Language of document : ECLI:EU:F:2011:102

ORDONNANCE DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

5 juillet 2011 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Recours en indemnité – Décision implicite de rejet de la demande en indemnité, suivie d’une décision explicite de rejet de ladite demande – Tardiveté de la réclamation préalable à l’encontre de la décision implicite de rejet – Irrecevabilité »

Dans l’affaire F‑73/10,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

Angel Coedo Suárez, fonctionnaire du Conseil de l’Union européenne, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Mes S. Roridgues, A. Blot et C. Bernard-Glanz, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme K. Zieleśkiewicz et M. M. Bauer, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre),

composé de M. S. Gervasoni (rapporteur), président, M. H. Kreppel et Mme M. I. Rofes i Pujol, juges,

greffier : Mme W. Hakenberg,

rend la présente

Ordonnance

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 3 septembre 2010, M. Coedo Suárez a introduit le présent recours tendant, premièrement, à l’annulation de la décision du 26 octobre 2009 par laquelle le Conseil de l’Union européenne a rejeté sa demande du 3 juin 2009 visant à obtenir la réparation de dommages que lui aurait causés cette institution, deuxièmement, à l’annulation de la décision du 26 mai 2010 par laquelle le Conseil a rejeté sa réclamation à l’encontre de ladite décision, troisièmement, à la condamnation du Conseil à réparer les préjudices matériel et moral qu’il estime avoir subis.

 Cadre juridique

2        Aux termes de l’article 90 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») :

« 1. Toute personne visée au présent statut peut saisir l’autorité investie du pouvoir de nomination d’une demande l’invitant à prendre à son égard une décision. L’autorité notifie sa décision motivée à l’intéressé dans un délai de quatre mois à partir du jour de l’introduction de la demande. À l’expiration de ce délai, le défaut de réponse à la demande vaut décision implicite de rejet susceptible de faire l’objet d’une réclamation au sens du paragraphe 2.

2. Toute personne visée au présent statut peut saisir l’autorité investie du pouvoir de nomination d’une réclamation dirigée contre un acte lui faisant grief, soit que ladite autorité ait pris une décision, soit qu’elle se soit abstenue de prendre une mesure imposée par le statut. La réclamation doit être introduite dans un délai de trois mois. Ce délai court :

[…]

–        à compter de la date d’expiration du délai de réponse lorsque la réclamation porte sur une décision implicite de rejet au sens du paragraphe 1.

L’autorité notifie sa décision motivée à l’intéressé dans un délai de quatre mois à partir du jour de l’introduction de la réclamation. À l’expiration de ce délai, le défaut de réponse à la réclamation vaut décision implicite de rejet susceptible de faire l’objet d’un recours au sens de l’article 91. »

3        L’article 91, paragraphes 2 et 3, du statut dispose :

« 2. Un recours à la Cour de justice de [l’Union européenne] n’est recevable que :

–        si l’autorité investie du pouvoir de nomination a été préalablement saisie d’une réclamation au sens de l’article 90[,] paragraphe 2 et dans le délai y prévu

et

–        si cette réclamation a fait l’objet d’une décision explicite ou implicite de rejet.

3. Le recours visé au paragraphe 2 doit être formé dans un délai de trois mois. Ce délai court :

–        du jour de la notification de la décision prise en réponse à la réclamation,

–        à compter de la date d’expiration du délai de réponse, lorsque le recours porte sur une décision implicite de rejet d’une réclamation présentée en application de l’article 90[,] paragraphe 2 ; néanmoins, lorsqu’une décision explicite de rejet d’une réclamation intervient après la décision implicite de rejet mais dans le délai de recours, elle fait à nouveau courir le délai de recours. »

 Faits à l’origine du litige

4        Le requérant, fonctionnaire du Conseil depuis 1986, a exercé ses fonctions au Parlement européen, du 1er mai 1995 au 31 juillet 2003. Il a été réintégré au Conseil le 1er août 2003, pour prendre la responsabilité du dépôt du secrétariat général du Conseil (ci-après le « SGC »), situé à Overijse (Belgique) (ci-après le « dépôt »), où il devait encadrer une équipe de trois personnes.

