Language of document : ECLI:EU:C:2011:208

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

5 avril 2011 (*)

«Libre prestation des services – Directive 2006/123/CE – Article 24 – Prohibition de toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées – Profession d’expert-comptable – Interdiction de démarchage»

Dans l’affaire C‑119/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 4 mars 2009, parvenue à la Cour le 1er avril 2009, dans la procédure

Société fiduciaire nationale d’expertise comptable

contre

Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot, K. Schiemann, J.-J. Kasel et D. Šváby, présidents de chambre, M. A. Rosas, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. U. Lõhmus (rapporteur), M. Safjan et Mme M. Berger, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 mars 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour la Société fiduciaire nationale d’expertise comptable, par Me F. Molinié, avocat,

–        pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et B. Messmer, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement chypriote, par Mme D. Kallí, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. Wissels, ainsi que par MM. M. de Grave et J. Langer, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. I. Rogalski et Mme C. Vrignon, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 mai 2010,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 24 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO L 376, p. 36).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Société fiduciaire nationale d’expertise comptable (ci-après la «Société fiduciaire») au ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique au sujet d’un recours tendant à l’annulation du décret nº 2007-1387, du 27 septembre 2007, portant code de déontologie des professionnels de l’expertise comptable (JORF du 28 septembre 2007, p. 15847), en ce qu’il interdit le démarchage.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        Aux termes des deuxième, cinquième et centième considérants de la directive 2006/123:

«(2)      Il est impératif d’avoir un marché des services concurrentiel pour favoriser la croissance économique et la création d’emplois dans l’Union européenne. À l’heure actuelle, un grand nombre d’obstacles empêchent, au sein du marché intérieur, les prestataires, notamment les petites et moyennes entreprises (PME), de se développer au-delà de leurs frontières nationales et de bénéficier pleinement du marché intérieur. La compétitivité mondiale des prestataires de l’Union européenne s’en trouve affectée. Un marché libre obligeant les États membres à supprimer les obstacles à la circulation transfrontalière des services, tout en renforçant la transparence et l’information pour les consommateurs, offrirait un plus grand choix et de meilleurs services, à des prix plus bas, aux consommateurs.

[…]

(5)      Il convient en conséquence d’éliminer les obstacles à la liberté d’établissement des prestataires dans les États membres et à la libre circulation des services entre États membres et de garantir aux destinataires et aux prestataires la sécurité juridique nécessaire à l’exercice effectif de ces deux libertés fondamentales du traité. […]

[…]

(100) Il convient de mettre fin aux interdictions totales des communications commerciales pour les professions réglementées, non pas en levant les interdictions relatives au contenu d’une communication commerciale sinon celles qui, de manière générale et pour une profession donnée, interdisent une ou plusieurs formes de communication commerciale, par exemple toute publicité dans un média donné ou dans certains d’entre eux. En ce qui concerne le contenu et les modalités des communications commerciales, il convient d’inciter les professionnels à élaborer, dans le respect du droit communautaire, des codes de conduite au niveau communautaire.»

4        L’article 4, point 12, de la directive 2006/123 prévoit que, aux fins de celle-ci, il y a lieu d’entendre par:

«‘communication commerciale’, toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, les biens, les services ou l’image d’une entreprise, d’une organisation ou d’une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée. Ne constituent pas en tant que telles des communications commerciales:

a)      les informations permettant l’accès direct à l’activité de l’entreprise, de l’organisation ou de la personne, notamment un nom de domaine ou une adresse de courrier électronique,

b)      les communications relatives aux biens, aux services ou à l’image de l’entreprise, de l’organisation ou de la personne élaborées d’une manière indépendante, en particulier lorsqu’elles sont fournies sans contrepartie financière.»

5        L’article 24 de la directive 2006/123, intitulé «Communications commerciales des professions réglementées», est libellé comme suit:

«1.      Les États membres suppriment toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées.

2.      Les États membres veillent à ce que les communications commerciales faites par les professions réglementées respectent les règles professionnelles, conformes au droit communautaire, qui visent notamment l’indépendance, la dignité et l’intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel, en fonction de la spécificité de chaque profession. Les règles professionnelles en matière de communications commerciales doivent être non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général et proportionnées.»

6        Conformément aux articles 44 et 45 de la directive 2006/123, celle-ci est entrée en vigueur le 28 décembre 2006 et devait être transposée par les États membres avant le 28 décembre 2009 au plus tard.

