais médicaux inutiles sur l’homme et sur l’animal.

15.     L’article 5 de la directive dispose qu’une demande d’AMM doit être rejetée lorsque, «après vérification des renseignements et des documents énumérés à l’article 4, il apparaît que le médicament est nocif dans les conditions normales d’emploi ou que l’effet thérapeutique du médicament fait défaut ou est insuffisamment justifié par le demandeur, ou que le médicament n’a pas la composition qualitative et quantitative déclarée». L’autorisation doit également être refusée si «la documentation et les renseignements présentés à l’appui de la demande ne sont pas conformes aux dispositions de l’article 4».

16.     L’annexe II du règlement (CE) n° 541/95 de la Commission, du 10 mars 1995, concernant l’examen des modifications des termes d’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament délivrée par l’autorité compétente d’un État membre  (10) , dispose que certains changements apportés à une AMM, dont la liste figure dans cette annexe, doivent être considérés comme modifiant fondamentalement les termes de cette autorisation et comme nécessitant par conséquent l’introduction d’une demande de modification des termes de l’AMM. Les types de changements énumérés dans l’annexe en ce qui concerne les médicaments à usage humain sont les changements du ou des principes actifs d’un médicament, les changements des indications thérapeutiques et les changements du dosage, de la forme pharmaceutique et de la voie d’administration.

17.     Au Royaume-Uni, la Licensing Authority créée par le Medicines Act 1968 a été désignée comme l’autorité compétente aux fins de l’application de la directive. Ses compétences administratives sont exercées par un organe exécutif du ministère de la Santé, la Medicines Control Agency (ci-après la «MCA») et c’est la MCA qui examine les demandes d’AMM au nom de la Licensing Authority. Le point 8 a été transposé au Royaume-Uni par les Medicines for Human Use (Marketing Authorisations etc.) Regulations 1994. En vertu de la Regulation 4(6), le Royaume-Uni a choisi, comme l’y autorise le point 8, sous a), iii), de la directive, d’étendre de six à dix ans la période prévue dans cette disposition.

18.     La Cour de justice a été appelée à se prononcer sur l’interprétation du point 8, sous a), iii), dans l’affaire Generics (UK) e.a.  (11) , qui est née de la contestation par plusieurs sociétés pharmaceutiques de la pratique décisionnelle de la MCA en matière d’autorisation de mise sur le marché de copies génériques de médicaments existants conformément à cette disposition. La MCA accordait des autorisations non seulement pour les indications, posologies, doses ou formes de dosage autorisées pour le produit de référence depuis au moins dix ans, mais également pour les additions ou changements autorisés depuis une date plus récente. La MCA ne refusait d’autoriser un produit générique dans le cas de tels additions ou changements que s’ils étaient considérés comme constituant des innovations thérapeutiques majeures, nécessitant une nouvelle demande d’AMM conformément à l’annexe II du règlement n° 541/95.

19.     La High Court a déféré plusieurs questions relatives aux conditions de la similarité essentielle de deux produits en vertu du point 8, sous a), et à la portée de l’autorisation qu’une autorité compétente était fondée à octroyer à la suite d’une demande introduite au titre du point 8, sous a), iii).

20.     En ce qui concerne la notion de similarité essentielle, la Cour a jugé qu’une spécialité pharmaceutique est essentiellement similaire à une autre «lorsqu’elle satisfait aux critères de l’identité de la composition qualitative et quantitative en principes actifs, de l’identité de la forme pharmaceutique et de la bioéquivalence, à condition qu’il n’apparaisse pas, au regard des connaissances scientifiques, qu’elle présente des différences significatives par rapport à la spécialité originale en ce qui concerne la sécurité ou l’efficacité».

21.     Comme la Cour l’a exposé, deux produits sont considérés comme bioéquivalents s’il s’agit de produits pharmaceutiques équivalents ou alternatifs et si leur biodisponibilité (c’est-à-dire le degré et la vitesse de leur absorption dans l’organisme et de leur transfert au site d’action) après administration, dans la même dose molaire, est à tel point similaire que leurs effets, tant du point de vue de leur efficacité que de celui de leur sécurité, sont essentiellement les mêmes  (12) .

22.     En ce qui concerne la portée d’une AMM accordée dans le cadre de la procédure abrégée prévue au point 8, sous a), iii), la Cour a jugé qu’une spécialité pharmaceutique essentiellement similaire à un produit autorisé depuis au moins six ou dix ans dans la Communauté et commercialisé dans l’État membre concerné par la demande peut être autorisée, en vertu de cette disposition, pour toutes les indications thérapeutiques et toutes les formes de dosage, les doses ou les posologies déjà autorisées pour le produit de référence, y compris celles qui ont été autorisées depuis moins de six ou dix ans.

Les faits

23.     Dans la présente espèce, Novartis Pharmaceuticals Ltd (ci-après «Novartis») conteste la validité d’AMM accordées par la MCA à SangStat UK Ltd, une autre société pharmaceutique, et à Imtix-SangStat UK Ltd, son distributeur au Royaume-Uni, pour deux médicaments, la solution orale SangCya et la solution orale Acceptine (identiques aux fins de la présente analyse et appelés ci-après, collectivement, «SangCya»).

24.     Le SangCya fait concurrence à deux des produits de Novartis, le Sandimmun et le Neoral. Les trois produits sont tous des immunosuppresseurs et ils contiennent le même principe actif, la ciclosporine, utilisé pour prévenir le rejet d’organes ou de tissus chez les patients qui ont subi une transplantation et pour traiter diverses maladies auto-immunes.

