Language of document : ECLI:EU:C:2018:206

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 21 mars 2018 (1)

Affaire C346/17 P

Christoph Klein

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Responsabilité non contractuelle – Directive 93/42/CEE – Articles 8 et 18 – Dispositifs médicaux – Inaction de la Commission à la suite de la notification d’une décision d’interdiction de mise sur le marché – Procédure d’une clause de sauvegarde – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers – Lien de causalité – Préjudice réel et certain »






1.        Par son pourvoi, M. Christoph Klein demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne, du 28 septembre 2016, Klein/Commission (T‑309/10 RENV, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2016:570), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi à la suite d’une violation par la Commission européenne des obligations lui incombant en vertu de la directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux (2).

2.        L’examen de ce pourvoi, limité au cinquième moyen, conformément à la demande de la Cour, nous conduira à expliquer pour quels motifs nous considérons que ce moyen est bien fondé, entraînant, par voie de conséquence, l’annulation partielle de l’arrêt attaqué.

I.      Le cadre juridique

3.        Aux termes de l’article 1er de la directive 93/42, intitulé « Définitions, champ d’application » :

« 1.      La présente directive s’applique aux dispositifs médicaux et à leurs accessoires. Aux fins de la présente directive, les accessoires sont traités comme des dispositifs médicaux à part entière. Les dispositifs et leurs accessoires sont dénommés ci-après “dispositifs”.

2.      Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “dispositif médical” : tout instrument, appareil, équipement, matière ou autre article, utilisé seul ou en association, y compris le logiciel nécessaire pour le bon fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé chez l’homme à des fins :

–        de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie,

–        de diagnostic, de contrôle, de traitement, d’atténuation ou de compensation d’une blessure ou d’un handicap,

–        d’étude ou de remplacement ou modification de l’anatomie ou d’un processus physiologique,

–        de maîtrise de la conception,

et dont l’action principale voulue dans ou sur le corps humain n’est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens ;

[...] »

4.        L’article 2 de cette directive, intitulé « Mise sur le marché et mise en service », dispose :

« Les États membres prennent toutes les dispositions nécessaires pour que les dispositifs ne puissent être mis sur le marché et mis en service que s’ils ne compromettent pas la sécurité et la santé des patients, des utilisateurs et, le cas échéant, d’autres personnes, lorsqu’ils sont correctement installés, entretenus et utilisés conformément à leur destination. »

5.        L’article 3 de ladite directive, intitulé « Exigences essentielles », est ainsi libellé :

« Les dispositifs doivent satisfaire aux exigences essentielles figurant à l’annexe I qui leur sont applicables en tenant compte de la destination des dispositifs concernés. »

6.        L’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/42 prévoit :

« Les États membres ne font pas obstacle, sur leur territoire, à la mise sur le marché et à la mise en service des dispositifs portant le marquage CE prévu à l’article 17 indiquant qu’ils ont été soumis à une évaluation de leur conformité conformément à l’article 11. »

7.        L’article 8 de cette directive, intitulé « Clause de sauvegarde », énonce :

« 1.      Lorsqu’un État membre constate que des dispositifs visés à l’article 4[,] paragraphe 1[,] et paragraphe 2[,] deuxième tiret[,] correctement installés, entretenus et utilisés conformément à leur destination risquent de compromettre la santé et/ou la sécurité des patients, des utilisateurs ou, le cas échéant, d’autres personnes, il prend toutes mesures utiles provisoires pour retirer ces dispositifs du marché, interdire ou restreindre leur mise sur le marché ou leur mise en service. L’État membre notifie immédiatement ces mesures à la Commission, indique les raisons de sa décision et, en particulier, si la non-conformité avec la présente directive résulte :

a)      du non-respect des exigences essentielles visées à l’article 3 ;

b)      d’une mauvaise application des normes visées à l’article 5 pour autant que l’application de ces normes est prétendue ;

c)      d’une lacune dans lesdites normes elles-mêmes.

2.      La Commission entre en consultation avec les parties concernées dans les plus brefs délais. Lorsque la Commission constate, après cette consultation :

–        que les mesures sont justifiées, elle en informe immédiatement l’État membre qui a pris l’initiative, ainsi que les autres États membres ; au cas où la décision visée au paragraphe 1 est motivée par une lacune des normes, la Commission, après consultation des parties concernées, saisit le comité visé à l’article 6 dans un délai de deux mois si l’État membre ayant pris la décision entend la maintenir et entame la procédure prévue à l’article 6,

–        que les mesures sont injustifiées, elle en informe immédiatement l’État membre qui a pris l’initiative ainsi que le fabricant ou son mandataire établi dans [l’Union européenne].

3.      Lorsqu’un dispositif non conforme est muni du marquage CE, l’État membre compétent prend, à l’encontre de celui qui a apposé le marquage, les mesures appropriées et en informe la Commission et les autres États membres.

4.      La Commission s’assure que les États membres sont tenus informés du déroulement et des résultats de cette procédure. »

8.        L’article 9 de la directive 93/42, intitulé « Classification », prévoit une classification des dispositifs médicaux conformément aux règles figurant à l’annexe IX.

