Language of document : ECLI:EU:C:2018:616

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 25 juillet 2018 (1)

Affaire C247/17

Denis Raugevicius

[demande de décision préjudicielle formée par le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande)]

« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Articles 18 et 21 TFUE – Demande adressée à un État membre par un État tiers visant à extrader un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre, ayant exercé son droit de libre circulation dans le premier État membre – Demande d’extradition présentée à des fins d’exécution d’une peine privative de liberté et non à des fins de poursuites pénales – Protection des ressortissants nationaux contre l’extradition – Restriction à la libre circulation – Objectif d’éviter le risque d’impunité des personnes ayant commis une infraction – Objectif d’accroître les chances de réinsertion sociale de la personne condamnée »






1.        La présente demande de décision préjudicielle va conduire la Cour à compléter sa jurisprudence en matière d’extradition des citoyens de l’Union européenne ayant fait usage de leur droit à la libre circulation dans un État membre autre que celui dont ils ont la nationalité.

2.        Alors que la jurisprudence dégagée par la Cour à partir de son arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (2), est relative à des demandes d’extradition effectuées par des États tiers à des fins de poursuites pénales, la présente affaire concerne une demande d’extradition adressée par les autorités russes aux autorités finlandaises, concernant M. Denis Raugevicius, ressortissant lituanien et russe, à des fins d’exécution d’une peine.

3.        Dans les présentes conclusions, nous proposerons à la Cour de dire pour droit que les articles 18 et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause dans le litige au principal, lorsqu’un État membre dans lequel un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre, s’est déplacé, se voit adresser une demande d’extradition par un État tiers aux fins d’exécution d’une peine d’emprisonnement qui a été prononcée dans cet État, l’État membre requis est tenu d’examiner si, au regard des liens de rattachement de la personne condamnée avec cet État, l’exécution de la peine dans cet État membre serait de nature à favoriser la réinsertion sociale de cette personne. Si tel est le cas, ledit État membre doit mettre en œuvre l’ensemble des instruments de coopération internationale en matière pénale dont il dispose à l’égard de l’État tiers requérant afin d’obtenir le consentement de ce dernier à ce que la peine en cause soit exécutée sur son territoire, le cas échéant après avoir été adaptée en fonction de la peine prévue par sa législation pénale pour une infraction de même nature.

I.      Le cadre juridique

A.      La convention européenne d’extradition

4.        L’article 1er de la convention européenne d’extradition du Conseil de l’Europe, du 13 décembre 1957 (3), est ainsi libellé :

« Les Parties contractantes s’engagent à se livrer réciproquement, selon les règles et sous les conditions déterminées par les articles suivants, les individus qui sont poursuivis pour une infraction ou recherchés aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté par les autorités judiciaires de la Partie requérante. »

5.        L’article 6 de la convention européenne d’extradition, intitulé « Extradition des nationaux », prévoit :

« 1.      a)      Toute Partie contractante aura la faculté de refuser l’extradition de ses ressortissants.

b)      Chaque Partie contractante pourra, par une déclaration faite au moment de la signature ou du dépôt de son instrument de ratification ou d’adhésion, définir, en ce qui la concerne, le terme “ressortissants” au sens de la présente [c]onvention.

c)      La qualité de ressortissant sera appréciée au moment de la décision sur l’extradition. [...]

2.      Si la Partie requise n’extrade pas son ressortissant, elle devra, sur la demande de la Partie requérante, soumettre l’affaire aux autorités compétentes afin que des poursuites judiciaires puissent être exercées s’il y a lieu. À cet effet, les dossiers, informations et objets relatifs à l’infraction seront adressés gratuitement par la voie prévue au paragraphe 1 de l’article 12. La Partie requérante sera informée de la suite qui aura été donnée à sa demande. »

6.        Concernant l’article 6 de la convention européenne d’extradition, la République de Finlande a fait la déclaration suivante :

« Au sens de la présente [c]onvention, le terme “ressortissants” désigne les nationaux de la Finlande, du Danemark, de l’Islande, de la Norvège et de la Suède ainsi que les étrangers domiciliés dans ces États. »

B.      Le droit finlandais

7.        Aux termes de l’article 9, troisième alinéa, de la Suomen perustuslaki (constitution finlandaise) (1999/731), « [a]ucun citoyen finlandais ne peut contre sa volonté être extradé ou transféré vers un autre pays. La loi peut néanmoins prévoir qu’un citoyen finlandais peut, en raison d’une infraction ou aux fins d’une procédure [...], être extradé ou transféré vers un pays dans lequel ses droits fondamentaux et sa protection juridictionnelle sont garantis ».

8.        La laki rikoksen johdosta tapahtuvasta luovuttamisesta (loi relative à l’extradition pour infraction) (456/1970) (4), du 7 juillet 1970, dispose, à son article 2, qu’un citoyen finlandais ne peut être extradé.

9.        L’article 14, premier alinéa, de la loi sur l’extradition prévoit :

« L’Oikeusministeriö [(ministère de la Justice, Finlande)] décide s’il y a lieu d’accueillir la demande d’extradition. »

10.      L’article 16, premier alinéa, de la loi sur l’extradition dispose :

« Si, lors de l’enquête ou dans un acte transmis au ministère de la Justice avant qu’il ne soit statué sur l’affaire, la personne faisant l’objet d’une demande d’extradition a déclaré qu’elle considère que les conditions légales de l’extradition ne sont pas réunies, le ministère, si la demande d’extradition n’est pas immédiatement rejetée, saisit pour avis le Korkein oikeus [(Cour suprême, Finlande)] avant de statuer sur l’affaire. Le ministère peut solliciter un avis également dans d’autres cas lorsqu’il l’estime nécessaire. »

11.      Aux termes de l’article 17 de la loi sur l’extradition, « [l]e Korkein oikeus [(Cour suprême)] examine si la demande d’extradition peut être accueillie en tenant compte des dispositions des articles 1er à 10 de la présente loi et des dispositions équivalentes d’un accord international auquel la Finlande est partie. Si le Korkein oikeus [(Cour suprême)] considère qu’il existe un obstacle à l’extradition, la demande d’extradition ne peut être accueillie ».