25.     Chacun des trois produits est administré oralement, sous forme de solution. Il existe toutefois des différences entre le premier produit de Novartis, le Sandimmun, son deuxième produit, le Neoral, et les produits de SangStat. Lorsqu’ils sont dilués pour être administrés au patient, ils réagissent différemment. Tandis que le Sandimmun forme une macro-émulsion dans un environnement aqueux, le Neoral forme une micro-émulsion et le SangCya subit un processus de nano-dispersion. De ce fait, les trois produits ne sont pas bioéquivalents: ils diffèrent du point de vue de leur biodisponibilité, c’est-à-dire du degré et de la vitesse de leur absorption dans l’organisme et de leur transfert au site d’action. Cela est important parce que la ciclosporine a un indice thérapeutique étroit. Si le patient reçoit une dose trop importante ou trop faible de ciclosporine, elle ne sera pas efficace et elle peut être nocive. Par conséquent, le taux effectif de ciclosporine dans le sang d’un patient doit être surveillé et le dosage adapté si nécessaire.

26.     Le Sandimmun était le premier produit à base de ciclosporine à être autorisé dans l’Union européenne. Il a été autorisé au Royaume-Uni en 1983 à la suite de la présentation par Sandoz Pharmaceuticals (UK) Ltd., maintenant dénommée Novartis, du dossier d’information complet exigé dans le cadre de la procédure normale.

27.     La première autorisation de mise sur le marché du Neoral dans l’Union européenne a été accordée en 1994 en Allemagne. Une autorisation de mise sur le marché au Royaume-Uni a été accordée en 1995, à la suite de ce qui était apparemment une procédure abrégée hybride, engagée conformément aux dispositions combinées du point 8, sous a), i), et de la réserve, utilisant le Sandimmun comme produit de référence. La demande était donc fondée en partie sur des données communiquées dans le cadre de la demande relative au Sandimmun, le consentement ayant été donné (par Novartis en tant que promotrice du Sandimmun à elle-même en tant que promotrice du Neoral) et en partie sur des données complémentaires préparées spécifiquement pour le Neoral. Au cours de la procédure d’examen de la demande et à la suite de réunions entre Novartis et la MCA au cours desquelles la MCA a indiqué que l’autorisation ne serait pas accordée si des données relatives aux essais cliniques à long terme n’étaient pas fournies, Novartis a prolongé ses essais cliniques de façon à pouvoir fournir des données complémentaires plus substantielles. Le Neoral a été approuvé pour toutes les indications du Sandimmun et, en 1997, il a été approuvé pour une série d’indications supplémentaires. Le Sandimmun reste sur le marché au Royaume-Uni, mais il ne représente qu’un faible pourcentage du total du marché de la ciclosporine, en comparaison avec le Neoral.

28.     Les autorisations relatives au SangCya, sur lesquelles porte la présente procédure, ont également été accordées dans le cadre de la procédure abrégée hybride, conformément aux dispositions combinées du point 8, sous a), iii), et de la réserve. Le produit de référence indiqué par SangStat dans sa demande était le Sandimmun, qui avait été autorisé plus de dix ans auparavant.

29.     La MCA a accordé les AMM relatives au SangCya en janvier 1999. Elle a fondé ses décisions sur la similarité essentielle du SangCya et du Sandimmun. Toutefois, elle s’est fondée non seulement sur les données produites par Novartis pour le Sandimmun, mais également sur les données que Novartis avait fournies cinq ans auparavant pour le Neoral. Elle n’a pas exigé de SangStat qu’elle présente d’autres données complémentaires pour le SangCya, équivalentes aux données que Novartis avait été tenue de produire pour le Neoral.

La procédure nationale et les questions déférées

30.     Novartis a introduit devant les juridictions du Royaume-Uni une procédure de contrôle juridictionnel visant à l’annulation des décisions de la MCA d’autoriser le SangCya au motif qu’elles enfreignaient le droit communautaire pour une ou plusieurs des trois raisons suivantes. En premier lieu, elle soutient que la MCA n’était pas autorisée, en vertu du point 8, sous a), iii), à tenir compte des données produites pour le Neoral avant le dixième anniversaire de la première autorisation du Neoral dans l’Union européenne (la question de la référence). En deuxième lieu, elle soutient que la MCA ne pouvait pas, en droit, constater que le SangCya était essentiellement similaire au Sandimmun, dispensant ainsi SangStat de l’obligation de démontrer que son produit était sûr en dépit de l’absence de bioéquivalence avec le Sandimmun (la question de la similarité essentielle). En troisième lieu, elle soutient que, même si elles sont licites par ailleurs, les décisions contestées doivent être annulées parce qu’elles enfreignent le principe général de non-discrimination en vertu duquel des situations similaires (en l’espèce, l’appréciation du Neoral et du Sandimmun) ne sauraient être traitées différemment du point de vue des données requises pour l’autorisation, à moins qu’une telle différence ne soit objectivement justifiée (la question de la non-discrimination).

31.     La demande de contrôle juridictionnel de Novartis a été rejetée en première instance. Toutefois, en appel, la Court of Appeal a décidé de surseoir à statuer et de déférer plusieurs questions à la Cour. Les deux premières questions, qui ont trait à la question de la référence, sont libellées comme suit :

«1)
Lors de l’examen d’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un nouveau produit (C) en vertu du [point 8, sous a), iii)], par référence à un produit (A) autorisé depuis plus de 6/10 ans, une autorité nationale compétente est-elle autorisée à se référer, sans le consentement du responsable de la mise sur le marché, à des données présentées à l’appui d’un produit (B) qui a été autorisé au cours des 6/10 dernières années?

