Language of document : ECLI:EU:C:2006:437

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme E. Sharpston

présentées le 29 juin 2006 (1)

Affaire C-36/05

Commission des Communautés européennes

contre

Royaume d’Espagne


«Droit d’auteur – Droit de location et de prêt»





1.        Par le présent recours qu’elle a introduit contre le Royaume d’Espagne en application de l’article 226 CE, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que celui‑ci n’a pas correctement transposé les articles 1er et 5 de la directive 92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (2).

 La directive

2.        La directive vise à éliminer les différences existant dans la protection juridique accordée par les États membres aux œuvres couvertes par le droit d’auteur et aux objets protégés par les droits voisins (3) en matière de location et de prêt (4). En particulier, elle exige que les États membres prévoient des droits de location et de prêt pour certains groupes de titulaires de droits.

3.        Le septième considérant de la directive est libellé comme suit:

«[…] la continuité du travail créateur et artistique des auteurs, artistes interprètes ou exécutants exige que ceux-ci perçoivent un revenu approprié et que les investissements, en particulier ceux qu’exige la production de phonogrammes et de films, sont extrêmement élevés et aléatoires; que seule une protection juridique appropriée des titulaires de droits concernés permet de garantir efficacement la possibilité de percevoir ce revenu et d’amortir ces investissements».

4.        L’article 1er, paragraphe 1, de la directive exige que les États membres prévoient le droit d’autoriser ou d’interdire la location et le prêt d’originaux et de copies d’œuvres protégées par le droit d’auteur «mentionnés à l’article 2» de la directive.

5.        L’article 1er, paragraphe 2, de la directive définit la «location» comme la «mise à disposition pour l’usage, pour un temps limité et pour un avantage économique ou commercial direct ou indirect». L’article 1er, paragraphe 3, de la directive définit le «prêt» comme la «mise à disposition pour l’usage, pour un temps limité et non pour un avantage économique ou commercial direct ou indirect, lorsqu’elle est effectuée par des établissements accessibles au public».

6.        L’article 2, paragraphe 1, de la directive dispose:

«Le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la location et le prêt appartient:

–        à l’auteur, en ce qui concerne l’original et les copies de son œuvre,

–        à l’artiste interprète ou exécutant, en ce qui concerne les fixations de son exécution,

–        au producteur de phonogrammes, en ce qui concerne ses phonogrammes

et

–        au producteur de la première fixation, en ce qui concerne l’original et les copies de son film. Aux fins de la présente directive le terme ‘film’ désigne une œuvre cinématographique ou audiovisuelle ou séquence animée d’images, accompagnées ou non de son.»

7.        L’article 5 de la directive prévoit, dans la mesure où cela est pertinent:

«1.      Les États membres peuvent déroger au droit exclusif prévu à l’article 1er pour le prêt public, à condition que les auteurs au moins obtiennent une rémunération au titre de ce prêt. Ils ont la faculté de fixer cette rémunération en tenant compte de leurs objectifs de promotion culturelle.

[…]

3.      Les États membres peuvent exempter certaines catégories d’établissements du paiement de la rémunération prévue [au paragraphe] 1 […]

[…]»

8.        L’article 15, paragraphe 1, de la directive imposait aux États membres de transposer la directive au plus tard le 1er juillet 1994.

 La législation nationale pertinente

9.        La législation espagnole en cause dans la présente affaire est le texte refondu de la loi sur la propriété intellectuelle (Texto refundido de la Ley de Propriedad Intelectual, (ci‑après la «LPI»).

10.      L’article 17 de la LPI confère à l’auteur le droit exclusif d’exploiter ses œuvres, y compris le droit de distribution.

11.      L’article 19, paragraphe 1, de la LPI prévoit que le droit de distribution inclut le prêt.

12.      L’article 19, paragraphe 3, de la LPI dispose:

«Le terme ‘location’ désigne la mise à disposition des originaux ou des copies d’une œuvre en vue de leur utilisation pour une durée limitée avec un avantage économique ou commercial direct ou indirect.