12.      Par ailleurs, une peine privative de liberté prononcée par une juridiction d’un État ne faisant pas partie de l’Union peut être exécutée en Finlande en application de la laki kansainvälisestä yhteistoiminnasta eräiden rikosoikeudellisten seuraamusten täytäntöönpanossa (loi relative à la coopération internationale sur l’exécution de certaines sanctions pénales) (21/1987), du 16 janvier 1987. L’article 3 de cette loi est ainsi rédigé :

« Une peine prononcée par une juridiction d’un État étranger peut être exécutée en Finlande si :

1)      La condamnation a acquis force de chose jugée et est exécutoire dans l’État dans lequel elle a été prononcée ;

[...]

3)      L’État dans lequel la peine a été prononcée l’a demandé ou y a consenti.

Une peine privative de liberté peut être exécutée en Finlande conformément au premier alinéa si la personne condamnée est un citoyen finlandais ou un ressortissant étranger résidant de manière permanente en Finlande et si la personne condamnée y a consenti. [...] »

II.    Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

13.      Le 1er février 2011, M. Raugevicius, qui possède les nationalités lituanienne et russe, a été jugé coupable en Russie d’une infraction en matière de stupéfiants en raison de la détention, sans intention de vente, d’un mélange contenant 3,04 grammes d’héroïne. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis.

14.      Le 16 novembre 2011, une juridiction de la région de Leningrad (Russie) a levé le sursis en raison du non-respect d’obligations de surveillance et a condamné M. Raugevicius à une peine d’emprisonnement de quatre ans.

15.      Le 12 juillet 2016, un mandat d’arrêt international a été émis à l’encontre de M. Raugevicius.

16.      Le 12 décembre 2016, M. Raugevicius a été condamné par un käräjäoikeus (tribunal de première instance, Finlande) à une interdiction de voyager en dehors du pays.

17.      Le 27 décembre 2016, la Fédération de Russie a adressé à la République de Finlande une demande d’extradition, par laquelle elle demandait que M. Raugevicius soit arrêté et extradé vers la Russie à des fins d’exécution d’une peine privative de liberté.

18.      M. Raugevicius s’est opposé à son extradition en invoquant notamment le fait qu’il vivait en Finlande depuis déjà longtemps et qu’il avait dans cet État membre deux enfants ressortissants finlandais.

19.      Le 7 février 2017, le ministère de la Justice a sollicité auprès du Korkein oikeus (Cour suprême) un avis sur la question de savoir s’il existe un obstacle juridique à l’extradition de M. Raugevicius en Russie.

20.      Le Korkein oikeus (Cour suprême) expose que, lorsqu’il intervient en donnant son avis dans le cadre d’une demande d’extradition, son statut est différent de celui qui est normalement le sien en matière juridictionnelle. Toutefois, il estime que, même dans ce cadre, il doit être qualifié de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, au regard de la jurisprudence de la Cour (5), compte tenu de son origine légale, de sa permanence, du caractère obligatoire de sa juridiction, de la nature contradictoire de la procédure, de l’application de règles de droit ainsi que de son indépendance. Le Korkein oikeus (Cour suprême) ajoute qu’il est bien confronté à un litige, M. Raugevicius ayant contesté les conditions légales de son extradition et le ministère de la Justice ayant considéré qu’il n’y avait pas lieu de rejeter immédiatement la demande d’extradition. Enfin, l’avis qu’il doit rendre est contraignant, en ce sens que la demande d’extradition ne saurait être accueillie s’il estime qu’il existe un obstacle à l’extradition. Dans ces conditions, le Korkein oikeus (Cour suprême) considère qu’il est appelé à statuer dans le cadre d’une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel.

21.      Le Korkein oikeus (Cour suprême) relève que la demande d’extradition est fondée sur la convention européenne d’extradition et que cette dernière, comme d’autres conventions internationales, n’impose pas à un État qui refuse l’extradition de ses propres ressortissants d’adopter des mesures visant à l’exécution d’une peine prononcée dans un autre État. Il n’existe pas de convention en matière d’extradition entre l’Union et la Fédération de Russie, et la République de Finlande n’a pas non plus signé d’accord d’extradition bilatéral avec la Fédération de Russie.

22.      Selon le Korkein oikeus (Cour suprême), les conventions internationales concernant la reconnaissance des décisions pénales et le transfèrement des personnes condamnées sont susceptibles d’être pertinentes, l’objectif de ces conventions étant de garantir que la personne condamnée puisse purger sa peine dans l’État dont elle est ressortissante ou dans l’État dans lequel elle réside, ce qui peut favoriser sa réhabilitation et sa réinsertion sociale.

23.      Le Korkein oikeus (Cour suprême) relève que, dans l’arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (6), la Cour s’est prononcée pour la première fois sur les effets du droit de l’Union sur l’extradition hors de l’Union d’un ressortissant de celle-ci effectuée sur la base d’un accord d’extradition international conclu par l’État membre concerné. Il rappelle que cet arrêt portait sur une demande d’extradition adressée par un État tiers à des fins de mesures de poursuite d’une infraction.

24.      Or, le Korkein oikeus (Cour suprême) doit à présent se pencher sur une situation différente. Le problème auquel il est confronté est dès lors de savoir si les orientations données par la Cour dans son arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (7), peuvent directement s’appliquer aussi dans les cas dans lesquels un ressortissant de l’Union fait l’objet d’une demande d’extradition vers un État tiers aux fins de l’exécution d’une peine d’emprisonnement. Il convient donc de déterminer si les mécanismes de coopération en matière pénale du droit de l’Union peuvent être appliqués et, le cas échéant, de quelle manière, dans un cas dans lequel l’infraction a déjà fait l’objet, dans un État tiers, d’une décision exécutoire.