2)
En cas de réponse affirmative, un tel renvoi peut-il être opéré lorsque:

a)
le produit B a été autorisé en vertu de la procédure abrégée hybride [du point 8, sous a)], par référence au produit A; et

b)
les données auxquelles il est fait référence consistent en des essais cliniques dont l’autorité nationale compétente a indiqué qu’ils seraient nécessaires en vue de l’octroi de l’autorisation de mise sur le marché et qui ont été fournis pour démontrer que le produit B, bien que suprabiodisponible par rapport au produit A lorsqu’il est administré selon le même dosage, est sûr?»

32.     En ce qui concerne la première de ces deux questions, la Court of Appeal relève dans l’ordonnance de renvoi que, en vertu de l’article 5 de la directive, l’autorité compétente doit, lorsqu’elle statue sur une demande, examiner tant le point de savoir si le médicament est sûr et efficace que le point de savoir si le demandeur a présenté tous les renseignements et documents exigés par l’article 4 de la directive. De l’avis de la Court of Appeal, il devrait être loisible à l’autorité compétente, lorsqu’elle examine la première question, de tenir compte de toutes les données qui sont en sa possession, quelle que soit leur source. La Court of Appeal demande par conséquent que, si tel est également l’avis de la Cour de justice, la réponse à la première question déférée indique que les restrictions éventuelles aux données auxquelles l’autorité peut se référer ne s’appliquent qu’à la dernière partie de l’article 5.

33.     La troisième question porte sur l’interprétation correcte de la réserve et est libellée comme suit:

«3)
a) Le dernier alinéa [du point 8, sous a)] (’la réserve‘) ne s’applique-t-il qu’aux demandes introduites en vertu [du point 8, sous a), iii)] ou s’applique-t-il également aux demandes introduites en vertu [du point 8, sous a), i)]?

b) La similarité essentielle est-elle une condition préalable à l’utilisation de la réserve?»

34.     L’objet des quatrième et cinquième questions est la clarification de la notion de similarité essentielle:

«4)
Des produits peuvent-ils être essentiellement similaires aux fins de l’application [du point 8, sous a), i), et iii)] lorsqu’ils ne sont pas bioéquivalents et, dans ce cas, dans quelles circonstances?

5)
Quelle est la signification de l’expression ’forme pharmaceutique‘, telle qu’elle a été utilisée par la Cour dans son arrêt Generics? En particulier, deux produits ont-ils la même forme pharmaceutique s’ils sont administrés au patient sous la forme d’une solution diluée pour obtenir respectivement une macro-émulsion, une micro-émulsion et une nano-dispersion?»

35.     La sixième et dernière question porte sur le problème de la non-discrimination et vise à éclaircir le point de savoir s’il est compatible avec le principe général de non-discrimination qu’une autorité nationale compétente, saisie de demandes hybrides d’autorisations de mise sur le marché en vertu du point 8, sous a), se référant à un produit A pour deux produits dont aucun n’est bioéquivalent au produit A:

«i)
indique qu’il est nécessaire, en vue de l’octroi de l’autorisation de mise sur le marché, que la demande relative au produit B soit accompagnée de données cliniques complètes du type de celles qui sont requises par la quatrième partie, F, de l’annexe à la directive 75/318/CEE, mais

ii)
après avoir examiné les données introduites à l’appui du produit B, accorde une autorisation de mise sur le marché pour le produit C si cette demande est accompagnée d’essais ne satisfaisant pas aux exigences de la quatrième partie, F, de l’annexe à la directive 75/318/CEE.»

36.     Des observations écrites ont été déposées devant la Cour par Novartis, SangStat, le gouvernement du Royaume-Uni, le gouvernement français, le gouvernement danois, le gouvernement portugais et la Commission. Novartis, SangStat, le gouvernement du Royaume-Uni, le gouvernement danois, le gouvernement néerlandais et la Commission ont présenté des observations orales à l’audience.

Analyse

Première et deuxième questions ─ La question de la référence

37.     Les deux premières questions soulèvent la question de savoir si, et dans quelles conditions, une autorité compétente, lorsqu’elle examine une demande présentée en vertu du point 8, sous a), en ce qui concerne un nouveau produit (le produit C) par référence à un produit (le produit A) qui a été autorisé pendant une période au moins égale à la période de six ou dix ans prévue au point 8, sous a), iii), peut prendre en considération, sans le consentement du responsable de la mise sur le marché, des données fournies à l’appui de l’autre produit (le produit B) qui est autorisé depuis moins de six ou dix ans.

38.     Les parties s’accordent à considérer qu’une autorité compétente peut prendre en considération toutes les données qui se trouvent en sa possession, quelle que soit leur source, lorsqu’elle apprécie la sécurité et l’efficacité d’un médicament. Les différentes interprétations proposées par les observations sont donc toutes conformes au principal objectif de la directive, qui est de promouvoir la santé publique.

39.     Le point sur lequel les parties divergent est celui de savoir si, comme l’indique la Court of Appeal dans l’ordonnance de renvoi, l’autorité compétente doit également apprécier si le demandeur a fourni des éléments de preuve suffisants pour démontrer que le produit est sûr et efficace eu égard aux exigences de l’article 4 et, dans l’affirmative, si l’autorité compétente peut à ce stade tenir compte de données fournies à l’appui du produit B. Trois approches peuvent être distinguées.

40.     Selon la première approche, avancée par le gouvernement du Royaume-Uni, l’autorité compétente n’est pas tenue de vérifier le caractère adéquat des preuves fournies à l’appui d’une demande lorsqu’elle statue sur une demande d’AMM. Selon le Royaume-Uni, cela s’explique par le fait qu’il n’est pas réaliste d’attendre des experts évaluateurs employés par l’autorité compétente, après qu’ils ont utilisé toutes les données disponibles pour vérifier qu’un produit est sûr et efficace, qu’ils effacent ces données de leur esprit pour déterminer si le demandeur a lui-même suffisamment démontré la sécurité et l’efficacité.