Sont exclues du concept de location la mise à disposition à des fins d’exposition, de communication publique à partir de phonogrammes ou d’enregistrements audiovisuels, y compris sous forme d’extraits, ainsi que la mise à disposition effectuée pour une consultation in situ.»

13.      L’article 19, paragraphe 4, premier et troisième alinéas, de la LPI, dispose:

«Le terme ‘prêt’ désigne la mise à disposition des originaux ou des copies d’une œuvre en vue de leur utilisation pour une durée limitée sans avantage économique ou commercial direct ou indirect, à condition que ce prêt soit effectué par des établissements accessibles au public.

[…]

Sont exclues du concept de prêt les opérations visées au deuxième alinéa du paragraphe 3 précédent et celles qui sont effectuées entre établissements accessibles au public.»

14.      Le droit exclusif de prêt conféré aux articles 17 et 19 de la LPI fait l’objet de l’exception suivante, qui figure à l’article 37, paragraphe 2, de la LPI:

«[…] les musées, archives, bibliothèques, centres de documentation, phonothèques ou cinémathèques publics ou qui dépendent d’organismes d’intérêt général à caractère culturel, scientifique ou éducatif sans but lucratif, ou d’établissements d’enseignement intégrés au système éducatif espagnol, ne sollicitent pas l’autorisation des titulaires des droits, ni ne leur fournissent de rémunération pour les prêts qu’ils effectuent.»

 Appréciation

15.      La Commission affirme que l’article 5, paragraphe 3, de la directive autorise les États membres à exempter seulement «certaines catégories» d’établissements du paiement de la rémunération normalement garantie à l’article 5, paragraphe 1, de la directive, en contrepartie de la dérogation au droit exclusif de prêt conféré à l’article 1er de celle‑ci. Or l’article 37, paragraphe 2, de la LPI exempte pratiquement tous les prêts de l’obligation d’obtenir l’autorisation des auteurs et de l’obligation de leur verser une rémunération. Le résultat de cette exemption est que l’obligation de rémunérer les auteurs au titre du prêt non autorisé de leurs œuvres s’applique uniquement lorsque l’entreprise qui effectue le prêt est soit 1) un organisme privé à but lucratif, soit 2) un organisme privé à but non lucratif, mais qui n’est pas un organisme à caractère culturel, scientifique ou éducatif d’intérêt général. Toutefois, l’étendue de ces deux catégories est si limitée que l’on peut raisonnablement émettre des doutes quant à leur effet pratique. En ce qui concerne la première catégorie, il semble peu probable qu’un organisme à but lucratif propose des prêts gratuits. Dès lors qu’un prêt «pour un avantage économique ou commercial direct ou indirect» relève, aux fins de la directive, de la définition de la «location» et non du «prêt», il n’est pas couvert par l’article 5, paragraphe 1, de la directive. En ce qui concerne la seconde catégorie, il semble peu probable que les musées, archives, bibliothèques, centres de documentation, phonothèques ou cinémathèques, qui effectuent des prêts au public et qui n’ont pas de but lucratif, ne soient pas des organismes d’intérêt général à caractère culturel, scientifique ou éducatif.

16.      La Commission conclut que, bien que l’article 5, paragraphe 3, de la directive laisse aux États membres un large pouvoir d’appréciation pour définir les catégories d’établissements exemptées de l’obligation de verser une rémunération, celui-ci ne leur permet pas d’exempter de cette obligation tous ou quasiment tous les établissements. Une «exemption» qui serait applicable à tous les établissements ou à presque tous les établissements soumis à l’obligation de payer une rémunération en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la directive devient une règle générale. En outre, une telle exemption ne saurait être considérée comme s’appliquant uniquement à «certaines catégories d’établissements» (5). En tant que dérogation, l’article 5, paragraphe 3, de la directive doit être interprété strictement. Si les États membres pouvaient exempter tous ou presque tous les établissements qui, autrement, devraient verser une rémunération, l’obligation visée à l’article 5, paragraphe 1, de la directive n’aurait aucun sens.

