Language of document : ECLI:EU:C:2002:231

AVIS 1/00 DE LA COUR

18 avril 2002

«Avis rendu en vertu de l'article 300, paragraphe 6, CE - Projet d'accord portant création d'un espace aérien européen commun entre la Communauté européenne et des pays tiers»

La Cour de justice a été saisie d'une demande d'avis, déposée au greffe de la Cour le 13 octobre 2000, présentée par la Commission des Communautés européennes au titre de l'article 300, paragraphe 6, CE, aux termes duquel:

«Le Conseil, la Commission ou un État membre peut recueillir l'avis de la Cour de justice sur la compatibilité d'un accord envisagé avec les dispositions du présent traité. L'accord qui a fait l'objet d'un avis négatif de la Cour de justice ne peut entrer en vigueur que dans les conditions fixées à l'article 48 du traité sur l'Union européenne.»

I - Exposé de la demande d'avis

La Commission sollicite l'avis de la Cour sur la compatibilité d'un projet d'accord portant sur la création d'un espace aérien européen commun (ci-après l'«accord EAEC») à conclure entre la république de Bulgarie, la République tchèque, la république d'Estonie, la Communauté européenne, la république de Hongrie, la république d'Islande, la république de Lettonie, la république de Lituanie, le royaume de Norvège, la république de Pologne, la Roumanie, la République slovaque et la république de Slovénie (ci-après les «parties contractantes»), et notamment du système de surveillance juridique qu'il prévoit, avec les dispositions du traité CE.

Lors de sa session du 3 octobre 1996, le Conseil a autorisé la Commission à engager des négociations en vue de la conclusion, entre la république de Bulgarie, la république d'Estonie, la république de Hongrie, la république de Lettonie, la république de Lituanie, la république de Pologne, la Roumanie, la République slovaque, la république de Slovénie, la République tchèque (ci-après les «États associés») et la Communauté, d'un ou plusieurs accords concernant l'accès aux marchés des transports aériens. Il avait été alors précisé que toute ouverture du marché communautaire des transports aériens devait être effectuée parallèlement à l'alignement de la législation des États associés sur l'acquis communautaire dans le secteur de l'aviation, libéralisation et harmonisation progressant de concert.

Une réunion multilatérale organisée en juin 1999, à laquelle se sont également joints le royaume de Norvège et la république d'Islande, ainsi que des réunions bilatérales tenues au second semestre de l'année 1999 ont permis d'aboutir à une version du projet d'accord EAEC (ci-après le «projet» ou le «projet d'accord EAEC») à laquelle ces deux États et les États associés (ci-après, ensemble, les «États parties») se sont déclarés globalement favorables.

Cette version, qui ne suscite plus, selon la Commission, que des questions techniques relatives aux projets de protocoles bilatéraux concernant la république de Pologne et la république de Hongrie, a été adressée aux États parties le 6 avril 2000.

La demande d'avis porte sur cette version du projet.

II - Procédure

Conformément à l'article 107, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, la demande d'avis de la Commission, représentée par M. F. Benyon et Mme M.-J. Jonczy, en qualité d'agents, a été signifiée au Conseil, au Parlement européen et aux États membres.

Des observations écrites ont été présentées par:

-    le gouvernement danois, représenté par M. J. Molde, en qualité d'agent,

-    le gouvernement hellénique, représenté par Mmes A. Samoni-Rantou et S. Chala ainsi que M. G. Karipsiadis, en qualité d'agents,

-    le gouvernement espagnol, représenté par Mme R. Silva de Lapuerta, en qualité d'agent,

-    le gouvernement italien, représenté par M. U. Leanza, en qualité d'agent, assisté de Me L. Daniele, avvocato,

-    le gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. J. E. Collins, en qualité d'agent, assisté de M. D. Wyatt, QC,

-    le Parlement européen, représenté par MM. R. Passos et A. Caiola, en qualité d'agents,

-    le Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. J.-P. Jacqué et R. Gosalbo Bono, en qualité d'agents.

Les avocats généraux ont été entendus par la Cour en chambre du conseil, conformément à l'article 108, paragraphe 2, du règlement de procédure, le 23 novembre 2001.

III - Analyse du projet d'accord EAEC

L'accord EAEC vise à fonder l'accès aux marchés des transports aériens des parties contractantes sur des règles uniques, tirées de la législation en vigueur à ce sujet dans la Communauté, et portant sur le libre accès au marché, la liberté d'établissement, la concurrence équitable, la sécurité et l'environnement.

L'article 1er, paragraphe 1, du projet d'accord EAEC stipule que les dispositions législatives de droit communautaire énumérées à l'annexe I du projet font partie des règles applicables entre les parties contractantes.

Les articles 6 à 9 du projet portent sur le droit d'établissement. L'article 6 interdit les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants des États membres et des États parties. L'article 7 prévoit l'assimilation des sociétés à ces ressortissants. L'article 8 traite des exceptions aux articles 6 et 7. L'article 9 interdit les restrictions quantitatives aux transferts des équipements et des matériels nécessaires à la prestation des services de transport aérien.

L'article 10 du projet permet aux parties contractantes de réagir, par la suspension ou la modification de l'autorisation d'exploitation, aux cas où la sécurité d'exploitation d'une ligne aérienne n'est pas assurée.

S'agissant des règles de concurrence, l'article 12 du projet interdit les accords entre entreprises, les décisions d'associations d'entreprises et les pratiques concertées anticoncurrentielles, tandis que son article 13 interdit les abus de position dominante. L'article 14 du projet traite des opérations de concentration et son article 15 des entreprises publiques ou disposant de droits spéciaux ou exclusifs ainsi que des entreprises chargées de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal. Quant à l'article 16 du projet, il déclare les aides d'État incompatibles, sauf dérogations, avec l'accord EAEC.

Les articles 17 à 22 du projet traitent de l'application de l'accord.

L'article 17 du projet impose aux parties contractantes de veiller à ce que les droits découlant de l'accord EAEC, y compris des dispositions législatives visées à son annexe I, puissent être invoqués devant les juridictions nationales. Il prévoit que, «[d]ans les cas susceptibles de concerner les services aériens effectifs ou éventuels devant être autorisés aux termes du présent accord, les institutions communautaires jouissent des pouvoirs qui leur sont expressément conférés en vertu des dispositions législatives visées ou citées dans l'annexe I».

Le même article attribue une compétence exclusive à la Cour pour apprécier la légalité des décisions des institutions de la Communauté prises sur le fondement de l'accord EAEC.

Les articles 19 à 22 du projet confient à l'autorité compétente de la Communauté la charge d'assurer, d'une part, l'application des articles 12 et 13 de ce texte, dans les cas où les échanges avec la Communauté sont affectés, et, d'autre part, les contrôles prévus aux articles 14 à 16 du projet.

L'article 23 du projet précise les règles applicables en matière d'interprétation. Il doit, pour les besoins de l'avis, être intégralement cité:

«1.    Les dispositions du présent accord et les dispositions des actes énumérés dans l'annexe I, dans la mesure où elles sont identiques en substance aux règles correspondantes du traité CE et des actes arrêtés en application de ce traité, sont, pour leur mise en oeuvre et leur application, interprétées conformément aux décisions et arrêts de la Cour de justice et de la Commission des Communautés européennes antérieurs à la date de signature du présent accord. Les décisions et arrêts rendus après la date de signature du présent accord sont communiqués aux autres parties contractantes. À la demande d'une des parties contractantes, les conséquences de ces décisions et arrêts ultérieurs sont déterminées par le comité mixte en vue d'assurer le fonctionnement correct du présent accord. Les interprétations en vigueur sont communiquées aux États parties au présent accord avant la date de sa signature. Les décisions prises par le comité mixte dans le cadre de cette procédure doivent être conformes à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.

2.    Lorsqu'une question sur l'interprétation du présent accord, des dispositions des actes énumérés dans l'annexe I ou des actes arrêtés sur la base de ces dispositions, identiques en substance aux règles correspondantes du traité CE et des actes arrêtés en application de ce traité, est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction d'un État partie, cette juridiction demande, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement et conformément au protocole n° 4, à la Cour de justice des Communautés européennes de statuer sur cette question. Un État partie peut arrêter, par décision et conformément au protocole n° 4, la portée et les modalités d'application de la présente disposition pour ses juridictions. Cette décision doit être notifiée au dépositaire et à la Cour de justice des Communautés européennes. Le dépositaire informe les autres parties contractantes.

3.    Lorsque, conformément aux dispositions du paragraphe précédent, une juridiction d'une partie contractante dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne n'est pas en mesure de saisir la Cour de justice des Communautés européennes, ladite partie contractante transmet tout jugement prononcé par cette juridiction au comité mixte, qui prend position de manière à assurer l'interprétation homogène du présent accord. Si, dans les deux mois qui suivent la date à laquelle une différence entre la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et un jugement prononcé par une juridiction de cette partie contractante a été portée à la connaissance du comité mixte, celui-ci n'a pas réussi à assurer l'interprétation homogène de l'accord, les procédures prévues à l'article 27 peuvent être appliquées.»

L'article 24 du projet précise que celui-ci «ne préjuge pas le droit de chaque partie contractante, sous réserve du respect du principe de non-discrimination [...], de modifier unilatéralement sa législation sur un point régi par le présent accord». Il prévoit une information du comité mixte en cas d'adoption par une partie contractante d'une telle modification.