41.     De l’avis du Royaume-Uni, l’autorité compétente peut donc se fonder sur des données présentées à l’appui du produit B pour autoriser le produit C, une conclusion qui est conforme au principal objectif de la directive, à savoir la sauvegarde de la santé publique, ainsi qu’à l’objectif consistant à réduire les essais inutiles sur l’homme et l’animal. Il propose par conséquent d’apporter une réponse affirmative tant à la première qu’à la deuxième question.

42.     Dans le cadre de la deuxième approche, préconisée par Novartis, l’autorité compétente doit vérifier le caractère adéquat des éléments de preuve fournis par le demandeur et ne peut pas se référer à cet égard aux données présentées à l’appui du produit B ou, à titre subsidiaire, ne peut le faire que si les produits A et B sont essentiellement similaires.

43.     La thèse principale de Novartis est qu’un tel renvoi n’est jamais permis, étant donné qu’il serait contraire au libellé du point 8, sous a), iii), aux termes duquel seules les données relatives à un produit de référence autorisé depuis au moins six ou dix ans peuvent être utilisées et qu’il compromettrait par ailleurs l’équilibre des objectifs qui sous-tendent la directive et, en particulier, le but consistant à ne pas désavantager les firmes innovatrices. Novartis soutient par conséquent qu’il y a lieu de répondre par la négative à la première question, si bien que la deuxième question ne se pose pas.

44.     À titre de thèse subsidiaire, Novartis fait valoir que le renvoi n’est permis que si les produits A et B satisfont pleinement aux critères de la similarité essentielle entre eux. Novartis fonde sa thèse subsidiaire sur le point 55 de l’arrêt Generics (UK) e.a., dans lequel la Cour a déclaré que l’autorisation d’un produit générique pouvait englober les additions ou changements apportés à l’autorisation du produit de référence en ce qui concerne les formes de dosage, doses et posologies autorisées au cours de la période de six ou dix ans «en supposant que les notions de forme de dosage, dose et posologie soient utilisées par la juridiction de renvoi selon des acceptions qui n’excluent pas qu’il y ait similarité essentielle entre les spécialités pharmaceutiques».

45.     La thèse subsidiaire de Novartis impliquerait une réponse affirmative à la première question, mais une réponse négative à la deuxième, étant donné que la différence de biodisponibilité entre les produits A et B mènerait nécessairement, eu égard à la solution à la quatrième question proposée par Novartis, à la constatation que ces deux produits ne sont pas essentiellement similaires.

46.     Comme la deuxième, la troisième approche confère à l’autorité compétente l’obligation de vérifier le caractère adéquat des renseignements et documents fournis à l’appui de la demande. Toutefois, à la différence de la deuxième approche, elle autorise l’autorité compétente, lorsqu’elle opère cette vérification, à prendre en considération les données relatives au produit B même si ce produit ne satisfait pas pleinement aux critères de la similarité essentielle par rapport au produit A, à condition que l’absence de similarité concerne la forme pharmaceutique, l’indication thérapeutique ou le dosage, en d’autres termes les types de différence permis par la réserve lorsque des données complémentaires appropriées ont été produites. Dans de telles circonstances, il est soutenu que les produits A et B doivent néanmoins être considérés comme constituant essentiellement le même produit de référence aux fins d’une demande introduite dans le cadre des procédures abrégées.

47.     La troisième approche est mise en avant par SangStat, les gouvernements danois, français et néerlandais et la Commission. Toutefois, ces parties divergent quelque peu dans la formulation de leur interprétation.

48.     Le gouvernement danois soutient qu’il y a lieu d’étendre l’arrêt Generics (UK) e.a. non seulement à toutes les additions ou à tous les changements apportés aux indications thérapeutiques, formes de dosage, doses et posologies autorisées pour une version essentiellement similaire du produit A, mais également aux additions et changements apportés au produit A qui aboutissent à une variante, le produit B, laquelle n’est pas essentiellement similaire au produit original.

49.     Le gouvernement français, SangStat et la Commission préfèrent une formulation selon laquelle le renvoi est permis si le produit B constitue une «extension de gamme» du produit A. Ils citent à cet égard la version la plus récente de l’Avis aux demandeurs  (13) (volume 2A, chapitre 1, paragraphe 4.2.2), selon laquelle «the requirement for authorisation for at least 6/10 years in the Community does not apply to line extensions used as reference products beyond the 6/10 years data exclusivity period of the original medicinal product» (l’exigence d’une autorisation depuis au moins 6/10 ans dans la Communauté ne s’applique pas aux extensions de gamme utilisées en tant que produits de référence au-delà de la période d’exclusivité des données de 6/10 ans du produit original).

50.     L’extension de gamme est définie par l’Avis aux demandeurs (volume 2A, chapitre 1, paragraphe 5.2) comme toute variation d’un produit original qui relève du champ d’application de l’annexe II des règlements n° 541/95  (14) et (CE) n° 542/95,  (15) à l’exception des cas dans lesquels la variation implique l’introduction d’un nouveau principe actif.

51.     La différence entre les deux formulations de la troisième interprétation est plus apparente que réelle. Les types de variations qui sont énumérés à l’annexe II des règlements n°s 541/95 et 542/95 et qui n’impliquent pas l’insertion d’un nouveau principe actif sont les changements de l’indication thérapeutique, les changements du dosage, de la forme pharmaceutique et de la voie d’administration. La formulation en termes d’«extension de gamme» permet par conséquent le renvoi dans les mêmes circonstances que celles qui sont visées par le gouvernement danois.