 La réglementation nationale

7        L’institution de l’ordre des experts-comptables ainsi que la réglementation du titre et de la profession d’expert-comptable sont régies par les dispositions de l’ordonnance nº 45-2138, du 19 septembre 1945 (JORF du 21 septembre 1945, p. 5938). Selon cette ordonnance, l’expert-comptable a pour mission principale de tenir et de contrôler la comptabilité d’entreprises et d’organismes auxquels il n’est pas lié par un contrat de travail. Il est habilité à attester la régularité et la sincérité des comptes de résultat et peut également accompagner la création d’entreprises et d’organismes sous tous ses aspects comptables, économiques et financiers.

8        Jusqu’à l’adoption de l’ordonnance nº 2004-279, du 25 mars 2004, portant simplification et adaptation des conditions d’exercice de certaines activités professionnelles (JORF du 27 mars 2004, p. 5888), toute publicité personnelle était interdite aux membres de la profession d’expert-comptable. Le décret nº 97-586, du 30 mai 1997, relatif au fonctionnement des instances ordinales des experts-comptables (JORF du 31 mai 1997, p. 8510), qui précise les conditions dans lesquelles les experts-comptables peuvent désormais recourir à des actions de promotion, prévoit, à son article 7, que ces conditions feront l’objet d’un code des devoirs professionnels dont les dispositions seront édictées sous la forme d’un décret en Conseil d’État.

9        Ainsi, c’est sur le fondement de l’article 23 de l’ordonnance n° 45‑2138 et de l’article 7 du décret nº 97-586 qu’a été adopté le décret nº 2007-1387.

10      Aux termes de l’article 1er de ce dernier décret:

«Les règles de déontologie applicables aux professionnels de l’expertise comptable sont fixées par le code de déontologie annexé au présent décret.»

11      L’article 1er du code de déontologie des professionnels de l’expertise comptable dispose:

«Les dispositions du présent code s’appliquent aux experts-comptables, quel que soit le mode d’exercice de la profession, et, s’il y a lieu, aux experts-comptables stagiaires ainsi qu’aux salariés mentionnés respectivement à l’article 83 ter et à l’article 83 quater de l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d’expert-comptable.

À l’exception de celles qui ne peuvent concerner que des personnes physiques, elles s’appliquent également aux sociétés d’expertise comptable et aux associations de gestion et de comptabilité.»

12      Aux termes de l’article 12 de ce code:

«I - Il est interdit aux personnes mentionnées à l’article 1er d’effectuer toute démarche non sollicitée en vue de proposer leurs services à des tiers.

Leur participation à des colloques, séminaires ou autres manifestations universitaires ou scientifiques est autorisée dans la mesure où elles ne se livrent pas, à cette occasion, à des actes assimilables à du démarchage.

II - Les actions de promotion sont permises aux personnes mentionnées à l’article 1er dans la mesure où elles procurent au public une information utile. Les moyens auxquels il est recouru à cet effet sont mis en œuvre avec discrétion, de façon à ne pas porter atteinte à l’indépendance, à la dignité et à l’honneur de la profession, pas plus qu’aux règles du secret professionnel et à la loyauté envers les clients et les autres membres de la profession.

Lorsqu’elles présentent leur activité professionnelle à des tiers, par quelque moyen que ce soit, les personnes mentionnées à l’article 1er ne doivent adopter aucune forme d’expression qui soit de nature à compromettre la dignité de leur fonction ou l’image de la profession.

Ces modes de communication ainsi que tous autres ne sont admis qu’à condition que l’expression en soit décente et empreinte de retenue, que leur contenu ne comporte aucune inexactitude ni ne soit susceptible d’induire le public en erreur et qu’ils soient exempts de tout élément comparatif.»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

13      Par requête introduite le 28 novembre 2007, la Société fiduciaire a demandé au Conseil d’État d’annuler le décret nº 2007-1387 en ce qu’il interdit le démarchage. Cette société considère que l’interdiction générale et absolue de toute activité de démarchage, prévue à l’article 12-I du code de déontologie des professionnels de l’expertise comptable, est contraire à l’article 24 de la directive 2006/123 et met gravement en péril la mise en œuvre de cette directive.

14      La juridiction de renvoi estime qu’un renvoi préjudiciel est nécessaire dans le litige qui lui est soumis en raison du fait que l’interdiction de la pratique de démarchage édictée par le décret attaqué, dès lors qu’elle est regardée comme contraire à l’article 24 de la directive 2006/123, compromettrait sérieusement la mise en œuvre de celle-ci.