Le fonctionnement du comité mixte est régi par les articles 25 et 26 du projet. Le comité mixte est composé de représentants des parties contractantes, la Communauté disposant d'un nombre de représentants correspondant à celui des États membres. Il agit en principe à l'unanimité. Ses décisions sont obligatoires pour les parties contractantes.

Le règlement des différends est l'objet de l'article 27 du projet, qui stipule:

«1.    Une partie contractante peut soumettre au comité mixte tout différend relatif à l'application du présent accord, sauf dans les cas où le présent accord prévoit des procédures particulières, notamment dans ses articles 17, paragraphes 2 et 3, 19, 20, 22, paragraphes 1 à 4, et 23, paragraphe 2.

2.    Lorsque le comité mixte est saisi d'un différend en vertu du paragraphe 1, des consultations immédiates sont engagées entre les parties au différend. Dans les cas où la Communauté n'est pas partie au différend, l'une de ces parties peut inviter un représentant de la Communauté à assister aux consultations. Les parties au différend peuvent établir une proposition de solution qui sera immédiatement soumise au comité mixte. Les décisions prises par le comité mixte dans le cadre de cette procédure n'affectent pas la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.

3.    Si le comité mixte n'est pas parvenu à prendre une décision apportant une solution au différend dans un délai de trois mois à partir de la date à laquelle elle en a été saisie, les parties au différend peuvent se pourvoir devant la Cour de justice des Communautés européennes, dont la décision est exécutoire et sans appel. Les modalités de saisine de la Cour de justice des Communautés européennes en pareille circonstance sont définies dans le protocole n° 4.

4.    Si le comité mixte ne se prononce pas dans les trois mois sur une question dont il a été saisi, les parties contractantes peuvent prendre des mesures de sauvegarde appropriées en application des articles 28 et 29 du présent accord, pour une période ne dépassant pas six mois. Passé ce délai, chaque partie contractante peut dénoncer l'accord avec effet immédiat. Une partie contractante ne peut prendre de mesures de sauvegarde sur une question qui a été soumise à la Cour de justice des Communautés européennes en application du présent accord, sauf dans les cas visés à l'article 10, paragraphe 2, ou conformément aux mécanismes prévus dans les actes particuliers désignés dans l'annexe I.»

Les articles 28 et 29 du projet traitent des mesures de sauvegarde, de leurs limites et de la procédure prévue en pareil cas à l'égard des autres parties contractantes.

L'article 30 du projet concerne la divulgation d'informations. Les articles 31 à 34 du projet sont relatifs aux pays tiers et aux organisations internationales. L'article 35 du projet contient des dispositions transitoires et son article 36 organise la relation de l'accord EAEC avec les accords et arrangements bilatéraux en matière de transport aérien. Les articles 37 à 42 du projet comportent les clauses finales, desquelles il résulte notamment que l'accord EAEC entre en vigueur le premier jour du sixième mois suivant la date de dépôt des instruments de ratification ou d'approbation par la Communauté et trois autres signataires.

L'annexe I du projet énumère les règles applicables à l'aviation civile qui s'imposent aux parties contractantes et son annexe II les règles de concurrence figurant dans les accords européens conclus entre la Communauté et chacun des États associés. Ses annexes III, IV et V contiennent respectivement la liste des autorités compétentes des parties contractantes en matière de concurrence, celle de leurs journaux officiels et celle de leurs autorités compétentes en matière de sécurité aérienne.

Le protocole n° 1 du projet concerne les adaptations horizontales qui doivent être appliquées, dans le cadre de l'accord EAEC, à l'ensemble des actes auxquels l'annexe I de celui-ci fait référence.

Le protocole n° 2 du projet concerne la mise en oeuvre des règles de concurrence applicables aux entreprises.

Le protocole n° 3 du projet concerne la coopération entre les autorités compétentes en matière de concurrence pour l'application des règles de concurrence applicables aux entreprises.

Le protocole n° 4 du projet concerne la saisine de la Cour. Il prévoit, au titre 1, que, lorsque la Cour est saisie en vertu de son article 23, paragraphe 2, les procédures prévues en matière de renvoi préjudiciel au sein de la Communauté s'appliquent et les États parties ont, comme les États membres, la faculté de présenter des observations. Le titre 2 de ce protocole stipule que les États parties peuvent décider soit que leurs juridictions statuant en dernier ressort demanderont à la Cour de répondre à titre préjudiciel aux questions d'interprétation ou de validité dont la solution leur est nécessaire pour juger, soit que toutes les juridictions auront la faculté de saisir la Cour de telles questions, soit de combiner ces deux possibilités. Le titre 3 dudit protocole précise que les saisines de la Cour en vertu de l'article 27 de l'accord EAEC sont traitées comme les différends soumis à celle-ci en vertu de l'article 239 CE. Le titre 4 du même protocole règle l'usage des langues pour la saisine de la Cour.

Les protocoles nos 5 à 14 du projet fixent les dispositions transitoires applicables aux relations entre la Communauté et chacun des États associés.

IV - Résumé des observations écrites présentées par les institutions communautaires et les gouvernements des États membres

La Commission rappelle l'historique des règles communautaires dans le domaine du transport aérien, aboutissant à la libéralisation que représente le «troisième paquet» dans le cadre d'un marché unique du transport aérien. Elle évoque notamment les règlements (CEE) n° 2407/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, concernant les licences des transporteurs aériens (JO L 240, p. 1), n° 2408/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, concernant l'accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intracommunautaires (JO L 240, p. 8), et n° 2409/92 du Conseil, du 23 juillet 1992, sur les tarifs des passagers et de fret des services aériens (JO L 240, p. 15), complétés par nombre d'autres mesures. Divers autres aspects, techniques, de sécurité ou sociaux notamment, ont été harmonisés au niveau communautaire. Les décisions correspondantes sont reprises en annexe I du projet. En outre, les règles du traité en matière de concurrence et leurs modalités d'application font également partie de l'acquis communautaire dans le secteur considéré.

Selon la Commission, le projet tient aussi compte des «accords européens» conclus entre les Communautés, les États membres et chacun des dix pays d'Europe centrale et orientale. Ces accords bilatéraux, qui excluent les transports aériens du droit d'établissement et prévoient la conclusion d'accords séparés pour l'accès aux marchés de ces transports, ne contiendraient pas de procédures uniformes de mise en oeuvre qui auraient permis de mettre en place un espace aérien européen commun (ci-après l'«EAEC»), à caractère multilatéral, sur les bases existantes.

La Commission précise qu'elle a négocié le projet sur le fondement des principes énoncés dans l'avis 1/92, du 10 avril 1992 (Rec. p. I-2821), relatif à un projet d'accord portant sur la création de l'Espace économique européen (ci-après l'«EEE»), et des directives de négociation formulées par le Conseil. Compte tenu de la perspective d'adhésion à la Communauté de chacun des États associés et de l'absence de liens institutionnels, du type de ceux créés dans le cadre de l'Association européenne de libre échange (ci-après l'«AELE»), il n'était pas réaliste, selon la Commission, d'envisager la création d'une structure de supervision ou juridictionnelle séparée, semblable au «double pilier» de l'EEE.

La Commission analyse dans la suite de sa demande d'avis les dispositions du projet relatives aux règles de concurrence, celles visant à garantir l'application et l'interprétation conformes de l'accord EAEC et celles sur le règlement des différends.

Rappelant que la Cour a admis que des accords internationaux pouvaient être conclus par la Communauté dans le domaine des règles de concurrence (avis 1/92, précité, point 40), elle soutient que la répartition des compétences au sein de la Communauté n'est pas affectée par le projet. Les pouvoirs de la Commission seraient simplement étendus dans le cadre des échanges avec les États parties.

L'uniformité de l'application des dispositions de l'accord EAEC et des règles communautaires serait ainsi garantie par une construction à «pilier unique» consistant à confier l'application des règles dudit accord et de ses annexes à une seule et même entité, à savoir la Commission, qui disposerait, dans l'application des règles de concurrence et des autres règles du transport aérien, de pouvoirs aussi étendus à l'égard des États parties qu'à l'égard des États membres.

En outre, la Cour recevrait, en vertu de l'article 17, paragraphe 3, du projet, une compétence exclusive pour contrôler la légalité des décisions des institutions de la Communauté prises sur le fondement de l'accord EAEC. Elle aurait d'ailleurs admis qu'un accord pouvait lui attribuer des compétences nouvelles si celles-ci ne dénaturaient pas sa fonction telle qu'elle est conçue dans le traité (avis 1/92, précité, point 32). Cette fonction ne serait pas altérée par un élargissement du contrôle de légalité, la Cour ayant déjà admis qu'elle était compétente pour statuer sur une demande d'annulation de tout acte d'une institution produisant des effets juridiques, quel qu'en soit le fondement (arrêt du 2 mars 1994, Parlement/Conseil, C-316/91, Rec. p. I-625, points 8 et 9).

Dans les domaines où l'accord EAEC ne donne pas de compétence décisionnelle aux institutions communautaires, l'article 23 du projet tendrait à garantir une interprétation homogène des dispositions pertinentes de cet accord et des règles communautaires.