52.     De même, les deux formulations supposent à notre avis que l’on admette que les produits A et B ne doivent pas nécessairement être essentiellement similaires pour que la référence aux données du produit B soit possible. Il en est ainsi parce que, à l’exception des changements relatifs à l’indication thérapeutique, les types de changements différenciant le produit B du produit A sans exclure la référence aux données du produit B sortiront du cadre de la notion de similarité essentielle telle qu’elle a été définie dans l’arrêt Generics (UK) e.a., étant donné que des modifications du dosage se traduiront par des changements quant à la composition quantitative d’un médicament, que des modifications de la forme du dosage peuvent affecter la forme pharmaceutique et que ces deux types de changements peuvent avoir une incidence sur la bioéquivalence. Cela a été reconnu par le gouvernement danois dans ses observations écrites et admis par la Commission et SangStat dans leurs observations orales devant la Cour.

53.     Il nous semble que la troisième approche est la bonne.

54.     À notre avis, c’est à juste titre que la Court of Appeal et les parties à la présente procédure affirment qu’une autorité compétente peut tenir compte de toutes les données disponibles, quelle que soit leur source, lorsqu’elle vérifie si un produit est sûr et efficace. Il doit à l’évidence être permis à une autorité compétente de rejeter une demande sur la foi de données démontrant qu’un produit n’est pas sûr ou n’est pas efficace même si ces données ont été produites à l’appui d’un autre produit et bénéficient toujours d’une protection au titre du point 8, sous a), iii).

55.     Toutefois, il n’est pas défendable à nos yeux de soutenir, comme le font les tenants de la première interprétation, que, du fait de la liberté de se référer à toutes les données pour vérifier la sécurité et l’efficacité, une autorité compétente ne peut pas également opérer une appréciation distincte et indépendante d’une demande pour vérifier le caractère adéquat des documents et renseignements présentés à l’appui de cette demande. Une telle interprétation ferait disparaître tout élément de protection des données de la procédure d’autorisation et est par conséquent contraire au point 8, sous a), iii).

56.     Elle est également incompatible avec le libellé de l’article 5, qui impose à l’autorité compétente de vérifier le caractère adéquat des renseignements et des documents présentés à l’appui de la demande conformément à l’article 4. À notre avis, il n’y a aucune raison pratique qu’une autorité compétente ne puisse pas s’acquitter de cette tâche après s’être tout d’abord assurée de la sécurité et de l’efficacité d’un produit.

57.     La deuxième approche nous paraît tout aussi peu convaincante. La thèse principale de Novartis aboutirait à écarter la possibilité d’un renvoi aux données présentées à l’appui du produit B même dans l’hypothèse d’une similarité essentielle des produits A et B. Cette thèse nous semble être en contradiction directe avec les conclusions de la Cour dans l’arrêt Generics (UK) e.a., qui reposaient sur l’idée que la similarité essentielle du produit de référence original et de ses variantes ultérieures en faisait un seul et même produit aux fins de l’application du point 8, sous a), iii). Selon la jurisprudence Generics (UK) e.a., par conséquent, la référence aux données du produit B serait assurément possible si le produit B était essentiellement similaire au produit A. Exclure l’application de la décision Generics (UK) e.a. à chaque fois qu’une variante, autorisée ultérieurement, d’un produit de référence a fait l’objet d’une nouvelle désignation reviendrait à faire primer la forme sur le fond et permettrait aux demandeurs d’obtenir facilement une protection supplémentaire des données en tournant l’arrêt Generics (UK) e.a.

58.     La thèse subsidiaire de Novartis, qui n’autorise la référence aux données du produit B que si les produits A et B sont essentiellement similaires, est conforme à la jurisprudence Generics (UK) e.a., mais nous semble néanmoins peu satisfaisante, pour les raisons suivantes.

59.     En premier lieu, le point de savoir si la modification d’un produit de référence aboutit à une nouvelle variante qui demeure dans le cadre de la notion de similarité essentielle ne semble pas être en rapport avec le coût ou la difficulté représentés par le développement de la modification et les essais de la variante. Ouvrir l’accès aux données uniquement lorsque les limites de la notion de similarité essentielle n’ont pas été dépassées reviendrait par conséquent à introduire une distinction arbitraire dans le régime de l’AMM.

60.     De surcroît, limiter l’application de la décision Generics (UK) e.a. aux cas dans lesquels la similarité essentielle entre le produit original et la variante peut être démontrée reviendrait en pratique à la confiner dans une large mesure aux nouvelles indications thérapeutiques, étant donné l’impact des changements de dosage sur la composition quantitative, de la forme du dosage sur la forme pharmaceutique et de ces deux changements sur la bioéquivalence.

61.     La troisième approche nous semble par conséquent être la plus compatible avec l’économie de la directive telle qu’elle a été interprétée dans l’arrêt Generics (UK) e.a. En réservant la protection supplémentaire des données aux modifications les plus significatives apportées au produit original, à savoir celles qui impliquent l’introduction d’un nouveau principe actif, c’est elle qui parvient le mieux à opérer une pondération entre les objectifs contradictoires que sont la protection des données et le souci d’éviter des essais inutiles sur l’homme et l’animal. Cette approche s’accorde également avec les conclusions que nous présentons aujourd’hui dans l’affaire AstraZeneca  (16) et corrobore celles-ci.

Troisième question

62.     La troisième question déférée se décompose en deux membres. La troisième question, sous a), vise à éclaircir le point de savoir si la réserve ne s’applique qu’aux demandes introduites en vertu du point 8, sous a), iii), ou si elle s’applique également aux demandes introduites en vertu du point 8, sous a), i). Par la troisième question, sous b), il est demandé si la similarité essentielle est une condition préalable à l’utilisation de la réserve.

