Language of document : ECLI:EU:C:2011:239

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME VERICA TRSTENJAK

présentées le 12 avril 2011 (1)

Affaire C‑145/10

Eva-Maria Painer

contre

Standard VerlagsGmbH

Axel Springer AG

Süddeutsche Zeitung GmbH

Spiegel-Verlag Rudolf Augstein GmbH & Co KG

Verlag M. DuMont Schauberg Expedition der Kölnischen Zeitung GmbH & Co KG

[demande de décision préjudicielle formée par le Handelsgericht Wien (Autriche)]

«Règlement (CE) nº 44/2001 – Article 6, point 1 – For de la connexité – Directives 93/98/CEE et 2006/116/CE – Article 6 – Protection de photographies – Directive 2001/29/CE – Article 2 – Reproduction – Utilisation d’une photo de portrait comme modèle pour établir un portrait-robot – Article 5, paragraphe 3, sous d) – Exceptions et limitations s’agissant de citations – Article 5, paragraphe 3, sous e) – Exceptions et limitations à des fins de sécurité publique»






Table des matières


I –   Introduction

II – La réglementation applicable

A –   Le règlement n° 44/2001

B –   La directive 93/98/CEE et la directive 2006/116

C –   La directive 2001/29

III – Les faits

IV – La procédure devant les juridictions nationales

V –   Les questions préjudicielles

VI – La procédure devant la Cour

VII – Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle et des différentes questions

VIII – Sur la première question préjudicielle

A –   Les principaux arguments des parties à la procédure

B –   Sur la recevabilité

C –   Appréciation juridique

1.     Sur l’économie générale du règlement

2.     Liens, dans l’économie du règlement n° 44/2001, avec des normes poursuivant des objectifs similaires

a)     Orientation à l’article 34, point 3, du règlement n° 44/2001?

b)     Orientation à l’article 28 du règlement n° 44/2001

3.     La jurisprudence de la Cour

4.     Objections justifiées

5.     Sur le rapport étroit au sens de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001

a)     Rapport entre la demande d’ancrage et la ou les autres demandes

b)     Unicité de la situation de fait

c)     Rapport juridique suffisamment étroit

d)     Pas d’examen ni de pronostic séparés concernant la réalité du risque de contradictions dans le cas concret

D –   Conclusion

IX – Sur les autres questions préjudicielles

A –   Sur la quatrième question préjudicielle

1.     Principaux arguments des parties à la procédure

2.     Sur la recevabilité

3.     Appréciation juridique

a)     Sur l’aptitude des photos de portrait à bénéficier de la protection

b)     Sur la notion de reproduction

c)     Conclusion

B –   Sur la troisième question préjudicielle

1.     Principaux arguments des parties à la procédure

2.     Appréciation juridique

a)     Sur la technique de réglementation sous-tendant l’article 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29

b)     Sur la première branche de la troisième question préjudicielle

c)     Sur la deuxième branche de la troisième question préjudicielle

d)     Sur la troisième branche de la troisième question préjudicielle

C –   Sur la deuxième question préjudicielle

1.     Arguments des parties à la procédure

2.     Appréciation juridique

a)     Sur la première branche de la deuxième question préjudicielle

b)     Sur la seconde branche de la deuxième question préjudicielle

i)     Sur l’impossibilité d’indiquer le nom de l’auteur

ii)   Sur les conséquences juridiques d’une absence d’impossibilité

iii) Conclusion

c)     Observations complémentaires

i)     Citation faite, par exemple, à des fins de critique ou de revue

ii)   Citation intégrale

iii) Autres conditions

X –   Conclusion

I –    Introduction

1.        Par la présente demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne, Autriche) nous pose d’abord une question d’interprétation au sujet de la compétence en raison de lien de connexité prévue à l’article 6, point 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (2). La Cour se voit ainsi offrir une occasion de développer sa jurisprudence en ce domaine (3).

2.        Les autres questions posées à titre préjudiciel concernent notamment la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (4). Il s’agit, tout d’abord, de savoir si un portrait-robot, qui a été établi sur la base d’une photographie, peut être publié dans des journaux, dans des magazines et sur l’Internet sans le consentement de l’auteur de cette photographie. Les autres questions concernent les possibilités de restriction en vertu de l’article 5, paragraphe 3, sous d) et e), de ladite directive, qui permet aux États membres de prévoir des exceptions ou des limitations au droit de reproduction s’agissant de citations ou à des fins de sécurité publique.

3.        Sur le plan des faits, la procédure au principal est liée à l’enlèvement d’une citoyenne autrichienne, Natascha K., aux recherches entreprises par les autorités de police pour la retrouver, ainsi qu’à la couverture de l’affaire dans les médias après qu’elle avait échappé à son ravisseur.

II – La réglementation applicable (5)

A –    Le règlement n° 44/2001

4.        Conformément à son article 68, paragraphe 1, le règlement n° 44/2001 remplace entre les États membres, à l’exception du Royaume de Danemark, la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la «convention de Bruxelles»).

5.        Les onzième, douzième et quinzième considérants du règlement déclarent:

«(11) Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. […]

(12)      Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.

[…]

(15)      Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. […]»

6.        Les règles en matière de compétence sont édictées au chapitre II du règlement, qui regroupe les articles 2 à 31.

7.        L’article 2, paragraphe 1, du règlement énonce:

«Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»

8.        L’article 3, paragraphe 1, du règlement prévoit:

«Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.»

9.        L’article 6, point 1, du règlement, lequel figure dans la section 2 («Compétences spéciales») dudit chapitre, dispose:

«[Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre] peut aussi être attraite:

1)      s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément».

10.      L’article 28 du règlement, figurant dans la section 9 («Litispendance et connexité»), précise:

«1.      Lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer.

2.      Lorsque ces demandes sont pendantes au premier degré, la juridiction saisie en second lieu peut également se dessaisir, à la demande de l’une des parties, à condition que le tribunal premier saisi soit compétent pour connaître des demandes en question et que sa loi permette leur jonction.

3.      Sont connexes, au sens du présent article, les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.»

11.      L’article 34, point 3, du règlement, lequel fait partie du chapitre III («Reconnaissance et exécution») de celui-ci, prévoit:

«Une décision n’est pas reconnue si:

[…]

3)      elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l’État membre requis».

B –    La directive 93/98/CEE et la directive 2006/116

12.      Le dix-septième considérant de la directive 93/98/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative à l’harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins (6), est rédigé comme suit:

«[…] la protection des photographies dans les États membres fait l’objet de différents régimes; […] pour obtenir une harmonisation suffisante de la durée de protection des œuvres photographiques, et notamment de celles qui, en raison de leur caractère artistique ou professionnel, ont une importance dans le cadre du marché intérieur, il est nécessaire de définir le niveau d’originalité requis dans la présente directive; […] une œuvre photographique au sens de la convention de Berne doit être considérée comme originale si elle est une création intellectuelle de l’auteur qui reflète sa personnalité, sans que d’autres critères, tels que la valeur ou la destination, ne soient pris en compte; […] la protection des autres photographies doit pouvoir être régie par la législation nationale».

13.      L’article 6 de la directive 93/98 dispose:

«Les photographies qui sont originales en ce sens qu’elles sont une création intellectuelle propre à leur auteur sont protégées conformément à l’article 1er. Aucun autre critère ne s’applique pour déterminer si elles peuvent bénéficier de la protection. Les États membres peuvent prévoir la protection d’autres photographies.»

14.      La directive 2006/116/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins (7), a codifié les dispositions de la directive 93/98.

15.      Son seizième considérant est libellé comme suit:

«La protection des photographies dans les États membres fait l’objet de différents régimes. Une œuvre photographique au sens de la convention de Berne doit être considérée comme originale si elle est une création intellectuelle de l’auteur qui reflète sa personnalité, sans que d’autres critères, tels que la valeur ou la destination, ne soient pris en compte. La protection des autres photographies doit pouvoir être régie par la législation nationale.»

16.      L’article 6 de ladite directive énonce:

«Les photographies qui sont originales en ce sens qu’elles sont une création intellectuelle propre à leur auteur sont protégées conformément à l’article 1er. Aucun autre critère ne s’applique pour déterminer si elles peuvent bénéficier de la protection. Les États membres peuvent prévoir la protection d’autres photographies.»

C –    La directive 2001/29

17.      Les neuvième, vingt et unième, trente-deuxième et quarante-quatrième considérants de la directive 2001/29 sont rédigés comme suit:

«(9)      Toute harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l’intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.

[…]

(21)      La présente directive doit définir le champ des actes couverts par le droit de reproduction en ce qui concerne les différents bénéficiaires, et ce conformément à l’acquis communautaire. Il convient de donner à ces actes une définition large pour assurer la sécurité juridique au sein du marché intérieur.

[…]

(32)      La présente directive contient une liste exhaustive des exceptions et limitations au droit de reproduction et au droit de communication au public. Certaines exceptions ou limitations ne s’appliquent qu’au droit de reproduction, s’il y a lieu. La liste tient dûment compte de la diversité des traditions juridiques des États membres tout en visant à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. Les États membres appliquent ces exceptions et limitations de manière cohérente et la question sera examinée lors d’un futur réexamen des dispositions de mise en œuvre.

[…]

(44)      Lorsque les exceptions et les limitations prévues par la présente directive sont appliquées, ce doit être dans le respect des obligations internationales. Ces exceptions et limitations ne sauraient être appliquées d’une manière qui cause un préjudice aux intérêts légitimes du titulaire de droits ou qui porte atteinte à l’exploitation normale de son œuvre ou autre objet. Lorsque les États membres prévoient de telles exceptions ou limitations, il y a lieu, en particulier, de tenir dûment compte de l’incidence économique accrue que celles-ci sont susceptibles d’avoir dans le cadre du nouvel environnement électronique. En conséquence, il pourrait être nécessaire de restreindre davantage encore la portée de certaines exceptions ou limitations en ce qui concerne certaines utilisations nouvelles d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés.»

18.      L’article 1er, paragraphe 1, de la directive énonce:

«La présente directive porte sur la protection juridique du droit d’auteur et des droits voisins dans le cadre du marché intérieur, avec une importance particulière accordée à la société de l’information.»

19.      L’article 2, sous a), de la directive, relatif au droit de reproduction, dispose:

«Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie:

a)      pour les auteurs, de leurs œuvres».

20.      L’article 3, paragraphe 1, de la directive réglemente le droit de communication d’œuvres au public et le droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés. Il énonce:

«Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.»

21.      L’article 5 de la directive («Exceptions et limitations») contient notamment les dispositions suivantes:

«3.      Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants:

[…]

d)      lorsqu’il s’agit de citations faites, par exemple, à des fins de critique ou de revue, pour autant qu’elles concernent une œuvre ou un autre objet protégé ayant déjà été licitement mis à la disposition du public, que, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée et qu’elles soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi;

e)      lorsqu’il s’agit d’une utilisation à des fins de sécurité publique ou pour assurer le bon déroulement de procédures administratives, parlementaires ou judiciaires, ou pour assurer une couverture adéquate desdites procédures;

[…]

5.      Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.»

III – Les faits

22.      La partie demanderesse au principal travaille comme photographe indépendante. Elle photographie, entre autres, des enfants dans des écoles maternelles et des garderies. Dans le cadre de son activité professionnelle, elle a réalisé des photos de portrait de la citoyenne autrichienne Natascha K. (ci-après les «photographies en cause») avant que celle-ci ne soit enlevée, en 1998. C’est la partie demanderesse au principal qui avait conçu l’arrière-plan, décidé de la pose et de l’expression du visage, ainsi que réalisé et développé les photographies.

23.      La partie demanderesse au principal identifie depuis plus de 17 ans les photographies qu’elle réalise par son nom et par son nom commercial. L’identification s’est effectuée à travers les années de façons diverses, par des autocollants et/ou par des gaufrures sur les pochettes et passe-partout. Ces indications ont toujours précisé le nom et l’adresse professionnelle de la partie demanderesse au principal.

24.      La partie demanderesse au principal a vendu les tirages qu’elle avait réalisés sans conférer à des tiers des droits sur ces photographies et sans consentir à leur publication. Le prix qu’elle avait exigé pour les photographies correspondait donc uniquement au prix des tirages.

25.      Après que Natascha K., alors âgée de 10 ans, avait été enlevée en 1998, les autorités de sécurité compétentes ont lancé un avis de recherche, dans le cadre duquel les photographies en cause ont été utilisées.

26.      Les cinq parties défenderesses au principal sont des éditeurs de presse. Seule la première partie défenderesse au principal a son siège à Vienne, Autriche. Les deuxième à cinquième parties défenderesses au principal ont leur siège en Allemagne.

27.      Les première et troisième parties défenderesses au principal publient des quotidiens qui sont (également) distribués en Autriche (Der Standard et Süddeutsche Zeitung), la quatrième partie défenderesse au principal un hebdomadaire qui paraît également en Autriche (Der Spiegel). La cinquième partie défenderesse au principal édite un quotidien qui est uniquement publié en Allemagne (Express). La deuxième partie défenderesse au principal publie un quotidien (Bild) dont l’édition nationale n’est pas distribuée en Autriche. L’édition munichoise de ce journal, en revanche, paraît également en Autriche. La deuxième partie défenderesse au principal publie par ailleurs un autre quotidien (Die Welt) qui est, lui aussi, distribué en Autriche et exploite également des sites d’information sur l’Internet.

28.      En 2006, Natascha K. réussit à échapper à son ravisseur. La procédure au principal est liée à la couverture dont cette affaire avait fait l’objet de la part des parties défenderesses au principal entre cette date et la première apparition publique de Natascha K. à la télévision, le 5 septembre 2006. En effet, durant cette période, personne ne disposait de photographies récentes de Natascha K. Dans le cadre de leurs reportages, les parties défenderesses au principal ont dès lors publié les photographies en cause dans les journaux et magazines ainsi que sur les sites Internet précités, toutefois sans indication de la personne qui les avait réalisées ou avec une indication incorrecte, c’est-à-dire que ce n’était pas le nom de la partie demanderesse au principal, mais un autre nom, qui était indiqué en tant qu’auteur. La couverture médiatique dans les quotidiens, dans l’hebdomadaire et sur les sites Internet différait quant aux photographies sélectionnées et au texte qui les accompagnait. Les parties défenderesses au principal déclarent avoir reçu les photographies en cause d’une agence de presse sans que le nom de la partie demanderesse au principal n’ait été mentionné ou avec indication d’un nom autre que celui de la partie demanderesse au principal en tant qu’auteur.

29.      Par ailleurs, plusieurs articles comprenaient un portrait-robot montrant le visage que Natascha K. était supposée alors avoir (ci-après le «portrait-robot en cause»). Celui-ci avait été réalisé par un graphiste à l’aide d’un logiciel sur la base d’une des photographies en cause.

IV – La procédure devant les juridictions nationales

30.      La partie demanderesse au principal a assigné les parties défenderesses au principal devant le Handelsgericht Wien en Autriche. Son action vise en substance (8) à faire cesser la reproduction, sans son consentement et sans indication de son nom en tant qu’auteur, des photographies et du portrait-robot en cause ainsi qu’à se voir verser une rémunération et des dommages et intérêts.

31.      En même temps, la partie demanderesse au principal a introduit une procédure de référé, qui a déjà été tranchée en dernière instance par la juridiction suprême autrichienne.