9.        L’article 11, paragraphe 5, de cette directive énonce :

« Pour les dispositifs de la classe I, autres que ceux sur mesure et ceux destinés à des investigations cliniques, le fabricant suit, pour apposer le marquage CE, la procédure visée à l’annexe VII et établit, avant la mise sur le marché du dispositif, la déclaration CE de conformité requise. »

10.      L’article 17, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Les dispositifs, autres que ceux sur mesure et ceux destinés à des investigations cliniques, qui sont réputés satisfaire aux exigences essentielles visées à l’article 3, doivent porter le marquage CE de conformité lors de leur mise sur le marché. »

11.      L’article 18 de la directive 93/42, intitulé « Marquage CE indûment apposé », dispose :

« Sans préjudice de l’article 8 :

a)      tout constat par un État membre de l’apposition indue du marquage CE entraîne pour le fabricant ou son mandataire établi dans [l’Union] l’obligation de faire cesser l’infraction dans les conditions fixées par l’État membre ;

b)      en cas de persistance de l’infraction, l’État membre prend toutes mesures utiles pour restreindre ou interdire la mise sur le marché du produit en question et pour veiller à ce qu’il soit retiré du marché, conformément à la procédure prévue à l’article 8. »

12.      L’annexe I de cette directive, intitulée « Exigences essentielles », est libellée comme suit :

« 1.      Les dispositifs doivent être conçus et fabriqués de telle manière que leur utilisation ne compromette pas l’état clinique et la sécurité des patients ni la sécurité et la santé des utilisateurs ou, le cas échéant, des autres personnes, lorsqu’ils sont utilisés dans les conditions et aux fins prévues, étant entendu que les risques éventuels liés à leur utilisation constituent des risques acceptables au regard du bienfait apporté au patient et compatibles avec un niveau élevé de protection de la santé et de la sécurité.

[...]

3.      Les dispositifs doivent atteindre les performances qui leur sont assignées par le fabricant et être conçus, fabriqués et conditionnés de manière à être aptes à remplir une ou plusieurs des fonctions visées à l’article 1er[,] paragraphe 2[,] point a)[,] et telles que spécifiées par le fabricant. »

13.      Les indications que doit comprendre la notice d’instruction accompagnant les dispositifs médicaux sont répertoriées au point 13.6 de l’annexe I de la directive 93/42.

II.    Les antécédents du litige

A.      Les faits

14.      M. Klein est le directeur d’atmed AG, société anonyme de droit allemand actuellement en situation d’insolvabilité. Il est également l’inventeur d’un dispositif médical d’aide à l’inhalation pour personnes asthmatiques qu’il a breveté au début des années 1990. Selon M. Klein, il s’agit du seul dispositif d’aide à l’inhalation pouvant être utilisé notamment par des patients en position allongée, qui est particulièrement adapté au cas des patients alités ou atteints d’une affection pulmonaire obstructive chronique. Il est constant que ce dispositif appartenait à la classe I des dispositifs médicaux au sens de l’article 9 et de l’annexe IX de la directive 93/42 (3).

15.      Entre l’année 1996 et l’année 2001, la fabrication de ce dispositif médical a été confiée à Primed Halberstadt GmbH pour le compte de Broncho-Air Medizintechnik AG. Cette dernière société a été également le distributeur de ce dispositif, sous le nom d’Inhaler Broncho Air® (ci-après le « dispositif Inhaler ») (4).

16.      Lors de sa mise en circulation sur le marché allemand, ce dispositif portait le marquage CE, en vue de désigner sa conformité aux exigences essentielles visées à l’article 3 de la directive 93/42, figurant à l’annexe I de celle-ci.

17.      Le 16 juin 2000, les droits d’exploitation exclusive du dispositif médical d’aide à l’inhalation du requérant ont été cédés à atmed qui, à partir de l’année 2002, a distribué de façon exclusive ce dispositif médical sous le nom « effecto® » (ci-après le « dispositif effecto »). En 2003, cette société a également pris en charge sa fabrication. Lors de sa mise sur le marché allemand, ce dispositif portait le marquage CE.

B.      Les décisions d’interdiction

1.      Décision d’interdiction du dispositif Inhaler

18.      Au cours de l’année 1996, les autorités allemandes ont informé la société distributrice du dispositif Inhaler, Broncho-Air Medizintechnik, qu’elles envisageaient d’en interdire la distribution en raison de leurs doutes quant à la conformité de ce dispositif aux exigences essentielles prévues par la directive 93/42, fondés sur l’absence d’évaluation clinique exhaustive.

19.      Par lettre du 22 mai 1997, Broncho-Air Medizintechnik a informé les autorités allemandes que le dispositif Inhaler n’était plus mis sur le marché depuis le 1er janvier 1997 et que sa distribution serait suspendue jusqu’à ce que des études et des essais supplémentaires sur la conformité de ce produit aux exigences de la directive 93/42 soient disponibles. Elle a également fait savoir aux autorités allemandes que le dispositif concerné n’avait pas été distribué à l’étranger (5).

20.      Le 23 septembre 1997, les autorités allemandes ont pris une décision interdisant à Primed Halberstadt la mise sur le marché du dispositif Inhaler (ci-après la « décision d’interdiction de mise sur le marché du dispositif Inhaler »). Dans cette décision, ces autorités ont relevé, en substance, que, conformément à l’avis du Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte (Institut fédéral des médicaments et des dispositifs médicaux, Allemagne), ce dispositif ne satisfaisait pas aux exigences essentielles prévues à l’annexe I de la directive 93/42 dans la mesure où son innocuité n’avait pas été suffisamment établie de manière scientifique à la lumière des éléments mis à disposition par le fabricant.

21.      Par lettre du 7 janvier 1998, intitulée « Procédure de clause de sauvegarde au titre de l’article 8 de la directive 93/42 [...] relative [au dispositif Inhaler] », les autorités allemandes ont informé la Commission qu’elles avaient pris la décision d’interdiction de mise sur le marché du dispositif Inhaler et lui ont communiqué les motifs de cette décision.

22.      La Commission n’a adopté aucune décision à la suite de la notification de la lettre du 7 janvier 1998 des autorités allemandes.