5        Victime d’un accident au cours de l’été 2003, le requérant a été placé en congé de maladie. Il n’a pu débuter son activité au dépôt qu’à compter du 3 novembre 2003, d’abord à mi-temps puis, à partir du 1er janvier 2004, à plein temps.

6        Ses relations avec les trois membres de son équipe se sont rapidement détériorées. Le 16 décembre 2003, M. S., l’un de ces fonctionnaires, a fait part au médecin-conseil du SGC de la situation conflictuelle l’opposant au requérant. Le médecin-conseil, dans une note du même jour adressée au directeur du personnel et de l’administration du SGC, a recommandé la conduite d’une enquête administrative. Par note du 6 janvier 2004, adressée à la hiérarchie du requérant, au comité du personnel ainsi qu’au médecin-conseil du SGC, les trois fonctionnaires placés sous l’autorité du requérant se sont plaints du climat conflictuel au sein du dépôt et de la mauvaise ambiance de travail, attribués aux méthodes et au comportement de l’intéressé.

7        Interrogé par un membre du comité du personnel, le directeur général de la direction générale A « Personnel et administration » du SGC (ci-après la « DGA ») a répondu, par courriel du 20 janvier 2004, que la situation au dépôt, dans tous ses aspects, et pas seulement la lettre des trois fonctionnaires concernés, faisait l’objet d’un examen par les services de l’administration et que le comité serait informé des conclusions qui en seraient tirées.

8        Le 19 février 2004 en fin de matinée, un incident est survenu entre le requérant et Mme N., fonctionnaire membre de son équipe, dans un café d’Overijse. Au cours de la conversation, le requérant aurait sorti de sa poche un objet noir, qu’il aurait dissimulé sous un châle entourant sa main, et aurait dit, tout en plaisantant : « C’est une arme. » Mme N. a déclaré ne pas s’être sentie menacée à ce moment-là, mais plutôt inquiète et méfiante.

9        Le 20 février 2004 à 14 heures, le requérant a été convoqué par sa hiérarchie pour être interrogé sur les accusations de menaces avancées à son encontre par Mme N. Le requérant a formellement contesté avoir menacé celle-ci d’une quelconque façon.

10      Le 3 mars 2004, une confrontation a été organisée entre le requérant et Mme N.

11      Par note du 23 mars 2004, le supérieur hiérarchique du requérant a attiré l’attention d’un responsable de la logistique de la DGA sur la situation de tension au dépôt, en soulignant que le requérant n’était pas apte à assumer ses responsabilités à la tête de ce service. L’auteur de la note demandait, dans l’intérêt du service, que les fonctions de chef du dépôt soient retirées au requérant dans les plus brefs délais, et proposait d’assurer la supervision directe de cette entité, en attendant la mise en place d’une solution durable.

12      Le 29 avril 2004, le requérant a eu un entretien avec ses supérieurs hiérarchiques.

13      Le rapport rédigé le 3 mai 2004 par M. K., fonctionnaire du Conseil chargé d’enquêter sur l’incident du 19 février 2004, s’est conclu par le constat qu’il existait effectivement des tensions entre le requérant et le personnel du dépôt mais qu’aucun élément ne permettait d’établir des faits de menace, chacune des parties étant restée sur ses positions.

14      Par note du 16 juin 2004, faisant suite à l’entretien du 29 avril 2004, le directeur général de la DGA, a « confirmé » au requérant que, « comme convenu et dans l’intérêt du service », il était « dessaisi de [ses] fonctions en tant que responsable du service au dépôt ».

15      Depuis cette décision, le requérant n’a pu être réintégré de manière satisfaisante dans un service et il a connu de longues périodes d’absence pour maladie. Sa situation a fait l’objet d’un suivi par le « groupe de réorientation et réintégration professionnelle » constitué au sein du SGC.

