Language of document : ECLI:EU:T:2017:602

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

14 septembre 2017 (*)

« Concurrence – Abus de position dominante – Marchés des logiciels de conception assistée par ordinateur et des informations sur les interfaces pour ces logiciels – Décision de rejet d’une plainte – Marché pertinent – Erreur manifeste d’appréciation – Défaut d’intérêt de l’Union »

Dans l’affaire T‑751/15,

Contact Software GmbH, établie à Brême (Allemagne), représentée par Mes J.-M. Schultze, S. Pautke et C. Ehlenz, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. C. Vollrath, I. Zaloguin et Mme L. Wildpanner, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Dassault systèmes, établie à Vélizy-Villacoublay (France), représentée par Me R. Snelders, avocat, et M. J. Messent, barrister,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation partielle de la décision C(2015) 7006 final de la Commission, du 9 octobre 2015, rejetant la plainte introduite par la requérante concernant des infractions à l’article 102 TFUE prétendument commises par Dassault systèmes et Parametric Technology Corp. sur certains marchés de logiciels de conception assistée par ordinateur ainsi que sur certains marchés des informations sur les interfaces pour ces logiciels (affaire COMP/39846 – Contact/Dassault & Parametric),

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Gratsias, président, A. Dittrich et P. G. Xuereb (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Contact Software GmbH, est une entreprise allemande qui fournit des logiciels PDM (product data management, gestion de données relatives aux produits). Les logiciels PDM permettent aux entreprises de stocker et d’organiser toutes les données relatives à un certain produit, y compris les données afférentes à des logiciels CAO (conception assistée par ordinateur). Les logiciels CAO permettent la conception assistée par ordinateur de produits et constituent un outil standard du développement et de la fabrication de tout produit fini industriel. Il existe des logiciels CAO dans différentes spécifications, tels que les systèmes de logiciels CAO mécaniques et les systèmes de logiciels CAO électriques, les systèmes en 2D et en 3D ainsi que les systèmes haut de gamme, moyen de gamme et bas de gamme.

2        Les logiciels PDM et les logiciels CAO forment, avec d’autres composants, le PLM (product lifecycle management, gestion du cycle de vie des produits) d’une entreprise. La notion de PLM regroupe les solutions logicielles et les stratégies informatiques fondées sur celles‑ci qui permettent aux entreprises de disposer d’une infrastructure pour les processus utilisés dans le cadre du développement, de la fabrication et de la commercialisation des produits.

3        L’élément déterminant pour l’interaction entre les logiciels CAO et les logiciels PDM est l’interopérabilité de ces deux modules logiciels.

4        L’intervenante, Dassault systèmes, entreprise française qui fait partie du groupe Dassault, est un fournisseur de solutions logicielles CAO et de solutions logicielles PDM. Ses produits principaux sont le logiciel CATIA, qui constitue un logiciel CAO, et le logiciel Enovia, qui constitue un logiciel PDM.

5        Parametric Technology Corp. (ci-après « Parametric »), entreprise établie aux États-Unis, fabrique, notamment, le logiciel Pro/Engineer, qui constitue un logiciel CAO.

6        Le 18 novembre 2010, la requérante a introduit une plainte auprès de la Commission européenne sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1). Cette plainte visait à dénoncer de prétendues violations de l’article 102 TFUE commises par l’intervenante et Parametric. Plus précisément, la requérante reprochait à ces deux entreprises d’avoir commis un abus de position dominante sur des marchés de logiciels CAO en refusant de lui fournir les informations indispensables sur les interfaces concernant les logiciels CATIA et Pro/Engineer lui permettant d’assurer l’interopérabilité de son logiciel PDM avec leurs propres logiciels CAO. En outre, la requérante soutenait que l’intervenante exploitait de manière abusive sa position sur le marché en couplant la solution logicielle PDM qu’était le logiciel Enovia et la nouvelle version de son logiciel CATIA.

7        Le 7 décembre 2010, la Commission a communiqué une version non confidentielle de la plainte à l’intervenante et à Parametric, qui ont présenté leurs observations sur cette plainte à la Commission.

8        La Commission a également adressé plusieurs demandes de renseignements à l’intervenante et à Parametric. En outre, la Commission a adressé des demandes de renseignements à des entreprises actives dans le secteur, y compris un questionnaire envoyé à des entreprises qui utilisaient des logiciels CAO.

9        Par lettre du 15 octobre 2014, la Commission a informé la requérante, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) nº 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), de son intention de rejeter la plainte. Dans cette lettre, la Commission a invité la requérante à présenter ses observations.

10      Par lettre du 28 novembre 2014, la requérante a présenté ses observations.

11      Le 9 octobre 2015, la Commission a adopté la décision C(2015) 7006 final (affaire COMP/39846 – Contact/Dassault & Parametric), en vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement nº 773/2004, par laquelle elle a rejeté la plainte de la requérante (ci-après la « décision attaquée »).

12      Selon la décision attaquée, le rejet de la plainte était dû à l’absence d’intérêt suffisant de l’Union européenne à poursuivre l’examen de l’affaire. Cette conclusion était fondée sur deux considérations. D’une part, sur le fondement de la plainte et des éléments de preuve recueillis par la Commission jusque-là, il n’aurait existé qu’une faible probabilité de pouvoir prouver que l’intervenante et Parametric avaient commis une infraction à l’article 102 TFUE. D’autre part, une enquête approfondie des faits exposés dans la plainte aurait été très complexe et coûteuse en temps et disproportionnée au regard de la faible probabilité de pouvoir prouver une infraction à l’article 102 TFUE.

13      En ce qui concerne la probabilité de pouvoir prouver une infraction à l’article 102 TFUE, la décision attaquée a examiné trois aspects, à savoir la délimitation du marché pertinent, la présence d’une position dominante sur le marché pertinent et la question de savoir s’il y avait un abus d’une telle position.

14      S’agissant de la délimitation du marché de produits pertinent, la décision attaquée a rappelé que, dans sa plainte, la requérante avait proposé de distinguer, en ce qui concerne les logiciels CAO, notamment, les marchés pertinents suivants : logiciels pour la construction mécanique et pour le développement électronique, logiciels en 2D et en 3D, logiciels spécifiques à des secteurs de l’économie et logiciels haut de gamme, moyen de gamme et bas de gamme. La décision attaquée a fait en outre état de ce que, au cours de la procédure devant la Commission, la requérante avait proposé de distinguer, d’une part, un marché de logiciels CAO pour les constructeurs automobiles et, d’autre part, un marché de logiciels CAO pour les sous-traitants du secteur automobile et qu’elle avait également soutenu qu’il fallait délimiter des marchés de logiciels CAO spécifiques pour chaque fournisseur déterminé. La décision attaquée a par ailleurs rappelé que, dans sa réponse à la lettre de la Commission du 15 octobre 2014, la requérante avait indiqué qu’elle avait toujours affirmé que le marché de produits pertinent serait limité au secteur automobile. Enfin, il ressort de la décision attaquée que la requérante a considéré qu’il était nécessaire de distinguer les marchés pour les informations sur les interfaces relatives aux logiciels CAO de chaque fournisseur.

15      La Commission a par ailleurs examiné, de manière plus détaillée, s’il était possible de distinguer un marché de logiciels CAO limité au secteur automobile, un marché de logiciels CAO spécifique à chaque fournisseur ou des marchés pour les logiciels CAO haut de gamme pour les constructeurs automobiles, d’une part, et pour les sous-traitants du secteur automobile, d’autre part. Elle est arrivée à la conclusion qu’il n’apparaissait pas que de tels marchés aient existé. Selon la Commission, toutefois, des éléments suggéraient qu’il y avait un marché pour les logiciels CAO haut de gamme et que celui-ci constituait la délimitation la plus étroite possible du marché pertinent.

16      Il ressort en outre de la décision attaquée que la Commission a considéré qu’il n’était pas possible de se fonder sur des marchés des informations sur les interfaces relatives aux logiciels CAO de chaque fournisseur.

17      S’agissant de la question de savoir si l’intervenante ou Parametric avaient une position dominante sur le marché pertinent, la Commission a conclu qu’il n’était pas vraisemblable que tel fût le cas en ce qui concernait le marché pour les logiciels CAO haut de gamme.

18      Enfin, la Commission a considéré que, même en supposant que Dassault eût une position dominante sur le marché pertinent, il n’apparaissait pas qu’il y eût un abus d’une telle position. Il ressort de la décision attaquée que, en ce qui concernait le premier abus allégué, ce constat s’appuyait sur la considération selon laquelle les informations sur les interfaces réclamées n’apparaissaient pas être indispensables au sens de la jurisprudence. Selon la Commission, d’une part, il semblait y avoir des solutions de remplacement et, d’autre part, il était improbable que la requérante fût exclue du marché des logiciels PDM en raison du comportement de l’intervenante ou de Parametric. La Commission a en outre expliqué qu’il était peu vraisemblable que l’intervenante exploitât de manière abusive sa position sur le marché en couplant la solution logicielle PDM qu’était le logiciel Enovia et la nouvelle version de son logiciel CATIA.

 Procédure et conclusions des parties

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 décembre 2015, la requérante a introduit le présent recours.

20      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 9 mars 2016, l’intervenante a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.

21      Par ordonnance du 7 septembre 2016, le président de la neuvième chambre du Tribunal a admis l’intervention.

22      Par lettre du 24 octobre 2016, l’intervenante a renoncé à la possibilité de soumettre un mémoire en intervention.

23      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la cinquième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

24      En vertu de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, en l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties principales dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phrase écrite de la procédure, le Tribunal peut décider de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure. En l’espèce, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, a décidé, en l’absence d’une telle demande, de statuer sans poursuivre la procédure.

25      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler partiellement la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

26      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

27      À l’appui de son recours, la requérante invoque quatre moyens. Le premier moyen est tiré d’erreurs de droit ainsi que d’erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne la délimitation des marchés pertinents. Le deuxième moyen est tiré d’erreurs de droit ainsi que d’erreurs manifestes dans l’appréciation tant de la position dominante sur le marché de l’intervenante et de Parametric que du refus abusif d’octroi de licence au sens de l’article 102 TFUE, dont ces dernières se seraient rendues coupables en refusant de fournir les informations sur les interfaces relatives à leurs logiciels CAO. Le troisième moyen est tiré d’une violation de l’obligation de motivation. Le quatrième moyen est tiré d’erreurs de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne la conclusion de la Commission sur l’absence d’intérêt suffisant de l’Union à poursuivre l’examen de l’affaire.