15      Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La directive [2006/123] a-t-elle entendu proscrire, pour les professions réglementées qu’elle vise, toute interdiction générale, quelle que soit la forme de pratique commerciale concernée, ou bien a-t-elle laissé aux États membres la possibilité de maintenir des interdictions générales pour certaines pratiques commerciales, telles que le démarchage?»

 Sur la recevabilité

16      La juridiction de renvoi sollicite l’interprétation de la directive 2006/123 dont le délai de transposition, fixé au 28 décembre 2009, n’avait pas encore expiré à la date à laquelle la décision de renvoi a été rendue, à savoir le 4 mars 2009.

17      Le gouvernement français, sans soulever explicitement une exception d’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle, émet des objections quant à la pertinence de la question posée par la juridiction de renvoi et à l’appréciation formulée par celle-ci selon laquelle, si la réglementation nationale en cause au principal est considérée comme contraire à la directive 2006/123, elle en compromettrait sérieusement l’exécution.

18      En effet, selon ce gouvernement, s’il est vrai que, conformément à la jurisprudence de la Cour, pendant le délai de transposition d’une directive, les États membres destinataires de celle-ci doivent s’abstenir de prendre des dispositions de nature à compromettre sérieusement la réalisation du résultat prescrit par cette directive (arrêts du 18 décembre 1997, Inter-Environnement Wallonie, C‑129/96, Rec. p. I‑7411, point 45; du 8 mai 2003, ATRAL, C‑14/02, Rec. p. I‑4431, point 58, ainsi que du 23 avril 2009, VTB-VAB et Galatea, C‑261/07 et C‑299/07, Rec. p. I‑2949, point 38), il n’en irait pas ainsi dans l’affaire au principal, où l’application de la réglementation nationale en cause pendant la période de transposition de la directive 2006/123 ne produirait pas des effets tels que ceux-ci, d’une part, persisteraient après l’expiration de cette période de transposition et, d’autre part, revêtiraient une gravité particulière au regard de l’objectif poursuivi par cette directive.

19      À cet égard, il convient de rappeler qu’il résulte de cette même jurisprudence qu’il incombe à la juridiction de renvoi qui est saisie du litige au principal d’apprécier si les dispositions nationales dont la légalité est contestée sont de nature à compromettre sérieusement le résultat prescrit par une directive. Dans cette appréciation, la juridiction de renvoi devrait en particulier examiner si les dispositions en cause se présentent comme une transposition complète de la directive ainsi que déterminer les effets concrets de l’application de ces dispositions non conformes à la directive et de leur durée dans le temps (voir, notamment, arrêt Inter-Environnement Wallonie, précité, points 46 et 47).

20      Il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude de cette appréciation dans le cadre d’un examen de la recevabilité d’une demande de décision préjudicielle.

21      En tout état de cause, selon une jurisprudence constante, la question relative à l’interprétation du droit de l’Union, posée par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, bénéficie d’une présomption de pertinence (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 2008, Cartesio, C‑210/06, Rec. p. I‑9641, point 67; du 7 octobre 2010, dos Santos Palhota e.a., C‑515/08, non encore publié au Recueil, point 20, ainsi que du 12 octobre 2010, Rosenbladt, C‑45/09, non encore publié au Recueil, point 33).

22      Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur la question préjudicielle

23      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 24 de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui interdit aux membres d’une profession réglementée, telle que la profession d’expert-comptable, d’effectuer des actes de démarchage.

24      À titre liminaire, il convient de relever que l’article 24 de la directive 2006/123, intitulé «Communications commerciales des professions réglementées», comporte deux obligations pour les États membres. D’une part, son paragraphe 1 exige que les États membres suppriment toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées. D’autre part, le paragraphe 2 dudit article oblige les États membres à veiller à ce que les communications commerciales faites par les professions réglementées respectent les règles professionnelles, conformes au droit de l’Union, qui visent notamment l’indépendance, la dignité et l’intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel, en fonction de la spécificité de chaque profession. Lesdites règles professionnelles doivent être non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général et proportionnées.

25      Afin de vérifier si l’article 24 de la directive 2006/123, et notamment son paragraphe 1, a vocation à proscrire une interdiction de démarchage telle que celle prévue par la réglementation nationale en cause au principal, il convient d’interpréter ladite disposition en se référant non seulement à son libellé, mais aussi à sa finalité et à son contexte ainsi qu’à l’objectif poursuivi par la réglementation en cause.