V –    Les questions préjudicielles

32.      Par sa demande de décision préjudicielle du 8 mars 2010, la juridiction de renvoi soumet à la Cour les questions suivantes:

«1)      Convient-il d’interpréter l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 en ce sens que le fait que les demandes introduites à l’encontre de plusieurs défendeurs en raison d’atteintes au droit d’auteur matériellement identiques reposent sur des bases juridiques qui diffèrent selon les pays, mais dont le contenu est en substance identique – comme c’est le cas dans tous les États européens en ce qui concerne le droit d’obtenir la cessation du comportement en cause indépendamment de toute faute du défendeur, le droit à une rémunération appropriée au titre des actes portant atteinte au droit d’auteur et le droit à dommages et intérêts au titre de l’utilisation illégale de l’œuvre – ne fait pas obstacle à l’application dudit article et dès lors à ce que ces demandes soient instruites et jugées en même temps?

2 a)      Eu égard à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29, convient-il d’interpréter l’article 5, paragraphe 3, sous d), de cette même directive en ce sens qu’il ne fait pas obstacle à son application que l’article de presse citant une œuvre ou un autre objet protégé ne soit pas une œuvre littéraire protégée par un droit d’auteur?

2 b)      Eu égard à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29, convient-il d’interpréter l’article 5, paragraphe 3, sous d), de cette même directive en ce sens qu’il ne fait pas obstacle à son application que le nom de l’auteur ou de l’artiste interprète de l’œuvre ou autre objet protégé cité ne soit pas indiqué?

3 a)      Eu égard à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29, convient-il d’interpréter l’article 5, paragraphe 3, sous e), de cette même directive en ce sens que l’application dudit article dans l’intérêt de la justice pénale dans le cadre de la sécurité publique requiert un appel concret, actuel et exprès des autorités de sécurité à publier la photo, c’est-à-dire que la photo doit être publiée à des fins d’enquête à l’initiative des autorités, et que l’atteinte au droit d’auteur est constituée si tel n’est pas le cas?

3 b)      En cas de réponse négative à la question sous a) ci-dessus: des médias peuvent-ils se prévaloir de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29 également dans le cas où ils décident de leur propre initiative, sans avis de recherche des autorités, si des photos sont publiées ‘dans l’intérêt de la sécurité publique’?

3 c)      En cas de réponse positive à la question sous b) ci-dessus: dans ce cas, suffit-il que des médias affirment a posteriori que des photos aient été publiées à des fins d’enquête ou est-il en tout état de cause nécessaire qu’un appel concret ait été adressé aux lecteurs, leur demandant de contribuer à élucider une infraction pénale, et que cet appel ait été directement associé à la publication de la photographie?

4)      Eu égard, en particulier, à l’article 1er du premier protocole additionnel, du 20 mars 1952, à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi qu’à l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, convient-il d’interpréter les dispositions combinées des articles 1er, paragraphe 1, et 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29 et de l’article 12 de la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques en ce sens que le droit d’auteur confère à des œuvres photographiques et/ou des photographies, en particulier des photos de portrait, une protection ‘moindre’, voire nulle, du fait que, en ce qui concerne la ‘photo réaliste’, celles-ci offrent des possibilités de création artistique trop réduites?»

VI – La procédure devant la Cour

33.      Le renvoi préjudiciel a été reçu par le greffe de la Cour le 22 mars 2010.

34.      Des observations écrites ont été présentées par la partie demanderesse et les parties défenderesses au principal, par les gouvernements espagnol, italien et autrichien, ainsi que par la Commission européenne.

35.      Aucune des parties n’ayant demandé l’ouverture de la procédure orale, les conclusions dans la présente affaire ont pu être rédigées après l’assemblée générale de la Cour du 14 décembre 2010.

VII – Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle et des différentes questions

36.      Les parties défenderesses au principal doutent de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle dans son ensemble. La juridiction de renvoi n’a, d’après elles, pas constaté à suffisance les faits, ni motivé à suffisance les doutes qu’elle nourrit quant à la bonne interprétation du droit de l’Union. Selon les parties défenderesses au principal, elle n’a pas davantage établi un lien suffisant entre les dispositions du droit national applicables au litige et celles du droit de l’Union, en particulier, n’a-t-elle pas cité les normes pertinentes du droit national.

37.      Ces critiques ne sont pas opérantes.

38.      Ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle, la présente affaire présente la particularité d’avoir été précédée d’une procédure de référé. Dans le cadre de cette dernière, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a adopté des positions dont la compatibilité avec les exigences du droit de l’Union est à présent contestée entre les parties au principal. Aux fins d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, il suffit que la juridiction de renvoi décrive la position de l’Oberster Gerichtshof et précise que, du fait de la différence des opinions des parties à la procédure au principal, elle doute de la compatibilité de cette position avec les exigences du droit de l’Union. Par ailleurs, lors de son exposé de la position de l’Oberster Gerichtshof, la juridiction de renvoi décrit les règles de droit national applicables avec une précision suffisante aux fins de la présente procédure.

VIII – Sur la première question préjudicielle

39.      La première question préjudicielle concerne le for de la connexité en application de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001. La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si, conformément à cette disposition, elle est également compétente pour statuer sur les demandes introduites à l’encontre des deuxième et cinquième parties défenderesses au principal, dans la mesure où elles portent sur les articles parus dans les journaux qui ne sont publiés qu’en Allemagne (c’est-à-dire le quotidien Express ainsi que l’édition nationale du journal Bild) (9).

40.      Les circonstances de fait et de droit de la présente affaire se caractérisent, entre autres, par le fait que la juridiction de renvoi a, en vertu de l’article 2 du règlement n° 44/2001, compétence pour statuer sur la demande dirigée contre la première partie défenderesse au principal, dont le siège se trouve à Vienne et qui édite le quotidien autrichien Der Standard. Selon les indications de la juridiction de renvoi, le droit autrichien est applicable à cette demande, qui est fondée sur une violation des droits d’auteur de la partie demanderesse au principal. Les demandes formées contre les cinquième et deuxième parties défenderesses au principal concernant les articles dans le quotidien Express et dans l’édition nationale du journal Bild sont fondées sur des atteintes comparables aux droits d’auteur de la partie demanderesse au principal. Si la juridiction de renvoi devait être compétente pour connaître de ces demandes, ce serait, selon ses indications, le droit allemand qui serait applicable en ce qui concerne la publication dans ces quotidiens qui ne paraissent pas en Autriche. La juridiction de renvoi précise par ailleurs que les règles du droit allemand et du droit autrichien sont, certes, différentes, mais prévoient des conditions qui sont pour l’essentiel comparables.

A –    Les principaux arguments des parties à la procédure

41.      Selon la partie demanderesse au principal, la règle de compétence du fait d’un lien de connexité joue en l’occurrence. Il y a intérêt à instruire et à juger toutes les demandes en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément, alors que les faits sont les mêmes et la législation applicable pratiquement identique. À quelques différences mineures près, les demandes formulées à l’égard de toutes les parties défenderesses au principal sont identiques. Les faits sont comparables, étant donné que, dans tous les cas, les photographies en cause ont été exploitées sans le consentement de la partie demanderesse au principal. Le fait que des législations nationales différentes soient applicables aux différentes demandes ne fait pas obstacle à l’application de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 lorsqu’elles fournissent à ces demandes des bases juridiques en substance identiques. En outre, des considérations d’économie de procédure plaident également en faveur de cette interprétation. À l’ère d’Internet, il faut de plus permettre à un auteur de poursuivre utilement des atteintes à ses droits intervenues dans différents États membres.

42.      Les parties défenderesses au principal estiment que la question est irrecevable, au motif que seules les juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne sont habilitées à demander à la Cour de statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation du règlement n° 44/2001. Elles soutiennent par ailleurs que l’article 6, point 1, du règlement est en l’occurrence sans application, le rapport étroit exigé selon cette disposition faisant défaut en l’espèce. Premièrement, la publication des photographies en cause dans les différents journaux est à apprécier séparément pour chaque cas. Deuxièmement, la situation juridique peut être différente dans chaque État membre, ce qui rend impossible l’adoption de décisions inconciliables. Dans l’arrêt Roche Nederland e.a. (10), la Cour a estimé, dans une situation comparable, qu’il n’y avait pas de rapport suffisamment étroit. Dans ladite affaire, les différents défendeurs appartenaient à un même groupe d’entreprises et avaient agi de manière similaire conformément à une politique commerciale commune. A fortiori ne saurait-il y avoir de rapport étroit dans la présente affaire.

43.      Le gouvernement autrichien et la Commission exposent que le seul fait que la loi nationale applicable à la demande dirigée contre la première partie défenderesse, dont le siège se trouve en Autriche, et celle applicable aux autres demandes ne soient pas les mêmes ne suffit pas à exclure l’application de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001.

44.      La Commission observe, tout d’abord, que la notion de «solutions inconciliables» à l’article 6, point 1, du règlement ne peut recevoir une interprétation comparable à son équivalent à l’article 34, point 3, de celui-ci. L’article 6, point 1, du règlement est, au contraire, étroitement lié à l’article 28, paragraphe 3, de celui-ci, puisque ces deux dispositions visent à prévenir des solutions inconciliables. L’objectif qu’elles poursuivent n’est cependant pas tout à fait identique.

45.      Le gouvernement autrichien expose par ailleurs qu’il est vrai que l’article 6, point 1, du règlement ne vise pas à éliminer le risque de décisions contradictoires, susceptible de résulter de la diversité du contenu des lois nationales applicables et de ce que ces différences entre lois nationales peuvent aboutir à des solutions différentes. Ledit article vise cependant à éviter des contradictions entre deux décisions qui seraient dues à des divergences d’appréciation des faits. De ce fait, des demandes régies par des lois nationales différentes relèvent également de l’article 6, point 1, du règlement, dès lors que les conditions exigées par les deux législations nationales sont en substance comparables.

46.      La Commission estime également qu’il n’est pas une condition d’application de l’article 6, point 1, du règlement que les différentes demandes reposent sur la même base juridique. Dans le cas contraire, cette disposition se verrait amputée d’une partie importante de son effet utile. Le point de savoir s’il y a un risque de solutions inconciliables est sans incidence sur l’application de ladite disposition. Il convient, au contraire, d’apprécier tous les éléments du cas concret, en ayant particulièrement égard aux objectifs de renforcement de la protection juridique et de prévention des procédures concurrentes, ainsi qu’aux intérêts du demandeur et des défendeurs. Il y a lieu, en outre, d’assurer aux titulaires de droits de propriété intellectuelle des possibilités adéquates de faire respecter ces droits. Dans le cas présent, l’intérêt de la partie requérante à une protection juridictionnelle effective contre les atteintes à son droit d’auteur prévaut en ce qui concerne la deuxième partie défenderesse au principal et, par voie de conséquence, l’article 6, point 1, du règlement est d’application. Concernant la cinquième partie défenderesse au principal, qui distribuait son journal uniquement en Allemagne, une telle demande n’était en revanche pas suffisamment prévisible et l’article 6, point 1, du règlement ne saurait donc s’appliquer.

B –    Sur la recevabilité

47.      Dans la mesure où les parties défenderesses au principal invoquent l’irrecevabilité de la première question, au motif que seules les juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne sont habilitées à demander à la Cour de statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation du règlement n° 44/2001, il convient de rejeter cet argument.

48.      Cette restriction, prévue à l’article 68, paragraphe 1, CE, ne figure en effet plus dans le traité FUE, lequel est entré en vigueur le 1er décembre 2009 et est dès lors applicable, ratione temporis, à la demande de décision préjudicielle parvenue au greffe de la Cour le 22 mars 2010.

C –    Appréciation juridique

49.      Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite savoir si la règle de compétence du for de la connexité édictée à l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 peut jouer à l’égard des deuxième et cinquième parties défenderesses au principal en ce qui concerne la publication des photographies et du portrait-robot en cause dans les quotidiens distribués exclusivement en Allemagne, c’est-à-dire dans l’édition nationale du journal Bild et dans le quotidien Express.

50.      Conformément à l’article 6, point 1, du règlement, un demandeur qui attrait une personne devant les juridictions du domicile de celle-ci (ci-après la «demande d’ancrage» (11)) peut également attraire une autre personne devant ce tribunal. La condition en est toutefois que la demande d’ancrage et l’autre demande soient liées par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

51.      En l’occurrence, il y a bien une demande d’ancrage en la demande introduite contre la première partie défenderesse au principal, dont le siège se trouve à Vienne.

52.      La juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la deuxième condition énoncée par l’article 6, point 1, du règlement, à savoir quant à l’existence d’un rapport étroit entre la demande d’ancrage, d’une part, et celles formées à l’encontre des deuxième et cinquième parties défenderesses, d’autre part. Cette deuxième condition a son origine dans la jurisprudence de la Cour relative à la disposition de la convention de Bruxelles qui a précédé l’article 6, point 1, du règlement. Le texte de l’article 6, point 1, de la convention de Bruxelles n’édictait pas de condition en ce sens. La Cour a cependant considéré qu’il était nécessaire de vérifier cette condition supplémentaire afin de garantir l’effet utile de l’article 2 de la convention de Bruxelles, qui a consacré le principe de la compétence des juridictions de l’État du domicile du défendeur (12). Dans le cadre du règlement n° 44/2001, le législateur de l’Union a intégré cette condition développée par la Cour au texte de la disposition. Il y a donc une continuité entre l’article 6, point 1, du règlement et l’article 6, point 1, de la convention de Bruxelles.

53.      La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si un rapport aussi étroit que celui exigé à l’article 6, point 1, du règlement peut exister dans un cas où:

–        dans le cadre des trois actions, les atteintes aux droits de l’auteur invoquées sont, sur le fond, comparables, tout comme les prétentions avancées,

–        le droit autrichien est applicable à la demande d’ancrage et le droit allemand en ce qui concerne les demandes formées contre les deuxième et cinquième parties défenderesses en ce qu’elles concernent les journaux distribués en Allemagne,

–        les conditions auxquelles les droits autrichien et allemand soumettent les prétentions avancées sont en substance identiques.

54.      Je m’approcherai en plusieurs étapes de la réponse à cette question. Tout d’abord, j’examinerai la place du for de la connexité au sein du système de compétences mis en place par le règlement n° 44/2001 (1). Ensuite, j’étudierai le rapport qu’entretient l’article 6, point 1, du règlement, qui vise notamment à éviter des décisions inconciliables, avec d’autres dispositions poursuivant des objectifs similaires (2). J’exposerai ensuite l’interprétation faite par la Cour de la condition d’un rapport étroit (3). Comme je considère que les objections que la jurisprudence de la Cour a suscitées sont en partie fondées (4), je lui proposerai d’affiner sa position (5).

1.      Sur l’économie générale du règlement

55.      Selon l’article 2 du règlement, ce sont en principe les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié qui sont compétentes pour connaître d’une action. Ledit règlement prévoit cependant une série exhaustive de règles de compétence spéciale qui dérogent à ce principe. Selon une jurisprudence constante, ces règles de compétence spéciale, dont l’article 6, point 1, du règlement fait partie, sont d’interprétation stricte (13).

56.      Lors de l’interprétation de l’article 6, point 1, du règlement, il convient d’avoir également égard au onzième considérant de celui-ci. Selon ce considérant, les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité. Elles doivent s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Il ne doit être dérogé à cette compétence que dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement.

2.      Liens, dans l’économie du règlement n° 44/2001, avec des normes poursuivant des objectifs similaires

57.      L’article 6, point 1, du règlement a notamment pour objet d’éviter que des demandes qui entretiennent un rapport étroit ne fassent l’objet de décisions inconciliables (14). Il semble dès lors logique de s’orienter pour l’interprétation de cette disposition à d’autres dispositions du règlement, dont les objectifs sont similaires. L’article 34, point 3, du règlement (a) tout comme son article 28 (b) sont relatifs aux contradictions entre deux décisions judiciaires.

a)      Orientation à l’article 34, point 3, du règlement n° 44/2001?