2.      Décision d’interdiction du dispositif médical distribué, à partir de l’année 2002, sous le nom « effecto® »

23.      Par une décision du 18 mai 2005, les autorités allemandes ont interdit à atmed de mettre le dispositif effecto sur le marché (ci-après la « décision d’interdiction de mise sur le marché du dispositif effecto »). Elles ont estimé, en substance, que la procédure d’évaluation de conformité, notamment l’évaluation clinique, n’avait pas été effectuée de manière appropriée et que, pour cette raison, ce dispositif ne pouvait être considéré comme satisfaisant aux exigences essentielles prévues par la directive 93/42. Cette décision n’a pas été notifiée à la Commission par les autorités allemandes au titre de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 93/42.

24.      Les 16 janvier et 17 août 2006, atmed s’est adressée aux services de la Commission pour dénoncer le fait que les autorités allemandes ne leur avaient pas notifié la décision d’interdiction de mise sur le marché du dispositif effecto.

25.      Le 6 octobre 2006, au vu des informations communiquées par atmed, la Commission a demandé aux autorités allemandes si elles estimaient que les conditions de mise en œuvre de la procédure de clause de sauvegarde prévue à l’article 8 de la directive 93/42 étaient réunies.

26.      Le 12 décembre 2006, les autorités allemandes ont expliqué à la Commission que la procédure engagée au cours de l’année 1998 concernant le dispositif Inhaler constituait, de leur point de vue, une procédure de clause de sauvegarde, au sens de l’article 8 de la directive 93/42, et que la mise en œuvre d’une nouvelle procédure de clause de sauvegarde, pour un même dispositif portant un autre nom, n’était pas justifiée. En outre, ces autorités ont fait part à la Commission de leurs doutes persistants quant à la conformité du dispositif effecto aux exigences essentielles visées par la directive 93/42 et ont, dès lors, demandé à la Commission de confirmer la décision d’interdiction de mise sur le marché du dispositif effecto.

27.      Le 13 décembre 2006, la Commission a informé atmed de la réponse des autorités allemandes.

28.      Le 18 décembre 2006, atmed a demandé à la Commission, d’une part, d’ouvrir une procédure en manquement au titre de l’article 226 CE (devenu l’article 258 TFUE) contre la République fédérale d’Allemagne et, d’autre part, de poursuivre la procédure de clause de sauvegarde qui, selon elle, avait été activée en 1998.

29.      Le 22 février 2007, la Commission a proposé aux autorités allemandes d’évaluer la décision d’interdiction de mise sur le marché du dispositif effecto dans le contexte de la procédure de clause de sauvegarde qu’elles avaient engagée en 1998 en ce qui concerne le dispositif Inhaler et de traiter cette décision sur la base des nouvelles informations.

30.      Le 18 juillet 2007, la Commission a fait part aux autorités allemandes de sa conclusion selon laquelle la présente espèce répondait à un cas de marquage CE indûment apposé et, pour cette raison, devait être traitée à la lumière de l’article 18 de la directive 93/42. À cet égard, la Commission a mis en doute le fait que le dispositif effecto ne pouvait satisfaire aux exigences essentielles prévues par cette directive et a estimé que des données cliniques supplémentaires étaient nécessaires pour apporter une réponse définitive sur ce point. La Commission a invité les autorités allemandes à coopérer étroitement avec atmed afin d’établir quelles étaient les données manquantes et a remis au requérant une copie de la lettre adressée aux autorités allemandes à cet effet.

31.      En 2008, le requérant a présenté une pétition au Parlement européen pour se plaindre du suivi insuffisant de son affaire par la Commission et des effets dommageables qui en résultaient pour atmed.

32.      Le 19 janvier 2011, le Parlement a adopté la résolution P7_TA(2011)0017 (6).

33.      Le 9 mars 2011, le requérant a demandé à la Commission de verser une indemnité de 170 millions d’euros à atmed et de 130 millions d’euros à lui-même.

C.      La procédure devant le Tribunal et la Cour

34.      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 septembre 2011, le requérant a introduit un recours en indemnité fondé sur les dispositions combinées de l’article 268 et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. Par arrêt du Tribunal de 2014, celui-ci a rejeté le recours, après avoir constaté l’absence de comportement illégal de la Commission au regard des dispositions de la directive 93/42.

35.      Tout d’abord, le Tribunal a déclaré irrecevable, comme étant prescrite, la demande du requérant relative au préjudice prétendument subi avant le 15 septembre 2006. Ensuite, s’agissant de la décision d’interdiction de mise sur le marché du dispositif Inhaler, il a estimé que l’inaction de la Commission n’était pas illégale, au motif que, malgré l’intitulé de la lettre du 7 janvier 1998 (7), une telle interdiction ne répondait pas à un cas de clause de sauvegarde au sens de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 93/42, mais à un cas de marquage CE indûment apposé au titre de l’article 18 de cette directive. Dans ce contexte, conformément à l’article 8, paragraphe 3, de ladite directive, la Commission ne devait qu’en être informée par l’État membre concerné et n’était tenue d’adopter aucune décision. Enfin, s’agissant de la décision d’interdiction de mise sur le marché du dispositif effecto, le Tribunal a rejeté les arguments du requérant selon lesquels, en substance, la Commission aurait dû engager, de sa propre initiative, une procédure de clause de sauvegarde au titre de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 93/42 ou, à tout le moins, ouvrir une procédure en manquement au titre de l’article 226 CE (devenu l’article 258 TFUE).

36.      À la suite du pourvoi du requérant, la Cour a, par l’arrêt de la Cour, annulé partiellement l’arrêt du Tribunal de 2014 et a renvoyé l’affaire devant celui-ci.