L'article 23, paragraphe 1, du projet préserverait l'autonomie de l'ordre juridique communautaire en imposant une interprétation de l'accord EAEC conforme aux décisions de la Commission et aux arrêts de la Cour antérieurs à sa signature et en chargeant le comité mixte de déterminer les conséquences des décisions et des arrêts postérieurs à celle-ci en conformité avec la jurisprudence de la Cour.

L'article 23, paragraphe 2, du projet permettrait aux juridictions des États parties de demander à la Cour de «statuer» d'une manière analogue à celle prévue à l'article 234 CE. Cette disposition du projet, conforme à la stratégie de préadhésion des États associés, tiendrait également compte du point 33 de l'avis 1/92, précité, selon lequel l'interprétation donnée par la Cour doit avoir un effet contraignant.

Les États parties auraient, en vertu du protocole n° 4 du projet, le choix entre un renvoi obligatoire et un renvoi facultatif à la Cour, mais celle-ci aurait considéré qu'une telle liberté ne soulevait pas d'objection de principe (avis 1/91, du 14 décembre 1991, Rec. p. I-6079, point 60). En outre, une partie contractante devrait transmettre au comité mixte tout jugement d'une juridiction statuant en dernier ressort qui n'aurait pas été en mesure de saisir la Cour, ledit comité devant alors prendre position de manière à assurer l'interprétation homogène de l'accord EAEC.

La Commission considère ainsi que la construction en «pilier unique» et la compétence d'interprétation confiée à la Cour réduisent le risque de différends concernant l'application de l'accord EAEC. Toutefois, au cas où de tels différends surviendraient, l'article 27 du projet organiserait leur règlement d'une manière conforme aux points 23 et 24 de l'avis 1/92, précité. En effet, le comité mixte prendrait dans ce cadre des décisions qui ne portent en rien atteinte à la jurisprudence de la Cour. En outre, en l'absence de solution, les parties pourraient se pourvoir devant la Cour, dont la décision serait, aux termes du projet, exécutoire et sans appel.

La Commission soutient par conséquent que les trois rôles assignés à la Cour par le projet, à savoir le contrôle de légalité, l'interprétation et le règlement des différends, éliminent toute possibilité de divergence ou de conflit entre la jurisprudence de la Cour et l'interprétation de l'accord EAEC. Cependant, pour éviter toute insécurité juridique et par égard pour le rôle de la Cour, la Commission a présenté une demande d'avis sur la compatibilité avec le traité du système de surveillance juridique prévu par le projet et en particulier de l'article 23, paragraphes 2 et 3 de celui-ci.

Le gouvernement danois soutient pour sa part que le régime de surveillance proposé par le projet ne soulève aucun problème de droit communautaire. Faisant référence aux affaires dites «de ciel ouvert» actuellement pendantes devant la Cour, il conteste cependant la présentation faite par la Commission de l'état de l'harmonisation réalisée dans le secteur du transport aérien. Il considère qu'il n'a pas été procédé à une harmonisation complète en la matière et fait connaître son souhait que, dans sa réponse à la demande d'avis, la Cour évite de préjuger la solution desdites affaires.

Le gouvernement hellénique approuve le système juridictionnel prévu par le projet mais considère que, à cet égard, certaines dispositions sont rédigées de façon trop imprécise ou peuvent receler des incompatibilités avec le traité. Se fondant sur les avis 1/91 et 1/92, précités, il fait valoir que les deux critères pertinents pour apprécier la compatibilité de cet aspect du projet avec le traité sont l'absence d'atteinte à l'autonomie de l'ordre juridique communautaire et l'absence de dénaturation de la fonction de la Cour, qui est de prendre des décisions contraignantes.

L'organe qui joue le rôle central pour assurer l'application homogène de l'accord EAEC serait le comité mixte. Ce serait dès lors essentiellement la conformité des décisions de celui-ci à ces deux critères qu'il conviendrait d'apprécier.

En ce qui concerne l'article 23, paragraphe 1, du projet, l'autonomie de l'ordre juridique communautaire serait garantie, s'agissant des décisions que le comité mixte peut être amené à prendre pour déterminer les conséquences de décisions futures de la Cour, par le fait que ce comité est expressément tenu de s'aligner sur la jurisprudence de la Cour. Le seul éventuel problème viendrait de ce que cette disposition ne permet au comité mixte d'intervenir qu'à la demande d'une des parties contractantes et que, en pareille hypothèse, il est probable que ce comité ne pourra prendre une décision, faute d'accord en son sein. Or, en un tel cas, rien ne serait prévu par le projet, hormis la procédure générale de règlement des différends. Un renvoi exprès semblable à celui prévu à l'article 23, paragraphe 3, du projet ou à celui contenu à l'article 105 de l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l'«accord EEE»), pourrait être envisagé.

Le gouvernement hellénique fait valoir, à propos de la procédure préjudicielle prévue à l'article 23, paragraphes 2 et 3, du projet, que le pouvoir discrétionnaire donné aux États parties quant à la saisine de la Cour par leurs juridictions nationales est analogue à celui conféré à l'article 107 de l'accord EEE, que la Cour avait considéré comme conforme au traité. En renvoyant au protocole n° 4 du projet, l'article 23, paragraphe 2, de celui-ci imposerait toutefois des limites à la liberté de l'État partie, ce qui ne pourrait a priori soulever de questions de compatibilité. Il conviendrait cependant de relever que l'option prévue à l'article 23, paragraphe 2, et au protocole n° 4 du projet ne permet pas aux États parties d'imposer un renvoi obligatoire à leurs juridictions ou à certaines d'entre elles puisque, en tout état de cause, ces juridictions n'auraient à saisir la Cour que si elles estiment une décision de celle-ci nécessaire pour rendre leur jugement. Seul un renvoi facultatif serait donc prévu. Ceci ne serait pas une cause d'incompatibilité, dès lors que les réponses de la Cour sont contraignantes, mais il pourrait y avoir lieu de compléter l'énumération des possibilités ouvertes aux États parties.

En outre, ce dispositif permettrait l'apparition de jurisprudences divergentes de la part de juridictions nationales qui n'auraient pas jugé nécessaire de saisir la Cour. Or, l'obligation de transmettre les jugements au comité mixte, qui résulte de l'article 23, paragraphe 3, du projet, ne s'appliquerait qu'au cas des juridictions de dernière instance qui ne sont pas «en mesure de saisir la Cour», ce qui ne recouvrirait pas clairement le cas des juridictions qui auraient décidé, alors qu'elles pouvaient le faire, de ne pas la saisir. Ce cas ne serait pas susceptible d'être couvert par d'autres dispositions et devrait être prévu audit paragraphe.

De surcroît, l'articulation de la procédure de renvoi au comité mixte prévue à l'article 23, paragraphe 3, du projet avec celle prévue à son article 27 manque, selon le gouvernement hellénique, de clarté, en particulier en ce qui concerne le point de départ du délai mentionné à ces deux dispositions.

Par ailleurs, le gouvernement hellénique considère que le principe du respect de la jurisprudence de la Cour devrait, en tant que disposition générale, figurer à l'article 27, paragraphe 1, du projet et non aux paragraphes de cet article relatifs aux étapes de la procédure. Quant à la compétence donnée à la Cour pour le règlement des différends par l'article 27, paragraphe 3, du projet, elle serait conforme à l'article 234 CE lu en combinaison avec l'article 239 CE, même si les parties au litige ne sont pas membres de la Communauté, dès lors que les décisions prises revêtent un caractère contraignant.

Selon le gouvernement espagnol, l'article 23, paragraphes 2 et 3, du projet peut être considéré comme compatible avec le traité.

Les dispositions combinées de l'article 23, paragraphe 2, et du protocole n° 4 du projet mettraient en place une procédure préjudicielle qui serait de nature facultative mais créerait une obligation pour la juridiction nationale d'appliquer la jurisprudence de la Cour. Il existerait toutefois une contradiction, à laquelle il serait opportun de remédier, entre l'article 23, paragraphe 2, et le protocole n° 4 du projet puisque cet article ne mentionnerait que la possibilité de poser des questions d'interprétation alors que le protocole n° 4 évoquerait également des questions de validité.

La possibilité de conférer aux juridictions d'États qui ne sont pas membres de la Communauté le droit de saisir la Cour à titre préjudiciel aurait déjà été déclarée conforme au traité par la Cour dans ses avis 1/91 et 1/92, précités, comme le fait que les parties contractantes soient laissées libres d'autoriser ou non leurs juridictions à la saisir. Il conviendrait toutefois que les réponses de la Cour aient un caractère obligatoire, ce qui serait garanti en l'espèce par le titre 1, paragraphe 1, du protocole n° 4.

S'agissant de l'article 23, paragraphe 3, du projet, qui traite de l'hypothèse d'une divergence jurisprudentielle entre une juridiction de dernière instance d'un État partie et la Cour et qui devrait se lire en liaison avec l'article 27 du projet, auquel il renvoie, le gouvernement espagnol considère que sa rédaction peut être regardée, en l'état, comme compatible avec le traité, mais manque de clarté et pourrait être améliorée sur un point. En effet, l'article 23, paragraphe 3, du projet ne préciserait pas que, dans l'hypothèse examinée, le comité mixte est tenu de respecter la jurisprudence de la Cour. Ce serait uniquement dans le cas où le comité mixte échoue à trouver une solution que l'article 27 du projet pourrait être appliqué et seule cette disposition prévoirait que les décisions du comité mixte ne peuvent affecter la jurisprudence de la Cour. Dans un souci de clarté, il conviendrait de préciser également à l'article 23, paragraphe 3, du projet que, lorsque le comité mixte a été saisi d'une divergence, la décision de celui-ci doit respecter la jurisprudence de la Cour.