63.     Il n’est pas certain que la troisième question, sous a), ait des implications pratiques. Le demandeur qui dispose du consentement pour utiliser des données relatives à un produit essentiellement similaire pourrait présenter et se fonder sur la valeur probante de ces données dans le cadre d’une nouvelle demande en vertu de la procédure normale même s’il n’était pas possible d’introduire une demande abrégée hybride, avec le consentement de la personne responsable, conformément au point 8, sous a), i).

64.     En tout état de cause, nous partageons l’avis de la République française, du Royaume-Uni, de SangStat et de Novartis selon lequel la réserve peut être invoquée en combinaison avec le point 8, sous a), i), ou avec le point 8, sous a), iii). D’abord et surtout, elle est séparée par un interligne du texte du point 8, sous a), iii). De plus, aucun argument téléologique n’a été avancé pour démontrer qu’elle ne devrait pas s’appliquer en combinaison avec les deux dispositions.

65.     En ce qui concerne la troisième question, sous b), la Commission, le gouvernement danois, le gouvernement du Royaume-Uni, Novartis et SangStat (qui a modifié sa position dans ses observations orales) soutiennent que l’exigence de la similarité essentielle est moins stricte dans le cas de la procédure abrégée hybride prévue dans la réserve. Seul le gouvernement français maintient clairement que la similarité essentielle est exigée dans le cadre de la réserve.

66.     À notre avis, la similarité essentielle à tous égards n’est pas nécessaire pour qu’une demande puisse être introduite en vertu de la réserve.

67.     L’objet de la réserve est de permettre au demandeur, dont le produit est essentiellement similaire à un produit existant à l’exception d’une ou de plusieurs des différences indiquées dans la réserve, de présenter des données supplémentaires ou complémentaires uniquement en ce qui concerne cette différence. L’assouplissement du critère de la similarité essentielle en ce qui concerne les différences indiquées dans la réserve est possible précisément parce que la réserve exige ensuite la présentation de données complémentaires, assurant ainsi que la sécurité et l’efficacité du nouveau produit puissent néanmoins être appréciées.

68.     L’interprétation de la réserve que nous proposons ici est conforme à celle qui avait été adoptée par la version 1993 de l’Avis aux demandeurs  (17) . Si les versions ultérieures de l’Avis aux demandeurs n’ont pas explicitement confirmé cette interprétation, elles ne semblent pas non plus l’avoir contredite.

69.     Toute autre lecture de la réserve rendrait largement inapplicable deux des trois catégories de différences qu’elle énumère eu égard à la définition de la similarité essentielle donnée par la Cour dans l’arrêt Generics (UK) e.a. Un changement de la dose d’un médicament exclut la similarité essentielle, étant donné qu’il constitue un changement de la composition quantitative du produit. De même, une modification de la voie d’administration se traduira dans de nombreux cas par une modification de la forme pharmaceutique.

Quatrième et cinquième questions ─ La question de la similarité essentielle

70.     Les quatrième et cinquième questions concernent la notion de similarité essentielle au sens du point 8. Par la quatrième question, il est demandé si la bioéquivalence est toujours exigée pour que la similarité essentielle de deux produits puisse être constatée. Par la cinquième question, il est demandé ce qu’il faut entendre par forme pharmaceutique et, en particulier, si des produits ont la même forme pharmaceutique lorsqu’ils sont administrés au patient sous la forme d’une solution diluée pour obtenir respectivement une macro-émulsion, une micro-émulsion et une nano-dispersion.

71.     Les questions relatives à la notion de similarité essentielle demeurent pertinentes pour la solution du présent litige en dépit des réponses proposées aux première et deuxième questions, étant donné que, même si l’on se place dans l’hypothèse de la possibilité d’un renvoi aux données présentées à l’appui du Neoral, la validité de l’AMM du SangCya dépendrait toujours de la démonstration soit que le SangCya est essentiellement similaire au Neoral ou au Sandimmun, soit que des données complémentaires appropriées ont été présentées conformément à la réserve.

72.     Il ressort de la jurisprudence antérieure de la Cour que le point de départ de toute interprétation de la notion de similarité essentielle doit être, tout comme pour les autres exigences énoncées par le point 8, sous a), de veiller à ce que les normes de sécurité et d’efficacité soient respectées en permanence dans le cadre des demandes introduites en vertu du point 8, sous a), i), et iii)  (18) , en fixant des critères qui soient suffisamment précis et détaillés pour assurer un niveau de protection harmonisé.

73.     À cet effet, la Cour a adopté dans l’arrêt Generics (UK) e.a. une définition de la similarité essentielle découlant du procès-verbal de la réunion du Conseil de décembre 1986 lors de laquelle la directive 87/21 a été adoptée. Sa définition, reprise dans le dispositif de l’arrêt, mentionne la bioéquivalence, la forme pharmaceutique et la composition qualitative et quantitative à titre de critères dont l’autorité compétente d’un État membre n’est pas en droit de faire abstraction lorsqu’elle détermine si deux produits sont essentiellement similaires. Novartis, les gouvernements danois et portugais et la Commission soutiennent dès lors que la bioéquivalence est un critère nécessaire de la similarité essentielle.