37.      Ainsi, en premier lieu, la Cour a rejeté le pourvoi du requérant en ce qu’il visait à obtenir des dommages et intérêts pour la période antérieure au 15 septembre 2006. En second lieu, s’agissant de la décision d’interdiction de mise sur le marché du dispositif Inhaler, la Cour a dit pour droit que le Tribunal avait méconnu les articles 8 et 18 de la directive 93/42 en considérant que la Commission n’avait pas violé ses obligations au titre de cette directive. En particulier, elle a estimé que le Tribunal avait commis une erreur de droit en jugeant que la Commission n’était pas tenue d’engager une procédure de clause de sauvegarde, conformément à l’article 8 de la directive 93/42, à la suite de la réception de la lettre du 7 janvier 1998. En outre, la Cour a considéré que l’éventuelle application de l’article 18 de la directive 93/42 au dispositif Inhaler ne dispensait pas la Commission de l’obligation d’agir en vertu de l’article 8, paragraphe 2, de cette directive. S’agissant de la décision d’interdiction de mise sur le marché du dispositif effecto, la Cour a rejeté comme étant irrecevable le moyen du requérant visant à faire constater des erreurs du Tribunal sur ce point.

38.      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal, saisi sur renvoi, a rejeté le recours du requérant. Il a, en particulier, considéré que, en application de l’article 61, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, ce recours était irrecevable en ce qu’il vise une prétendue carence illégale de la Commission dans la procédure relative au dispositif effecto. Quant au fond, le Tribunal a jugé que la violation du droit de l’Union commise par la Commission était suffisamment caractérisée aux motifs que, d’une part, celle-ci ne disposait d’aucune marge d’appréciation quant à l’adoption d’une décision à la suite de la procédure de clause de sauvegarde ouverte en 1998 conformément à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 93/42 et que, d’autre part, une administration normalement prudente et diligente n’aurait pas dû, dans des circonstances semblables, commettre l’irrégularité constatée. Il a également jugé que le requérant ne pouvait faire valoir que les droits à réparation qui lui avaient été cédés par Broncho-Air Medizintechnik pour le compte de laquelle le dispositif Inhaler avait été fabriqué. S’agissant de l’existence d’un lien de causalité entre l’inaction fautive de la Commission et les préjudices allégués, le Tribunal a, en premier lieu, constaté que Broncho-Air Medizintechnik, distributrice du dispositif Inhaler, avait décidé, avant la décision des autorités allemandes, de ne plus mettre ce produit sur le marché ni de le vendre. Il a estimé, en deuxième lieu, qu’il n’existait aucune certitude que la Commission eût adopté une décision contraire au constat des autorités allemandes et, en troisième lieu, que les frais de procédure engagés par le requérant ayant pour objet la contestation de la légalité des décisions des autorités allemandes, ils ne pouvaient être imputés à la Commission.

39.      Le Tribunal ayant considéré que le requérant n’établissait pas l’existence d’un lien de causalité direct et suffisant susceptible d’engager la responsabilité de l’Union, il a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la condition relative à l’existence d’un préjudice, puis a rejeté le recours dans son ensemble.

III. Les conclusions des parties

40.      Le requérant demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        de condamner la défenderesse à verser au requérant la somme de 1 562 662,30 euros, majorée des intérêts à hauteur de huit points de plus que le taux d’intérêt de base à compter du prononcé de l’arrêt ;

–        de constater le principe de l’obligation pour la Commission d’indemniser le requérant du préjudice qui lui a été causé à partir du 15 septembre 2006, qu’il continue à faire valoir et qui reste encore à chiffrer ;

–        de condamner la Commission aux dépens, et

–        à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

41.      La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner M. Klein aux dépens.

IV.    L’examen du pourvoi

42.      Le pourvoi comprend huit moyens. Le requérant invoque :

–        par le premier moyen, une application incorrecte de l’article 61, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, pour soutenir que le deuxième chef de ses conclusions concernant le dispositif effecto est recevable,

–        par le deuxième moyen, une violation de l’article 61, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, pour soutenir que l’examen des conditions de son recours est erroné, le Tribunal ayant méconnu la portée de l’arrêt de la Cour qui lui aurait conféré des droits à réparation liés à sa condition personnelle et à ceux cédés par atmed,

–        par le troisième moyen, une violation de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal et de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (8), pour soutenir que le chef de ses conclusions visant à faire constater que l’inaction de la Commission constitue une violation de l’article 41 de la Charte et du principe de bonne administration est recevable,

–        par le quatrième moyen, une violation, à titre principal, de l’article 8 de la directive 93/42 et des articles 28 et suivants TFUE, en ce qu’ils confèrent des droits aux particuliers,

–        par le cinquième moyen, une qualification juridique erronée des faits dont résulterait l’existence d’un lien de causalité entre le fait générateur et les dommages allégués,

–        par le sixième moyen, une violation du principe du procès équitable, du droit à être entendu, de l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (9) et de l’article 47 de la Charte, pour soutenir que le Tribunal devait prendre en considération un projet de décision de la Commission (ci-après l’« annexe COM RENV 1 »), et

–        par le septième moyen, une violation de l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 47 de la Charte ainsi que de l’article 63, paragraphe 3, sous d), du règlement de procédure du Tribunal (ancien) et de l’article 24 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, en raison du rejet de la demande tendant à enjoindre la Commission de produire l’ensemble du dossier concernant la procédure de clause de sauvegarde.

43.      Le huitième moyen, qui est nouveau, vise à obtenir, à titre conservatoire dans le cadre de ce pourvoi, qu’il soit donné injonction à la défenderesse, conformément à l’article 64, paragraphe 2, sous b), du règlement de procédure de la Cour, de produire devant celle-ci l’intégralité du dossier concernant la procédure de clause de sauvegarde.