Le gouvernement italien conteste l'affirmation de la Commission selon laquelle, puisque l'accord EEE a servi de modèle aux articles 23 et 27 du projet, ceux-ci sont nécessairement compatibles avec le traité. En effet, ce gouvernement expose que la Cour n'a accepté la formule retenue dans l'accord EEE qu'avec réticence et compte tenu d'un contexte particulier qui diffère de celui du projet.

Or, le contrôle de l'application de l'accord EAEC prévu par le projet serait de type purement politique et non juridictionnel. Le comité mixte serait un organe de nature diplomatique chargé de déterminer les conséquences d'arrêts de la Cour, d'assurer l'interprétation homogène dudit accord et de régler les différends. L'exercice de ces fonctions ne serait soumis à aucun contrôle et les procédures applicables ne seraient pas fixées de manière adéquate. Le simple rappel de l'obligation qu'a le comité mixte de se conformer à la jurisprudence de la Cour n'aurait d'autre valeur que déclaratoire.

Les fonctions de contrôle de la Cour seraient en revanche limitées, exception faite de l'examen de la légalité des actes des institutions communautaires pris sur le fondement de l'accord EAEC. Seuls ses arrêts antérieurs à la signature dudit accord seraient contraignants. Sa compétence préjudicielle dépendrait exclusivement de la volonté des États parties et l'autorité des arrêts qu'elle rendrait selon cette procédure ne serait pas précisée, contrairement à ce qu'affirme la Commission. Si les interprétations retenues par la Cour s'imposent à la juridiction de renvoi, elles ne pourraient être obligatoires pour les juridictions des États parties qui n'ont pas accepté la compétence préjudicielle de la Cour que par l'effet d'une éventuelle intervention du comité mixte, à la différence des arrêts rendus en application de l'article 234 CE.

Il s'agit donc, selon le gouvernement italien, de modalités de contrôle archaïques et étrangères à la tradition communautaire désormais établie.

En particulier, ce gouvernement conteste trois aspects du projet.

Tout d'abord, l'article 23, paragraphe 1, du projet se bornerait à prévoir que les décisions du comité mixte déterminant les conséquences de décisions et d'arrêts postérieurs à la signature de l'accord EAEC doivent être conformes à la jurisprudence de la Cour. Or, la Cour aurait formulé des réserves sur les dispositions correspondantes de l'accord EEE, en particulier sur la distinction entre la jurisprudence nouvelle et l'ancienne (avis 1/91, précité, point 26) ainsi que sur le respect de certains aspects essentiels de la jurisprudence (avis 1/91, précité, point 28). De même, la Cour n'aurait levé ses réserves sur les dispositions de l'article 105 de l'accord EEE, introduit après l'avis 1/91, précité, et chargeant un comité de préserver l'homogénéité de l'interprétation de cet accord, qu'en raison de la présence du «procès-verbal agréé ad article 105» qui impose à ce comité de ne pas affecter par ses décisions la jurisprudence de la Cour (avis 1/92, précité, points 22 à 25).

Les conditions d'intervention du comité mixte prévues à l'article 23, paragraphe 1, du projet seraient imprécises et peu rigoureuses puisque ce comité agirait à la demande d'une partie contractante, que l'emploi du terme «conséquences» lui conférerait un pouvoir quasi discrétionnaire d'intervenir ou non et que l'unanimité requise rendrait difficile l'exercice de ses pouvoirs. En revanche, le fait que ledit comité puisse intervenir préventivement constituerait une garantie forte.

Ensuite, l'article 23, paragraphe 2, du projet comporterait dans sa version italienne une rédaction surprenante quant au caractère contraignant des arrêts rendus par la Cour à titre préjudiciel. En effet, l'avis 1/91, précité, aurait déclaré incompatible avec le traité le fait qu'il puisse être demandé à la Cour de «s'exprimer» («di pronunciarsi») sur une question d'interprétation; l'avis 1/92, précité, aurait en revanche admis l'effet contraignant d'une demande de «décision» («decisione»). Or, le projet emploierait, dans sa version italienne, non le terme «decisione» mais l'expression «di pronunciarsi».

Enfin, les procédures prévues aux articles 23, paragraphe 3, et 27 du projet, s'agissant du rôle du comité mixte, seraient très proches de celles qui figurent aux articles 105 et 111 de l'accord EEE et que la Cour aurait considérées comme compatibles avec le traité dans l'avis 1/92, précité. Toutefois, il conviendrait de s'interroger sur la raison pour laquelle l'article 27, paragraphe 2, du projet prévoit que les décisions dudit comité «n'affectent pas la jurisprudence de la Cour» alors que l'article 23, paragraphe 1, du projet fixe l'exigence plus stricte de prendre des décisions «conformes à la jurisprudence de la Cour». Le premier libellé ne garantirait que l'autonomie du droit communautaire. Le second assurerait l'autorité des décisions de la Cour et devrait être utilisé dans les deux cas.

Le gouvernement du Royaume-Uni indique pour sa part que le régime de contrôle juridictionnel et de règlement des différends prévu par le projet, y compris son article 23, paragraphes 2 et 3, lui paraît compatible avec le traité, tel qu'il a été interprété par la Cour dans ses avis 1/91 et 1/92, précités.

Quant au rôle de la Commission dans la mise en oeuvre des règles de concurrence et d'autres règles prévues par l'accord EAEC, il serait conforme au principe dégagé par la Cour aux points 40 et 41 de l'avis 1/92, précité, selon lequel une convention internationale peut attribuer des compétences à la Communauté et à ses institutions dans le domaine de la concurrence, dès lors que cette attribution ne dénature pas leurs compétences prévues par le traité. En effet, les règles de l'accord EAEC qu'il reviendrait à la Commission d'appliquer seraient identiques à celles qui figurent dans le droit communautaire primaire et dérivé.

En outre, le contrôle juridictionnel des actes posés par la Commission sur ce fondement serait réservé à la Cour, ce qui n'aurait pas tant pour effet de donner à celle-ci une compétence dont elle dispose en tout état de cause que d'interdire à toute autre juridiction d'une partie contractante d'intervenir dans ce contrôle. Le contrôle juridictionnel des actes des institutions communautaires compétentes serait donc le même, qu'elles appliquent les règles de l'accord EAEC ou les règles communautaires correspondantes.

S'agissant des décisions de la Commission et des arrêts de la Cour qui sont antérieurs à la date de la signature de l'accord EAEC, le fait qu'ils s'imposent automatiquement, en vertu de l'article 23, paragraphe 1, du projet, dans l'interprétation et l'application de cet accord serait une condition nécessaire mais non suffisante pour garantir la concordance entre les deux corps de règles.

En ce qui concerne les décisions et les arrêts postérieurs à cette signature, le fait que le comité mixte doive en déterminer les conséquences en conformité avec la jurisprudence de la Cour, exigence plus rigoureuse que celle résultant de l'article 105 de l'accord EEE, garantirait une évolution harmonieuse des deux corps de règles et serait ainsi compatible avec le traité.

Quant à la compétence donnée à la Cour, par l'article 23, paragraphe 2, du projet, de se prononcer sur les questions posées par les juridictions d'un État partie, elle ne souffrirait pas d'objection dès lors que, d'une part, il serait clair que la décision par laquelle la Cour «statue» à ce titre est contraignante (voir avis 1/92, précité, point 37) et que, d'autre part, la liberté laissée aux États parties de permettre ou non à leurs juridictions de saisir la Cour ne serait pas en elle-même critiquable (avis 1/91, précité, point 60).

Sur la compétence donnée au comité mixte, par l'article 23, paragraphe 3, du projet, d'agir «de manière à assurer l'interprétation homogène» de l'accord EAEC lorsqu'un arrêt d'une juridiction d'une partie contractante s'écarte de la jurisprudence de la Cour, le gouvernement du Royaume-Uni soutient que, l'éventualité d'une divergence jurisprudentielle n'étant pas de nature à entraîner une incompatibilité d'un accord avec le traité (avis 1/91, précité, point 60), il en va de même, à plus forte raison, de dispositions conçues pour corriger les conséquences d'une telle éventualité. En outre, compte tenu de l'article 23, paragraphe 1, du projet, l'obligation qu'a le comité mixte d'agir «de manière à assurer l'interprétation homogène» de l'accord EAEC ne pourrait être interprétée autrement que comme exigeant que toute action de ce comité soit conforme à la jurisprudence de la Cour. L'article 23, paragraphe 3, du projet serait donc compatible avec le traité.

S'agissant du règlement des différends, les dispositions de l'article 27 du projet concernant le comité mixte seraient comparables à celles de l'article 111 de l'accord EEE, qui, selon la Cour, «ne portent pas atteinte au caractère contraignant de la jurisprudence de la Cour et à l'autonomie de l'ordre juridique communautaire» (avis 1/92, précité, point 29). Les dispositions du même article 27 conférant une compétence à la Cour seraient également compatibles avec le traité, ainsi que la Cour l'aurait déjà admis de dispositions analogues (avis 1/92, précité, points 33 et 35).

