Language of document : ECLI:EU:C:2015:404

Affaire C‑583/13 P

Deutsche Bahn AG e.a.

contre

Commission européenne

«Pourvoi – Concurrence – Secteur du trafic ferroviaire et des prestations accessoires – Abus de position dominante – Règlement (CE) no 1/2003 – Articles 20 et 28, paragraphe 1 – Procédure administrative – Décision ordonnant une inspection – Pouvoirs d’inspection de la Commission – Droit fondamental à l’inviolabilité du domicile – Absence d’autorisation judiciaire préalable – Contrôle juridictionnel effectif – Découverte fortuite»

Sommaire – Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 18 juin 2015

1.        Concurrence – Procédure administrative – Pouvoir d’inspection de la Commission – Absence d’autorisation judiciaire préalable – Violation du droit à l’inviolabilité du domicile – Absence – Contrôle juridictionnel a posteriori de la légalité de la décision d’inspection – Garantie fondamentale

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 7; règlement du Conseil no 1/2003, art. 20, § 2, 6, 7 et 8)

2.        Concurrence – Procédure administrative – Pouvoir d’inspection de la Commission – Absence d’autorisation judiciaire préalable – Violation du droit à une protection juridictionnelle effective – Absence – Contrôle juridictionnel a posteriori de la légalité de la décision d’inspection – Portée

(Art. 263 TFUE; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47; règlement du Conseil no 1/2003, art. 20, § 4)

3.        Concurrence – Procédure administrative – Pouvoir d’inspection de la Commission – Décision ordonnant une inspection – Obligation de motivation – Portée – Commission ayant informé ses agents de l’existence d’une autre plainte à l’encontre de l’entreprise concernée – Absence de référence à ladite plainte dans la décision d’inspection – Violation de l’obligation de motivation et des droits de la défense

(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 20, § 4)

1.        Les pouvoirs de vérification dont dispose la Commission en vertu de l’article 20, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 se limitent à ce que les agents de cette dernière soient autorisés, entre autres, à entrer dans les endroits qu’ils désignent, à se faire présenter les documents qu’ils demandent et en prendre copie et à se faire montrer le contenu des meubles qu’ils indiquent.

Par ailleurs, conformément à l’article 20, paragraphes 6 et 7, du règlement no 1/2003, une autorisation d’une autorité judiciaire doit être sollicitée, lorsque, en cas d’opposition de l’entreprise concernée, l’État membre intéressé prête l’assistance nécessaire en requérant au besoin la force publique ou une autorité disposant d’un pouvoir de contrainte équivalent, pour permettre d’exécuter la mission d’inspection et lorsque ladite autorisation est requise en vertu du droit national. L’autorisation peut également être demandée à titre préventif. Il est, en outre, précisé à l’article 20, paragraphe 8, de ce règlement que, si le juge national vérifie, notamment, que les mesures coercitives envisagées ne sont ni arbitraires ni excessives par rapport à l’objet de l’inspection, il ne peut toutefois pas remettre en cause la nécessité de celle-ci. Cette même disposition prévoit un contrôle juridictionnel a posteriori réservé à la Cour.

Par conséquent, l’absence d’autorisation judiciaire préalable n’est pas susceptible d’emporter, en tant que telle, l’illégalité de la mesure d’inspection.

À cet égard, l’existence d’un contrôle juridictionnel a posteriori permet de compenser l’absence de mandat judiciaire préalable et est ainsi constitutive d’une garantie fondamentale pour assurer la compatibilité de la mesure d’inspection en cause avec l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme. Tel est précisément le cas dans le cadre du système mis en place au sein de l’Union européenne, l’article 20, paragraphe 8, du règlement no 1/2003 indiquant expressément que la Cour est compétente pour exercer un contrôle de légalité de la décision d’inspection adoptée par la Commission. Ledit contrôle implique que le juge de l’Union exerce, sur la base des éléments apportés par le requérant au soutien des moyens invoqués, un contrôle complet, c’est-à-dire intervenant tant sur les questions de droit que sur les questions de fait.

(cf. points 23-25, 32-34)

2.        Dans le cadre d’une décision d’inspection adoptée par la Commission en vertu de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, tel que garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l’homme, n’est pas méconnu du fait de l’absence de contrôle judiciaire préalable.

En effet, c’est l’intensité du contrôle, en ce compris le contrôle sur l’ensemble des éléments de fait et de droit et permettant un redressement approprié si une irrégularité était constatée, qui est visée et non pas le moment auquel celui-ci intervient.

Or, le juge de l’Union, lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation formé à l’encontre d’une décision d’inspection, exerce un contrôle tant de droit que de fait et détient le pouvoir d’apprécier les preuves ainsi que d’annuler la décision attaquée.

En outre, la faculté est reconnue aux entreprises destinataires d’une décision d’inspection de contester la légalité de cette dernière et cela dès la réception de la notification de ladite décision, ce qui implique que l’entreprise ne se trouve pas contrainte d’attendre l’adoption de la décision finale de la Commission relative à la violation suspectée des règles de concurrence pour introduire un recours en annulation devant les juridictions de l’Union.

Enfin, la conséquence de l’annulation de la décision d’inspection ou du constat d’une irrégularité dans le déroulement de la vérification réside dans l’impossibilité pour la Commission d’utiliser les informations ainsi recueillies aux fins de la procédure d’infraction.

(cf. points 41, 42, 44-46)

3.        À cet égard, si l’efficacité d’une inspection implique que la Commission fournisse aux agents qui en sont chargés, préalablement à l’inspection, toutes les informations leur permettant de comprendre la nature et l’étendue de l’éventuelle violation des règles de concurrence et les informations relatives à la logistique de l’inspection elle-même, l’ensemble de ces informations doit toutefois se rapporter au seul objet de l’inspection qui a été ordonnée par voie de décision.

Or, lorsque la Commission informe, préalablement au déroulement d’une inspection, ses agents de l’existence d’une plainte supplémentaire à l’égard de l’entreprise concernée, étrangère à l’objet de la décision d’inspection, elle ne fournit pas une information relevant du contexte général de l’affaire. Dès lors, l’absence de référence à ladite plainte dans le cadre de l’objet de cette décision d’inspection viole l’obligation de motivation et les droits de la défense de l’entreprise concernée.

Partant, une telle inspection est entachée d’irrégularité dans la mesure où les agents de la Commission, étant préalablement en possession d’éléments d’information étrangers à l’objet de ladite inspection, ont procédé à la saisie de documents sortant du champ d’inspection tel que délimité par la décision d’inspection et cela d’ autant plus lorsque, lors de l’inspection, les agents ont collecté des informations qui ont conduit au déclenchement d’une deuxième inspection et ont fondé, en partie, une troisième inspection.

(cf. points 60, 62-66)