A.      Observations liminaires

44.      Avant d’exposer les éléments de notre analyse consacrée au cinquième moyen critiquant la motivation de l’arrêt attaqué portant sur le lien de causalité, il nous paraît indispensable de souligner, à l’instar de la Commission lors de l’audience de plaidoiries, les limites du litige, telles qu’elles résultent, d’une part, de l’autorité de la chose jugée et, d’autre part, de l’absence de fondement, selon nous, du premier moyen et du quatrième moyen (10), qui devrait entraîner leur rejet par la Cour.

45.      Premièrement, il convient de constater qu’il n’est pas contesté que, par l’effet combiné de l’arrêt du Tribunal de 2014 (point 54) et du rejet du premier moyen du précédent pourvoi sur ce point par l’arrêt de la Cour (point 48), la demande du requérant est limitée au préjudice prétendument subi à compter du 15 septembre 2006 (point 98 de l’arrêt de la Cour).

46.      Deuxièmement, par l’effet du rejet du premier moyen du présent pourvoi, toute demande en relation avec le dispositif effecto est irrecevable. En effet, il ne fait pas de doute, à la lecture des points 82 à 88 de l’arrêt de la Cour, figurant sous le titre intitulé « Sur le quatrième moyen, tiré de l’absence de décision concernant le dispositif effecto », que le rejet par la Cour de ce moyen concerne l’ensemble des griefs se rapportant à ce dispositif (11).

47.      Troisièmement, l’article 8, paragraphe 2, de la directive 93/42, dont la violation est invoquée par le quatrième moyen, vise le fabricant et non l’inventeur, contrairement à ce que soutient le requérant. En conséquence, celui-ci ne peut faire valoir que les droits à réparation qui lui ont été cédés par Broncho-Air Medizintechnik (12).

48.      Quatrièmement, s’agissant du fait dommageable, il convient de rappeler que la Cour a retenu que le Tribunal avait commis une erreur de droit en constatant que la Commission n’était pas tenue d’agir concernant la décision d’interdiction de mise sur le marché du dispositif Inhaler. Il doit aussi être pris en considération que le Tribunal, statuant sur renvoi, a jugé que, « dans la mesure où, d’une part, la Commission ne disposait d’aucune marge d’appréciation quant à l’adoption d’une décision à la suite de la procédure de clause de sauvegarde ouverte en 1998 conformément à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 93/42 et où, d’autre part, une administration normalement prudente et diligente n’aurait pas dû, dans des circonstances semblables, commettre l’irrégularité constatée, la violation du droit de l’Union commise par la Commission doit être considérée comme étant suffisamment caractérisée » (13).

49.      En conséquence, il résulte de l’ensemble de ces éléments que la recherche de l’existence d’un lien de causalité entre l’illégalité de l’inaction de la Commission concernant le dispositif Inhaler et les préjudices allégués par le requérant (14), à laquelle le Tribunal a décidé de procéder avant de vérifier leur réalité (15), devait être limitée aux préjudices qui auraient été subis, à compter du 15 septembre 2006, par Broncho-Air Medizintechnik dont les droits à réparation avaient été cédés au requérant.

50.      C’est dans ces conditions que le Tribunal a estimé que « le requérant n’établi[ssai]t pas l’existence d’un lien de causalité direct et suffisant susceptible d’engager la responsabilité de l’Union » (16) en retenant pour l’essentiel :

–        que la cessation de la mise sur le marché et de la vente du dispositif Inhaler avait été décidée par Broncho-Air Medizintechnik avant l’interdiction de commercialisation dudit dispositif ;

–        qu’il n’existait aucune certitude quant à la prise de décision favorable au requérant par la Commission, et

–        que les frais supportés par le requérant étaient liés à la contestation de la légalité des décisions allemandes.

B.      Notre appréciation du bien-fondé du cinquième moyen

1.      Arguments des parties

51.      Par son cinquième moyen, comprenant cinq branches principales, le requérant allègue que le Tribunal aurait procédé à un examen erroné en droit de la causalité.

52.      Le requérant commence par relever que le Tribunal a considéré que Broncho-Air Medizintechnik ou Primed Halberstadt avaient volontairement cessé la commercialisation du dispositif Inhaler parce que Broncho-Air Medizintechnik aurait déclaré dans sa lettre du 22 mai 1997 ne plus commercialiser pour le moment ce dispositif. Or, il ne saurait être question d’un acte volontaire, pour des motifs qui seraient sans aucun rapport avec la procédure d’interdiction en cours. En réalité, Broncho-Air Medizintechnik n’avait pas d’autre objectif que de mettre le dispositif Inhaler sur le marché. Les autorités allemandes ne lui auraient toutefois pas laissé d’autre choix, étant donné que, en pratique, personne n’achète un produit qui, certes, n’est objectivement pas dangereux, mais qui est grevé par une procédure d’interdiction pendante. Sur le plan civil, le requérant serait débiteur à l’égard d’éventuels acheteurs d’une obligation d’information et aucun acheteur n’aurait alors acheté le produit.

53.      Le requérant soutient que le Tribunal a dénaturé les faits. Il estime qu’il résulterait de ses constatations queBroncho-Air Medizintechnik n’avait pas volontairement retiré son dispositif du marché et que, en tout état de cause, la décision de suspendre temporairement la commercialisation du dispositif Inhaler était devenue obsolète par l’effet de la décision d’interdiction de mise sur le marché prise ultérieurement et de l’opposition formée contre cette décision.