 Observations liminaires

28      La plainte que la requérante a soumise à la Commission visait deux prétendues violations distinctes de l’article 102 TFUE, à savoir, d’une part, le refus de l’intervenante et de Parametric de fournir les informations nécessaires sur les interfaces concernant les logiciels CATIA et Pro/Engineer et, d’autre part, la décision de l’intervenante de coupler sa solution logicielle PDM et la nouvelle version de son logiciel CATIA. Dans la décision attaquée, la Commission a rejeté ladite plainte dans sa totalité. Or, dans la requête, la requérante se limite à critiquer la position que la Commission a adoptée dans la décision attaquée en ce qui concerne la première des deux prétendues violations de l’article 102 TFUE. Il s’ensuit que le présent recours ne porte pas sur le rejet, dans la décision attaquée, de la plainte en ce qu’elle concernait la seconde de ces prétendues violations de l’article 102 TFUE.

29      En ce qui concerne les dispositions du droit de l’Union applicables en l’espèce, il convient de rappeler que l’article 7 du règlement n° 773/2004 ne confère pas au plaignant le droit d’exiger de la Commission une décision définitive quant à l’existence ou à l’inexistence de l’infraction alléguée et n’oblige en tout état de cause pas la Commission à poursuivre la procédure jusqu’au stade d’une décision finale (voir arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T‑201/11, EU:T:2014:1096, point 80 et jurisprudence citée).

30      En effet, la Commission, investie par l’article 105, paragraphe 1, TFUE de la mission de veiller à l’application des principes fixés par les articles 101 et 102 TFUE, est appelée à définir et à mettre en œuvre l’orientation de la politique de concurrence de l’Union. Afin de s’acquitter efficacement de cette tâche, elle est en droit d’accorder des degrés de priorité différents aux plaintes dont elle est saisie et dispose à cet effet d’un pouvoir discrétionnaire. La Commission est notamment en droit de se référer à l’intérêt de l’Union pour déterminer le degré de priorité à accorder aux différentes plaintes dont elle est saisie (arrêts du 19 septembre 2013, EFIM/Commission, C‑56/12 P, non publié, EU:C:2013:575, point 83, et du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T‑24/90, EU:T:1992:97, point 77 ; voir, également, arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T‑201/11, EU:T:2014:1096, point 81 et jurisprudence citée).

31      Si le contrôle juridictionnel des décisions de rejet de plainte ne doit certes pas conduire le Tribunal à substituer son appréciation de l’intérêt de l’Union à celle de la Commission, il convient de souligner que le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission à cet égard n’est cependant pas sans limites. En effet, la Commission est tenue d’examiner attentivement l’ensemble des éléments de fait et de droit qui sont portés à sa connaissance par les plaignants (voir arrêts du 19 septembre 2013, EFIM/Commission, C‑56/12 P, non publié, EU:C:2013:575, point 84 et jurisprudence citée, et du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T‑201/11, EU:T:2014:1096, point 82 et jurisprudence citée).

32      Pour apprécier l’intérêt de l’Union à poursuivre l’examen d’une affaire, la Commission doit tenir compte des circonstances du cas d’espèce et, notamment, des éléments de fait et de droit qui lui sont présentés dans la plainte dont elle est saisie. Il lui appartient, notamment, après avoir évalué, avec toute l’attention requise, les éléments de fait et de droit avancés par la partie plaignante, de mettre en balance l’importance de l’infraction alléguée pour le fonctionnement du marché intérieur, la probabilité de pouvoir établir son existence et l’étendue des mesures d’investigation nécessaires, en vue de remplir, dans les meilleures conditions, sa mission de surveillance du respect des articles 101 et 102 TFUE (voir arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T‑201/11, EU:T:2014:1096, point 83 et jurisprudence citée).

33      Selon une jurisprudence bien établie, la Commission peut rejeter une plainte pour défaut d’intérêt de l’Union suffisant à poursuivre l’examen de l’affaire aux seuls motifs qu’il n’existe qu’une probabilité limitée d’établir une violation des articles 101 et 102 TFUE et que l’étendue des mesures d’investigation nécessaires est disproportionnée (voir, en ce sens, arrêt du 16 janvier 2008, Scippacercola et Terezakis/Commission, T‑306/05, non publié, EU:T:2008:9, points 187 à 190).

34      Enfin, il importe de relever que le contrôle juridictionnel des décisions de rejet de plainte vise à vérifier que la décision litigieuse ne repose pas sur des faits matériellement inexacts et qu’elle n’est entachée d’aucune erreur de droit, ni d’aucune erreur manifeste d’appréciation, ni d’aucun détournement de pouvoir (voir arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T‑201/11, EU:T:2014:1096, point 85 et jurisprudence citée).

35      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner le présent recours.

36      Il convient d’examiner, tout d’abord, le troisième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

37      Selon la requérante, la Commission aurait manqué à son obligation de motiver ses décisions en ce qui concerne quatre aspects de la décision attaquée. Premièrement, la Commission aurait omis d’examiner si le marché des logiciels CAO destinés au secteur automobile pouvait être considéré comme le marché pertinent en l’espèce. Deuxièmement, en ce qui concerne l’examen des marchés de logiciels CAO spécifiques à chaque fournisseur, la Commission aurait établi son appréciation juridique sur un fondement matériel suranné dont elle aurait, de surcroît, une compréhension erronée. Troisièmement, la Commission n’aurait pas expliqué en quoi l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T‑201/04, EU:T:2007:289), lui a permis de déduire qu’il n’y avait pas lieu de délimiter un marché distinct des informations sur les interfaces. Quatrièmement, la Commission n’aurait pas expliqué la conclusion concernant l’existence d’une position dominante automatique qu’elle tirait de la délimitation d’un marché distinct des informations sur les interfaces pour les logiciels CAO de chaque fabricant.

38      La Commission conteste ces arguments. Elle soutient qu’elle a suffisamment motivé la décision attaquée.

39      Selon une jurisprudence bien établie, la motivation des actes des institutions de l’Union exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction de toutes les circonstances de l’espèce, notamment de la teneur de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 63 et jurisprudence citée, et du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, points 31 et 32 et jurisprudence citée).

40      En ce qui concerne plus spécifiquement le traitement d’une plainte portant sur des infractions au droit de la concurrence de l’Union, la Commission est astreinte à une obligation de motivation lorsqu’elle refuse de poursuivre l’examen d’une telle plainte. La motivation devant être suffisamment précise et détaillée pour mettre le Tribunal en mesure d’exercer un contrôle effectif sur l’exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire de définition des priorités, cette dernière est tenue d’exposer les éléments de fait justifiant de sa décision et les considérations juridiques qui l’ont amenée à prendre celle‑ci (voir, en ce sens, ordonnance du 31 mars 2011, EMC Development/Commission, C‑367/10 P, non publiée, EU:C:2011:203, point 75 et jurisprudence citée).

41      En ce qui concerne le premier aspect soulevé par la requérante, il convient de rappeler que, aux points 29 à 33 de la décision attaquée, et contrairement à ce que la requérante fait valoir, la Commission s’est penchée en détail sur la question de savoir s’il y avait lieu de définir un marché des logiciels CAO propre au secteur automobile (voir points 93 à 98 ci-après).

42      En ce qui concerne le deuxième aspect soulevé par la requérante, à savoir le reproche formulé par cette dernière selon lequel le fondement matériel de l’appréciation de la Commission aurait été suranné et, de surcroît, interprété de manière erronée, il ressort de la requête que cet argument vise l’utilisation et l’interprétation d’un article de presse relatif à la transition effectuée par Daimler du logiciel CAO de l’intervenante vers le logiciel CAO de Siemens. Or, comme la Commission l’a observé à juste titre, il s’agit là d’une question ayant trait à l’appréciation des preuves et, partant, à la légalité au fond de la décision attaquée, et non à l’obligation de motivation visée par l’article 296 TFUE.

43      En ce qui concerne le troisième aspect soulevé par la requérante, il convient de relever que celui-ci concerne les considérations consacrées par la Commission à la question de savoir s’il fallait délimiter des marchés des informations sur les interfaces pour logiciels CAO de chaque fournisseur. Dans la décision attaquée, la Commission a conclu qu’une telle délimitation du marché pertinent aurait pour conséquence que chaque fabricant d’un logiciel CAO aurait automatiquement une position dominante en ce qui concerne les marchés des informations sur les interfaces de ce logiciel, ce qui aboutirait à ce que le marché pertinent et la puissance sur le marché des différents fabricants seraient présentés de manière faussée. Cette motivation, bien que courte, était suffisante pour permettre à la requérante de connaître le raisonnement de la Commission et au Tribunal d’exercer son contrôle sur ce point. Comme la Commission l’a fait valoir dans le mémoire en défense, il n’était pas nécessaire d’expliquer plus en détail, à cet égard, la manière dont elle avait compris l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T‑201/04, EU:T:2007:289).

44      En ce qui concerne le quatrième aspect soulevé par la requérante, il convient de rappeler que, comme la Commission l’a observé à juste titre, la requérante avait elle-même indiqué que, « au sujet des marchés des informations sur les interfaces [pour les logiciels] CAO/PDM, chaque fabricant [était] en situation de monopole en ce qui concern[ait] les informations sur les interfaces de sa ligne de produits » et qu’« il n’exist[ait] pas de solution de remplacement aux informations des fabricants sur les interfaces ». Dans ces circonstances, il n’était certainement pas nécessaire pour la Commission d’expliquer plus en détail pourquoi elle considérait que la délimitation du marché proposée par la requérante aboutirait à une position dominante de chaque fournisseur.

45      Il est vrai que, dans la partie de la décision attaquée qui examine la possibilité d’un abus, la Commission semble considérer exclusivement la situation et le comportement de l’intervenante, bien que la plainte de la requérante soit aussi dirigée contre Parametric. Or, il ressort de la décision attaquée qu’il ne semblait y avoir aucun marché pertinent sur lequel l’intervenante ou Parametric auraient joui d’une position dominante. La Commission n’était donc aucunement obligée d’examiner si le comportement de Parametric pouvait constituer un abus. D’ailleurs, la requérante elle-même critique la Commission pour ne pas avoir continué à examiner si l’intervenante avait commis un abus, sans mentionner Parametric à cet égard.

46      Il résulte de ce qui précède que le troisième moyen doit être rejeté.

 Sur le premier moyen, tiré des erreurs de droit ainsi que des erreurs manifestes d’appréciation commises en ce qui concerne la délimitation des marchés pertinents

47      Selon la requérante, la Commission a commis des erreurs de droit ainsi que des erreurs manifestes d’appréciation en ne tenant pas compte de ses indications et de ses arguments concernant une délimitation plus étroite des marchés pertinents, qui supposerait la reconnaissance, d’une part, d’un marché autonome de logiciels CAO par fournisseur déterminé ou, à tout le moins, d’un marché de logiciels CAO haut de gamme destinés à l’industrie automobile et, plus largement, aux constructeurs automobiles ainsi qu’aux sous-traitants de ces derniers et, d’autre part, d’un marché des informations sur les interfaces relatives aux logiciels CAO de chaque fournisseur.