25.      Le Korkein oikeus (Cour suprême) rappelle que, en vertu de l’article 21 TFUE, tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Le risque qu’un tel citoyen puisse être extradé vers un État tiers s’il quitte l’État membre dont il est ressortissant pour le territoire d’un autre État membre est susceptible d’affecter sa liberté de circulation. Le Korkein oikeus (Cour suprême) considère que, s’agissant de cette entrave à la liberté de circulation, il importe peu que la demande d’extradition concerne des mesures de poursuite ou l’exécution d’une peine dans un État tiers. Par ailleurs, la circonstance que l’intéressé possède également la nationalité de l’État tiers qui demande son extradition ne serait pas pertinente pour l’examen de sa situation au regard du droit de l’Union. Le Korkein oikeus (Cour suprême) souhaite, cependant, obtenir de la Cour une confirmation sur ces points.

26.      Cette juridiction souligne qu’il existe une différence de traitement entre un ressortissant finlandais et un ressortissant d’un autre État membre, puisque seul ce dernier peut être extradé en vertu du droit finlandais. Or, ladite juridiction observe que, dans une situation qui relève du droit de l’Union, les ressortissants nationaux et ceux des autres États membres ne peuvent être placés dans une situation différente que s’il existe des motifs justificatifs admis en vertu de la jurisprudence de la Cour. À cet égard, le Korkein oikeus (Cour suprême) mentionne l’objectif d’éviter le risque d’impunité des personnes ayant commis une infraction, qui a été considéré comme un objectif légitime dans l’arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (8). L’extradition à des fins de poursuites comme celle à des fins d’exécution d’une condamnation répondent à cet objectif. Il convient donc, selon cette juridiction, d’examiner si, au regard de l’exécution d’une peine, les ressortissants finlandais sont dans une situation qui se distingue de celle des ressortissants d’autres États membres.

27.      À cet égard, le Korkein oikeus (Cour suprême) relève que, alors qu’il existe, en principe, dans les accords internationaux d’extradition une obligation de poursuivre le ressortissant national s’il n’est pas extradé, il n’existe pas d’obligation de faire exécuter la peine sur le territoire national en cas de refus d’extrader. Cela ressort notamment de l’article 6, paragraphe 2, de la convention européenne d’extradition. En outre, la République de Finlande, comme de nombreux autres États membres, n’est pas partie à une convention telle que celle sur la valeur internationale des jugements répressifs (9), dont découlerait une obligation générale d’exécuter les condamnations prononcées dans d’autres États.

28.      Le Korkein oikeus (Cour suprême) ajoute que, en droit finlandais, l’exécution d’une condamnation étrangère prononcée dans un État tiers exige le consentement non seulement de l’État ayant prononcé la condamnation, mais aussi de l’État d’exécution ainsi que celui de la personne condamnée, sauf dans des circonstances exceptionnelles qui ne sont pas en cause ici. Il apparaîtrait ainsi que la protection contre l’extradition dont bénéficient uniquement les ressortissants nationaux n’est justifiée ni par une obligation de l’État ni par une possibilité réelle de faire exécuter sur le territoire finlandais des peines prononcées à l’étranger à l’égard de ses propres ressortissants.

29.      Le Korkein oikeus (Cour suprême) note également que, lorsqu’une demande d’extradition est présentée aux fins de l’exécution d’une peine d’emprisonnement, l’application d’un mécanisme de coopération fondé sur l’engagement de poursuites implique l’introduction d’une nouvelle procédure pour la même infraction,qui pourrait se heurter au principe ne bis in idem. En effet, même si ce principe, qui figure à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s’applique entre États membres de l’Union et n’est pas consacré de la même manière en dehors de celle-ci, certains États membres le respectent néanmoins également en cas de condamnation prononcée dans un État tiers.

30.      Par ailleurs, l’engagement de poursuites dans l’État membre requis peut être impossible pour d’autres raisons juridiques. Par exemple, dans la présente affaire, si M. Raugevicius était un citoyen finlandais, il ne pourrait être poursuivi en Finlande, bien que, s’agissant des infractions commises à l’étranger, la République de Finlande ait un droit d’exercer des poursuites qui repose sur la nationalité. En effet, compte tenu de ce que l’infraction ne concernait qu’une faible quantité de produits stupéfiants destinés à une consommation personnelle, le droit d’exercer des poursuites en Finlande serait prescrit en application du droit national.

31.      Le Korkein oikeus (Cour suprême) se demande s’il est approprié de mettre en œuvre le mécanisme de coopération, tel qu’indiqué par la Cour dans son arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (10), à des fins de poursuites dans le cas dans lequel l’infraction a déjà fait l’objet d’une condamnation prononcée dans un État tiers.

32.      Cette juridiction indique qu’il apparaît possible, dans la logique de l’arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (11), d’informer l’État membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité et d’attendre de voir s’il émet un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites, voire aux fins d’exécuter la décision pénale, selon son droit national. Mais, dans ce cas, la question se pose de savoir dans quel délai cet État membre doit prendre sa décision, dans l’intérêt même de la personne visée par la demande d’extradition. En outre, dans un cas tel que celui de l’espèce, il ne serait pas certain que l’État membre dont l’intéressé a la nationalité considère qu’il y a lieu pour lui d’engager des poursuites, en raison notamment de la prescription du droit de poursuivre ou de l’application nationale du principe ne bis in idem. Dans un tel cas, il conviendrait de savoir si l’État requis est alors tenu d’extrader le ressortissant d’un autre État membre ou s’il doit au contraire refuser l’extradition, et quels facteurs concrets il y a lieu de prendre en considération.

33.      Dans ces conditions, le Korkein oikeus (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les règles nationales en matière d’extradition pour infraction doivent-elles être examinées au regard de la liberté de circulation des ressortissants d’un autre État membre de la même façon, indépendamment de la question de savoir si une demande d’extradition adressée par un État tiers au titre d’un accord d’extradition concerne l’exécution d’une peine d’emprisonnement ou, ainsi que cela était le cas dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630), des mesures de poursuite ? Est-il pertinent que la personne requise soit un ressortissant non seulement de l’Union, mais également de l’État requérant ?