26      À cet égard, il ressort des deuxième et cinquième considérants de cette directive que celle-ci vise à éliminer les restrictions à la liberté d’établissement des prestataires dans les États membres et à la libre circulation des services entre les États membres, afin de contribuer à la réalisation du marché intérieur libre et concurrentiel.

27      La finalité de l’article 24 de ladite directive est précisée au centième considérant de celle-ci, considérant en vertu duquel il convient de mettre fin aux interdictions totales des communications commerciales pour les professions réglementées qui, de manière générale et pour une profession donnée, interdisent une ou plusieurs formes de communication commerciale, notamment toute publicité dans un média donné ou dans certains d’entre eux.

28      S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 24 de la directive 2006/123, il convient de rappeler que celui-ci figure au chapitre V de cette directive, intitulé «Qualité des services». Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 31 de ses conclusions, ce chapitre, en général, et cet article 24, en particulier, visent à sauvegarder les intérêts des consommateurs en améliorant la qualité des services des professions réglementées dans le marché intérieur.

29      Il résulte ainsi tant de la finalité de cet article 24 que du contexte dans lequel il s’inscrit que, comme le soutient à bon droit la Commission européenne, l’intention du législateur de l’Union était non seulement de mettre fin aux interdictions totales, pour les membres d’une profession réglementée, de recourir à la communication commerciale, quelle qu’en soit la forme, mais également d’éliminer les interdictions de recourir à une ou plusieurs formes de communication commerciale au sens de l’article 4, point 12, de la directive 2006/123, telles que, notamment, la publicité, le marketing direct ou le parrainage. Eu égard aux exemples figurant au centième considérant de cette directive, doivent également être considérées comme des interdictions totales, proscrites par l’article 24, paragraphe 1, de cette directive, les règles professionnelles prohibant de communiquer, dans un média ou dans certains d’entre eux, des informations sur le prestataire ou sur son activité.

30      Toutefois, en vertu de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2006/123, lu à la lumière de la seconde phrase du centième considérant de celle-ci, les États membres restent libres de prévoir des interdictions relatives au contenu ou aux modalités de communications commerciales s’agissant des professions réglementées, pour autant que les règles prévues soient justifiées et proportionnées aux fins d’assurer notamment l’indépendance, la dignité et l’intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel nécessaire lors de l’exercice de celle-ci.

31      Afin d’établir si la réglementation nationale en cause relève du champ d’application de l’article 24 de cette directive, il convient, tout d’abord, de déterminer si le démarchage constitue une communication commerciale au sens dudit article.

32      La notion de «communication commerciale» est définie à l’article 4, point 12, de la directive 2006/123 comme incluant toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, les biens, les services ou l’image d’une entreprise, d’une organisation ou d’une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée. Toutefois, ne relèvent pas de cette notion, premièrement, les informations permettant l’accès direct à l’activité de l’entreprise, de l’organisation ou de la personne, tels qu’un nom de domaine ou une adresse de courrier électronique, ainsi que, deuxièmement, les communications relatives aux biens, aux services ou à l’image de l’entreprise, de l’organisation ou de la personne élaborées de manière indépendante, en particulier lorsqu’elles sont fournies sans contrepartie financière.

33      Dès lors, ainsi que le soutient le gouvernement néerlandais, la communication commerciale comprend non seulement la publicité classique, mais également d’autres formes de publicité et de communications d’informations destinées à engager de nouveaux clients.

34      S’agissant de la notion de démarchage, il convient de relever que ni la directive 2006/123 ni aucun autre acte du droit de l’Union ne comporte de définition de cette notion. De surcroît, sa portée est susceptible de varier dans les ordres juridiques des différents États membres.

35      Selon l’article 12-I du code de déontologie en cause au principal, doit être considéré comme un acte de démarchage une prise de contact d’un expert-comptable avec un tiers qui ne l’a pas sollicitée, en vue de proposer ses services à ce dernier.

36      À cet égard, il convient de relever que, bien que la portée exacte de la notion de «démarchage», au sens de la réglementation nationale, ne résulte pas de la décision de renvoi, le Conseil d’État ainsi que tous les intéressés ayant soumis des observations à la Cour considèrent que le démarchage relève de la notion de «communication commerciale», figurant à l’article 4, point 12, de la directive 2006/123.