48      Il est donc nécessaire d’examiner si la décision attaquée est entachée d’erreurs quant à savoir si ces marchés pourraient être considérés comme des marchés pertinents en l’espèce.

49      Dans la décision attaquée, la Commission a examiné la question du marché pertinent en six chapitres. Le premier de ces chapitres contient des considérations générales sur la délimitation du marché pertinent. Le deuxième concerne le marché pour les logiciels CAO haut de gamme, qui, de l’avis de la Commission, pourrait être un marché pertinent en l’espèce. Le troisième examine s’il existe un marché de logiciels CAO haut de gamme destinés à l’industrie automobile. Le quatrième s’interroge sur l’existence, d’une part, d’un marché autonome de logiciels CAO par fournisseur déterminé et, d’autre part, d’un marché des informations sur les interfaces relatives aux logiciels CAO de chaque fournisseur. Le cinquième cherche à établir s’il existe, d’une part, un marché de logiciels CAO haut de gamme destinés aux constructeurs automobiles et, d’autre part, un marché de logiciels CAO haut de gamme destinés aux sous-traitants de ces derniers. Enfin, le sixième chapitre présente un sommaire des conclusions de la Commission sur la question du marché pertinent.

50      Le Tribunal considère que, pour l’examen du présent recours, il convient de suivre un ordre légèrement différent. En particulier, il apparaît utile d’examiner s’il existe un marché autonome de logiciels CAO par fournisseur déterminé avant d’examiner l’existence possible de marchés spécifiques au secteur automobile. La question de l’existence d’un marché des informations sur les interfaces relatives aux logiciels CAO de chaque fournisseur sera examinée en dernier lieu. En revanche, il n’est pas nécessaire d’examiner si, comme la décision attaquée le suggère, le marché pour les logiciels CAO haut de gamme pourrait être un marché pertinent, étant donné que la requérante n’attaque la délimitation de ce marché que dans la mesure où elle fait valoir qu’un marché pertinent plus étroit pourrait être identifié.

 Sur la définition du marché de produits pertinent en général

51      Dans la décision attaquée, la Commission a tout d’abord souligné qu’aucune des définitions de marché proposées par la requérante n’était étayée par les études de marché indépendantes en sa possession, dont nombre d’études élaborées par CIMdata, Inc., une entreprise spécialisée dans le conseil de gestion établie aux États-Unis.

52      Selon la décision attaquée, ces études distinguent, sur le marché des solutions de PLM, un certain nombre de segments, parmi lesquels celui des systèmes de logiciels CAO mécaniques, lui-même subdivisé en systèmes de logiciels CAO mécaniques multidisciplinaires et en systèmes de logiciels CAO mécaniques spécialisés en conception. Tant le logiciel CATIA que le logiciel Pro/Engineer sont considérés dans ces études comme des solutions logicielles CAO mécaniques multidisciplinaires.

53      La décision attaquée a rappelé en outre que la Commission s’était déjà penchée sur la question du marché pertinent en ce qui concerne les solutions logicielles de PLM, auxquelles appartiennent les logiciels CAO, dans deux décisions adoptées sur le fondement du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1). Une enquête de marché effectuée dans le cadre de l’examen de l’affaire COMP/M.5763 (Dassault systèmes/IBM DS PLM Software business) aurait semblé indiquer qu’une segmentation du marché des solutions logicielles de PLM en des applications individuelles (incluant les logiciels CAO et les logiciels PDM) pourrait être appropriée.

54      À cet égard, la requérante se limite, en substance, à émettre des doutes en ce qui concerne la pertinence et la fiabilité des éléments sur lesquels la Commission s’est fondée dans les considérations susmentionnées.

55      Or, le fait que, comme la requérante le fait valoir, aucune des études de marché invoquées par la Commission n’a procédé à une délimitation des marchés pertinents au moyen des règles juridiques du droit de la concurrence de l’Union ne signifie pas que ces études seraient dénuées de pertinence pour la délimitation du marché pertinent. En effet, la requérante ne conteste pas que CIMdata, l’auteur des études de marché citées par la Commission dans la décision attaquée, soit une source d’informations faisant autorité dans le secteur des logiciels CAO.

56      Dans la réplique, la requérante soutient que le fait que de telles études de marché élaborées « par des entreprises bien conscientes pour une industrie ayant les moyens et la volonté de payer » lui soient opposées confirme que la Commission n’a pas satisfait à son obligation de définir les marchés sur le plan juridique. Cet argument doit être rejeté. D’une part, la requérante se limite à cet égard à suggérer, de manière implicite, que lesdites études ne seraient pas entièrement objectives, sans spécifier ou étayer une telle supposition. D’autre part, et en tout état de cause, la Commission ne peut pas être critiquée pour avoir pris en compte des études de marché élaborées par une entreprise sur laquelle la requérante elle-même s’est fondée dans sa plainte.

57      En tout état de cause, la requérante n’a ni allégué ni démontré que, sur le fondement desdites études de marché, la Commission aurait dû arriver à la conclusion qu’un des marchés qu’elle lui avait proposés devait être considéré comme le marché pertinent en l’espèce.

58      En ce qui concerne les deux décisions adoptées sur le fondement du règlement n° 139/2004 auxquelles la décision attaquée fait référence, il est vrai que, comme la requérante le fait valoir, la Commission a laissé expressément en suspens la définition du marché pertinent dans ces décisions. Il n’en reste toutefois pas moins que la requérante n’a fourni aucun argument pour démontrer que la Commission aurait eu tort en concluant que les résultats de l’enquête de marché effectuée dans le cadre de l’examen d’une de ces affaires n’étayaient pas les définitions étroites du marché pertinent proposées par la requérante.

 Sur l’existence alléguée de marchés de logiciels CAO propres à chaque fournisseur

59      En ce qui concerne plus spécifiquement l’existence alléguée par la requérante de marchés de logiciels CAO propres à chaque fournisseur, la Commission note dans la décision attaquée qu’il est improbable que des marchés aussi étroits existent.

60      Cette conclusion est fondée sur les considérations suivantes.

61      Premièrement, il existerait des clients finals de logiciels CAO pour lesquels il serait établi qu’ils seraient passés d’un fournisseur de logiciels CAO haut de gamme à un autre. Ainsi, par exemple, en 2010, Daimler, le constructeur automobile allemand, serait passé du logiciel CAO de l’intervenante au logiciel CAO de Siemens. La requérante aurait en outre elle-même mentionné la transition d’un logiciel CAO à un autre effectuée par Ford, le constructeur automobile des États-Unis.

62      Deuxièmement, il serait établi qu’il se produirait également des changements de fournisseur lors du lancement par des constructeurs automobiles d’un nouveau projet de design, comme cela aurait été le cas pour Chrysler, le constructeur automobile des États-Unis, en 2010.

63      Troisièmement, un changement serait facilité par le fait que des entreprises hautement développées comme le sont les constructeurs automobiles exploiteraient plusieurs systèmes de logiciels CAO en même temps.

64      Quatrièmement, un changement pourrait être facilité par des convertisseurs de données de logiciels CAO qui rendraient compatibles différents logiciels CAO haut de gamme et empêcheraient de lier les clients en raison des différences existant entre les formats de données. En effet, il serait dans l’intérêt d’un fournisseur de logiciels CAO concurrent d’offrir aux clients une possibilité de transformer dans ses propres formats les formats existants d’un fournisseur de logiciels CAO établi.

65      Selon la décision attaquée, il y avait donc des possibilités pour les clients d’éviter d’être liés à un seul fournisseur de logiciels CAO.

66      En outre, en plus de cette possibilité de changer de logiciel offerte aux entreprises déjà clientes, la Commission a souligné dans la décision attaquée que des clients nouveaux qui souhaiteraient acheter un logiciel CAO auraient le choix entre plusieurs fournisseurs, sans être limités par le fait qu’ils auraient opté dans le passé pour un système déterminé.

67      À l’encontre de ces considérations, la requérante fait valoir, pour l’essentiel, que les cas de changements de logiciel CAO invoqués dans la décision attaquée ne permettraient pas de fonder la thèse de la Commission, que le fait que certaines entreprises exploitent plusieurs systèmes de logiciels CAO en même temps confirmerait qu’il y avait des marchés de logiciels CAO propres à chaque fournisseur et que, en ce qui concerne les convertisseurs de données de logiciels CAO, la Commission aurait omis de tenir compte des problèmes liés à cette conversion de données.

68      Plus spécifiquement, la requérante soulève les arguments suivants.

69      La Commission aurait fondé sa conclusion sur la seule information relative aux changements opérés par deux entreprises, changements qui n’étaient pas représentatifs, mais constituaient des cas particuliers. En ce qui concerne Ford, il se serait agi d’un passage forcé à un nouveau système de logiciels CAO, étant donné que celui que cette entreprise utilisait auparavant allait être arrêté par le fournisseur. En ce qui concerne Daimler, il se serait agi d’une réaction au lancement de la nouvelle version du logiciel CATIA par l’intervenante, qui intégrait le logiciel PDM Enovia, lequel n’était pas compatible avec le système de logiciels PDM utilisé par Daimler. À cela se serait ajoutée l’expérience de Daimler avec la transition effectuée à partir d’une version précédente du logiciel CATIA vers une autre, qui aurait équivalu en réalité à une transition vers un nouveau produit.

70      En ce qui concerne cet exemple, la Commission se serait d’ailleurs appuyée sur une citation erronée et aurait ainsi faussé les faits sur lesquels elle a fondé son appréciation.

71      La requérante souligne en outre que Daimler avait dépensé une somme importante pour effectuer ce projet de transition. Or, la durée ainsi que le coût financier de la transition seraient les éléments déterminants pour pouvoir apprécier s’il existe une concurrence sur un marché de produits pertinent. Celui qui se déciderait en faveur d’un système de logiciels CAO serait bloqué dans ce système pour ses projets et ne pourrait s’en délivrer que moyennant un coût économique considérable.

72      La requérante ajoute que, selon le paragraphe 17 de la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5, ci-après la « communication sur la définition du marché »), afin d’évaluer les réactions probables des clients au regard d’un changement de prix, il faudrait procéder à un test qui consisterait en un exercice mental présupposant une variation légère (de 5 à 10 %), mais permanente, des prix relatifs d’un produit donné par rapport à ceux de produits de substitution facilement accessibles, soit le test « small but significant non-transitory increase in prices » (augmentation faible, mais significative et non transitoire, des prix) (ci-après le « test SSNIP »). Selon la requérante, il en découlerait l’existence de deux marchés distincts lorsque, en cas d’augmentation légère (de 5 à 10 %), mais permanente, des prix d’un produit donné, les clients ne se tournent pas vers un autre produit. Or, dans le domaine des systèmes de logiciels CAO, une augmentation des prix de 5 à 10 % devrait, en raison des coûts accessoires d’une transition d’un logiciel à un autre, être acceptée par les clients.