54.      Il fait également valoir que la considération du Tribunal au point 74 de l’arrêt attaqué, selon laquelle il résulterait de ce caractère « volontaire » que le préjudice allégué par le requérant est lié à la décision prise, de sa propre initiative, par Broncho-Air Medizintechnik et non à l’inaction invoquée de la Commission, repose sur une qualification juridique erronée des faits.Si, au printemps 1998, la Commission, comme elle était tenue de le faire, avait adopté sans délai une décision favorable, Broncho‑Air Medizintechnik aurait pu alors immédiatement vendre à nouveau son dispositif. Ce n’est donc pas la renonciation, intervenue dans un premier temps, à poursuivre la mise sur le marché du dispositif Inhaler qui est à l’origine notamment des frais liés à la création d’atmed et à l’évaluation du dispositif effecto, alors qu’il s’agissait des seules solutions pour surmonter l’absence de décision prise par la Commission.

55.      De plus, le requérant soutient que le Tribunal a, au point 76 de l’arrêt attaqué, qualifié juridiquement de manière erronée le courriel d’atmed du 6 décembre 2006, dès lors que cette société ne pouvait pas faire de déclaration au nom de Broncho-Air Medizintechnik et que ce document n’est pas de nature à contredire le fait que l’inaction de la Commission a été la cause déterminante de ce que, à partir de la date à laquelle la Commission aurait pu et dû prendre une décision, le dispositif n’a plus été distribué.

56.      Par ailleurs, le requérant rappelle que, aux points 79 et 80 de l’arrêt attaqué, le Tribunal parvient à la conclusion qu’il n’existerait pas de lien de causalité, car il ne serait pas certain que la Commission aurait adopté une décision favorable au requérant et aurait considéré que la mesure nationale n’était pas justifiée. Or, le Tribunal s’est référé uniquement aux indications des autorités allemandes, sans procéder à son propre examen, alors que celles-ci ont considéré de manière erronée, par exemple, que le dispositif constituerait, avec le principe actif, un médicament. De plus, il aurait dû retenir que, selon l’article 8, paragraphe 2, de la directive 93/42, après consultation des parties concernées, la Commission devait constater si la mesure de l’État membre, au sens de cette disposition, était justifiée ou non. Dans le cadre de cet examen, la Commission aurait eu à tenir compte, entre autres, du principe de proportionnalité lié au fait qu’il s’agit d’un dispositif de classe I, de ce que le produit était revêtu du marquage CE, ainsi que des décisions de la Cour concrétisant les dispositions de la directive 93/42.

57.      Puis, contestant la qualification d’« hypothétiques » de ses affirmations sur l’issue de la procédure de clause de sauvegarde, retenue au point 81 de l’arrêt attaqué, le requérant soutient que la Commission aurait pu adopter une décision juridiquement correcte, dès lors qu’il produisait un projet de décision, l’annexe COM RENV 1, tenant la mesure des autorités allemandes pour « non justifiée ». Selon le requérant, cette preuve a été dénaturée par le Tribunal, qui ne l’a pas prise en considération.

58.      Le requérant relève enfin que, dans son examen, le Tribunal n’examine plus du tout le dispositif effecto. Si, à la suite de l’introduction de la procédure de clause de sauvegarde au printemps 1998, la Commission avait adopté une décision, Broncho-Air Medizintechnik aurait, à la suite de cette décision, pu commercialiser et vendre le dispositif Inhaler jusqu’à ce jour. À titre subsidiaire, si la Cour devait considérer que la Commission n’aurait pas nécessairement qualifié la décision d’interdiction des autorités allemandes comme étant injustifiée, il fait valoir que les conséquences de l’absence de décision seraient suffisamment directes, car l’absence de décision de la Commission a été la cause principale, déterminante et objectivement prévisible des dépenses évoquées au titre de la constitution puis de la dissolution d’atmed (17).

59.      La Commission demande à la Cour de rejeter ces griefs aux motifs que le Tribunal a, à bon droit, retenu qu’il n’existe aucune certitude qu’elle aurait adopté une décision dans le sens allégué par le requérant et que celui-ci n’a pas prouvé l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct.

60.      La Commission fait valoir que rien n’autorise le requérant à soutenir que son inaction, à partir du 7 janvier 1998, aurait, d’une part, obligé Broncho-Air Medizintechnik à mettre fin à la distribution du dispositif Inhaler au cours de l’année 1997, d’autant plus que cette date ne correspond pas à celle déclarée lors de la première audience, et, d’autre part, provoqué la constitution d’atmed.

61.      Elle soutient, s’agissant du motif relatif au caractère volontaire de l’arrêt de la commercialisation, que le grief de dénaturation n’est pas, en tout état de cause, suffisamment étayé, que le Tribunal n’a pas jugé au point 75 de son arrêt que la procédure de sauvegarde était devenue sans objet, et que le courriel de 2006 vient corroborer le constat que Broncho-Air Medizintechnik avait pris l’initiative de ne plus mettre le dispositif sur le marché.

62.      S’agissant de la critique portant sur le motif relatif au résultat présumé de la décision de la Commission, celle-ci soutient que les préjudices prétendument subis par le requérant ne seraient imputables à un éventuel comportement illégal de sa part que s’il pouvait être prouvé qu’ils ne seraient pas survenus si son comportement n’avait pas été entaché d’illégalité. L’analyse du lien de causalité ne pourrait partir de la prémisse incorrecte selon laquelle, en l’absence de comportement illégal, l’institution se serait abstenue d’agir ou aurait adopté un acte contraire, ce qui pourrait également être de sa part un comportement illégal. Elle fait valoir qu’il doit être procédé à une comparaison entre la situation générée, pour le tiers concerné, par l’action fautive et la situation qui aurait résulté pour celui-ci d’un comportement de l’institution respectueux de la règle de droit. À cet égard, la Commission relève que la décision du Tribunal n’est pas fondée sur le défaut de production de pièces du requérant, mais sur la reconnaissance par Broncho-Air Medizintechnik de la nécessité de procéder à des évaluations complémentaires.