16      Le requérant est, depuis février 2006, affecté à l’unité « Logistique » de la direction 2 de la DGA.

17      Le comportement professionnel du requérant a donné lieu à des critiques de plus en plus sévères de sa hiérarchie, ses fréquentes absences sans autorisation et son refus d’exécuter tout ou partie de ses tâches justifiant plusieurs rappels à l’ordre.

18      Par lettre du 3 juin 2009 (le requérant précise dans sa requête que cette lettre est erronément datée du 4 juin 2009), le requérant a présenté une « demande au titre de l’article 90, paragraphe 1, du [s]tatut, visant à obtenir la réparation de dommages provoqués par l’administration ». Dans cette lettre (ci-après la « demande du 3 juin 2009 »), il insistait sur les torts que lui auraient causés les accusations sans fondement de Mme N., qui auraient été à l’origine de son éviction injuste de ses fonctions de responsable du dépôt et de sa « placardisation » ultérieure. L’administration, en violation de son devoir de sollicitude, n’aurait pris aucune mesure permettant sa réhabilitation, alors qu’elle aurait dû lui confier à nouveau des fonctions d’encadrement ou, à tout le moins, lui donner une affectation appropriée, de nature à restaurer sa réputation et ses perspectives de carrière. Le requérant demandait, en conclusion de cette lettre, « une compensation pécuniaire équitable, à évaluer d’un commun accord, en réparation de ses préjudices matériel et moral ».

19      Une enquête administrative portant sur le comportement professionnel du requérant a été demandée par le directeur de la direction 2 de la DGA, par note du 24 juillet 2009.

20      Par lettre du 26 octobre 2009, le directeur général de la DGA a rejeté la demande du 3 juin 2009 comme non fondée (ci-après la « décision litigieuse »).

21      Par lettre du 21 janvier 2010, le requérant a formé une réclamation à l’encontre de la décision litigieuse, en application de l’article 90, paragraphe 2, du statut. Dans sa réclamation, le requérant a notamment sollicité de l’administration qu’elle reconsidère, tant en droit qu’en équité, la décision litigieuse, qu’elle adopte les mesures permettant de rétablir son honneur et sa réputation et lui octroie une somme fixée ex æquo et bono et à titre provisionnel à 750 000 euros en réparation des préjudices matériel et moral allégués.

22      Les fonctionnaires chargés de l’enquête administrative ont conclu, dans leur rapport établi le 25 mars 2010, portant sur l’année 2009, que le requérant avait commis de nombreuses « infractions » à ses obligations statutaires, en refusant d’exécuter ses tâches, en ne respectant pas le temps de travail exigé et en méconnaissant les règles de gestion de l’horaire variable. Les enquêteurs soulignaient que le comportement du requérant relevait notamment de l’article 86 du statut, relatif au régime disciplinaire applicable au fonctionnaire manquant à ses obligations.

23      Par décision du 20 mai 2010, reçue par le requérant le 25 mai suivant, le secrétaire général du Conseil a rejeté la réclamation (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »).

24      Le 22 juin 2010, le requérant a été entendu, en application de l’article 3 de l’annexe IX du statut, relative à la procédure disciplinaire. Lors de son audition, le requérant a présenté ses observations sur le rapport d’enquête.

25      Le 16 juillet 2010, le directeur général de la DGA, compte tenu du nombre de jours d’absence accumulés par le requérant durant les trois années précédentes, a décidé d’ouvrir d’office une procédure d’invalidité, en application de l’article 59, paragraphe 4, du statut.

26      Par note du 14 octobre 2010, le requérant a été informé de la décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») de suspendre la procédure disciplinaire ouverte à son encontre dans l’attente de l’issue des travaux de la commission d’invalidité.