58.      La question se pose, tout d’abord, de savoir si l’article 6, point 1, du règlement est à interpréter en s’orientant à l’article 34, point 3, de celui-ci et à la jurisprudence y afférente. Cette dernière disposition prévoit qu’une décision rendue dans un État membre entre deux parties n’est pas reconnue si elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l’autre État membre, où sa reconnaissance est invoquée.

59.      La Cour a déclaré, au sujet de la disposition qui a précédé l’article 34, point 3, du règlement n° 44/2001, à savoir l’article 27, paragraphe 3, de la convention de Bruxelles, qu’une inconciliabilité de deux décisions au sens de cette disposition ne peut être considérée exister que lorsque les deux décisions entraînent des conséquences juridiques qui s’excluent mutuellement (15). Tel est, par exemple, le cas lorsque la première décision rendue entre deux personnes ordonne le versement d’aliments au titre des obligations résultant du mariage, alors que la seconde prononce leur divorce (16).

60.      Certains proposent de s’orienter, pour l’interprétation de l’article 6, point 1, du règlement à l’article 34, point 3, de celui-ci et de transposer la jurisprudence précitée à l’article 6, point 1 (17). Cette démarche se heurte cependant aux objections ci-après.

61.      En premier lieu, les articles 34, point 3, et 6, point 1, du règlement concernent des situations différentes et poursuivent dès lors des objectifs différents.

62.      L’article 34, point 3, du règlement vient à s’appliquer au stade de la reconnaissance et de l’exécution de décisions rendues par les juridictions des autres États membres. Cette disposition vise à résoudre un conflit entre deux décisions judiciaires rendues entre les mêmes parties qui, dans le système mis en place par le règlement, ne devrait en principe même pas survenir (18). La non‑reconnaissance en application de l’article 34, point 3, du règlement constitue donc un cas exceptionnel, dans lequel une dérogation au principe de la reconnaissance presque automatique des décisions rendues par les juridictions des autres États membres et donc à la «pierre angulaire» du règlement est exceptionnellement justifiée. Pour cette raison, cette disposition est à interpréter strictement et à limiter aux décisions entraînant des conséquences juridiques qui s’excluent mutuellement (19).

63.      L’article 6, point 1, du règlement, en revanche, réglemente un autre type de situations. Il vise d’abord à prévenir d’emblée des décisions judiciaires inconciliables, avant même qu’elles ne soient prononcées. Ensuite ne s’agit-il pas de contradictions entre des décisions rendues entre les mêmes parties, mais de contradictions susceptibles d’exister entre deux décisions dont l’une sera rendue entre le demandeur et le défendeur à la demande d’ancrage et l’autre entre le demandeur et un autre défendeur. L’article 6, point 1, du règlement permet au demandeur, dans des cas où il existe un rapport étroit entre les demandes, de soumettre les deux actions à un même tribunal afin d’éviter les contradictions entre les décisions susceptibles de résulter de ce que deux juridictions différentes statuent sur les demandes (20).

64.      En raison de la différence d’objet de ces deux dispositions, mise en évidence ci-dessus, la transposition de la jurisprudence relative à la disposition ayant précédé l’article 34, point 3, du règlement à l’article 6, point 1, de celui-ci ne me semble pas s’imposer.

65.      Plaide en deuxième lieu contre une transposition de la jurisprudence relative à la disposition ayant précédé l’article 34, point 3, du règlement le fait qu’elle restreindrait considérablement l’effet utile de l’article 6, point 1, du règlement. Le cas que les conséquences juridiques de deux décisions s’excluent mutuellement ne se présentera en règle générale que s’agissant de décisions rendues entre les mêmes parties. Comme, toutefois, l’article 6, point 1, du règlement ne concerne pas cette situation, mais un cas où les deux décisions sont rendues, d’une part, entre le demandeur et le défendeur à la demande d’ancrage et, d’autre part, entre le demandeur et un autre défendeur, il n’y aura en règle générale pas de conséquences juridiques s’excluant mutuellement au sens de l’article 34, point 3, du règlement. En effet, même si les décisions devaient être contradictoires, il sera en règle générale possible de les faire exécuter (21).

66.      En conclusion, une interprétation de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 s’orientant à l’article 34, point 3, de celui-ci est par conséquent à rejeter, tout comme une transposition de la jurisprudence relative à la disposition ayant précédé l’article 34, point 3, du règlement à l’article 6, point 1, de ce dernier (22).

b)      Orientation à l’article 28 du règlement n° 44/2001

67.      En revanche, lors de l’interprétation de l’article 6, point 1, du règlement, il convient de tenir compte du lien existant entre cette disposition et l’article 28 du règlement. Conformément à l’article 28, paragraphe 1, du règlement, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d’États membres différents. Si les conditions énoncées au paragraphe 2 de cet article sont réunies, la juridiction saisie en second lieu peut même se dessaisir. Les conditions pour qu’il y ait un rapport de connexité qui puisse justifier un sursis à statuer en application du paragraphe 1 de l’article 28 du règlement, et même une déclaration d’incompétence si les conditions exigées en outre à son paragraphe 2 sont réunies, sont édictées au paragraphe 3 dudit article. Elles sont définies dans les mêmes termes que la deuxième condition de l’article 6, point 1, du règlement. Comme il a été exposé ci-dessus (23), cela est dû au fait que la formulation de l’article 6, point 1, du règlement a son origine dans la jurisprudence de la Cour relative à l’article 6, point 1, de la convention de Bruxelles et que la Cour s’était inspirée de la disposition ayant précédé l’article 28, paragraphe 3, du règlement, à savoir l’article 22, troisième alinéa, de la convention de Bruxelles.

68.      Déjà pour cette raison, il semble logique de tenir compte, lors de l’interprétation de l’article 6, point 1, du règlement, du lien qu’il entretient, dans l’économie du règlement, avec l’article 28 de celui-ci et, dès lors, également de la jurisprudence relative à cette disposition ainsi qu’à celle qui l’a précédée. Selon la jurisprudence de la Cour, il convient d’interpréter la notion de connexité au sens de l’article 22, troisième alinéa, de la convention de Bruxelles (désormais, de l’article 28, paragraphe 3, du règlement) en ce sens que, pour qu’il y ait connexité entre deux demandes, il suffit que leur instruction et leur jugement séparés comportent le risque d’une contrariété de décisions, sans qu’il soit nécessaire qu’ils comportent le risque de conduire à des conséquences juridiques s’excluant mutuellement (24). Cette jurisprudence me semble pouvoir être transposée à l’article 6, point 1, du règlement.

69.      Toutes les appréciations du législateur ne sauraient cependant être transposées, les yeux fermés, de l’article 28 du règlement à l’article 6, point 1, de celui-ci. En effet, même si le libellé des deux dispositions est similaire et qu’elles poursuivent des objectifs comparables, il existe cependant des différences entre elles dont il faut tenir compte.

70.      L’article 28, paragraphe 1, du règlement permet à la juridiction saisie en second lieu de surseoir à statuer. Un sursis à statuer n’a cependant, contrairement à l’article 6, point 1, du règlement, pas pour effet de déplacer la compétence internationale. Il est vrai que, si, en outre, les conditions de l’article 28, paragraphe 2, du règlement sont réunies, le tribunal peut également se dessaisir. Il convient toutefois de partir du principe qu’une juridiction nationale prendra les décisions que l’article 28 du règlement l’autorise à prendre en tenant plus particulièrement compte des besoins d’un fonctionnement harmonieux de la justice.

71.      En revanche, la décision de faire jouer la règle de compétence du for de la connexité appartient au seul demandeur. Or, celui-ci ne s’orientera pas aux besoins d’un fonctionnement harmonieux de la justice, mais uniquement au point de savoir quel for lui conviendra mieux. Pour cette raison, l’interprétation de la notion de rapport étroit au sens de l’article 6, point 1, du règlement doit tenir dûment compte des intérêts du défendeur afin de contenir le risque d’éventuels abus. Il convient, par conséquent, d’être un peu plus exigeant en ce qui concerne la notion de rapport étroit à l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 qu’en ce qui concerne la notion de connexité selon l’article 28 de ce règlement (25).

3.      La jurisprudence de la Cour

72.      Après avoir décrit le cadre juridique dessiné par le règlement n° 44/2001, je me pencherai à présent sur l’interprétation faite par la Cour de la notion de rapport étroit au sens de l’article 6, point 1, dudit règlement. Pour les raisons exposées ci‑dessus, il faut également avoir égard à sa jurisprudence relative à l’article 6, point 1, de la convention de Bruxelles.

73.      La Cour a tout d’abord précisé que la notion de rapport étroit au sens de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 est une notion du droit de l’Union qui doit être interprétée de façon autonome et de la même manière dans tous les États membres (26).

74.      Le raisonnement de la Cour repose par ailleurs sur la prémisse que l’application de l’article 6, point 1, du règlement (ou de la convention de Bruxelles) n’est envisageable que si une divergence dans la solution du litige au sens de cette disposition est susceptible de survenir. Une divergence dans la solution du litige n’y suffit pas, encore faut-il que cette divergence s’inscrive dans le cadre d’une même situation de fait et de droit (27).

75.      Il découle, par ailleurs, de l’arrêt Roche Nederland e.a. que la Cour a considéré que des actions en contrefaçon de brevet européen mettant en cause plusieurs sociétés, établies dans différents États membres, pour des faits commis sur le territoire d’un ou de plusieurs de ces États, ne s’inscrivaient pas dans le cadre d’une même situation de fait. Elle a justifié sa position en déclarant que les défendeurs étaient différents et que les actes de contrefaçon qui leur étaient reprochés, mis en œuvre dans des États membres différents, n’étaient pas les mêmes.

76.      Dans ledit arrêt, la Cour a en outre déclaré que deux actions ne s’inscrivaient pas dans le cadre d’une même situation de droit lorsque le droit applicable différait et que ce droit n’avait pas été entièrement harmonisé, comme c’était le cas du droit des brevets. Dans ce type de cas, des solutions divergentes ne pouvaient être qualifiées d’inconciliables au sens de l’article 6, point 1, de la convention de Bruxelles (28).

77.      Par la suite, la Cour a jugé dans l’arrêt Freeport que l’identité du fondement juridique des actions introduites contre les différents défendeurs n’était pas une condition d’application de l’article 6, point 1, du règlement (29). C’était à la juridiction nationale qu’il appartenait d’apprécier l’existence d’un rapport étroit entre les différentes demandes portées devant elle, donc du risque de décisions inconciliables si les causes étaient jugées séparément. À cette fin, il lui incombait de prendre en compte tous les éléments nécessaires du dossier. Cela pouvait conduire la juridiction nationale à prendre en considération les fondements juridiques des actions introduites devant elle (30).

4.      Objections justifiées

78.      Des réserves ont été exprimées au sujet de certains éléments de cette jurisprudence (31). En ce qui concerne la condition, développée par la Cour dans l’affaire Roche Nederland e.a., selon laquelle l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 ne peut avoir vocation à s’appliquer que si les deux demandes sont fondées sur la même base juridique, ces réserves me semblent justifiées. En effet, cette condition semble reposer sur la présomption qu’il ne peut y avoir de décisions inconciliables au sens de l’article 6, point 1, du règlement lorsque des lois nationales différentes sont applicables aux demandes et que ces législations n’ont pas été pleinement harmonisées. Or, cette présomption n’est pas correcte (32). Elle ne serait exacte que si toutes les contradictions susceptibles d’affecter les décisions qui sont rendues sur deux demandes pendantes devant deux juridictions différentes et soumises à deux lois différentes étaient dues aux différences existant entre les législations applicables. Or, ce n’est pas le cas.

79.      En effet, lorsque deux décisions sont rendues par deux juridictions différentes, il est, premièrement, toujours concevable que les contradictions entre ces décisions s’expliquent par une différence d’appréciation des faits par ces juridictions. Lorsque, comme en l’occurrence, deux actions pour atteinte à un droit d’auteur sont introduites, dont l’une est soumise au droit autrichien et l’autre au droit allemand, il peut y avoir des différences dans les solutions qui sont dues à des différences entre le droit d’auteur allemand et le droit d’auteur autrichien. Des différences peuvent cependant également résulter du fait que deux juridictions qui appliquent des critères juridiques en substance comparables parviennent à des conclusions divergentes parce que l’appréciation qu’elles portent sur les faits diffère.

80.      Il est, deuxièmement, possible que, même dans un domaine qui n’a pas été pleinement harmonisé, certaines exigences minimales l’ont été. Dans ce cas, même des demandes soumises à des lois nationales différentes peuvent, au final, porter sur les mêmes règles de fond, à savoir celles, communes, imposées par le droit de l’Union.

81.      Le point de vue de la Cour, selon lequel il ne peut y avoir de décisions inconciliables au sens de l’article 6, point 1, du règlement lorsque des lois nationales différentes sont applicables aux demandes et que ces législations n’ont pas été pleinement harmonisées, n’est par conséquent, d’après nous, pas tenable.

82.      Ce point de vue ne peut pas davantage s’appuyer sur la considération que les juridictions des États membres ne seraient pas à même de se prononcer sur des atteintes à des droits de propriété intellectuelle commises dans un autre État membre en appliquant le droit de cet autre État membre. Le système mis en place par le règlement n° 44/2001 repose, en effet, sur le principe que toute juridiction a cette compétence.

83.      L’exemple ci-après soulève, troisièmement, la question de savoir s’il peut être une condition sine qua non de l’article 6, point 1, du règlement que la même loi soit d’application à la demande d’ancrage et à l’autre demande. Dans un cas d’obligation de garantie, dans lequel l’un des défendeurs est uniquement tenu en cas de défaillance de l’autre défendeur, tout comme dans un cas où deux personnes sont tenues alternativement, il y a, d’après nous, d’évidence intérêt à ce que ce soit un seul et même tribunal qui statue sur l’affaire, afin d’éviter des solutions inconciliables (33). Le lien juridique entre les deux demandes ne dépend dans ce type de cas pas du point de savoir si c’est la même loi qui est applicable aux deux demandes.

84.      Les considérations exposées ci-dessus font douter de ce que l’application de l’article 6, point 1, du règlement soit vraiment uniquement justifiée dans le cas où la même loi est applicable aux deux demandes.

85.      Dans son arrêt Freeport, la Cour semble, certes, s’être écartée sur le fond de la position qui était la sienne dans l’arrêt Roche Nederland e.a. Comme elle continue cependant d’exiger, en renvoyant à l’arrêt Roche Nederland e.a., qu’il s’agisse de la même situation de fait et de droit (34), l’approche de la Cour reste peu claire dans son ensemble (35).

5.      Sur le rapport étroit au sens de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001

86.      À la lumière des critiques, d’après moi justifiées, dont la jurisprudence de la Cour a fait l’objet, je propose d’affiner le critère appliqué aux fins de vérifier l’existence d’un rapport suffisamment étroit au sens de l’article 6, point 1, du règlement. À titre liminaire, il convient d’observer que, dans le cadre de l’article 6, point 1, du règlement, seul un rapport entre la demande d’ancrage, d’une part, et la ou les autres demandes, d’autre part, peut être pris en considération. Cette exigence est à prendre au sérieux (a). La première condition requise pour qu’un tel rapport étroit existe est l’unicité de la situation de fait dans le cadre de laquelle s’inscrivent la demande d’ancrage et l’autre demande (b). Deuxièmement, il doit exister un lien juridique suffisamment étroit entre la demande d’ancrage et l’autre demande (c). En revanche, il n’est pas nécessaire de vérifier séparément l’existence, dans le cas concret, d’un risque de décisions inconciliables (d).

a)      Rapport entre la demande d’ancrage et la ou les autres demandes

87.      Selon l’article 6, point 1, du règlement, seules relèvent de la règle de compétence en raison de connexité des demandes qui entretiennent un rapport étroit avec la demande d’ancrage. Ces demandes ne peuvent cependant pas servir, à leur tour, de demande d’ancrage pour d’autres demandes qui seraient étroitement en rapport avec elles.