74.     Il est exact, comme le relèvent le Royaume-Uni et SangStat, que la formulation figurant dans le procès-verbal du Conseil et reproduite au point 25 de l’arrêt Generics (UK) e.a. énonce que «les critères servant à délimiter la notion de similarité essentielle entre spécialités pharmaceutiques sont la même composition qualitative et quantitative en termes de principes actifs, la même forme pharmaceutique et, le cas échéant, la bioéquivalence entre les deux médicaments établie par des études de biodisponibilité appropriées» (19) . En se fondant sur le passage mis en italique, le Royaume-Uni et SangStat affirment que la bioéquivalence n’est pas invariablement exigée pour conclure à la similarité essentielle. Nous ne souscrivons pas à leur interprétation de ce passage. À notre avis, il vise uniquement à indiquer que des études de biodisponibilité ne sont pas toujours nécessaires pour démontrer la bioéquivalence dans les cas dans lesquels la bioéquivalence est en tout état de cause manifeste.

75.     Le Royaume-Uni et SangStat soutiennent également que la bioéquivalence n’est pas toujours un critère pertinent pour déterminer si deux produits sont aussi sûrs et efficaces l’un que l’autre et qu’elle ne devrait par conséquent pas constituer une condition sine qua non de la similarité essentielle. Il en est ainsi, selon eux, pour les produits à base de ciclosporine, étant donné que les médecins doivent régulièrement mesurer le taux de ciclosporine dans le sang du patient et adapter les doses en conséquence. Nous ne sommes cependant pas convaincu qu’il ne serait pas nécessaire, tout au moins lors de la fixation, pour un patient, du dosage initial du nouveau produit prétendant être essentiellement similaire à un produit existant, d’être certain de la bioéquivalence des deux produits.

76.     Le Royaume-Uni soutient par ailleurs que le critère de la bioéquivalence est inapplicable pour certains types de produits parce qu’ils doivent leur effet thérapeutique à l’application topique et non à la transmission via la circulation générale. Cet argument ne nous convainc pas non plus. Il ressort des notes explicatives communautaires relatives à l’étude de la biodisponibilité et de la bioéquivalence que, si l’on ne peut pas appliquer l’approche usuelle pour déterminer la biodisponibilité systémique dans de tels cas, la disponibilité locale peut néanmoins être évaluée par la mesure quantitative reflétant la présence du principe actif au site d’action, avec des méthodes adaptées à la fois au principe actif et au lieu d’application en question  (20) .

77.     Nous estimons par conséquent que la bioéquivalence est une condition nécessaire de la similarité essentielle.

78.     En ce qui concerne la signification exacte de la forme pharmaceutique, l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer l’a définie à juste titre, à notre avis, dans l’arrêt Generics (U.K.) e.a. comme la combinaison de la forme sous laquelle un produit pharmaceutique est présenté par le fabricant (la forme de présentation) et de la forme sous laquelle il est administré (la forme d’administration)  (21) . Il tirait cette définition de la pharmacopée européenne, inaugurée par le Conseil de l’Europe en 1964 afin de fixer des normes communes pour la composition et la préparation des substances utilisées dans la fabrication de médicaments. En vertu de l’annexe de la directive 75/318, les demandeurs sont tenus à plusieurs égards de préparer la documentation et les renseignements à présenter en application de l’article 4 de la directive conformément aux normes fixées par la pharmacopée européenne.

79.     La définition fournie par la pharmacopée européenne n’indique toutefois pas avec quel degré de précision la forme de présentation et la forme d’administration doivent être décrites. Elle ne résout par conséquent pas en elle-même le désaccord entre les parties au présent litige sur le point de savoir si les produits en question peuvent tous être désignés par les termes «solution orale» ou s’il est nécessaire de les qualifier de solution diluée pour obtenir respectivement, en vue de l’administration orale, une macro-émulsion, une micro-émulsion et une nano-dispersion.

80.     Comme l’indique l’Avis aux demandeurs, le glossaire de la pharmacopée européenne peut fournir des précisions supplémentaires sur le niveau de détail requis par le droit communautaire  (22) . Il ressort du dossier que le glossaire ne distingue pas entre liquides buvables selon qu’ils subissent, lorsqu’ils sont dilués, un processus de macro-émulsion, de micro-émulsion ou de nano-dispersion. Dans ces conditions, exiger un tel niveau de précision reviendrait à aller au-delà des prescriptions du droit communautaire. Parmi les parties qui se prononcent sur cette question, seule Novartis affirme le contraire.

81.     Une telle conclusion semble conforme au but consistant à assurer la sécurité et l’efficacité qui sous-tend la notion de similarité essentielle. Ainsi la Commission soutient-elle que la pharmacocinétique (délai d’absorption, de diffusion et d’excrétion du produit pharmaceutique) des formes pharmaceutiques de solution orale est généralement si similaire qu’elles méritent d’être considérées comme une seule et unique forme pharmaceutique.

82.     Novartis ne partage pas l’avis de la Commission et souligne que les différences entre les produits qui résultent de leurs processus respectifs de dispersion ou d’émulsion peuvent affecter leur biodisponibilité comparée et, partant, avoir une incidence sur leur sécurité et leur efficacité. Nous ne sommes toutefois pas convaincu de la pertinence de l’argument de Novartis. La bioéquivalence étant en tout état de cause une condition autonome de la similarité essentielle, il ne nous semble pas que l’interprétation de la forme pharmaceutique doive être influencée par le souci d’assurer la bioéquivalence.

83.     En conséquence, à notre avis, la forme pharmaceutique d’un produit donné est la combinaison de la forme de présentation et de la forme d’administration de ce produit. Des produits administrés oralement sous la forme d’une solution doivent être considérés comme ayant la même forme pharmaceutique, qu’ils soient dilués pour obtenir une macro-émulsion, une micro-émulsion ou une nano-dispersion.