73      En ce qui concerne la transition effectuée par Chrysler, celle-ci n’aurait aucun rapport avec la délimitation du marché, étant donné qu’elle serait le résultat non pas de l’existence d’une concurrence, mais du regroupement entre Fiat (cliente de Siemens) et Chrysler (à l’époque encore cliente de l’intervenante).

74      La requérante soutient en outre que la principale catégorie de clients qui utilisent en parallèle plusieurs systèmes de logiciels CAO serait constituée de sous-traitants de constructeurs automobiles qui ne travailleraient pas uniquement avec un seul de ces derniers et qui devraient s’adapter aux différents systèmes de logiciels CAO des constructeurs qu’ils approvisionnent. À l’inverse, les constructeurs automobiles n’utiliseraient, en principe, qu’un système de logiciels CAO afin d’économiser des coûts. Selon la requérante, le fait qu’il existe des entreprises qui exploitent plusieurs systèmes de logiciels CAO plaiderait précisément en faveur de la délimitation de marchés de logiciels CAO spécifiques à chaque fournisseur. En effet, une entreprise n’exploiterait pas plusieurs systèmes si ces derniers ne servaient pas à satisfaire des besoins différents et s’ils étaient effectivement interchangeables d’un point de vue fonctionnel.

75      Enfin, s’agissant des capacités et de l’utilité de convertisseurs de données, la Commission défendrait une conception qui se référerait à des « textes de marketing » de la requérante, mais qui ne tiendrait pas compte des problèmes liés à la conversion des données dans le domaine des logiciels CAO, qui auraient déjà été exposés en détail dans la plainte.

76      La Commission conteste les arguments de la requérante.

77      Avant d’examiner ces arguments, il convient de relever que la requérante considère, s’agissant des cas d’abus de position dominante, qu’il serait à propos, en reconnaissance du fait que des abus sont impossibles en l’absence de la puissance sur le marché nécessaire, d’appliquer la règle de base suivante : « Le marché est là où l’abus a été commis. »

78      L’approche proposée par la requérante semble être fondée sur la considération suivant laquelle des abus seraient impossibles en l’absence de la puissance sur le marché nécessaire. Il serait donc possible de déduire de la présence d’un abus qu’il y a une position dominante. Comme la Commission l’a toutefois fait valoir à juste titre, une telle règle n’existe pas. Afin que l’article 102 TFUE puisse être applicable, il doit être démontré tant que l’entreprise en cause jouit d’une position dominante sur le marché pertinent qu’elle a commis un abus de cette position.

79      En ce qui concerne les cas de changement de logiciel CAO auxquels la décision attaquée fait référence, il convient de noter que l’existence de tels changements est en effet de nature à remettre en cause la conception de la requérante selon laquelle, en raison d’un prétendu lockin des clients (ce qui signifierait qu’une fois fixé sur un système de logiciels CAO, le client serait indissolublement lié à ce dernier), chaque système de logiciels CAO formerait un marché pertinent autonome.

80      Il est toutefois vrai que, si de tels changements sont dus à des circonstances étrangères à la concurrence entre fournisseurs, ils pourraient bien s’avérer non pertinents pour venir au soutien de la position de la Commission.

81      En ce qui concerne le cas de Ford, la requérante a fait valoir, sans être contredite par la Commission, que le changement vers un nouveau logiciel CAO aurait été nécessité par le fait que le logiciel CAO que cette entreprise utilisait auparavant n’était plus disponible. Il s’ensuit qu’un tel changement n’est pas pertinent pour soutenir la position de la Commission.

82      En revanche, en ce qui concerne Daimler, il ressort de l’explication donnée par la requérante elle-même que cette entreprise a décidé de procéder à un changement de logiciel CAO au regard de la nouvelle version du produit offert par l’intervenante et de son expérience de la transition effectuée vers la version précédente du logiciel. Dans ces circonstances, il convient de conclure que la requérante n’a pas établi qu’il s’agissait là d’un cas particulier et que la Commission ne pouvait se fonder sur ce cas pour conclure qu’il n’apparaissait pas qu’il y eût des marchés de logiciels CAO propres à chaque fournisseur. Il en va de même pour le cas de Chrysler. En effet, la requérante se limite à cet égard à noter que le changement de logiciel CAO effectué par cette entreprise aurait été le résultat de son regroupement avec Fiat. Or, cette indication ne suffit pas pour démontrer que la Commission ne pouvait pas se fonder sur l’exemple de cette entreprise.

83      Il est vrai que, au sujet de Daimler, la décision attaquée contient une légère imprécision, ce que la Commission a d’ailleurs reconnu dans le mémoire en défense. Tandis que, selon la décision attaquée, Daimler est passée du logiciel CAO de l’intervenante au logiciel CAO de Siemens en 2010, en partant du principe que la transition allait prendre 18 mois, il ressort de l’article de presse sur lequel la Commission s’est fondée à cet égard que ce n’est que la décision de procéder à un tel changement qui avait été prise en 2010 et que la transition allait commencer 18 mois plus tard. Toutefois, cette imprécision n’affecte pas la conclusion selon laquelle la Commission était en droit de mentionner Daimler comme exemple d’une entreprise qui avait changé de fournisseur de logiciels CAO.

84      Le fait que de tels changements puissent être coûteux et prendre un temps considérable, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par la Commission, n’affecte pas le constat suivant lequel les changements qui interviennent sont pertinents pour la délimitation des marchés. La Commission a observé, à juste titre, que les clients des fournisseurs de logiciels CAO sont de manière générale des entreprises qui disposent aussi bien d’un pouvoir d’achat que d’une compétence technique considérable, si bien qu’ils sont parfaitement en mesure de déterminer au préalable le calendrier d’une future transition ainsi que les coûts liés à cette dernière (c’est-à-dire les coûts de la sortie du prétendu lock-in) et de prendre en considération les offres de fournisseurs de logiciels CAO concurrents dans leur analyse.

85      En ce qui concerne l’argument de la requérante tiré de la communication sur la définition du marché en cause, il suffit de constater qu’elle se limite à suggérer que les résultats d’un test SSNIP auraient démontré que chaque logiciel CAO formerait un marché pertinent à part, sans toutefois produire de données concrètes à cet égard. En réalité, la requérante reproche à la Commission de n’avoir pas procédé à un test SSNIP en l’espèce. Or, un tel reproche ne concerne pas l’évaluation des éléments de preuve qui étaient en la possession de la Commission lorsqu’elle a adopté la décision attaquée, mais la question de savoir si cette dernière aurait dû procéder à des enquêtes supplémentaires. L’argument de la requérante fondé sur la communication sur la définition du marché en cause n’est donc pas en mesure d’établir que la Commission aurait commis des erreurs de droit ou des erreurs manifestes d’appréciation lors de l’examen des éléments en sa possession à la date d’adoption de la décision attaquée.

86      En ce qui concerne la pertinence possible du fait qu’il y a des entreprises qui exploitent simultanément plusieurs logiciels CAO, il convient tout d’abord de noter que la décision attaquée est entachée d’erreur à cet égard en ce qu’elle souligne que la requérante aurait indiqué dans sa plainte que plusieurs constructeurs automobiles utilisaient plusieurs logiciels CAO en parallèle. En effet, à l’endroit cité par la Commission, la requérante se limite à mentionner l’utilisation simultanée de plusieurs logiciels CAO sans spécifier le genre d’entreprise en cause. Cette erreur n’a toutefois aucune importance pour le bien-fondé de la position de la Commission. Il convient de rappeler à cet égard que, bien que la requérante fasse valoir que la principale catégorie de clients qui utilise en parallèle plusieurs systèmes de logiciels CAO serait constituée de sous-traitants de constructeurs automobiles, elle n’exclut pas qu’il en aille de même pour des constructeurs automobiles, étant donné qu’elle se limite à affirmer que ces derniers n’utiliseraient, « en principe », qu’un système de logiciels CAO.

87      En ce qui concerne le fond, il paraît évident que le fait qu’une entreprise utilise déjà un logiciel CAO peut faciliter sa décision d’utiliser ledit logiciel CAO dans une plus large mesure ou même à l’exclusion des autres logiciels CAO qu’elle a utilisés jusqu’ici. Il est vrai que cette utilisation de plusieurs logiciels CAO par une même entreprise pourrait aussi, comme la requérante le fait valoir, être un indice de ce que ces logiciels ne sont pas interchangeables d’un point de vue fonctionnel. Or, la requérante n’a pas établi que telle est en effet l’interprétation qui s’impose et que la Commission aurait donc commis une erreur manifeste d’appréciation sur ce point.

88      En ce qui concerne l’argument tiré de la possibilité d’utiliser des convertisseurs de données, il convient de relever ce qui suit. Dans la décision attaquée, la Commission cite d’abord des informations qu’elle avait reçues de la part de Parametric et selon lesquelles les fournisseurs de logiciels CAO fournissaient habituellement des convertisseurs afin de permettre que des dossiers créés par d’autres logiciels CAO puissent être introduits dans leurs propres systèmes. Ensuite, toujours selon ces informations, Parametric elle-même offrait des convertisseurs permettant de convertir des données établies à partir du logiciel CAO de l’intervenante ou de logiciels CAO d’autres fournisseurs. Enfin, la Commission fait référence à ce qu’elle appelle un des documents clés en l’espèce, à savoir un document émanant de l’intervenante qui décrit le fonctionnement des convertisseurs de données.

89      Dans la requête, la requérante se limite à soutenir à cet égard que la Commission se serait appuyée sur ses « textes de marketing » et n’aurait pas tenu compte des problèmes liés à la conversion des données et expliqués dans la plainte. Il convient toutefois de noter que la décision attaquée ne s’appuie pas, à cet égard, seulement sur des « textes de marketing » de la requérante, mais aussi sur des informations fournies par l’intervenante et Parametric. En outre, la requérante n’a fourni aucune explication spécifique permettant d’établir que les informations figurant dans le document émanant d’elle-même auquel la décision attaquée fait référence auraient été incorrectes ou auraient dû être interprétées différemment.