88.      Cela découle, premièrement, du texte même de l’article 6, point 1, du règlement, lequel exige un rapport étroit entre la demande d’ancrage et l’autre demande. Plaide, deuxièmement, par ailleurs en faveur de cette analyse l’idée que les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité pour le défendeur.

89.      En ce qui concerne le cas présent, cela signifie que la règle de compétence du for de la connexité ne s’applique aux demandes formées à l’encontre des cinquième et deuxième parties défenderesses au principal en ce qu’elles portent sur les journaux publiés en Allemagne que si chacune de ces demandes entretient un rapport suffisamment étroit avec la demande d’ancrage, dirigée contre la première partie défenderesse au principal. En revanche, le point de savoir s’il existe un lien entre les différentes demandes dirigées contre les deuxième et cinquième parties défenderesses au principal est sans importance aux fins de l’article 6, point 1, du règlement, dès lors que ces parties défenderesses n’ont pas leur siège en Autriche et que ces demandes ne peuvent par conséquent pas être des demandes d’ancrage.

90.      Partant, la juridiction de renvoi ne peut justifier sa compétence en vertu de l’article 6, point 1, du règlement pour connaître de la demande dirigée contre la deuxième partie défenderesse au principal en ce qu’elle concerne l’édition nationale du journal Bild publiée en Allemagne par le fait qu’elle est également saisie d’autres demandes formées contre la deuxième partie défenderesse au principal, afférentes à des journaux paraissant en Autriche (l’édition munichoise du journal Bild et Die Welt), pour lesquelles elle est compétente. Ces autres demandes introduites contre la deuxième partie défenderesse au principal ne sont en effet pas des demandes d’ancrage au sens de l’article 6, point 1, du règlement, le siège de la deuxième partie requérante ne se trouvant pas en Autriche.

b)      Unicité de la situation de fait

91.      Une première condition pour qu’il existe un lien de connexité entre la demande d’ancrage, d’une part, et une autre demande, d’autre part, est l’unicité de la situation de fait dans le cadre de laquelle s’inscrivent ces demandes. Dans ce contexte, il convient de tenir compte de ce que l’application de l’article 6, point 1, du règlement doit présenter un haut degré de prévisibilité pour le défendeur (36). Partant, pour que la situation de fait puisse être considérée comme unitaire, il doit être à tout le moins possible au défendeur de réaliser qu’il est susceptible d’être attrait, en tant que codéfendeur du défendeur à une demande d’ancrage, devant le tribunal du domicile de ce dernier en application de l’article 6, point 1, du règlement.

92.      Cette condition minimale n’est pas satisfaite lorsque les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’ancrage et de l’autre demande se présentent de telle manière que les actes en cause du défendeur à la demande d’ancrage et de l’autre défendeur concernent les mêmes intérêts juridiquement protégés de la demanderesse ou des intérêts juridiquement protégés similaires, mais ont été accomplis de façon indépendante et dans l’ignorance les uns des autres. Dans un tel cas de parallélisme non concerté des comportements, le fait que, en application de l’article 6, point 1, du règlement, il puisse être attrait également devant le tribunal du domicile du défendeur à la demande d’ancrage n’est en effet pas suffisamment prévisible pour l’autre défendeur.

93.      Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si, dans l’affaire au principal, il s’agit d’un parallélisme non concerté des comportements de la partie défenderesse à la demande d’ancrage, d’une part, et des deuxième et cinquième parties défenderesses au principal, d’autre part. Les informations factuelles fournies dans l’ordonnance de renvoi laissent cependant penser qu’il s’agissait en l’occurrence d’un parallélisme non concerté des comportements. Dans ce cas, une application de l’article 6, point 1, du règlement se heurte déjà au manque d’unicité de la situation de fait au sens de cette disposition.

94.      Dans ce contexte, il convient de mentionner en outre que, dans l’arrêt Roche Nederland e.a., la Cour est allée plus loin et a refusé, au motif de l’absence d’une «même situation de fait», l’application de l’article 6, point 1, de la convention de Bruxelles dans un cas où était invoquée la contrefaçon d’un brevet européen par des sociétés d’un même groupe sises dans différents États membres. Sa décision se fondait en particulier sur le fait que les défendeurs étaient différents et que les actes de contrefaçon qui leur étaient reprochés, mis en œuvre dans des États membres différents, n’étaient pas les mêmes (37). Je n’estime pas nécessaire d’examiner dans les présentes conclusions cette jurisprudence, qui n’est pas incontestée (38), étant donné que déjà le parallélisme concerté des comportements semble a priori faire défaut dans l’affaire au principal (39).

c)      Rapport juridique suffisamment étroit

95.      La deuxième condition d’un rapport étroit au sens de l’article 6, point 1, du règlement est qu’il doit exister un rapport juridique suffisant. Comme, dans le cas présent, déjà l’unicité de la situation de fait fait très probablement défaut, je serai brève au sujet de cette deuxième condition.

96.      Le point de départ de notre analyse doit être la question de savoir si les deux demandes présentent un rapport juridique si étroit qu’il ne peut être raisonnablement imposé au demandeur que ce soient deux juridictions différentes qui statuent sur elles. Il découle du libellé de l’article 6, point 1, du règlement que tel peut notamment être le cas lorsque le lien juridique entre deux demandes est si étroit que des contradictions entre les décisions les tranchant seraient inacceptables. Par ailleurs, dans une certaine mesure, des aspects d’économie de procédure peuvent également être pris en considération dans ce contexte, en tenant toutefois dûment compte de l’intérêt des défendeurs à la prévisibilité des compétences.

97.      Que le lien juridique entre deux demandes soit si étroit que des contradictions entre les décisions seraient inacceptables est tout d’abord le cas lorsque l’issue de la seconde demande dépend de la solution que recevra la première. Je renvoie, à cet égard, aux exemples de l’obligation de garantie ou de la responsabilité alternative, cités au point 83 des présentes conclusions. Un rapport juridique suffisamment étroit existe par ailleurs lorsque les défendeurs ont la qualité de débiteurs solidaires ou de copropriétaires ou font partie d’une indivision.

98.      Dans des cas où des prétentions comparables sont formées et où les conditions exigées par les législations respectivement applicables sont en substance comparables, il plaide en faveur de l’application de l’article 6, point 1, du règlement tout d’abord qu’elle permet d’éviter les contradictions susceptibles de résulter d’une divergence d’appréciation des faits par deux juridictions. Si des exigences communes sont imposées par le droit de l’Union, le fait que des contradictions de nature juridique seront évitées plaide également en faveur de cette analyse. Par ailleurs, des considérations d’économie de procédure militent également en faveur de l’existence d’un tel lien. Dans ce type de cas, cependant, la condition d’unicité de la situation de fait dans le cadre de laquelle s’inscrivent la demande d’ancrage et l’autre demande revêt une importance déterminante. Le risque d’une divergence d’appréciation des faits et d’une divergence d’appréciation juridique ne peut en effet justifier un déplacement de la compétence en application de l’article 6, point 1, du règlement que si ce déplacement est prévisible pour le défendeur.

99.      Eu égard au fait que, dans le cas présent, déjà l’unicité de la situation de fait fait a priori défaut, il n’y a pas lieu d’approfondir ce point davantage dans le cadre de la présente procédure. Pour conclure, nous préciserons cependant que les exemples précités, où il existe un rapport suffisamment étroit, ne sont pas à comprendre comme une liste exhaustive des cas dans lesquels il existe un rapport juridique suffisant.

d)      Pas d’examen ni de pronostic séparés concernant la réalité du risque de contradictions dans le cas concret

100. Contrairement à ce que, notamment, l’arrêt Roche Nederland e.a. semble indiquer (40), il n’est pas nécessaire de vérifier, outre l’unicité de la situation de fait et l’existence d’un rapport juridique suffisamment étroit, s’il existe un risque de contradiction entre les deux décisions ou de faire un pronostic sur ce point.

101. La règle de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 vise en effet le risque abstrait que la répartition de deux décisions sur deux juridictions entraîne des contradictions entre ces décisions (41). Comme nous l’avons exposé ci-dessus, il existe en effet, dans chaque cas où deux juridictions statuent sur deux demandes fondées sur des faits similaires à tout le moins, le risque qu’une divergence d’appréciation des faits entraîne des différences dans leurs décisions. Selon cette acception, l’article 6, point 1, du règlement a certes pour objectif d’éviter des contradictions. Comme il s’agit cependant d’un danger abstrait, seule l’existence d’un rapport suffisamment étroit avec la demande d’ancrage est exigée à titre de condition (42).

102. Cette acception ne se heurte pas non plus au libellé de l’article 6, point 1, du règlement. Les mots «afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément» peuvent être compris comme une simple description de l’objectif poursuivi par cette disposition, n’ayant pas le caractère d’une condition autonome.

D –    Conclusion

103. La notion de rapport étroit à l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 est, par conséquent, à interpréter en ce sens qu’elle requiert, à titre de condition, une unicité de la situation de fait et un rapport juridique suffisant entre la demande d’ancrage et l’autre demande. Dans le cas présent, seul importe par conséquent le rapport étroit avec la demande formée contre la première partie défenderesse au principal.

104. Une situation de fait ne peut être qualifiée d’unitaire, dans une situation telle que celle en cause en l’occurrence, lorsque les actes en cause du défendeur à la demande d’ancrage et ceux du défendeur à l’autre demande constituent des comportements parallèles non concertés.

105. Un rapport juridique suffisant peut également exister dans le cas où des législations nationales différentes, qui n’ont pas été entièrement harmonisées, sont applicables à la demande d’ancrage et à l’autre demande.

IX – Sur les autres questions préjudicielles

106. Je répondrai ci-après aux deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles, en commençant par la quatrième, par laquelle la juridiction de renvoi cherche à savoir si la publication d’un portrait-robot peut constituer une reproduction, au sens de l’article 2, sous a), de la directive 2001/29, de la photographie utilisée comme modèle pour l’établir (A). Suivant l’économie de ladite directive, cette question se pose en effet en amont des deuxième et troisième questions préjudicielles, qui portent sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 3, sous d) et e), de la directive. En vertu de ces dernières dispositions, les États membres peuvent prévoir des exceptions ou des limitations au droit de reproduction (ci-après les «restrictions») pour des mesures de sécurité publique (B) ou des citations (C).

A –    Sur la quatrième question préjudicielle

107. Par sa quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite savoir si, eu égard, en particulier, à l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (43) ainsi qu’à l’article 17 de la charte des droits fondamentaux, les dispositions combinées des articles 1er, paragraphe 1, et 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29 et de l’article 12 de la convention de Berne (44) sont à interpréter en ce sens que le droit d’auteur confère à des photographies de portrait une protection «moindre», voire nulle, du fait que, en ce qui concerne la «photo réaliste», celles-ci offrent des possibilités de création artistique trop réduites.

108. Ainsi qu’il ressort de l’ordonnance de renvoi, la quatrième question préjudicielle est à comprendre à la lumière de la position adoptée par l’Oberster Gerichtshof dans le cadre de la procédure de référé (45). Celui-ci a en effet jugé que, en application des dispositions nationales applicables, les parties défenderesses au principal n’avaient pas besoin du consentement de la partie demanderesse au principal pour publier le portrait-robot. La photographie en cause, qui avait servi de modèle lors de la réalisation du portrait-robot en cause, était, certes, une œuvre photographique protégée par un droit d’auteur. La réalisation et la publication du portrait-robot ne constituaient toutefois pas une adaptation, qui aurait requis le consentement de la partie demanderesse au principal en tant qu’auteur de l’œuvre photographique, mais une libre utilisation, qui était possible sans son consentement. La qualification d’adaptation ou de libre utilisation dépendait de l’activité créatrice s’exprimant dans le modèle. Plus le niveau d’activité créatrice était élevé, moins une libre utilisation du modèle était envisageable. S’agissant de photos de portrait, telles que la photographie en cause, le créateur n’avait que des possibilités réduites de création artistique originale. Pour cette raison, la portée de la protection conférée par le droit d’auteur à la photographie en cause était restreinte. En outre, le portrait-robot établi sur la base de cette photographie constituait une œuvre nouvelle, autonome et elle-même protégée par un droit d’auteur.

1.      Principaux arguments des parties à la procédure

109. La partie demanderesse au principal est d’avis qu’une approche, selon laquelle le droit d’auteur confère à des photos de portrait une protection «moindre», voire nulle, est incompatible avec les dispositions visées par la juridiction de renvoi dans la question préjudicielle. En application de l’article 1er de la directive 2001/29, simples photographies et œuvres photographiques sont protégées dans une même mesure contre les adaptations. La circonstance que, lors de la réalisation de photos de portrait, les possibilités de création artistique sont moindres n’a pas pour effet d’amenuiser la protection dont elles bénéficient. Des photographies de ce type ne peuvent, d’après elle, pas être scindées en une partie protégée et une partie non protégée. En tout état de cause, il faut tenir compte de ce que des portraits-robots peuvent être établis à tout moment et facilement. L’approche de l’Oberster Gerichtshof n’est compatible ni avec la triple condition de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29 et l’article 12 de la convention de Berne, ni avec le droit à la propriété en vertu de l’article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH et de l’article 17 de la charte des droits fondamentaux. Premièrement, explique-t-elle, il ne s’agit pas de cas spéciaux étroitement délimités. Deuxièmement, même suivant cette approche, l’exploitation normale de la photographie en cause, sur la base de laquelle le portrait-robot a été établi, est affectée de façon significative et, troisièmement, le droit d’auteur privé de sa valeur économique, sans que cela ne soit justifié au regard d’un intérêt général légitime.

110. Les parties défenderesses au principal considèrent la quatrième question préjudicielle comme irrecevable, car manifestement dépourvue de tout lien avec la procédure au principal. La question de la portée de la protection dont bénéficie la photographie en cause doit en effet être tranchée par la juridiction de renvoi en tenant compte de tous les éléments du cas d’espèce. La question d’interprétation posée par la juridiction de renvoi est dans ce contexte sans importance.

111. Les parties défenderesses au principal estiment, par ailleurs, que l’approche de l’Oberster Gerichtshof est correcte. La marge dont dispose le photographe pour exercer ses talents créatifs est réduite s’agissant d’une photo de portrait, ce qui fait que l’originalité de ce type de photographie est moindre. De ce fait, la protection que lui confère le droit d’auteur est «moindre», voire inexistante. Il convient de tenir compte, en outre, de l’activité créatrice qu’implique la réalisation d’un portrait-robot. En tout état de cause, l’article 5, paragraphe 3, sous i), de la directive 2001/29 prévoit une possibilité de restrictions pour l’inclusion fortuite d’une œuvre dans un autre produit.

112. Selon le gouvernement italien, il ne découle pas des dispositions visées par la juridiction de renvoi que les photos de portrait jouissent d’une protection par le droit d’auteur moindre, voire nulle, vis-à-vis d’un portrait-robot établi sur leur base. Les photos de portrait ne sont pas moins bien protégées par le droit d’auteur. Par ailleurs, la réalisation d’un portrait-robot est une activité plutôt simple, d’exécution facile à l’aide d’un logiciel. En outre, cette approche n’est pas compatible avec la triple condition de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29.