2)      Une législation nationale en vertu de laquelle seuls les ressortissants nationaux ne sont pas extradés hors de l’Union aux fins de l’exécution d’une peine défavorise-t-elle de manière injustifiée les ressortissants d’un autre État membre ? Des mécanismes du droit de l’Union permettant d’atteindre de manière moins contraignante un objectif légitime en tant que tel doivent-ils être appliqués aussi en cas d’exécution ? Quelle suite appelle une demande d’extradition dans un cas de figure dans lequel l’autre État membre a été informé, en application de tels mécanismes, de la demande d’extradition, mais, par exemple en raison d’obstacles juridiques, ne prend pas de mesures à l’égard de son ressortissant ? »

III. Notre analyse

34.      Nous rappelons que l’enjeu des questions préjudicielles posées par le Korkein oikeus (Cour suprême) est de savoir s’il existe un obstacle juridique à l’extradition de M. Raugevicius vers la Russie, auquel cas les autorités finlandaises ne seraient pas en mesure d’accueillir la demande d’extradition formulée par cet État tiers.

35.      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 18 et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens que, afin de répondre à une demande d’extradition entrant dans le champ d’application de la convention européenne d’extradition et qui a été formulée par un État tiers en vue de l’exécution d’une peine prononcée dans cet État, les ressortissants d’un État membre autre que l’État membre requis doivent bénéficier de la règle qui interdit l’extradition par ce dernier État membre de ses propres ressortissants.

36.      À titre liminaire, nous observons que la peine à exécuter est issue d’une décision prononcée par une juridiction de la région de Leningrad (Russie), qui a levé la peine d’emprisonnement avec sursis à laquelle M. Raugevicius avait été condamné le 1er février 2011, en condamnant ce dernier à une peine d’emprisonnement de quatre ans. Le prononcé de cette nouvelle peine paraissant motivé par le non-respect par M. Raugevicius d’obligations de surveillance, il est probable que la seconde peine a été prononcée en l’absence de ce dernier. Si ce constat devait être confirmé par la juridiction de renvoi, il y aurait lieu pour elle d’examiner si la décision pénale à exécuter a été rendue en conformité avec le droit à un procès équitable.

37.      Cela étant précisé, il ressort de l’arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (12), que, en l’absence de convention internationale entre l’Union et l’État tiers concerné, les règles en matière d’extradition relèvent de la compétence des États membres (13).

38.      Toutefois, dans des situations relevant du droit de l’Union, les règles nationales concernées doivent respecter ce dernier (14).

39.      Ainsi, les situations tombant dans le domaine d’application de l’article 18 TFUE, lu en combinaison avec les dispositions du traité FUE sur la citoyenneté de l’Union, comprennent celles relevant de l’exercice de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres, telle que conférée par l’article 21 TFUE (15).

40.      Il y a lieu, par conséquent, de considérer que la situation d’un citoyen de l’Union, tel que M. Raugevicius, ressortissant lituanien, qui a fait usage de son droit de circuler librement dans l’Union en s’installant dans un autre État membre que celui dont il a la nationalité, relève du domaine d’application des traités, au sens de l’article 18 TFUE.

41.      Ce constat n’est nullement affecté par la circonstance, soulignée par le Korkein oikeus (Cour suprême), que l’intéressé a également la nationalité de l’État tiers qui demande son extradition. En effet, la double nationalité d’un État membre et d’un État tiers ne saurait priver l’intéressé des libertés qu’il tire du droit de l’Union en tant que ressortissant d’un État membre (16). Est également sans influence sur la détermination du champ d’application du droit de l’Union le fait que, à la différence de ce qui était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (17), la demande d’extradition en cause au principal a été effectuée à des fins d’exécution d’une peine privative de liberté et non à des fins de poursuites pénales.

42.      Dans le domaine d’application des traités, l’article 18 TFUE prohibe toute discrimination exercée en raison de la nationalité.

43.      La convention européenne d’extradition permet, en vertu de son article 6, paragraphe 1, sous a), aux États parties de refuser l’extradition de leurs propres ressortissants. Cela étant, ce pouvoir doit être exercé conformément au droit primaire et, en particulier, aux règles du traité FUE en matière d’égalité de traitement et de liberté de circulation des citoyens de l’Union (18).

44.      Ainsi, l’application par un État membre d’une disposition de son droit national selon laquelle aucun ressortissant national n’est extradé doit être conforme au traité FUE, notamment aux articles 18 et 21 de celui-ci (19).

45.      À cet égard, la Cour a jugé que les règles nationales d’extradition d’un État membre qui introduisent une différence de traitement selon que la personne concernée est un ressortissant de cet État membre ou un ressortissant d’un autre État membre, en ce qu’elles conduisent à ne pas accorder aux ressortissants d’autres États membres qui se sont déplacés sur le territoire de l’État membre requis la protection contre l’extradition dont jouissent les ressortissants de ce dernier État membre, sont susceptibles d’affecter la liberté des premiers de circuler dans l’Union (20).

46.      Il s’ensuit que, dans une situation telle que celle en cause au principal, l’inégalité de traitement consistant à permettre l’extradition d’un citoyen de l’Union, ressortissant d’un État membre autre que l’État membre requis, tel que M. Raugevicius, se traduit par une restriction à la liberté de circulation, au sens de l’article 21 TFUE (21).

47.      Une telle restriction ne peut être justifiée que si elle se fonde sur des considérations objectives et est proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par les règles nationales d’extradition en cause (22).

48.      La Cour a reconnu que l’objectif d’éviter le risque d’impunité des personnes ayant commis une infraction s’inscrit dans le cadre de la prévention de la criminalité et de la lutte contre ce phénomène. Cet objectif doit être considéré, dans le contexte de l’espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, visé à l’article 3, paragraphe 2, TUE, comme présentant un caractère légitime en droit de l’Union (23).

49.      Toutefois, des mesures restrictives d’une liberté fondamentale, telle que celle prévue à l’article 21 TFUE, ne peuvent être justifiées par des considérations objectives que si elles sont nécessaires pour la protection des intérêts qu’elles visent à garantir et seulement dans la mesure où ces objectifs ne peuvent être atteints par des mesures moins restrictives (24).

50.      Au regard de la jurisprudence de la Cour, telle que nous venons de la décrire, la question se pose donc de savoir si la République de Finlande peut agir à l’égard de M. Raugevicius de manière moins attentatoire à l’exercice de son droit à la libre circulation qu’en décidant de l’extrader vers la Russie.