Sixième question ─- La question de la non-discrimination

84.     Par sa sixième question, la Court of Appeal souhaite savoir si une autorité compétente enfreint le principe général de non-discrimination si, lorsqu’elle examine deux demandes hybrides se référant à un produit A pour deux produits, B et C, dont aucun n’est bioéquivalent au produit A, elle exige des données cliniques complètes relatives à la biodisponibilité pour le produit B à titre de condition de l’autorisation, mais, ayant examiné les données présentées à l’appui du produit B, elle n’exige pas les mêmes données pour le produit C.

85.     À notre avis, la sixième question ne soulève pas de problème indépendant de ceux qui ont déjà été évoqués dans le cadre des cinq questions précédentes. Si, en droit communautaire, l’autorité compétente était autorisée par ailleurs à se fonder sur les données présentées à l’appui du produit B lorsqu’elle examine la demande relative au produit C, le demandeur de l’autorisation du produit C ne serait pas placé dans la même situation que le demandeur de l’autorisation du produit B et le principe général de non-discrimination ne serait pas applicable. Si toutefois, en droit communautaire, l’autorité compétente n’était pas autorisée par ailleurs à se fonder sur les données présentées à l’appui du produit B, le titulaire de l’autorisation du produit B pourrait contester toute autorisation du produit C sur cette base, sans recourir au principe de non-discrimination. En conséquence, à notre avis, il n’est pas nécessaire de répondre à la sixième question pour permettre à la juridiction de renvoi de statuer sur le litige.

Conclusion

86.     Nous estimons par conséquent qu’il convient de répondre de la manière suivante aux questions déférées en vue d’une décision à titre préjudiciel par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division):

«1)
Lorsqu’elle statue sur une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un nouveau produit conformément à l’article 4 de la directive 65/65/CEE du Conseil, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques, dans sa version modifiée par la directive 87/21/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986, une autorité compétente peut se référer à toutes les données disponibles pour apprécier la sécurité et l’efficacité de ce produit.

Si la demande porte sur un nouveau produit C et est introduite en vertu du point 8, sous a), iii), de l’article 4, troisième alinéa, par référence à un produit A autorisé plus de 6/10 ans auparavant, l’autorité compétente est en droit, lorsqu’elle vérifie si les documents et renseignements fournis à l’appui de la demande sont conformes à l’article 4, de se référer, sans le consentement du responsable de la mise sur le marché du produit B, à des données présentées à l’appui du produit B qui a été autorisé au cours des 6/10 années précédentes, dès lors que les produits A et B sont essentiellement similaires ou ne diffèrent que pour ce qui est de leur forme pharmaceutique, de leur dosage ou de leur usage thérapeutique.

2)
La réserve figurant au dernier alinéa de l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), de la directive 65/65 s’applique aux demandes introduites en vertu du point 8, sous a), i) et iii), de cet alinéa. Pour qu’une demande puisse être introduite en vertu de la réserve pour un nouveau produit C se référant au produit A, le produit C doit être essentiellement similaire au produit A, à l’exception d’une ou de plusieurs des différences mentionnées dans la réserve.

3)
Pour que deux produits soient essentiellement similaires au sens de l’article 4, troisième alinéa, point 8, sous a), de la directive 65/65, ils doivent être bioéquivalents.

4)
La forme pharmaceutique est la combinaison de la forme sous laquelle un produit pharmaceutique est présenté par le fabricant et de la forme sous laquelle il est administré, y compris la forme physique. Les produits administrés oralement au patient sous la forme d’une solution diluée pour obtenir une macro-émulsion, une micro-émulsion ou une nano-dispersion doivent tous être considérés comme ayant la même forme pharmaceutique.»


1
Langue originale: l'anglais.


2
JO 1965, 22, p. 369.


3
JO L 15, p. 36.


4
Arrêt du 3 décembre 1998 (C-368/96, Rec. p. I-7967).


5
L’alinéa en question était initialement le deuxième de l’article 4, mais il est devenu le troisième à la suite de la modification effectuée par l’article 1er, point 2, de la directive 93/39/CEE du Conseil, du 14 juin 1993 (JO L 214, p. 22).


6
Les autorisations communautaires sont régies par le règlement (CEE) n° 2309/93 du Conseil, du 22 juillet 1993, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire et instituant une agence européenne pour l’évaluation des médicaments (JO L 214, p. 1).


7
Le cadre législatif communautaire en matière de médicaments a été codifié et consolidé, avec effet à compter du 18 décembre 2001, dans la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67).


8
JO L 147, p. 1.


9
JO L 270, p. 32.


10
JO L 55, p. 7.


11
Arrêt précité note 4.


12
Point 31 de l’arrêt.


13
Au moment où les observations ont été rédigées, la version la plus récente était celle de mai 2001. Une version ultérieure a été introduite depuis, en novembre 2002, mais le texte n’a pas été modifié sur un point pertinent pour la présente procédure.


14
Cité note 10.


15
Règlement de la Commission, du 10 mars 1995, concernant l’examen des modifications des termes de l’autorisation de mise sur marché des médicaments relevant du champ d’application du règlement n° 2309/93 (JO L 55, p. 15).


16
C-223/01, voir en particulier le point 66 des conclusions.


17
Voir le passage reproduit au point 13.


18
Voir arrêt Generics (UK) e.a., précité note 4, point 22. Voir également arrêt du 5 octobre 1995, Scotia Pharmaceuticals (C-440/93, Rec. p. I-2851, point 17).


19
C’est nous qui soulignons.


20
Voir la note explicative sur l’étude de la biodisponibilité et de la bioéquivalence, paragraphe 1, volume 3C des Notes explicatives communautaires.


21
Point 37 des conclusions.


22
Volume 2A, chapitre 1, paragraphe 4.2.