113. Le gouvernement autrichien et la Commission soulignent que ce ne sont pas les dispositions visées par la juridiction de renvoi qui sont pertinentes, mais l’article 6 de la directive 93/98 (de la directive 2006/116). Rejoints sur ce point par le gouvernement espagnol, ils exposent que les photographies sont protégées par un droit d’auteur s’il s’agit de créations intellectuelles originales. De ce fait, l’aptitude d’une photo de portrait à bénéficier de la protection dépend de son niveau de particularité et de créativité. Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier, dans le cadre de la procédure au principal, si, suivant ces critères, la photographie, sur la base de laquelle le portrait-robot a été établi, satisfait à ces exigences. Le fait qu’il s’agisse d’une photo de portrait n’a pas pour conséquence d’amoindrir la protection contre les adaptations que le droit d’auteur lui assure selon la directive 2001/29. Si la réalisation d’un portrait-robot est à qualifier de reproduction du modèle, au sens de l’article 2 de la directive 2001/29, dépend du point de savoir si les caractéristiques du fait desquelles ce modèle est à considérer comme une création intellectuelle originale se retrouvent dans le portrait-robot.

2.      Sur la recevabilité

114. La quatrième question préjudicielle est à comprendre en ce sens que la juridiction de renvoi souhaite savoir si la position de l’Oberster Gerichtshof, exposée au point 108 des présentes conclusions, est conforme aux exigences résultant du droit de l’Union et, le cas échéant, du droit international.

115. La question préjudicielle, ainsi comprise, est recevable.

116. En effet, contrairement à ce que soutiennent les parties défenderesses au principal, cette question n’a rien d’hypothétique. Au contraire, la juridiction de renvoi souhaite savoir si la distinction opérée par l’Oberster Gerichtshof sur le fondement du droit national entre une libre utilisation de la photographie en cause et sa reproduction, qui nécessite le consentement de l’auteur, est compatible avec le droit de l’Union. Cette question est pertinente aux fins du litige qu’elle est appelée à trancher.

117. Il est de même sans préjudice pour sa recevabilité que la réponse à la question préjudicielle, ainsi comprise, découle non pas des dispositions visées dans la question, mais de l’article 6 de la directive 93/98, lequel a été codifié par l’article 6 de la directive 2006/116, ainsi que de l’article 2 de la directive 2001/29. Comme le mécanisme de la demande de décision préjudicielle en vertu de l’article 267 TFUE a pour objet de permettre une coopération efficace entre les juridictions nationales et la Cour, et que la Cour peut dès lors donner à la juridiction de renvoi toutes indications utiles à la solution du litige au principal, elle peut répondre à la question préjudicielle en se fondant sur les dispositions pertinentes (46).

3.      Appréciation juridique

118. Le droit de reproduction supposant, selon l’article 2, sous a), de la directive 2001/29, l’existence d’une œuvre protégée par un droit d’auteur (47), il se pose, dans le cas présent, tout d’abord la question de savoir sous quelles conditions une photo de portrait peut jouir de la protection du droit d’auteur (a). La question se pose ensuite de savoir si la publication d’un portrait-robot, qui a été établi sur la base d’une photo de portrait protégée par un droit d’auteur, est à considérer comme une reproduction au sens de l’article 2, sous a), de la directive 2001/29 (b).

a)      Sur l’aptitude des photos de portrait à bénéficier de la protection

119. L’article 6 de la directive 93/98, lequel a été codifié par l’article 6 de la directive 2006/116, réglemente les conditions auxquelles des photographies jouissent, selon les prescriptions du droit de l’Union (48), de la protection du droit d’auteur. Conformément à la première phrase de cette disposition, l’élément déterminant est de savoir si les photographies sont originales en ce sens qu’elles sont une création intellectuelle propre à leur auteur. L’article 6, deuxième phrase, desdites directives dispose qu’aucun autre critère ne s’applique pour déterminer si des photographies peuvent bénéficier de la protection.

120. Il appartiendra dès lors à la juridiction de renvoi de vérifier si la photographie qui a été utilisée comme modèle pour le portrait-robot est à considérer comme une création intellectuelle originale propre à la partie demanderesse au principal. Cette notion, qui n’est pas définie dans la directive 93/98 (dans la directive 2006/116), est une notion du droit de l’Union qu’il convient d’interpréter de façon autonome (49). Du dix-septième considérant de la directive 93/98, ainsi que du seizième considérant de la directive 2006/116, qui se réfèrent à la convention de Berne, il ressort qu’une œuvre photographique est originale lorsqu’elle est une création intellectuelle de l’auteur qui reflète sa personnalité.

121. Selon l’article 6, première phrase, de la directive 93/98 (de la directive 2006/116), c’est donc uniquement le résultat d’une activité créatrice humaine qui est protégé, activité créatrice qui n’est pas exclue du seul fait que l’auteur se serve d’un moyen technique tel qu’un appareil photo.

122. En outre, la photographie doit être le résultat d’une activité de création originale (50). S’agissant d’une photographie, la création originale consiste, pour le photographe, à exploiter les marges de création artistique disponibles et à conférer ainsi à la photographie une particularité originale qui lui est propre.

123. D’autres critères ne sont – l’article 6, deuxième phrase, de la directive 93/98 (de la directive 2006/116) l’énonce expressément – pas à prendre en considération. Ne sont ainsi pas exigés un certain niveau de qualité artistique ou un caractère nouveau. De même, le but dans lequel les moyens de création artistique employés l’ont été, tout comme les efforts et moyens financiers y investis, importent peu.

124. Les exigences auxquelles une photographie doit répondre, en vertu de l’article 6 de la directive 93/98 (de la directive 2006/116), pour pouvoir bénéficier de la protection du droit d’auteur, ne sont donc pas particulièrement élevées (51). En application de ce critère, une photo de portrait peut être protégée par un droit d’auteur en vertu de l’article 6 de la directive 93/98 (de la directive 2006/116), y compris s’il s’agit d’un travail effectué par le photographe sur commande. Même lorsque l’objet essentiel d’une telle photographie, consistant en la personne photographiée, est déterminé d’avance, le photographe dispose de possibilités de création artistique suffisantes. Il peut, en effet, déterminer, entre autres, l’angle de prise de vue, la pose et l’expression du visage de la personne photographiée, l’arrière-plan, la netteté ainsi que la lumière et l’éclairage. En termes imagés, ce qui importe c’est que le photographe donne sa «touche personnelle» à la photographie.

125. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier dans le cadre de la procédure au principal si, en application de ce critère, la photographie qui a été utilisée comme modèle pour réaliser le portrait-robot est protégée par un droit d’auteur en vertu de l’article 6, première phrase, de la directive 93/98 (de la directive 2006/116).

b)      Sur la notion de reproduction

126. Lorsqu’une photographie est protégée par un droit d’auteur en vertu de l’article 6 de la directive 93/98 (de la directive 2006/116), son auteur est titulaire du droit de reproduction en application de l’article 2, sous a), de la directive 2001/29. Conformément à cette disposition, il peut en autoriser ou en interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie. Selon cette formulation très large (52), la reproduction est donc constituée en l’occurrence dans la mesure où les parties défenderesses au principal ont publié les photographies en cause telles quelles. La question se pose, en revanche, de savoir si la publication du portrait‑robot en cause peut, elle aussi, être qualifiée de reproduction de la photographie sur la base de laquelle il a été établi.

127. Dans la mesure où le portrait-robot a été réalisé à l’aide de l’informatique, en numérisant d’abord la photographie en cause (53), avant de modifier l’image numérisée à l’aide d’un logiciel, il semble logique de considérer qu’il s’agit là d’une reproduction au sens de l’article 2, sous a), de la directive. En effet, cette disposition recouvre expressément aussi les publications sous une forme modifiée. Plaide également en faveur de cette qualification le vingt et unième considérant de la directive 2001/29, selon lequel il convient de donner aux actes de reproduction une définition large.

128. Cette conclusion n’est cependant pas inéluctable. Lors de l’interprétation de la notion de reproduction, il ne faut en effet pas se baser uniquement sur le libellé de l’article 2, sous a), de la directive 2001/29, mais il y a lieu de tenir également compte de l’objectif poursuivi par cette disposition. Celui-ci consiste en la protection de l’œuvre protégée par un droit d’auteur. Dans ce contexte, il convient de distinguer entre l’œuvre et l’œuvre matérielle. L’œuvre est la création intellectuelle personnelle, qui est protégée par le droit d’auteur. L’œuvre matérielle est l’objet physique dans lequel se manifeste l’œuvre protégée par le droit d’auteur. Le droit de reproduction en vertu de l’article 2, sous a), de la directive 2001/29 protège l’œuvre au sens du droit d’auteur. Il ne protège l’œuvre matérielle que dans la mesure où l’œuvre risque d’être affectée.

129. La publication d’un portrait-robot ne constitue donc une reproduction de la photo de portrait lui ayant servi de modèle que si la création intellectuelle personnelle qui fonde la protection de ce modèle par le droit d’auteur est toujours incorporée dans le portrait-robot. Lorsque le portrait-robot a été réalisé sur la base de l’image numérisée de la photographie ayant servi de modèle, tel semble logiquement être en principe le cas. S’agissant d’un portrait-robot qui vise à montrer l’apparence qu’un adulte de 18 ans est supposé avoir en partant de l’image d’un enfant âgé de dix ans, il n’est cependant pas à exclure que les éléments qui sont porteurs de la création intellectuelle personnelle dans le modèle soient largement éliminés lors de la réalisation du portrait-robot. Par exemple, si la photo de portrait est uniquement utilisée pour relever les caractéristiques biométriques d’une personne et qu’ensuite un portrait-robot est établi sur la base de ces caractéristiques, la publication de ce portrait-robot ne constitue pas une reproduction au sens de l’article 2, sous a), de la directive 2001/29.

130. Eu égard au cadre fixé par la directive 2001/29, il ne me semble en revanche pas constituer un critère pertinent distinct de savoir quel est le niveau d’activité créative propre au portrait-robot et si celui-ci est lui-même une œuvre protégée par un droit d’auteur. Cependant, plus le portrait-robot s’éloigne du modèle, plus facilement il pourra être considéré que les éléments qui confèrent au modèle son caractère de création intellectuelle personnelle soient réduits dans le portrait-robot à une portion qui n’est plus significative et qui n’est donc plus à prendre en considération.

131. Il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner dans le cadre de la procédure au principal, eu égard à ces indications, si la publication du portrait-robot constitue une reproduction au sens de l’article 2, sous a), de la directive 2001/29.

c)      Conclusion

132. En résultat, il convient de constater, premièrement, qu’une photo de portrait jouit de la protection du droit d’auteur en vertu de l’article 6 de la directive 93/98 (de la directive 2006/116) si elle est une création intellectuelle originale propre au photographe, ce qui est le cas si celui-ci, en exploitant les marges de création artistique disponibles, donne une touche personnelle à la photographie de portrait.

133. Deuxièmement, il y a lieu de considérer que la publication d’un portrait-robot qui a été établi sur la base d’une photo de portrait protégée par un droit d’auteur constitue une reproduction au sens de l’article 2, sous a), de la directive 2001/29 lorsque les éléments qui confèrent au modèle son caractère de création intellectuelle originale se retrouvent également dans le portrait-robot.

B –    Sur la troisième question préjudicielle

134. La troisième question préjudicielle concerne l’interprétation de la possibilité de restriction prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29. Aux termes de cette disposition, les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou des limitations aux droits de reproduction et de communication au public lorsqu’il s’agit d’une utilisation à des fins de sécurité publique ou pour assurer le bon déroulement de procédures administratives, parlementaires ou judiciaires, ou pour assurer une couverture adéquate desdites procédures.

135. La juridiction de renvoi s’interroge, premièrement, sur le point de savoir si l’application dudit article suppose qu’un appel concret, actuel et exprès des autorités de sécurité à publier les photographies en cause ait eu lieu, c’est-à-dire si la photo doit être publiée à des fins d’enquête à l’initiative des autorités. Dans l’hypothèse où rien de tel n’est exigé, il se pose, deuxièmement, la question de savoir si des médias peuvent se prévaloir de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29 également dans le cas où ils décident de leur propre initiative, sans avis de recherche des autorités, que les photos sont publiées «dans l’intérêt de la sécurité publique». Si ce n’est pas possible, la question se pose, troisièmement, s’il suffit, aux fins de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29, que les médias affirment a posteriori que les photos ont été publiées à des fins d’enquête ou s’il est, en tout état de cause, nécessaire qu’un appel concret ait été adressé aux lecteurs, leur demandant de contribuer à élucider une infraction pénale et que cet appel fût directement associé à la publication de la photographie.

1.      Principaux arguments des parties à la procédure

136. La partie demanderesse au principal et le gouvernement espagnol sont d’avis que l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29 ne vient à s’appliquer que si les autorités de sécurité ont lancé un appel concret, actuel et exprès à publier les photographies en cause. Ils observent que la décision de faire usage de cette possibilité de restriction, et de quelle manière, appartient aux autorités administratives et judiciaires nationales compétentes. La protection de la sécurité publique relève de la compétence exclusive des autorités publiques et c’est donc à ces dernières qu’il incombe de décider dans quels médias et sous quelle forme des photographies peuvent être publiées à des fins d’enquête. En faveur de cette thèse plaide, selon la partie demanderesse au principal, également le fait que la directive 2001/29 vise à assurer un niveau élevé de protection des droits sur des créations intellectuelles. Si les médias pouvaient se prévaloir de ce qu’une photographie a été publiée dans un intérêt de sécurité publique, ils pourraient exploiter à loisir des œuvres protégées par un droit d’auteur sans avoir obtenu le consentement de l’auteur. Selon la partie demanderesse au principal, l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29 exige par ailleurs que la publication des photographies s’accompagne d’un appel à participer à l’enquête. Il ne suffit pas que les médias affirment, a posteriori, que les photographies ont été publiées à des fins d’enquête.

137. Les parties défenderesses au principal, le gouvernement autrichien et la Commission estiment, au contraire, que les médias peuvent se prévaloir de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29 également dans le cas où il n’y a pas d’avis de recherche actuel et exprès. Cette disposition ne contient aucun indice de ce qu’un appel concret et exprès des autorités de sécurité à publier les photographies soit nécessaire.

138. La suite de l’argumentation de ces parties à la procédure diffère.

139. Les parties défenderesses au principal soulignent que l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29 ouvre aux États membres également la possibilité d’autoriser une libre utilisation des œuvres pour assurer le bon déroulement de procédures administratives, parlementaires ou judiciaires. La Commission, en revanche, est d’avis que l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29 réglemente deux situations autonomes et que seule l’hypothèse d’une utilisation à des fins de sécurité publique est en cause dans la présente affaire.

140. Les parties défenderesses au principal soutiennent, par ailleurs, que les médias peuvent se prévaloir directement de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29 lorsque les images sont publiées dans l’intérêt de la sécurité publique. Dans ce contexte, elles rappellent en particulier l’importance de la liberté de la presse. Les médias doivent pouvoir décider librement, donc sans qu’un appel des autorités ne soit nécessaire, quand ils couvrent un événement et font des investigations. Au surplus, la description des faits dans les médias suffit déjà à amener des lecteurs à communiquer aux autorités judiciaires des informations importantes permettant d’élucider l’infraction.