51.      Dans la détermination du point de savoir s’il existe une mesure alternative moins attentatoire à l’exercice des droits conférés par l’article 21 TFUE qui permettrait d’atteindre aussi efficacement qu’une décision d’extradition l’objectif consistant à éviter le risque d’impunité d’une personne condamnée à une peine privative de liberté dans un État tiers, la Cour a, dans son arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (25), à propos d’une demande d’extradition à des fins de poursuites pénales, jugé qu’il importe de privilégier l’échange d’informations avec l’État membre dont l’intéressé a la nationalité en vue, le cas échéant, de donner aux autorités de cet État membre l’opportunité d’émettre un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites. Ainsi, selon la Cour, lorsqu’un État membre dans lequel un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre, s’est déplacé, se voit adresser une demande d’extradition par un État tiers avec lequel le premier État membre a conclu un accord d’extradition, il est tenu d’informer l’État membre dont ledit citoyen est ressortissant et, le cas échéant, à la demande de ce dernier État membre, de lui remettre ce citoyen, conformément aux dispositions de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (26), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (27), pourvu que cet État membre soit compétent, en vertu de son droit national, pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (28).

52.      Dans son arrêt du 10 avril 2018, Pisciotti (29), la Cour a jugé que cette solution, dégagée dans un contexte qui se caractérisait par l’absence d’accord international en matière d’extradition entre l’Union et l’État tiers concerné, a vocation à s’appliquer dans une situation dans laquelle un tel accord confère à l’État membre requis le pouvoir de ne pas extrader ses propres ressortissants.

53.      Les circonstances propres à la présente affaire empêchent toutefois, selon nous, de considérer que l’activation du mécanisme de coopération entre l’État membre requis et l’État membre dont l’intéressé a la nationalité, tel qu’il a été mis en exergue par la Cour dans son arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (30), puisse être considérée comme étant une alternative appropriée à l’extradition.

54.      En effet, ce mécanisme repose, comme nous l’avons vu, sur une information par l’État membre requis de l’État membre dont l’intéressé a la nationalité en vue de donner aux autorités de ce dernier l’opportunité d’émettre, le cas échéant, un mandat d’arrêt européen à des fins de poursuites pénales.

55.      Or, nous rappelons que la demande d’extradition en cause au principal vise à l’exécution de la peine à laquelle M. Raugevicius a été condamné en Russie. Il y a dès lors lieu de rechercher non pas si de nouvelles poursuites pénales pourraient être diligentées contre M. Raugevicius par les autorités judiciaires de l’État membre dont il a la nationalité, à savoir la République de Lituanie, mais plutôt si l’exécution de cette peine au sein de l’Union constitue ou non une mesure alternative à l’extradition. Nous soulignons également qu’une solution qui viserait à donner la possibilité aux autorités judiciaires lituaniennes d’émettre un mandat d’arrêt européen aux fins d’exercer de nouvelles poursuites pénales à l’encontre de M. Raugevicius irait à l’encontre du principe ne bis in idem.

56.      Il ne nous paraît pas non plus envisageable d’échafauder un mécanisme par lequel les autorités judiciaires lituaniennes auraient la possibilité d’émettre un mandat d’arrêt européen aux fins d’exécution de la peine sur le territoire lituanien. Outre l’obstacle juridique que constitue le fait que la peine à exécuter a été prononcée par une juridiction d’un État tiers, nous relevons que, dans une telle hypothèse, les autorités finlandaises seraient fondées à invoquer le motif de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen, figurant à l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, en vertu duquel l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un tel mandat délivré aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté lorsque la personne recherchée « demeure dans l’État membre d’exécution, en est ressortissante ou y réside » et que cet État s’engage à faire exécuter cette peine conformément à son droit interne.

57.      La Cour a déjà dit pour droit que ce motif de non-exécution facultative a notamment pour but de permettre à l’autorité judiciaire d’exécution d’accorder une importance particulière à la possibilité d’accroître les chances de réinsertion sociale de la personne recherchée à l’expiration de la peine à laquelle cette dernière a été condamnée (31).

58.      À cet égard, il importe de souligner que, ainsi que le Korkein oikeus (Cour suprême) l’indique dans sa décision de renvoi, M. Raugevicius s’est opposé à son extradition en invoquant notamment le fait qu’il vit en Finlande depuis déjà longtemps et qu’il a dans cet État membre deux enfants qui sont des ressortissants finlandais.

59.      Ces éléments factuels n’ont pas été remis en cause au cours de la présente procédure. Par ailleurs, nous relevons que la Cour n’a pu interroger, au cours de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 14 mai 2018, ni la République de Finlande ni le représentant de M. Raugevicius afin de se faire confirmer ces éléments et de faire préciser les liens de rattachement existant entre M. Raugevicius et cet État membre, dans la mesure où aucune de ces deux parties n’a estimé utile de participer à cette audience. Nous nous appuierons donc sur les seuls éléments factuels dont nous disposons, à savoir ceux qui ressortent de la décision de renvoi.

60.      La circonstance que M. Raugevicius vit en Finlande depuis déjà longtemps et qu’il a dans cet État membre deux enfants ressortissants finlandais nous conduit à considérer que, afin de favoriser sa réinsertion sociale une fois sa peine purgée, c’est sur le territoire finlandais que la condamnation prononcée en Russie devrait être exécutée, le cas échéant après avoir été adaptée en fonction de la peine prévue par la législation pénale finlandaise pour une infraction de même nature.

61.      La réponse à apporter par la République de Finlande à la demande d’extradition formulée par les autorités russes doit donc tenir compte de la fonction de réinsertion de la peine, laquelle est étroitement liée à la notion de « dignité humaine », consacrée à l’article 1er de la charte des droits fondamentaux.

62.      L’exécution d’une peine intervient après le prononcé définitif de la condamnation. Il s’agit donc de la dernière phase du processus pénal, celle durant laquelle il est donné effet à la sentence.