 Conclusions des parties et procédure

27      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision litigieuse ;

–        en tant que de besoin, annuler la décision de rejet de la réclamation ;

–        s’agissant de la réparation du préjudice matériel, condamner le Conseil à lui verser la somme de 450 000 euros (montant fixé provisoirement et ex æequo et bono) ;

–        s’agissant de la réparation du préjudice moral, condamner le Conseil à le réhabiliter « en bonne et due forme » et à lui payer un euro symbolique, ou, à titre subsidiaire, à lui verser la somme de 300 000 euros (montant fixé provisoirement et ex æquo et bono) ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

28      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

29      Par lettre du 8 mars 2011, le Tribunal a informé les parties, conformément à l’article 77 du règlement de procédure, qu’il était susceptible de fonder la solution du litige sur une fin de non-recevoir soulevée d’office, tirée de la tardiveté de la réclamation préalable. Celle-ci a en effet été formée le 21 janvier 2010, alors qu’une décision implicite de rejet de la demande introduite le 3 juin 2009 semblait être intervenue le 3 octobre 2009.

30      Par lettre du 22 mars 2011, le Conseil a soutenu que cette fin de non-recevoir était fondée et que le recours devait être rejeté comme manifestement irrecevable par voie d’ordonnance motivée. Par lettre du 11 avril 2011, le requérant a invité le Tribunal à écarter cette fin de non-recevoir.

 En droit

31      En vertu de l’article 77 du règlement de procédure, le Tribunal peut à tout moment, d’office, les parties entendues, statuer sur les fins de non-recevoir d’ordre public. Si le Tribunal s’estime suffisamment éclairé, il peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

32      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de ces dispositions, de statuer sans poursuivre la procédure.

33      Selon l’article 90, paragraphes 1 et 2, du statut, tout fonctionnaire peut saisir l’AIPN d’une demande l’invitant à prendre à son égard une décision. L’AIPN notifie sa décision motivée à l’intéressé dans un délai de quatre mois à partir du jour de l’introduction de la demande. À l’expiration de ce délai, le défaut de réponse à la demande vaut décision implicite de rejet susceptible de faire l’objet d’une réclamation. Cette réclamation doit être introduite dans un délai de trois mois à compter de la date d’expiration du délai de réponse lorsque la réclamation porte sur une décision implicite.

34      En outre, les délais précités prescrits par l’article 90 du statut, institués en vue d’assurer la clarté et la sécurité des relations juridiques et d’éviter toute discrimination ou traitement arbitraire dans l’administration de la justice, sont d’ordre public et ne constituent pas un moyen à la discrétion des parties ou du juge, auquel il appartient de vérifier, même d’office, s’ils sont respectés (arrêt de la Cour du 29 juin 2000, Politi/Fondation européenne pour la formation, C‑154/99 P, point 15 ; ordonnance du Tribunal de première instance du 15 janvier 2009, Braun-Neumann/Parlement, T‑306/08 P, point 36 ; arrêt du Tribunal de la fonction publique du 12 mai 2010, Peláez Jimeno/Parlement, F‑13/09, point 18).

35      En l’espèce, le requérant a présenté sa demande le 3 juin 2009, par télécopie envoyée le même jour au Conseil et par lettre. Il précise dans sa requête que sa demande a été « introduite » à cette date. Suite au silence observé pendant quatre mois par l’administration sur cette demande, il doit être relevé que, conformément à l’article 90, paragraphe 1, du statut, une décision implicite de rejet est intervenue le 3 octobre 2009.

36      Le requérant disposait alors, selon les termes de l’article 90, paragraphe 2, du statut, d’un délai de trois mois pour présenter une réclamation contre cette décision implicite de rejet. Or, il a attendu le 21 janvier 2010, soit plus de trois mois après la naissance de ladite décision, pour introduire une réclamation contre elle.

37      Certes, par la décision litigieuse, adoptée le 26 octobre 2009, le directeur général de la DGA a explicitement rejeté la demande du 3 juin 2009. Cependant, il doit être rappelé qu’il est de jurisprudence constante que le rejet explicite d’une demande après l’intervention d’une décision implicite de rejet de la même demande a le caractère d’un acte purement confirmatif, qui n’est pas susceptible de permettre au fonctionnaire intéressé de poursuivre la procédure précontentieuse en lui ouvrant un nouveau délai pour l’introduction d’une réclamation (ordonnance du Tribunal de première instance du 17 novembre 2000, Martinelli/Commission, T‑200/99, point 11, et la jurisprudence citée ; ordonnances du Tribunal de la fonction publique du 8 juillet 2009, Sevenier/Commission, F‑62/08, points 33 à 40 – confirmée sur pourvoi par l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 8 juillet 2010, Sevenier/Commission, T‑368/09 P, points 28 à 30 –, et du 10 mai 2011, Barthel e.a./Cour de justice, F‑59/10, points 25 et 27).