90      Enfin, il convient de relever que les arguments de la requérante se concentrent entièrement sur la question de savoir comment le marché doit être défini une fois qu’une entreprise a opté pour un logiciel CAO déterminé. Or, comme la Commission l’a relevé à juste titre, la décision attaquée souligne que les nouveaux clients qui souhaitent acheter un logiciel CAO peuvent choisir parmi les systèmes de logiciels CAO haut de gamme d’au moins quatre fournisseurs, dont l’intervenante et Parametric. La requérante n’a soulevé aucun argument susceptible de remettre en doute cette considération.

91      Comme la Commission l’observe à juste titre, l’hypothèse de l’existence de marchés spécifiques à chaque fournisseur ne correspond d’ailleurs pas à la manière dont la requérante avait elle-même présenté les conditions pertinentes du marché dans sa plainte. En effet, dans sa plainte, la requérante a expliqué que les fournisseurs de logiciels CAO qui offraient aussi des solutions logicielles PDM « v[oulai]ent avant tout remplacer les systèmes de [logiciels] CAO de leurs concurrents » et n’avaient aucun intérêt à promouvoir l’interopérabilité de leurs systèmes de logiciels PDM « avec les systèmes de [logiciels] CAO d’autres fabricants de [logiciels] CAO avec lesquels ils [étaient] en concurrence ». Il s’ensuit que la requérante elle-même était d’avis que les différents fournisseurs de logiciels CAO étaient en concurrence les uns avec les autres.

92      Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a commis aucune erreur de droit et aucune erreur manifeste d’appréciation en arrivant à la conclusion que, sur le fondement des informations en sa possession, l’existence alléguée par la requérante de marchés de logiciels CAO propres à chaque fournisseur était peu probable.

 Sur l’existence alléguée d’un marché de logiciels CAO haut de gamme pour le secteur automobile

93      Dans la décision attaquée, la Commission est arrivée à la conclusion qu’il apparaissait que les logiciels CAO n’étaient pas seulement concurrents sur le secteur automobile, mais sur plusieurs secteurs, et que le marché pertinent devrait donc également être délimité de manière large.

94      Cette conclusion est fondée sur les considérations suivantes.

95      Premièrement, la requérante aurait elle-même, d’une part, indiqué dans sa plainte que le logiciel CAO de l’intervenante trouvait ses origines dans le secteur de l’aérospatiale et, d’autre part, fourni des chiffres sur les parts de marché des logiciels de l’intervenante, de Parametric et de Siemens en ce qui concerne le secteur de l’aviation et de l’aérospatiale et celui de la construction mécanique et des équipements, ce qui suggérerait qu’il y avait une concurrence pour les logiciels CAO s’étendant sur plusieurs secteurs.

96      Deuxièmement, l’intervenante aurait relevé que les produits se trouvaient en concurrence à travers tout l’éventail des secteurs de l’industrie et que les produits offerts sur les secteurs spécifiques étaient, dans une large mesure, substituables.

97      Troisièmement, tant Siemens que Parametric auraient informé la Commission de ce que leurs logiciels CAO étaient utilisés dans une large variété de secteurs d’industrie.

98      Quatrièmement, il serait d’une importance décisive que, dans les rapports produits par les analystes du secteur logiciel comme CIMdata, l’utilisation des logiciels CAO ne fût pas limitée au secteur automobile.

99      C’est donc de manière erronée que la requérante fait valoir que la Commission n’aurait pas vérifié si le marché des logiciels CAO destinés au secteur automobile pouvait être considéré comme le marché pertinent en l’espèce (voir aussi point 41 ci-dessus). Il convient d’ailleurs de relever que la requérante n’a soumis aucune observation sur les quatre éléments cités aux points 95 à 98 ci-dessus.

100    Dans ces circonstances, force est de conclure que la requérante n’a aucunement établi que la Commission aurait commis une erreur de droit ou une erreur manifeste d’appréciation en arrivant à la conclusion que, sur le fondement des informations en sa possession, il n’apparaissait pas qu’il y eût un marché de logiciels CAO limité au secteur automobile.

 Sur l’existence alléguée des marchés de logiciels CAO haut de gamme pour les constructeurs automobiles et pour les sous-traitants de ces derniers

101    En ce qui concerne la possibilité de distinguer un marché de logiciels CAO haut de gamme pour les constructeurs automobiles, d’une part, et un marché de logiciels CAO haut de gamme pour les sous-traitants de ces derniers, d’autre part, la Commission rappelle, dans la décision attaquée, qu’un groupe de clients peut constituer à lui seul un marché étroit et distinct lorsqu’il peut faire l’objet de prix discriminatoires. Selon la Commission, cela ne semble toutefois pas être le cas en l’espèce.

102    Cette conclusion est fondée sur les considérations suivantes.

103    Premièrement, des fournisseurs de logiciels CAO comme l’intervenante et Siemens auraient informé la Commission qu’ils vendaient leurs logiciels aux mêmes conditions et en se fondant sur des critères objectifs, indépendamment de la question de savoir si leurs clients étaient des constructeurs automobiles ou des sous-traitants de ces derniers.

104    Deuxièmement, un sondage opéré auprès de ces deux catégories de clients n’aurait révélé aucun élément indiquant l’existence d’une discrimination par les prix en fonction de la catégorie de clients. L’interprétation divergente des résultats de ce sondage par la requérante ne serait pas convaincante.

105    Troisièmement, il y aurait des indications selon lesquelles certains constructeurs automobiles seraient capables de négocier des licences pour les logiciels CAO à prix réduits pour leurs sous-traitants. Il serait aussi possible de permettre aux sous-traitants d’utiliser un logiciel CAO donné d’un constructeur automobile pour certains projets. Il s’ensuivrait que la probabilité que les marchés distincts, ainsi que le suggère la requérante, existent serait encore réduite, étant donné que lesdits sous-traitants posséderaient, par conséquent, des sources d’approvisionnement autres que les fabricants de tels logiciels.

106    Quatrièmement, l’allégation de la requérante selon laquelle les sous-traitants doivent de manière générale utiliser le même logiciel CAO que les constructeurs automobiles pour lesquels ils travaillent et que, par conséquent, les fournisseurs de logiciels CAO peuvent offrir des prix intéressants aux constructeurs automobiles, car ils savent qu’ils peuvent ensuite vendre leurs logiciels CAO à des prix beaucoup plus élevés aux sous-traitants, ne résisterait pas à l’examen. Les informations en la possession de la Commission suggéreraient que les sous-traitants seraient seulement obligés de configurer leurs données propres aux logiciels CAO dans un format compatible avec le logiciel CAO du constructeur automobiles ou dans un format standard neutre. Il semblerait donc possible pour les sous-traitants de l’industrie automobile de préparer les données propres aux logiciels CAO avec un logiciel CAO de leur choix.

107    À l’encontre de ces considérations, la requérante fait valoir, pour l’essentiel, que ce qui est décisif est la possibilité d’une discrimination, que la Commission aurait interprété de manière erronée les résultats de son sondage, que l’assistance que les constructeurs automobiles pourraient prêter à leurs sous-traitants ne serait pas pertinente et que la possibilité de discrimination serait confirmée par le fait que les sous-traitants des constructeurs automobiles seraient obligés d’utiliser le même logiciel CAO que ces derniers.

108    Plus spécifiquement, la requérante fait valoir que c’est la possibilité d’une discrimination par les prix qui constitue le critère déterminant. Le fait de déduire d’un comportement effectif la non-existence de la possibilité d’une discrimination par les prix constituerait une erreur de droit.

109    En ce qui concerne le sondage effectué par la Commission, la conclusion à laquelle elle est parvenue selon laquelle ledit sondage n’aurait révélé aucun élément indiquant l’existence d’une discrimination par les prix en fonction de la catégorie de clients serait contredite par la teneur du document réunissant les réponses au sondage. En effet, 30 entreprises auraient répondu de manière affirmative à la question de savoir s’il y avait une telle discrimination. Après déduction du nombre des entreprises qui n’avaient pas fourni de réponse ou qui avaient indiqué qu’elles n’avaient pas les connaissances leur permettant de répondre (soit 44) sur le nombre total d’entreprises consultées (soit 95), cela représenterait un taux de 60 %. Une entreprise sondée aurait d’ailleurs utilisé l’expression domino customer (client domino) pour désigner les clients qui entraîneraient de nombreux autres clients à leur suite.

110    En ce qui concerne la possibilité pour les constructeurs automobiles d’obtenir des licences pour des logiciels CAO pour leurs sous-traitants à des prix avantageux, la requérante a soutenu qu’il s’agirait là de la demande de logiciels CAO de la part de constructeurs automobiles et non pas d’une demande de sous-traitants du secteur automobile envers des fournisseurs de logiciels CAO et que la conclusion de la Commission selon laquelle cette possibilité rendait peu probable une discrimination sur les prix par ces fournisseurs au détriment des sous-traitants irait même à l’encontre de toute logique, étant donné que ce contexte confirmerait au contraire la dépendance des sous-traitants du secteur automobile à l’égard des constructeurs automobiles et des fournisseurs de logiciels CAO.

111    La requérante souligne en outre que, en l’espèce, la possibilité d’une discrimination par les prix et l’existence réelle d’une telle discrimination résulteraient également du fait que les sous-traitants qui travaillent sur un projet de constructeurs automobiles doivent utiliser le même logiciel CAO que ces derniers.

112    La Commission conteste ces arguments.

113    Il convient tout d’abord de noter que la requérante n’a émis aucune observation spécifique pour remettre en cause la première considération sur laquelle la Commission s’est fondée à cet égard dans la décision attaquée (voir point 103 ci-dessus).

114    En ce qui concerne la deuxième considération sur laquelle la Commission s’est fondée à cet égard dans la décision attaquée (voir point 104 ci-dessus), il convient de relever que rien ne s’oppose à ce que la Commission tienne compte du comportement concret sur le marché aux fins d’apprécier s’il existe une possibilité de discrimination.

115    Eu égard au sondage effectué par la Commission en l’espèce, il y a lieu de relever que la conclusion de cette dernière selon laquelle ledit sondage n’aurait révélé aucun élément indiquant l’existence d’une discrimination par les prix en fonction de la catégorie de clients est contredite par la teneur du document réunissant les réponses au sondage.

116    En effet, ce document démontre qu’il y a eu certaines réponses affirmant tout simplement qu’une discrimination par les prix était possible. Il y a également eu des entreprises qui ont répondu de manière affirmative à la question de savoir s’il y avait une discrimination sur les prix, tout en donnant des explications plus spécifiques à cet égard. Qui plus est, une des réponses (réponse n° 82 du document) a utilisé en effet l’expression domino customer, ce qui suggère que des clients qui sont des constructeurs automobiles peuvent entraîner de nombreux autres clients à leur suite. Une autre entreprise a répondu (réponse n° 39 du document) qu’un tel effet était possible.