63.      Elle recouvre l’ensemble des mesures de nature, d’une part, à garantir l’exécution matérielle de la peine et, d’autre part, à assurer la réinsertion sociale de la personne condamnée. Dans ce cadre, les autorités judiciaires compétentes sont amenées à fixer les modalités relatives au déroulement de la peine et à l’aménagement de celle-ci, en décidant, par exemple, du placement à l’extérieur, des permissions de sortie, de la semi-liberté, du fractionnement et de la suspension de la peine, des mesures de libération anticipée ou conditionnelle du détenu ou du placement sous surveillance électronique. Le droit de l’exécution des peines recouvre également les mesures susceptibles d’être adoptées après la libération de la personne condamnée, telles que sa mise sous surveillance judiciaire ou encore sa participation à des programmes de réhabilitation, ou les mesures d’indemnisation en faveur des victimes.

64.      Dans cette optique, l’ensemble des mesures relatives à l’exécution et à l’aménagement des peines sont individualisées par les autorités judiciaires de façon à favoriser, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, outre la prévention de la récidive, l’insertion ou la réinsertion sociale de la personne condamnée.

65.      L’exécution de la peine dans l’État membre où l’intéressé réside avec sa famille contribue à réduire le fossé entre celui-ci et la communauté qu’il réintégrera une fois sa peine exécutée. La fixation de ce lieu pour l’exécution de la peine est nécessaire pour maintenir le lien social que l’intéressé a tissé, qui a permis son inclusion dans la société concernée et qui favorisera donc sa réinsertion sociale après que la peine privative de liberté aura été purgée.

66.      Le transfèrement constitue une mesure d’exécution de la peine (32). Elle permet l’individualisation de la peine, avec pour objectif de favoriser la réinsertion sociale de la personne condamnée.

67.      Ainsi que la Cour l’a déjà relevé, la réinsertion sociale du citoyen de l’Union dans l’État membre où il est véritablement intégré est dans l’intérêt non seulement de ce dernier, mais également de l’Union en général (33).

68.      L’importance accordée par le législateur de l’Union à l’objectif de réinsertion sociale est explicitement confirmée, notamment, par la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne (34), dont l’article 3, paragraphe 1, précise qu’elle a pour but de « faciliter la réinsertion sociale de la personne condamnée ».

69.      En outre, la Cour européenne des droits de l’homme a mis en exergue l’obligation pour les États membres de prendre en compte l’objectif de réinsertion des détenus dans l’élaboration de leurs politiques pénales (35).

70.      Au regard de l’objectif consistant à accroître les chances de réinsertion sociale d’une personne condamnée à une peine privative de liberté dans un État tiers, les ressortissants de l’État membre requis et les ressortissants d’autres États membres qui résident dans cet État ne devraient pas, en principe, être traités différemment (36).

71.      En effet, les ressortissants d’autres États membres qui ont un lien réel, stable et durable avec la société de l’État membre requis se trouvent dans une situation comparable à celle des ressortissants de ce dernier État membre. Les traiter différemment en ne leur donnant pas les mêmes chances de réinsertion sociale serait, dès lors, constitutif d’une discrimination en raison de la nationalité contraire à l’article 18 TFUE. Il apparaît antinomique avec la notion même de « citoyenneté de l’Union » de prétendre que seules les personnes qui disposent de la nationalité de l’État membre requis sont à même de présenter un tel lien (37).

72.      La fonction de réinsertion de la peine apparaît ainsi comme étant une règle égalisatrice qui, en tant que telle, est inhérente au statut de citoyen de l’Union.

73.      Nous soulignons, à cet égard, qu’une différence de traitement entre les ressortissants finlandais et les ressortissants d’autres États membres qui résident en Finlande ne saurait être justifiée, en l’espèce, par l’objectif d’éviter l’impunité des personnes ayant commis une infraction, tel qu’il a été mis en exergue par la Cour dans son arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (38).

74.      En effet, l’exécution sur le territoire finlandais de la peine prononcée en Russie à l’égard de M. Raugevicius paraît envisageable à deux titres.

75.      En premier lieu, une telle possibilité nous paraît découler des règles figurant dans la convention sur le transfèrement des personnes condamnées du Conseil de l’Europe, du 21 mars 1983 (39).

76.      Conformément à ce qui est indiqué dans son préambule, cette convention institue une coopération internationale en matière pénale qui « doit servir les intérêts d’une bonne administration de la justice et favoriser la réinsertion sociale des personnes condamnées ».

77.      Parmi les conditions du transfèrement, l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées prévoit celle selon laquelle « le condamné doit être ressortissant de l’État d’exécution ». En vertu de l’article 3, paragraphe 4, de cette même convention, « [t]out État peut, à tout moment, par une déclaration adressée au Secrétaire [g]énéral du Conseil de l’Europe, définir, en ce qui le concerne, le terme “ressortissant”, aux fins de la présente [c]onvention » (40). Or, par une déclaration déposée le 29 janvier 1987, la République de Finlande a indiqué que, « [c]onformément à l’article 3, paragraphe 4, [elle] entend par le terme “ressortissant” un ressortissant de l’État d’exécution et les étrangers qui ont leur domicile dans l’État d’exécution » (41).

78.      La République de Finlande a donc fait le choix d’étendre le bénéfice des dispositions de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées aux « étrangers qui ont leur domicile » sur son territoire.

79.      Dans le cadre de l’examen de la possibilité d’exécuter la peine en Finlande, il devrait également être tenu compte, le cas échéant, du protocole additionnel à la convention sur le transfèrement des personnes condamnées, du 18 décembre 1997 (42), dont l’article 2 concerne les personnes évadées de l’État de condamnation.

80.      En second lieu et en tout état de cause, la possibilité d’exécuter sur le territoire finlandais la peine prononcée en Russie à l’égard de M. Raugevicius découle de la loi relative à la coopération internationale sur l’exécution de certaines sanctions pénales, dont l’article 3 prévoit qu’une peine prononcée par une juridiction d’un État étranger peut être exécutée en Finlande si la condamnation a acquis force de chose jugée et est exécutoire dans l’État dans lequel elle a été prononcée et si l’État dans lequel la peine a été prononcée l’a demandé ou y a consenti. En vertu de ce même article, une peine privative de liberté peut être exécutée en Finlande si la personne condamnée est un citoyen finlandais ou un ressortissant étranger résidant de manière permanente en Finlande et si la personne condamnée y a consenti.