Le Parlement considère que le système de surveillance juridique prévu par le projet est compatible avec le traité.

Aux termes du projet, il serait possible que des juridictions nationales de dernier ressort ne soient pas tenues de déférer une question à la Cour à titre préjudiciel, y compris lorsqu'est en cause la validité d'un acte adopté sur le fondement de dispositions identiques en substance aux règles communautaires. Il existerait donc un risque théorique d'interprétations divergentes.

Toutefois, la présente procédure d'avis aurait seulement pour objet l'appréciation de la compatibilité de ce système juridictionnel avec le traité. Aux fins de cette appréciation, il conviendrait essentiellement de déterminer si le système envisagé «est de nature à mettre en cause l'autonomie de l'ordre juridique communautaire dans la poursuite des objectifs qui lui sont propres» (avis 1/91, précité, point 30). Or, la Cour aurait considéré, à propos de l'accord EEE, que l'absence d'obligation de saisir la Cour pour certaines juridictions ne menaçait pas l'autonomie de l'ordre juridique communautaire.

La Cour aurait également indiqué que ses arrêts rendus à titre préjudiciel devaient être contraignants (avis 1/91, précité, point 61). Le Parlement soutient que ce caractère contraignant est assuré dans le projet, étant donné qu'un arrêt à titre préjudiciel y est qualifié de «décision» (article 23, paragraphe 2, du projet) à appliquer (protocole n° 4 du projet), que le comité mixte prend, s'il est saisi de l'existence de jurisprudences divergentes, des décisions qui «n'affectent pas la jurisprudence de la Cour» (article 27, paragraphe 2, du projet), que les décisions de la Cour saisie d'un différend sont exécutoires et sans appel (article 27, paragraphe 3, du projet) et que la procédure de règlement des différends peut aller jusqu'à l'adoption de mesures de sauvegarde si la juridiction de l'État partie maintient son interprétation divergente (article 27, paragraphe 4, du projet).

Le rôle, confié au comité mixte, d'assurer l'interprétation homogène de l'accord EAEC serait comparable à celui du comité prévu par l'accord EEE. Le Parlement se serait interrogé, à propos de ce dernier accord, sur la capacité d'une «instance administrative» à trouver des solutions adéquates à des litiges portant sur des divergences jurisprudentielles. La Cour aurait néanmoins admis que l'attribution d'une telle compétence à ce dernier comité était compatible avec le traité s'il était tenu, par une disposition liant les parties contractantes, de ne pas méconnaître le caractère contraignant des décisions de la Cour dans l'ordre juridique communautaire.

Le Parlement considère que le rôle confié au comité mixte par le projet ne porte atteinte ni au caractère contraignant de la jurisprudence de la Cour ni à l'autonomie de l'ordre juridique communautaire, étant donné que les décisions de ce comité interprétant l'accord EAEC doivent être conformes à la jurisprudence de la Cour (article 23, paragraphe 1, du projet), qu'elles sont obligatoires pour les parties contractantes (article 26, paragraphe 1, du projet), que les décisions de ce comité prises dans le cadre de la procédure de règlement des différends n'affectent pas la jurisprudence de la Cour (article 27, paragraphe 2, du projet), que celle-ci prend, sur le fondement de l'article 27, paragraphe 3, du projet, des décisions exécutoires et sans appel et que, en cas d'impossibilité de trouver une solution au litige, la dénonciation de l'accord EAEC peut être envisagée (article 27, paragraphe 4, du projet).

Le Conseil considère que la demande d'avis est admissible quant aux deux questions de fond qu'elle pose, à savoir la question générale de la compatibilité du projet avec les exigences de l'ordre juridique communautaire et la question spécifique de la compatibilité du système de surveillance prévu par le projet avec le traité. Le projet contiendrait en effet, d'une part, des règles communes, visant à créer un espace aérien commun par l'intégration des marchés des transports aériens de toutes les parties contractantes, y compris la Communauté, et, d'autre part, des dispositions visant à garantir l'application et l'interprétation uniformes de ces règles.

Il y aurait lieu d'examiner les garanties de véritable homogénéité du droit dans l'EAEC qui sont apportées par le projet. Le Conseil soutient à cet égard que, comme s'agissant de la création de l'EEE, l'homogénéité des règles de droit dans cet espace n'est pas garantie par l'identité de contenu ou de rédaction des dispositions du droit communautaire en matière de transport aérien et des dispositions correspondantes du projet (avis 1/91, précité, point 22). En effet, selon le Conseil, le droit communautaire, qui vise l'intégration, ne se situe pas dans le même ordre juridique que ledit espace, qui repose sur une logique de coopération.

Il conviendrait donc de se demander si les mécanismes de convergence mis en place par le projet sont susceptibles de compenser cette différence structurelle, à la lumière des avis 1/91 et 1/92, précités. Le mécanisme d'intégration de la législation nouvelle des parties contractantes (article 24 du projet), la méthode d'intégration reprenant la distinction entre règlements et directives (article 2 du projet) et la nature contraignante des actes communautaires (article 2 du projet) ainsi que leur invocabilité en justice (article 17 du projet) tendraient à renforcer l'homogénéité des règles de droit sur le modèle de l'article 249 CE. Mais ils ne suffiraient pas à garantir cette homogénéité, qui dépendrait aussi du caractère satisfaisant des mécanismes juridictionnels d'interprétation et d'application.

La Cour aurait admis qu'un accord international peut prévoir la mise en place d'un système juridictionnel distinct s'imposant à la Communauté. Toutefois, s'agissant d'un accord qui, comme en l'espèce, reprend des dispositions essentielles de l'ordre communautaire et vise un objectif d'application uniforme de ces dispositions, le mécanisme juridictionnel devrait respecter le caractère exclusif de la compétence conférée à la Cour par l'article 220 CE pour assurer le respect du droit dans l'interprétation et l'application du traité.

À cet égard, le Conseil relève que le projet ne crée pas de juridiction spécifique, que, s'agissant des règles de droit communautaire antérieures à sa signature, il instaure une faculté de renvoi préjudiciel distincte de l'obligation de renvoi prévue, en droit communautaire, à l'article 234, troisième alinéa, CE et que, s'agissant des règles de droit communautaire postérieures, il charge le comité mixte d'en déterminer les conséquences.

La liberté laissée aux États parties de donner un caractère facultatif au renvoi préjudiciel ne soulèverait pas d'objection de principe. Quant au respect du caractère contraignant des décisions de la Cour et de l'autonomie de l'ordre juridique communautaire, bien que l'article 23 du projet ne précise pas s'il vise la jurisprudence de la Cour dans son ensemble, cette disposition serait suffisante, compte tenu de l'article 1er, paragraphe 3, du projet, qui sauvegarderait les compétences communautaires.

En outre, les compétences attribuées au comité mixte ne pourraient méconnaître le caractère contraignant des décisions de la Cour, étant donné, d'abord, que ses décisions fondées sur l'article 23, paragraphe 1, du projet devraient être conformes à la jurisprudence de la Cour, ensuite, que, saisi en vertu du paragraphe 3 de cet article, il assurerait l'interprétation homogène de l'accord EAEC à la lumière de la jurisprudence de la Cour et, enfin, que les décisions dudit comité seraient obligatoires pour les parties contractantes, conformément à l'article 26 du projet.

Le rôle d'organe de règlement des différends confié au comité mixte ne dénaturerait pas davantage la fonction de la Cour, puisque les décisions de ce comité fondées sur l'article 27, paragraphe 2, du projet n'affecteraient pas la jurisprudence de la Cour, que la décision de celle-ci, saisie d'un différend sur lequel ledit comité n'aurait pu prendre de décision, serait exécutoire et sans appel et que, en l'absence de recours devant la Cour, la Communauté pourrait dénoncer l'accord EAEC avec effet immédiat.

Examinant la répartition des compétences en matière de concurrence et les mécanismes de surveillance prévus en ce domaine, le Conseil considère que le projet ne dénature pas les compétences de la Communauté puisqu'il reproduit les dispositions communautaires applicables et les étend aux États parties. Cette identité de rédaction ne suffirait cependant pas à satisfaire aux exigences de la Cour. Il faudrait également que les compétences des institutions communautaires en matière de concurrence ne soient pas dénaturées.

Le Conseil rappelle à ce propos que le droit communautaire de la concurrence et des aides d'État repose sur le principe de décentralisation, les compétences étant exercées à la fois par la Commission et par les autorités nationales, sous le contrôle de la Cour. Les dispositions du projet d'accord EAEC ne remettraient pas en cause cette répartition.