38      En outre, il convient de souligner que si l’article 91, paragraphe 3, deuxième tiret, du statut prévoit que la décision explicite de rejet, intervenue après la décision implicite mais dans le délai du recours, fait de nouveau courir le délai, cette règle ne concerne que le délai de recours ouvert à l’encontre d’une décision de rejet d’une réclamation et ne s’applique pas au délai de réclamation ouvert à l’encontre d’une décision de rejet d’une demande. Le Tribunal a déjà jugé que l’article 91, paragraphe 3, deuxième tiret, du statut est une disposition spécifique, concernant les modalités de computation des délais de recours, qui doit être interprétée littéralement et strictement (voir, en ce sens, ordonnance Barthel e.a./Cour de justice, précitée point 26). Le Tribunal ne peut donc, sur une base purement prétorienne, comme l’y invite le requérant, étendre la portée de cette disposition aux modalités de computation du délai de réclamation.

39      Dans sa lettre d’observations du 11 avril 2011, le requérant fait cependant valoir qu’il a été induit en erreur par l’administration sur le délai dans lequel il devait introduire son recours et que cette erreur serait excusable.

40      La jurisprudence admet que la méconnaissance des règles en matière de délais de réclamation et de recours peut ne pas conduire au rejet de la requête pour irrecevabilité, dans les cas où cette méconnaissance est due à une erreur excusable de la part du fonctionnaire. Conformément à cette jurisprudence, la notion d’erreur excusable ne peut cependant viser que des circonstances exceptionnelles (arrêt du Tribunal de première instance du 10 avril 2003, Robert/Parlement, T‑186/01, point 54), notamment celles dans lesquelles l’institution aurait adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de bonne foi et faisant preuve de toute la diligence requise d’une personne normalement avertie (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal de première instance du 2 mars 2004, Di Marzio/Commission, T‑14/03, point 40).

41      Or, la circonstance que le Conseil, par lettre du 1er octobre 2009, a informé le requérant que la réponse à sa demande du 3 juin 2009 était « en cours de finalisation » n’a nullement fait obstacle à ce que, à la date du 3 octobre 2009, intervienne une décision implicite de rejet de la ladite demande, à l’encontre de laquelle le requérant disposait d’un délai de trois mois pour introduire une réclamation. Ainsi qu’il a été jugé, la communication signalant qu’une demande introduite au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut est à l’étude et que les services de l’institution concernée ne sont pas encore parvenus à une conclusion définitive ne produit aucun effet juridique et n’est pas de nature, en particulier, à prolonger les délais prévus aux articles 90 et 91 du statut. Il ne saurait appartenir aux parties de prolonger à leur convenance les délais statutaires, ceux-ci étant d’ordre public et leur respect rigoureux étant de nature à assurer la clarté et la sécurité des situations juridiques (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 17 juin 1965, Müller/Conseils, 43/64, et du 17 février 1972, Richez-Parise/Commission, 40/71, points 8 et 9 ; ordonnance du Tribunal de la fonction publique du 11 juin 2009, Ketselidis/Commission, F‑72/08, point 52).

42      Certes, il était compréhensible que le requérant, informé de l’imminence de la réponse explicite de l’administration à sa demande du 3 juin 2009, attende cette réponse pour apprécier s’il était opportun de former une réclamation. Le requérant fait ainsi valoir à bon droit que le comportement de l’administration a écourté le délai dont il disposait pour former une réclamation. Toutefois, si un tel comportement a affecté les droits procéduraux du requérant et doit être pris en considération dans la prise en charge des dépens de la présente instance, il n’a pas été directement à l’origine du non-respect du délai de réclamation par le requérant, lequel ne conteste pas que sa demande du 3 juin 2009 avait été implicitement rejetée par décision du 3 octobre 2009.