17.      J’estime que le recours de la Commission est fondé. À mon sens, il découle clairement de l’économie et des objectifs poursuivis par la directive, ainsi que du libellé de l’article 5, paragraphe 3, de celle‑ci, qu’un État membre n’est pas libre d’exempter en pratique toutes les catégories d’établissements visées à cette disposition, qui, autrement, relèveraient du champ d’application de l’article 5, paragraphe 1, de la directive.

18.      Comme la Commission le souligne à juste titre, un des principaux objectifs de la directive est de garantir un revenu approprié au travail créatif des auteurs (6). Conformément à cet objectif, l’article 5, paragraphe 1, de la directive exige que les auteurs soient tout de même rémunérés pour le prêt de leurs œuvres lorsqu’un État membre a dérogé à leur droit exclusif d’autoriser ou d’interdire un tel prêt. Ainsi, bien que ledit article 5, paragraphe 1, soit présenté comme une dérogation, il constitue en réalité l’exigence première de toute la directive, à savoir que les auteurs soient rémunérés, conformément aux articles 1er et 2 de la directive.

19.      L’article 5, paragraphe 3, de la directive prévoit une réelle dérogation à cette exigence de rémunération, en permettant aux États membres d’exempter «certaines catégories d’établissements» du paiement de la rémunération. En tant que telle, cette dérogation doit être interprétée restrictivement. Le libellé dudit article 5, paragraphe 3, suggère fortement que seul un nombre limité de catégories d’établissements (7), potentiellement tenues de verser la rémunération en application de l’article 5, paragraphe 1, de la directive, sont susceptibles d’être exemptées de cette obligation. C’est le cas non seulement de la version anglaise de la directive, mais également des versions notamment allemande, danoise, espagnole, française, grecque, italienne, néerlandaise et portugaise, dans lesquelles la directive a été adoptée (8).

20.      Il est vrai que cette position n’est pas dénuée d’ambiguïté dans la mesure où «certaines» peut signifier «quelques unes mais pas toutes» tout aussi bien que «clairement définies». Une disposition législative autorisant les États membres à introduire des mesures spéciales afin d’«éviter ‘certaines’ fraudes ou évasions fiscales» peut difficilement signifier que les États membres ne peuvent pas éviter toutes les fraudes ou évasions fiscales (9).

21.      La Cour a cependant clairement précisé qu’elle interprétait l’article 5, paragraphe 3, de la directive de façon limitée, en affirmant que, «si les circonstances prévalant dans l’État membre en question ne permettent pas d’effectuer une distinction valable entre catégories d’établissements, il y a lieu d’imposer à tous les établissements concernés l’obligation de payer la rémunération en question» (10).

22.      Je partage le point de vue de la Commission selon lequel une exemption d’une obligation qui exempte tous ceux qui y seraient autrement soumis n’est pas une exemption, mais une annulation de l’obligation sous-jacente. Dans le cas présent, le Royaume d’Espagne ne cherche pas sérieusement à nier que la portée de son exemption coïncide effectivement avec les catégories d’établissements qui seraient autrement tenues de payer la rémunération (11). Au lieu de cela, il avance un certain nombre d’arguments qui, selon lui, valident ses choix législatifs.

23.      Le Royaume d’Espagne fait en premier lieu valoir que la Commission n’a pas démontré que l’exemption prévue à l’article 37, paragraphe 2, de la LPI entraînait une distorsion de concurrence dans le marché intérieur. En effet, la Commission a déclaré dans son rapport de 2002 sur le droit de prêt public dans l’Union européenne (12) qu’elle ne dispose pas d’informations claires – du moins au moment où elle a rédigé ce rapport – selon lesquelles le caractère relativement limité de l’harmonisation du droit de prêt public aurait eu un effet négatif important sur les intérêts économiques des bénéficiaires ou sur le fonctionnement correct du marché intérieur. La Commission n’a pas non plus montré que l’étendue de l’exemption prévue par la LPI avait conduit les auteurs en Espagne à percevoir des revenus insuffisants, ce qui les aurait empêchés de poursuivre leur travail créatif.