117    Il convient toutefois de lire le passage de la décision attaquée décrit au point 104 ci-dessus à la lumière de la considération supplémentaire de la Commission selon laquelle, « lors de l’examen de la question de savoir si les différences de prix pouvaient s’expliquer par l’existence de marchés distincts, il a été tenu compte non seulement du nombre de réponses faisant état d’éventuelles différences de prix, mais également du point de savoir si de telles différences étaient fondées sur des critères objectifs, ce qui semblait généralement être le cas ».

118    À cet égard, il convient de faire trois observations.

119    En premier lieu, il ressort de la considération citée au point 117 ci-dessus que la Commission était d’avis que l’examen des résultats du sondage ne pouvait pas se limiter à comparer les nombres respectifs d’entreprises qui avaient affirmé ou nié l’existence d’une discrimination sur les prix, mais qu’il fallait aussi tenir compte des informations fournies dans ces réponses. La requérante ne critique pas cette approche de la Commission.

120    En deuxième lieu, il ressort d’un examen du document réunissant les réponses au sondage qu’il est en effet possible de conclure que la plupart des réponses confirmant la présence d’une discrimination sur les prix se réfèrent à des différences de prix fondées sur des critères objectifs, tels que des remises sur la quantité ou la situation géographique du siège d’une entreprise cliente.

121    En troisième lieu, il convient de noter que la considération citée au point 117 ci-dessus comprend le mot « généralement ». Étant donné que, dans sa lettre du 28 novembre 2014, la requérante avait explicitement attiré l’attention de la Commission sur les réponses confirmant la présence d’une discrimination sur les prix en général et plus spécifiquement sur la réponse n° 82, l’utilisation dudit terme dans la décision attaquée implique que la Commission n’a pas ignoré les réponses mises en exergue par la requérante, mais a considéré que ce qui était décisif était le fait que la plupart des réponses qu’elle avait reçues ne confirmaient pas l’allégation de la requérante selon laquelle les fournisseurs de logiciels CAO avaient la possibilité de pratiquer une discrimination sur les prix au détriment des sous-traitants des constructeurs automobiles. Or, cette interprétation des résultats du sondage n’apparaît pas déraisonnable. À cet égard, il convient également de relever que les seules réponses qui confirment une discrimination sur les prix de manière circonstanciée sont celles qui se réfèrent à un effet domino dans le sens où les sous-traitants seraient obligés d’utiliser le même logiciel CAO que le constructeur automobile pour lequel ils travaillent. Or, la requérante n’a pas réussi à remettre en cause la conclusion de la Commission selon laquelle l’existence d’un tel effet n’avait pas été établie (voir point 124 ci-après).

122    Il s’ensuit que, lues dans leur ensemble, les conclusions de la Commission concernant les résultats du sondage qu’elle avait effectué ne sont pas entachées d’erreur manifeste.

123    En ce qui concerne la troisième considération sur laquelle la Commission s’est fondée à cet égard dans la décision attaquée, à savoir la possibilité pour les constructeurs automobiles d’obtenir des licences pour des logiciels CAO pour leurs sous-traitants à des prix avantageux, les arguments de la requérante ne résistent pas à l’examen. Comme la Commission l’a souligné à juste titre, la possibilité pour les sous-traitants d’obtenir des licences pour des logiciels CAO à des prix avantageux par le biais des constructeurs automobiles diminue la vraisemblance d’une segmentation du marché pertinent en un marché de logiciels CAO haut de gamme pour constructeurs automobiles et un marché de logiciels CAO haut de gamme pour leurs sous-traitants, étant donné que les sous-traitants disposent donc de sources d’approvisionnement autres que les fournisseurs de logiciels CAO. En tout état de cause, l’acquisition de licences de logiciels CAO par l’intermédiaire des constructeurs automobiles contredit l’hypothèse d’une dépendance à l’égard d’un fournisseur de logiciels CAO. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner si lesdits arguments de la requérante ont été présentés tardivement, comme la Commission l’affirme.

124    En ce qui concerne la quatrième considération sur laquelle la Commission s’est fondée à cet égard dans la décision attaquée, à savoir que les informations disponibles pour la Commission suggéreraient que les sous-traitants seraient seulement obligés de configurer leurs données CAO dans un format compatible avec le logiciel CAO du constructeur automobile ou dans un format standard neutre, il convient de noter que, bien que la requérante insiste sur le fait que les sous-traitants sont obligés d’utiliser le même logiciel CAO que le constructeur automobile pour lequel ils travaillent, elle ajoute qu’un sous-traitant qui préparerait ses livraisons en utilisant un format donné puis convertirait ses données dans un autre format n’aurait aucune chance de s’imposer sur le marché. Comme la Commission l’a observé dans le mémoire en défense, la requérante semble donc admettre que les constructeurs automobiles n’imposent pas aux sous-traitants tel ou tel type de logiciel CAO. En tout état de cause, la requérante n’a pas apporté la preuve que tel serait effectivement le cas.

125    Compte tenu de ce qui précède, il convient de conclure que la Commission n’a commis aucune erreur de droit ni aucune erreur manifeste d’appréciation en arrivant à la conclusion que, en se fondant sur les informations en sa possession, il était peu probable que, comme le suggère la requérante, les marchés de logiciels CAO haut de gamme pour, d’une part, les constructeurs automobiles et, d’autre part, les sous-traitants de ces derniers, existent.

 Sur l’existence alléguée de marchés des informations sur les interfaces pour logiciels CAO de chaque fournisseur

126    En ce qui concerne l’allégation de la requérante selon laquelle il y aurait des marchés des informations sur les interfaces pour logiciels CAO de chaque fournisseur, la Commission a soutenu, dans la décision attaquée, qu’une telle délimitation du marché serait à l’évidence trop étroite. Une telle délimitation artificielle aurait pour conséquence que chaque fabricant d’un logiciel aurait automatiquement une position dominante en ce qui concerne les marchés des informations sur les interfaces de ce logiciel. Cela aboutirait à ce que le marché pertinent et la puissance sur le marché des différents fabricants fussent présentés de manière faussée.

127    La requérante fait valoir, pour l’essentiel, que, en fournissant des informations sur les interfaces pour le logiciel CATIA à ses clients, l’intervenante satisferait à une demande spécifique et qu’il s’agirait là d’un marché réellement existant, que la nécessité d’examiner un marché autonome des informations sur les interfaces pour le logiciel CATIA serait confirmée par deux décisions du juge de l’Union, que la délimitation d’un tel marché n’aboutirait pas automatiquement à une position dominante du fournisseur du logiciel en cause et que la décision attaquée serait quoi qu’il en soit entachée d’un manque de cohérence à cet égard.

128    La Commission s’oppose à ces arguments.

129    Il convient de relever que la définition du marché pertinent proposée par la requérante aurait en effet la conséquence paradoxale que chaque fournisseur d’un logiciel CAO aurait une position dominante sur le prétendu marché des informations sur les interfaces de ce logiciel, même lorsque ce fournisseur ferait face à une concurrence intense sur le marché auquel appartient ce logiciel et lorsqu’il ne détiendrait qu’une part infime de ce marché. Il est évident qu’un tel automatisme ne serait pas compatible avec les règles de l’Union sur la concurrence.

130    La requérante ne conteste pas cette conclusion en tant que telle. Elle fait seulement valoir qu’un tel automatisme entre délimitation du marché et position dominante serait exclu, étant donné que la position dominante de l’intervenante en ce qui concerne les informations sur les interfaces pour son logiciel CATIA n’existerait pas si des tiers comme elle-même pouvaient avoir accès auxdites informations et les utiliser. Or, cet argument confond deux aspects distincts, à savoir, d’une part, celui où une entreprise détient une position dominante sur un marché donné et, d’autre part, celui où cette entreprise a abusé de sa position dominante. Le comportement de l’intervenante ne peut être pertinent que sous l’angle du deuxième aspect, c’est-à-dire celui où la question est de savoir si ce comportement constitue un abus au sens de l’article 102 TFUE.

131    Le fait que l’intervenante fournisse des informations sur les interfaces pour le logiciel CATIA à des parties tierces démontre que ces informations ont une valeur économique. Il ne démontre toutefois pas qu’il y ait un marché pertinent, limité à ces informations.

132    L’argument que la requérante essaie de tirer à cet égard de l’arrêt du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission (C‑241/91 P et C‑242/91 P, EU:C:1995:98) n’est pas convaincant. Dans cet arrêt, la Cour a observé que les chaines de télévision en cause disposaient, avec la BBC, d’un monopole de fait en ce qui concernait les informations constituées par l'indication de la chaîne, du jour, de l'heure et du titre de leurs émissions et qu’elles avaient « ainsi le pouvoir de faire obstacle à l'existence d'une concurrence effective sur le marché des hebdomadaires de télévision, en sorte que c'est à bon droit que le Tribunal a[vait] confirmé l'appréciation de la Commission qui avait estimé qu'elles détenaient une position dominante » (arrêt du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C‑241/91 P et C‑242/91 P, EU:C:1995:98, point 47). La requérante n’a toutefois pas démontré que l’intervenante serait, à elle seule ou avec Parametric, dans une position comparable en ce qui concerne le marché pour les logiciels PDM.

133    En ce qui concerne l’argument que la requérante essaie de tirer de l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T‑201/04, EU:T:2007:289), il convient de relever que celui-ci vise une remarque faite par la Commission dans la décision attaquée selon laquelle « un tel marché distinct pour les informations sur les interfaces n’a pas été défini dans l’affaire [ayant donné lieu à l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T‑201/04, EU:T:2007:289)] ».

134    Il est vrai que le Tribunal a observé, dans l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T‑201/04, EU:T:2007:289, point 335), « que, pour qu’un refus de donner accès à un produit ou à un service indispensable pour l’exercice d’une activité donnée puisse être considéré comme abusif, il faut distinguer deux marchés, à savoir, d’une part, un marché constitué par ledit produit ou ledit service et sur lequel l’entreprise qui oppose le refus détient une position dominante et, d’autre part, un marché voisin sur lequel le produit ou le service en cause est utilisé pour la production d’un autre produit ou la fourniture d’un autre service ». Il ressort de ce point dudit arrêt que cette remarque visait les informations relatives à l’interopérabilité.

135    Il convient toutefois de relever que, dans l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T‑201/04, EU:T:2007:289), le Tribunal a confirmé l’appréciation de la Commission formulée dans la décision qui faisait l’objet dudit arrêt, selon laquelle Microsoft avait abusé de la position dominante qu’elle détenait sur le marché des exploitations pour ordinateurs personnels clients. La Commission n’avait pas identifié un marché distinct pour les informations sur les interfaces dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T‑201/04, EU:T:2007:289, points 23 et 103).