43      Enfin, le requérant ne peut valablement soutenir que l’absence de prorogation du délai de réclamation – par l’intervention d’une décision explicite de rejet de sa demande adoptée après la naissance de la décision implicite de rejet mais dans le délai de réclamation – porterait atteinte à son droit à un recours effectif et à un procès équitable, tels que consacrés par le juge et par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le principe établi par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, à savoir assurer à toute personne un procès équitable, et reconnu dans l’ordre juridique de l’Union par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, ne fait pas obstacle à ce qu’un délai pour l’introduction d’un recours en justice soit prévu (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 1er avril 1987, Dufay/Parlement, 257/85, point 10). La Cour a également jugé que le droit à une protection juridictionnelle effective n’est nullement affecté par l’application stricte de la réglementation de l’Union concernant les délais de procédure, laquelle, selon une jurisprudence constante, répond à l’exigence de sécurité juridique et à la nécessité d’éviter toute discrimination ou tout traitement arbitraire dans l’administration de la justice (ordonnance de la Cour du 17 mai 2002, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑406/01, point 20, et la jurisprudence citée). Une dérogation à ladite réglementation ne saurait être justifiée par la circonstance que des droits fondamentaux sont en jeu. En effet, les règles concernant les délais de recours sont d’ordre public et doivent être appliquées par le juge de manière à assurer la sécurité juridique ainsi que l’égalité des justiciables devant la loi (arrêt de la Cour du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, point 101).

44      Il résulte de l’ensemble de ces considérations que le recours n’a pas été précédé d’une procédure de réclamation régulière et doit, dès lors, être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

45      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

46      Il résulte des motifs énoncés ci-dessus que le requérant a succombé en son recours. En outre, le Conseil a, dans ses conclusions, expressément demandé que le requérant soit condamné aux dépens.

47      Toutefois, en vertu de l’article 88 du règlement de procédure, une partie, même gagnante, peut être condamnée partiellement voire totalement aux dépens, si cela apparaît justifié en raison de son attitude, y compris avant l’introduction de l’instance. À cet égard, il a déjà été jugé que la mise des dépens à la charge de l’institution pouvait être justifiée par le manque de diligence de celle-ci lors de la procédure précontentieuse (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal de la fonction publique du 28 juin 2006, Le Maire/Commission, F‑27/05, point 53 ; ordonnance Barthel e.a./Cour de justice, précitée, points 33 et 34).

48      Or, en l’espèce, le Tribunal constate que le Conseil, d’une part, a laissé s’écouler le délai de quatre mois, prévu à l’article 90, paragraphe 1, du statut, avant d’adopter une décision explicite de rejet de la demande présentée par le requérant et, d’autre part, n’a pas attiré l’attention de l’intéressé, dans la décision litigieuse, sur la circonstance qu’une décision implicite de rejet était déjà intervenue et que le délai de réclamation de trois mois courait à compter de cette dernière décision. En outre, s’il était louable et compréhensible que le Conseil prenne position, comme il l’a fait, sur le bien-fondé de la réclamation, il est regrettable, au regard du devoir de sollicitude, que le Conseil ait omis d’analyser si la réclamation n’était pas tardive, alors que le motif d’irrecevabilité tiré de celle-ci résulte en partie du retard avec lequel l’administration a statué sur la demande du requérant. Enfin, le requérant souligne à juste titre, dans sa lettre du 11 avril 2011 communiquée au Tribunal en réponse à la fin de non-recevoir soulevée par celui-ci, que la lettre du 1er octobre 2009 du Conseil et l’intervention tardive de la réponse explicite de rejet de la demande du 3 juin 2009 ont eu pour effet d’écourter le délai dont il disposait pour introduire sa réclamation et ont ainsi affecté ses droits procéduraux.

49      Dans ces circonstances, il y a lieu de condamner le Conseil aux dépens exposés par le requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Le Conseil de l’Union européenne supporte l’ensemble des dépens.

Fait à Luxembourg, le 5 juillet 2011.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       S. Gervasoni


* Langue de procédure : le français.