Language of document : ECLI:EU:F:2014:112

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE

22 mai 2014 (*)

« Fonction publique – Référé – Mise à la retraite – Refus de prolonger la période d’activité – Demande de sursis à exécution – Demande de mesures provisoires – Urgence – Absence »

Dans l’affaire F‑36/14 R,

ayant pour objet un recours introduit au titre des articles 278 TFUE et 157 EA, ainsi que de l’article 279 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

Hartwig Bischoff, fonctionnaire de la Commission européenne, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Mes C. Bernard-Glanz et A. Blot, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. J. Currall et Mme C. Ehrbar, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE

rend la présente

Ordonnance

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 18 avril 2014, M. Bischoff demande le sursis à l’exécution de la décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination de la Commission européenne (ci-après l’« AIPN »), du 28 mars 2014, « prise ensemble » avec la décision du directeur général de la direction générale (DG) « Entreprises et industrie », du 7 avril 2014, rejetant sa demande de prolongation de service et, partant, confirmant sa mise à la retraite d’office à compter du 1er juin 2014. M. Bischoff demande également l’adoption de mesures provisoires nécessaires à son maintien en service.

 Cadre juridique

2        L’article 52 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, tel qu’il était en vigueur jusqu’au 31 décembre 2013, disposait que les fonctionnaires étaient mis à la retraite d’office le dernier jour du mois durant lequel ils atteignaient l’âge de 65 ans, mais qu’ils pouvaient rester en activité jusqu’à l’âge de 67 ans, à titre exceptionnel, à leur demande et uniquement lorsque l’AIPN considéraient que l’intérêt du service le justifiait.

3        L’article 52 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, tel que modifié en dernier lieu par le règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, modifiant le statut des fonctionnaires de l’Union européenne et le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne et applicable à compter du 1er janvier 2014 (ci-après le « statut de 2014 »), dispose ainsi :

« Sans préjudice des dispositions de l’article 50, le fonctionnaire est mis à la retraite :

a)      soit d’office, le dernier jour du mois durant lequel il atteint l’âge de 66 ans,

[…]

Toutefois, à sa demande et lorsque l’[AIPN] considère que l’intérêt du service le justifie, un fonctionnaire peut rester en activité jusqu’à l’âge de 67 ans, voire, à titre exceptionnel, jusqu’à l’âge de 70 ans, auquel cas il est mis à la retraite d’office le dernier jour du mois au cours duquel il atteint cet âge.

[…] ».

4        Cependant, l’article 23, paragraphe 1, de l’annexe XIII du statut de 2014 prévoit :

« Lorsque l’article 52, [premier alinéa, sous] a), du statut [de 2014] s’applique et sans préjudice des dispositions de l’article 50, le fonctionnaire entré en service avant le 1er janvier 2014 est mis à la retraite d’office le dernier jour du mois au cours duquel il atteint l’âge de 65 ans. […] »

 Faits à l’origine du litige

5        Le requérant est entré au service de la DG « Entreprises et industrie » de la Commission le 1er juin 1994. Il y est actuellement fonctionnaire de grade AD 12 et travaille au sein de l’unité « Politique et recherche spatiale » de la direction G « Industrie aérospatiale, maritime, de sécurité et de défense ».

6        Atteignant l’âge de 65 ans en mai 2014, le requérant a sollicité, par une note adressée au directeur général de la DG « Entreprises et industrie » le 8 janvier 2014, une prolongation de carrière jusqu’en mai 2016.

7        Par note du 6 février 2014, le directeur général de la DG « Entreprises et industrie » a informé le requérant qu’à son avis l’intérêt du service ne recommandait pas une réponse favorable à sa demande et lui a indiqué qu’il transmettait celle-ci, ainsi que son avis, à la DG « Ressources humaines et sécurité », AIPN en la matière.

8        Par note du 10 février 2014 adressée à l’AIPN, le requérant a contesté l’avis du directeur général de la DG « Entreprises et industrie ».