24.      Je partage le point de vue de la Commission selon lequel, afin d’établir l’infraction alléguée, elle n’est pas tenue d’établir que l’exemption prévue à l’article 37, paragraphe 2, de la LPI prive les auteurs d’un revenu approprié ou fausse la concurrence dans le marché intérieur. Les procédures d’infraction sont fondées sur la constatation objective qu’un État membre a manqué à ses obligations (13). Elles n’exigent pas la preuve d’un préjudice actuel. L’obligation de verser une rémunération, imposée à l’article 5, paragraphe 1, de la directive, est toujours applicable, qu’elle soit ou non nécessaire dans un cas donné pour garantir aux auteurs un «revenu approprié», et indépendamment des effets spécifiques sur la concurrence qui pourraient découler de l’absence de rémunération dans un cas donné (14). De même, la dérogation prévue à l’article 5, paragraphe 3, de la directive impose toujours que l’exemption de l’obligation de verser une rémunération soit limitée à «certains établissements», que cette restriction soit ou non nécessaire dans un cas donné pour garantir aux auteurs un «revenu approprié», et indépendamment des effets spécifiques sur la concurrence qui pourraient découler de l’absence de versement de la rémunération qui, autrement, aurait été versée par un établissement donné.

25.      De surcroît, le Royaume d’Espagne semble considérer que l’exigence d’une rémunération pourrait en quelque sorte être écartée s’il était démontré que des auteurs ont déjà reçu des revenus suffisants, de sorte que le manque de rémunération ne les a pas empêchés de s’engager dans un autre travail créatif. Or, cet argument est fondé sur une conception erronée de la nature et des objectifs du droit de prêt public. S’il est exact que les auteurs perçoivent déjà un revenu de leurs droits de reproduction et de distribution, ce revenu ne reflète pas les livres prêtés, mais plutôt les livres vendus (15). Il est bien entendu exact que chacune des personnes qui emprunte des livres dans une bibliothèque publique (ou qui les consulte sur place) n’achèterait pas, en l’absence de ce service, chacun des livres qu’elle a empruntés. Il existe cependant une tendance générale (16). En tout cas, la directive traduit une décision politique claire de conférer non seulement un droit de prêt exclusif, mais également un droit à rémunération lorsque les États membres ont dérogé à ce droit.

26.      En deuxième lieu, le Royaume d’Espagne estime que la Commission ne comprend pas correctement l’étendue de l’exemption prévue à l’article 37, paragraphe 2, de la LPI, qui se réfère non pas à la question de savoir si le prêt est effectué dans un but lucratif ou non, mais à la question de savoir si l’établissement de prêt appartient à un organisme culturel, scientifique ou éducatif d’intérêt général. Le Royaume d’Espagne affirme qu’il est possible que certains établissements de prêt publics ne soient pas exonérés de l’obligation de verser une rémunération et qu’il est possible qu’un organisme privé à but lucratif soit propriétaire d’un établissement de prêt à but non lucratif.

27.      Là encore, je suis d’accord avec la position de la Commission selon laquelle l’existence d’une obligation de verser une rémunération ne devrait pas dépendre de la forme juridique choisie par le prêteur. En tout état de cause, le Royaume d’Espagne ne fournit aucune preuve corroborant sa suggestion.