141. Le gouvernement autrichien et la Commission avancent, quant à eux, qu’il est réservé aux autorités nationales compétentes de prévoir des exceptions et des limitations à des fins de sécurité publique. Celles-ci doivent cependant respecter le cadre défini par l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29 et la triple condition. Les médias ne peuvent donc pas décider, selon leur bon vouloir, quand la sécurité publique est en cause.

142. La Commission expose, par ailleurs, que la publication des photos doit être nécessaire à des fins de sécurité publique et être proportionnée à l’objectif de sécurité publique poursuivi. Dans le cas où les autorités de police ont demandé aux médias de publier une photographie, il existe une forte présomption que l’utilisation a eu lieu à des fins de sécurité publique. En revanche, s’il n’existe pas de lien manifeste entre la publication de la photographie et du texte qui l’accompagne et la sécurité publique et que l’éditeur n’affirme qu’a posteriori que tel était le cas, il est fortement à soupçonner que l’utilisation n’a effectivement pas eu lieu à des fins de sécurité publique.

143. Le gouvernement autrichien considère qu’il suffit si la publication des photos est objectivement de nature à contribuer à élucider des infractions.

2.      Appréciation juridique

144. Ainsi qu’il ressort de l’ordonnance de renvoi, la troisième question est elle aussi à lire à la lumière des positions que l’Oberster Gerichtshof a exprimées dans le cadre de la procédure de référé (54). L’Oberster Gerichtshof y a en effet jugé que, en application du droit national, une libre utilisation des photographies en cause à des fins de sécurité publique ne requerrait pas, au préalable, un appel exprès des autorités de sécurité à publier les images. Il était, au contraire, suffisant que des photographies fussent disponibles, auprès des autorités de sécurité, en vue de leur publication et que, dans le contexte de leur publication, il fût fait état d’investigations des autorités pénales effectivement encore en cours en vue d’élucider des infractions.

145. Par sa question divisée en trois branches, la juridiction de renvoi cherche à savoir si cette approche est conforme à l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29.

146. Avant d’y répondre, j’examinerai la technique de réglementation sous-tendant l’article 5, paragraphe 3, de ladite directive et, dès lors, également le point sous e) de celui-ci.

a)      Sur la technique de réglementation sous-tendant l’article 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29

147. L’article 5 de la directive 2001/29 prévoit une série de restrictions au droit d’auteur. Comme il ressort du trente-deuxième considérant de ladite directive, cette liste est exhaustive, car elle vise à assurer un minimum d’harmonisation en ce qui concerne les restrictions autorisées. Les notions utilisées à l’article 5, paragraphe 3, de la directive sont dès lors des notions autonomes du droit de l’Union.

148. L’article 5, paragraphe 3, de la directive prévoit une série de restrictions facultatives. Les États membres peuvent prévoir les restrictions qui y sont nommées, mais ne sont pas tenus de le faire. Dès lors que les États membres ont le pouvoir de décider du principe même de prévoir ou non l’une des restrictions énumérées audit paragraphe 3, ils ont, conformément au principe qui potest majus, potest et minus, en principe également celui de décider des modalités concrètes de cette restriction. Ils doivent cependant respecter alors certaines prescriptions. Tout d’abord, certains pouvoirs de restriction laissent les États membres décider librement de prévoir une restriction ou non, mais imposent, dans l’hypothèse où les États membres font usage de ce pouvoir, certaines exigences minimales. En outre les États membres doivent-ils, en tout état de cause, respecter la triple condition de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29. Ils ne sont ainsi autorisés à appliquer les restrictions que dans certains cas spéciaux (première condition), qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre (deuxième condition) ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit (troisième condition) (55). Des prescriptions supplémentaires peuvent, par ailleurs, également résulter d’autres règles du droit de l’Union. Il découle enfin du trente-deuxième considérant de la directive que les États membres doivent exercer leur pouvoir d’appréciation discrétionnaire de façon cohérente.

149. L’article 5, paragraphe 3, de la directive dessine ainsi un cadre juridique qu’un État membre doit respecter. De quelle manière un État membre aménage concrètement une restriction prévue par cette disposition relève toutefois, à l’intérieur du cadre imposé, de son pouvoir d’appréciation discrétionnaire.

150. Pour l’application de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive, cela signifie qu’un État membre est lié par cette disposition dans la mesure où elle fixe les limites de ce que l’État membre peut considérer comme un cas mettant en jeu la sécurité publique, de nature à justifier une exception aux droits de l’auteur ou une limitation de ceux-ci. À l’intérieur de ces limites, l’État membre peut cependant en principe déterminer de façon discrétionnaire les cas dans lesquels il estime justifié d’apporter une exception ou une limitation aux droits de l’auteur.

b)      Sur la première branche de la troisième question préjudicielle

151. Eu égard à la technique de réglementation de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29, la première branche de la troisième question préjudicielle est à comprendre en ce sens que la juridiction de renvoi souhaite savoir si une juridiction d’un État membre excède, lors de son interprétation des dispositions nationales applicables, les limites imposées par l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive en jugeant que, dans un cas tel que celui se présentant en l’occurrence, un appel actuel et exprès des autorités de sécurité n’est pas nécessaire pour pouvoir publier des photographies protégées par un droit d’auteur sans le consentement de leur auteur.

152. En effet, la présente affaire se caractérise par le fait que Natascha K. avait été recherchée à la suite de son enlèvement en 1998 et que les photographies en cause étaient, pour cette raison, disponibles auprès des autorités de sécurité en vue de leur publication. Après que Natascha K. avait réussi, en 2006, à échapper à son ravisseur, il n’y a en revanche pas eu d’avis de recherche actuel et exprès.

153. Il convient d’observer, tout d’abord, que, selon le libellé de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive, le point déterminant est que l’exception ou la limitation apportée au droit de reproduction l’ait été à des fins de sécurité publique. Le critère pertinent est, par conséquent, de savoir si la reproduction est objectivement appropriée à la poursuite d’objectifs de sécurité publique (56).

154. Il convient ensuite de noter qu’un avis de recherche visant à retrouver une personne qui a été enlevée ou son ou ses ravisseur(s) poursuit un objectif de sécurité publique au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive.

155. Par ailleurs, un État membre ne passe pas outre aux limites dessinées par l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive s’il considère que la sécurité publique est toujours concernée, alors même qu’un laps de temps important s’est écoulé depuis l’émission de l’avis de recherche. Il ne saurait en effet être exclu que la personne recherchée ne soit retrouvée que bien des années après que l’avis de recherche a été lancé.

156. Alors même qu’une autorité de sécurité nationale a, dans le passé, lancé un avis de recherche et fourni, dans ce contexte, des photographies en vue de leur publication, la restriction ne saurait cependant plus être considérée comme appropriée à la poursuite d’un objectif de sécurité publique si cet avis de recherche n’a plus d’objet. Il appartiendra, par conséquent, à la juridiction de renvoi de vérifier quels étaient les objectifs poursuivis par l’avis de recherche initial et si ces objectifs n’ont pas déjà été atteints du fait de la fuite de Natascha K. et du suicide de son ravisseur, qui s’est immédiatement ensuivi.

157. Si la juridiction de renvoi devait conclure que ces recherches poursuivaient encore d’autres fins, qui n’étaient pas devenues sans objet, comme la recherche d’un éventuel complice (57), il lui incombera de vérifier ensuite si la publication des photographies en cause dans les journaux et dans le magazine était objectivement susceptible de contribuer à la réalisation de ces autres fins des recherches. Il est vrai qu’il n’est pas exclu que même des articles de journaux qui n’appellent pas eux-mêmes à fournir des renseignements soient objectivement de nature à contribuer à une enquête des autorités publiques de sécurité. L’article doit cependant à tout le moins établir un lien avec une enquête toujours en cours. En outre la publication des photographies doit-elle être objectivement de nature à contribuer à ces autres fins des recherches. Dans la présente affaire, il appartiendrait par conséquent à la juridiction nationale d’examiner en particulier si la publication de photographies vieilles de huit ans et d’un portrait-robot de la personne enlevée peut objectivement être appropriée à la découverte d’un éventuel complice, que l’emploi des mêmes photographies n’avait pas permis de découvrir huit ans auparavant.

158. Si, en appliquant le critère précité, la juridiction de renvoi devait conclure que les conditions de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29 sont respectées, il lui incomberait de vérifier en outre si la triple condition est satisfaite. En l’occurrence, elle devra en particulier vérifier si la troisième condition est bien remplie, donc qu’il ne soit pas causé un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. Cela pourrait notamment être le cas si la reproduction des photographies en cause servait, en première ligne, à illustrer un article sur Natascha K. et que la diffusion d’un avis de recherche des autorités publiques de sécurité s’est trouvée reléguée au second plan par rapport à cette finalité.

c)      Sur la deuxième branche de la troisième question préjudicielle

159. Par la deuxième branche de sa troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite savoir si des médias peuvent, de leur propre initiative, décider qu’une photographie est publiée à des fins de sécurité publique, donc si des médias peuvent se prévaloir directement de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29, «court-circuitant» ainsi les autorités de sécurité compétentes.

160. Il convient de répondre à cette question par la négative.

161. Comme nous l’avons exposé ci-dessus (58), l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive énonce que les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou des limitations au droit d’auteur à des fins de sécurité publique. Un État membre n’est donc nullement obligé, en vertu de cette disposition, d’introduire une telle restriction. S’il en instaure une, il peut décider de ses modalités dans le cadre des limites définies par le droit de l’Union. La décision sur le point de savoir dans lesquels des cas relevant de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive il est justifié d’apporter une limitation au droit d’auteur relève donc, par principe, du pouvoir d’appréciation discrétionnaire de l’État membre.

162. Les médias ne sauraient donc se prévaloir directement de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive pour justifier la reproduction de photographies protégées par un droit d’auteur, déjà parce que cette disposition n’est pas suffisamment précise et inconditionnelle pour cela.

163. L’argument que les parties défenderesses au principal entendent tirer dans ce contexte de la liberté de la presse, avançant que leurs possibilités de couvrir un événement se trouveraient restreintes, est inopérant. L’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive confère des pouvoirs aux États membres en vue de la protection de la sécurité publique. Il n’a donc pas pour objet de mettre en balance la protection de la propriété intellectuelle et la liberté de la presse. Cette mise en balance s’exprime, au contraire, en particulier à l’article 5, paragraphe 3, sous c) (liberté de la presse) et d) (libre citation), de la directive 2001/29 et est dès lors à prendre en compte lors de l’interprétation de ces dispositions.

164. En conclusion, il convient par conséquent de constater que les médias ne peuvent pas se prévaloir directement de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29 pour justifier la reproduction de photographies protégées par un droit d’auteur.

d)      Sur la troisième branche de la troisième question préjudicielle

165. Il n’y a pas lieu de répondre à la troisième branche de la troisième question préjudicielle, celle-ci n’ayant été posée que pour le cas où la deuxième branche recevrait une réponse affirmative.

C –    Sur la deuxième question préjudicielle

166. La deuxième question posée par la juridiction de renvoi concerne l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29. Conformément à cette disposition, les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou des limitations au droit de reproduction lorsqu’il s’agit de citations faites, par exemple, à des fins de critique ou de revue, pour autant qu’elles concernent une œuvre ayant déjà été licitement mise à la disposition du public. D’autres conditions sont que la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée, à moins que cela ne s’avère impossible, et que les citations soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi.

167. La juridiction de renvoi souhaite, en premier lieu, savoir si cette disposition peut également s’appliquer lorsque l’article de presse procédant à la citation n’est pas lui-même une œuvre littéraire protégée par un droit d’auteur. En deuxième lieu, elle pose la question de savoir si la disposition peut être appliquée également dans le cas où le nom de l’auteur ou de l’artiste interprète de l’œuvre citée n’est pas indiqué.

1.      Arguments des parties à la procédure

168. Les parties défenderesses au principal considèrent que la deuxième question préjudicielle est irrecevable en sa première branche, car dépourvue de pertinence aux fins de la décision, du fait que la juridiction de renvoi n’a pas constaté si les articles sont protégés par un droit d’auteur ou non.

169. Sur le fond, la partie demanderesse au principal et le gouvernement italien exposent qu’il fait obstacle à l’application de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 lorsque l’article de presse citant une œuvre n’est pas lui-même une œuvre littéraire protégée par un droit d’auteur. Selon le gouvernement italien, cette analyse peut se fonder sur le texte de ladite disposition. Le gouvernement italien et la partie demanderesse au principal invoquent par ailleurs les objectifs d’un niveau élevé de protection des droits d’auteur et d’une rémunération appropriée de l’auteur.

170. Les parties défenderesses au principal, le gouvernement autrichien et la Commission considèrent, en revanche, qu’il n’est pas une condition de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive que l’article de presse procédant à la citation soit lui-même une œuvre littéraire protégée par un droit d’auteur, au motif qu’un droit de citation peut être justifié également dans ce type de cas. La Commission renvoie dans ce contexte au libellé de la disposition et au fait que les exceptions énumérées à l’article 5 de la directive sont exhaustives. Par ailleurs, il faut établir un juste équilibre entre la protection de la propriété intellectuelle et l’intérêt à une libre utilisation par voie de citation.

171. À titre subsidiaire, les parties défenderesses au principal et le gouvernement espagnol exposent que même un article de presse court peut être protégé par un droit d’auteur.

172. Au sujet de la seconde branche de la deuxième question préjudicielle, la partie demanderesse au principal, les gouvernements espagnol, italien et autrichien, ainsi que la Commission exposent que l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive n’est pas d’application lorsque le nom de l’auteur ou de l’artiste interprète de l’œuvre ou de l’autre objet protégé cité n’est pas correctement indiqué, à moins que cela ne s’avère impossible. Le gouvernement autrichien souligne la clarté du libellé de ladite disposition.

173. Selon les parties défenderesses au principal, cette question est irrecevable, car la réponse découle déjà du texte de la disposition en cause. Sur le fond, elles exposent que l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive est également d’application dans le cas où le nom de l’auteur ou de l’artiste interprète de l’œuvre ou autre objet protégé cité n’est pas indiqué. Par ailleurs, suivant le cours normal des choses, il ne leur était pas non plus possible de découvrir le nom ou le nom commercial de la partie demanderesse au principal. L’agence dont elles ont reçu les photographies en cause les avait en effet elle-même reçues un certain temps auparavant, dépourvues de toute indication, de la police à des fins de recherches ou lors de conférences de presse.

174. La partie demanderesse au principal et le gouvernement italien, en revanche, soutiennent que le fait d’avoir reçu les photographies en cause par l’intermédiaire d’une agence de presse n’a pas libéré les parties défenderesses au principal de l’obligation d’indiquer le bon auteur.

175. En outre, les parties à la procédure formulent également des observations concernant les autres conditions de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive. La partie demanderesse au principal, les gouvernements espagnol et autrichien, ainsi que la Commission soulignent que cette disposition ne vient à s’appliquer que si les photographies ont été utilisées à titre de citation, qu’elles ont donc pour fonction d’étayer le propos de l’article. Tel n’est pas le cas si elles ont uniquement été utilisées pour attirer l’attention du lecteur sur l’article.

176. Selon le gouvernement autrichien et la Commission, l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive peut également autoriser la citation de photographies entières lorsqu’elle est nécessaire au regard du but de la citation. Dans ce cas, la triple condition de l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive revêt cependant une importance particulière. Le gouvernement italien et la Commission doutent toutefois de ce que, dans le cadre de l’affaire au principal, la triple condition soit remplie, en particulier la première et la troisième condition.