81.      Il résulte des éléments qui précèdent que, afin de garantir l’objectif d’éviter le risque d’impunité des personnes ayant commis une infraction et celui consistant à accroître les chances de réinsertion sociale de la personne recherchée à l’expiration de la peine à laquelle cette dernière a été condamnée, il n’y a pas lieu, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, de solliciter un mécanisme de coopération, inspiré de celui dégagé par la Cour dans son arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (43), entre l’État membre requis et l’État membre dont l’intéressé a la nationalité, dont la mise en œuvre pratique est complexe et dont les conséquences sont incertaines. En effet, compte tenu des liens de rattachement que M. Raugevicius semble avoir avec la Finlande, il n’y aurait aucun intérêt, ni du point de vue de la lutte contre l’impunité, ni de celui de la réinsertion sociale, à encourager l’exécution en Lituanie de la peine infligée à celui-ci. C’est pourquoi nous considérons que, dans ce contexte, il n’apparaît pas nécessaire d’informer l’État membre dont l’intéressé a la nationalité afin de lui offrir l’opportunité d’émettre un mandat d’arrêt européen en vue de l’exercice de poursuites pénales ou de l’exécution d’une peine.

82.      En revanche, l’État membre qui doit répondre à une demande d’extradition dans ces circonstances est tenu, en vertu des articles 18 et 21 TFUE, d’utiliser l’ensemble des instruments de coopération internationale en matière pénale dont il dispose à l’égard de l’État tiers requérant afin d’obtenir le consentement de ce dernier pour que la peine d’emprisonnement infligée à l’intéressé soit exécutée sur son territoire, le cas échéant après avoir été adaptée en fonction de la peine prévue par sa législation pénale pour une infraction de même nature. En coopérant de la sorte avec l’État tiers qui demande l’extradition en vue de faire exécuter la peine sur son territoire, l’État membre requis agit de manière moins attentatoire à l’exercice du droit à la libre circulation tout en évitant, dans la mesure du possible, le risque que, faute d’exécution de la peine, l’infraction ayant donné lieu à la condamnation demeure impunie. En agissant ainsi, l’État membre requis favorise la réinsertion sociale de la personne condamnée, une fois sa peine purgée. Il nous paraît dès lors fondamental de tenir compte de l’objectif visant à favoriser la réinsertion sociale de façon concomitante à celui tendant à lutter contre l’impunité, en privilégiant la solution propre à atteindre ces deux objectifs.

83.      En somme, dans la vérification du point de savoir si des mesures alternatives moins attentatoires à la libre circulation d’un citoyen de l’Union qu’une extradition de ce dernier permettent d’atteindre de manière aussi efficace l’objectif d’éviter le risque d’impunité des personnes ayant commis une infraction, la juridiction de renvoi doit tenir compte d’un autre objectif, tout aussi fondamental en droit de l’Union, à savoir celui visant à faciliter la réinsertion sociale des personnes condamnées. Dans cette perspective, il convient, comme la Commission européenne l’a relevé à juste titre, de ne pas examiner uniquement les formes de coopération interne en matière pénale qui sont en vigueur au sein de l’Union, mais également les formes de coopération en matière pénale entre les États membres et les États tiers résultant de conventions internationales, en particulier celles qui ont été conclues dans le cadre des organisations internationales avec lesquelles l’Union coopère.

84.      Nous ajoutons, pour finir, qu’une décision des autorités finlandaises qui refuserait d’accueillir la demande d’extradition formulée par la Fédération de Russie ne pourrait pas être considérée comme allant à l’encontre des dispositions de la convention européenne d’extradition.

85.      En effet, comme nous l’avons indiqué précédemment, l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la convention européenne d’extradition permet à la République de Finlande de refuser l’extradition de ses propres ressortissants. Il y a lieu de souligner que, conformément à la possibilité ouverte par l’article 6, paragraphe 1, sous b), de cette même convention, la République de Finlande a fait le choix de définir dans une déclaration le terme « ressortissants », au sens de ladite convention, comme désignant « les nationaux de la Finlande, du Danemark, de l’Islande, de la Norvège et de la Suède ainsi que les étrangers domiciliés dans ces États » (44).

86.      En l’occurrence, cette volonté égalisatrice au regard de la protection contre l’extradition exprimée par la République de Finlande dans cette déclaration ne peut pas, s’agissant d’un citoyen de l’Union tel que M. Raugevicius, rester lettre morte. Les articles 18 et 21 TFUE imposent à la République de Finlande de lui donner son plein effet.

87.      Nous considérons, par conséquent, que les articles 18 et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause dans le litige au principal, lorsqu’un État membre dans lequel un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre, s’est déplacé, se voit adresser une demande d’extradition par un État tiers aux fins d’exécution d’une peine d’emprisonnement qui a été prononcée dans cet État, l’État membre requis est tenu d’examiner si, au regard des liens de rattachement de la personne condamnée avec cet État, l’exécution de la peine dans cet État membre serait de nature à favoriser la réinsertion sociale de cette personne (45). Si tel est le cas, ledit État membre doit mettre en œuvre l’ensemble des instruments de coopération internationale en matière pénale dont il dispose à l’égard de l’État tiers requérant afin d’obtenir le consentement de ce dernier à ce que la peine en cause soit exécutée sur son territoire, le cas échéant après avoir été adaptée en fonction de la peine prévue par sa législation pénale pour une infraction de même nature.

IV.    Conclusion

88.      Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande) de la manière suivante :

Les articles 18 et 21 TFUE doivent être interprétés en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause dans le litige au principal, lorsqu’un État membre dans lequel un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre, s’est déplacé, se voit adresser une demande d’extradition par un État tiers aux fins d’exécution d’une peine d’emprisonnement qui a été prononcée dans cet État, l’État membre requis est tenu d’examiner si, au regard des liens de rattachement de la personne condamnée avec cet État, l’exécution de la peine dans cet État membre serait de nature à favoriser la réinsertion sociale de cette personne. Si tel est le cas, ledit État membre doit mettre en œuvre l’ensemble des instruments de coopération internationale en matière pénale dont il dispose à l’égard de l’État tiers requérant afin d’obtenir le consentement de ce dernier à ce que la peine en cause soit exécutée sur son territoire, le cas échéant après avoir été adaptée en fonction de la peine prévue par sa législation pénale pour une infraction de même nature.