9        Par note du 28 mars 2014, l’AIPN a fait savoir au requérant que, selon elle, le directeur général de la DG « Entreprises et industrie » avait traité sa demande dans le respect des règles et lui a indiqué que ce dernier l’informerait de la décision qu’elle prenait au sujet de la prolongation de sa carrière.

10      Par note du même jour, l’AIPN a averti la DG « Entreprises et industrie » qu’elle avait décidé de donner une réponse négative à la demande de prolongation de carrière du requérant et qu’elle confirmait ainsi sa mise à la retraite au 1er juin 2014. Cette décision était motivée par le transfert croissant de la gestion de programmes vers les agences exécutives et par la compression des effectifs et ses conséquences sur la DG « Entreprises et industrie », en ce compris dans le domaine de la recherche spatiale.

11      Le 7 avril 2014, la DG « Entreprises et industrie » a fait part au requérant de la décision de l’AIPN du 28 mars 2014.

12      Le 18 avril 2014, le requérant a introduit une réclamation à l’encontre de « la décision de l’AIPN du 28 mars 2014 […], prise ensemble avec la décision du [d]irecteur général de la DG [‘]Entreprises et industrie[’] du 7 avril 2014 […] ».

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête séparée parvenue au greffe du Tribunal le 18 avril 2014 et enregistrée sous la référence F‑36/14, le requérant a saisi le Tribunal d’une demande tendant à l’annulation des décisions visées au point 1 de la présente ordonnance.

14      Dans la présente demande en référé, le requérant conclut à ce qu’il plaise au juge des référés :

–        déclarer la requête recevable ;

–        surseoir à l’exécution de la décision adoptée par l’AIPN le 28 mars 2014, « prise ensemble » avec la décision du directeur général de la DG « Entreprises et industrie » du 7 avril 2014, rejetant sa demande de prolongation de service et confirmant sa mise à la retraite d’office au 1er juin 2014 ;

–        « adopter les mesures provisoires nécessaires [à son] maintien en service […] jusqu’à la notification de la décision de l’AIPN sur sa réclamation » ;

–        condamner la Commission aux dépens.

15      Dans ses observations en défense, la Commission conclut à ce qu’il plaise au juge des référés de rejeter la demande du requérant et de réserver les dépens.

 En droit

 Quant à l’objet de la demande de sursis à l’exécution

16      Le requérant demande au Tribunal de surseoir à l’exécution de la décision adoptée par l’AIPN le 28 mars 2014, « prise ensemble » avec la décision du directeur général de la DG « Entreprises et industrie » du 7 avril 2014. La Commission, en revanche, soutient que seule l’AIPN a pris une décision, en date du 28 mars 2014, et que la note de la DG « Entreprises et industrie » du 7 avril suivant n’avait pour objet que d’informer le requérant de cette décision.

17      Il ressort effectivement de la note adressée par l’AIPN au requérant le 28 mars 2014, de la note du même jour adressée par l’AIPN au directeur de la DG « Entreprises et industrie », ainsi que de la note de la DG « Entreprises et industrie » au requérant du 7 avril 2014, que seule l’AIPN a pris, le 28 mars 2014, la décision de rejeter la demande de prolongation de carrière du requérant. La note de la DG « Entreprises et industrie » du 7 avril 2014 ne constitue manifestement que la notification de cette décision. En conséquence et même au stade du présent référé, il y a lieu de considérer que le requérant a entendu, par ses conclusions, pallier aux effets de la décision susmentionnée de l’AIPN du 28 mars 2014 (ci-après la « décision attaquée ») et que la présente requête n’est recevable qu’en tant qu’elle est dirigée contre celle-ci.

 Quant à l’examen de la demande de sursis à l’exécution et d’autres mesures provisoires

 Observations liminaires

18      En vertu de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, les demandes de sursis et autres mesures provisoires doivent spécifier, notamment, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi des mesures sollicitées.