28.      Enfin, le Royaume d’Espagne se réfère à la déclaration effectuée par la Commission dans son rapport de 2002 (17), selon laquelle «l’article 5 [de la directive] reflète le compromis trouvé à l’époque entre la satisfaction des besoins du marché intérieur, d’une part, et la prise en compte des différentes traditions des États membres dans ce domaine, d’autre part». Il s’ensuit, selon lui, que les exceptions permises à l’article 5, paragraphe 3, de la directive sont aussi larges que nécessaire pour maintenir ou améliorer une tradition culturelle. La grande liberté des États membres peut les conduire à reconnaître seulement une rémunération très limitée ou symbolique, voire même nulle. En effet, le Royaume d’Espagne relève que la Commission a déclaré dans son rapport de 2002 que, «[d]ans certaines conditions, [l’article 5 de la directive] autorise les États membres à remplacer les droits exclusifs par un droit à rémunération ou même à ne prévoir aucune rémunération» (18). En l’espèce, le Royaume d’Espagne prétend que la réalisation des objectifs culturels prévaut sur les objectifs visant à garantir aux auteurs un revenu approprié. Le législateur espagnol a tenu compte du fait que l’usage des bibliothèques publiques en Espagne est bien au‑dessous de la moyenne européenne.

29.      À mon avis, toutefois, l’obligation de rémunérer les auteurs, imposée à la première phrase de l’article 5, paragraphe 1, de la directive, serait dépourvue de sens si, selon la seconde phrase de cette disposition, les États membres pouvaient fixer une rémunération nulle. La seconde phrase dudit article 5, paragraphe 1, permet aux États membres de modifier le niveau de rémunération exigé à la première phrase de la même disposition, «en tenant compte» de leurs objectifs de promotion culturelle. Toutefois, elle ne les autorise pas à fixer un niveau de rémunération zéro. Le concept de «rémunération» implique que les paiements reçus par les auteurs doivent être une compensation appropriée pour leurs efforts créatifs.

30.      De même, si les États membres pouvaient fixer une rémunération nulle pour toutes les catégories d’établissements de prêt, il ne serait pas nécessaire de stipuler à l’article 5, paragraphe 3, de la directive qu’ils ne peuvent exempter que «certains» établissements de l’obligation de payer une rémunération. Bien que ledit article 5, paragraphe 3, laisse aux États membres un large pouvoir discrétionnaire, celui-ci porte sur la détermination des catégories d’établissements à exempter. Comme exposé précédemment, ces catégories ne sauraient comprendre effectivement tous les établissements susceptibles d’être tenus à ce versement.

31.      En ce qui concerne la référence au rapport (de la Commission) de 2002, selon laquelle les États membres peuvent «même […] ne prévoir aucune rémunération», le contexte de cette déclaration montre clairement qu’elle se réfère précisément à la possibilité accordée aux États membres à l’article 5, paragraphe 3, de la directive d’«exempter certaines catégories d’établissements du paiement de la rémunération». Les catégories d’établissements ainsi exemptées ne paieront (par définition) aucune rémunération. Cependant, la question qui se pose dans la présente affaire est de savoir comment la dérogation prévue à l’article 5, paragraphe 3, de la directive doit être interprétée. Je ne vois pas, par conséquent, comment la déclaration de la Commission dans son rapport de 2002 vient à l’appui de l’argumentation du Royaume d’Espagne. Elle doit, en outre, être lue dans le contexte des commentaires faits par la Commission sur l’article 5, paragraphe 3, au point 3.4 de son rapport de 2002 (19). En tout état de cause, même si la déclaration de la Commission semblait clarifier la question en cause devant la Cour en l’espèce, elle n’est que l’expression de la façon selon laquelle la Commission estime que cette disposition devrait être interprétée. En tant que telle, elle ne lie pas la Cour.

 Conclusion

32.      Je suis par conséquent de l’avis que la Cour devrait:

1)      constater que le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 1er et 5 de la directive 92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle;

2)      condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – JO L 346, p. 61, ci‑après la «directive».


3 – Dans le contexte du droit communautaire, la notion de «droit d’auteur» comprend les droits exclusifs accordés aux auteurs, compositeurs, artistes, etc., tandis que celle de «droits voisins» couvre les droits analogues accordés aux artistes interprètes ou exécutants (musiciens, acteurs, etc.) et exploitants (éditeurs, producteurs de films, etc.). Par souci de concision, je me référerai simplement aux «œuvres protégées par le droit d’auteur» de préférence à l’expression plus lourde employée dans la directive, à savoir «les œuvres protégées par le droit d’auteur et les objets protégés par des droits voisins», étant donné que cette distinction n’emporte pas de conséquences dans la présente affaire.