63.      Par ailleurs, la Commission suggère d’écarter le grief tiré de ce que le Tribunal n’a pas relevé que les autorités allemandes avaient considéré à tort en 2007 que le dispositif effecto devait être soumis à la réglementation des médicaments dès lors qu’il est inopérant s’agissant du dispositif Inhaler en 1997. Elle fait valoir que la République fédérale d’Allemagne a apporté les preuves exigées par l’article 8 de la directive 93/42 en cas de risques liés à des dispositifs médicaux et que la décision des autorités allemandes aurait dû, en tout état de cause, être confirmée en raison des incertitudes quant à l’efficacité du dispositif, liées au manque de données cliniques.

64.      S’agissant de la critique relative au caractère hypothétique des arguments du requérant, la Commission relève que le grief n’est pas étayé. titre surabondant, elle précise que le requérant n’avait pas invoqué l’annexe COM RENV 1 au soutien de ses arguments portant sur le lien de causalité et que ce document contient une confirmation de la décision des autorités allemandes sur le défaut de données cliniques suffisantes.

65.      S’agissant de l’argument tiré du lien causal avec la commercialisation du dispositif effecto, la Commission estime, d’une part, que le Tribunal n’était pas tenu d’y répondre en raison de sa décision excluant le requérant et atmed du champ d’application de l’article 8 de la directive 93/42, faute pour ceux-ci de pouvoir prétendre à la qualité de fabricant, et, d’autre part, que la constitution d’atmed n’était pas obligatoire. Pour ces mêmes motifs, elle soutient que le dernier grief, exposant une « causalité alternative », doit être rejeté.

66.      S’agissant des dépens, la Commission fait valoir que les coûts déclarés concernaient exclusivement l’activité d’atmed depuis 2005.

2.      Notre appréciation

67.      Nous exposerons ci-après quels sont les griefs, parmi ceux soutenus par le requérant, qui suffisent à justifier l’annulation de l’arrêt attaqué.

68.      Premièrement, le requérant soutient, à juste titre, que le Tribunal ne pouvait retenir, aux points 74 à 76 de l’arrêt attaqué, que le lien de causalité direct entre les préjudices allégués et l’inaction de la Commission, à partir du 7 janvier 1998, n’était pas établi, en raison de la décision de suspendre provisoirement la distribution et la vente du dispositif Inhaler prise par Broncho-Air Medizintechnik, depuis le 1er janvier 1997, sans attendre la décision des autorités allemandes.

69.      Nous retiendrons principalement que cette qualification juridique des faits (18), opérée par le Tribunal pour retenir l’inexistence d’un lien de causalité direct, se heurte aux motifs de l’arrêt de la Cour, ayant acquis l’autorité de la chose jugée, ainsi que, à défaut de pourvoi incident, à ceux de l’arrêt attaqué relatifs à la violation par la Commission de ses obligations, fondée sur son inaction depuis le 7 janvier 1998, date de la notification de la décision prise par les autorités allemandes, à partir de laquelle devait être mise en œuvre la procédure de clause de sauvegarde (19).

70.      Dans ces conditions, peu importe que Broncho-Air Medizintechnik ait pris la décision de suspendre la distribution du dispositif Inhaler, après que les autorités allemandes avaient informé cette société, en 1996, de leurs doutes sur la conformité du dispositif, mais avant la décision d’interdiction de mise sur le marché du 23 septembre 1997. Dès lors que le requérant soutenait que, dans ces circonstances, la reprise ou non de l’activité de Broncho-Air Medizintechnik dépendait de la décision de la Commission (20), il incombait au Tribunal de vérifier l’existence d’un lien de causalité entre le comportement illégal de la Commission, à partir du 7 janvier 1998, et les préjudices, prétendument subis, concernant le dispositif Inhaler, et ce à compter du 15 septembre 2006 pour les raisons précédemment exposées.

71.      Deuxièmement, s’agissant de la motivation de l’arrêt attaqué relative à la certitude d’une réponse favorable de la Commission, il convient de relever qu’elle vise à répondre aux arguments du requérant figurant spécialement aux points 103 et 104 de ses observations écrites sous le titre « lien de causalité », dès lors qu’il soutenait avoir subi un préjudice économique, qui doit être distingué de celui lié à la perte de chance qui n’était pas invoqué, causé par le défaut de commercialisation du dispositif médical litigieux. Néanmoins, il doit aussi être constaté que, au point 1 de ces observations, à titre général, puis aux points 7 et 94, concernant la période de mise sur le marché du dispositif Inhaler, ainsi qu’il est repris d’ailleurs au point 82 de l’arrêt attaqué, s’agissant des frais allégués, le requérant considérait que des préjudices avaient pour origine l’absence de réponse négative ou positive de la Commission. Ainsi, les observations écrites des parties avaient porté sur la nécessité de recourir à des solutions alternatives, comme celle de créer une autre société (atmed) et de distribuer le dispositif sous un autre nom (« effecto® »). Ces arguments du requérant, liés directement à l’inaction de la Commission, concernant le dispositif Inhaler, ou, autrement dit, à l’attente d’une décision, quel que soit son sens, devaient être examinés par le Tribunal sans les limiter aux frais de justice et à ceux liés aux emprunts souscrits pour financer les procédures engagées.

72.      Selon nous, la question de la certitude de la décision de la Commission dont se prévalait le requérant pour fonder sa demande de réparation d’un manque à gagner aurait dû, conformément à la jurisprudence de la Cour, être examinée au titre de la réalité ou de l’étendue du préjudice (21) en relation avec le dispositif Inhaler, et non au stade de l’examen du lien de causalité. En outre, comme nous l’avons déjà rappelé, la réparation ne peut porter que sur des préjudices prétendument subis à compter du 15 septembre 2006, alors que le dispositif effecto a été commercialisé après le dispositif Inhaler dès l’année 2002.