19      Selon une jurisprudence constante (ordonnance De Loecker/SEAE, F‑78/13 R, EU:F:2013:134, points 17 et 18), les conditions relatives à l’urgence et à l’apparence de bon droit de la demande (fumus boni juris) sont cumulatives, de sorte qu’une demande de mesures provisoires doit être rejetée dès lors que l’une de ces conditions fait défaut. Il incombe également au juge des référés de procéder à la mise en balance des intérêts en cause. Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité d’ordonner des mesures provisoires (ordonnances North Drilling/Conseil, T‑552/12 R, EU:T:2013:120, point 11 , et Carosi/Commission, F‑54/12 R, EU:F:2012:77, point 20).

20      En l’espèce, le juge des référés estime qu’il convient d’examiner par priorité si le requérant démontre qu’il est urgent d’ordonner de telles mesures.

 Sur l’urgence

21      S’agissant de l’urgence à surseoir à l’exécution de la décision attaquée et à ordonner les mesures provisoires nécessaires à son maintien en service, le requérant fait en premier lieu valoir qu’il a introduit une réclamation contre la décision attaquée le 18 avril 2014 et qu’aucune décision n’a encore été prise à ce jour sur cette réclamation. Il allègue qu’il est plus que probable que cette décision intervienne après que la décision attaquée aura sorti ses effets, à savoir le 1er juin 2014, et que le Tribunal n’aura pas non plus à cette date statué sur le recours au principal qu’il a introduit parallèlement à la présente demande. En conséquence, le requérant soutient que, si la décision attaquée devait être appliquée, il devrait quitter la Belgique pour rentrer dans son pays d’origine, en Allemagne, ce qui représenterait de lourdes démarches administratives, un changement de cadre de vie et une perte de ses repères sociaux.

22      Il découle cependant de la jurisprudence que l’octroi d’un sursis à l’exécution d’un acte ou d’une autre mesure provisoire en lien avec cet acte n’est justifié que s’il existe un lien de causalité entre l’acte en question et le préjudice grave et irréparable allégué [voir, en ce sens, ordonnance Marcuccio/Commission, C‑399/02 P(R), EU:C:2003:90, point 26] et, plus précisément même, que si cet acte constitue la cause déterminante dudit préjudice (ordonnance Al-Chihabi/Conseil, T‑593/11 R, EU:T:2011:770, point 16, et la jurisprudence citée). En effet, selon une jurisprudence constante, les mesures sollicitées en référé doivent être urgentes en ce sens qu’elles doivent être nécessaires pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant. Tel ne serait pas le cas d’une mesure qui prétendrait parer à un préjudice qui ne résulterait pas de l’acte litigieux.

23      En l’espèce, et comme le relève la Commission, la décision attaquée, impliquant la mise à la retraite d’office du requérant au 1er juin 2014, ne saurait constituer la cause déterminante ni de sa prétendue obligation de quitter le territoire belge et de rentrer en Allemagne ni des autres inconvénients qui en découleraient.

24      Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que le fonctionnaire de l’Union européenne a la qualité de travailleur migrant, car un ressortissant de l’Union travaillant dans un État membre autre que son État d’origine ne perd pas la qualité de travailleur, au sens de l’article 45, paragraphe 1, TFUE, du fait qu’il occupe un emploi auprès d’une organisation internationale, même si les conditions de son entrée et de son séjour dans le pays d’emploi sont spécialement régies par une convention internationale (arrêt My, C‑293/03, EU:C:2004:821, point 37, et la jurisprudence citée). Telle est précisément la situation du requérant qui, de nationalité allemande, est entré au service des institutions à Bruxelles (Belgique) après avoir travaillé pendant 21 ans en Allemagne.