37      Selon la Société fiduciaire, le démarchage se définit comme une offre personnalisée de biens ou de services faite à une personne morale ou physique déterminée qui ne l’a pas sollicitée. Le gouvernement français souscrit à cette définition, tout en proposant de distinguer deux éléments, à savoir, d’une part, un élément de mouvement, qui réside dans le fait de prendre contact avec un tiers qui ne l’a pas sollicité et, d’autre part, un élément de contenu qui consiste en la délivrance d’un message à caractère commercial. Selon ce gouvernement, c’est notamment le second élément qui constitue une communication commerciale au sens de la directive 2006/123.

38      Il résulte de ces éléments que le démarchage constitue une forme de communication d’informations destinée à rechercher de nouveaux clients. Or, comme le fait valoir la Commission, le démarchage implique un contact personnalisé entre le prestataire et le client potentiel, afin de présenter à ce dernier une offre de services. Il peut, de ce fait, être qualifié de marketing direct. Par conséquent, le démarchage relève de la notion de «communication commerciale», au sens des articles 4, point 12, et 24 de la directive 2006/123.

39      La question qui se pose ensuite est de savoir si l’interdiction de démarchage peut être considérée comme une interdiction totale des communications commerciales au sens de l’article 24, paragraphe 1, de cette directive.

40      Il résulte du libellé de l’article 12-I du code de déontologie en cause au principal ainsi que de la «Grille indicative des outils de communication» établie par le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables, annexée aux observations écrites du gouvernement français que, en vertu de cette disposition, les membres de la profession d’expert-comptable doivent s’abstenir de tout contact personnel non sollicité qui pourrait être considéré comme un recrutement de clientèle ou une proposition concrète de services commerciaux.

41      Il convient de constater que l’interdiction de démarchage, telle que prévue par ledit article 12-I, est conçue de manière large, en ce qu’elle prohibe toute activité de démarchage, quelle que soit sa forme, son contenu ou les moyens employés. Ainsi, cette interdiction comprend la prohibition de tous les moyens de communication permettant la mise en œuvre de cette forme de communication commerciale.

42      Il s’ensuit qu’une telle interdiction doit être considérée comme une interdiction totale des communications commerciales, prohibée par l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2006/123.

43      Cette conclusion est conforme à l’objectif de ladite directive qui consiste, ainsi qu’il a été rappelé au point 26 du présent arrêt, à éliminer les obstacles à la libre prestation des services entre les États membres. En effet, une réglementation d’un État membre interdisant aux experts-comptables de procéder à tout acte de démarchage est susceptible d’affecter davantage les professionnels provenant d’autres États membres, en les privant d’un moyen efficace de pénétration du marché national en cause. Une telle interdiction constitue, dès lors, une restriction à la libre prestation des services transfrontaliers (voir, par analogie, arrêt du 10 mai 1995, Alpine Investments, C‑384/93, Rec. p. I‑1141, points 28 et 38).

44      Le gouvernement français soutient que le démarchage porte atteinte à l’indépendance des membres de cette profession. Selon ce gouvernement, l’expert-comptable étant chargé de contrôler la comptabilité d’entreprises et d’organismes auxquels il n’est pas lié par un contrat de travail ainsi que d’attester la régularité et la sincérité des comptes de résultats de ces entreprises ou de ces organismes, il est indispensable que ce professionnel ne soit suspecté d’aucune complaisance vis-à-vis de ses clients. Or, par une prise de contact avec le dirigeant de l’entreprise ou de l’organisme concernés, l’expert-comptable risquerait de modifier la nature de la relation qu’il doit habituellement entretenir avec son client, ce qui nuirait alors à son indépendance.

45      Cependant, ainsi qu’il a été constaté au point 42 du présent arrêt, la réglementation en cause au principal interdit totalement une forme de communication commerciale et relève, de ce fait, du champ d’application de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2006/123. Elle est, dès lors, incompatible avec cette directive et ne peut être justifiée en vertu de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2006/123, même si elle est non discriminatoire, fondée sur une raison impérieuse d’intérêt général et proportionnée.

46      Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il convient de répondre à la question posée que l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui interdit totalement aux membres d’une profession réglementée, telle que la profession d’expert-comptable, d’effectuer des actes de démarchage.

 Sur les dépens

47      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

L’article 24, paragraphe 1, de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui interdit totalement aux membres d’une profession réglementée, telle que la profession d’expert-comptable, d’effectuer des actes de démarchage.

Signatures


* Langue de procédure: le français.