73.      Troisièmement, il peut aussi être constaté que le Tribunal n’a pas répondu à l’argument relatif au lien de causalité existant entre les frais de procédure engagés certes devant les autorités allemandes, mais qui auraient été prolongés en raison du défaut de réponse de la Commission après le 7 janvier 1998, sachant que seuls les préjudices subis à compter du 15 septembre 2006 sont indemnisables.

74.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de dire que le cinquième moyen est fondé, d’annuler partiellement l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal dès lors qu’il doit être procédé, dans les limites rappelées ci-dessus, à l’appréciation soit du lien de causalité, soit de la réalité et de l’étendue des préjudice allégués sur la base d’éléments factuels complexes, ce qui conduit à considérer que le litige n’est pas en état d’être jugé.

V.      Sur les dépens

75.      L’affaire devant être renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

VI.    Conclusion

76.      Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de statuer comme suit :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne, 28 septembre 2016, Klein/Commission, (T‑309/10 RENV, non publié, EU:T:2016:570), est annulé partiellement en tant qu’il a rejeté le recours de M. Christoph Klein au motif qu’il n’a pas établi un lien de causalité direct et suffisant susceptible d’engager la responsabilité de l’Union européenne avec les préjudices allégués.

2)      Le pourvoi est rejeté pour le surplus.

3)      L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.

4)      Les dépens sont réservés.


1      Langue originale : le français.


2      JO 1993, L 169, p. 1.


3      Voir arrêt du 21 janvier 2014, Klein/Commission (T‑309/10, ci-après l’« arrêt du Tribunal de 2014 », EU:T:2014:19, point 73), ainsi que résolution P7_TA(2011)0017 du Parlement européen, du 19 janvier 2011, sur la pétition 0473/2008, présentée par Christoph Klein, de nationalité allemande, sur le suivi insuffisant d’une affaire de concurrence par la Commission et ses effets dommageables pour l’entreprise affectée (JO 2012, C 136 E, p. 44, paragraphe A).


4      Voir arrêt du Tribunal de 2014 (point 17), arrêt du 22 avril 2015, Klein/Commission (C‑120/14 P, non publié, ci-après l’« arrêt de la Cour », EU:C:2015:252, point 12), et arrêt attaqué (point 2).


5      Voir arrêt du Tribunal de 2014 (point 19) et arrêt attaqué (point 4).


6      Voir note en bas de page 3 des présentes conclusions.


7      Voir point 21 des présentes conclusions.


8      Ci-après la « Charte ».


9      Signée à Rome le 4 novembre 1950.


10      Le rejet des autres moyens ne justifie pas d’observations particulières en raison de leur objet. Il sera seulement précisé très succinctement que, selon nous, le deuxième moyen repose sur des constatations erronées tirées de l’arrêt de la Cour, portant sur les droits conférés au requérant, le troisième moyen est nouveau et le sixième moyen est inopérant en ce qu’il porte sur un projet de décision. Le septième moyen et le huitième moyen sont également inopérants en raison du constat par le Tribunal de la violation par la Commission de ses obligations.


11      À cet égard, il est opportun de rappeler que, depuis le début de la procédure, le requérant soutenait des moyens différents selon les dispositifs, ce qui explique que les motivations des décisions les distinguent. Pour le dispositif Inhaler, ses demandes étaient fondées sur l’absence de décision de la Commission, malgré la mise en œuvre de la procédure de clause de sauvegarde, tandis que, pour le dispositif effecto, dont l’interdiction par les autorités allemandes n’avait pas été notifiée à la Commission, le requérant soutenait que celle-ci aurait dû l’entendre et prendre une décision dans le cadre de ladite procédure (sur cette dernière demande, voir point 83 de l’arrêt de la Cour).


12      Voir point 67 de l’arrêt attaqué.


13      Voir point 57 de l’arrêt attaqué.


14      Au point 68 de l’arrêt attaqué, il est précisé : « Le requérant soutient que la carence illégale de la Commission présente un lien de causalité direct et suffisant avec les préjudices qu’il estime avoir subis, à savoir le manque à gagner pour les inhalateurs invendus à la suite de la décision d’interdiction de mise sur le marché du dispositif Inhaler, les frais de procédure et honoraires d’avocat ainsi que les intérêts de prêts contractés pour financer ces procédures, la dépréciation des parts d’atmed, la perte de brevets et de droits similaires, les pertes de revenus du requérant en sa qualité de directeur d’atmed, les autres créances actuelles du requérant nées à l’égard d’atmed et le préjudice moral. »


15      Voir points 40 et 84 de l’arrêt attaqué. Il est aussi précisé au point 73 : « même à supposer que l’existence de tous les dommages que le requérant allègue dans ses écritures fût démontrée ».


16      Point 83 de l’arrêt attaqué.


17      Voir point 90 du pourvoi sous le titre « e) La causalité alternative ».


18      Pour mémoire, termes de l’arrêt du 16 juillet 2009, Commission/Schneider Electric (C‑440/07 P, EU:C:2009:459, points 192 et 193).


19      Voir points 52 à 55 de l’arrêt attaqué.


20      Ainsi qu’il a été rappelé lors de l’audience de plaidoiries, l’autorité compétente chargée d’examiner la procédure d’opposition a sursis à statuer dans l’attente de cette décision (voir points 57 et 58 du pourvoi et annexe A.40).


21      À rapprocher des arrêts du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission (C‑104/89 et C‑37/90, EU:C:1992:217, points 26 et 28), et du 14 octobre 2014, Giordano/Commission (C‑611/12 P, EU:C:2014:2282, point 40).