Prise de position de la Cour

1.
    La Cour est appelée à se prononcer, selon les termes du point 15 de la demande d'avis tels qu'ils figurent dans plusieurs versions linguistiques de celle-ci, sur la compatibilité du système de surveillance «juridictionnelle» prévu par le projet avec les dispositions du traité (par exemple «gerichtliche Kontrolle» dans la version allemande, «judicial supervision» dans la version anglaise et «controllo giurisdizionale» dans la version italienne). Il ressort cependant d'autres versions linguistiques de la demande d'avis qu'elle vise le système de surveillance «juridique» envisagé par le projet (par exemple «surveillance juridique» dans la version française et «vigilancia jurídica» dans la version espagnole). De même, il résulte de l'ensemble de la demande d'avis, et en particulier de la mention selon laquelle la Commission s'interroge «notamment» sur la compatibilité avec le traité de l'article 23, paragraphes 2 et 3, du projet, que cette demande porte non seulement sur la compatibilité des mécanismes d'ordre juridictionnel prévus par le projet mais aussi sur celle de toutes les dispositions de ce texte qui visent à assurer la mise en oeuvre et l'interprétation uniformes de l'accord EAEC et de ses annexes ainsi qu'à prévenir et à régler les différends. Par suite, la demande d'avis porte sur les articles 17, 23 et 27 ainsi que sur le protocole n° 4 du projet. Elle n'a pas trait à la question de l'étendue de la compétence externe de la Communauté. L'accord EAEC serait conclu, ainsi que la Commission l'indique dans la demande d'avis, entre la Communauté et les États parties, à savoir des États qui ne sont pas membres de celle-ci.

2.
    L'accord EAEC a pour objet, selon l'article 1er du projet, «la création d'un espace aérien européen commun [...] fondé sur le libre accès au marché, la liberté d'établissement, des conditions de concurrence équitables et des règles communes, notamment en matière de sécurité et d'environnement». Le préambule du projet débute par la reconnaissance du «caractère intégré de l'aviation civile internationale» et l'affirmation selon laquelle l'EAEC est fondé sur «le respect des mêmes règles», celles de «la législation en vigueur à ce sujet dans la Communauté». Il indique que les parties contractantes ont à l'esprit «l'engagement pris dans les accords européens par chacun des États associés de conformer sa législation au droit communautaire». Les parties contractantes recherchent donc un niveau élevé d'intégration qui implique, ainsi que le précise la Commission dans la demande d'avis, l'institution de mécanismes garantissant effectivement l'uniformité d'application et d'interprétation des stipulations de l'accord EAEC et des règles de fond auxquelles ses annexes renvoient.

3.
    Dans ses finalités, le projet procède d'une logique comparable à celle de l'accord EEE, dont deux projets ont fait l'objet des avis 1/91 et 1/92, précités. S'il n'a, à la différence de l'accord EEE, qu'une dimension sectorielle, limitée au transport aérien, il a pour but, comme cet accord, l'extension de l'acquis communautaire à de nouveaux États, par transposition à un ensemble géographique plus vaste de règles qui sont en substance celles du droit communautaire.

4.
    Les parties contractantes se fixent également comme ambition, notamment pour éviter toute distorsion dans les règles de concurrence, de mettre en oeuvre et de respecter ces dispositions communes de la manière la plus homogène possible, dans un souci de coopération loyale. C'est ainsi qu'il faut analyser les stipulations de l'accord EAEC relatives à la surveillance juridique, dont la rédaction est, sur plusieurs points, directement inspirée de celle de l'accord EEE.

5.
    La recherche d'interprétation et d'application uniformes des mêmes règles peut, dans certaines hypothèses, affecter, au point de les dénaturer, les compétences de la Communauté et de ses institutions ou les conditions d'interprétation des normes communautaires. Un accord qui comporterait de telles incidences sur l'ordre juridique communautaire ne pourrait, dans la mesure où il porterait atteinte aux fondements de la Communauté et donc aux dispositions du traité lui-même, être adopté sur le seul fondement de l'article 300 CE. La Cour a ainsi considéré que le premier projet d'accord portant sur la création de l'EEE qui lui avait été communiqué pour avis mettait en cause l'autonomie de l'ordre juridique communautaire et était, par suite, incompatible avec le traité, en ce que, compte tenu du souci d'homogénéité manifesté par ses auteurs, il envisageait notamment de confier l'interprétation en dernier ressort des règles de cet accord, en substance identiques à celles du droit communautaire, à une Cour EEE, laquelle pouvait au surplus être amenée à se prononcer sur la répartition des compétences entre la Communauté et les États membres (avis 1/91, précité, points 30 à 46).

6.
    À l'inverse, lorsqu'un accord dissocie plus nettement sur le plan institutionnel la Communauté des autres parties contractantes et qu'il ne conditionne plus, en les dénaturant, l'exercice des compétences de la Communauté et de ses institutions ni l'interprétation du droit communautaire, l'autonomie de l'ordre juridique communautaire peut être considérée comme préservée. En particulier, le risque que la mise en oeuvre d'un accord affecte les fondements de la Communauté est d'autant plus faible que les États parties à cet accord sont regroupés dans une même organisation, dotée d'un organe juridictionnel et d'une autorité de surveillance propres, distincts des institutions communautaires. Tel était le cas du second projet d'accord portant sur la création de l'EEE communiqué pour avis à la Cour, que celle-ci a considéré comme compatible avec le traité en tenant compte de cette différence de contexte: le projet d'une Cour EEE avait été abandonné, la Cour AELE avait été créée et les décisions du comité chargé de régler les différends entre la Communauté et les États de l'AELE ainsi que de rechercher l'homogénéité d'interprétation des règles de l'EEE ne pouvaient en aucun cas affecter la jurisprudence de la Cour (avis 1/92, précité, points 18 à 35).

7.
    Le projet d'accord EAEC, dont les finalités sont comparables à celles de l'accord EEE, repose néanmoins sur un schéma institutionnel différent. Alors que l'accord EEE s'appuie sur le «double pilier» constitué, d'une part, par les Communautés et, d'autre part, par l'AELE, le projet envisage la fondation de l'EAEC sur un «pilier unique», solution rendue possible et nécessaire par l'absence de lien institutionnel préexistant dans le domaine du transport aérien entre les États parties. Là où les dispositions communautaires prévoient la compétence des institutions de la Communauté, notamment celle de la Commission, dans de nombreuses hypothèses, pour les règles de concurrence, les mêmes institutions ont compétence pour appliquer les dispositions correspondantes visées par le projet à l'ensemble de l'EAEC. Dans les domaines dans lesquels ni les règles de concurrence ni les textes de droit dérivé mentionnés à l'annexe I du projet ne confèrent d'attributions aux institutions communautaires, les États parties sont chargés de l'application des stipulations de l'accord EAEC. Le règlement des différends et la recherche d'une mise en oeuvre homogène des dispositions concernées sont confiés au comité mixte institué par l'article 25 du projet. Par ailleurs, le projet ouvre la possibilité aux États parties de permettre à leurs juridictions de saisir la Cour de renvois préjudiciels, faculté qui présente en l'occurrence d'autant plus d'importance qu'il n'existe pas d'organe juridictionnel commun à ces États qui puisse assurer, en dehors du territoire communautaire, une certaine unité d'interprétation des règles de l'accord EAEC.

8.
    Le projet reconnaît donc des compétences étendues à la Commission, qui serait ainsi chargée du respect des règles de concurrence de l'EAEC dans l'ensemble de cet espace. Il fait également reposer sur le comité mixte de l'EAEC des responsabilités qui peuvent s'avérer plus larges que celles prévues pour le comité mixte de l'EEE: les cas de divergence d'interprétation des règles de l'accord EAEC ou de différend dans leur mise en oeuvre susceptibles d'être soumis au premier comité pourraient être plus nombreux, dans la mesure où il n'existe pour les États parties aucune organisation spécifique les regroupant comparable à l'AELE ni d'organe juridictionnel commun.

9.
    Ce choix institutionnel d'un «pilier unique», dans lequel la Commission, notamment, assure un rôle régulateur nouveau, est de nature à contribuer au niveau élevé d'intégration des différents marchés de transport aérien recherché par les parties contractantes. De même, la très large identité des termes du projet et des dispositions communautaires correspondantes est susceptible de favoriser le respect des règles communes de concurrence, de sécurité, d'environnement et sociales applicables au sein de l'EAEC et ainsi de faciliter l'exercice des nouvelles missions de la Commission. Elle constitue la principale garantie d'uniformité des conditions d'ouverture des marchés pour les opérateurs et les ressortissants des États parties ou couverts par l'accord EAEC.

10.
    Néanmoins, les orientations ainsi reflétées par le projet ont pour effet, d'une part, d'organiser la juxtaposition sur un même espace géographique, celui de l'EAEC, de règles de droit communautaire et de règles qui en sont le décalque, qui ne seront pas systématiquement appliquées ni interprétées par les mêmes autorités ou organismes, ce qui pourrait être à l'origine de divergences préjudiciables au fonctionnement de l'accord EAEC. Elles ont, d'autre part, pour conséquence de confier à la Commission le soin d'appliquer nombre de règles de cet accord en dehors du territoire communautaire, créant ainsi des relations particulières entre la Communauté et les États parties.

11.
    Dans un tel contexte, caractérisé par le fait qu'un grand nombre des règles de l'accord EAEC sont matériellement celles du droit communautaire, il revient à la Cour de vérifier si le projet qui lui est soumis comporte des mesures suffisantes, au moins comparables à celles prévues par l'accord EEE, à même de garantir que la recherche d'unité d'interprétation de ces règles et les liens institutionnels nouveaux établis par l'accord EAEC entre la Communauté et les États parties n'affectent pas l'autonomie de l'ordre juridique communautaire. En particulier, il importe que les mécanismes de cet accord fassent obstacle à ce que la Communauté, en cas de litige avec un État partie, soit soumise à une interprétation déterminée des règles de droit communautaire reprises par le même accord. Celui-ci doit ainsi permettre de prévenir et d'empêcher que de telles atteintes soient portées à l'objectif d'unité d'interprétation du droit communautaire fixé par l'article 220 CE et à la fonction de contrôle de légalité des actes des institutions communautaires dont la Cour a la charge (voir, en ce sens, avis 1/91, précité, points 41 à 46).