1      Langue originale : le français.


2      C‑182/15, EU:C:2016:630.


3      Ci-après la « convention européenne d’extradition ».


4      Ci-après la « loi sur l’extradition ».


5      Le Korkein oikeus (Cour suprême) cite notamment, à cet égard, l’arrêt du 19 décembre 2012, Epitropos tou Elegktikou Synedriou (C‑363/11, EU:C:2012:825, point 18).


6      C‑182/15, EU:C:2016:630.


7      C‑182/15, EU:C:2016:630.


8      C‑182/15, EU:C:2016:630, point 37.


9      Convention européenne sur la valeur internationale des jugements répressifs du Conseil de l’Europe, signée à La Haye le 28 mai 1970.


10      C‑182/15, EU:C:2016:630.


11      C‑182/15, EU:C:2016:630.


12      C‑182/15, EU:C:2016:630.


13      Voir arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630, point 26).


14      Voir arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630, point 27).


15      Voir arrêt du 10 avril 2018, Pisciotti (C‑191/16, EU:C:2018:222, point 33).


16      Voir arrêt du 7 juillet 1992, Micheletti e.a. (C‑369/90, EU:C:1992:295, point 15).


17      C‑182/15, EU:C:2016:630.


18      Voir arrêt du 10 avril 2018, Pisciotti (C‑191/16, EU:C:2018:222, point 42).


19      Voir arrêt du 10 avril 2018, Pisciotti (C‑191/16, EU:C:2018:222, point 43).


20      Voir arrêt du 10 avril 2018, Pisciotti (C‑191/16, EU:C:2018:222, point 44 et jurisprudence citée).


21      Voir, par analogie, arrêt du 10 avril 2018, Pisciotti (C‑191/16, EU:C:2018:222, point 45 et jurisprudence citée).


22      Voir arrêt du 10 avril 2018, Pisciotti (C‑191/16, EU:C:2018:222, point 46 et jurisprudence citée).


23      Voir arrêt du 10 avril 2018, Pisciotti (C‑191/16, EU:C:2018:222, point 47 et jurisprudence citée).


24      Voir arrêt du 10 avril 2018, Pisciotti (C‑191/16, EU:C:2018:222, point 48 et jurisprudence citée).


25      C‑182/15, EU:C:2016:630.


26      JO 2002, L 190, p. 1.


27      JO 2009, L 81, p. 24, ci-après la « décision-cadre 2002/584 ».


28      Voir arrêt du 6 septembre 2016, Petruhhin (C‑182/15, EU:C:2016:630, points 48 et 50).


29      C‑191/16, EU:C:2018:222.


30      C‑182/15, EU:C:2016:630.


31      Voir, notamment, arrêt du 29 juin 2017, Popławski (C‑579/15, EU:C:2017:503, point 21 et jurisprudence citée).


32      Voir, à cet égard, Cour EDH, 27 juin 2006, Szabó c. Suède, CE:ECHR:2006:0627DEC002857803, p. 12.


33      Voir, notamment, arrêt du 17 avril 2018, B et Vomero (C‑316/16 et C‑424/16, EU:C:2018:256, point 75 et jurisprudence citée).


34      JO 2008, L 327, p. 27.


35      Voir, notamment, Cour EDH, 30 juin 2015, Khoroshenko c. Russie, CE:ECHR:2015:0630JUD004141804 (§ 121).


36      Voir, par analogie, s’agissant de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, arrêt du 5 septembre 2012, Lopes Da Silva Jorge (C‑42/11, EU:C:2012:517, point 40 et jurisprudence citée).


37      Voir, dans le même sens, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Lopes Da Silva Jorge (C‑42/11, EU:C:2012:151, points 50 et 51), qui relève, en outre, que « [l]a liberté de circulation et de séjour consacrée par le droit de l’Union a aussi pour corollaire le fait qu’il n’est aujourd’hui plus possible de présumer de manière irréfragable que les chances de réinsertion d’une personne condamnée sont les plus élevées dans le seul État dont ladite personne a la nationalité » (point 51).


38      C‑182/15, EU:C:2016:630, point 37.


39      Voir, par analogie, pour une prise en compte de cette convention en vue d’établir la possibilité pour un État membre d’exécuter une peine prononcée dans un autre État membre, arrêt du 5 septembre 2012, Lopes Da Silva Jorge (C‑42/11, EU:C:2012:517, points 44 à 49).


40      Le rapport explicatif de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées indique, à cet égard, que « [c]ette possibilité, correspondant à celle prévue par l’article 6[, paragraphe 1, sous b),] de la [c]onvention européenne d’extradition, doit être interprétée au sens large : il s’agit de permettre aux États contractants d’étendre l’application de la [c]onvention à des personnes autres que des “ressortissants”, au sens strict de la législation en matière de nationalité de l’État concerné, par exemple à des apatrides ou à des citoyens d’autres États mais qui ont des racines dans le pays parce qu’ils en sont des résidents permanents » (p. 4, § 20).


41      Italique ajouté par nos soins. L’existence d’une telle déclaration est relevée par la Cour dans son arrêt du 5 septembre 2012, Lopes Da Silva Jorge (C‑42/11, EU:C:2012:517, point 48).


42      Quant au protocole portant amendement au protocole additionnel à la convention sur le transfèrement des personnes condamnées, du 22 novembre 2017, il n’est pas à ce jour entré en vigueur.


43      C‑182/15, EU:C:2016:630.


44      Italique ajouté par nos soins.


45      L’État membre requis peut, à cet égard, s’appuyer, par analogie, sur les critères qui sont énumérés au considérant 9 de la décision-cadre 2008/909. Voir, à ce sujet, Martufi, A., « Assessing the resilience of “social rehabilitation” as a rationale for transfer : A commentary on the aims of Framework Decision 2008/909/JHA », New Journal of European Criminal Law, Sage Publishing, New York, 2018, vol. 9, issue 1, p. 43 à 61.