25      Il s’ensuit que le requérant, ayant ainsi la qualité de travailleur au sens du traité FUE, bénéficiera, après son admission à la retraite, du droit de demeurer et de séjour à l’intérieur de l’Union prévu par l’article 45, paragraphe 3, sous d), TFUE et par l’article 17 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77 ; voir, en ce sens, arrêt Drouvis/Commission, T‑184/00, EU:T:2003:39, point 70). Dans un tel contexte, le départ du requérant pour l’Allemagne et les inconvénients liés à celui-ci résulteraient d’une décision propre et personnelle à ce dernier.

26      Le requérant soutient, en deuxième lieu, que, s’il devait être fait droit à sa requête en annulation, à défaut du sursis à l’exécution et des autres mesures provisoires sollicitées, sa réintégration resterait hypothétique parce que ses fonctions auraient été remplies entretemps par un autre fonctionnaire ou parce que son poste aurait disparu.

27      Force est de constater que cet argument n’est pas de nature à justifier les mesures demandées.

28      En raison de sa généralité, il sous-entend que tout arrêt d’annulation d’un acte n’aurait pas d’effet utile s’il n’était précédé du sursis à l’exécution dudit acte. Pourtant, l’article 266 TFUE impose à l’administration de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt et l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité, de sorte que ce n’est qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le juge du fond ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance Parlement/U, T‑103/10 P(R)‑R, EU:T:2010:170, point 34).

29      Par ailleurs, en raison de leur caractère exceptionnel, le sursis à l’exécution et les autres mesures provisoires ne peuvent être accordées que si les affirmations du requérant s’appuient sur des éléments de preuve concluants (ordonnance Parlement/U, EU:T:2010:170, point 39). Or, en l’espèce, s’agissant de son remplacement à son poste ou de la disparition de celui-ci, le requérant reste en défaut de produire de tels éléments, voire même un commencement de preuve. Au contraire, le requérant fait état de différents projets en matière de technologie spatiale dont il serait notamment à l’origine et qui sont encore au stade embryonnaire, de sorte que ceux-ci sont normalement appelés à se poursuivre dans le cadre d’un programme dit « Horizon 2020 ». Dans ces conditions, il n’apparaît pas déraisonnable de considérer que, en cas d’annulation, le requérant puisse, le cas échéant, retrouver ses anciennes fonctions. En toute hypothèse, les institutions disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans l’organisation de leurs services et l’affectation du personnel. Par conséquent, même si, dans ses décisions d’affectation et de réaffectation, l’AIPN doit tenir compte non seulement de l’intérêt du service et du principe de l’équivalence des emplois, mais également des droits et des intérêts légitimes du fonctionnaire concerné, le requérant, à supposer qu’il ait obtenu de rester en service au-delà de l’âge de 65 ans, n’aurait pu exiger de demeurer dans un poste déterminé. À cet égard, il importe d’ailleurs d’observer que, au titre des mesures provisoires, le requérant demande seulement qu’il soit ordonné à la Commission de le maintenir en service, sans requérir de demeurer à son poste actuel.

30      La condition tenant à l’urgence n’étant ainsi pas remplie, il y a lieu de rejeter la demande en référé sans qu’il soit besoin de s’interroger ni sur le point de savoir si le sursis à l’exécution de la décision attaquée présenterait un intérêt pour le requérant, dès lors qu’il s’agit d’une décision négative, ni sur le fumus boni juris, ni sur la balance des intérêts en présence.

 Sur les dépens

31      Dans ses conclusions, le requérant demande au Tribunal de condamner la Commission aux dépens.

32      Cependant, outre que le requérant succombe en l’espèce, l’article 86 du règlement de procédure prévoit qu’il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance, ce qui s’entend comme étant la décision mettant fin à l’instance au principal.

33      Par suite, il y a lieu de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE

ordonne :

1)      La demande en référé de M. Bischoff est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 22 mai 2014.

Le greffier

 

      Le président

W. Hakenberg

 

      S. Van Raepenbusch


* Langue de procédure : le français.