12.
    Ainsi, la préservation de l'autonomie de l'ordre juridique communautaire suppose, d'une part, que les compétences de la Communauté et de ses institutions, telles qu'elles sont conçues dans le traité, ne soient pas dénaturées (avis précités 1/91, points 61 à 65, et 1/92, points 32 et 41).

13.
    Elle implique, d'autre part, que les mécanismes relatifs à l'unité d'interprétation des règles de l'accord EAEC et au règlement des différends n'aient pas pour effet d'imposer à la Communauté et à ses institutions, dans l'exercice de leurs compétences internes, une interprétation déterminée des règles de droit communautaire reprises par ledit accord (avis précités 1/91 et 1/92).

14.
    En ce qui concerne les incidences du projet d'accord EAEC sur les compétences de la Communauté et de ses institutions, il y a lieu de considérer qu'il n'affecte pas la nature de ces compétences dans une mesure telle qu'il devrait être déclaré incompatible avec le traité.

15.
    D'une part, l'accord EAEC n'aura pas d'incidence sur la répartition des compétences entre la Communauté et les États membres.

16.
    En effet, les États membres ne seront pas parties à l'accord EAEC. Il n'y a donc pas de risque que le comité mixte ou une juridiction saisie d'un conflit portant sur l'interprétation de certaines dispositions dudit accord applique ou interprète la notion de «partie contractante» d'une manière qui aurait pour conséquence de déterminer les compétences respectives des États membres et de la Communauté (voir, en ce sens, pour une conclusion contraire, avis 1/91, précité, points 31 à 36).

17.
    En outre, le fait que les États membres ne sont pas parties à l'accord EAEC garantit que les différends entre les États membres ou entre ceux-ci et les institutions communautaires portant sur l'interprétation des normes de droit communautaire applicables au transport aérien continueront de relever des seuls mécanismes prévus par le traité. La procédure de règlement des différends par le comité mixte, instituée par l'article 27 du projet, ne concerne en effet que les litiges entre les États parties et ceux opposant ces États ou l'un d'eux à la Communauté. Elle ne méconnaît donc pas les dispositions de l'article 292 CE, aux termes duquel «[l]es États membres s'engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l'interprétation ou à l'application du présent traité à un mode de règlement autre que ceux prévus par celui-ci».

18.
    D'autre part, l'extension des compétences des institutions de la Communauté qu'envisage le projet n'affecte pas davantage la nature desdites compétences.

19.
    Plusieurs stipulations du projet, notamment ses articles 19 à 22, reconnaissent aux institutions communautaires des attributions à l'égard des États parties, qui ne sont pas membres de la Communauté. C'est le cas en particulier pour la Commission, en vertu des stipulations des articles 11 à 16 du projet, relatifs aux règles de concurrence, et des articles 17 à 22 du projet, relatifs à l'application de l'accord EAEC, mais aussi pour la Cour qui pourra, en vertu de l'article 23, paragraphe 2, et du protocole n° 4 du projet, statuer sur des questions préjudicielles posées par des juridictions des États parties et, en application de l'article 27, paragraphe 3, du projet, trancher les différends que les parties contractantes auront décidé de lui soumettre, en cas d'échec de la procédure devant le comité mixte.

20.
    La Cour a déjà admis qu'un accord international conclu par la Communauté avec des États tiers peut avoir des incidences sur les compétences des institutions communautaires, sans pour autant être regardé comme incompatible avec le traité. Ainsi qu'elle l'a constaté dans ses avis relatifs aux projets d'accord portant sur la création de l'EEE, un tel accord est considéré comme compatible avec le traité s'il ne dénature pas les compétences que celui-ci confère aux institutions de la Communauté (voir, notamment, avis 1/92, précité, points 32 et 41).

21.
    Or, si le projet d'accord EAEC a des incidences sur les compétences des institutions communautaires, il ne dénature pas ces compétences et, par suite, ne porte pas dans cette mesure atteinte à l'autonomie de l'ordre juridique communautaire.

22.
    En effet, en ce qui concerne la Commission, les stipulations du projet s'inspirent étroitement des dispositions du traité qui définissent la mission qu'elle exerce dans le domaine de la concurrence à l'égard des États membres.L'identité des règles de fond de l'accord EAEC et de celles du droit communautaire, que la Commission aura à mettre en oeuvre aux côtés des États parties, ainsi que le choix institutionnel d'un «pilier unique» doivent être également regardés comme des garanties de préservation de la nature des compétences des institutions communautaires.

23.
    S'agissant de la Cour, les conditions essentielles de préservation de la nature de ses compétences sont remplies par les dispositions du projet d'accord EAEC.

24.
    D'une part, l'article 17, paragraphe 3, de ce texte confie à la Cour le soin de statuer sur «[t]outes les questions concernant la légalité des décisions des institutions de la Communauté prises sur la base du présent accord». Le monopole de la fonction de contrôle de légalité des actes des institutions communautaires, que celles-ci agissent en application du traité ou sur le fondement d'un autre acte international, reconnu à la Cour notamment par les articles 230 CE et 234 CE, n'est donc pas mis en cause.

25.
    D'autre part, dans toutes les hypothèses où le projet confie des compétences à la Cour, le caractère contraignant des décisions de celle-ci sera préservé, contrairement à la crainte exprimée à ce sujet par le gouvernement italien dans ses observations (voir avis 1/91, précité, points 59 à 65). C'est le cas tant des procédures de renvoi préjudiciel prévues à l'article 23, paragraphe 2, et au protocole n° 4 du projet que des procédures de règlement des différends prévues à l'article 27, paragraphe 3, du projet, qui stipule que «la décision [de la Cour] est exécutoire et sans appel».

26.
    Dans ces conditions, les dispositions du projet d'accord EAEC ne dénaturent pas les compétences de la Communauté et de ses institutions et ne portent donc pas atteinte dans cette mesure à l'autonomie de l'ordre juridique communautaire. Elles peuvent, dès lors, être regardées comme compatibles avec le traité.

27.
    Après l'analyse des incidences du projet sur les compétences de la Communauté et de ses institutions, il convient de s'interroger sur la portée des mécanismes que le projet prévoit pour assurer l'homogénéité d'interprétation des règles de l'accord EAEC et le règlement des différends. Ainsi qu'il a été dit au point 13 du présent avis, l'autonomie de l'ordre juridique communautaire ne serait pas préservée si ces mécanismes avaient pour effet d'imposer à la Communauté et à ses institutions, dans l'exercice de leurs compétences internes, une interprétation déterminée des règles de droit communautaire reprises par ledit accord.

28.
    Doivent être successivement analysés à cet égard les stipulations qui déterminent les caractéristiques des règles de l'accord EAEC, les mécanismes de renvoi préjudiciel, les dispositions de l'article 23, paragraphe 1, du projet et celles du paragraphe 3 du même article, relatives à l'interprétation desdites règles, ainsi que les mécanismes de règlement des différends.

29.
    En premier lieu, le projet prévoit que les règles de l'accord EAEC respecteront, conformément à la volonté des parties contractantes, les caractères généraux du droit communautaire. Le préambule du projet réaffirme ainsi «l'engagement pris dans les accords européens par chacun des États associés de conformer sa législation au droit communautaire». L'article 2 du projet précise, parallèlement aux dispositions de l'article 249 CE, qu'un acte visé à l'annexe I du projet et correspondant à un règlement communautaire sera «intégré en tant que tel dans l'ordre juridique interne des parties contractantes» et qu'un acte correspondant à une directive communautaire «laisse aux autorités des parties contractantes la compétence quant à la forme et aux moyens de sa mise en oeuvre». L'article 17, paragraphe 1, du projet prévoit encore que les parties contractantes veilleront à ce que les droits qui découlent de l'accord EAEC puissent «être invoqués devant les juridictions nationales». Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la recherche d'homogénéité dans l'application des normes contenues dans l'accord EAEC s'effectuera dans le respect des caractères essentiels des normes communautaires.

30.
    En deuxième lieu, les mécanismes de renvoi préjudiciel prévus à l'article 23, paragraphe 2, et au protocole n° 4 du projet, qui ouvrent aux États parties la possibilité d'autoriser leurs juridictions à saisir la Cour de questions préjudicielles, peuvent être considérés comme compatibles avec le traité.

31.
    Sans doute ces stipulations n'ont-elles pas pour objet d'offrir de plein droit aux juridictions des États parties la faculté de saisir la Cour. Le protocole n° 4 du projet dispose en effet que les options de renvoi préjudiciel qu'il propose s'offrent à chaque État partie «[d]ans l'hypothèse où [celui-ci] prend une décision sur les modalités d'application [de l'article 23, paragraphe 2, du projet]». Cette lecture est confirmée par les dispositions de l'article 23, paragraphe 3, du projet, qui envisagent la situation dans laquelle une juridiction d'un État partie ne serait «pas en mesure de saisir la Cour».

32.
    Toutefois, la Cour a déjà admis, à propos des stipulations équivalentes de l'accord EEE, que des États puissent avoir la liberté d'autoriser ou non leurs juridictions à la saisir (avis 1/91, précité, point 60).