136    Il s’ensuit que la remarque formulée dans la décision attaquée et citée au point 133 ci-dessus n’est pas entachée d’erreur.

137    Enfin, la décision attaquée ne manque pas de cohérence, contrairement à ce qu’allègue la requérante. En effet, c’est cette dernière, et non la Commission, qui a suggéré un automatisme entre délimitation du marché et position dominante, en proposant de retenir des marchés des informations sur les interfaces pour logiciels CAO de chaque fournisseur en l’espèce.

138    Eu égard aux éléments qui précèdent, il convient de conclure que la Commission n’a commis aucune erreur de droit et aucune erreur manifeste d’appréciation en arrivant à la conclusion qu’il n’était pas possible de se fonder sur des marchés des informations sur les interfaces pour logiciels CAO de chaque fournisseur en l’espèce.

139    Il résulte de tout ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs de droit ainsi que d’erreurs manifestes d’appréciation de la position dominante sur le marché et du refus abusif d’octroi de licence

140    Le deuxième moyen est divisé en deux branches, visant les conclusions formulées par la Commission dans la décision attaquée quant à savoir, d’une part, si l’intervenante et Parametric avaient une position dominante sur le marché et, d’autre part, si ces entreprises avaient commis un abus au sens de l’article 102 TFUE.

141    En ce qui concerne la première branche de ce moyen, il convient de relever que la décision attaquée arrive à la conclusion qu’il est peu probable que l’intervenante ou Parametric jouissent d’une position dominante sur le marché pour les logiciels CAO haut de gamme.

142    La requérante considère que cette conclusion est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, étant donné que la Commission a omis d’examiner la présence d’une position dominante sur les marchés proposés par la requérante.

143    À cet égard, il convient de rappeler que le premier moyen, qui porte sur la délimitation des marchés opérée par la Commission, vient d’être rejeté. En outre, la requérante n’a invoqué aucun argument permettant de remettre en cause la conclusion de la Commission selon laquelle il était peu probable que l’intervenante ou Parametric puissent jouir d’une position dominante sur le marché des logiciels CAO haut de gamme, lequel marché a été considéré comme pertinent par la Commission. Par conséquent, la première branche du deuxième moyen doit être rejetée.

144    En ce qui concerne la deuxième branche de ce moyen, il convient de rappeler que la conclusion de la Commission selon laquelle il est peu probable qu’un abus de position dominante puisse être établi est fondée sur les considérations suivantes.

145    Tout d’abord, la Commission reconnaît que l’intervenante ne semble pas fournir les informations sur les interfaces pour son logiciel CATIA directement à ses concurrents sur le marché des logiciels PDM.

146    Ensuite, la Commission rappelle que, selon la jurisprudence, le refus de livraison opposé par une entreprise occupant une position dominante sur un marché peut constituer une infraction à l’article 102 TFUE si les trois conditions suivantes sont remplies de manière cumulative : premièrement, lorsque le refus concerne des produits ou des services qui sont indispensables pour l’exercice d’une activité sur un marché voisin, deuxièmement, lorsque le refus est de nature à exclure toute concurrence efficace sur ledit marché voisin et, troisièmement, dans le cas de droits de propriété intellectuelle, lorsque le refus empêche l’apparition d’un nouveau produit pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs.

147    Enfin, selon la Commission, même en supposant que l’intervenante ait eu une position dominante sur le marché pertinent, il n’est pas apparu qu’il y ait eu un abus d’une telle position. En effet, les informations sur les interfaces réclamées n’apparaîtraient pas comme étant indispensables au sens de la jurisprudence. Cette conclusion était fondée sur deux considérations.

148    D’une part, il semblerait y avoir des solutions de remplacement, étant donné qu’une enquête de marché effectuée par la Commission aurait démontré que de nombreux concurrents sur le marché des logiciels \/ PDM seraient en mesure de réaliser un degré d’interopérabilité avec le logiciel CATIA qui serait parfois très haut.

149    D’autre part, il serait improbable que la requérante fût exclue du marché des logiciels PDM en raison d’un manque d’interopérabilité avec les logiciels CAO de l’intervenante ou de Parametric, étant donné que, sur son site Internet, la requérante se vantait du fait qu’elle serait capable de fournir une gestion « compréhensive » de données propres au logiciel CAO « grâce à des interfaces avec tous les principaux systèmes de [logiciels] CAO ».

150    Dans la requête, la requérante fait valoir que la Commission a commis tant des erreurs de droit que des erreurs manifestes d’appréciation en concluant qu’il n’était pas indispensable que l’intervenante et Parametric lui fournissent directement les informations sur les interfaces concernant les logiciels CATIA et Pro/Engineer lui permettant d’assurer l’interopérabilité de son logiciel PDM avec ces logiciels CAO. En substance, elle soutient à cet égard que la Commission n’aurait pas dû prendre en compte la situation des clients finals, qu’elle a omis de tenir compte de l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T‑201/04, EU:T:2007:289) et qu’elle ne pouvait pas se fonder seulement sur des informations accessibles sur son site Internet.

151    Plus spécifiquement, la requérante soutient que, pour vérifier si un refus d’octroi de licence est abusif au sens de l’article 102 TFUE, il est nécessaire d’examiner s’il est possible pour les concurrents de l’entreprise en position dominante de réaliser une interopérabilité avec le logiciel de cette dernière. Par conséquent, la question de savoir si les clients finals peuvent réaliser une interopérabilité serait dénuée de pertinence.

152    La requérante fait en outre valoir que, dans son arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T‑201/04, EU:T:2007:289), l’analyse du Tribunal de la question de savoir si des informations sur les interfaces étaient indispensables pour l’exercice de l’activité sur un marché en aval reposait sur un examen en deux temps. Dans ce cadre devait être examiné, dans un premier temps, quel était le degré d’interopérabilité qu’un concurrent de l’entreprise en position dominante devait atteindre pour participer de manière efficace à la concurrence sur le marché en aval. Ce n’est que dans un second temps que devait être examiné si le degré d’opérabilité constaté dans un premier temps pouvait être atteint par les concurrents. Or, en l’espèce, la Commission se serait contentée du second examen et aurait omis de déterminer le degré d’interopérabilité entre le logiciel CATIA et les logiciels PDM d’autres fabricants, qui était, en toute hypothèse, nécessaire afin de permettre une participation efficace à la concurrence.

153    Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T‑201/04, EU:T:2007:289), la Commission serait d’ailleurs partie du principe que des concurrents ne pouvaient participer efficacement à la concurrence que s’ils atteignaient le même degré d’interopérabilité que celui réalisé par Microsoft avec ses propres logiciels, ce qui aurait, pour l’essentiel, correspondu à un degré d’interopérabilité de 100 %. En l’espèce, la Commission aurait considéré comme suffisant que, parmi les quinze fabricants de logiciels PDM interrogés, qui devaient évaluer sur une échelle allant de 1 à 10 le degré d’interopérabilité avec le logiciel CATIA atteint par leurs logiciels PDM, un fabricant eût indiqué une valeur de 9 et trois fabricants une valeur de 8 pour conclure qu’il serait « parfois » possible d’atteindre un degré d’interopérabilité très élevé. Or, même un degré d’interopérabilité qui atteindrait 9/10 laisserait encore subsister une marge de 10 % qui, en ce qui concerne l’interopérabilité, pourrait être déterminante pour le choix des consommateurs finals entre différents logiciels.

154    En ce qui concerne la référence à des informations tirées du site Internet de la requérante, la Commission aurait méconnu le fait que la requérante devait s’efforcer de s’attirer les faveurs de ses clients afin d’être, en toute hypothèse, perçue comme une alternative sur le marché des logiciels PDM.

155    La Commission conteste ces arguments.

156    Il convient tout d’abord de rappeler que, selon la jurisprudence, le refus de livraison opposé par une entreprise occupant une position dominante sur un marché peut constituer une infraction à l’article 102 TFUE si les trois conditions suivantes sont remplies de manière cumulative : premièrement, lorsque le refus concerne des produits ou des services qui sont indispensables pour l’exercice d’une activité sur un marché voisin, deuxièmement, lorsque le refus est de nature à exclure toute concurrence efficace sur ledit marché voisin et, troisièmement, dans le cas de droits de propriété intellectuelle, lorsque le refus empêche l’apparition d’un nouveau produit pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs (arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, EU:T:2007:289, point 332). Un refus qui remplit lesdites conditions constitue un abus s’il est, en outre, dépourvu de justification (arrêt du 29 avril 2004, IMS Health, C‑418/01, EU:C:2004:257, point 38).

157    Par ailleurs, tant la requérante que la Commission partent de la prémisse que, dans la décision attaquée, cette dernière aurait conclu qu’il était peu probable que la présence d’un abus fût établie sur le fondement de son appréciation des deux premières des trois conditions identifiées à cet égard par la jurisprudence et mentionnées au point 156 ci-dessus, à savoir, premièrement, que les informations en cause étaient indispensables pour l’exercice d’une activité sur un marché voisin et, deuxièmement, que le refus de donner accès à ces informations était de nature à exclure toute concurrence efficace sur ledit marché voisin.

158    Or, cette prémisse est incorrecte.

159    Il est vrai que, dans sa lettre du 15 octobre 2014 informant la requérante de son intention de rejeter la plainte, la Commission s’est fondée sur les deux conditions susmentionnées. Dans la décision attaquée, la Commission n’a toutefois invoqué que la première de ces conditions, c’est-à-dire la condition relative au caractère indispensable ou non des informations en cause.

160    En ce qui concerne le premier des arguments soulevés par la requérante, c’est-à-dire que la Commission n’aurait pas dû prendre en compte la situation de ses clients, il convient de constater que, dans la décision attaquée, la Commission s’est effectivement fondée, comme elle l’a expliqué dans le mémoire en défense, sur la prémisse qu’un accès direct aux informations sur les interfaces des logiciels CAO de l’intervenante et de Parametric ne serait pas indispensable pour permettre à la requérante d’être active sur le marché des logiciels PDM si ses clients pouvaient, par le biais d’une licence, acquérir des informations sur les interfaces des logiciels CAO de l’intervenante et de Parametric, ce qui permettrait à la requérante de distribuer à son tour ses propres logiciels PDM à ces clients.

161    Cette considération n’est entachée d’aucune erreur, étant donné que ce qui est décisif, selon la jurisprudence, c’est de savoir si un accès direct à ces informations est indispensable pour permettre à la requérante d’être active sur le marché des logiciels PDM. Or, s’il s’avérait que la requérante était capable de se lancer dans une concurrence effective sur ce marché, en utilisant la possibilité pour ses clients d’obtenir les informations en cause, cela démontrerait qu’un accès direct de sa part à ces informations n’était pas indispensable au sens de la jurisprudence. Comme la Commission l’a observé à juste titre, il ne ressort pas de l’arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T‑201/04, EU:T:2007:289), que l’octroi direct aux entreprises en concurrence de licences relatives aux informations sur les interfaces – par opposition à l’octroi de licences à des clients finals – serait indispensable pour permettre une concurrence effective.