177. Les parties défenderesses au principal font, en revanche, valoir que les autres conditions de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive sont également satisfaites. En particulier la publication a-t-elle été effectuée dans le cadre des bons usages, les parties défenderesses au principal ayant reçu les photographies publiées de tiers de confiance. En outre, il convient de tenir compte du droit de libre expression.

2.      Appréciation juridique

178. Ainsi qu’il ressort de l’ordonnance de renvoi, la deuxième question préjudicielle est également à comprendre à la lumière des positions exprimées par l’Oberster Gerichtshof dans sa décision dans la procédure de référé (59). L’Oberster Gerichtshof y exposait que, en application des règles du droit national, une libre utilisation à titre de citation dans des journaux et des revues était possible, mais que la citation de photographies entières n’était autorisée que si elle était nécessaire au regard du but de la citation et que la valeur économique de la photographie ne s’en trouvait pas significativement réduite.

a)      Sur la première branche de la deuxième question préjudicielle

179. Par la première branche de la deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 est applicable lorsque le média, dans lequel se trouve la citation, ne jouit lui-même pas de la protection du droit d’auteur.

180. La question est pertinente pour la solution du litige au principal. Contrairement à ce qu’affirment les parties défenderesses au principal, il n’est pas nécessaire que la juridiction de renvoi vérifie d’abord si les articles sont protégés par un droit d’auteur. La demande de décision préjudicielle en vertu de l’article 267 TFUE n’a, en effet, pas un caractère subsidiaire, en ce sens qu’une juridiction nationale doit résoudre toutes les autres questions litigieuses avant de saisir la Cour d’une question d’interprétation du droit de l’Union.

181. Également à cet égard, il convient de souligner, tout d’abord, que la possibilité de restriction prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive est facultative pour les États membres et que ceux-ci disposent, dès lors, par principe d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire pour décider de prévoir, ou non, cette restriction dans leur droit national et des modalités de celle-ci à l’intérieur du cadre imposé par le droit de l’Union, dans le respect, cependant, des réserves exposées au point 148 des présentes conclusions.

182. Par conséquent, la question de la juridiction de renvoi est à comprendre en ce sens que celle-ci souhaite savoir si un État membre sort du cadre imposé par cette disposition du droit de l’Union si, dans son droit national, il ne subordonne pas le droit de citation à la condition que l’article procédant à la citation soit lui-même protégé par un droit d’auteur.

183. Il convient de répondre à cette question par la négative.

184. En premier lieu, le texte de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive ne prévoit aucune condition restrictive en ce sens.

185. En deuxième lieu, la directive ne contient aucun autre élément permettant de conclure à l’existence d’une telle condition. De l’économie générale de l’ensemble des possibilités de restriction prévues à l’article 5, paragraphe 3, de la directive, il découle, au contraire, que ces possibilités de restriction ne reposent nullement sur l’idée fondamentale qu’il ne peut être prévu de restriction du droit d’auteur sur une œuvre qu’en faveur d’une autre œuvre.

186. En troisième lieu, le but de cette disposition ne me semble pas non plus plaider en faveur d’une interprétation en ce sens. La possibilité de restriction en vertu de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive est à voir à la lumière de l’intérêt d’une libre réflexion et discussion. Elle vise donc, plus particulièrement, à assurer la réalisation des libertés d’expression et de la presse. Or, des déclarations qui sont elles-mêmes protégées par un droit d’auteur peuvent tout à fait relever du champ de protection de ces droits fondamentaux.

187. En quatrième lieu, la convention de Berne, dans la droite lignée de laquelle se situe la possibilité de restriction prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive (60) et à la lumière de laquelle celle-ci est par conséquent à interpréter, ne fournit pas davantage le moindre indice en faveur d’une telle interprétation restrictive.

188. En cinquième lieu, la triple condition de l’article 5, paragraphe 5, de la directive, non plus, n’impose pas que seules soient privilégiées des citations dans des œuvres protégées par un droit d’auteur. À cet égard, nous pouvons tout d’abord renvoyer aux arguments que nous venons d’exposer. En outre, il n’apparaît pas que des citations dans des œuvres non protégées par un droit d’auteur porteraient plus fortement atteinte à l’exploitation normale d’une photographie protégée par un droit d’auteur que des citations dans des œuvres littéraires protégées.

189. En résultat, il convient par conséquent de constater qu’il n’est pas une condition impérative de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive que l’article dans lequel se trouve la citation au sens de cette disposition soit lui-même protégé par un droit d’auteur.

190. Comme l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive ouvre une faculté aux États membres, ces derniers sont par principe libres d’enserrer, dans leur droit national, le droit de citation par un cadre plus restrictif que ne le prévoient les limites du cadre imposé par le droit de l’Union et cette disposition. Ils doivent cependant respecter d’autres exigences du droit de l’Union, parmi lesquelles notamment les libertés d’expression et de la presse.

b)      Sur la seconde branche de la deuxième question préjudicielle

191. Par la seconde branche de sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’exception en vertu de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 peut être d’application dans le cas où l’auteur de la photographie publiée n’est pas nommé dans les articles de presse. Cette question est, elle aussi, à comprendre en ce sens que la juridiction de renvoi demande si un État membre sort du cadre dessiné par l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive si le droit national permet également la citation sans indication du nom de l’auteur de l’œuvre citée.

192. Contrairement à ce que soutiennent les parties défenderesses au principal, la question préjudicielle est recevable. Il ressort de l’article 104, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement de procédure de la Cour que, même lorsque la réponse à une question préjudicielle ne laisse place à aucun doute raisonnable, elle n’est pas irrecevable, mais peut être tranchée par voie d’ordonnance.

193. Sur le fond, la question comprend deux éléments. Comme, selon l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive, le nom de l’auteur doit uniquement être indiqué lorsque cela ne s’avère pas impossible, il se pose tout d’abord la question de savoir quand il y a impossibilité au sens de cette disposition (i). Il convient de s’interroger ensuite sur les conséquences juridiques qu’un État membre doit prévoir pour le cas où l’indication n’était pas impossible et où le nom de l’auteur n’était néanmoins pas indiqué (ii).

i)      Sur l’impossibilité d’indiquer le nom de l’auteur

194. L’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 ne définit pas quand l’indication de la source et de l’auteur s’avère impossible.

195. D’une part, le texte de cette disposition exige une impossibilité. Une difficulté excessive n’est donc pas encore suffisante. Cela plaide en faveur d’un critère assez strict. En faveur d’un tel caractère plaident de même les objectifs d’un niveau élevé de protection et d’une rémunération équitable, qui sous-tendent la directive (61). Il découle par ailleurs du mot «s’avère» (62) qu’il est à attendre de la personne procédant à la citation qu’elle fasse à tout le moins un certain effort en vue de connaître la source et le nom de l’auteur.

196. D’autre part, il convient de tenir compte de ce que le droit de citation sert à permettre la réalisation des libertés d’expression et de la presse. Les exigences quant à l’impossibilité ne doivent pas être si élevées que, en pratique, il devienne impossible d’exercer le droit de citation dès lors que l’auteur ne peut pas être identifié.

197. Le point de savoir s’il était impossible, au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive, d’indiquer l’auteur est de plus à apprécier en tenant compte de l’ensemble des éléments du cas concret.

198. Dans la présente affaire, la juridiction de renvoi devra en particulier tenir compte de ce que les photographies en cause ont été utilisées dans le cadre d’un avis de recherche. Dans ce type de cas, la personne souhaitant citer la photographie ne peut en effet pas se fier simplement à ce que la personne détenant matériellement la photographie soit également titulaire des droits sur elle. En outre, il faudra exiger dans ce type de cas de la personne souhaitant citer la photographie qu’elle procède à des investigations si le nom de l’auteur ne ressort pas de la photographie. Le nom de l’auteur ne sera en effet en règle générale pas reproduit sur les photos utilisées dans le cadre des recherches de police.

199. En faveur d’un niveau d’exigence élevé en ce qui concerne l’obligation pesant sur les parties défenderesses au principal plaide en outre la triple condition de l’article 5, paragraphe 5, de la directive. Les deuxième et troisième conditions exigent qu’il ne soit pas porté atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et qu’il ne soit pas causé un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. La présente affaire se caractérise par le fait qu’il a déjà été porté atteinte au droit d’auteur de la partie demanderesse au principal par les mesures de recherche de la police, donc des mesures à des fins de sécurité publique, et que ces mesures ont entraîné la reproduction des photographies en cause sans son consentement et sans qu’elle ne soit indiquée en tant qu’auteur des photos. Afin que, dans ce type de cas, le droit d’auteur ne soit pas privé de toute valeur, ce n’est, d’après nous, que dans des cas exceptionnels qu’il pourra être considéré que la personne souhaitant procéder à la citation pourra invoquer qu’il était impossible d’indiquer l’auteur sans avoir elle-même mené des investigations.

200. Sans vouloir préjuger de l’appréciation que la juridiction de renvoi sera appelée à effectuer dans le cas d’espèce, il me semble assez probable, eu égard aux indications factuelles fournies dans l’ordonnance de renvoi, que l’indication ne s’est pas avérée impossible en ce qui concerne les parties défenderesses au principal.

ii)    Sur les conséquences juridiques d’une absence d’impossibilité

201. Si la juridiction de renvoi devait constater que l’indication du nom de l’auteur ne s’est pas avérée impossible, il se pose ensuite la question de savoir quelles conséquences juridiques un État membre doit prévoir dans ce type de cas. L’une des approches possibles est de considérer que la publication n’est alors pas autorisée, en l’absence du consentement de l’auteur. L’autre solution envisageable est que la publication reste alors autorisée, mais que l’auteur peut réclamer que son nom soit indiqué.

202. Seule me semble compatible avec l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive l’approche suivant laquelle la citation sans indication du nom de l’auteur et sans le consentement de celui-ci constitue une publication illicite.

203. En faveur de cette analyse plaide, en premier lieu, le texte de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive. Celui-ci énonce, en effet, qu’un État membre n’a la faculté de prévoir un droit de citation que pour autant que la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée. Cela laisse à penser qu’il s’agit d’une condition que l’État membre qui fait usage du pouvoir que lui confère l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive doit impérativement respecter.

204. Cette interprétation se trouve, en deuxième lieu, confirmée par le fait que cette condition est énoncée dans cette disposition avec d’autres conditions, qui, quant à elles, sont manifestement impératives. Il s’agit, plus précisément, des conditions que les citations soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi.

205. Militent en troisième lieu en faveur de cette analyse l’objet et la finalité de cette condition. En principe, un auteur est en mesure de décider de l’utilisation qui sera faite de son œuvre. L’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive permet, il est vrai, à un État membre de restreindre les droits de l’auteur dans l’intérêt des libertés d’expression et de la presse. Par le biais de l’obligation d’indiquer la source et le nom de l’auteur, il cherche cependant à préserver à l’auteur un contrôle minimal. L’auteur doit ainsi pouvoir contrôler, entre autres, si l’utilisation faite de son œuvre n’excède pas les limites de la citation licite. Une approche suivant laquelle une reproduction serait licite, alors même que le nom de l’auteur n’est pas indiqué et que celui-ci pourrait uniquement réclamer qu’il le soit, comporterait le risque que l’auteur ne puisse pas exercer ce contrôle efficacement. Si son nom n’est pas indiqué, il risque en effet dans de nombreux cas de ne pas être informé de l’utilisation faite de son œuvre.

206. Les arguments exposés ci-dessus plaident en faveur de ce que l’indication du nom soit considérée comme une condition impérative de la possibilité de restriction en application de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29. Le non-respect de cette condition implique, par conséquent, qu’une reproduction ne saurait être légitimée en invoquant cette disposition (63).

iii) Conclusion

207. En résultat, il convient de considérer que le cadre de la libre citation défini par l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive a été franchi lorsque le nom de l’auteur d’une photographie n’est pas indiqué, alors que cela ne s’est pas avéré impossible. Cette indication ne s’est pas avérée impossible si la personne procédant à la citation n’a pas pris toutes les mesures en vue d’identifier l’auteur qui, au regard des circonstances du cas concret, apparaissaient appropriées.

c)      Observations complémentaires

208. La deuxième question préjudicielle porte seulement sur deux points qui sont d’importance dans le cadre de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29. Comme, dans le cadre d’une procédure préjudicielle, la Cour peut cependant fournir à la juridiction de renvoi toutes les indications qu’elle juge utiles à la solution de l’affaire au principal (64), je souhaite, outre les deux aspects soulevés par la juridiction de renvoi, aborder trois autres points, relatifs aux limites du cadre imposé par le droit de l’Union selon l’article 5, paragraphes 3, sous d), et 5, de la directive 2001/29. Il s’agit, tout d’abord, de la question de savoir sous quelles conditions il s’agit effectivement d’une citation au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 (i). La question se pose ensuite de savoir si même une citation intégrale peut constituer une citation au sens de cette disposition (ii). Enfin, j’examinerai encore la limitation que cette possibilité de restriction se voit imposer du fait de la condition que l’utilisation doit être faite conformément aux bons usages ainsi que de la triple condition de l’article 5, paragraphe 5, de la directive (iii).

i)      Citation faite, par exemple, à des fins de critique ou de revue

209. L’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 prévoit que les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou des limitations lorsqu’il s’agit de citations faites à des fins de critique ou de revue. L’élément déterminant est ainsi que la reproduction est effectuée dans un but de citation.

210. La directive ne définit pas la notion de citation. Selon le sens courant de ce mot, la caractéristique extérieure déterminante d’une citation est de restituer, sans modification, une création de l’esprit d’autrui, d’une façon l’identifiant en tant que telle. Les exemples visés à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive, selon lesquels la citation doit être faite à des fins de critique ou de revue, montrent que ce seul fait ne suffit pas. Au contraire, un lien de fond avec l’œuvre citée, sous la forme d’une description, d’un commentaire ou d’une appréciation, est requis. La citation doit donc servir de base à une discussion.

211. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si, en publiant les photographies en cause, les parties défenderesses au principal poursuivaient un tel objectif. Il ne saurait cependant être considéré qu’il s’agit d’une citation au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive si le contenu des articles ne présente pas le lien de fond requis avec les photographies. Tout spécialement si les photographies en cause devaient n’avoir été utilisées que comme «accroche» pour attirer l’attention des lecteurs, sans avoir été elles-mêmes discutées dans le texte les accompagnant, il ne saurait être considéré que c’étaient des fins de citation au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive qui étaient poursuivies.

ii)    Citation intégrale

212. Il se pose, par ailleurs, la question de savoir dans quelle mesure l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 recouvre également des citations intégrales. Selon le sens courant de ce terme, une citation ne consiste en principe qu’en un extrait d’un texte. En ce qui concerne les photographies, il ne me semble cependant pas exclu que même une citation intégrale puisse être une citation au sens de cette disposition. S’agissant de ce type d’œuvres, il peut en effet être nécessaire de les reproduire intégralement pour pouvoir établir le lien de fond requis. Si seules des parties de photographies pouvaient être publiées en application de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive, cela restreindrait de façon considérable le champ d’application de cette disposition en ce qui concerne les photographies.

213. Comme une citation intégrale implique une atteinte non négligeable au droit d’auteur, les autres conditions, telle celle que la citation doit se faire conformément aux bons usages, ainsi que la triple condition de l’article 5, paragraphe 5, de la directive, revêtent une importance toute particulière.

iii) Autres conditions

214. Dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi devra également examiner si la publication des photographies en cause est conforme aux usages et satisfait à la triple condition de l’article 5, paragraphe 5, de la directive. Dans ce contexte, elle devra en particulier tenir compte des points de savoir si la citation intégrale des photographies en cause dans les journaux, dans les magazines et sur les sites Internet des parties défenderesses au principal en a restreint de façon significative les possibilités de vente et ainsi causé un préjudice injustifié aux intérêts de la partie demanderesse au principal.