33.
    La Cour a également considéré par le même avis qu'elle pouvait être saisie de questions préjudicielles émanant de juridictions autres que celles des États membres, sous réserve que les réponses qu'elle y apporte aient un caractère contraignant pour les juridictions de renvoi (avis 1/91, précité, points 59 et 61 à 65). Il en va bien ainsi dans le projet d'accord EAEC, ainsi qu'il a été exposé, puisque la saisine de la Cour en vertu de l'article 23, paragraphe 2, de ce texte, dont les modalités sont précisées par les différentes options prévues à son protocole n° 4, lui permettra, conformément aux termes de ce protocole, de se prononcer de manière contraignante sur l'interprétation comme sur la validité des règles de l'accord EAEC.

34.
    En troisième lieu, les mécanismes visés à l'article 23, paragraphe 1, du projet, relatifs à l'interprétation des dispositions de l'accord EAEC identiques en substance à celles du droit communautaire, permettent une prise en compte satisfaisante par les parties contractantes de la jurisprudence de la Cour.

35.
    L'article 23, paragraphe 1, du projet stipule en effet que les dispositions de fond de l'accord EAEC sont, pour leur mise en oeuvre et leur application, interprétées conformément aux décisions de la Commission et aux arrêts de la Cour relatifs à des dispositions identiques du droit communautaire.

36.
    Si cette disposition limite la reconnaissance de l'autorité contraignante des décisions de la Commission et de la jurisprudence de la Cour aux décisions et aux arrêts antérieurs à la signature de l'accord EAEC, cette circonstance ne constitue pas, par elle-même, une cause d'incompatibilité avec le traité, dès lors que des procédures adéquates sont instituées pour que la jurisprudence postérieure de la Cour ne soit pas affectée et que soit ainsi garantie l'unité d'interprétation des règles du droit communautaire (avis 1/92, précité, points 21 à 23).

37.
    Dans son avis 1/92, précité, relatif à un projet d'accord portant sur la création de l'EEE, la Cour a constaté que les procédures relatives à la prise en compte de sa jurisprudence étaient suffisantes. Les mécanismes retenus par ce projet étaient les suivants. D'une part, le comité mixte de l'EEE était destinataire des arrêts et des décisions de la Cour et de la Cour AELE et devait procéder à un examen permanent du développement de leur jurisprudence pour préserver l'interprétation homogène de l'accord concerné. D'autre part, les décisions de ce comité, qu'elles fussent relatives aux suites à donner au développement de la jurisprudence de la Cour ou au règlement des différends sur l'interprétation dudit accord, étaient prises «d'un commun accord» et ne pouvaient, «en aucun cas, affecter la jurisprudence de la Cour». Cette dernière règle a d'ailleurs été qualifiée par la Cour, au point 24 du même avis, de «garantie essentielle indispensable à l'autonomie de l'ordre juridique communautaire».

38.
    Or, les dispositions du projet d'accord EAEC, sans être identiques à celles de l'accord EEE, présentent des garanties globalement comparables.

39.
    D'abord, l'article 23, paragraphe 1, du projet stipule expressément et dans une forme liant les parties contractantes que les décisions du comité mixte, bien que celui-ci ne se voie pas confier de mission permanente d'examen du développement de la jurisprudence de la Cour et des juridictions des États parties, «doivent être conformes à la jurisprudence de la Cour». Le comité mixte, dont la fonction consiste, lorsqu'il est saisi par l'une des parties contractantes, à assurer le «fonctionnement correct» de l'accord EAEC, ne pourra donc imposer aux représentants de la Communauté qui siégeront en son sein une interprétation des règles de cet accord contraire à la jurisprudence de la Cour. Le texte du projet ne fait d'ailleurs pas obstacle à ce que la position adoptée par la Communauté au sein du comité mixte puisse être, le cas échéant, soumise à la Cour par la voie des recours institués par le traité.

40.
    Ensuite, l'exigence prévue à l'article 25, paragraphe 3, du projet, selon laquelle le comité agit à l'unanimité de ses membres, si elle peut se révéler préjudiciable au bon fonctionnement de cet accord en ne permettant pas de dégager des interprétations toujours homogènes des règles de l'accord EAEC, doit être également regardée comme une garantie, pour la Communauté, de ne pas se voir imposer, dans ses relations avec les États membres ou les ressortissants de la Communauté, une interprétation contraire à la jurisprudence communautaire.

41.
    Enfin, le fait que l'article 23, paragraphe 1, du projet ne mette expressément en place aucune voie de recours dans l'hypothèse où le comité mixte ne parviendrait pas à se déterminer n'est susceptible d'avoir d'incidences préjudiciables que pour le bon fonctionnement de l'accord EAEC. En effet, les divergences dans l'interprétation des règles de l'accord EAEC que cette lacune pourrait laisser subsister, entre la Communauté et les États parties, n'auront pas, par elles-mêmes, de conséquences sur l'ordre juridique communautaire, dont les règles en substance identiques mais formellement distinctes conserveront leur propre interprétation.

42.
    En quatrième lieu, l'article 23, paragraphe 3, du projet, qui régit l'hypothèse dans laquelle une juridiction d'une partie contractante, statuant en dernier ressort, ne serait «pas en mesure de saisir la Cour» et qui prévoit la transmission de tout jugement prononcé par une telle juridiction au comité mixte, lequel prend alors position de manière à assurer l'interprétation homogène de l'accord EAEC, ne soulève pas davantage d'objections.

43.
    En effet, bien que ce paragraphe ne reprenne pas la prescription de l'article 23, paragraphe 1, du projet, selon laquelle les décisions du comité mixte «doivent être conformes à la jurisprudence de la Cour», la finalité de l'intervention du comité mixte est dans ce cadre, comme dans celui, plus général, de l'article 23, paragraphe 1, du projet de veiller à l'uniformité d'application des règles de l'accord EAEC. La condition que les décisions du comité mixte soient conformes à la jurisprudence de la Cour est donc applicable dans toutes les hypothèses où ledit comité cherche à atteindre cet objectif, au titre du paragraphe 1 comme du paragraphe 3 de cet article.

44.
    En dernier lieu, les mécanismes de règlement des différends institués par l'article 27 du projet, procédure à laquelle renvoie l'article 23, paragraphe 3, de celui-ci, sont inspirés de ceux prévus par l'accord EEE, que la Cour a considérés comme compatibles avec le traité, et sont institués dans le projet avec une formulation plus contraignante. Il est ainsi précisé, d'abord, dans le texte même du projet, que les décisions du comité mixte prises dans ce cadre «n'affectent pas la jurisprudence de la Cour». Ensuite, l'analyse déjà portée sur les stipulations de l'article 23, paragraphe 1, du projet en ce qui concerne les effets de la règle de l'unanimité est pleinement transposable ici. En outre, les différends que le comité mixte ne parviendra pas à régler pourront être soumis à la Cour, dont la décision sera «exécutoire et sans appel». Enfin, si la Cour ne peut être saisie de tels litiges, en vertu du titre 3 du protocole n° 4 du projet, que «de la même manière que les différends dont elle est saisie en vertu de l'article 239 du traité CE», c'est-à-dire en vertu d'un compromis qui suppose l'accord des parties au différend, cette disposition aura pour conséquence de limiter les hypothèses dans lesquelles la Cour sera amenée à se prononcer, mais ne placera pas les représentants de la Communauté au sein du comité mixte sous la contrainte d'avoir à appliquer des règles contraires au droit communautaire.

45.
    Dès lors, il y a lieu de considérer que les mécanismes relatifs à l'homogénéité d'interprétation des règles de l'accord EAEC et au règlement des différends n'auront pas pour effet d'imposer à la Communauté et à ses institutions, dans l'exercice de leurs compétences internes, une interprétation déterminée des règles de droit communautaire reprises par cet accord.

46.
    Par suite, les stipulations des articles 17, 23 et 27 ainsi que du protocole n° 4 de l'accord EAEC, dans la rédaction qui a été soumise à la Cour, n'affectent pas l'autonomie de l'ordre juridique communautaire. Dans ces conditions, le système de surveillance juridique que cet accord envisage de mettre en place par lesdites stipulations doit être déclaré compatible avec le traité.

En conséquence,

LA COUR

composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, M. P. Jann, Mmes F. Macken et N. Colneric, et M. S. von Bahr, présidents de chambre, MM. C. Gulmann, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet, M. Wathelet, R. Schintgen, V. Skouris, J. N. Cunha Rodrigues et C. W. A. Timmermans, juges,

après avoir entendu MM. S. Alber, premier avocat général, F. G. Jacobs, P. Léger, D. Ruiz-Jarabo Colomer, J. Mischo, A. Tizzano, L. A. Geelhoed et Mme C. Stix-Hackl, avocats généraux,

émet l'avis suivant:

Le système de surveillance juridique que l'accord portant sur la création d'un espace aérien européen commun envisage de mettre en place par ses articles 17, 23 et 27 ainsi que par son protocole n° 4 est compatible avec le traité CE.

Rodríguez Iglesias            Jann

Macken

Colneric                von Bahr

Gulmann

Edward                Puissochet

Wathelet

Schintgen                                

Skouris

Cunha Rodrigues

Timmermans

Fait à Luxembourg, le 18 avril 2002.

Le greffier

Le président

R. Grass

G. C. Rodríguez Iglesias