4 – Premier considérant de la directive.


5 – La Commission cite l’arrêt du 16 octobre 2003, Commission/Belgique (C‑433/02, Rec. p. I‑12191, point 20).


6 – Septième considérant de la directive, exposé au point 3 des présentes conclusions.


7 – Il semble que l’article 5, paragraphe 3, de la directive ait été ajouté afin de répondre au désir de deux États membres de conserver la faculté d’exonérer les bibliothèques des établissements d’éducation et les bibliothèques publiques de l’obligation de verser une rémunération au titre du droit de prêt public. Voir Reinbothe, J., et von Lewinski, S., The EC Directive on Rental and Lending Rights and on Piracy, 1993, p. 82.


8 – Respectivement «certain categories», «bepaalde categorieën», «visse kategorier», «certaines catégories», «bestimmte Kategorien», «ορισμένες κατηγορίες», «alcune categorie», «determinadas categorias» et «determinadas categorías».


9 – Voir point 17 des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Italittica (arrêt du 26 octobre 1995, C‑144/94, Rec. p. I-3653).


10 – Arrêt Commission/Belgique, précité à la note 5, point 20.


11 – Il est vrai que, dans son mémoire en réplique, le Royaume d’Espagne affirme (sans apporter la moindre preuve) que des sociétés privées établissent souvent des bibliothèques de prêt publiques et que rien ne s’oppose à ce que les organismes qui en sont propriétaires rémunèrent les auteurs qui le demandent. Plus loin, (dans sa réplique), elle déclare cependant que, en Espagne, l’initiative privée n’a pas contribué de façon significative à la création d’établissements d’intérêt général ouverts au public, de sorte que les autorités publiques ont dû pallier ce manque.


12 – Rapport de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen sur le droit de prêt public dans l’Union européenne, du 12 septembre 2002 [COM (2002) 502 final, point 5.1], ci‑après «le rapport de 2002».


13 – Voir, notamment, arrêt du 14 novembre 2002, Commission/Royaume-Uni (C‑140/00, Rec. p. I‑10379, point 34 et jurisprudence citée).


14 – Voir, pour une explication des effets possibles sur le marché intérieur résultant de l’absence de prévision d’un droit de prêt public, points 46 et 47 de mes conclusions rendues le 4 avril 2006 dans les affaires Commission/Portugal (arrêts du 6 juillet 2006, C-53/05 et C-61/05, non encore publiés au Recueil).


15 – Je donne l’exemple des livres, mais, bien entendu, le droit de prêt public pourrait s’appliquer aussi aux phonogrammes et aux vidéogrammes qui sont l’enregistrement de représentations ou des copies de films ou d’autres œuvres audiovisuelles (même si les vidéogrammes sont peut-être plus fréquemment loués que prêtés).


16 – Voir, pour plus de détails, point 44 de l’exposé des motifs de la première proposition de directive du Conseil, du 24 janvier 1991, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins [COM (90) 586 final], exposé au point 46 de mes conclusions dans les affaires Commission/Portugal, précitées à la note 14. Voir, également, rapport (de la Commission) de 2002, cité à la note 12 (section 2).


17 – Cité à la note 12 (point 3.3).


18 – Ibidem.


19 – «Si l’article 5 [de la directive] laisse aux États membres une grande flexibilité dans les dérogations au droit de prêt exclusif, une rémunération doit être prévue au moins pour les auteurs. Les États membres peuvent fixer le montant de cette rémunération, mais celle-ci doit répondre aux objectifs sous-jacents de la directive et de la protection du droit d’auteur en général. Les États membres sont libres d’exempter certains établissements – mais pas tous – du paiement de la rémunération, au sens de l’article 5, paragraphe 3 [de la directive].»