X –    Conclusion

215. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles:

«1)      La notion de rapport étroit à l’article 6, point 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, est à interpréter en ce sens qu’elle requiert, à titre de condition, une unicité de la situation de fait et un rapport juridique suffisant entre la demande introduite contre le défendeur domicilié au siège du tribunal saisi (demande d’ancrage) et l’autre demande. Une situation de fait ne peut être qualifiée d’unitaire, dans un cas tel que celui en cause, lorsque les actes en cause du défendeur à la demande d’ancrage et ceux du défendeur à l’autre demande constituent des comportements parallèles non concertés. Un rapport juridique suffisant peut également exister même dans le cas où des législations nationales différentes, qui n’ont pas été entièrement harmonisées, sont applicables aux deux demandes.

2 a)      L’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, est à interpréter en ce sens qu’un État membre peut autoriser la citation d’une œuvre sans le consentement de son auteur également dans le cas où l’article de presse procédant à la citation n’est pas lui-même protégé par un droit d’auteur.

2 b)      Ladite disposition exige par ailleurs de façon impérative que la personne procédant à la citation d’une photographie protégée par un droit d’auteur indique le nom de l’auteur de celle-ci, à moins que cela ne s’avère impossible. Cette indication ne s’est pas avérée impossible si la personne procédant à la citation n’a pas pris toutes les mesures en vue d’identifier l’auteur qui, au regard des circonstances du cas concret, apparaissaient appropriées.

3 a)      L’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29 est à interpréter en ce sens qu’un État membre peut permettre, en cas d’avis de recherche poursuivant un objectif de sécurité publique au sens de cette disposition, que les médias reproduisent des photographies protégées par un droit d’auteur également sans le consentement de leur auteur si les objectifs poursuivis par les recherches ne sont pas devenus sans objet et que la reproduction était objectivement appropriée à la poursuite de ces objectifs.

3 b)      Les médias ne peuvent pas se prévaloir directement de cette disposition pour justifier une reproduction intervenue sans le consentement de l’auteur.

4)      En application de l’article 6 de la directive 93/98/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative à l’harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, et de l’article 6 de la directive 2006/116/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, une photo de portrait jouit de la protection du droit d’auteur si elle est une création intellectuelle originale du photographe, ce qui suppose que le photographe lui ait, en exploitant les marges de création artistique disponibles, donné une touche personnelle.

La publication d’un portrait-robot qui a été établi sur la base d’une photo de portrait protégée par un droit d’auteur constitue une reproduction au sens de l’article 2, sous a), de la directive 2001/29 lorsque les éléments qui confèrent au modèle son caractère de création intellectuelle originale se retrouvent également dans le portrait-robot.»


1 – Langue originale: l’allemand; langue de procédure: l’allemand.


2 – JO 2001, L 12, p. 1, ci-après également le «règlement».


3 – Voir, en particulier, arrêts du 27 septembre 1988, Kalfelis (189/87, Rec. p. 5565), et du 13 juillet 2006, Roche Nederland e.a. (C‑539/03, Rec. p. I‑6535) – qui concernaient cependant encore la disposition précédemment applicable, l’article 6 de la convention de Bruxelles –, ainsi que du 11 octobre 2007, Freeport (C‑98/06, Rec. p. I‑8319).


4 – JO L 167, p. 10, ci-après également la «directive».


5 – À l’instar des dénominations utilisées dans les traités UE et FUE, nous utiliserons le terme «droit de l’Union» comme recouvrant le droit communautaire et le droit de l’Union. Lorsque, ci-après, nous nous référerons à des dispositions déterminées du droit primaire, nous préciserons les dispositions applicables ratione temporis.


6 – JO L 290, p. 9.


7 – JO L 372, p. 12.


8 – Les demandes formées dans la procédure au principal portent également sur la distribution des photographies. Ce point étant sans pertinence aux fins de la présente demande de décision préjudicielle, la distribution ne sera, ci-après, pas examinée séparément. Il convient cependant de souligner que la possibilité de prévoir des exceptions et des limitations en vertu de l’article 5, paragraphe 3, sous d) et e), de la directive 2001/29 est limitée aux articles 2 et 3 de ladite directive et ne s’étend donc pas au droit de distribution en vertu de l’article 4 de celle-ci.


9 – Voir point 27 des présentes conclusions. La juridiction de renvoi ne nous pose pas cette question pour les autres journaux, le magazine et les sites Internet.


10 – Précité à la note 3.


11 – Sur cette notion, voir Althammer, C., «Die Anforderungen an die ‘Ankerklage’ am forum connexitatis», Praxis des Internationalen Privat- und Verfahrensrechts 2006, p. 558.


12 – Arrêts Kalfelis (précité à la note 3, points 6 à 12), et du 27 octobre 1998, Réunion européenne e.a. (C‑51/97, Rec. p. I‑6511, points 47 et suiv.).


13 – Arrêts Freeport (précité à la note 3, point 35) et du 13 juillet 2006, Reisch Montage (C‑103/05, Rec. p. I‑6827, point 23).


14 – L’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 poursuit par ailleurs également des objectifs d’économie de procédure.


15 – Arrêt du 4 février 1988, Hoffmann (145/86, Rec. p. 645, point 22).


16 – Ibidem, point 25.


17 – Ainsi, l’avocat général Léger avait exprimé, aux points 107 à 110 de ses conclusions dans l’affaire Roche Nederland e.a. (précitée à la note 3), sa préférence pour une interprétation étroite de l’article 6, point 1, de la convention de Bruxelles. Dans son arrêt dans ladite affaire, la Cour a laissé ouverte la question de savoir s’il convenait de suivre cette opinion. Il semble cependant ressortir de l’arrêt Freeport (précité à la note 3) que la Cour n’envisage pas sérieusement d’adopter cette approche restrictive.


18 – Voir, en particulier, la disposition relative à la litispendance, article 27 du règlement.


19 – Voir dix-septième considérant du règlement et arrêt du 6 décembre 1994, Tatry (C‑406/92, Rec. p. I‑5439, point 55).


20 – L’application de l’article 6, point 1, du règlement peut en outre présenter des avantages en termes d’économie de procédure.


21 – À ce sujet, voir point 109 des conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Roche Nederland e.a. (précitée à la note 3).


22 – En ce sens, également, Gaudemet-Tallon, H., Compétence et exécution des jugements en Europe, LGDJ, Paris, 4e éd. 2010, p. 255.


23 – Voir point 52 des présentes conclusions.


24 – Arrêt Tatry (précité à la note 19 ci-dessus, point 58).


25 – En ce sens, Leible, S., dans Rauscher, T., Europäisches Zivilprozessrecht, Sellier, 2006, art. 6, point 8.


26 – Arrêt Reisch Montage (précité à la note 13, point 29).


27 – Arrêts Freeport (précité à la note 3, point 40) et Roche Nederland e.a. (précité à la note 3, point 26).


28 – Dans cet arrêt, la Cour a expliqué qu’un brevet européen demeurait régi par la réglementation nationale de chacun des États contractants pour lequel il avait été délivré (théorie dite du «faisceau»). De ce fait, toute action en contrefaçon de brevet européen devait être examinée au regard de la réglementation nationale en vigueur en la matière. Il s’ensuivait que, lorsque plusieurs juridictions de différents États membres étaient saisies d’actions en contrefaçon d’un brevet européen délivré dans chacun de ces États membres, engagées à l’encontre de défendeurs domiciliés dans ces États membres pour des faits prétendument commis sur leur territoire, d’éventuelles divergences entre les décisions rendues par les juridictions en cause ne s’inscrivaient pas dans le cadre d’une même situation de droit. Pour cette raison, la situation de droit n’était pas comparable. En l’absence de situation de droit comparable, il n’y avait, dans ce type de cas, pas de risque de solutions inconciliables.


29 – Arrêt précité à la note 3, point 38.


30 – Ibidem, point 41.


31 – Kur, A., «A Farewell to Cross-Border Injunctions? The ECJ Decisions GAT v. Luk and Roche Nederland v. Primus and Goldenberg», International Review of Intellectual Property and Competition Law, 2006, p. 844, 849 et suiv.; Wilderspin, M., «La compétence juridictionnelle en matière de litiges concernant la violation des droits de propriété intellectuelle», Revue critique de droit international privé, 2006, p. 777, 791 et suiv., ainsi que Schlosser, P., «Anmerkung zu EuGH, Urteil v. 13.7.2006 – Rs. C-539/03 Roche Nederland BV u.a./Primus u. Goldenberg», Juristenzeitung, 2007, p. 303, 305 et suiv.; Muir Watt, H., dans Magnus, U., et Mankowski, P., Brussels I Regulation, Sellier, 2007, art. 6, point 25a. Dans ce contexte, il convient de mentionner que le European Max Planck Group for Conflict of Laws in Intellectual Property (http://www.ip.mpg.de/shared/data/pdf/clip_brussels_i_dec_06_final.pdf, p. 11) a proposé, en réaction à l’arrêt Roche Nederland e.a., de modifier l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 de telle sorte que ce type de cas relève du for de la connexité.


32 – Très critique, Kur, A., op. cit. note 31, p. 850, qui qualifie cet argument de «manifestement erroné».


33 – La solution est, par exemple, inconciliable lorsqu’un tribunal décide que le défendeur qui est débiteur ou responsable en premier lieu n’est pas tenu par la dette ou à réparation, tandis que le second tribunal décide que l’autre défendeur, qui est débiteur ou responsable en second lieu, n’est pas tenu par la dette ou à réparation parce qu’il estime que c’est ce premier qui en répond.


34 – Arrêt Freeport (précité à la note 3, point 40).


35 – Roth, H., «Das Konnexitätserfordernis im Mehrparteiengerichtsstand des Art. 6 Ziffer 1 EuGVO», Die Richtige Ordnung - Festschrift für Jan Kroppholler, Mohr Siebeck, 2008, p. 884, 887, souligne les contradictions existant entre ces deux arrêts. En ce sens également Gaudemet-Tallon, H., op. cit. note 22, p. 256 à 259.


36 – Voir point 56 des présentes conclusions.


37 – Arrêt précité à la note 3, points 26 et suiv.


38 – Voir notamment Wilderspin, M., op. cit. note 31, p. 791 et 792.


39 – Ce n’est que pour être complète que nous ajouterons qu’il est, d’après nous, possible de répondre aux craintes, exprimées par la Cour aux points 37 et suiv. de l’arrêt Roche Nederland e.a. (précité à la note 3), qu’une application de l’article 6, point 1, du règlement dans ce type de situation soit de nature à affecter la prévisibilité des règles de compétence et à encourager une pratique de «forum shopping», en respectant strictement la condition suivant laquelle un rapport avec la demande d’ancrage est requis, comme nous le proposons aux points 87 à 90 des présentes conclusions. La conséquence en sera en effet, en règle générale, que le seul for commun possible pour connaître de toutes les demandes formées contre des sociétés d’un même groupe est celui du siège de la société mère, si celle-ci est attraite devant les tribunaux avec ses filiales.


40 – Voir point 32 de l’arrêt Roche Nederland e.a. (précité à la note 3).


41 – Une idée similaire est exprimée par Roth, H., op. cit. note 35, p. 892 et 893.


42 – En ce sens, également, Roth, H., op. cit. note 35, p. 893.


43 – Convention signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»); premier protocole additionnel du 20 mars 1952.


44 – Convention pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (révisée à Paris le 24 juillet 1971 et modifiée le 28 septembre 1979).


45 – Voir point 38 des présentes conclusions.


46 – Arrêts du 28 février 1984, Einberger (294/82, Rec. p. 1177, point 6), et du 16 juillet 1992, Belovo (C‑187/91, Rec. p. I‑4937, point 13).


47 – Voir arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International (C-5/08, Rec. p. I-6569, points 33 et suiv.). Adoptant une attitude critique envers l’approche de la Cour, selon laquelle l’existence d’une création intellectuelle est également exigée s’agissant de types d’œuvres dont les conditions de protection n’ont pas été harmonisées, Schulze, G., «Schleichende Harmonisierung des urheberrechtlichen Werkbegriffs?», Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht, 2009, p. 1019. Ce point est en l’occurrence sans incidence, les conditions de protection des photographies ayant été harmonisées à l’article 6 de la directive 93/98 (de la directive 2006/116).


48 – En application de l’article 6, troisième phrase, de la directive 93/98 (de la directive 2006/116), les États membres peuvent protéger les photographies également au-delà de ce qu’impose le droit de l’Union.


49 – Cela ressort du dix-septième considérant de la directive 93/98.


50 – Voir arrêt Infopaq International (précité à la note 47, point 35), où la Cour s’est référée aux conditions résultant de l’article 6 de la directive 2006/116.


51 – Voir Nordemann, A., dans Loewenheim, U., Handbuch des Urheberrechts, Beck, 2e éd. 2010, § 9, point 149. Leistner, M., «Copyright Law in the EC: Status quo, recent case law and policy perspectives», Common Market Law Review, 2009, p. 847, 849 et 850, fait observer que l’article 6 de la directive 93/98 (de la directive 2006/116) a eu pour effet un abaissement du critère plus exigeant appliqué dans certains États membres afin de se conformer aux exigences de la directive. Il n’est donc pas nécessaire, aux fins de la présente procédure, de procéder à une comparaison plus approfondie avec, d’une part, le critère dit «sweat of the brow» connu de la «common law» et donc des ordres juridiques du Royaume-Uni et d’Irlande et, d’autre part, le critère de l’«originalité» et de la «Schaffungshöhe» appliqué par les ordres juridiques continentaux.


52 – La notion de reproduction à l’article 2 de la directive 2001/29 constitue une combinaison du contenu qu’a eu la notion de reproduction dans les précédentes directives. À ce sujet, voir Reinbothe, J., «Die EG-Richtlinie zum Urheberrecht in der Informationsgesellschaft», Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht – Internationaler Teil, 2001, p. 733, 736, et Lewinsky, S., «Der EG-Richtlinienvorschlag zum Urheberrecht und zu verwandten Schutzrechten in der Informationsgesellschaft», Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht – Internationaler Teil, 1998, p. 637, 638.


53 – Dans ce cas, la numérisation serait elle-même un acte de reproduction, dont la licéité serait à apprécier au regard de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/29.


54 – Voir point 38 des présentes conclusions.


55 – Au sujet de la triple condition, voir point 134 de nos conclusions dans l’affaire Infopaq International (précitée à la note 47).


56 – Au-delà du cas présent, il convient donc de constater que la notion de sécurité publique au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive ne recouvre pas uniquement les seules situations d’avis de recherche.


57 – Celle-ci est invoquée par les parties défenderesses au principal.


58 – Voir points 148 à 150 des présentes conclusions.


59 – Voir point 38 des présentes conclusions.


60 – Voir article 10, paragraphe 1, de la convention de Berne.


61 – Voir quatrième, neuvième et dixième considérants de la directive 2001/29.


62 – «[S]ich […] erweist», dans la version en langue allemande, «turns out to be» dans celle en langue anglaise, «resulte» en espagnol, «blijkt» en néerlandais, «se revele» en portugais, «se […] izkaže» en slovène. Moins clair dans la version en langue italienne, «in caso di».


63 – En ce sens, également, Götting, H.-P., dans Loewenheim, U., Handbuch des Urheberrechts, Beck, 2010, § 32, point 12.


64 – Voir point 117 des présentes conclusions.