162    En ce qui concerne l’argument de la requérante dirigé contre la première considération sur laquelle la Commission s’est fondée à cet égard dans la décision attaquée, à savoir les résultats d’une enquête de marché portant sur le degré d’interopérabilité avec le logiciel CATIA atteint par des concurrents sur le marché des logiciels PDM, il est vrai que la Commission ne se prononce pas sur le taux d’interopérabilité nécessaire pour garantir à ces entreprises une participation efficace à la concurrence.

163    Il convient toutefois de relever que la Commission a rappelé que le questionnaire qu’elle avait envoyé dans le cadre de ladite enquête de marché s’adressait aux concurrents de la requérante, et donc à des entreprises présentes sur le marché des logiciels PDM. Les entreprises qui avaient indiqué un degré d’interopérabilité d’au moins 8/10 auraient confirmé qu’elles assuraient avec leurs logiciels PDM la gestion de données issues de logiciels de l’intervenante. Selon la Commission, elle aurait donc pu présumer que ces entreprises pouvaient faire face à la concurrence, et ce y compris et précisément avec le degré d’interopérabilité avec le logiciel CATIA qu’elles avaient atteint.

164    Il convient de noter que la requérante n’a pas contesté cette conclusion de la Commission, qui ne semble d’ailleurs pas être déraisonnable. En tout état de cause, la requérante n’a ni allégué ni démontré que les résultats de l’enquête de marché susmentionnée auraient dû amener la Commission à la conclusion selon laquelle un accès direct aux informations sur les interfaces concernant les logiciels CATIA et Pro/Engineer aurait été indispensable pour lui permettre de participer effectivement à la concurrence sur le marché des logiciels PDM.

165    Eu égard aux éléments qui précèdent, il y a lieu de conclure que l’argument de la Commission tiré du niveau d’interopérabilité de certains concurrents de la requérante avec le logiciel de l’intervenante n’est entaché d’aucune erreur manifeste d’appréciation.

166    En ce qui concerne l’argument de la requérante dirigé contre la deuxième considération sur laquelle la Commission s’est fondée à cet égard dans la décision attaquée, à savoir le fait que, sur son site Internet, la requérante se vantait d’être capable de fournir une gestion « compréhensive » de données de logiciels CAO « grâce à des interfaces avec tous les principaux systèmes de [logiciels] CAO » , il convient de relever que la requérante se limite, à cet égard, à soutenir qu’il s’agit là d’une promesse publicitaire qui serait nécessaire afin d’attirer les clients.

167    Or, la requérante n’allègue pas que cette « promesse publicitaire » serait incorrecte. Qui plus est, la requérante a elle-même confirmé qu’elle correspondait aux faits.

168    En effet, dans la lettre du 28 novembre 2014 dans laquelle la requérante a répondu à la lettre de la Commission annonçant son intention de rejeter la plainte, elle a indiqué qu’elle « [devait] mettre en avant dans sa publicité les interfaces avec les principaux systèmes de [logiciels] CAO, et [que] cette publicité [était] juste, car [elle] investi[ssai]t beaucoup de temps et d’argent pour faire en sorte que ses produits fonctionnent aussi bien que possible avec les systèmes de [logiciels] CAO ».

169    D’ailleurs, dans le mémoire en défense, la Commission a mis en exergue un grand nombre d’autres informations se trouvant sur le site Internet de la requérante qui confirment cela.Il y a lieu de noter que, dans la réplique, la requérante n’a soumis aucune observation spécifique sur les informations supplémentaires mises en exergue par la Commission dans le mémoire en défense.

170    Dans ces circonstances, il convient de conclure que c’est sans commettre d’erreur que, dans la décision attaquée, la Commission s’est fondée sur les informations disponibles sur le site Internet de la requérante afin de conclure qu’un accès direct aux informations sur les interfaces des logiciels CAO de l’intervenante et de Parametric n’apparaissait pas indispensable pour permettre à la requérante d'exercer son activité sur le marché des logiciels PDM.

171    Dans la réplique, la requérante a en outre fait valoir que la Commission aurait fait une interprétation si étroite du caractère indispensable des informations sur les interfaces pour prendre part à la concurrence que la preuve ne pourrait en être apportée, en définitive, que dans le cas où une entreprise aurait été effectivement expulsée du marché en raison d’un refus de licence.

172    Or, cet argument doit être rejeté. La Commission n’a aucunement suggéré une interprétation si étroite du caractère indispensable des informations en cause. En réalité, elle s’est limitée au constat que les informations à sa disposition démontreraient le succès de la requérante sur le marché des logiciels PDM, en dépit de l’absence d’un accès direct aux informations sur les interfaces des logiciels CAO de l’intervenante et de Parametric, pour en conclure que le caractère indispensable d’un tel accès pour permettre à la requérante de prendre part à la concurrence sur le marché des logiciels PDM n’apparaissait pas avoir été établi.

173    Compte tenu de ce qui précède, le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’erreurs de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation de l’intérêt de l’Union à poursuivre l’examen de l’affaire

174    Selon la requérante, la conclusion de la Commission selon laquelle il n’existerait pas d’intérêt de l’Union suffisant pour examiner de manière plus approfondie une éventuelle infraction à l’article 102 TFUE commise par l’intervenante est entachée d’erreurs de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation.

175    D’une part, il ne saurait être exclu que, si la Commission n’avait pas commis des erreurs de droit et des erreurs manifestes d’appréciation dans le cadre de la délimitation du marché et de l’examen du caractère abusif au titre de l’article 102 TFUE, elle aurait abouti à une conclusion différente lors de la mise en balance effectuée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation concernant l’instruction ou non de la plainte. La conclusion tirée par la Commission à cet égard serait, par conséquent, entachée des mêmes erreurs que celles qui sont au fondement de la délimitation du marché et de l’examen du caractère abusif au titre dudit article.

176    D’autre part, la Commission aurait surestimé l’importance des investigations nécessaires pour compléter l’examen de la plainte. En particulier, en adressant une demande de renseignements à Daimler concernant les motivations et le contexte de la transition qu’elle avait effectuée d’un système de logiciels CAO de l’intervenante vers un système de logiciels CAO de Siemens, la Commission aurait, moyennant un coût modeste, pu éviter de commettre des erreurs essentielles concernant le fondement de son appréciation. Elle aurait donc dû reconnaître que, pour certaines catégories de clients, notamment les sous‑traitants du secteur automobile, la question de la transition d’un système de logiciels CAO à un autre ne se posait même pas.

177    La Commission conteste ces arguments.

178    En ce qui concerne le premier argument de la requérante, il convient de rappeler que, lors de son examen des deux premiers moyens concernant, l’un, la délimitation du marché et, l’autre, l’examen de la position dominante et du caractère abusif au titre de l’article 102 TFUE, le Tribunal n’a identifié aucune erreur de droit ni aucune erreur manifeste d’appréciation de nature à remettre en cause les conclusions auxquelles la Commission était parvenue sur ces points. Il s’ensuit que le premier argument de la requérante ne peut qu’être rejeté.

179    En ce qui concerne le deuxième argument de la requérante, la Commission rappelle que, dans la décision attaquée, elle a souligné que les études de marché dont elle disposait n’étayaient pas les définitions de marché proposées par la requérante et montraient en outre qu’il était extrêmement complexe de parvenir à une définition définitive du marché, laquelle aurait nécessité d’interroger un grand nombre de fournisseurs.

180    La Commission ajoute que la requérante semble sous-estimer les exigences qu’impose une définition définitive, par elle-même, du marché dans le cadre de la prise d’une injonction de cessation de l’infraction. En effet, même si la définition du marché opérée par la Commission ne ferait l’objet que d’un contrôle restreint de la part du juge de l’Union, la Commission devrait, selon la jurisprudence, fonder son appréciation sur des éléments de preuve exacts, fiables et cohérents, qui constitueraient l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et qui seraient de nature à étayer les conclusions qui en seraient tirées.

181    La Commission fait valoir en outre que, à la date du rejet de la plainte, elle ne disposait pas de preuves suffisantes permettant de constater une infraction à l’article 102 TFUE et que, en effet, de nombreux constats plaidaient au contraire contre la caractérisation d’une telle infraction. Il aurait donc fallu d’autant plus d’investigations de sa part pour trouver éventuellement des indices d’une infraction aux règles de la concurrence, en dépit des constats effectués jusqu’alors et qui n’allaient pas dans le sens de la caractérisation d’une telle infraction.

182    Enfin, la Commission soutient qu’un interrogatoire plus poussé de Daimler n’aurait en aucun cas été la seule mesure d’instruction nécessaire. Premièrement, l’interrogatoire suggéré par la requérante se serait référé uniquement à la définition du marché. Deuxièmement, même l’apport d’informations supplémentaires sur les difficultés rencontrées lors d’un changement de logiciel n’aurait pas suffi à démontrer la pertinence des définitions du marché défendues par la requérante. Troisièmement, la Commission observe qu’elle a fondé également son approche de la définition du marché sur d’autres éléments, comme notamment l’existence de possibilités de rendre compatibles des systèmes de logiciels CAO différents. D’ailleurs, la Commission ne verrait pas comment elle aurait dû reconnaître, à partir de l’interrogatoire proposé par la requérante, que les sous-traitants du secteur automobile étaient généralement contraints d’utiliser le système de logiciels CAO du constructeur automobiles dont ils dépendaient.

183    Le Tribunal considère que ces explications détaillées de la Commission, sur lesquelles la requérante n’a d’ailleurs fourni aucune observation spécifique, démontrent à suffisance que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste en concluant que, en l’espèce, une enquête approfondie aurait été très complexe et coûteuse en temps, et disproportionné au regard de la faible probabilité de pouvoir prouver une infraction à l’article 102 TFUE. En particulier, il paraît évident qu’il ne suffirait pas à la Commission de poser à cet égard certaines questions à Siemens, comme la requérante le suggère.

184    Il résulte de ce qui précède que le quatrième moyen et, partant, le recours dans son intégralité doivent être rejetés.

 Sur les dépens

185    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

186    Selon l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut décider qu’un intervenant autre que ceux mentionnés aux paragraphes 1 et 2 supportera ses propres dépens. Dans les circonstances du présent litige, il y a lieu de déclarer que l’intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Contact Software GmbH est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission européenne.

3)      Dassault systèmes supportera ses propres dépens.

Gratsias

Dittrich

Xuereb

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 septembre 2017.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.